Chapitre III. Les voies d’entrée au Bon-Pasteur
Itinéraires sociaux et filières juridiques
p. 75-98
Texte intégral
1Alors que les placements réalisés directement par les familles dominent encore au début des années 1940, ceux réalisées directement et officiellement par la justice des mineurs deviennent majoritaires à partir de 1946, à la suite de l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante. Dans les années 1950, les chiffres sont assez constants, avec plus de 60 % des filles entrant au Bon-Pasteur par décision judiciaire, pénale comme civile. Environ 30 % des placements sont réalisés par les familles, de plus en plus souvent via des services sociaux, et le reste concerne des enfants en danger placés directement par la direction départementale de la population, puis sous l’égide de la direction départementale d’action sanitaire et sociale (DDASS) à partir de 19641.
2Les voies d’entrée au Bon-Pasteur sont donc multiples, mais domine la déviance féminine. Par qui et pour quelles raisons les jeunes filles ont-elles été placées en internat de rééducation ? En identifiant les actes qu’elles ont commis, les lois/normes qu’elles ont enfreintes, les comportements adoptés pour être considérées immorales, insoumises ou rebelles par les instances de contrôle social, il sera possible de faire ressurgir les normes qu’elles subissent, transgressent et, parfois, subvertissent. Ceci permettra également de saisir comment les normes sont définies en fonction des représentations et des émotions d’une époque.
Protéger l’enfance et l’adolescence en danger
3La volonté de protéger les enfants se fait peu à peu jour au xixe siècle et se manifeste notamment par les lois du 24 juillet 1889 sur la protection des enfants maltraités ou moralement abandonnés et celle loi du 19 avril 1898 sur la répression des violences commises envers les enfants. Avec la loi de 1889, on s’intéresse pour la première fois aux enfants maltraités par leurs parents. Ce texte prévoit la déchéance paternelle lorsque les parents, « par leur ivrognerie habituelle, leur inconduite notoire et scandaleuse ou par leurs mauvais traitements compromettent soit la santé, soit la sécurité, soit la moralité de leurs enfants2 ». La majorité des juges n’est cependant pas convaincue de la pertinence d’une mesure jugée très pénalisante pour les parents. Le caractère inflexible de cette loi, qui envisage uniquement la séparation totale de l’enfant et ses parents, rend donc son application difficile. Elle représente néanmoins « une des plus importantes décisions prises à la fin du siècle en faveur de l’enfance maltraitée », indiquant « le début d’un changement de comportement décisif du corps social dans ses relations avec la famille3 ». À son tour, la loi du 19 avril 1898 renforce les dispositions du code pénal en matière de répression des mauvais traitements4 et permet le placement des enfants maltraités à l’Assistance publique.
4Dans le prolongement de cette législation est adoptée la loi du 22 juillet 1912 sur les tribunaux pour enfants et adolescents et sur la liberté surveillée. Ce texte consacre la nécessité de juger autrement les mineurs, de prendre en compte leur âge et milieu familial pour éviter au maximum l’emprisonnement, facteur de récidive5. Ainsi, les mineurs de 13 ans relèvent désormais de l’irresponsabilité pénale. L’instruction se préoccupe de mieux connaître leur milieu social par une « enquête sur la situation morale et matérielle de la famille, sur le caractère et les antécédents de[s] enfant[s], sur les conditions dans lesquelles [ils ont] vécu et [ont] été élevé[s] ». L’objectif n’est plus de punir mais « d’assurer [leur] amendement6 ». Les mineurs de 13 à 18 ans restent soumis à la juridiction pénale. Le juge d’instruction doit procéder à une enquête autant sur les faits que sur la situation morale du mineur et de sa famille. De plus, est abandonné le caractère définitif de la décision prise par le tribunal, qui doit tenir compte de l’évolution du mineur. La loi instaure également le régime de liberté surveillé7 pour les mineurs de 13 à 18 ans remis à leur famille ou à une institution charitable désignée par le tribunal, ce qui signifie que ce dernier peut revenir sur sa décision et priver de liberté le mineur.
5Le décret-loi no 7 du 30 octobre 1935, qui dépénalise le vagabondage des mineurs, vise à la fois à protéger ceux en situation d’errance et à assurer aux mineurs arrêtés un traitement autre que pénal. Une des grandes peurs du xixe siècle, l’enfant vagabond8, relève désormais de l’« assistance éducative9 ». La fugue des mineurs n’est donc plus une infraction. Cependant, dans la mesure où l’on considère qu’elle place les mineurs dans une situation de danger, la fugue continue à déclencher une intervention judiciaire. Pour les protéger, « après enquête sur l’enfant, la famille, le milieu, et examen médical du mineur », le président du tribunal pour enfants décide quelle est la mesure appropriée : les remettre « à [leur]s parents, à un particulier, à une institution, à l’assistance publique, etc. ». C’est dans ce même esprit qu’il faut interpréter la préférence des juges à placer les mineurs accusés de prostitution en vertu du décret no 7 du 30 octobre 1935 et non pas de la loi 1908 censée la réprimer, laquelle reste très peu appliquée10. De plus, si le mineur ne respecte pas cette décision, il peut être « jugé selon la loi du 22 juillet 191211 ». Ainsi, comme le souligne Véronique Blanchard, « si fuguer n’est plus un délit, récidiver le reste12 ».
6Après la guerre est élaborée et adoptée l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante. Dans le contexte de la Libération, la question de l’enfance est primordiale, comme l’illustre l’exposé des motifs de l’ordonnance :
« Il est peu de problèmes aussi graves que ceux qui concernent la protection de l’enfance, et parmi eux, ceux qui ont trait au sort de l’enfance traduite en justice. […] La guerre et les bouleversements d’ordre matériel et moral qu’elle a provoqué ont accru dans des proportions inquiétantes la délinquance juvénile. La question de l’enfance coupable est une des plus urgentes de l’époque présente. Le projet d’ordonnance, ci-joint, atteste que le Gouvernement provisoire de la République française entend protéger efficacement les mineurs, et plus particulièrement les mineurs délinquants13. »
7Cette ordonnance, qui apparaît comme « le long aboutissement de toute une succession de débats, d’une série de réformes autour de l’enfant délinquant qui remontent à la fin du xixe siècle14 », donne la primauté à la mesure éducative. L’enfant délinquant est un enfant victime. Les vraies responsables sont la famille, le « milieu ». C’est pourquoi une étude de la personnalité du mineur est considérée comme indispensable pour permettre au juge des enfants, nouvel acteur, de prendre la mesure la plus adaptée au jeune. Il est également possible, au titre de cette ordonnance, de placer provisoirement un mineur en observation. De plus, le juge peut à tout moment modifier les mesures éducatives adoptées, ce qui en fait un « processus dynamique15 ».
8Une autre mesure, la correction paternelle, en vigueur jusqu’à la mise en application de l’ordonnance du 23 décembre 1958, connaît une certaine évolution. Selon l’article 375 du Code civil de 1804, « si le père avait des sujets de mécontentement très graves sur la conduite d’un enfant, il pouvait exiger l’incarcération de son enfant mineur16 ». L’entrée en vigueur du décret-loi du 30 octobre 193517 remplace l’incarcération au titre de la correction paternelle par le placement en maison d’éducation surveillée ou institution. De plus, les pouvoirs du magistrat sont renforcés : c’est lui qui décide du lieu et modalités du placement (institution charitable, personne agréée par l’autorité…) et fixe le temps de séjour de l’enfant18. Le texte laisse cependant au père le droit d’autorité sur les enfants de moins de 16 ans. Selon Pascale Quincy-Lefebvre, cette décision s’explique par « le respect conservé pour un symbole : l’autorité paternelle19 ». L’ordonnance du 1er septembre 1945 supprime totalement le placement par voie d’autorité. Le texte met également « les deux parents sur un pied d’égalité20 ». L’art. 375 du Code civil prévoit, dès lors, que « le père, la mère ou la personne investie du droit de garde d’un mineur de vingt et un ans peut, quand celui-ci lui donne des sujets de mécontentement très graves, adresser une requête au Tribunal pour enfants […] pour demander qu’il soit pris à l’égard de ce dernier une mesure de correction paternelle21 ». Pour prendre une décision sur le cas de l’enfant, le juge doit réunir « tous renseignements utiles sur le mérite de la requête22 ». Il peut choisir de placer le jeune, pour une période qui ne peut excéder l’époque de la majorité, « soit [dans] une institution charitable, soit [chez] toute personne agréée par l’autorité administrative et judiciaire et qui sera chargée d’assurer la garde et l’éducation de l’enfant23 ». Par ailleurs, le juge est le seul qui peut modifier ou même révoquer la mesure prise. Les parents ne peuvent plus décider de leur propre chef de mettre fin au placement.
