La revanche de l’Inquisition languedocienne, de Clément V à Jean XXII
Bernard de Castanet, Bernard Gui, Bernard Délicieux et la « réconciliation » des « empêcheurs » de Carcassonne (v. 1308-v. 1330)
p. 231-258
Texte intégral
1Les résistances rencontrées par l’Inquisition médiévale pendant son premier siècle d’activité (v. 1230-v. 1330) sont généralement sous-estimées, sans doute parce qu’elles sont assez peu et mal documentées – effet de leur subalternité –, mais aussi parce qu’un sourd légitimisme socio-institutionnel porte les historiens à s’exagérer le consensus (ou à minimiser les dissensus, comme on voudra) autour des autorités religieuses du passé lointain1. L’emprise hégémonique de l’Église n’est-elle pas un élément majeur pour la définition même du Moyen Âge ? Mais s’il y fallut la création de l’Inquisition – l’exercice terrorisant de sa juridiction d’exception, avec ses techniques de fichage nouvelles et perfectionnées, quasi modernes longtemps avant la modernité – c’est bien pourtant que l’imposition des normes catholiques et romaines n’était guère possible autrement. En toute logique circulaire, les oppositions furent les plus fortes là où l’action inquisitoriale le fut également, à savoir dans les pays occitans d’entre Rhône et Garonne, d’une part, et, de l’autre, en Italie centro-septentrionale.
2L’historiographie n’a certes pas ignoré ces résistances. Celles rencontrées en Languedoc ont été mises en avant par Barthélemy Hauréau et Henry Charles Lea au xixe siècle, puis abordées de loin en loin, en particulier par Jean-Marie Vidal, Jean Guiraud, Michel de Dmitriewski et Jean-Louis Biget, avant qu’Alan Friedlander, à la fin du siècle dernier, ne reprenne l’histoire du meneur anti-inquisitorial Bernard Délicieux2. Un récit d’ensemble manque, cependant, qui ferait le point, pour chaque phase, sur ce qui peut être reconstitué des faits et de leur chronologie – lesquels sont dans plusieurs cas susceptibles d’être mieux établis en reprenant le travail de rassemblement et d’analyse des traces. Il y aurait ainsi toute chance d’apporter un meilleur éclairage sur le véritable objet de la répression inquisitoriale, c’est-à-dire l’insoumission, bien plus large que la seule « hérésie », à l’ordre socio-institutionnel de l’Église romaine. L’attention étant de la sorte déplacée sur l’ensemble du « parti hérétique », pour reprendre une expression jadis utilisée par Jean Guiraud, c’est-à-dire non seulement sur les hérétiques, mais aussi sur leurs entourages et leurs soutiens – sur le groupe des « hérétisants » (hereticales), catégorie inventée et brièvement maniée par les inquisiteurs de Carcassonne et de Toulouse peu après 1300 –, on saisirait mieux la consistance réelle et les enjeux pratiques de ce que l’orthodoxie ecclésiastique définissait au plan conceptuel, non sans déformations idéologiques évidemment, comme hérésie.
3Je me contenterai dans les lignes qui suivent de revenir sur certains aspects d’une période bien documentée parce que très répressive. Les années 1310-1330, ici considérées, furent un temps de contrecoup lié à la normalisation des relations entre Église romaine et royauté française, après qu’une crise majeure entre ces deux grands pouvoirs avait favorisé les activités anti-inquisitoriales trois décennies durant, à partir des années 1280.
4Un mot, au préalable, concernant la majuscule ici donnée à certaines occurrences du nom d’« Inquisition ». Cette dernière était certes bien loin, autour de 1300, d’avoir un degré d’institutionnalisation comparable à celui pris par le Saint-Office la fin du xve siècle en Espagne et au Portugal, puis en Italie. Richard Kieckhefer a naguère attiré l’attention sur le caractère souvent plus personnel qu’institutionnel revêtu par la juridiction inquisitoriale au Moyen Âge3. La « recherche de la dépravation hérétique » (inquisitio heretice pravitatis) avait été conçue au départ, dans les années 1230, comme une « affaire » (negocium) actualisée à chaque cas et comme un simple office ou ministère pastoral exercé individuellement (au même titre que la confession ou la prédication), sans référence à une entité administrative4. Dès le dernier quart du xiiie siècle, cependant, la permanence des deux fonctions d’inquisiteur de Carcassonne et de Toulouse, le fait qu’y étaient attachés de façon stable dans chacune de ces deux villes un personnel, une prison et des « livres » (c’est-à-dire des archives), faisaient clairement identifier l’office comme une institution5. Ses adversaires le voyaient comme tel. Et face à eux, comme on va le voir, ses titulaires nourrissaient un esprit de corps d’autant plus affirmé.
Bernard Gui, Geoffroy d’Ablis et les hereticales
5En 1316, dans les mois qui précédèrent l’élection du pape Jean XXII (survenue le 7 août de cette année-là), les inquisiteurs de Toulouse et de Carcassonne, Bernard Gui et Geoffroy d’Ablis, rédigèrent un mémoire pour défendre les intérêts de leur « office » auprès du Siège apostolique – lequel était vacant depuis la mort de Clément V au printemps 1314. Rien ne permet d’affirmer que Bernard Gui ait pris une plus grande part que son collègue de Carcassonne à l’écriture de ces gravamina (« protestations contre des torts »), même s’il a laissé par ailleurs d’abondants écrits, contrairement à Geoffroy d’Ablis, et même si l’unique copie connue de ce texte encore inédit est conservée dans un manuscrit de son célèbre manuel de l’inquisiteur, la Practica inquisitionis. Quoi qu’il en soit, l’incertitude sur l’identité du prochain pontife romain était assurément source de préoccupation pour les deux inquisiteurs. Leur texte, que l’on peut désigner par son incipit, Supplicant sanctitati, s’adressait aussi bien au collège cardinalice, instance de gouvernement du Siège apostolique pendant la longue vacance, qu’au futur élu. Il s’agissait de reprendre une lutte d’influence engagée de longue date à la Curie et demeurée, auprès du pape précédent, sans issue satisfaisante aux yeux des deux suscripteurs. Supplicant sanctitati demandait la réécriture complète de deux constitutions réglementant l’action inquisitoriale édictées quelques années plus tôt par Clément V au concile de Vienne (octobre 1311-mai 1312) :
« Vos dévoués et humbles fils les inquisiteurs de la dépravation hérétique de Toulouse et de Carcassonne supplient votre sainteté qu’il plaise à la bienveillance et à la circonspecte providence apostoliques de voir et pourvoir pour l’office d’inquisition de cette dépravation hérétique au sujet de certaines choses qui ne conviennent pas au libre cours de l’office de ladite inquisition, le retardent et l’empêchent, contenues dans deux nouvelles constitutions du seigneur pape Clément V d’heureuse mémoire, dont l’une commence par les mots Multorum querela et l’autre par Nolentes splendorem6. »
6Ces deux canons étaient les tout premiers dans la législation de l’Église, depuis l’émergence de l’office d’inquisition dans les années 1230, qui fussent spécifiquement destinés à poser des limites à la latitude d’action (c’est-à-dire à la toute-puissance) des juges de la foi7. Leur rédaction était le résultat, en bout de chaîne, de plus d’un quart de siècle d’oppositions multiformes à l’action inquisitoriale dans le Midi – comme le déploraient d’ailleurs Bernard Gui et Geoffroy d’Ablis, en toute connaissance de cause, dans leur plaidoyer. Revenons brièvement sur ces événements.
7Face aux entreprises répétées des contestataires méridionaux depuis les années 1280, le comportement des papes successifs avait été lourd de conséquences. Lorsque l’autorité de l’intransigeant Boniface VIII (1294-1303) s’était trouvée fortement diminuée du fait de son violent conflit avec le roi de France Philippe le Bel, pendant les années 1301-13038, la situation avait tourné à la crise aiguë pour l’Inquisition languedocienne. Certains bourgeois des villes d’Albi, Carcassonne, Castres et Limoux avaient remporté contre elle – ou contre les dominicains qui la contrôlaient, selon les termes du franciscain Bernard Délicieux, meneur charismatique des opposants – des victoires sans précédent. Fin 1301, alors que le roi s’engageait dans une politique d’affrontement avec Boniface, Délicieux et ses amis l’avaient convaincu d’infliger une très grosse amende à l’évêque d’Albi Bernard de Castanet9, grand pourfendeur de l’hérésie dans son diocèse, de soumettre l’action de ce dernier à une enquête et d’exiger la démission de l’inquisiteur de Toulouse Foulques de Saint-Georges, lequel avait œuvré aux côtés de Castanet quelques années plus tôt10. Un état quasi insurrectionnel s’était alors instauré dans les deux villes de Carcassonne et d’Albi. Pris à partie, les dominicains avaient été contraints de se claquemurer dans leurs couvents ; des émeutiers avaient chassé Castanet de sa cité ; l’activité inquisitoriale s’était trouvée paralysée. Quelques semaines après l’entrée du conflit franco-pontifical dans une phase paroxystique, avec le lancement par le roi d’accusations d’hérésie contre le vicaire du Christ lui-même (juin 1303), les activistes occitans avaient reçu le soutien d’un représentant spécial du Capétien, le vidame d’Amiens Jean de Picquigny. Ils en avaient profité pour réussir un coup de force retentissant avec la prise d’assaut du « mur » de Carcassonne (la prison de l’Inquisition), dont ils avaient remis les captifs à la juridiction royale (10 août 1303)11.
8Le bref pontificat de Benoît XI (octobre 1303-juillet 1304), issu de l’ordre dominicain et porté lui aussi à l’intransigeance, avait cependant mis fin à ces désordres. Le roi avait en effet adopté une position générale d’attentisme à l’égard du Siège apostolique et, lors de son passage en Toulousain à la Noël 1303, il avait fortement refroidi les ardeurs des opposants à l’Inquisition. Réfugiés à la Curie romaine, Bernard de Castanet et Geoffroy d’Ablis crurent alors obtenir rapidement gain de cause. Benoît XI ordonna l’arrestation de Bernard Délicieux, accusé d’« empêchement » (impedimentum) à l’office d’inquisition12. En outre, il rejeta l’appel formé auprès au Siège apostolique par le représentant royal Jean de Picquigny contre une sentence d’excommunication émise à son endroit par Geoffroy d’Ablis13.
9L’avènement de Clément V, élu au trône de Pierre le 5 juin 1305, avait cependant entraîné de nouveaux revers pour les inquisiteurs, certes moins spectaculaires que les précédents, mais plus durables. Clément se trouvait contraint à une politique de conciliation avec le roi pour tenter d’éviter les poursuites judiciaires post mortem exigées par ce dernier contre Boniface. Les accusations de Philippe le Bel contre l’ordre du Temple, à partir de l’automne 1307, rendirent la position pontificale plus difficile encore. Les dominicains et autres prélats « bonifaciens » susceptibles d’attiser l’hostilité du roi étaient d’autant moins en faveur à la Curie. En février 1308, Geoffroy d’Ablis répondit à une demande de renseignements du roi d’Aragon au sujet des procédures alors en cours contre les templiers dans le royaume de France en lui expliquant qu’il n’avait, quant à lui, rien pu faire jusque-là en la matière parce que « les hérétisants (hereticales) du Carcassès et de l’Albigeois » l’« avaient tenu depuis longtemps et le tenaient encore, lui et l’affaire d’inquisition, empêchés en cour de Rome14 ».
10Bernard Délicieux et ses amis avaient effectivement des appuis jusqu’au sein du collège cardinalice et dans la parentèle du nouveau pape. Le frère Mineur ne fut plus inquiété (mais il dut cesser son combat)15. L’un de ses protecteurs, le cardinal Bérenger Frédol, fut mandaté au printemps 1306 par Clément V avec un autre prélat proche du roi de France, le cardinal Pierre de La Chapelle-Taillefert, pour aller inspecter les geôles inquisitoriales d’Albi et de Carcassonne, tandis qu’était ouverte en Curie une enquête au sujet de plaintes des habitants contre les inquisiteurs et Bernard de Castanet. Les deux cardinaux visiteurs étaient chargés d’imposer des mesures humiliantes pour les juges de la foi. Ils retirèrent à Castanet toute compétence en matière de répression de l’hérésie, imposèrent de nouvelles règles carcérales et interdirent à l’Inquisition d’agir indépendamment des évêques dans la région jusqu’à nouvel ordre16. Cette dernière disposition fut d’autant plus mal reçue par les intéressés qu’elle avait une portée générale et pouvait poser un principe durable. Clément V en annonça cependant le retrait moins de deux ans plus tard, à l’été 1308, sous une pression que l’on devine aisément, faute d’en connaître les modalités17.
11Le sentiment de victoire qu’en aurait dû éprouver le « parti inquisitorial » se trouva fortement mitigé, cependant, par deux autres mesures en sens inverse prises concomitamment, deux camouflets qui marquaient sans équivoque le refus du pape de désavouer sur toute la ligne les opposants à l’Inquisition méridionale… ou, tout au moins, sa volonté de ménager l’autorité royale, derrière le paravent de laquelle ces opposants avaient soin de faire avancer leur cause. C’est que le contexte général des relations avec le roi, lourd d’enjeux cruciaux cet été-là, paraît déterminant pour comprendre les choix pontificaux. Au même moment exactement, en juillet-août 1308, Clément V finissait par céder, après 6 mois d’une intense épreuve de force, à l’exigence capétienne d’une reprise des procédures contre les « perfides templiers », et par se laisser arracher la promesse d’ouvrir la procédure judiciaire posthume sur l’hérésie de Boniface réclamée par le roi18.
12Premier camouflet, Clément V ordonna à la mi-juillet un réexamen des sanctions spirituelles lancées par Geoffroy d’Ablis contre Jean de Picquigny lorsque ce dernier avait soutenu les rebelles carcassonnais. Quelques jours plus tard, la commission cardinalice nommée ad hoc conclut par une cassation, dont ne bénéficiait pas seulement l’âme de l’infortuné réformateur royal (décédé, entre-temps, en état d’excommunication), mais aussi la cause des adversaires de l’Inquisition19. Second revers, le 30 juillet, le pape transféra d’autorité Bernard de Castanet du siège épiscopal d’Albi à celui du Puy, au terme d’une enquête sur l’inconduite personnelle et le mauvais gouvernement du prélat (les méfaits de l’évêque ayant été dénoncés par certains de ses administrés… à vrai dire souvent proches de personnes condamnées pour hérésie, ce que la Curie ne pouvait ignorer)20. Un long et emblématique épiscopat (1276-1308) de combat contre les résistances sociales à la théocratie romaine en Albigeois – au cours duquel, fait sans doute décisif, les ennemis de Castanet étaient finalement parvenus à monter contre lui la juridiction royale – se clôturait ainsi sur un désaveu par la papauté21.
