Précédent Suivant

La Recollectio de Jean Bréhal

Un plaidoyer pour une autre inquisition

p. 259-272


Texte intégral

1Parmi les œuvres de Jean Bréhal, la Recollectio est sans doute la moins méconnue car elle concerne Jeanne d’Arc1. Contemporain de la Pucelle, Bréhal est né au début du xve siècle mais n’apparaît dans nos sources qu’en 1443 lorsque la ville d’Évreux fournit au dominicain une aide financière pour sa promotion au grade de docteur en théologie2. Neuf ans plus tard, nous le retrouvons déjà inquisiteur de la foi et impliqué dans la procédure d’enquête menée à Rouen par le légat du pape Guillaume d’Estouteville. C’est le début d’un engagement judiciaire et littéraire dont la Recollectio constitue l’aboutissement. L’inquisiteur normand y argumente longuement en faveur de l’annulation de la condamnation de Jeanne. La matière en fut constituée sans doute sur une période de plusieurs années, le dominicain ayant suivi le dossier dès 1452. L’ouvrage fut intégré dans le registre par les notaires de 1456, après les mémoires judiciaires et avant la sentence de nullité3. Divisée en deux parties, la Recollectio est d’abord vouée à réfuter la condamnation sur une base doctrinale, puis à démontrer les vices de forme de la procédure. Pour Bréhal, la Pucelle a agi au nom du salut public et était innocente. Il paraît même croire en son statut d’inspirée. La partie théologique, où il s’emploie à exonérer Jeanne des accusations portées contre elle, fonde ainsi le raisonnement de la seconde partie. C’est cette dernière que l’historiographie a souvent retenue, en particulier le chapitre consacré au juge ordinaire, l’évêque de Beauvais Pierre Cauchon. Ce qui a été moins perçu, c’est que l’argumentation de Bréhal renvoie à un modèle inquisitorial qui se dessine en creux, par opposition aux méthodes utilisées contre la Pucelle. L’inquisition qu’il défend se démarque ainsi d’une procédure dévoyée à laquelle Jeanne aurait légitimement résisté. En effet, dans la Recollectio, l’évêque de Beauvais est appelé « prétendu juge » et le dominicain écrit que la façon dont ont été menés les interrogatoires à Rouen « est clairement contraire à la droiture et à la tempérance d’un vrai tribunal4 ». Celui de 1455-1456 entend ainsi substituer à un simulacre de procès, une procédure exemplaire. L’argumentation n’est donc pas seulement négative, elle expose aussi des principes de pratique judiciaire, soit en les avançant en guise de prémisses pour y confronter ensuite les vices de forme de 1431, soit en les suggérant en creux. Le contre-procès que Bréhal instruit fournit alors une sorte d’expertise en architectonique procédurale. Le modèle qui en émane est un savant dosage de rigueur et de modération, où le rôle du juge est parfaitement circonscrit, où ses qualités morales sont une condition sine qua non à l’administration d’une bonne justice et où le respect du droit, surtout, doit primer.

Des règles à suivre

2Pour Bréhal, le juge vertueux, garant d’une véritable inquisition, est contraint par un certain nombre de règles. Le chapitre vii de la Recollectio, consacré à l’abjuration de Jeanne, rappelle la nécessité de l’enquête préalable pour établir la fama d’un accusé5, par opposition à une simple rumeur dont un bon juge ne doit pas se contenter, mais c’est surtout pour réfuter l’ouverture de l’instruction par Cauchon qui n’a pas apporté la preuve d’un mauvais renom6. Ensuite, tout semble se jouer dans le face à face entre le juge et l’accusé, dans la capacité du premier à déceler l’hérésie du second, et à le faire avouer. Cet affrontement, si on doit l’appeler ainsi, est codifié.

3Notons d’abord que l’inquisiteur exclut le recours à la torture comme moyen de parvenir à la vérité. En effet, il insiste sur la nullité des aveux arrachés par les tourments, en particulier dans le cas d’une torture ad terrendum, puisque c’est de cela dont il fut question lors de la séance du 9 mai 14317. Il reprend en fait la condamnation que l’on trouve dans le Décret, renouant ainsi avec la tradition ecclésiastique. Puisque des aveux extorqués par la violence physique ou psychologique sont sans valeur, la torture ne saurait être une source de vérité8. La culpabilité d’un accusé reste à établir par d’autres moyens. Dans l’ultime chapitre de la Recollectio, on lit que tout jugement procédant d’une présomption ou d’un soupçon est illicite, puisque le soupçon, selon Cicéron, fonde l’opinion mauvaise de quelqu’un à partir d’indices légers, puis Bréhal rappelle que porter un jugement négatif sur autrui à partir de tels indices est un « péché mortel9 », avant d’ajouter :