9À partir du 1er octobre 1959, la protection de l’enfance et de l’adolescence en danger relève d’un texte unique, l’ordonnance du 23 décembre 1958. Cette ordonnance regroupe, en un seul texte, des dispositifs de protection (justice civile) qui avaient été en usage jusqu’alors : les lois du 24 juillet 1889, du 19 avril 1898 et du 11 avril 1908, les décrets-lois du 30 octobre 1935 et l’ordonnance du 1er septembre 1945. Elle simplifie donc les procédures et unifie le droit de la protection de l’enfance. Celui-ci ne vise plus prioritairement à aider « l’enfance malheureuse » mais à rééduquer « l’enfance inadaptée », à « renforcer la protection civile des mineurs ». Puisque aussi bien l’enfance coupable que celle victime souffrent du délaissement de leurs familles, l’État doit, par la figure du juge, se substituer aux parents. Ce dispositif, qui se maintient jusqu’à la loi de 2007 sur la Protection de l’enfance, a pour objectif de prévenir le développement de la délinquance juvénile et donc protéger la société24. Le juge des enfants, en plus du mandat au pénal conféré par l’ordonnance de 1945, dispose désormais de compétences civiles étendues, afin de prendre des mesures éducatives pour « les mineurs de vingt et un an dont la santé, la sécurité, la moralité ou l’éducation sont compromises25 ».
10Le juge des enfants peut intervenir à la demande des parents ou tuteur, comme dans le cas d’une requête en correction paternelle, mais aussi à la demande du mineur. Le juge des enfants peut également être saisi par une requête du procureur de la République ou se saisir d’office. Après la saisie, sauf s’il dispose d’éléments suffisants, il doit procéder à une enquête appelée « étude de la personnalité », réalisée « notamment, par le moyen d’une enquête sociale, d’examens médicaux, psychiatriques et psychologiques, d’une observation du comportement, et, s’il y a lieu, d’un examen d’orientation professionnelle26 ». Pendant l’enquête, s’il le juge nécessaire, le juge peut placer provisoirement le mineur dans un centre d’observation ou en internat de rééducation. À l’issue de l’enquête, il peut choisir entre rendre le jeune à sa famille, le confier à un tiers ou à l’Aide sociale à l’enfance, le placer dans un établissement sanitaire ou de rééducation27. De plus, les décisions prises au titre de cette ordonnance peuvent être modifiées à tout moment par le juge. Le processus d’intervention est donc similaire aux textes précédents concernant la protection des mineurs ainsi que de l’ordonnance du 2 février 1945 tout en élargissant les pouvoirs et le « filet de prise en charge judiciaire28 » du juge des enfants.
11Les jeunes filles qui, auparavant auraient été placées par le juge des enfants au titre du vagabondage ou de la correction paternelle, le sont désormais au titre de la nouvelle ordonnance et selon des méthodes similaires. Ainsi, selon les données recueillies par l’Éducation surveillée, le nombre de jugements prononcés au titre de cette ordonnance augmente fortement et rapidement : près de 20 000 en 1960 et déjà environ 38 000 en 196429. Dans environ la moitié des cas, ces jugements concernent les filles, là où les filles restent sous-représentées dans la poursuite pénale (environs 15 %). L’essor des mesures de protection en justice civile a donc une forte incidence sur le genre des jeunes pris en charge, les filles entrant plus largement dans le champ d’intervention de la justice.
12Le succès de cette ordonnance repose, selon Dominique Youf, sur le choix de ne pas mettre en danger les droits des parents. En effet, à la différence de la loi de 1889, le juge des enfants ne doit pas sanctionner les parents mais leur apporter « aide et conseil ». Il doit aussi s’efforcer d’obtenir l’adhésion de la famille à la mesure prise. En 1970, lors des discussions sur la loi sur l’autorité parentale, le Parlement ne remet pas en cause cette ordonnance, demandant seulement au juge de maintenir, chaque fois que possible, l’enfant dans sa famille30.
Les entrées au Bon-Pasteur
13Jusqu’à l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 23 décembre 1958, les voies d’entrée des jeunes filles étaient très variées, comme l’illustre le graphique 11, tirés des Registres du Bon-Pasteur.
14Dans les années 1940 et 1950, 34 % des jeunes ont été placées au Bon-Pasteur au titre de la correction paternelle (loi de 1898 et ordonnance du 1er septembre 1945), 34 % de la délinquance (loi du 22 juillet 1912 et ordonnance du 2 février 1945) et 20 % au titre du vagabondage (décret-loi du 30 octobre 1935). Au titre des lois du 19 avril 1898 (violences faites aux enfants) et du 24 juillet 1889 (déchéance paternelle) sont confiées respectivement 2,5 % et 9 % des filles. Seulement trois mineures ont été placées au titre de la loi du 11 avril 1908 sur la prostitution des mineures. À partir de 1952, la place occupée par les jeunes placées au titre de l’ordonnance du 2 février 1945 commence à diminuer. Ces données correspondent aux résultats des Rapports annuels de l’Éducation surveillée au niveau national : sur l’ensemble des jugements concernant les filles, tous textes confondus, ceux pris au titre des textes de protection représentent une part significative qui s’accroît durant la période, passant de 31 % en 1951 à 53 % en 195831. De plus, les mineures dites « protégées » sont plus souvent placées en internat que les délinquantes. Selon la direction de l’Éducation surveillée, l’ensemble des internats privés de filles accueillent, en 1957, 33 % de jeunes filles en correction paternelle, 18 % de délinquantes et 16 % de vagabondes32. Au Bon-Pasteur d’Angers, les écarts sont encore plus importants avec 59 % de jeunes filles en correction paternelle pour 17 % de délinquantes et 14 % de vagabondes33. Les mesures de protection sont donc largement représentées parmi les motifs officiels du placement.
15À partir de 1959, la part des filles placées au titre de l’ordonnance du 23 décembre 1958 devient prépondérante. Ainsi, en 1960, 84 % des jeunes filles étaient placées au Bon-Pasteur d’Angers en vertu de l’ordonnance de 1958 pour seulement 12 % au titre de l’ordonnance de 194534. Le nombre de ces dernières continue à décroître pour devenir rarissimes à partir de la moitié des années 1970. Au niveau national, selon la direction de l’Éducation surveillée, les établissements accueillent en 1964 près de 65 % de filles en assistance éducative pour moins de 8 % de délinquantes. Pour les garçons, les pourcentages sont de 53 % et respectivement 22 %. Alors que le pourcentage des « délinquants du sexe masculin est légèrement inférieur à celui des années précédentes tandis que celui des filles reste extrêmement faible », les auteurs du rapport constatent que 68 % des filles et 64 % des garçons ont été confiées pas décision judiciaire. La plus grande partie des placements en institutions s’effectue ainsi « par l’intermédiaire des juridictions pour enfants35 ».
La place centrale du juge des enfants
16À compter de 1945, le juge des enfants occupe une place centrale dans la protection des enfants délinquants ou en danger. Lui seul est qualifié pour juger si la santé, la sécurité, la moralité et les conditions de l’éducation d’un mineur sont en danger, pour déterminer s’il faut séparer l’enfant de ses parents, si la mesure appliquée peut ou doit être modifiée. En effet, l’intérêt pour la personnalité du mineur ne cesse pas après le jugement. Au contraire, le juge suit l’évolution du mineur afin de déterminer l’efficacité de la mesure choisie et, éventuellement, la modifier. Pour les jeunes filles placées, ce suivi implique un échange d’informations entre la direction de l’établissement et le juge chargé de la mineure. La communication ne se passe cependant pas toujours bien. En 1960, le juge des enfants de Versailles, en charge d’Éliane G., n’avait pas été mis au courant de sa fugue, et reçoit cette lettre de la part du Bon-Pasteur : « Le 11 mai 1960, lors de l’évasion d’[Éliane] G., nous avions correspondu avec monsieur le Juge des enfants d’Angers pour le mettre au courant de la fugue de la mineure. Nous avons supposé que par l’intermédiaire du Tribunal d’Angers vous étiez au courant, aussi, nous nous excusons de ne pas vous avoir écrit directement de cette évasion36. » L’établissement où est placée la mineure doit signaler les mauvais comportements ou fugues et demander que certaines mesures soient prises. Le juge peut par la suite décider s’il doit rendre la mineure à sa famille, la placer dans un autre internat ou même l’incarcérer. Ainsi, toujours concernant Éliane, l’assistante sociale du Bon-Pasteur écrit au juge de Versailles : « Comme il vous a été dit au téléphone, il ne nous est pas possible de reprendre cette jeune fille qui a déjà plusieurs fugues à son actif, et nous craignons que son retour à la section ne soit l’occasion de nouvelles fugues, chose que nous redoutons toujours dans l’intérêt des mineures. Nous sommes heureuses de savoir [Éliane] retrouvée et nous souhaitons pour elle un placement qui lui permette de profiter d’un séjour en rééducation37. »
17Le juge peut également demander à l’établissement plus de renseignements sur l’une des mineures placées. Les requêtes du type « Madame la Supérieure, J’ai l’honneur de vous prier de bien vouloir me faire parvenir quelques renseignements sur la situation actuelle de cette mineure38 » sont fréquentes dans les dossiers des jeunes placées. Parfois, les lettres sont plus riches en renseignements. Ainsi, en 1960, le juge écrit au sujet de Mathilde :
« Madame la Supérieure,
[Mathilde] G. m’écrit une lettre découragée et me dit ne plus pouvoir supporter l’internat… Elle paraît croire que c’est “pour ne pas être à charge à ses parents” qu’elle est revenue dans votre maison. Je vous communique d’ailleurs sa lettre, en vous demandant de m’en faire retour, afin que son éducatrice puisse voir le problème. J’ai répondu à [Mathilde] que je me réserve d’ailleurs de la voir quand j’aurai les éléments nécessaires. Je n’envisage [pas] de modifier tout de suite le jugement du 9 janvier dernier mais je suis assez mal impressionné par les parents, qui n’ont pas cru devoir déférer à mes convocations. C’est tout de même trop simple d’éluder ainsi problèmes et responsabilités.