13Le lobbying auprès du Siège apostolique contre le « parti inquisitorial » se poursuivit au cours des années suivantes, mené en synergie par les contestataires méridionaux et leurs relais franciscains d’un côté, par la royauté française de l’autre – cette dernière bien sûr avec des objectifs propres, gallicans. Il en résulta la réapparition et l’élargissement, au concile général de Vienne (octobre 1311-mai 1312), des mesures d’encadrement de l’action des juges de la foi prises en 1306 pour le Midi français avant d’être annulées. Parmi les 25 constitutions de réforme de l’Église issues des débats conciliaires, Multorum querela et Nolentes splendorem érigeaient en effet en règles universelles l’obligation pour les inquisiteurs d’agir conjointement avec les évêques et de partager avec eux la garde des prisonniers. Comble d’affront aux juges de la foi, sans doute, les deux décrets leur recommandaient aussi de ne pas porter préjudice à l’innocent, condamnaient toute extorsion d’argent ou captation de biens ecclésiastiques de leur part ainsi que l’abus du port d’armes dans leur entourage, enfin imposaient une précaution susceptible de favoriser leur pondération en fixant un âge minimal, 40 ans, à leur entrée en fonction22. C’était là manifestement l’écho de certaines des plaintes (gravamina) dont on sait que le rassemblement et l’examen avaient constitué une des tâches du concile pour servir de base aux discussions avant l’élaboration des textes de réforme23.
14La promulgation définitive des constitutions de Vienne, cependant, n’eut pas lieu immédiatement. Clément V avait décidé de les réunir en un Septième livre qui se joindrait, dans la législation générale de l’Église, aux cinq des Décrétales publiées par Grégoire IX (1234) et au Sexte ajouté à ces dernières par Boniface VIII (1298). Or ce projet nécessita un plus long travail de mise au point parce que, selon le récit fait par Bernard Gui lui-même dans l’un de ses nombreux textes historiographiques, « les constitutions n’étaient pas encore pleinement mises en forme ni mûries et peaufinées à la perfection » (constitutiones ille nondum erant formate ad plenum nec excocte et limate ad purum)24. Deux années passèrent, raconte Gui, avant que le pape ne finisse par faire « publier ledit livre devant lui en consistoire public » le 21 mars 1314, ce temps ayant été employé « à peaufiner chaque point » (ut medio tempore singula limarentur)25. Derrière cette explication évasive sont selon toute vraisemblance passées sous silence des tensions et tiraillements dans l’entourage pontifical. On peut en deviner des traces dans la correspondance du franciscain Spirituel Angelo Clareno, qui écrivait à un correspondant fin décembre 1312, depuis la Curie d’Avignon, que « les constitutions produites au concile de Vienne et corrigées par le pontife suprême » étaient « confirmées et publiées ». Dans sa lettre, Clareno se réjouissait qu’entre autres « les inquisiteurs de la dépravation hérétique » soient ainsi « réfrénés et soumis aux évêques » (restringuntur et subduntur episcopis) – claire référence à Multorum querela et splendorem26. Mais c’était crier victoire trop vite, peut-être à la seule vue d’une version du texte en circulation parmi les protecteurs des franciscains Spirituels à la Curie, comme Gian Luca Potestà en a fait l’hypothèse27. En mai 1313, dans une autre lettre, le même Clareno en était revenu à « espérer » que « seraient maintenant publiées les constitutions faites à Vienne », où figuraient selon lui « beaucoup de choses pour l’utilité des serviteurs de Dieu » (comprendre : les Spirituels, menacés d’être rejetés dans l’hérésie) « et pour réfréner les hommes pervers » (comprendre : les adversaires des Spirituels, parmi lesquels les inquisiteurs)28. L’une des raisons au moins de l’atermoiement tenait probablement au conflit en coulisse entre les partisans de l’intransigeance hiérarchique, notamment inquisitoriale, et leurs adversaires, franciscains ou autres. Or la dégradation rapide de l’état de santé de Clément V après la publication en consistoire le 21 mars 1314, suivie de sa mort un mois plus tard, rouvrirent encore, de façon inespérée pour les inquisiteurs, la possibilité de faire supprimer ou amender les constitutions. Le défunt pape, en effet, n’avait pas eu le temps d’envoyer officiellement son Septième livre aux universités. Cette solennité indispensable n’étant pas accomplie, le livre n’ayant donc pas été « exposé pour être reçu communément », il « était resté sous un voile » (involutus), soulignait Bernard Gui dans son récit, et le « restait encore » au moment où ce dernier écrivait, avant la fin 131529. Les constitutions n’étaient pas entrées en vigueur. Et Gui de conclure : « On attend que le pontife suprême dispose et pourvoie à son sujet, le Siège apostolique étant aujourd’hui vacant30. »
15Il n’est pas téméraire de déceler dans cette considération finale une hostilité rentrée au Septième livre tel qu’il avait été sur le point d’être promulgué, et même d’y lire un souhait implicite que le futur pape reviendrait sur la décision du précédent. Bernard Gui lui-même, en effet, rédigea peu après un plaidoyer en ce sens avec son collègue inquisiteur de Carcassonne. Il s’agit de Supplicant sanctitati, le mémoire de gravamina évoqué ici en ouverture.
16Ce document peut être daté avec certitude d’entre le début 1316, puisqu’il se réfère à l’an 1315 comme achevé31, et l’élection de Jean XXII le 5 août de cette année-là, puisque les auteurs s’adressent « à la sainteté apostolique et au Siège romain », ce dernier étant donc manifestement vacant32. Pour démontrer que « certaines choses contenues » dans les constitutions Multorum querela et splendorem ne « convenaient pas au libre cours de l’office d’inquisition, le retardaient et l’empêchaient », les auteurs s’appuyaient sur « ce que l’expérience des faits » leur avait « appris au cours des années passées33 ». Leur texte offre ainsi un récit des événements fort partial bien sûr, mais riche en renseignements sur les résistances.
17Selon Bernard Gui et Geoffroy d’Ablis, les accusations d’abus de pouvoir systématiques avancées contre l’Inquisition n’avaient rien de nouveau – antiqua et nova querela, écrivaient-ils pour suggérer leur caractère inévitable – et demeuraient mensongères, diffamatoires. Elles n’avaient jamais pu être prouvées devant aucun tribunal ecclésiastique ou séculier et n’avaient visé qu’à « perturber » leur office34. Les responsables de cette obstruction étaient des hereticales, c’est-à-dire des « hérétisants », des sympathisants de l’hérésie. On trouve la première occurrence de ce néologisme, à ma connaissance, dans la lettre de Geoffroy d’Ablis au roi d’Aragon citée plus haut, en date du mois de février 130835. Une telle innovation terminologique permettait aux inquisiteurs languedociens de mieux criminaliser les résistances en réunissant dans une même catégorie tous ceux – nombreux dans la région – qui ne pouvaient être personnellement accusés d’hérésie mais défendaient plus ou moins activement les coupables ou soutenaient en quelque manière les oppositions au tribunal de la foi. Parents, associés, amis des hérétiques, les hereticales étaient responsables des « séditions et soulèvements dans le peuple » survenus à Carcassonne comme à Albi, avec les « nombreux maux » qui en avaient découlé pour l’Inquisition et les dominicains36. Ils osaient soutenir qu’« il n’existait pas d’autres hérétiques dans leur pays que ceux que les inquisiteurs eux-mêmes faisaient hérétiques » (à force de mensonges et de tortures)37. Cette thèse outrageante, affirmaient Bernard Gui et Geoffroy d’Ablis, était pourtant amplement démentie par les faits. À preuve : « l’office d’inquisition étant perturbé, de nombreux hérétiques accomplis (heretici perfecti) avaient été rappelés par leurs croyants des régions éloignées où ils s’étaient enfuis auparavant, c’est-à-dire de Lombardie et de Sicile », et avaient « infecté » de nouveau la région38. Les procédures inquisitoriales menées une fois le calme revenu l’avaient établi avec certitude : depuis l’époque des troubles, beaucoup de Languedociens étaient morts dans l’hérésie (et l’Inquisition avait donc fait exhumer et brûler leurs ossements)39. Au total, les deux inquisiteurs disaient avoir pu convaincre en jugement, « de 1301 à 1315 inclusivement », « plus de mille personnes » coupables d’avoir « dévié de la droite foi pour prendre le chemin de l’hérésie ». Pour autant, soulignaient-ils, le pays n’était « pas encore totalement purgé », car « des membres de la secte des vaudois et d’autres » y demeuraient, contre lesquels il était encore « nécessaire de procéder sur de nombreux points40 ».
18Je reviendrai ailleurs sur le riche contenu du mémoire Supplicant sanctitati. Les longues argumentations pratiques et juridiques au terme desquelles Bernard Gui et Geffroy d’Ablis y proposaient à l’agrément du futur pape de nouvelles versions rédigées par leurs soins, conformément aux intérêts inquisitoriaux, des constitutions Multorum querela et Nolentes splendorem méritent une étude approfondie, en commençant par une édition critique41. Si le document est largement passé inaperçu jusqu’ici, au point de n’avoir même jamais été publié malgré son intérêt majeur, c’est, indirectement, du fait de son échec. Le 25 octobre 1317 en effet, un peu plus d’un an après son élection, le nouveau pape Jean XXII envoya finalement à l’université de Bologne le Septième livre (qui prit le nom de Clémentines), en maintenant telles que son prédécesseur les avait conçues les constitutions touchant à l’Inquisition42. Irréversible, cette promulgation en formes officielles rendait caduc le plaidoyer Supplicant sanctitati, raison pour laquelle ce dernier ne fut sans doute plus recopié. Bernard Gui l’avait au départ placé en annexe de la quarta pars de sa Practica inquisitionis, quatrième partie consacrée à une étude juridico-procédurale des pouvoirs impartis aux juges de la foi et rédigée, elle aussi, entre la mort de Clément V et l’avènement de son successeur43. Mais dans les deux manuscrits conservés à la Bibliothèque municipale de Toulouse sur lesquels se fonde l’unique édition de la Practica, donnée par Célestin Douais à la fin du xixe siècle, tout comme dans les trois autres copies médiévales parvenues jusqu’à nous, Supplicant sanctitati est absent… alors même que le texte de la quatrième partie y fait référence à deux reprises44. L’introduction mentionne en effet l’existence des constitutions Multorum querela et Nolentes « publiées par le pape Clément V » en précisant qu’elles
« nécessitent une intervention circonspecte du Siège apostolique pour qu’il y soit porté remède, ou pour qu’elles soient révisées de façon à être améliorées, ou plutôt totalement suspendues, en raison de plusieurs inconvénients qui en découlent pour le libre et opportun cours de l’office d’inquisition, lesquels inconvénients sont indiqués ailleurs45 ».
19Plus loin dans la même quarta pars, Bernard Gui réitère l’observation sur ces « inconvénients », que « l’expérience enseigne le mieux », en désignant la constitution Multorum querela comme une « restriction » à laquelle « il pourra être apporté remède ou révision en quelque manière » et dont le contenu, comme celui de Nolentes splendorem, « pourra être transformé pour amélioration si et quand il semblera bon au Siège apostolique, comme il est indiqué en complément à la fin du présent ouvrage46 ». Même si l’appendice formé par Supplicant sanctitati, devenu sans objet dès la fin 1317, avait disparu de la tradition manuscrite, les scribes ne songèrent pas à supprimer ces deux passages qui l’annonçaient dans le corps du traité. La seule copie de la Practica à nous avoir transmis le plaidoyer malheureux a été réalisée en 1669 lors de la mission Doat (envoyée dans le Midi par Colbert) d’après un manuscrit « trouvé aux archives de l’Inquisition de Carcassonne47 ». Ce dernier devait donc être plus ancien, plus proche de la version initiale de la Practica que les cinq manuscrits médiévaux aujourd’hui conservés.
20Les efforts de Bernard Gui (Geoffroy d’Ablis étant mort dès septembre 131648) et du « parti inquisitorial » pendant l’année qui s’écoula entre le couronnement de Jean XXII et la promulgation des Clémentines ne suffirent donc pas à convaincre le nouveau vicaire du Christ d’amender les constitutions si décriées. Ces dernières participaient d’un grand réajustement des rapports entre puissance royale et théocratie pontificale dont le Concile de Vienne avait été le moment décisif. Les temps avaient changé ; l’absolutisme romain avait dû en rabattre ; la puissance des juges de la foi devait se mettre au diapason d’une juridiction ecclésiastique moins impérieuse. Pragmatique, tirant les leçons de la très douloureuse confrontation avec Philippe le Bel49, qui avait ébranlé l’Église jusque dans ses fondements, Jean XXII n’entendait pas revenir en arrière. Peut-être tenait-il aussi pour judicieux en soi l’encadrement de l’action inquisitoriale posé par Multorum querela et Nolentes splendorem. Et de fait, l’obligation d’agir en accord avec les évêques ne nuisait nullement à l’efficacité de l’Inquisition, comme en témoignait le bilan de Bernard Gui lui-même à la tête de l’office toulousain50.
21S’il n’accéda pas aux demandes du mémoire Supplicant sanctitati concernant la législation canonique, Jean XXII n’en donna pas moins gain de cause aux inquisiteurs dans les années suivantes. L’enjeu dépassait la lettre des deux constitutions clémentines. Il touchait aux principes. Quand bien même elles n’étaient pas réellement préjudiciables à l’exercice de l’office, Multorum querela et Nolentes splendorem avaient représenté d’inacceptables victoires remportées par les « hérétisants ». Les juges de la foi gardaient le sentiment cuisant d’avoir été injustement lésés par l’action de leurs opposants. Ils avaient rappelé dans Supplicant sanctitati avoir subi nombre d’« atteintes à leurs droits, dommages et dépenses » du fait des « diffamateurs et empêcheurs51 ». L’Inquisition elle-même et sa mission suprême de défense de la foi, source de ses pouvoirs d’exception, avaient été bafoués à travers ses serviteurs. Là-dessus, le successeur de Clément V était en plein accord avec les deux auteurs du mémoire52. Et donc soucieux de ne pas laisser ces offenses impunies.
Jean XXII et Bernard de Castanet
22Pendant les 27 mois de ce qui fut l’une des plus longues vacances de l’histoire du Siège apostolique, Bernard Gui et Geoffroy d’Ablis avaient pu redouter l’élection de certains candidats pressentis, comme Arnau de Pélagrue, un proche du défunt pape, ou l’un des deux Bérenger Frédol – le protecteur de Bernard Délicieux, exécuteur en 1306 en Languedoc des mesures annonciatrices de Multorum querela, et son neveu homonyme, l’un et l’autre proches du roi de France53. L’élection de Jean XXII à l’issue du conclave de Lyon (7 août 1316) dut apparaître comme une excellente nouvelle à tous les tenants du parti inquisitorial.