« Or le juge doit le plus y prendre garde pour qu’il ne condamne pas à partir de soupçons, surtout dans un crime aussi grave que le crime d’hérésie (par le chapitre Licteras, De presumptionibus X. 2. 23. 14). De là, comme il fut évident que Jeanne n’a pas été convaincue d’hérésie ni par une preuve suffisante ni par un aveu, le jugement rendu contre elle doit être regardé comme nul10. »

4La réprobation n’est pas seulement légale, elle est aussi morale. Bréhal peut écarter toute convictio et toute confessio et parler de simple « présomption » ou « soupçon », ou encore de « signes », car il a démontré au préalable que les éléments sur lesquels les juges de Rouen avaient fondé leur condamnation étaient sans réelle efficacité probatoire. Un « mauvais renom » aurait pu constituer une « présomption violente », l’inquisiteur le reconnaît, mais pour lui l’infamia de Jeanne n’était pas notoire et ne fut pas avérée puisque le procès-verbal n’en a pas apporté la « preuve » écrite. La présomption de culpabilité, née de la fama, est donc caduque. L’inquisiteur souligne ici un empilement d’irrégularités, puisqu’à cette diffamatio abusive s’est ajoutée une réponse inappropriée. En effet, en cas de mauvaise renommée, seule une « purgation canonique » aurait dû être demandée à l’accusée. Bréhal rappelle alors dans quelles circonstances le droit prévoit l’abjuration, avant d’examiner comment on a procédé dans le cas de la Pucelle. Son premier argument, pierre angulaire de la démonstration, alléguant la décrétale Ad abolendam (X. 5. 7. 9.), est que pour qu’il y ait abjuration, il faut au préalable que la personne ait été reconnue coupable d’erreur dans la foi11. L’inquisiteur poursuit sa leçon, donnant les caractères constitutifs de l’hérésie puis les peines que les canons infligent alors à l’hérétique12. À l’objection selon laquelle, d’après la loi Omnes du Code (C. 1. 5. 2), il suffirait « d’un petit article ou d’un argument ténu » pour être qualifié d’hérétique, Bréhal souligne le caractère exceptionnel de cette dérogation qui ne s’applique pas à Jeanne13. L’abjuration n’a pas de fondement légitime, puisque l’hérésie n’a pu être démontrée au cours du procès. Dans le chapitre Litteras, souvent allégué et tiré du second livre des Décrétales, il est question d’un homme suspect d’hérésie au sujet duquel le pape dit qu’il ne veut pas « le condamner pour un crime aussi grave à cause d’un seul soupçon, bien que celui-ci soit véhément14 ». La procédure de 1431 pèche en ce qu’elle n’a, d’une part, pas respecté l’ordre des choses et, d’autre part, pas été menée en tenant compte des lois civiles et des canons qui considèrent les actes commis par ignorance, sous la pression ou par contrainte comme non préjudiciables15. Le modèle inquisitorial porté par Bréhal est bien ultramontain et normé. Il ressort de cette argumentation qu’une vraie inquisition doit suivre les règles et respecter des droits.