Voulez me faire connaître votre opinion sur la jeune fille ?
Merci à l’avance39. »
18Plus tard dans l’année, le juge écrit de nouveau au Bon-Pasteur. Il communique la dernière lettre de Mathilde et écrit : « Cette jeune fille me pose des problèmes insolubles. Une observation psychologique nouvelle serait utile. Le Centre du Bon-Pasteur peut-il y procéder sur ordonnance de ma part40 ? » Mathilde avait été placée en 1960 par ses parents et le juge des enfants de Nantes. En juin 1962 « ses parents ont manifesté […] le désir de la reprendre en vue de la remettre au travail ». L’assistante sociale du Bon-Pasteur écrit au juge : « il nous paraît possible d’accéder au désir de la famille et si vous êtes d’accord avec cette solution, nous vous demanderions une ordonnance de mainlevée41 ». Mathilde est libérée par décision du juge mais revient au Bon-Pasteur en 1963. C’est toujours une lettre de l’assistante sociale qui nous informe que le Bon-Pasteur est
« tout à fait disposé à reprendre [Mathilde] pour lui faire terminer un apprentissage en vue du transfert à notre home de semi-liberté lorsqu’elle pourra être remise au travail. J’ai également revu [Mathilde], elle accepte cette solution se rendant compte actuellement qu’elle est incapable avec ses connaissances de donner satisfaction à un employeur. Dans ces conditions nous vous conseillons d’écrire immédiatement à Monsieur le Juge des Enfants de Nantes pour lui demander de nous confier à nouveau [Mathilde]. Il est indispensable que vous lui exposiez les raisons de ce nouveau placement (difficultés que vous rencontrez sur le plan caractériel et dans le domaine caractériel avec votre grande fille)42 ».
19En décembre 1964, Mathilde est remise à ses parents en régime de liberté surveillée après avoir passé près de cinq ans au Bon-Pasteur d’Angers43.
20Les jeunes placées ou leurs parents entretiennent également, assez régulièrement, une correspondance avec le juge, parfois retrouvée dans les dossiers étudiés. Les lettres adressées au juge sont souvent formelles mais peuvent parfois prendre un ton plus personnel. Certaines mineures tentent diverses approches afin de convaincre le juge des enfants. Denise, qui avait été placée pour vagabondage, écrit :
« Monsieur le Juge,
Je vous ai déjà demandé ma libération mais je n’ai reçu aucune réponse. Mon temps d’internation étant écoulé, je vous serai bien obligée de vouloir me rendre ma liberté pour le premier novembre.
Mes parents devant aller sur la tombe de mon frère qui est mort à la guerre en Moselle, voudraient m’emmener avec eux. Ensuite ils consentent a me reprendre près d’eux.
J’espère en une réponse favorable.
Recevez, Monsieur me Juge, mes remerciements anticipés44. »
21Cette demande étant refusée, elle écrit de nouveau en janvier 1947 :
« Monsieur,
Il a quelque temps j’avais sollicité de votre part une demande de mise en liberté…
C’est avec sujet donc que je r’ecrit de nouveau ésperant que ma nouvelle demande sera peut-être acceptée.
Si Monsieur vous ne pouriez me libérer je vous serais reconnaissante si tout au moins vous pourriez me placer ce qui serait heureux pour moi et mes parents. Je pourrais ainsi de tout cœur aidez à élever mes frères et sœurs.
En l’espoire de cet heureux jours Recevez Monsieur mes Salutations Respectueuses45. »
22Cette lettre, dans laquelle la jeune change de stratégie discursive, allant de l’évocation de ses droits et une demande de libération à un ton plus modéré et une atténuation des exigences, démontrant une certaine intériorisation des attentes du juge, n’est cependant pas envoyée. Nous retrouvons ces annotations sur le document original de la lettre non envoyée, indiquant qu’elle a été interceptée et censurée par la direction du Bon-Pasteur : « n’adressons pas la lettre puisque la même avait été adressée voici qq mois et qu’il y avait refus du Tribunal46 ». Un mois plus tard, Denise écrit de nouveau :
« Mr le président
Je vous écris cette lettre pour vous demandez si se ne serait pas possible de me faire changer de maison car pour mes parents cela fait trop long pour venir me voire surtout que j’ai des petits frère et sœur et ce n’est pas toujours rose d’être sans visite c’est très long et comme j’avais fais une demande pour essayer de retourner avec ma famille et elle a été refuser alors je vous demanderais d’avoir la gentillesse de me rapprocher des miens cela fait 1 ans et demi que je ne lui ai pas vu et j’avais toujours eut l’espoir d’être libérée et comme je sui refuser et pour faire le reste de ma punition qui est peut-être plus longue que je ne pense j’aimerais la faire comme je vous le demande près de ma familles.
Dans l’attente d’une réponse satisfaite
Recevez Mr le Juge mes salutations respectueuses47. »
23Ainsi, comme l’indique Ludivine Bantigny, « le juge n’était pas seulement, aux yeux des mineurs et de leurs familles, le symbole de l’institution judiciaire : il apparaissait comme un personnage attentif et humain, parfois même transformé en confident48 ». Cette proximité du juge et le caractère personnel des rapports qu’il entretient avec les mineures sont encore plus apparents dans les courriers qu’ils adressent au fil du temps, comme l’illustre la lettre adressée par le premier juge des enfants du tribunal pour enfants de Rouen à Isabelle en 1983 :
« En prolongement de ton courrier visé en référence et de notre entretien téléphonique, je me rends compte que ta situation est en évolution positive depuis quelques jours ; je te rappelle cependant :
1o/que je n’apprécie pas du tout le comportement que tu as adopté depuis quelque temps : si la vie est difficile à supporter en collectivité, dis-toi que tes camarades peuvent aussi avoir du mal à cohabiter avec toi ;
2o/que tu dois te plier impérativement à la discipline des religieuses et éducatrices sous l’autorité desquelles tu es placée ; elles m’ont signalé que l’on pouvait faire du bon travail avec toi ; tous réalisent tes efforts, tâche d’être digne de la confiance qui peut t’être faite, sinon je me verrai obligé de prendre des décisions beaucoup plus fermes ;
3o/que ton admission et ton maintien à ANGERS constituent la seule solution actuellement envisageable pour toi en raison de ton passé ;
4o/que ton comportement déterminera enfin la fréquence plus ou moins rapprochée de tes retours en permission à ROUEN ;
Bon courage, tu peux t’en sortir ; enfin écris une petite lettre à ta sœur […] ; elle m’a dit que cela lui ferait plaisir ; ton aide peut lui remonter le moral, elle en a plus besoin que toi ; Merci pour elle49. »
24Le juge semble donc endosser, en plus du rôle de magistrat, celui d’éducateur, de conseiller et même de substitut paternel. Malgré la richesse de ces échanges, dans la grande majorité des cas, le juge est régulièrement tenu au courant de l’évolution de la situation des jeunes mais n’intervient que très peu dans leur suivi. De plus, lorsqu’il s’enquiert du comportement des mineures, c’est rarement pour aller contre l’avis des religieuses.
Le rôle des familles
25En plus des mineures placées directement et officiellement par un juge, un nombre non négligeable le sont par une autorité extrajudiciaire, telles les assistantes sociales, les œuvres, leurs parents ou tuteurs. Le placement réalisé à l’initiative des familles est assez fréquent. Ces données sont confirmées par notre échantillon où 122 placements sur un total de 400, soit 30,5 %, sont réalisés à la demande des membres de la famille ou tuteurs50. Si l’on considère qu’à partir des années 1960, les registres commencent à ne plus mentionner systématiquement les conditions dans lesquelles les jeunes avaient été placées au Bon-Pasteur51, ce pourcentage est en réalité beaucoup plus élevé. En raison de leur caractère informel car réalisés de gré à gré entre la famille et l’institution, il est cependant difficile d’évaluer avec précision le nombre exact de ce type de placements. Selon Andrée Algan, ceci serait une caractéristique du traitement de la déviance juvénile féminine puisqu’en 1967 « la plupart des plaintes concernant des garçons émanaient des services de police alors que celles concernant les filles proviennent plus fréquemment des parents, des services sociaux, de l’école, et ceci dans un grand nombre de pays52 ».