23Entré au service de la maison d’Anjou à partir de 1297, évêque de Fréjus à partir de 1300, Jacques Duèze n’avait certes pas pris part, que l’on sache, aux démêlés languedociens des premières années du xive siècle. Ses origines cahorsines et les premières étapes de son itinéraire d’homme d’Église, cependant, le liaient à la région. Il était ami de longue date, au moment de son accession au trône de Pierre, avec la bête noire des opposants à l’Inquisition dans la région, l’homme qui incarnait la répression : Bernard de Castanet. Sans doute le connaissait-il depuis l’époque où lui-même avait exercé les fonctions d’official de Carcassonne, autour de 129354. Castanet œuvrait alors en relation étroite avec l’inquisiteur installé dans cette ville (dont la juridiction couvrait l’Albigeois)55. L’agitation anti-inquisitoriale y était déjà d’actualité à cette époque et l’official (c’est-à-dire le juge délégué de l’évêque) ne pouvait l’ignorer. Avant 1300, en outre, Jacques Duèze avait reçu un bénéfice de chanoine dans l’église Sainte-Cécile d’Albi. On sait que Castanet portait une attention toute particulière à l’attribution des prébendes dans sa cathédrale ; il contribua peut-être à la collation en faveur du Cahorsin et dut nouer ou renforcer des liens avec lui à cette occasion56.
24Toujours est-il que peu après son couronnement (le 5 septembre 1316 à Lyon), Jean XXII répondit chaleureusement aux excuses que le vieux Castanet, alors évêque du Puy, lui avait fait parvenir pour n’avoir pu assister à la cérémonie. Dans sa lettre (éditée infra, annexe 1), dont la tonalité personnelle est inhabituelle pour un document enregistré par la chancellerie pontificale, le pape exprimait sa compassion pour les maux de son ami, que des difficultés de santé avaient empêché de faire le voyage de Lyon. Il lui recommandait de bien garder le repos nécessaire à sa convalescence et, surtout, concluait par une annonce aussi importante que sobrement exprimée :
« Nous avons reçu avec affection les lettres de ta fraternité récemment présentées à nous et, ayant compris à leur lecture comment le Seigneur miséricordieux a voulu, selon son bon plaisir, permettre que tes articulations te fassent souffrir ces jours-ci de telle sorte que tu n’as pu venir à notre présence comme tu en avais le désir à l’occasion de notre toute récente promotion, nous avons compati à ton état de maladie, excusant ta dévotion et la tenant pour dispensée à juste titre de cette visite.
Et nous réjouissant vivement avec toi, frère, de ce que, comme tu nous l’as écrit, l’intensité du mal diminuant, tu sentais progressivement te sourire les signes de la guérison espérée, nous implorons humblement la miséricorde de Celui qui ne connaît pas l’imperfection et qui soigne aussi bien qu’Il frappe, pour qu’une fois les derniers effets de cette maladie tout à fait disparus, Il daigne t’accorder le plein bénéfice de la santé ; mais nous te recommandons également, avec des sentiments paternels, de ne pas te livrer, au début de ta convalescence, à des efforts trop brusques et de prendre le repos nécessaire, de façon à éviter une rechute qu’encourraient tes membres imprudemment exposés à des efforts pénibles.
Par ailleurs, conservant pour ta personne le sentiment de pleine dilection que nous te portions lorsque notre condition était moindre, nous entendons pourvoir avec bienveillance à ton avancement, en temps voulu, dès lors que nous saurons quelles fonctions il t’apparaîtra le plus approprié de te voir confiées57. »
25Jean XXII faisait ainsi connaître à Castanet non seulement sa volonté de le promouvoir au nom de l’affection qu’il avait nourrie pour lui avant d’accéder au vicariat du Christ, mais aussi – étonnante marque d’égards – son intention de laisser à l’intéressé une large latitude pour choisir lui-même la nature de sa promotion58.
26Une telle sollicitude se trouva confirmée de façon éclatante quelques semaines plus tard, en décembre 1316, avec la nomination de Castanet comme cardinal-évêque de Porto. Ce siège cardinalice était le plus prestigieux qui fût disponible (celui d’Ostie, seul supérieur en préséance, étant occupé)59. Sa vacance résultait de l’élection au pontificat de son dernier titulaire, Jacques Duèze lui-même. Le choix de Castanet pour lui succéder pouvait d’autant mieux être interprété, tout à la fois, comme un signe de dilection et comme un message politique général très clair60. Neuf ans plus tôt, comme on l’a vu, l’ouverture par Clément V d’une enquête infamante sur une série de crimes imputés à Castanet par ses ennemis d’Albi, puis le déplacement clairement vexatoire de ce dernier au siège du Puy, avaient constitué un revers marquant pour le parti inquisitorial. Cette élévation était une réhabilitation spectaculaire du bénéficiaire, qui se trouvait soudain propulsé aux sommets de l’Église depuis le siège épiscopal de peu d’importance où il avait été relégué, mais aussi le signal d’un retournement de faveur pour la cause dont il avait été et demeurait une incarnation.
27La chasse aux hérétiques en Languedoc, bien sûr, ne rencontra pas plus d’obstacle sous Jean XXII qu’au cours des années qui avaient précédé son élection, après l’apaisement des relations entre la papauté et le roi de France à l’été 1308. Les évêques, dont Multorum querela imposait l’accord pour toute procédure menée dans leurs diocèses, n’étaient nullement enclins à créer des difficultés (leur autonomie à l’égard du Siège apostolique et leurs solidarités avec les sociétés locales étant bien moindres qu’au siècle précédent). Ils prirent l’habitude de déléguer des représentants auprès des inquisiteurs pour éviter tout ralentissement et la répression poursuivit son cours sans anicroche. L’enjeu d’ensemble, cependant, n’était plus la sauvegarde d’une foi catholique menacée de subversion générale (s’il l’avait jamais été vraiment, chose fort douteuse… mais c’est une autre affaire). Des vaudois circulaient bien encore ; des béguins entrèrent certes en dissidence, dans le sillage des franciscains spirituels, contre un pape qu’ils assimilaient à l’Antéchrist61. Mais la dissidence des « bons hommes » ou « bons chrétiens amis de Dieu » et de leurs « croyants » – que l’on a pris l’habitude d’appeler improprement « catharisme » et que Bernard Gui désignait comme « hérésie néo-manichéenne » – était déjà vaincue62. Peire Authié, le dernier « hérétique accompli » à avoir été en mesure d’animer un semblant de vie communautaire clandestine, avait été envoyé au bûcher par Bernard Gui et Geoffroy d’Ablis à Toulouse en 131063. Il n’y avait plus d’activité significative d’aucun « bon homme » hérétique en Languedoc. Aussi l’activité de l’Inquisition atteignait-elle à la quintessence de son objet : il s’agissait d’imposer l’absolue domination de l’Église romaine.
28D’où l’élargissement de la notion d’hérésie à toute sorte de croyances et de comportements non conformistes ou contestataires, comme on le constate de la part de l’évêque de Pamiers Jacques Fournier dans ses procès d’inquisition, entre 1318 et 132564. D’où la nécessité, surtout, de frapper les individus dénoncés au cours des procédures du passé mais jamais inquiétés, faute de temps ou de moyens. Jusqu’en 1329, les inquisiteurs condamnèrent ainsi plusieurs dizaines de Languedociens, parfois de façon posthume, pour des faits d’hérésie vieux de 20, 30 ou même 40 ans, attestés par d’anciens procès-verbaux soigneusement enregistrés65. Une copie des procès d’Albi dirigés par Bernard de Castanet en 1299-1300, par exemple, avait été conservée par ce dernier jusqu’à sa mort, puis confiée à son exécuteur testamentaire. L’historien Célestin Douais, qui a pu accéder à la collection privée où ce manuscrit était conservé à la fin du xixe siècle, a transcrit la note écrite de la main de Bernard Gui lui-même au verso du folio de garde, dont voici une traduction :
« Ce sont les actes rédigés sur papier que le seigneur Bernard de Castanet, d’heureux souvenir et de digne mémoire, jadis évêque d’Albi, ensuite du Puy, et cardinal-évêque de Porto, avait avec lui au temps de sa mort, et le révérend père le seigneur Nicola, cardinal-évêque d’Ostie, son exécuteur testamentaire, les a pris sous sa garde ; et le très saint père et seigneur le pape Jean XXII a ordonné et mandé au susdit seigneur d’Ostie par l’intermédiaire du seigneur Jacques, évêque de Lodève, son confesseur, de me les remettre et transmettre, à moi, frère Bernard Gui, inquisiteur de Toulouse, de façon à ce que je les aie et les conserve pour l’office de l’Inquisition et des inquisiteurs de Toulouse et de Carcassonne ; et je les ai ainsi reçus du susdit seigneur d’Ostie, en présence du susdit évêque de Lodève et de quelques autres familiers du même seigneur d’Ostie, sur ordre et mandement de notre susdit seigneur le pontife suprême, la semaine de l’Ascension du Seigneur, à Avignon, l’an du Seigneur 1319 ; et de cela le susdit seigneur d’Ostie a fait dresser au même lieu un acte public par son notaire66. »
29Cette copie, avec d’autres archives, servit à identifier d’anciens « amis » des hérétiques en Albigeois et contribua aux preuves contre eux dans des procédures d’abord menées par Bernard Gui jusqu’à sa sortie de charge en 1323 (et conservées dans son Livre des sentences) puis par son successeur à la tête de l’Inquisition de Toulouse Henri de Chamay de 1324 à 1329 (et parvenues jusqu’à nous dans la Collection Doat)67.
30Pour affirmer l’emprise totale de l’ordre théocratique, il fallait en outre faire triompher l’Inquisition elle-même – sa clef de voûte – après les affronts qu’elle avait naguère endurés sans réponse adéquate. La réaction annoncée par la promotion cardinalice de Castanet eut ainsi pour cible non pas tant les hérétiques, devenus si rares, que les hereticales dont Bernard Gui et Geoffroy d’Ablis avaient déploré les méfaits dans leur mémoire Supplicant sanctitati, autrement dit ceux qui avaient osé s’opposer à la toute-puissance inquisitoriale. Logiquement, cette réaction porta d’abord contre ceux qui avaient été les premiers à agir collectivement en « hérétisants », les Carcassonnais, et contre leur guide frère Bernard Délicieux.
Bernard Délicieux et les « empêcheurs » de Carcassonne
31Après son désengagement forcé au temps de Clément V, le frère Mineur avait endossé une autre cause minoritaire, celle des Spirituels de son ordre. Le 23 mai 1317, à la tête des franciscains dissidents de Narbonne et de Béziers venus comparaître à la Curie, il employait son éloquence à les défendre devant Jean XXII en consistoire. Ses adversaires – parmi lesquels, probablement, le cardinal Castanet – mirent alors en cause son droit à être entendu, en rappelant ses méfaits passés contre l’Inquisition68. Il fut arrêté le surlendemain69. La persécution des Spirituels commençait, qui fit allumer un premier bûcher de quatre frères un an plus tard. Mais Jean XXII jugea opportun de poursuivre Bernard Délicieux pour ses anciennes offenses aux dominicains de l’Inquisition plutôt que pour celles récemment faites aux dirigeants franciscains70. L’une des deux listes d’accusations finalement retenues contre lui, centrée sur les événements d’Albi en 1301-1304, pourrait avoir été rédigée par ou en collaboration avec Bernard de Castanet71. Le cardinal-évêque de Porto mourut au mois d’août 1317, tandis que la procédure contre son vieil opposant ne commença pas, semble-t-il, avant le début de l’année suivante72.
32Les mesures concrètes pour la revanche de l’Inquisition mirent en effet quelque temps à venir : à part la capture de Bernard Délicieux (qui s’était jeté dans la gueule du loup et attendit ensuite son procès pendant de longs mois), rien ne semble avoir été entrepris dont on ait gardé trace pour une date antérieure à 1318. Encore cette année-là vit-elle seulement le début des opérations. Donna-t-on une priorité à la répression du mouvement des Spirituels et à d’autres affaires – comme les procès d’Hugues Géraud et Robert de Mauvoisin73 ou l’enquête relative au trésor pontifical dispersé à la mort de Clément V74 ? Quoi qu’il en soit, il n’y eut pas de hâte particulière. Les préparatifs furent menés avec soin. On prit tout le temps nécessaire pour collecter dans les archives et par audition de témoins les informations qui permettraient, dix à vingt ans après les faits, d’établir les responsabilités et d’identifier les coupables survivants. L’absence de l’inquisiteur de Toulouse Bernard Gui, parti représenter le Siège apostolique en Lombardie au début de l’année 1317, puis en Île-de-France, contribua sans doute à ralentir les choses75. De même la vacance de l’office d’inquisiteur à Carcassonne, dont le titulaire, Geoffroy d’Ablis, était mort à Lyon en septembre 1316. On ne sait pas exactement quand son successeur, Jean de Beaune, entra en fonction, mais le plus ancien acte conservé qui témoigne de son activité – une sentence posthume pour la crémation des ossements d’un hereticus impenitens de Limoux – n’est pas antérieur à décembre 131876. À ma connaissance, la première trace de règlement de comptes avec les hereticales, exception faite du cas Bernard Délicieux, remonte au 30 mars 1318. Ce jour-là, le pape manda « aux inquisiteurs de la région de Carcassonne », sans citer leurs noms, de procéder contre Aymeric Castel et d’autres qui avaient dénoncé avec lui, à partir de 1304, des « procès iniques et contraires à la justice » faits par le tribunal de la foi de Carcassonne. Lors de l’inspection des geôles inquisitoriales en 1306, ces représentants de la ville avaient obtenu la protection de Pierre de La Chapelle-Taillefert et de Bérenger Frédol – protection confirmée par Clément V lui-même en 130977. Dans son mandement, Jean XXII accusait Aymeric et ses comparses d’avoir négligé de procéder plus avant, de manière à faire durer cette immunité abusivement, et déclarait cette dernière caduque. Il recommandait clairement des poursuites, mais ne précisait pas plus en quoi devait consister en l’occurrence pour les inquisiteurs la « diligente exécution du devoir de leur office78 ».
33On connaît mal le déroulement des procédures contre Bernard Délicieux : seul un assemblage d’extraits des procès-verbaux nous est parvenu, dont l’ordre n’est pas clair. Les dates d’audience mentionnées dans les documents issus de l’enquête préliminaire sont le 8 février 1318 (ou, moins vraisemblablement, 1319) – l’accusé est alors interrogé sur les articles 10 à 3179 –, le 26 juin 1318 – peut-être la suite de l’interrogatoire après plus de 4 mois d’interruption, puisque les articles 32 à 60 sont alors en cause80 –, puis les 12 et 15 juillet 131881. Il ne subsiste pas de trace d’aucune procédure menée dans les mois suivants. Au moment de l’audience suivante, le 7 mars 131982, le passage à l’action générale pour venger les outrages à l’Inquisition avait commencé.