Des droits à respecter

5La situation carcérale de la Pucelle occupe longuement l’inquisiteur : il l’aborde dès les deux premiers chapitres de la seconde partie, et il y consacre finalement un chapitre entier. Tout d’abord, les geôles où elle fut gardée durant la période du procès ne furent pas « convenables » et furent « sans égard pour la personne détenue16 ». Plus loin, Bréhal rappelle les dispositions introduites par la Clémentine Multorum querela (Clem. 5. 3. 1) et qui n’ont pas été respectées, à savoir les prisons communes à l’évêque et à l’inquisiteur17. De plus, Cauchon osa la détenir dans « une dure et étroite prison », longtemps avant de requérir l’inquisiteur ; or « la loi dit : nul ne doit être incarcéré, pour être enchaîné en prison, avant d’avoir été reconnu coupable18 ». Bréhal évoque ici un certain nombre de garanties légales en faveur des prévenus, censées les protéger de l’arbitraire. La communauté de la prison entre juge ordinaire et juge extraordinaire en est une. Outre le vice de forme, Bréhal suggère que Jeanne a souffert des décisions prises par l’évêque, en l’absence de l’inquisiteur. En outre, elle fut enfermée « non seulement dans un lieu dur et étroit, mais encore dans une effroyable prison pénale, contre la teneur expresse de ladite Clémentine19 ». Il insiste ici sur la dimension préventive de l’emprisonnement d’un accusé, à laquelle il oppose la peine de prison. C’est sur le droit romain qu’il s’appuie, en particulier l’adage d’Ulpien selon lequel la prison sert à garder et non à punir (D. 48. 19. 8. 9)20. La prison préventive doit donc se distinguer, dans ses modalités, d’une peine de prison réservée uniquement aux condamnés. Le droit canonique rejoint les lois civiles, lorsque l’inquisiteur affirme que la prison de Jeanne allait à l’encontre de Multorum querela ; pourtant c’est bien l’esprit du droit romain qui commande ici toute l’argumentation. Le Code de Justinien (C. 9. 4. 1) interdit ainsi les fers rongeant la chair des poignets jusqu’à l’os, ainsi que la privation de la lumière du jour pour les accusés. Bréhal invoque l’« humanité » des lois pour expliquer ces règles, mais il reprend aussi l’idée qu’il faut éviter de tourmenter le malheureux détenu car l’accusé pourrait être innocent21 ! Ce principe du ius civilis va bien dans le sens des droits de l’accusé, ce dernier n’étant pas forcément coupable. Argumentant sur un cas précis, Bréhal ne considère la prison que sous l’angle de la détention provisoire d’un justiciable, même s’il fait aussi allusion au « mur de l’inquisition22 ». Cette question de la prison souligne, une fois de plus, qu’à ses yeux la culpabilité d’un prévenu n’est pas acquise mais doit être prouvée. En dénonçant le comportement des gardiens, il insiste encore sur l’obligation de fournir aux prisonniers ce dont ils ont besoin et de les traiter « avec humanité23 ». À la fin du chapitre, il renvoie au premier livre du Code qui, dans la loi Judices, prévoit les fournitures à faire pour les vivres des détenus (C. 1. 4. 9)24. On est ici aux antipodes des privations imposées aux pénitents dans les justices d’Église25. Rien ne dit cependant que l’inquisiteur n’y soit pas favorable, puisqu’il expose ici simplement des violations du droit au regard de la détention des accusés ; et lorsqu’il évoque « l’effroyable prison pénale » dans laquelle Jeanne fut précipitée, ce n’est pas pour remettre en cause l’existence d’un tel lieu mais pour en dénoncer l’usage inapproprié dans ce cas-là. Pour autant, l’accusé n’est pas seulement un détenu à garder et à traiter humainement dans l’attente du jugement, c’est aussi un défenseur qui peut faire valoir ses droits et bénéficier de certains recours.

6Bréhal allègue d’abord les Décrétales pour poser une règle générale, puis le Digeste et enfin le Code pour souligner l’impératif d’une « défense légitime » quand il s’agit de « simples » ou de mineurs. Puis il écrit qu’il n’y a pas d’obstacle à ces dispositions dans le paragraphe Illos vero du titre De haereticis dans Ad abolendam (X. 5. 7. 9), où il semble que toute défense soit refusée aux hérétiques, de même que tout appel ou tout recours selon le chapitre Ut inquisitionis, dans le même titre du Sexte, (6o 5. 2. 18), car ceci concerne seulement « ceux qui ont avoué et sont manifestement convaincus du crime d’hérésie, et, surtout, ceux qui ont récidivé dans l’erreur précédemment condamnée et qu’ils avaient abjurée26 ».

« Il en va tout autrement, dit Henri après d’autres (chapitre Si adversus, De haereticis), là où le crime est occulte et où il ne peut y avoir de conviction, alors on ne doit pas refuser une audience ou une légitime défense, car l’Église ne juge pas des choses cachées : chapitre Sicut tuis, et le suivant, De symonia (X 5. 3. 33 et 34) ; canon Christiana (D. G. 2. 32. 5. 23). Bien plus, si le crime n’est pas entièrement occulte, tant que les prévenus n’ont pas avoué et ne sont pas légitimement convaincus d’hérésie, on ne doit pas les priver de défense dans un procès d’inquisition. Dans pareil cas, s’ils sont chargés au mépris des canons, ils peuvent faire appel : canons Appellantem, Omnis et Non ita (D. G. 2. 2. 6. 2, 3 et 18). En revanche, ils ne sont pas autorisés à défendre le crime d’hérésie ni à soutenir une hérésie particulière ou une secte hérétique (argument dans le canon Non vos, D. G. 22. 5. 42). Il s’en suit que dans notre cas, cette instance est sans valeur, comme on le déduit clairement de ce qui a été dit plus haut27. »