26Jusqu’à la fin des années 1960, même après l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 23 décembre 1958, les familles peuvent encore placer directement leurs enfants. Le nombre de mineures placées directement par les familles ou tuteurs au Bon-Pasteur diminue au fil du temps notamment en raison de l’évolution des mentalités et de la spécialisation des établissements. Les familles disposent de plusieurs moyens pour placer leurs filles au Bon-Pasteur. Elles peuvent par exemple contacter directement l’établissement, à l’image de cette ancienne du Bon-Pasteur qui écrit en 1945 :
« Ma Sœur Supérieure,
C’est une ancienne enfant de chez vous qui vient vous solliciter la grace de bien vouloir prendre sous votre protection sa petite fille [Monique] afin qu’elle soit élevée dans les mêmes conditions que je fus élever moi-même. Ma Sœur Supérieure, je tiens a vous faire connaître qui je suis et mes conditions sociales.
Je suis veuve depuis 11 ans. J’ai 38 ans seule avec ma petite après avoir perdu mon mari, ma mère, mon petit garçon, qui aujourd’hui pourrait être déjà un soutien moral. J’ai une retraite, ainsi que ma petite fille…
Donc ce n’est pas en indigente que je vous sollicite cette grace de prendre ma petite. Cest pour son bien car je tiens qu’elle soit élevée dans la crainte de Dieu. Cest une enfant au fond bon mais que livrées à elle-même si un jour je venais à disparaître serait livrée aux pires horreurs de la vie ce que je veux a tout prix lui éviter53. »
27D’autres membres de la famille, comme une tante ou une cousine « qui s’intéresse à elle54 » peuvent se charger de présenter la jeune au Bon-Pasteur. Ne sachant pas comment gérer les difficultés rencontrées avec leurs filles, parents ou tuteurs demandent aide et conseil de membres du clergé, assistantes sociales, maires ou autres personnalités influentes dans le milieu dans lequel ils vivent, comme le père de Renée, âgée de 15 ans : « Ma Mère, C’est par l’intermédiaire de Madame la Supérieure de la Compassion […] que j’ai l’honneur de vous adresser cette lettre. […] Vous serait-il possible de me faire savoir si votre institution est conçue pour ce genre de jeunes filles. Le cas échéant pourriez-vous m’indiquer svp un institut spécial organisé pour ce genre de jeunes filles difficiles55. » Parfois, c’est sur le conseil d’experts que les jeunes se retrouvent au Bon-Pasteur : en 1959, Gisèle est placée par sa mère sur le conseil du docteur Paul Le Moal et de Mlle Jost, assistante sociale de l’hôpital Saint-Joseph, à Paris, où la jeune fille a été envoyée par le service social des Petites Sœurs de l’Assomption qui suit la famille56. Les assistantes sociales jouent, en effet, un rôle essentiel dans le processus de placement : parmi les dossiers de notre échantillon, 32,9 % font explicitement référence au rôle de l’assistante sociale dans le placement des jeunes filles57.
28Les familles et tuteurs se chargent également de signaler à la police ou la justice les incartades de leurs filles. En 1940, une mère accompagnée de deux agents de police vient présenter la mineure au Bon-Pasteur où elle « décide de la laisser jusqu’à 21 ans58 » pour qu’en 1949 une autre jeune fille soit « confiée, à la demande de sa mère, par le Tribunal59 ». Par ailleurs, le placement direct par la famille, n’exclut pas une intervention judiciaire, l’action du juge et de la famille pouvant se succéder. Si le placement par la famille n’a pas les effets souhaités, les parents ou l’institution peuvent demander l’intervention du juge. Ainsi, le placement de Gisèle au Bon-Pasteur, demandé par sa mère en octobre 1959 pour « défauts caractériels, instabilité, refus de travailler, mésentente famille60 », est confirmé par le juge des enfants de la Seine dans une audience du 19 octobre 196061. Les parents jouent donc un rôle actif dans le placement de leurs filles, dans le traitement de l’inadaptation des filles.
29Les familles, qui ne cherchent pas à se débarrasser de leurs enfants mais de l’aide pour les contrôler, se retrouvent privées de leur présence et de leur salaire. Ainsi, suite à son divorce, la mère de Violette demande l’aide du juge pour gérer les difficultés rencontrées avec sa fille, placée au Bon-Pasteur. N’ayant pas de nouvelles, elle écrit la lettre suivante à la juge des enfants :
« Madame le Juge,
Je me permet de vous adressez cette lettre pour vous dire que j’écrie toujours régulièrement toute les semaines a ma fille [Violette] et je reste toujours sans réponse. Je souffre beaucoup de ses absences de lettres et je voudrais comprendre et savoir ce qui se passe. Je pense en avoir le droit. J’aime beaucoup ma fille. Je pense que vous me comprendrez et voudrez avoir un entretien avec vous et toujours en présence de ma fille [Violette].
Recevez Madame le Juge avec mes respects mes salutations62. »
30Leur demande de placement est également suivie par une certaine perte de contrôle sur l’enfant. En janvier 1960, une mère place sa fille Christine par l’intermédiaire des services sociaux pour un an. En octobre, elle demande le retour de sa fille « avant la fin de l’année, le plus tôt possible », car elle a des problèmes de santé qui l’« empêchent de plus en plus de vaquer à [s]es occupations ménagères, aussi sa présence [lui] serait d’un grand secours63 ». Elle reçoit la lettre suivante de la part du Bon-Pasteur : « Madame, Nous avons bien reçu votre lettre du 7 courant, et Madame la Directrice me prie de vous faire savoir qu’elle regrette votre décision quant au retrait de [Christine]. Vous savez les conditions dans lesquelles [Christine] a été placée : un séjour de huit mois n’est pas suffisant, et nous craignons fort que vous vous retrouviez en face des mêmes difficultés. Veuillez rencontrer Mademoiselle J, assistante sociale et étudier avec elle ce projet de retrait ; si vous le mettiez à exécution, vous risqueriez de compromettre l’avenir moral et professionnel de votre fille64. » L’assistante sociale réussit à la convaincre, à trois reprises, de renoncer à la décision de reprendre sa fille, en soulignant les risques encourus si elle sortait du Bon-Pasteur. En effet, Mademoiselle J. considère avoir à faire « à une mère sans aucune clairvoyance et sans qualité éducative [à qui] on a du mal [à] faire comprendre où se trouve le bien de sa fille65 ».
31Exaspérée par la situation, la mère écrit en mai 1961 au Bon-Pasteur : « Madame, En décembre soixante j’ai écrit a sœur supérieure afin de reprendre ma fille [Christine] il m’a été fait répondre que c’était aller contre ses intérêts. J’ai bien voulu patienter encore mais maintenant il est indispensable pour elle et pour moi que le contact familial soit rétabli. Je suis sûre que mon instinct de mère ne me trompe pas. Je suis fermement décidée à la reprendre a fin juin, et vous demande de faire le nécessaire en ce sens66. » N’ayant cette fois pas réussi à dissuader la mère, Mademoiselle J. écrit à son tour au Bon-Pasteur : « j’ai fait part au Docteur Le Moal de la volonté de madame B. de reprendre sa fille. Bien entendu le Docteur Le Moal trouve cela extrêmement regrettable. Mais il semble effectivement difficile de faire entendre raison à la mère et de la faire revenir sur sa décision. J’ai écrit à Madame B. pour lui faire savoir qu’elle retirait [Christine] contre tout avis médical, et pour la mettre en face de ses responsabilités67 ». Christine sort finalement du Bon-Pasteur d’Angers le 1er juillet 1961. De longs séjours en institution, loin de la famille, continuent donc à être vus comme essentiels pour la rééducation des filles placées et divers moyens de pression sont utilisés à l’égard des parents afin de prolonger le temps du séjour que les filles passent dans l’institution68.
Les familles, jugées responsables de l’inadaptation des filles
32Durant la seconde moitié du xxe siècle, la protection de l’enfance est marquée par la volonté de comprendre le comportement et connaître la personnalité des mineurs qui entrent en contact avec le système judiciaire, afin de prendre la mesure la plus adaptée à chacun. Dans une logique déterministe, il devient essentiel de chercher les causes de la situation actuelle du mineur dans son passé, sa famille. Une « mauvaise » famille est celle qui s’est rendue responsable du comportement de l’enfant et n’est pas capable de le remettre dans le « droit chemin ». C’est pourquoi, lors de la phase d’instruction, le juge des enfants doit « recueil[ir] des renseignements par les moyens d’information ordinaires et par une enquête sociale sur la situation matérielle et morale de la famille, sur le caractère et les antécédents de l’enfant, sur sa fréquentation scolaire, son attitude à l’école, sur les conditions dans lesquelles celui-ci a vécu et a été élevé et sur les mesures propres à assurer son relèvement69 ». Ce sont surtout les assistantes sociales qui sont chargées de cette enquête sociale qui devient, au fil du temps, une pièce majeure de l’instruction. Elles se voient octroyer les « droits de regards70 » et deviennent « l’œil du juge dans les familles71 ».