34D’abord à Carcassonne, où, quelque temps plus tôt – sans doute fin 1318 ou début 1319, le nouvel inquisiteur Jean de Beaune avait ordonné l’exhumation et la crémation des restes de Castel Fabre. Ce riche bourgeois mort en 1278 avait été condamné de façon posthume pour crime d’hérésie par l’inquisiteur de l’époque, Nicolas d’Abbeville83. L’affaire avait été l’occasion d’une série d’épisodes de contestation. Vers 1297, certains Carcassonnais avaient porté un appel contre la sentence inquisitoriale devant Boniface VIII, en vain84. Bernard Délicieux avait relancé cet appel en 130085. Jean de Beaune rouvrit donc la cause afin de mieux la clore en donnant le dernier mot, cette fois, au tribunal de la foi. Pour marquer la victoire finale, il fallait mettre à exécution dans toute sa violence symbolique – déterrer un mort et le brûler – une décision de justice dont le défaut d’application avait été marque d’impuissance. Cependant le mélange des restes de Castel Fabre avec ceux d’autres défunts inhumés comme lui dans le cimetière des Mineurs de Carcassonne rendait une telle opération impossible. Les franciscains du couvent avaient naguère soutenu leur lecteur Bernard Délicieux et les descendants du condamné lors de l’appel au pape ; ils furent accusés auprès de Jean XXII d’avoir empêché la crémation nouvellement ordonnée en dispersant les ossements. Après enquête, le pape les disculpa de tout impedimentum par une lettre datée du 15 mars 1319 (c’est le seul document à nous renseigner sur la réouverture et le dénouement de l’affaire). On avait pu établir, selon cette lettre, que la dispersion des restes était intervenue bien avant la sentence prononcée (à une date non spécifiée) par Jean de Beaune86.
35La levée d’immunité assortie d’un encouragement à procéder contre Aymeric Castel et ses compagnons, le 30 mars 1318, et les dispositions au sujet des restes de Castel Fabre prises peu après participaient bien sûr d’un même mouvement de représailles. Aymeric n’était autre, en effet, que le fils de Castel Fabre87. Quelques années avant son action comme procureur des Carcassonnais dans leurs démarches contre les inquisiteurs, il avait lui-même porté l’appel de 1297 contre la condamnation de son père.
36Faute de document, les historiens en sont restés aux hypothèses sur les autres sanctions subies par les « hérétisants » de Carcassonne. Il n’est pas vraisemblable que l’Inquisition se soit contentée, en plus de la sentence concernant Castel Fabre, des deux seuls actes de rétorsion supplémentaires connus : le procès de Bernard Délicieux, déplacé à Carcassonne (septembre-décembre 1319) après l’enquête préliminaire menée en Avignon, et le procès de Guilhem Garric, autre vieil opposant carcassonnais finalement condamné (entre autres pour impedimentum, « entrave à l’office d’inquisition ») en 132188. Henry Charles Lea, par exemple, dans sa monumentale Histoire de l’Inquisition au Moyen Âge (1887), considère que la ville de Carcassonne fit certainement une pénitence collective analogue à celles effectuées à la même époque par les communautés urbaines d’Albi et de Cordes. Deux éléments décisifs, négligés jusqu’ici dans l’historiographie, permettent cependant d’avoir une idée plus précise de la façon dont les choses se déroulèrent.
37Un indice capital est livré dans la Practica Inquisitionis de Bernard Gui. À la fin de la troisième partie de l’ouvrage – laquelle forme avec les deux premières un traité en soi, rédigé semble-t-il au plus tôt en septembre 132289 –, on trouve un « formulaire pour la réconciliation des « empêcheurs » (impeditores) qui se sont opposés à l’office d’inquisition ou aux inquisiteurs de la dépravation hérétique ». Le texte est aussi présenté comme « la manière de réconcilier et de punir » de tels coupables,
« surtout lorsqu’ils ont agi publiquement et notoirement, pour que leur peine publique les désigne comme responsables et soit exemplaire pour les autres et pour qu’il soit pourvu par la suite, à cautèle, à ce que ces mêmes coupables se sentent toujours obligés et ne commettent plus d’actes semblables90 ».
38Quatre étapes sont distinguées : le serment d’obéissance à l’Inquisition prêté par les intéressés en préalable ; leur « abjuration de toute hérésie et de toute croyance aux hérétiques quels qu’ils soient, de toute faveur à eux accordée, de toute prise de parti à leurs côtés ou de toute défense à leur bénéfice91 » ; l’absolution des excommuniés ; enfin l’annonce des pénitences. Pour l’absolution, le texte décrit les cérémonies liturgiques à célébrer en premier lieu, donne la teneur de la formule à prononcer ensuite par l’inquisiteur, puis s’attarde à quelques considérations sur le lieu adéquat pour tout ceci. Enfin, Bernard Gui recommande de lire une liste mise en formes officielles de toutes les fautes commises par chacun des coupables. Selon sa méthode habituelle, il donne immédiatement un exemple, dans lequel les parties prenantes sont d’abord désignées par un « N. » anonyme :
« Au nom du Seigneur, amen. Comme nous, untel ou untel N., inquisiteur de la dépravation hérétique, le constatons légitimement en jugement, jadis untel N., de tel lieu, et untel N., de tel lieu, ont osé s’opposer publiquement aux inquisiteurs de la dépravation hérétique, attaquant leurs procès et sentences et les punitions et condamnations faites par eux en justice et conformément au droit canonique… »
39Le texte énumère ensuite toute sorte d’entreprises répréhensibles menées contre les inquisiteurs. Seule la dernière est décrite avec la mention d’un nom de lieu :
« Item, ils ont fait en sorte que et consenti à ce que la ville de Carcassonne, alors qu’elle était en paix et tranquillité avec les inquisiteurs, s’agite et se soulève contre ces derniers et contre leur office ; et les maisons de nombreuses personnes ont été détruites en haine de l’office d’inquisition et des dommages infligés à et des atteintes au droit commises contre de nombreuses personnes qui se tenaient avec les inquisiteurs ; et de nombreux maux et de graves scandales s’en sont suivis et l’office d’inquisition fut perturbé longtemps et de nombreuses manières92. »
40La suite est plus spécifique encore, puisqu’elle se réfère directement à un épisode mémorable :
« Item, ils ont fait en sorte que et consenti à ce que des condamnés pour crime d’hérésie soient soustraits et ces derniers ont été soustraits ou sortis du mur et des prisons des inquisiteurs à Carcassonne par la puissance séculière, par la menace et la terreur, et ces condamnés ont été longtemps détenus dans la cité de Carcassonne, malgré les plaintes des inquisiteurs et à l’encontre de leur volonté93. »
41On reconnaît les événements du mois d’août 1303, point d’orgue du soulèvement contre les inquisiteurs. La « puissance séculière » ici mise en cause avait été incarnée par le réformateur royal Jean de Picquigny, finalement frappé d’excommunication par Geoffroy d’Ablis pour son rôle dans l’assaut donné au « mur ».
42Avant d’être inséré dans la Practica Inquisitionis à titre de modèle, cet acte fut-il un document authentique ? L’ensemble du « formulaire pour la réconciliation des “empêcheurs” » reprend-il le procès-verbal de cérémonies effectivement organisées à Carcassonne vers 1318-1320, dont toute autre trace aurait disparu ? On peut le penser (même si l’hypothèse ne doit pas être entièrement écartée d’un projet mis en forme avec la rédaction de ce texte, sans qu’il ait été mis à exécution). Les exemples sont nombreux d’actes effectivement promulgués, puis repris par l’inquisiteur de Toulouse comme exemples dans son Manuel. Et les dispositions ici décrites peuvent parfaitement correspondre à ce « devoir de leur office » que Jean XXII, dans son mandement du 30 mars 1318, enjoignait aux « inquisiteurs de la région de Carcassonne » d’« exécuter diligemment » en procédant contre Aymeric Castel et ses compagnons, désormais privés de leur immunité. De ce « devoir », le pape disait seulement qu’il devait être accompli « selon le modèle à vous transmis (forma vobis tradita) et selon les sanctions canoniques et avec le conseil des experts94 ». La forma tradita pourrait bien désigner une procédure spécialement conçue (par Bernard Gui ou par d’autres) pour le cas d’Aymeric et des autres hereticales carcassonnais. Dans cette dernière éventualité, le formulaire recopié dans la Practica Inquisitionis pourrait avoir d’abord été envoyé aux représentants de l’Inquisition à Carcassonne pour guider leur action. Bernard Gui lui-même pourrait avoir dirigé les opérations sur place, si la charge d’inquisiteur dans la ville était encore vacante (comme le laissent penser le pluriel et l’indétermination dans l’adresse du mandement pontifical « aux inquisiteurs de la région »). Gui revint dans le Midi au printemps 1318 après sa mission pontificale en Italie ; il partit pour l’Île-de-France en septembre suivant95. Entre-temps, il présida peut-être aux sanctions contre les « empêcheurs » de Carcassonne, qu’il avait d’ailleurs vus à l’œuvre en leur temps, lorsque lui-même était prieur des dominicains de la ville96… Mais d’autres peuvent aussi bien avoir accompli cette besogne. Dans sa Practica, Gui ne s’interdit pas d’insérer des actes promulgués par des tribunaux auxquels il n’a pas siégé – il reprend ainsi (mais sans nom propre) de larges pans de la sentence finale contre Bernard Délicieux97. On peut s’étonner, toutefois, de ne trouver aucune trace des procédures contre les impeditores carcassonnais dans son Livre des sentences, une compilation de décisions émises tout au long de sa carrière (1308-1323)98. Même si Gui n’intervint pas en personne à Carcassonne, de tels documents auraient très bien pu être repris dans cette compilation, puisqu’on y trouve une copie de la sentence contre Bernard Délicieux99.
43Un second élément accrédite l’idée d’une pénitence imposée à certains Carcassonnais selon les modalités données dans la section « réconciliation des impeditores » de la Practica Inquisitionis – et non pas exactement sous la forme utilisée au même moment pour les villes d’Albi et de Cordes dans leur ensemble, à l’encontre de l’hypothèse avancée par Henry Charles Lea. Albi et Cordes furent réconciliées comme « universités urbaines », c’est-à-dire en tant que communautés constituées en personnes morales. Les procès-verbaux dressés à ces occasions dans les deux villes par Jean de Beaune et Bernard Gui ont été conservés100. On en trouve d’ailleurs le modèle dans la Practica Inquisitionis, juste après la section consacrée aux impeditores, sous la rubrique « formulaire pour la réconciliation d’une université ou communauté de cité, de ville ou bourg fortifié qui s’est opposée aux inquisiteurs101 ». Aucune cérémonie de ce type, en revanche, ne put assurément être effectuée à Carcassonne… tout simplement parce que la ville en était déjà passée par là vingt ans plus tôt. En 1299, l’inquisiteur Nicolas d’Abbeville avait en effet pensé mettre un terme à l’agitation locale en obtenant des bourgeois, après d’âpres négociations, qu’ils se soumettent à une procédure collective de pénitence et de réconciliation avec lui, son tribunal et toute l’Église romaine102. Or, dans la logique du droit canonique, il était impossible de renouveler une telle opération. La cérémonie avait en effet inclus non seulement un serment, mais aussi une abjuration effectués l’un et l’autre collectivement. Recommencer vingt ans plus tard, c’eût été reconnaître que la ville avait entre-temps contrevenu à ses premiers engagements, qu’elle s’était ainsi faite parjure et même éventuellement relapse… ce qui l’aurait rendue indigne de réconciliation et, bien au contraire, passible d’un châtiment irrémissible pour crime d’hérésie. C’eût été aussi, si l’on passait outre à cette contradiction juridique insoluble, reconnaître le peu d’astreinte entraîné de facto par la cérémonie – par sa première édition, mais aussi nécessairement, du fait du précédent, par la seconde ! Les implications de l’abjuration collective, notons-le au passage, avaient contribué à susciter un nouveau soulèvement à Carcassonne au début du siècle. Au cours d’un sermon incendiaire, le 4 août 1303, Bernard Délicieux avait affolé les bourgeois en dénonçant le piège dans lequel, selon lui, l’Inquisition les avait attirés quatre ans plus tôt : puisque les consuls, lors de la réconciliation, avaient dû au nom de la ville entière abjurer officiellement l’hérésie (à laquelle le soutien aux hérétiques était tendanciellement assimilé, comme on le verra plus loin), ils avaient livré tous les habitants pieds et poings liés à la volonté des inquisiteurs en les exposant pour toute leur vie, sur la moindre accusation, à la justice expéditive réservée aux relaps103 ! Ce raisonnement, justifié ou non104, avait joué un rôle majeur dans le déclenchement de l’insurrection qui aboutit à l’assaut au mur de l’Inquisition.
44Pour faire payer à Carcassonne sa rébellion des premières années du xive siècle tout en agissant de façon conséquente au plan juridique, il aurait donc fallu non pas réconcilier, mais châtier durement la ville. Jean XXII ne souhaitait pas s’engager dans cette voie, car elle aurait impliqué une confrontation très difficile avec le pouvoir Capétien. Ce dernier, de son côté, avait déjà imposé un châtiment mémorable à Carcassonne en punition d’un complot ourdi en 1304, lorsque certains opposants à l’Inquisition, faute d’avoir obtenu satisfaction auprès de Philippe le Bel, avaient offert la domination sur la région à l’infant de Majorque105. Quinze meneurs avaient été pendus dès 1305106 (mais pas Aymeric Castel, qui avait refusé de tremper dans la trahison)107. Une amende avait été infligée ; le consulat avait été supprimé ; mais bientôt la levée des sanctions avait scellé la réconciliation avec Philippe le Bel108. Son successeur Philippe V n’aurait pas accepté l’imposition d’un nouveau châtiment, inopportun de son point de vue et synonyme, en outre, d’une intervention trop radicale – souveraine, pour ainsi dire – de l’autorité d’Église contre une communauté de son royaume. Jean XXII, de son côté, n’avait pas intérêt à faire renaître dans le Midi un conflit entre juridictions royale et pontificale sur fond de tensions entre l’Inquisition et les populations locales. Une telle politique, sous Boniface VIII, avait coûté fort cher à l’Église romaine. Les leçons de son échec étaient tirées.
45La seule solution pour bien marquer la victoire de l’Inquisition à Carcassonne consistait donc à imposer des réconciliations individuelles aux « empêcheurs » survivants, quand bien même les méfaits qui leur étaient reprochés avaient été commis collectivement. Si elle ne mettait pas formellement en cause l’université urbaine, la cérémonie qui fut probablement organisée n’en fut pas moins collective : comme tout « sermon » des inquisiteurs, elle regroupa les intéressés pour promulguer leurs sentences en série. Et surtout, ce fut une cérémonie publique (ce que la forma proposée dans la Practica inquisitionis recommandait)109.
46Dans le même esprit, toute la publicité requise fut donnée, à Carcassonne, à la condamnation de Bernard Délicieux. Le 8 décembre 1319, la sentence finale fut proclamée – et suivie du spectacle de la dégradation solennelle du coupable110 – devant une très grande foule (multitudo quasi infinita)111 assemblée sur la place du marché du bourg.