7Ce passage est important, car l’inquisiteur y affirme sans ambiguïté les droits de la défense, même en matière de foi. Bréhal remarque que la défense ne peut pas être refusée en cas de crimen occultum. Dans le cas de Jeanne, dont il reconnaît l’inspiration divine, elle a pu prendre la forme d’un droit au silence puisque les accusateurs et les juges n’ont pas accès aux « choses cachées ». Cependant il insiste bien sur le fait que, même en cas de crime non penitus occultum, renvoyant à une « zone grise » où l’Église qui combat l’hérésie entend sonder les cœurs des hommes, le droit à la défense doit aussi s’exercer28. Il est néanmoins circonscrit : le prévenu peut s’exprimer et avoir des défenseurs, mais le procès ne peut, en aucun cas, servir de tribune pour l’hérésie. Après avoir allégué la décrétale Ab abolendam et ses gloses, l’argumentation se fonde essentiellement sur le Décret de Gratien. On note ici que parmi les droits de l’accusé, Bréhal comprend aussi l’appel. Les recours sont donc possibles pour un accusé confronté à des juges résolus à le condamner coûte que coûte. Or non seulement Jeanne n’a pas pu bénéficier de défenseurs, mais ses droits ont aussi été bafoués car deux types de recours n’ont pas été reconnus : la récusation du juge et l’appel. Bréhal assure ainsi qu’un juge suspect de partialité voire de haine peut être récusé29. Il considère que l’appel de la Pucelle au pape fut légitime pour deux raisons : « À cause des torts faits à la justice et à sa personne, et, en second lieu, en raison de la grandeur et de la difficulté de la cause30. » Ici, seule la première raison relève des droits de l’accusée, la seconde étant plutôt fondée sur les prérogatives pontificales. Bréhal explique aussi que le formalisme n’est pas nécessaire en matière d’appel. L’inquisiteur poursuit en prenant, dans les Décrétales, l’exemple d’un appel dont le cas est exposé dans le chapitre Ad audientiam du titre De appellationibus (X. 2. 28. 34) où la « protection » papale est affirmée, par voie d’appel, contre des juges ordinaires prévaricateurs31. Avant de conclure le chapitre iv de la seconde partie, il soulève une ultime objection, la balayant aussitôt : la clause du chapitre Ut inquisitionis dans le cinquième livre du Sexte, qui interdit le bénéfice de l’appel aux criminels en matière de foi ne s’appliquerait qu’à « ceux que le texte appelle un peu avant “enfants de la fourberie” », autrement dit ceux dont l’hérésie est avérée32. La question de l’appel souligne donc, une fois encore, cette distinction fondamentale pour l’inquisiteur entre « accusé » et « coupable » ou « condamné ». Tant que l’accusé est seulement soupçonné d’un crime, et donc tant que sa culpabilité n’a pas été établie au moyen de preuves légales, il peut jouir de droits, même lorsqu’il est accusé d’hérésie, et a fortiori pour un tel procès. Il faut donc interjeter appel avant la sentence33. Le cas de Jeanne, accusée à tort, maltraitée pendant sa détention, privée d’une défense et des recours prévus par la loi, et condamnée injustement, renforce peut-être la nécessité de proclamer les droits des accusés. Seuls les hérétiques notoires en sont privés, tout comme le prévenu qui a été reconnu coupable à l’issue d’un procès ou le relaps qui est abandonné au bras séculier. La gravité de l’accusation ne justifie donc pas de suspendre la règle. Au contraire, Bréhal semble estimer qu’il faut être d’autant plus vigilant à suivre la procédure et à respecter ces garanties légales.

Le style de l’inquisition

8À plusieurs reprises, la Recollectio suggère un modèle à suivre avec l’expression « le style de l’inquisition », qui sous-entend l’existence d’un système de doctrines et de pratiques servant de repères aux inquisiteurs. La première occurrence intervient à la fin du chapitre ii, concernant l’absolution dont Jeanne n’a pas bénéficié avant d’être livrée aux flammes aussitôt la sentence définitive prononcée, ce qui va à l’encontre du « droit, de la coutume et du style de l’inquisition34 ». Puis, dans l’ultime chapitre de la Recollectio, Bréhal souligne que rien n’atteste l’absolution de la sentence d’excommunication, « ce qui va contre l’équité et, expressément, contre le style recommandé aux inquisiteurs et toujours observé35 ». En opposant les actions déviantes des juges de Jeanne au « style recommandé aux inquisiteurs », Bréhal inscrit bien la justice inquisitoriale dans un cadre moral et légal.