33Environ la moitié des dossiers comprennent une enquête sociale, même sommaire72. Ces documents sont transmis au Bon-Pasteur pour fournir des renseignements sur les jeunes placées. Ils sont utilisés, en première instance, pour remplir la fiche d’entrée de la mineure au Bon-Pasteur d’Angers qui comprend des informations sur les raisons de son placement, sa famille, sa situation avant le placement (école, travail, loisirs) et son état de santé. L’importance de ce document est soulignée par l’insistance avec laquelle, lorsque l’enquête tarde à arriver, le Bon-Pasteur multiplie les démarches auprès du tribunal ou de l’établissement précédent pour obtenir une copie ou au moins quelques renseignements. L’enquête n’est donc pas conçue seulement pour aider le juge dans sa décision, mais aussi pour informer la direction de l’institution qui prend par la suite en charge la mineure. Ce document n’est cependant pas mis à la disposition de tout le personnel des établissements qui s’occupent des mineures (seules les « maîtresses », responsables de section y ont accès), selon l’idée, prégnante au Bon-Pasteur, qu’il faut effacer les traces du passé. Ces documents ne sont pas non plus transmis aux mineures et leurs familles, les laissant dans l’ignorance des jugements qui sont portés sur elles.
34La réalisation et présentation d’une enquête sociale est un exercice codifié qui n’évolue pas beaucoup au fil du temps. Après avoir présenté les « Faits motivant la procédure », l’assistante sociale s’attarde sur la composition de la famille, l’état civil de ses membres, leurs adresses, revenus, éventuels antécédents judiciaires. Suit l’histoire de la famille : la vie des parents précédant leur rencontre, la rencontre, leur vie commune et situation actuelle. Sur la jeune concernée, l’assistante sociale mentionne les antécédents médicaux, la petite enfance, la scolarité, les éventuels emplois, ainsi que son comportement. Elle termine l’enquête en présentant l’opinion des parents et de l’intéressée sur un éventuel placement et en rédigeant un résumé de la situation. Une proposition de mesure se présente comme la conclusion logique de toute l’enquête.
35Afin de réaliser cette enquête, l’assistante sociale doit rencontrer les différents protagonistes et collecter les informations nécessaires à leur sujet. Elle effectue donc une visite au domicile de la mineure pour s’entretenir avec les membres de la famille et parfois même la mineure. Si cette dernière a déjà été placée en attendant la décision du juge, l’assistante sociale se rend dans l’établissement pour la rencontrer. Elle cherche également à obtenir des renseignements sur la mineure et sa famille auprès de l’entourage : voisins, enseignants ou directeurs d’école, collègues de travail et employeurs, etc. Ceci vise à la fois à déterminer la valeur éducative de la famille et à cerner la personnalité de la mineure.
36Malgré les ambitions d’objectivité affichées, le rapport d’interaction entre les assistantes sociales et les familles est biaisé. D’un côté, les assistantes sociales disposent de très peu de temps pour établir un profil des membres des familles. De l’autre, leur point de vue est « souvent pétri d’avis préconstruits73 », illustrant les aprioris de la petite et moyenne bourgeoisie – à laquelle appartenaient les assistantes sociales – à l’égard des classes populaires. Ceci est d’autant plus lourd de conséquences que l’enquête sociale et les propositions des assistantes sociales ont une forte influence sur la décision des juges. C’est donc dans le cadre d’un rapport de forces que se réalise cette rencontre.
37Comme le souligne Ludivine Bantigny, « l’enquête sociale fonctionne à la manière d’un prélèvement de traces74 ». Les assistantes sociales se concentrent, tout d’abord, à ce qui est visible : le corps, les vêtements, les gestes, l’allure des observés. Sous leur œil exercé, ces éléments permettent de révéler la vérité sur les parents. La mère de Nelly est ainsi décrite : « 38 ans, cinq enfants, Madame C. fait assez “cas social” dans sa présentation. L’air fatigué, parlant peu et bas, elle fait très effacée. […] Elle nous semble par ailleurs peu apte à réagir malgré un passé qui semble avoir été plus que prometteur75. » Celle d’Odette est « une bretonne modeste qui, à priori, parait insignifiante et plutôt simple d’esprit ». Deux pages plus loin, « Madame B. est avant tout une femme peu intelligente76 ». Le verdict est posé avec rapidité et les parents peuvent, « d’un trait de plume, être réduits à rien77 ». De plus, une certaine condescendance transparaît à la lecture des propos des assistantes sociales. Au contraire, Madame C. est « une femme simple, nullement fardée, vêtue d’une robe-bouse vichy [. Elle] est sympathique78 ». Alors que ces verdicts sont rendus avec beaucoup de rapidité, il est parfois difficile de saisir, à la lecture des commentaires, les raisons pour lesquelles certaines mères sont perçues comme « sympathiques » et d’autres pas. Ces appréciations semblent moins réalisées à partir de critères objectifs que selon les affects et intuitions des assistantes sociales elles-mêmes.
38Les personnes interrogées comprennent les enjeux de la rencontre avec l’assistante sociale et savent qu’elles doivent faire « bonne figure ». Mais toute tentative de la part des observés de faire « bonne impression » semble traquée et déjouée : le beau-père de Maryvonne « cherche à donner bonne impression, nous reçoit avec beaucoup de courtoisie, mais semble assez égoïste79 ». De même pour la mère d’Antoinette qui, « de taille moyenne, brune, plaisante et bien mise […], se présente correctement et fait assez bonne impression à l’abord. Cependant, bien qu’elle se soit prêtée de bonne grâce à l’entretien, celui-ci n’a pas été suffisant pour que nous puissions nous faire une opinion sur elle : elle assure être très attachée à Simone et soucieuse de son avenir, mais elle relate ses incartades avec une si grande légèreté qu’on pourrait la croire indifférente ou inconsciente. À l’évocation de certaines de ces incartades et souvent des plus graves, la mère se laissait aller à une indulgence amusée, éclatant de dire en nous disant : “elle est terrible”80 ».
39La présentation d’une jeune fille au juge des enfants se solde donc par l’exposition de toute la famille aux regards étrangers. Les parents se retrouvent alors, avec leur enfant, sur le banc des accusés. Une étude plus approfondie de ces enquêtes permettra de saisir les critères en fonction desquels sont distingués les bons et mauvais parents, de quoi dépend si les jeunes sont ou non placées en internat.
40Être un bon parent correspond à des normes qui se déclinent différemment pour les hommes et pour les femmes. Si, pour être considérée une bonne mère les femmes devaient être, avant tout, de bonnes ménagères, les hommes devaient, au contraire, faire preuve d’assiduité dans leur métier, être de bons travailleurs. Ne pas remplir ces conditions signifie s’exposer à une critique, voire une condamnation morale et sociale. Les mères des filles sont le plus souvent mises en cause ; une lecture des dossiers révèle l’image très négative que les acteurs de la rééducation ont d’elles. Les mères des filles placées sont perçues comme les principales responsables des déficiences du milieu familial. Cette situation peut être mise en relation avec les rôles sociaux attribués aux femmes qui auraient la responsabilité de l’éducation des enfants. Ainsi, même quand les parents vivent en couple, c’est la mère qui est jugée responsable d’une mauvaise éducation. Elles sont pourtant, dans la majorité des cas, le principal intermédiaire des acteurs de la protection de l’enfance. Ce sont elles qui reçoivent l’assistante sociale ou écrivent au Bon-Pasteur ou au juge des enfants. De plus, puisqu’il s’agit de filles, il se peut que le rôle des mères apparaisse plus fondamental encore, ces dernières étant censées préparer leurs filles à leur rôle d’épouse et de mère. Pour acquérir les compétences nécessaires, il est donc essentiel de bénéficier d’un bon exemple. Un rapport de la direction de l’Éducation surveillée de 1962 soutient ainsi : « Le rôle de la femme dans l’équilibre du foyer et l’éducation des enfants est essentiel. L’étude des dossiers de tutelle aux allocations familiales montre que c’est souvent l’inexpérience ou l’incapacité de la mère qui sont à l’origine des difficultés financières du ménage, d’autant que dans ces familles le père, absent du foyer la plupart du temps, n’est souvent qu’un hôte fatigué qui abandonne entièrement l’éducation des enfants à la mère81. » Les défaillances maternelles seraient donc plus dommageables aux filles qu’aux garçons et donc plus susceptibles de motiver leur placement.