Annexe
Annexe 1. [1316, 5 septembre – 18 décembre]112. – [Avignon]
[Le pape Jean XXII] accepte les excuses que l’évêque du Puy B[ernard de Castanet] lui a fait parvenir pour n’avoir pu se rendre en sa présence au moment de son avènement, se réjouit d’apprendre son début de guérison, lui recommande de garder le repos pendant sa convalescence et lui annonce qu’il entend le promouvoir, en temps voulu, lorsqu’il saura ce que l’intéressé juge le plus convenable pour lui-même.
R1. AAV, Registra Vaticana 109, cap. 29, fo 6, sous la rubrique Responsalis episcopo Aniciensi super excusatione sua. – R2. AAV, Registra Vaticana 110/1, cap. 334, fo 104 [93].
a. Coulon, Jean XXII, no 106.
Indiqué : Théry Julien, « Les Albigeois », p. 46 et n. 119.
Venerabili fratri B[ernardo], episcopo Aniciensi.
Fraternitatis tue litteras nuper nobis presentatas benigno affectu suscepimus et, intellecto per eas qualiter misericors Dominus te diebus istis pro sue beneplacito voluntatis sic in juncturis affligi permisit, quod nostram in hac nostre promotionis novitate nequivisti juxta conceptum desiderium visitare presentiam, compassi fuimus pacienti tuamque(a) devotionem habuimus et habemus a visitatione hujusmodi merito excusatam.
Sane, frater, congaudentes tibi quod, ut scripsisti, morbi viribus(b) decrescentibus paulative arridere tibi votive sanitatis inditia senciebas, Illius qui opus imperfectionis non novit et qui sicut percutit sic medetur misericordiam suppliciter imploramus(c) ut, ipsius morbi reliquiis prorsus abolitis, plene tibi dignetur concedere beneficium sospitatis ; set et illud tibi paternis affectibus suademus quod in convalescentie ipsius initio repentinis te non exponas laboribus, set indulgeas oportune quieti, ne membra incaute exposita laborioso discrimini forsitan relabantur.
Ceterum, continuantes ad personam tuam eum quem ad te gerebamus dum nos minor status haberet solide dilectionis affectum, oportunitatibus tuis intendimus suo tempore benigne prospicere, dummodo sciamus quam regionem tibi reputabis abilius(d) adjacere(e).
(a) tuam dans l’interligne, au-dessus de caraque, les quatre premières lettres de ce mot étant soulignées pour annulation R1. itaque R2. – (b) ri au-dessus d’un s souligné pour annulation R1. – (c) exoramus R2. – (d) habilius R2. – (e) suivi de Datum et cetera R2
Annexe 2. 1316, 20 décembre. – Avignon
Le pape Jean [XXII] confère en commende à Bernard [de Castanet], nouvellement nommé cardinal-évêque de Porto et Sainte-Rufine, le siège épiscopal du Puy, dont il était déjà titulaire. Lettre adressée au bénéficiaire, au doyen et au chapitre cathédral du Puy ainsi qu’au roi de France Philippe [V le Long].
E. France, Paris, Archives nationales de France, J 705/195. Expédition au roi de France.
R. AAV, Registra Avinionensia 4, fo 387 vo-388 (lettre cancellée, probablement après la confection de la copie S).
S. Copie du milieu du xive siècle, AAV, Registra Vaticana 64, cap. 1376, fo 138, d’après R.
Indiqué : GC, II, c. 722 ; Garampi, t. 59, fo 68 ; Mollat, Jean XXII, no 2294 ; Coulon, Jean XXII, n. 1, c. 87 ; Eubel, Hierarchia, op. cit., p. 91, n. 12 ; Caillet, La papauté, p. 115, n. 444 ; Barbiche, Les actes, III, n. 2494 (d’après E).
Johannes et cetera, venerabili fratri Bernardo, Portuensi et Sancte Ruffine episcopo, salutem et cetera.
Dum attente conspicimus quod in sinu sancte Romane matris ecclesie fratres nostri ejusdem ecclesie cardinales, submissis humeris ad regendum universalis Ecclesie firmamentum, assistendo nobis operosa sedulitate laborant et tam ipsius ecclesie quam orbis incumbencia onera nobiscum indefessis solicitudinibus partiuntur, decens reputamus et debitum ut ipsa mater(a) ecclesia, que extraneis et ignotis providere consuevit, interdum eisdem cardinalibus tanquam peculiaribus filiis ac columpnis mundi sublimibus atque precipuis manum liberalitatis aperiat eosque in necessitatum(b) angustiis arescere non permittat.
Sane nuper, pensantes debilitati(c) nostre in injuncto nobis apostolatus officio supra vires imminere(d) negocium, ad cooperandum nobis in spiritualis executione regiminis viros ydoneos deliberavimus providendos, inter quos ad personam tuam(e), quam virtutum Dominus multis virtutibus insignivit, considerationis convertentes intuitum(f), deliberatione cum fratribus nostris inde prehabita, de ipsorum consilio te(g) tunc Aniciensem episcopum ad ministerium hujusmodi cooperationis elegimus(h) et de plenitudine potestatis a vinculo quo tenebaris(i) Anitiensi ecclesie absolventes de persona tua(j) eisdem Portuensi et Sancte Ruffine(k) ecclesiis, per assumptionem nostram ad predictum apostolatus officium tunc vacantibus(l), duximus providendum.
Verum provide attendentes quod, licet per id premineas(m) cardinalatus honore(n), ad portandum tamen onera expensarum que propter status altitudinem te(o) jugiter oportebit de neccessitate(p) subire decenti non affluis(q) habundancia facultatum, cum episcopatus Portuensis et Sancte Ruffine(r) absenti, sicut nos ipse probavimus, modici, immo(s) quasi nullius valoris existat, ac reputantes incongruum ut aliqua premaris(t) inopia tanta preditus dignitate, volentes etiam quod eadem Aniciensis ecclesia, quamvis sit pastoris destituta solatio, utilis non careat presidio defensoris, de(u) probitate tua(v), per cujus solertem industriam ecclesia ipsa evidencia et grandia tui(w) regiminis tempore suscepit in spiritualibus et temporalibus incrementa, plenam in Domino(x) fiduciam obtinentes ac supponentes indubie quod per dictam(y) tibi(z) a Deo prudenciam ac tue(a’) preminenciam(b’) dignitatis, cum sint manus longe potentibus, absens poteris(c’) presentia(d’) in ipsa ecclesia redolere, ut simul persone provideamus et loco, dictam Aniciensem ecclesiam auctoritate tibi presentium commendamus(e’), curam et administrationem illius plenam et liberam tibi(f’) in spiritualibus et temporalibus comitentes(g’) usque ad apostolice Sedis beneplacitum exercendam, alienandi seu distrahendi quomodolibet quicquam de bonis immobilibus ipsius Aniciensis ecclesie facultate tibi(h’) penitus interdicta.
Quocirca fraternitati tue per apostolica scripta mandamus quatinus, pro nostra et dicte Sedis reverencia(i’) onus hujusmodi prompta devotione suscipiens, curam et administrationem predictam sic fideliter et prudenter, Deum habendo pre oculis(j’), excercere(k’) procures, quod exinde(l’) ab eo qui nullum bonum irremuneratum preterit, nullum malum deserit impunitum, eterne beatitudinis premia consequi valeas et jamdicte Sedis favorem et gratiam uberius promereri.
Datum Avinioni, XIII kalendas januarii, anno(m’) primo.
In eundem modum dilectis filiis decano et capitulo Anitiensibus, salutem et cetera. Dum attente conspicimus et cetera ut supra usque interdicta. Quocirca universitati(n’) vestre per apostolica scripta mandamus quatinus eidem episcopo curam et administrationem hujusmodi excercenti(o’) tanquam patri et pastori animarum vestrarum obedienciam et reverenciam debitam exhibere(p’) curetis, ejus salubrius(q’) monitis et mandatis efficaciter intendentes, ita quod ipse in vobis devotionis filios et vos consequenter in eo patrem gaudeatis invenisse benignum, alioquin sententiam quam ipse propter hoc rite tulerit in rebelles ratam habemus(r’) et faciemus, actore Domino, usque ad satisfactionem condignam inviolabiliter observari. Datum ut supra.
In eundem modum carissimo in Christo filio Philippo113 regi Francorum illustri, salutem et cetera. Dum attente conspicimus et cetera ut supra usque interdicta. Quocirca serenitatem regiam monemus, rogamus et hortamur(s’) attente quatinus, eundem episcopum, quem veluti nobile membrum(t’) Ecclesie favore speciali prosequimur, ac ministros ipsius necnon ipsam Aniciensem ecclesiam habens pro nostra et apostolice Sedis reverencia propensius commendatos, sic te illis benignum et favorabilem prebeas, ipsos regali benivolencie gratia prosequendo(u’), quod idem episcopus ejusque ministri, tuis circumfulsi presidiis, comissam(v’) ei curam et administrationem hujusmodi facilius et efficacius, cooperante Domino, prosequatur(w’), nosque proinde magnitudinem regiam dignis in Domino laudibus attollamus. Datum ut supra.
(a) ut ipsa mater] in ipsa matri S. – (b) neccessitatum S. – (c) debilitatis S – (d) iminere S. – (e) venerabilis fratris nostri Bernardi, Portuensis et Sancte Rufine episcopi E. – (f) précédé de virtutum, barré R. – (g) dictum Bernardum E. – (h) précédé du même mot, barré R. – (i) tenebatur E. – (j) sua E. – (k) Rufine E. – (l) dans l’interligne R. – (m) précédé du même mot, barré R. pre-mineat E. – (n) précédé de honorem, barré R. – (o) ipsum E. – (p) necessitate E. – (q) affluat E. – (r) Rufine E. – (s) ymo S. – (t) prematur E. – (u) précédé du même mot, barré S. – (v) dans l’interligne R. sua E. – (w) sui E. – (x) in Domino dans l’interligne R. – (y) sic RS, corriger datam avec E. – (z) sibi E. – (a’) tuam S. sue E. – (b’) preheminentiam E. – (c’) poterit E. – (d’) m final barré R. presentiam E. – (e’) auctoritate tibi presentium commendamus] per alias nostras licteras sibi duximus commendandam E. – (f’) sibi E. – (g’) commictentes SE. – (h’) sibi E. – (i’) précédé de reser, barré R. reverenciam S. – (j’) occulis S. – (k’) exercere S. – (l’) précédé du même mot, barré R. – (m’) précédé de pontificatus nostri E. – (n’) précédé de dis, barré R. – (o’) exercenti S. – (p’) précédé de exhibenciam, barré R. exibere S. – (q’) sic RS, comprenez salubribus – (r’) sic pour habebimus RS – (s’) ortamur S. – (t’) menbrum E. – (u’) s final effacé R. prosequendos S. – (v’) commissam SE. – (w’) sic RSE, comprenez prosequantur.
Notes de bas de page
1Je remercie vivement Martine Ostorero et Sylvain Parent pour leur travail et leur patience d’éditeurs, ainsi qu’Alexis Charansonnet pour ses relectures et conseils avisés concernant les traductions du latin.
2Hauréau Barthélémy, « Bernard Délicieux et l’inquisition albigeoise », Revue des deux mondes, no 75, 1868, repris et remanié dans id., Bernard Délicieux et l’inquisition albigeoise (1300-1320), Paris, 1877, rééd. (sans le texte original des pièces annexes, mais avec leur traduction par Duvernoy Jean, Portet-sur-Garonne, Loubatières, 1992 ; Lea Henry Charles, A History of the Inquisition of the Middle Ages, New York, Harper & Brothers, 1887 (trad. fr. Reinach Salomon, Histoire de l’Inquisition au Moyen Âge, Grenoble, Jérôme Millon, 1990), II, en particulier p. 59-104 ; Vidal Jean-Marie, Un inquisiteur jugé par ses « victimes » : Jean Galand et les Carcassonnais (1285-1286), Paris, 1903 ; Guiraud Jean, Histoire de l’Inquisition au Moyen Âge, Paris, Picard, 1935-1938, 2 vol., II, chap. 11, 12 et 13, p. 303-378 ; Dmitriewski Michel de, « Fr. Bernard Délicieux, OFM : sa lutte contre l’Inquisition de Carcassonne et d’Albi, son procès, 1297-1319 », Archivum francescanum historicum, no 17, 1924, p. 183-218, 313-337, 457-488, et 18, 1925, p. 3-32 ; Biget Jean-Louis, « Autour de Bernard Délicieux : franciscanisme et société en Languedoc entre 1295 et 1330 » (1984), dans id., Église, dissidences et société dans l’Occitanie médiévale, Lyon, Avignon, CIHAM Éditions, 2020, p. 887-908 ; Friedlander Alan, The Hammer of the Inquisitors: Brother Bernard Delicieux and the Struggle Against the Inquisition in Fourteenth-Century France, Leyde/Boston, Brill, 2000. Voir aussi Théry Julien, « Les Albigeois et la procédure inquisitoire : le procès pontifical contre Bernard de Castanet, évêque d’Albi et inquisiteur (1307-1308) », Heresis, no 33, 2000, p. 7-48 ; id., « L’hérésie des bons hommes. Comment nommer la dissidence religieuse non vaudoise ni béguine en Languedoc ? (xiie siècle-début du xive siècle) », Heresis, no 36-37, 2002, p. 75-117 ; Hill Derek, « Inquisition and Popular Pressure in the Languedoc », in Peter Darby, Rob Lutton et Claire Taylor (éd.), Heretical Self-Defence in Late Antiquity and the Middle Ages, Turnhout, Brepols, 2019, p. 95-110.
3Kieckhefer Richard, « The Office of Inquisition and Medieval Heresy: the Transition from Personal to Institutional Jurisdiction », Journal of Ecclesiastical History, no 46/1, 1995, p. 36-61, aux p. 53-54 en particulier.
4La nature exacte de la fonction inquisitoriale au temps de son émergence n’a peut-être pas encore été suffisamment examinée. Dans les lettres pontificales de l’époque, la notion d’officium inquisitionis est assez rare ; elle semble apparaître dans des textes concernant le Midi en 1234 et 1236 (Auvray Lucien, Les registres de Grégoire IX, Paris, 1890-1955, no 2218, 3126 et 3127).
5Ce que Richard Kieckhefer a bien vu (ibid., p. 53-54), avant qu’Alan Friedlander (The Hammer of Inquisitors, op. cit.) n’y insiste.
6Bibliothèque nationale de France, Collection Doat 30 [dorénavant cité Doat 30], fo 90-132, au fo 91 : « Gravamina contenta in decretali “Multorum quaerela”. Supplicant sanctitati vestrae devoti et humiles filii inquisitores Tholosani et Carcassonenses haereticae pravitatis quathinus placeat benignitati et circumspectae providentiae apostolicae videre et providere officio Inquisitionis ejusdem haereticae pravitatis quantum ad quaedam inconvenientia et retardantia ac inpedientia liberi cursum officii Inquisitionis praefatae quae continentur in duabus novis constitutionibus felicis recordationis domini Clementis papae quinti, quarum tenor unius incipit “Multorum Quaerela”, alterius vero “Nolentes splendore”. » Le document, dont je prépare l’édition et la traduction, se trouve copié, dans ce volume manuscrit du xviie siècle, entre la quatrième et la cinquième partie de la Practica inquisitionis de Bernard Gui (éd. Douais Célestin, Practica Inquisitionis heretice pravitatis auctore Bernardo Guidonis, Paris, Picard, 1886), l’ensemble étant tiré d’« un volume couvert de carton et d’une basanne, escrit en parchemin, despuis la page marquée du nombre 1 à 163, trouvé aux archives de l’inquisition à Carcassonne ». Sur ce texte, voir Molinier Charles, L’inquisition dans le Midi de la France. Étude sur les sources de son histoire, Paris, Sandoz et Fieschbacher, 1880, p. 36 ; Devic Claude et Vaissète Jean, Histoire générale de Languedoc, éd. Auguste Molinier (dorénavant cité HGL), IX, Toulouse, Privat, 1885, c. 334-337.
7Même si, au milieu du xiiie siècle, des tensions à ce sujet avec la papauté avaient débouché sur une interruption de l’activité inquisitoriale des dominicains pendant quelques années. Les juridictions diocésaines ordinaires avaient alors pris le relais, avant que les inquisiteurs ne soient rétablis dans toutes leurs prérogatives par Alexandre IV en 1255. Voir Dossat Yves, Les crises de l’Inquisition toulousaine au xiiie siècle (1233-1273), Bordeaux, Bière, 1959.
8Sur la place du Midi dans l’histoire de l’association, puis de l’explosion dans les relations entre royauté française et papauté théocratique au xiiie et au début du xive siècles, je me permets de renvoyer à Théry Julien, « Introduction », in Bernard Moreau et Julien Théry (éd.), La royauté française et le Midi au temps de Guillaume de Nogaret, Nîmes, Éditions de La Fenestrelle, 2015, p. 17-24.
9Archives départementales du Tarn, 6 J 42 (vidimus d’actes des administrateurs royaux du temporel épiscopal, placé sous séquestre dès novembre 1301 en gage pour l’amende de 20 000 livres) ; Archives nationales de France, J392/21bis (ordre au sénéchal de Carcassonne, le 27 juillet 1307, de saisir à nouveau le temporel épiscopal faute de paiement de l’amende) ; Fawtier Robert, Registres du Trésor des Chartes. I. Règne de Philippe le Bel. Inventaire analytique, Paris, Imprimerie nationale, 1958, no 745 (accord du roi avec le nouvel évêque d’Albi Bertrand de Bordes pour le paiement de l’amende) ; Mollat Guillaume, Jean XXII : lettres communes, Paris, ÉFR, 1904-1946, no 8075 (dispositions prises en 1318 par Jean XXII pour faire contribuer l’évêque de Castres au paiement de l’amende, toujours pas soldée).
10Voir Friedlander Alan, The Hammer, op. cit., p. 66-103.
11Ibid., p. 104-150 ; HGL, IX, p. 227-229, 256-257 (récit) ; HGL, X, pr., c. 379-386 (documents).
12Lettre du 16 avril 1304 : Vidal Jean-Marie, Bullaire de l’Inquisition française au XIVe siècle et jusqu’à la fin du Grand Schisme, Paris, Letouzey et Ané, 1913, p. 4-6 ; APOSCRIPTA Database – Unified Corpus of Papal Letters (en ligne), [http://telma-chartes.irht.cnrs.fr/aposcripta], désormais citée APO, no 149.
13Voir Hauréau Barthélémy, Bernard Délicieux, op. cit., p. 176, 187-190.
14Éd. Finke Heinrich, Pappstum und Untergang des Templerordens, Münster, Aschendorff, 1907, II, p. 90 : « Verum cum me et inquisicionis negocium hereticales de Carcassesio et Albigesio in Romana Curia diu tenuerint et adhuc detineant impeditum, dominacioni vestre presentibus manifesto me in nullo circa templariorum negocium processisse. »
15Voir Friedlander Alan, The Hammer, op. cit., p. 230-234.
16Douais Célestin, Documents pour servir à l’histoire de l’Inquisition dans le Languedoc, Paris, Imprimerie nationale, 1900, II, p. 308-309 ; APO n. 150 (13 mars 1306) : « Et quia publice utile est scire veritatem an inquisitores bene processerint, ut optamus, an perperam egerint et inique, quod absit, ut quilibet testes venire possint ad testimonium perhibendum, volumus et mandamus quod, dictorum processuum inquisitione pendente vel saltem donec Sedes apostolica aliter duxerit ordinandum, inquisitores heretice pravitatis in illis partibus aut episcopus Albiensis predictus aliquem pro heresis facto captum vel capiendum duro carceri sive arto non tradant nec tormentis exponant nec ad inquisitionem procedant nisi cum diocesano episcopo vel alio bono viro deputato ab eo. »
17Vidal Jean-Marie, Bullaire, op. cit., p. 16, et APO n. 152 (12 août 1308) : « Quia vero nostre intentionis non extitit nec existit ut, occasione dicte commissionis seu alicuius mandati nostri super hiis cardinalibus ipsis facti, inquisitoribus pravitatis predicte inquirendi conjunctim vel divisim cum episcopo vel episcopis ordinariis aut sine ipsis, prout eis licet secundum canonicas xanctiones, facultas aliquatenus restringatur, nos ordinationem per quam dicti cardinales facultatem inquirendi per se divisim inquisitoribus ipsis restrinsisse dicuntur, utpote intentioni nostre et juri contrariam viribus carere decernimus et nullatenus observandam, ordinatione ipsorum cardinalium circa ceteros alios articulos in omnibus et per omnia in suo robore duratura. » « Quels motifs eut le pape de revenir sur cette mesure et de la révoquer purement et simplement ? », se demande Jean-Marie Vidal, avant de poursuivre : « Il est probable que la présente bulle fut expédiée par surprise et sur les vives instances des inquisiteurs » (Vidal Jean-Marie, Bullaire, op. cit., p. 17).
18Concernant la décision pontificale de reprendre les procédures contre les templiers, voir en particulier les lettres Subit assidue (5 juillet 1308, éd. Port Célestin, Livre de Guillaume Le Maire, Paris, Imprimerie nationale, 1874, p. 234-239, et APO no 12616), Regnans in Celis et Faciens misericordiam (12 août 1308, éd. Port, Livre de Guillaume, op. cit., p. 242-251 et 251-257, et APO no 8486-8487 et 6057), ainsi que les récits de Barber Malcom, The Trial of the Templars, 2e éd. Cambridge University Press, 2006, p. 116-140, et Demurger Alain, La persécution des templiers. Journal, 1307-1312, p. 111-130. Sur la promesse faite par le pape en août 1308 d’ouvrir le procès de Boniface VIII, voir Coste Jean, Boniface VIII en procès, Rome, L’«Erma» di Bretschneider, 1995, p. 368. En outre, le 9 août 1308, Clément V consentit à lancer une enquête sur les crimes imputés par l’entourage royal à l’évêque de Troyes Guichard, cédant donc là encore à la pression capétienne (APO no 31 ; voir Provost Alain, Domus diaboli. Un évêque en procès au temps de Philippe le Bel, Paris, Belin, 2010, p. 307-310).
19Vidal Jean-Marie, Bullaire, op. cit., p. 13-15 et APO no 151 (lettre du 15 juillet 1308) ; Doat 34, fo 114-122 (conclusions de la commission pontificale).
20Lettre du 30 juillet 1308 : APO no 3980 (30 juillet 1308). Voir Théry Julien, « Les Albigeois », art. cité ; id., « Fama : l’opinion publique comme preuve. Aperçu sur la révolution médiévale de l’inquisitoire (xiie-xive siècle) », in Bruno Lemesle (dir.), La preuve en justice de l’Antiquité à nos jours, Rennes, PUR, 2002, p. 119-147.
21Il faut peut-être considérer comme une sorte de protestation contre l’éviction de Castanet, de la part des inquisiteurs, leur refus de finir certains procès d’inquisition entamés par ce dernier, ce qui valut de longues années de prison « préventive » à une dizaine d’accusés albigeois (emprisonnés en 1301, ils n’avaient toujours pas été jugés en 1313, année où le pape demanda une seconde fois aux inquisiteurs et au nouvel évêque d’Albi de conclure les procédures). Voir Vidal Jean-Marie, Bullaire, op. cit., p. 19-21, 24-26, et APO no 154, 158.
22Hefele Charles-Joseph, Histoire des conciles d’après les documents originaux, VI/2, trad. fr. Paris, Letouzey et Ané, 1915, p. 690-694, et APO no 777, 778.
23Ces gravamina avaient été présentés par les évêques, mais pouvaient relayer les doléances de toutes les catégories de clercs et d’autres fidèles. Voir le fragment édité par Erhle Franz, « Ein Bruchstück der Acten des Concils von Vienne », Archiv für Literatur- und Kirchengeschichte des Mittelalters, no 4, 1888, p. 361-470, et les analyses de Hefele Charles-Joseph, Histoire des conciles, op. cit., p. 646, 662 ; Müller Ewald, Das Konzil von Vienne, 1311-1312. Seine Quellen und seine Geschichte, Münster, Aschendorff, 1934. Dans la nomenclature adoptée pour les doléances figurait une catégorie regroupant les abus commis par les religieux exempts, où les plaintes contre les inquisiteurs furent classées (comme le confirme la lettre d’Angelo Clareno citée ci-après).
24Bernard Gui, Tractatus de tempore celebrationis consiliorum, cité par Erhle Franz, « Ein Bruchstück », art. cité, p. 456-457, et Müller Ewald, Das Konzil, op. cit., p. 393-394. Ce traité fut partiellement intégré par Bernard Gui à ses Fleurs des histoires. Sur l’œuvre historiographique de Bernard Gui, on peut voir Guenée Bernard, « Bernard Gui (1261-1331) », in id., Entre l’Église et l’État. Quatre vies de prélats français à la fin du Moyen Âge, Paris, Gallimard, 1987, p. 49-85, et Lamarrigue Anne-Marie, Bernard Gui (1261-1331) : un historien et sa méthode, Paris, Honoré Champion, 2000.
25Erhle Franz, « Ein Bruchstück », art. cité, p. 456.
26Éd. Auw Lydia von, Angeli Clareni opera. I. Epistole, Rome, ISIME, 1980, no 22, p. 110 : « Constitutiones in Viennensi concilio edite et per dominum summum pontificem correcte confirmate sunt et publicate. In quibus […] inquisitores etiam heretice pravitatis restringuntur et subduntur episcopis ; et alia plura in eisdem constitutionibus ponuntur per que religiosi episcoporum et totius cleri reverentiam ostendere et habere jubentur. Ex quibus omnibus refrigerium et pax servis Dei accresceret et sotiis meis tribulationis alleviatio erit. » La datation de cette lettre au 27 décembre 1312 est proposée par Potesta Gian Luca, Angelo Clareno dai poveri eremiti ai Fraticelli, Rome, ISIME, 1990, p. 313.
27Potesta Gian Luca, Angelo Clareno, op. cit., p. 39-43.
28Éd. Auw Lydia von, Angeli Clareni opera, op. cit., n. 34, p. 174 : « Nunc, ut speramus, canonizabitur Celestinus et constitutiones facte in Vienna publicabuntur, in quibus sunt multa pro utilitate servorum Dei et ad refrenationem hominum perversorum. »
29Datation établie par Erhle Franz, « Ein Bruchstück », art. cité, p. 456, n. 1.
30Erhle Franz, « Ein Bruchstück », art. cité, p. 457 : « Et sic liber ille non fuit missus ad studia generalia, ut est moris, nec expositus communiter ad habendum, sed remansit liber et adhuc remanet involutus. Supra quo futuri summi pontificis dipositio et providentia expectatur, Sede Romana vacante hodie quo hec scripsi. »
31Doat 30, fo 96 vo : « In illis partibus et vicinis plusquam mille numero a recta fide deviantes in initium haeresis declinarunt, qui postmodum deprehensi sunt et confessi et puniti publice pro majori parte ab anno Domini millesimo trecentesimo primo usque ad annum Domini millesimo trecentesimo quintum decimum inclusive. »
32Ibid., fo 98 vo : « Videat itaque sanctitas apostolica et Sedes Romana utrum deceat et expediat… »
33Doat 30, fo 91 vo : « Quae inconvenientia et retardantia et impedientia pro aliqua parte notavimus ex his quae experientia factorum nos docuit in his retro annis. Alioquin, si dictae constitutiones duae currant et non fuerint aut totaliter cassatae aut aliter ordinatae, cursus officii Inquisitionis debitus mutatur et libertas ejus tollitur et impeditur ac inquisitores quantum ad inadiatores [sic] suos discrimini exponitur [sic pour exponuntur], [sicut] ex his quae inferius scripta sunt poterit apparere. »
34Ibid., fo 98 vo : « Hac est igitur antiqua et nova quaerela praedictorum… » ; ibid., fo 92 vo-93 : « Circa praemissa notandum est et sciendum quod lex est et fuit ab olim antiqua quaerela quarumdam haereticalium personarum de partibus Carcassonensibus et Albigensibus qui pluries fecerunt seditiones et concitationes in populo in diversis villis et castellis et in civitate Albiensi contra inquisitores haereticae pravitatis confingentes et mendaciter diffamantes eosdem inquisitores, dicendo quod ipsi faciebant divitibus hominibus bonis christianis et catholicis haereticos et de fidelibus et infideles falso ejusdem crimen haeresis in exponendo multa quoque alia nefanda et horrenda de tormentis exquisitis et alias mandatis et de genere tormentorum proposuerunt plura contra inquisitores in utraque curia, scilicet ecclesiastica et etiam seculari, quaerentes et intercedentes semper per talia inquisitionis officium perturbare, quia nihil de praedictis probaverunt nec probare potuerunt. » Ibid., fo 112 : « Sciendum est quod hoc fuit olim et hoc est et semper erit quaerela praedictarum haereticalium personarum, videlicet quod inquisitores maliciose et falso imponunt innocentibus crimen haeresis et quod deffendentibus easdem imponunt quod sunt impeditores officii Inquisitionis […] et infamiam imponant inquisitoribus. »
35Je n’ai pas trouvé d’usage comparable de l’adjectif hereticalis substantivé dans la documentation antérieure.