41Dans les années 1940-1950, dans le contexte du baby-boom et d’une politique familiale active, le discours dominant valorise le modèle traditionnel de la mère au foyer82. La présence ancienne et forte des femmes sur le marché du travail se trouve occultée83. Dans les dossiers des filles placées au Bon-Pasteur, très peu d’informations concernent le travail salarié des femmes et il s’avère souvent difficile de déterminer si la mère exerce ou non une profession ou travaille par intermittence. Dans les dossiers consultés qui fournissent des renseignements sur cela84, environ 29 % des femmes sont « sans profession » ou « au foyer », 22 % sont « ouvrières » et près de 14 % « femme de ménage » et « employée de maison ». D’autres sont serveuses, vendeuses, caissières ou petites commerçantes. Dans les années 1980 on retrouve une plus grande diversité de catégories comme « infirmières », « aides-soignantes » au CHU ou « institutrices ». Cette évolution correspond à celle qui se produit au niveau national, notamment à partir des années 1970, avec la forte augmentation du travail des femmes85. Mais des années d’après-guerre aux années 1960, le travail salarié des femmes est considéré, par les disciples de Georges Heuyer86, parmi lesquels le docteur Le Moal, comme la cause d’une « dissociation familiale quotidienne [qui] engendre, par l’intermédiaire des carences d’affection et d’autorité liées au non-respect des rôles sexuels, le déséquilibre ou la délinquance des enfants87 ». Ce type d’affirmation se retrouve fréquemment dans les dossiers : « Son travail [de la mère] sur les marchés, la retient longtemps hors de chez elle et de ce fait, elle ne peut exercer aucune surveillance sur ses enfants qui sont entièrement livrés à eux-mêmes88. »
42Une bonne mère est donc une mère au foyer et les critères pour apprécier la valeur d’une mère sont principalement d’ordre domestique et moral. Les aptitudes de ménagère sont un critère essentiel. Son évaluation passe par un examen minutieux du domicile. La belle-mère de Maryvonne donne ainsi l’impression d’une très bonne ménagère. « Dans un immeuble de rapport fort confortable, boulevard Henri IV, la famille C. dispose d’une grande loge, d’une cuisine, et d’une chambre de bonne au 6e étage qu’occupait la mineure. La loge sert de chambre-salle à manger, mais le lit des parents est dissimulé dans une alcôve. Le mobilier est restreint par manque de place, mais confortable. Tables et buffet sont encastrés, aucun bibelot inutile ne traîne, si ce n’est dans un joli cadre le portait du petit C. On sent le soin particulier chez Mme C. pour entretenir ce logement. » L’assistante sociale conclut d’ailleurs son enquête en désignant Madame C. comme une « jeune femme compréhensive et excellente mère de famille89 » malgré ses fréquents conflits avec Maryvonne dont témoigne même son père.
43La plupart des logements ne reçoivent cependant pas des évaluations très positives. La maison de Sylvie présente les caractéristiques suivantes : « hygiène alimentaire défectueuse… crasse permanente de l’habitation, poux, puces, etc. Pourtant, le chef de famille, Monsieur N. est un homme travailleur. Il ne boit pas. Mais c’est sa femme qui “dirige”. Madame N. est une femme extrêmement forte, qui se meut difficilement. Elle ne fait rien. Le logement a perpétuellement un aspect repoussant dont le voisinage se plaint (odeur…). […] les chats, les chiens, le linge sale, l’armoire “pleine à craquer de vieille poussière” sont intouchables. Il ne faut pas froisser Madame N.90… » Ainsi, comme le souligne Michèle Siguier, le logement « bien tenu » présuppose les qualités de bonne épouse et mère, comme dans les discours du xixe siècle. « À l’inverse, un intérieur “mal tenu” sous-entend une femme chez qui ces qualités font défaut. L’activité domestique devient un problème moral91. »
44Les assistantes sociales accordent une grande importance à la question de la moralité et les dossiers abondent d’exemples de mères qui n’ont pas une conduite « irréprochable » ou ont une moralité réputée douteuse, à l’image de cette ancienne du Bon-Pasteur qui abandonne le domicile conjugal pour se marier à un marin noir92. Afin d’avoir des informations sur les familles, les assistantes sociales font souvent appel aux membres de l’entourage ou voisinage, données qu’elles sélectionnent et interprètent par la suite. Leurs enquêtes laissent une large part aux rumeurs, commérages et mauvaises langues93. Ainsi, alors que la mère d’Antoinette donne en général l’impression d’une : « excellente maîtresse de maison, propre, ordonnée, active et sérieuse, d’une bonne mère soucieuse de la tenue et de l’éducation de ses enfants [… et qu’elle a souvent] laissé un bon souvenir [aux gérants des maisons où elle a habité,] d’autres personnes de l’entourage (commerçants et assistante sociale) pensent que sa conduite laisse à désirer. Très coquette, pomponnée dès le matin, elle n’est jamais chez elle l’après-midi et on raconte qu’elle a un ami, dont elle aurait détruit le ménage. […] Ce manque total d’autorité [vis-à-vis de sa fille] frisant la complaisance fait dire à certaines personnes que Mme J. a sans doute elle aussi beaucoup de choses à se reprocher et cacher94 ».
45Alors que la majorité des témoignages sur la mère d’Antoinette sont très positifs, l’assistante sociale retient, dans l’« appréciation de l’A. S. sur le milieu familial » les éléments suivants : « Veuve d’une première union à 23 ans, abandonnée par son 2e mari, Mr P. après un an ½ de mariage, la mère qui a vécu en ménage avec son époux actuel avant de régulariser sa situation passe pour être peu sérieuse, coquète et égoïste. Aussi bien qu’apparemment attachée à sa fille dont elle s’est toujours bien occupée matériellement, elle n’a pu exercer sur elle qu’une influence néfaste, à cause de son extrême faiblesse sinon de sa moralité relâchée95. » Les assistantes sociales établissent donc un lien explicite entre le comportement sexuel des mères et la faible compétence éducative.
46Les deux parents sont souvent accusés de démissionner face aux difficultés rencontrées avec leurs enfants. Les parents de Patricia « ont quelques difficultés à assumer la charge de leurs neuf enfants, surtout celle des adolescents. Monsieur M. fut en arrêt maladie pendant plusieurs mois […]. À la sortie de l’hôpital, Monsieur M. a repris son travail, mais est devenu, au sein de la famille, inexistant. C’est-à-dire qu’il ne manifeste plus comme avant, ne dialogue plus avec ses enfants, ne se met plus en colère, il accepte tout. Madame M. reconnaît que son mari a beaucoup changé. Il semble désintéressé. Madame M. a des difficultés à assumer toutes les charges de la famille, que ce soit dans le domaine budgétaire, ou éducatif. Actuellement, elle démissionne très vite devant les problèmes96 ».
47Les mères ne sont ainsi pas les seules cibles des critiques dans les enquêtes sociales. Nombre de pères se voient reprocher leur paresse, brutalité, manque d’autorité, alcoolisme ou tout simplement leur absence. Dans les enquêtes sociales et autre document similaire, une grande importance est cependant accordée à leur profession : « Monsieur N. travaille très régulièrement et apporte son salaire à son épouse97 » ou « À l’ancien domicile, comme au domicile actuel, on le juge travailleur, honnête, sobre et sérieux98 ». Les professions des pères sont plus variées que celles des mères. La catégorie des « ouvriers de l’industrie » est de loin la plus représentée (30 %), suivie par les « ouvriers du bâtiment » (14 %). Nombreux sont les manutentionnaires, les chauffeurs, mécaniciens ou même nickeleurs-chromeurs. Parmi les ouvriers du bâtiment, les maçons sont plus nombreux, suivis par les plâtriers et, avec des occurrences beaucoup moins nombreuses, les métiers de cimentier, grutier, ou cisailleur s’y retrouvent. Suivent les catégories « employés et petits fonctionnaires », « industriels, commerçants et professions libérales » ainsi que les « ouvriers agricoles » avec 7 % à 8 % chacun. Les pères militaires, enseignants ou même médecins sont une exception. Le père de Dominique, professeur de mathématique, n’a que très peu de contact avec elle. Les parents de Dominique se sont mariés très jeunes et, quand cette dernière était bébé, ils divorcent. Les deux frères aînés de Dominique sont confiés au père et elle reste avec la mère. Depuis, Dominique n’a que très peu de contact avec son père qui s’est remarié et vit à environ 400 km99.
48Il est ainsi possible d’affirmer que, si les conditions de pauvreté/vulnérabilité sociale sont bien présentes et très documentées dans les rapports d’enquête sociale, c’est souvent la moralité qui permet – comme au xixe siècle – de caractériser la situation de la famille (bonne ou mauvaise).