36Doat 30, fo 97 vo-98 : « Plurima mala exegerunt, villas concitaverunt, fratres Praedicatores vexaverunt, verberaverunt. »
37Ibid., fo 96 vo : « Cum tamen praedicti impugnatores et impeditores publice assererent nullos esse haereticos in illa patria nisi illos quos ipsi inquisitores haereticos faciebant ; et ipsos inquisitores totis conatibus impugnarunt, diffamarunt ac persecuti sunt » (pour les références à la torture, voir ibid., fo 92 vo-93, texte cité en note 34). Telle avait effectivement été la thèse de Bernard Délicieux et de ses compagnons, si l’on en croit les actes du procès du frère Mineur en 1319 (éd. Friedlander Alan, Processus Bernardi Delitiosi. The Trial of Fr. Bernard Délicieux, 3 september-8 december 1319, Philadelphie, American Philosophical Society, 1996, p. 72 : « Item dixit ibidem [le frère Mineur à Toulouse, devant Philippe le Bel et son conseil] quod si sanctus Petrus et sanctus Paulus essent coram inquisitoribus, quantumcumque fuerint et sint boni christiani, inquisitores eos ita male tractarent quod facerent eos heresim confiteri »). Voir aussi un plaidoyer envoyé au collège des cardinaux, entre la mort de Benoît XI et l’élection de Clément V, par les chapitres de Saint-Cécile, et de Saint-Salvi d’Albi, l’abbé et le monastère de Gaillac ainsi que d’« autres religieux », selon lequel il devait être mis un terme à l’affrontement entre l’Inquisition et les habitants du pays, « le peuple » étant « catholique et fidèle » : « Nostra patria quantis sit exposita precipiciis et ruinis propter questiones et discensiones quibus ad invicem se collidunt patria et inquisitores heretice pravitatis, novit Ille qui nihil ignorat. […] Constat enim nobis quod dictus populus et patria est catholica et fidelis, quantum nos humana fragilitas nosse sinit, et populus civitatis Albie et patrie fidem catholicam corde credensque ore profitetur eandem… » (éd. Douais Célestin, Documents, op. cit., p. 302-304, d’après une copie de Doat 34, fo 44-45, laquelle reprenait le texte d’un document original, muni de 17 sceaux, conservé aux archives de l’Hôtel de ville d’Albi).
38Rappelons que la traduction de heretici perfecti par « parfaits », si elle demeure une habitude regrettable de l’historiographie, n’en est pas moins erronée et source de contresens, car les « bons hommes » (boni homines) qui présidaient à la vie religieuse dissidente n’étaient pas nommés en référence à la perfection spirituelle, ni par leurs « amis » ou « croyants », ni par les inquisiteurs eux-mêmes (voir Théry Julien, « L’hérésie des bons hommes. Comment nommer la dissidence non vaudoise ni béguine en Languedoc ? xiiie-xive siècle », Heresis, no 36-37, 2002, p. 75-117 ; Sackville Lucy, Heresy and Heretics in the Thirteenth Century. The Textual Representations, Woodbridge, Rochester, York Medieval Press, 2011, p. 201-202). Sur les déplacements des hérétiques occitans, voir notamment Bruschi Caterina, The Wandering Heretics of Languedoc, Cambridge University Press, 2009.
39Ibid., fo 98 et 99 vo : « Et tunc multi haeretici perfecti convocati fuerunt a credentibus suis Inquisitionis officio sic perturbato de remotis partibus ad quas dudum confugerant, videlicet de Lombardia et de Sicilia et ad partes Savartesii et Redesii et Carcassesii et Tholosanas et vicinas eisdem convenerunt et infecerunt multos sicut postmodum, data tranquillitate, adeo per ipsos inquisitores legitime in judicio de praedictis omnibus et singulis compertum est in tota patria ; et plures examinati sunt qui mortui erant in haeresi et corpora ipsorum combusta. […] Quo tempore haereses succreverunt. »
40Ibid., fo 96 vo : « Et repertum est postmodum per inquisitores legitime et in judicio quod in illis temporibus et diebus in illis partibus et vicinis plusquam mille numero a recta fide deviantes in initium haeresis declinarunt, qui postmodum deprehensi sunt et confessi et puniti publice pro majori parte ab anno Domini millesimo trecentesimo primo usque ad annum Domini millesimo trecentesimo quintum decimum inclusive, nec adhuc totaliter est purgatum, sed restat de secta Valdensium et etiam aliorum in pluribus procedendum. »
41À noter que le mémoire propose aussi in fine la réécriture d’une troisième constitution, Ad nostrum, concernant les hérétiques béguins (Hefele Carl Joseph, Histoire des conciles, op. cit., p. 682-683 ; APO no 8516) : Doat 30, fo 120-124 vo. Les nouvelles versions des trois textes proposées par Bernard Gui et Geoffroy d’Ablis sont aux fo 124 vo-132.
42Friedberg Emil, Corpus Juris Canonici. II. Decretalium collectiones, Leipzig, 1881, col. 1129-1132 ; APO no 6055. Voir aussi APO no 17058 (envoi des Clémentines par Jean XXII à l’université de Paris le 1er novembre suivant).
43Datation établie par Thomas Antoine, « Bernard Gui, frère prêcheur », in Histoire littéraire de la France, t. 35, 1921, p. 139-232, à la p. 208, et Mollat Guillaume, Manuel de l’inquisiteur, Paris, Les Belles Lettres, 1926-1927, 2 vol., I, p. xi-xii.
44Douais Célestin, Practica, op. cit., d’après les ms. 387 et 388 de la Bibliothèque municipale de Toulouse, copies du xive siècle qui proviennent respectivement de l’Inquisition de Toulouse et des franciscains de Saint-Roch près de Toulouse ; Cité du Vatican, Biblioteca Apostolica Vaticana, Vat. Lat. 4032 ; Londres, British Library, ms Egerton 1897 ; bibliothèque municipale de Dole, ms 109 (voir Kaeppeli Thomas et Panella Emilio, Scriptores ordinis Praedicatorum Medii Aevi, Rome, 1970-1993, I, p. 222, n. 630 ; Vernet André, « La diffusion de l’œuvre de Bernard Gui d’après la tradition manuscrite », dans Bernard Gui et son monde. Cahiers de Fanjeaux, no 16, 1981, p. 236-237). Il ne m’a toutefois pas encore été possible de vérifier l’absence de Supplicant sanctitati dans le manuscrit de la British Library, lequel est apparu à Delisle « inférieur aux deux manuscrits de Toulouse » après « un très rapide examen » (Delisle Léopold, « Notice », art. cité, p. 354, n. 1) mais serait le plus ancien selon Vernet.
45Douais Célestin, Practica, op. cit., p. 174 : « Demum Clemens papa Vus duas edidit constitutiones quarum una incipit « Multorum querela », altera vero « Nolentes », que apostolice Sedis circumspecta provisione ac provida circumspectione indigent, ut remedientur aut moderentur in melius seu pocius totaliter suspendantur propter nonnulla inconvenientia que consecuntur ex ipsis circa liberum et expeditum cursum officii Inquisitionis, que alibi sunt notata. »
46Ibid., p. 187-188 : « Ex predicta autem ordinatione seu restrictione nonnulla inconvenientia consecuntur que liberum et expeditum cursum officii Inquisitionis tam in manibus dyocesanorum quam etiam inquisitorum diminuunt seu retardant, quod experientia magis docet. Poterit autem remediari seu aliqualiter moderari predicta restrictio ac tocius prefate constitutionis et alterius ejusdem pape tenor in melius commutari, si et quando apostolice Sedi visum fuerit, sicut in fine presentis operis notatum est incidenter » (l’emploi de l’adverbe incidenter pour signifier « en complément », « en supplément » ou « de façon adventice » se retrouve à plusieurs reprises dans les textes de Bernard Gui). Molinier Charles, L’inquisition dans le Midi, op. cit., p. 218-219, a relevé ce dernier passage pour souligner « la hauteur de dédain vraiment étonnante » et la « liberté presque méprisante » avec laquelle Bernard Gui considère les deux constitutions fâcheuses, mais n’a pas vu qu’était ici annoncé le texte copié à la suite de la quatrième partie par le copiste de Doat.
47Doat 30, fo 305, certification de la copie par Gratien Capot, secrétaire de la mission Doat : « Extrait et collationné d’un livre des formules de l’Inquisition couvert de carton et d’une basanne escrit en parchemin despuis la page marquée du nombre 1 à 163 trouvé aux archives de l’Inquisition de Carcassonne. » La copie de la Practica occupe les tomes 30 et 31 de la collection Doat. Même si elle a été jugée « assez incorrecte » par Léopold Delisle (p. 354) et, comme telle, laissée de côté par Douais pour son édition (p. x), il vaudrait la peine de la collationner avec le texte des manuscrits médiévaux, puisqu’elle paraît se fonder sur une version plus ancienne de l’ouvrage. On peut d’ailleurs noter que dans le volume 30 de la Collection Doat, Supplicant sanctitati est suivi d’une pièce traitant des pseudo-apôtres rédigée par Bernard Gui autour du 1er mai 1316 (Delisle Léopold, « Notice sur les manuscrits de Bernard Gui », Notices et extraits des manuscrits, no 27/2, 1879, p. 169-455, à la p. 357), peut-être à partir d’un traité italien plus ancien (que Delisle, « Notice », art. cité, p. 359, n. 7, propose d’identifier avec un traité contre les fraticelles du même Bernard Gui dont on sait qu’il était conservé dans les archives de l’Inquisition de Carcassonne ; voir aussi Molinier Charles, L’Inquisition dans le Midi, op. cit., p. 230, n. 2 ; id., Études sur quelques manuscrits des bibliothèques d’Italie concernant l’inquisition et les croyances hérétiques du xiie au xviie siècle, Paris, Ernest Leroux, 1887, p. 156-157 ; Vernet André, « La diffusion », art. cité, p. 231-242, à la p. 223 ; Benedetti Marina, « Frate Dolcino da Novara: un avventura religiosa e documentaria », Annali della Scuola Normale Superiore di Pisa Classe di Lettere e Filosofia serie, serie 5, vol. 1, no 2, 2009, p. 339-362, à la p. 351). Dans les deux copies toulousaines utilisée par Douais pour son édition de la Practica, cette pièce sur les pseudo-apôtres n’a pas disparu comme Supplicant sanctitati, mais a été rejetée en annexe après la cinquième et dernière partie (éd. Douais Célestin, Practica, op. cit., p. 327-355).
48Geoffroy d’Ablis mourut à Lyon le 10 septembre 1316, c’est-à-dire cinq jour après le couronnement de Jean XXII dans cette ville. Bernard Gui écrivit une lettre datée du lendemain, à Lyon, pour déléguer ses propres pouvoirs d’inquisiteur au prieur et au lecteur des Prêcheurs de Carcassonne en attendant la nomination d’un successeur de Geoffroy dans cette ville (lettre ensuite insérée à titre de modèle dans la Practica inquisitionis, éd. Delisle Léopold, « Notice », art. cité, p. 397, et Douais Célestin, Practica, op. cit., p. 66).
49Sur laquelle on peut voir Théry Julien, « The Pioneer of Royal Theocracy. Guillaume de Nogaret and the Conflicts between Philip the Fair and the Papacy », in William C. Jordan et Jenna R. Phillips (éd.), The Capetian Century, 1214-1314, Leyde, Brill, 2017, p. 219-259.
50Pales-Gobilliard Annette, Le livre des sentences de l’inquisiteur Bernard Gui, 1308-1323, Paris, CNRS Éditions, 2002, 2 vol. Voir aussi Théry Julien, Le livre des sentences de l’inquisiteur Bernard Gui, extraits choisis, traduits et présentés, 3e éd. mise à jour, Paris, CNRS Éditions, 2022.
51Ibid., fo 99 : « Sicut ultimo patuit in his annis quando dominus R. [sic pour B.] praefatus episcopus Albiensis, nunc vero Aniciensis, et inquisitores conjunctim processerunt in negotio Albiensi sub anno Domini millesimo ducentesimo nonagesimo nono, quando fuerunt multi pro crimine haeresis apud Albiam condemnati, quorum processum et sentencias praefati diffamatores et impeditores inquisitorum et officii ipsorum postmodum multipliciter in curia saeculari et ecclesiastica in tota patria totis conatibus impugnaverunt, set praevaluit veritas contra ipsos, cum multis tamen injuriis inquisitoribus et illatis ab ipsis diffamatoribus et dampnis et dispendiis. »
52Sur l’attitude de Jean XXII concernant les déviances et leur répression, voir en dernier lieu Benedetti Marina, « Giovanni XXII, gli inquisitori, la disobbedienza », dans Giovanni XXII : cultura e politica di un papa avignonese, Spolète, CISAM, 2020, p. 239-264.
53Voir Finke Heinrich, Aus den Tagen Bonifaz VIII. Funde und Forschungen, Münster, Aschendorff, 1902, p. lxvii-lxviii.
54Jacques Duèze est attesté à cette fonction à la date du 28 juillet 1293 : cf. Amargier Paul, « Robert d’Uzès revisité », in Fin du monde et signes des temps : visionnaires et prophètes en France méridionale (fin xiiie-début xve siècle), Cahiers de Fanjeaux, no 27, 1992, p. 33-47, à la p. 47.
55Voir les procès d’inquisition étudiés par Biget Jean-Louis, « Les Albigeois devant les inquisiteurs, 1286-1287 », in id., Église, dissidences et société, op. cit., 2020, p. 753-769.
56Voir Biget Jean-Louis, « Les Sainte-Cécile et Saint-Salvi : chapitre de cathédrale et chapitre de collégiale à Albi », in Le monde des chanoines, Cahiers de Fanjeaux, no 24, 1989, p. 65-104.
57Voir le texte édité supra, annexe 1.
58Dummodo sciamus quam regionem tibi reputabis abilius adjacere, dit la lettre du pape. Regio renvoie ici à un domaine et aux fonctions de commandement exercées sur lui, donc à une juridiction (sans doute en référence aux provinces placées sous le commandement d’un représentant de la Rome antique), et le verbe adjacere avec un complément au datif exprime la soumission à, la mise au pouvoir de.
59Par Niccolò da Prato (Eubel Konrad, Hierarchia catholica Medii Aevi, ed. altera, I, Münster, 1913, p. 13). Le plus souvent, il fallait avoir été cardinal-prêtre ou cardinal-diacre pour accéder à l’un des six titres de cardinal-évêque. Lorsqu’un titre de cardinal-évêque se libérait, c’était l’ancienneté qui primait théoriquement pour le choix d’un nouveau titulaire (elle était calculée d’après la date de consécration épiscopale, seuls ceux qui avaient reçu par le passé la consécration d’évêque étant normalement éligibles au titre de cardinal-évêque) : Mollat Guillaume, « Contribution à l’histoire du Sacré-Collège de Clément V à Eugène IV », Revue d’histoire ecclésiastique, no 46, 1951, p. 22-112, 566-594, aux p. 45-46.