⁂
49Ainsi, la justice des mineurs a, depuis la fin du xixe siècle, tracé les voies d’intervention au sein des familles populaires jugées dysfonctionnelles, en cherchant à ne pas remettre en cause l’institution, centrale, du patriarcat. Malgré la technicisation de ces métiers dans les années d’après-guerre, le juge agit en bon père de famille, et l’assistante sociale endosse, de son côté, un rôle maternel. Si les familles cherchent à peser dans la détermination des trajectoires judiciaires et institutionnelles de leurs enfants, ce rôle reste limité par une justice des mineurs qui acquiert de plus en plus d’autorité en matière civile, au nom de la protection des jeunes. En effet, dans les années 1950 et 1960 singulièrement, l’extension du droit d’ingérence éducative des services de protection de la jeunesse au sein des classes populaires est à son comble. Au nom d’une morale persistante et d’une expertise sociale croissante, les familles sont passées au crible d’un regard très inquisiteur, rigidifiant les rôles genrés en son sein. À cet égard, les filles « irrégulières » doivent être protégées de leur milieu tout autant que d’elles-mêmes.
Notes de bas de page
1Selon le décret du 7 janvier 1959, « le directeur départemental de la population et de l’aide sociale est chargé […] d’exercer une action sociale préventive auprès des familles dont les conditions d’existence risquent de mettre en danger la santé, la sécurité ou la moralité de leurs enfants ». Décret no 59-160 du 7 janvier 1959 relatif à la protection sociale de l’enfance en danger, art. 1er. La direction départementale d’action sanitaire et sociale (DDASS), est créée en 1964 et sera remplacée par les conseils généraux après la loi de décentralisation de 1983.
2Loi du 24 juillet 1889 sur la protection des enfants maltraités ou moralement abandonnés, art. 2 par. 6.
3Vassigh Denis Darya, « L’action juridique en faveur des enfants maltraités dans la deuxième moitié du xixe siècle », Criminocorpus. Revue d’histoire de la justice, des crimes et des peines, 6 juillet 2012, [http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/criminocorpus/1912] (consulté le 1er novembre 2017). Voir aussi à ce sujet Schnapper Bernard, « Défense sociale ou protection infantile : la déchéance paternelle, d’après la loi du 24 juillet 1889 », Autorité, responsabilité parentale et protection de l’enfant, Lyon, Chronique sociale, 1992, p. 221-237.
4La loi redéfinit les peines encourues pour les délits et les crimes commis sur les enfants et les aggravait systématiquement lorsque les coupables étaient les père, mère ou tuteur. « Cent ans de répressions des violences à enfants », Revue d’histoire de l’enfance « irrégulière », no 2, 1999.
5Niget David, La naissance du tribunal pour enfants, op. cit.
6Loi du 22 juillet 1912 sur les tribunaux pour enfants et adolescents et sur la liberté surveillée, art. 4.
7Cette mesure consiste à faire contrôler la liberté dont le jeune bénéficie. Des délégués nommés par le tribunal sont chargés de le visiter, de rapporter ses éventuels écarts de conduite ou difficultés mettant en cause sa moralité, de signaler les obstacles mis à cette surveillance. Loi du 22 juillet 1912 sur les tribunaux pour enfants et adolescents et sur la liberté surveillée, art. 20-22.
8Les enfants vagabonds sont « les mineurs de 18 ans qui quitté le domicile de leurs parents, ou qui ont été abandonnés par eux, ou qui sont orphelins, – et n’ayant ni travail, ni domicile, ou tirant leurs ressources de la débauche ou de métiers prohibés ». Décret-loi no 7 du 30 octobre 1935 sur le vagabondage.
9Golliard Olivier, « Dépénaliser le vagabondage ? L’impact relatif du décret-loi d’octobre 1935 », Criminocorpus. Revue d’histoire de la justice, des crimes et des peines, no 4, 26 mai 2014, [http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/criminocorpus/2761] (consulté le 1er novembre 2017).
10Blanchard Véronique, « Les filles “perdues” sont-elles amendables ? », art. cité.
11Décret-loi no 7 du 30 octobre 1935 sur le vagabondage.
12Blanchard Véronique, « De la protection à l’enfermement. Vagabondage féminin juvénile dans le Paris des années 1950 », in Caron Jean-Claude, Stora-Lamarre Annie et Yvorel Jean-Jacques (dir.), Les Âmes mal nées, jeunesse et délinquance urbaine en France et en Europe (xixe-xxie siècles), Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2008, p. 128.
13Ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, exposé des motifs.
14Bourquin Jacques, « La difficile émergence de la notion d’éducabilité du mineur délinquant », Trames. Revue d’histoire et de géographie de l’IUFM de l’Académie de Rouen, no 3-4, 1998, p. 131-142 ; Criminocorpus, 2010, [http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/criminocorpus/1938] (consulté le 28 octobre 2017).
15Ibid.
16Article 375 du Code civil de 1804.
17Décret-loi signé le même jour que celui dépénalisant le vagabondage des mineurs.
18Décret-loi du 30 octobre 1935 sur la correction paternelle.
19Quincy-Lefebvre Pascale, Familles, institutions et déviances. Histoire de l’enfance difficile (1880-fin des années 1930), Paris, Economica, 1997, p. 325.
20Ordonnance du 1er septembre 1945 sur la correction paternelle. Voir aussi Campinchi Hélène, « L’ordonnance du 1er septembre 1945 sur la correction paternelle », Pour l’enfance coupable, no 63, mars-avril 1946, p. 1-4.
21Article 375 du Code civil, modifié par l’article 1er de l’ordonnance du 1er septembre 1945 sur la correction paternelle.
22Article 376 du Code civil, modifié par l’article 1er de l’ordonnance du 1er septembre 1945 sur la correction paternelle.
23Article 377 du Code civil, modifié par l’article 1er de l’ordonnance du 1er septembre 1945 sur la correction paternelle.
24Youf Dominique, « Protection de l’enfance et droits de l’enfant », Études, no 12, 2011, p. 622.
25Article 375 du Code civil, modifié par l’ordonnance du 23 décembre 1958 relative à la protection de l’enfance et de l’adolescence en danger. L’âge sera modifié par la loi de 1974 sur l’abaissement à 18 ans de la majorité civile.
26Article 376 du Code civil, modifié par l’ordonnance du 23 décembre 1958 relative à la protection de l’enfance et de l’adolescence en danger.
27Article 379 du Code civil, modifié par l’ordonnance du 23 décembre 1958 relative à la protection de l’enfance et de l’adolescence en danger.
28Niget David, « Jeunesse déviante et justice en Europe et en Amérique du Nord aux xixe-xxe siècles », Histoire et sociétés. Revue européenne d’histoire sociale, no 25-26, 2008, p. 7.
29Rapport annuel de la direction de l’Éducation surveillée, 1960 et 1964.
30Youf Dominique, « Protection de l’enfance et droits de l’enfant », art. cité, p. 622.
31Rapport annuel de la direction de l’Éducation surveillée, 1959, p. 38-39.
32Rapport annuel de la direction de l’Éducation surveillée, 1957, p. 56.
337% des jeunes filles ont été placées au titre de la loi du 24 juillet 1889 et 3,1 % de celle du 19 avril 1898.
34Rapports Bon-Pasteur, calculs réalisés par l’auteure.
35Rapport annuel de la direction de l’Éducation surveillée, 1964, p. 114.
36APBP, Angers, dossier no 20 (1960), lettre de l’assistante sociale du Bon-Pasteur d’Angers pour Monsieur le juge des enfants, palais de justice de Versailles, Angers, 30 mai 1960.
37APBP, Angers, dossier no 20 (1960), lettre de l’assistante sociale du Bon-Pasteur d’Angers pour Monsieur le juge des enfants, palais de justice de Versailles, Angers, 30 mai 1960.
38APBP, Angers, dossier no 20 (1960), lettre du juge des enfants du tribunal de grande instance de Versailles à Madame la Supérieure du Bon-Pasteur, Versailles, 31 mars 1961.
39APBP, Angers, dossier no 10 (1960), lettre du juge des enfants à Madame la Supérieure du Bon-Pasteur d’Angers, Nantes, 3 février 1964.
40APBP, Angers, dossier no 10 (1960), lettre du juge des enfants à Madame la Supérieure du Bon-Pasteur d’Angers, Nantes, 17 avril 1964.
41APBP, Angers, dossier no 10 (1960), lettre de l’assistante sociale pour Madame le juge des enfants, Angers, 28 juin 1962.
42APBP, Angers, dossier no 10 (1960), lettre de l’assistante sociale à la mère de la mineure, Angers, 12 février 1962.
43APBP, Angers, dossier no 10 (1960), lettre de la Supérieure pour le service de la liberté surveillée du tribunal pour enfants de Nantes, Angers, 17 mars 1965.
44APBP, Angers, dossier no 80 (1945), lettre de la mineure au juge des enfants, Angers, 4 septembre 1946.
45APBP, Angers, dossier no 80 (1945), lettre de la mineure au juge des enfants, Angers, 12 janvier 1947.
46APBP, Angers, dossier no 80 (1945), note manuscrite sur la lettre de la mineure au juge des enfants, 18 janvier 1947.
47APBP, Angers, dossier no 80 (1945), lettre de la mineure au juge des enfants, Angers, 25 février 1947.
48Bantigny Ludivine, Le plus bel âge ?, op. cit., p. 151.