60Castanet fut aussi le seul des huit cardinaux nouvellement promus, avec le neveu du pape Arnau de Via, à recevoir l’autorisation de conserver durablement son évêché d’origine en commende (voir la lettre pontificale éditée infra, annexe 2). Cette mesure n’est pas nécessairement à interpréter comme une marque de faveur, car elle se justifiait par le dénuement du siège cardinalice de Porto (et sans doute aussi par la modicité des ressources personnelles dont Bernard de Castanet disposait, n’étant pas issu d’une famille opulente). Dans la lettre envoyée au roi de France pour lui faire part de cette commende, le pape désignait Castanet comme un « noble membre de l’Église » et déclarait nourrir pour lui à ce titre « une faveur spéciale » (quem veluti nobile membrum ecclesie favore speciali prosequimur). Il ne s’agit là toutefois que de formules, qui n’attestent pas une attention particulière, contrairement au texte de la lettre précédente. Par ailleurs, on peut faire l’hypothèse que les liens d’amitié entre Duèze et Castanet ont joué un rôle dans le choix du premier d’être enseveli dans la chapelle de tous les saints de la cathédrale Notre-Dame des Doms d’Avignon, où le second avait élu sépulture 17 ans plus tôt.
61Voir entre autres Benedetti Marina, Valdesi medievali : bilanci e prospettive di ricerca, Turin, Claudiana, 2009 ; Burnham Louisa A., So Great a Light, so Great a Fire. The Beguin Heretics of Languedoc, Ithaca, Londres, Cornell University Press, 2008.
62Voir Vidal Jean-Marie, « Les derniers ministres de l’albigéisme en Languedoc. Leurs doctrines », Revue des questions historiques, no 79, 1906, p. 57-107, et no 86, 1909, p. 5-58 ; Biget Jean-Louis, « L’extinction de la dissidence urbaine (1270-1329) », in id., Hérésie et inquisition dans le Midi de la France, Paris, Picard, 2007, p. 206-228.
63Pales-Gobilliard Annette, Le livre des sentences, op. cit., p. 538-544, traduction Théry Julien, Le livre des sentences, op. cit., p. 133-138. Voir Stoodt Hans Christoph, Katharismus im Untergrund : die Reorganisation durch Petrus Auterii, 1300-1310, Tübingen, J. C. B. Mohr, 1995 ; Brenon Anne, Le dernier des cathares. Pèire Autier, Paris, Perrin, 2006.
64Duvernoy Jean, Le registre d’inquisition de Jacques Fournier, 1318-1325, Toulouse, Privat, 1965, 3 vol. ; Le Roy Ladurie Emmanuel, Montaillou village occitan de 1294 à 1324, Paris, Gallimard, 1975 ; Benad Matthias, Domus un Religion in Montaillou. Katholische Kirche und Katharismus im Überlebenskampf der Familie des Pfaffers Petrus Clerici im Anfang des 14. Jahrhunderts, Tübingen, J. C. B. Mohr, 1990 ; Weis René, Les derniers cathares (1290-1329) [2000], trad. fr. Paris, Fayard, 2002.
65Vidal Jean-Marie, Bullaire, op. cit., p. 157-159 ; Biget, « L’extinction », art. cité, p. 213-215.
66Douais Célestin, Les manuscrits du château de Merville. Notices, extraits et facs-similés, Paris/Toulouse, Picard/Privat, 1890, p. 32 (en 1319, l’Ascension tombait le jeudi 17 mai).
67Doat 27 ; voir Douais Célestin, Documents, op. cit., p. cxvi-cxxix.
68Selon le récit d’Ange Clareno, Historia septem tribulationum, éd. Rossini Orietta, Rome, ISIME, 1999, p. 125. Voir Friedlander Alan, The Hammer, op. cit., p. 254.
69Friedlander Alan, Processus, op. cit., p. 88.
70Friedlander Alan, « Jean XXII et les Spirituels : le cas de Bernard Délicieux », Cahiers de Fanjeaux, 26, 1991, p. 221-236 ; id., The Hammer, op. cit., p. 256-257.
71de Dmitriewski Michel, « Fr. Bernard Délicieux », art. cité, p. 474, 486 ; Friedlander Alan, Processus, op. cit., p. 14, note 34 (l’auteur évoque seulement la possibilité d’une rédaction par Castanet) ; id., The Hammer, op. cit., p. 259 (l’auteur est affirmatif mais n’apporte pas de preuve).
72Friedlander Alan, Processus, op. cit., p. 80, 83 (8 février, 26 juin 1318).
73Peire Teissier, l’un des deux commissaires chargés de l’enquête préliminaire contre Bernard Délicieux, était au même moment le juge de Robert de Mauvoisin (il fut mandaté pour le procès de l’archevêque d’Aix le 7 janvier 1318 et procéda contre lui tout au long des mois suivants : Coulon Auguste et Clémencet Suzanne, Jean XXII (1316-1334), Lettres secrètes et curiales relatives à la France, Paris, 1900-1972, no 468). Voir Boudet Jean-Patrice, Théry Julien, « Le procès de Jean XXII contre l’archevêque d’Aix Robert de Mauvoisin (1317-1318) : astrologie, arts prohibés et politique », Jean XXII et le Midi. Cahiers de Fanjeaux, no 45, 2012, p. 159-235.
74Ehrle Franz, « Der Nachlass Clemens’V und der Betreff desselben von Johann XXII (1318-1321) geführte Process », Archiv für Literatur- und Kirchengeschichte des Mittelalters, no 5, 1889, p. 1-158 ; Guérard Louis, « La succession de Clément V et le procès de Bertrand de Got, vicomte de Lomagne », Revue de Gascogne, no 22, 1891, p. 5-20.
75Guenée Bernard, « Bernard Gui (1261-1331) », in Entre l’Église et l’État. Quatre vies de prélats français à la fin du Moyen Âge, Paris, Gallimard, 1987, p. 49-85, aux p. 69-70 ; Nold Patrick, « Jean XXII et le franciscain Bertrand de la Tour : anatomie d’une relation », Jean XXII et le Midi, op. cit., p. 339-355 ; Benedetti Marina, « Giovanni XXII, gli inquisitori », art. cité, p. 244.
76Doat 32, fo 121-123 (voir Douais Célestin, Documents, op. cit., I, n. LXXIII, n. CXXXVII). La notice sur Jean de Beaune donnée par Vidal Jean-Marie, Bullaire, op. cit., p. 47, affirme qu’il succéda à Geoffroy d’Ablis comme inquisiteur de Carcassonne dès 1316 sans citer aucune source, peut-être avec la simple conjecture implicite d’une succession rapide après la mort de Geoffroy d’Ablis.
77Vidal Jean-Marie, Bullaire, op. cit., p. 17-19, et APO no 153.
78Vidal Jean-Marie, Bullaire, op. cit., p. 41-42, et APO no 167 : « Quia vero prefati Aymericus et alii circa proposita et objecta per eos ulterius coram predecessore prefato ac etiam coram nobis negotium ipsum prosequi neglexerunt et quasi negligunt, prefata protectione securi, nos, nolentes, sicut etiam nec debemus, propterea vestrum officium impediri, securitatem ipsam penitus revocantes, discretioni vestre per apostolica scripta mandamus quatinus, contra eumdem Aymericum et alios in decreta vobis provincia, Deum et justitiam habendo pre oculis, procedentes, non obstantibus securitate predicta et aliis securitatibus, protectionibus, confirmationibus, ordinationibus et inhibitionibus quibuscumque dicti predecessoris aut aliorum quorumlibet, juxta formam vobis traditam ac canonicas sanctiones et de peritorum consilio officii vestri debitum curetis exequi diligenter. » Sur Aymeric Castel, voir la notice de Friedlander Alan, Processus, op. cit., p. 322.
79Friedlander Alan, Processus, op. cit., p. 81-83.
80Ibid., p. 83-85. Il est cependant possible que les copistes aient compilé les réponses les plus significatives aux articles en puisant, pour chacun d’entre eux, à plusieurs interrogatoires, le tout en laissant des dates éparses…
81Friedlander Alan, Processus, op. cit., p. 85-87.
82Ibid., p. 87.
83Sur Castel Fabre, voir ibid., p. 330.
84Ibid., p. 157-158.
85Hauréau Bernard, Bernard Délicieux, op. cit., p. 1-11, 167-175 ; Vidal Jean-Marie, Bullaire, op. cit., p. 46, note 1 ; Friedlander Alan, Processus, op. cit., p. 65, 182, 295.
86Vidal Jean-Marie, Bullaire, op. cit., p. 44-46, APO no 172 : « Quia per hujusmodi inquisitionem invenerimus quod tam fidelium quam Castelli prefatorum ossa eadem diu ante pronunciationem hujusmodi simul fuerant diversis temporibus et locis absque culpa vestra commista, vosque in executione predicta facienda impedimentum aliquod nullatenus prestitisse, sicut nobis minus veridica fuerat insinuatione suggestum […]. »
87Friedlander Alan, Processus, op. cit., p. 79, 147, 157.
88Douais Célestin, « Guillaume Garric de Carcassonne, professeur de droit, et l’Inquisition (1285-1329) », Annales du Midi, 10, 1898, p. 5-45 ; Pales-Gobilliard, Le livre des sentences, op. cit., p. 1240-1253.
89Ensemble donc rédigé, notons-le, bien après la quatrième partie évoquée plus haut à propos du mémoire Supplicant sanctitati. Voir Mollat Guillaume, Manuel, op. cit., I, p. xi.
90Douais Célestin, Practica, op. cit., p. 160 : « Maxime ubi et quando publice et notorie commisserunt, ut pena publica talium eos teneat ut actores et ceteris transeat in exemplum et ut provideatur in posterum de cautela taliter ut ipsi semper se sentiant obligatos [et] similia non attemptent. »
91Ibid., p. 161.
92Ibid., p. 163 : « Item, procuraverunt et consenserunt quod villa Carcassonensis, cum esset in pace et tranquillitate cum inquisitoribus, fuit concitata et commota contra eos et officium ipsorum fueruntque diruta hospicia multorum in odium officii Inquisitionis et illata dampna et irrogate injurie multis personis tenentibus se cum inquisitoribus ; et multa mala et gravia scandala sunt secuta et Inquisitionis officium fuit diu et multipliciter perturbatum. »
93Ibid., p. 163-164 : « Item, procuraverunt et consenserunt quod aliqui condempnati pro crimine heresis extraherentur fueruntque extracti seu educti de muro et carceribus inquisitorum Carcassone per potestatem secularem per minas et terrores, fueruntque detenti diu in civitate Carcassone, inquisitoribus reclamantibus et invitis. »
94Vidal Jean-Marie, Bullaire, op. cit., p. 42 : « Mandamus quatinus contra eumdem Aymericum et alios in decreta vobis provincia, Deum et justiciam habendo pre oculis procedentes, non obstantibus securitate predicta […] juxta formam vobis traditam ac canonicas sanctiones et de peritorum consilio officii vestri debitum curetis exequi diligenter. »
95Guenée Bernard, Quatre vies de prélats, op. cit., p. 69-70.
96Amargier Paul, « Éléments pour un portrait de Bernard Gui », p. 34-35. Bernard Gui a donné dans son De fundatione un récit bien connu de ce qu’il appelle la « rage de Carcassonne », rabies Carcassonensis, c’est-à-dire des rébellions anti-inquisitoriales, dont il avait suivi les développements de près.
97Douais Célestin, Practica, op. cit, p. 111-117.
98Palès-Gobilliard Annette, Le livre des sentences, op. cit.
99Ibid.
100Pour Cordes, voir Pales-Gobilliard Annette, Le livre des sentences, op. cit., p. 1218-1239, traduction Théry Julien, Le livre des sentences, op. cit., p. 173-188 ; pour Albi, voir Théry Julien, Fama, enormia, L’enquête sur les crimes de l’évêque d’Albi Bernard de Castanet (1307-1308). Gouvernement et contestation au temps de la théocratie pontificale et de l’hérésie des « bons hommes », thèse de doctorat, université Lumière Lyon 2, 2003, t. III, p. 25-40.
101Douais Célestin, Practica, op. cit, p. 166-170.
102Éd. du texte Friedlander Alan, Processus, op. cit., p. 314-318. Bernard Gui, alors prieur des dominicains de Carcassonne, fut témoin de la cérémonie (ibid., p. 318). Sur cette réconciliation, voir aussi id., The Hammer, p. 31-32.
103Friedlander Alan, Processus, op. cit., p. 78-79 ; id., The Hammer, op. cit., p. 124-131.
104Voir à ce sujet id., The Hammer, op. cit., p. 32-35, et VI, 5, 2, 8, éd. Friedberg Emil, Corpus iuris canonici, Leipzig, c. 1071-1072 (Alexandre IV impose de considérer comme relaps fictione juris ceux qui ont commis le crime d’hérésie après avoir abjuré cette dernière une première fois alors qu’ils n’en étaient que suspects et non convaincus ; toutefois la mesure ne vaut pas si la suspicion était levis vel modica).
105Friedlander Alan, The Hammer, op. cit., p. 151-211.
106Ibid., p. 225-229 ; La sentence du sénéchal Jean d’Aunay, perdue, a été publiée par Guillaume Besse dans son Histoire des ducs, marquis et comtes de Narbonne, Paris, 1660, p. 496-499, puis par Thomas Bouges, Histoire ecclésiastique et civile de la ville et diocèse de Carcassonne, Paris, 1741, p. 608-609 (il faut toutefois utiliser ce texte avec prudence, Guillaume Besse ayant forgé de nombreux faux…).
107Friedlander Alan, Processus, op. cit., p. 150, 222, 223 ; id., The Hammer, op. cit., p. 117-118.
108AN J 335/4 (pardon royal accordé en 1307). Voir en dernier lieu Sassu-Normand David, « La révolte de Carcassonne et de Limoux au début du xive siècle : la rigueur du droit au service du pragmatisme financier ? », in Patrick Gilli et Jean-Pierre Guilhembet (éd.), Le châtiment des villes dans les espaces méditerranéens (Antiquité, Moyen Âge, Époque moderne), Turnhout, Brepols, 2012, p. 339-358.
109Douais Célestin, Practica, op. cit, p. 160 (voir plus haut, note 90).
110Le procès verbal de la cérémonie est édité, dans deux versions différentes, par Friedlander Alan, Processus, op. cit., p. 205-214, et Pales-Gobilliard Annette, Le livre des sentences, op. cit., p. 1184-1205.
111Pales-Gobilliard Annette, Le livre des sentences, op. cit., p. 1202 ; cf. aussi Friedlander Alan, Processus, op. cit., p. 213.
112La lettre a été envoyée à une date située entre le couronnement de Jean XXII (les premiers moments qui ont suivi la « promotion » du pape appartiennent ici au passé) et la nomination de Bernard de Castanet au titre de cardinal-évêque de Porto et Sainte-Rufine (qui ne lui est pas encore attribué), survenue le 17 ou le 18 décembre 1316.
113Philippe V le Long n’était alors que régent du royaume (et ce depuis la mort de son frère Louis X le 5 juin 1316). Il ne fut en effet couronné roi de France que le 9 janvier 1317. Il mourut le 3 janvier 1322.
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Contester l’Inquisition (xiiie-xve siècle)
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