49APBP, Angers, dossier no 30 (1983), lettre du premier juge des enfants à la mineure, Rouen, 16 septembre 1983.
50Calculs réalisés à partir de l’échantillon constitué de 400 mineures placées au Bon-Pasteur entre 1939 et 1990. Pour 24 des jeunes filles placées au Bon-Pasteur, les registres ne mentionnent aucun renseignement sur la personne ou institution à l’origine du placement.
51On passe du « confiée par le Juge des enfants d’Angers (Mr. Petit) à la demande de Mlle Paul, AS » en 1961 au simple « JE Angers » en 1990. « AS » signifie assistante sociale, « JE » signifie juge des enfants (APBP, Angers, dossier no 129 [1961], registre « Bon-Pasteur » 1969-1966 ; dossier no 41 [1990], registre Entrées-sorties 1966-1991).
52Algan Andrée, « Étude comparative de la délinquance juvénile des garçons et des filles », Annales de Vaucresson, 1967, no 5, p. 201.
53APBP, Angers, dossier no 38 (1945), lettre de la mère pour la mère supérieure, Paris, 18 mars 1945.
54APBP, Angers, dossier no 106 (1944), registre « Bon-Pasteur », 1939-1951.
55APBP, Angers, dossier no 98 (1960).
56APBP, Angers, dossier no 108 (1959), lettre de Mlle Jost, assistante sociale à l’hôpital Saint-Joseph, Paris 14e arr. à Madame la Supérieure « Bon-Pasteur », 8 octobre 1959, Paris.
57Zappi Lola, « Comment être “l’amie” des familles populaires : la relation de care chez les assistantes sociales de l’entre-deux-guerres, entre vocation et formation », Clio. Femmes, Genre, Histoire, no 49, 2019, p. 93-113.
58APBP, Angers, dossier no 8 (1940), registre « Bon-Pasteur », 1939-1951.
59APBP, Angers, dossier no 106 (1949), fiche d’entrée au Bon-Pasteur d’Angers.
60APBP, Angers, dossier no 108 (1959), fiche d’entrée au Bon-Pasteur d’Angers.
61APBP, Angers, dossier no 108 (1959), jugement en chambre du conseil du tribunal pour enfants de la Seine, 19 octobre 1960 ; lettre de Mlle Jost, assistante sociale à l’hôpital Saint-Joseph, Paris 14e arr. à Madame la Supérieure « Bon-Pasteur », 8 octobre 1959, Paris.
62APBP, Angers, dossier no 18 (1980), lettre de la mère pour la juge des enfants, Chemière-sur-Sarthe, 8 mars 1981.
63APBP, Angers, dossier no 5 (1960), lettre de la mère au Bon-Pasteur d’Angers, Montrouge, 7 octobre 1960.
64APBP, Angers, dossier no 5 (1960), lettre de l’assistante sociale du Bon-Pasteur d’Angers à la mère de la mineure, Angers, 10 octobre 1960.
65APBP, Angers, dossier no 5 (1960), lettre de l’assistante sociale de l’hôpital Saint-Joseph au Bon-Pasteur d’Angers, Paris, 23 décembre 1960.
66APBP, Angers, dossier no 5 (1960), lettre de la mère, Montrouge, 23 mai 1961.
67APBP, Angers, dossier no 5 (1960), lettre de l’assistante sociale de l’hôpital Saint-Joseph au Bon-Pasteur d’Angers, Paris, 5 juin 1961.
68Ce type d’échange se retrouve moins dans les dossiers à partir des années 1970.
69Ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, art. 8.
70Siguier Michèle, Droits de regards, l’enquête sociale dans la protection judiciaire de la jeunesse, évolution depuis le xixe siècle, valeurs actuelles, incertitudes de son emploi futur, Toulouse, Erès, 1986.
71Bantigny Ludivine, « Ordre social, ordre moral. A priori et partis pris des enquêtes sociales dans la France des années 1950 », in Bantigny Ludivine et Vimont Jean-Claude (dir.), Sous l’œil de l’expert. Les dossiers judiciaires de personnalité, Mont-Saint-Aignan, Publications des universités de Rouen et du Havre, 2010, p. 81.
72Cette étude porte uniquement sur les enquêtes conservées dans les dossiers des jeunes filles placées au Bon-Pasteur d’Angers. Dans les années 1940, les dossiers sont très sommaires et il est donc rare de retrouver des enquêtes sociales. Les années 1950 et 1960 sont plus riches en ce sens. Leur nombre diminue par la suite quand l’intervention de l’assistante sociale ne fait plus l’objet d’un rapport séparé, mais est intégré dans un document rédigé par une équipe (psychologue, psychiatre, éducateurs). Ce sont les consultations d’orientation éducative (COE).
73Bantigny Ludivine, « Ordre social, ordre moral », art. cité, p. 81.
74Ibid., p. 83.
75APBP, Angers, dossier no 11 (1975), consultation d’orientation éducative, service orientation éducative « Consultation spécialisée », Angers, 20 janvier 1975.
76APBP, Angers, dossier no 6 (1951), enquête sociale, service social du palais de justice d’Angers, mars 1951.
77Bantigny Ludivine, « Ordre social, ordre moral », art. cité, p. 83.
78Angers, dossier no 11 (1951), enquête sociale, service social du palais de justice d’Angers, mars 1951.
79APBP, Angers, dossier no 11 (1951), enquête sociale, service social du palais de justice d’Angers, mars 1951.
80APBP, Angers, dossier no 31 (1956), enquête sociale, service social de la Sauvegarde de la jeunesse, palais de justice de Paris, février 1956.
81Rapport annuel de la direction de l’Éducation surveillée, 1962, p. 195.
82Bard Christine, Les femmes dans la société française au xxe siècle, Paris, Armand Colin, 2003, p. 184-190.
83Schweitzer Sylvie, Les femmes ont toujours travaillé, une histoire du travail des femmes au xixe et xxe siècles, Paris, Éditions Odile Jacob, 2002.
84Il s’agit de 125 dossiers de jeunes filles placées sur un total de 250 consultés in extenso.
85Marchand Olivier et Thelot Claude, Le travail en France, 1800-2000, Paris, Éditions Nathan, 1997, p. 58.
86Georges Heuyer (1884-1977) est le fondateur de la pédopsychiatrie en France et a fondé une grande partie de son corpus théorique sur une observation de la délinquance juvénile. Lefaucheur Nadine, « De l’étude de la relation postulée entre dissociation familiale et délinquance juvénile à la rencontre avec Georges Heuyer et ses archives : fragments d’autobiographie sociologique », Revue d’histoire de l’enfance « irrégulière », no 18, 30 novembre 2016, p. 97-116.
87Lefaucheur Nadine, « Dissociation familiale et délinquance juvénile ou la trompeuse éloquence des chiffres », in Chauvière Michel (dir.), Protéger l’enfant. Raison juridique et pratiques socio-judiciaires, xixe-xxe siècles, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1996, p. 131.
88APBP, Angers, dossier no 3 (1945), enquête sociale, Nantes, mars 1942.
89APBP, Angers, dossier no 11 (1951), enquête sociale, service social du palais de justice d’Angers, mars 1951.
90APBP, Angers, dossier no 25 (1973), consultation d’orientation éducative, 10 juillet 1973.
91Siguier Michèle, Droits de regards, op. cit., p. 94.
92APBP, Angers, dossier no 15 (1975), consultation d’orientation éducative, 21 janvier 1975.
93Iacovetta Franca, « Gossip, Contest, and Power in the Making of Suburban Bad Girls: Toronto, 1945-60 », Canadian Historical Review, vol. 80, no 4, 1999, p. 585-623.
94APBP, Angers, dossier no 31 (1956), enquête sociale, service social de la Sauvegarde de la jeunesse, palais de justice de Paris, février 1956.
95APBP, Angers, dossier no 31 (1956) Enquête sociale, service social de la Sauvegarde de la jeunesse, palais de justice de Paris, février 1956.
96APBP, Angers, no 13 (1983), rapport, Service social de la caisse d’allocations familiales de la région choletaise, Cholet, 26 janvier 1983.
97APBP, Angers, dossier no 25 (1973), rapport à l’intention de Monsieur le directeur de l’Action sanitaire et sociale en vue de l’institution d’une mesure de protection à l’égard des enfants, Angers, 9 mai 1971.
98APBP, Angers, dossier no 31 (1956) Enquête sociale, service social de la Sauvegarde de la jeunesse, palais de justice de Paris, février 1956.
99APBP, Angers, dossier no 11 (1985), rapport d’observation avec examen psychologique, Le Mans, 4 janvier 1985.
Auteur
Dublin City University, Irlande.
Beatrice Scutaru est enseignante-chercheure à la Dublin City University, Irlande. Elle travaille sur l’histoire contemporaine de la jeunesse et des migrations juvéniles et est l’autrice avec Simone Paoli (dir.) de Child Migration and Biopolitics: Old and New Experiences in Europe, Londres, Routledge, 2021.
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