9Pour lui, le procès en matière de foi ne justifie pas certains moyens douteux, voire illicites, car la recherche de la vérité ne peut s’accommoder du mensonge. Le régime d’exception qui permet le secret ne doit pas verser dans l’abus. Or il y a eu tromperie sur la matière soumise aux experts. Si la méthode scolastique consistant à faire la synthèse d’une pensée ou d’un comportement sous forme d’articles n’est pas remise en cause dans son principe, Bréhal s’insurge contre les 12 articles extraits du libelle d’Estivet qui furent lus à Jeanne mais ne furent pas soumis à son approbation36. Or ils furent transmis aux docteurs consultés à Rouen, puis aux universitaires parisiens. Dès l’ouverture de l’instance en nullité, par le rescrit pontifical de 1455, tout se joue sur leur caractère frauduleux. Bréhal y consacre tout le chapitre vi de la seconde partie de sa Recollectio, reprenant chaque article et le confrontant aux réponses du procès-verbal afin de mettre en lumière les altérations, les divergences, les ajouts ou les non-dits37. Tout en menant sa démonstration, il donne une leçon sur l’art de la synthèse scolastique et de la rhétorique. La conclusion le confirme : « C’est pourquoi, le style de l’inquisition contre les hérétiques – que l’on devait observer d’après le chapitre Per hoc, au titre De haereticis du Sexte (6o 5. 2. 17) – considère et prescrit que, dans les affaires de la foi, les articles doivent être clairs et brefs, fidèlement extraits et dument coordonnés38. » La rédaction dévoyée des articles censés rendre compte de la cause fut une tromperie aux conséquences dramatiques puisqu’elle a induit en erreur les universitaires chargés de délibérer sur l’affaire et de rendre un avis influençant la sentence. L’inquisiteur s’insurge également contre les méthodes employées lors des interrogatoires : dès le chapitre ii, il évoque les officiers « astucieux » nommés par Cauchon, dont des « notaires frauduleux » qui rédigeaient des actes en cachette, altérant et faussant les paroles de Jeanne39. Au chapitre ix, de nouveaux abus sont révélés : armés de leur savoir, les juges ont posé à la Pucelle des questions qui dépassaient ses capacités. Pourtant, dans les causes de la foi, selon la décrétale Dilecti fili au titre De appelationibus (X. 2. 1. 6), il est absolument interdit de procéder par « voie subtile » ou avec ruse40. Bréhal ajoute, alléguant le Digeste (D. 11. 7. 43 et D. 11. 3. 51), que les lois civiles aussi réprouvent « les subtilités » dans les causes spirituelles. Il assure que c’est grandement porter atteinte « au travail de la sainte inquisition », et expose la leçon thomiste présentée dans la Somme théologique41. Bréhal allègue aussi le Sexte (6o 2. 23. 14) et la Clémentine Saepe (Clem. 5. 11. 2), assimilant la glose sur la notion de simplicité au rejet de tout stratagème pour piéger un accusé, et invoque le Décret de Gratien pour exclure tout usage de la ruse42. Un peu plus loin, il présente le recours aux roueries et aux équivoques comme un abus de pouvoir, tandis que les pièges tendus traduisent la malveillance du juge inique qui en profite pour condamner comme une erreur d’impiété ce qui n’est qu’une innocente simplicité, ajoutant aussitôt que ceci est « le plus strictement défendu, sous peine d’être gravement puni, surtout dans une cause de la foi, d’après la Clémentine Multorum43 ». Vérifier si un accusé variait dans ses réponses était pourtant un procédé utilisé par les inquisiteurs pour confondre les hérétiques, assimilés à de redoutables sophistes. La position que défend Bréhal – sous l’autorité de Guillaume Durand, auteur du Speculum judiciale – semble donc aller à l’encontre de ce que conseillaient dans leurs manuels, au xive siècle, Bernard Gui ou Nicolau Eymerich. Ce dernier préconise la ruse au cours des interrogatoires pour pousser les hérétiques dans leurs retranchements. Il consacre plusieurs pages de son Directorium à présenter différents procédés déceptifs, « astuces » par lesquelles l’inquisiteur peut « déjouer celles des hérétiques » et acculer les accusés à dévoiler leurs erreurs. Parmi les ruses proposées par l’auteur à ses confrères, on trouve la possibilité de faire aux détenus des promesses équivoques44. Eymerich recommande également à l’inquisiteur de déstabiliser le détenu par la multiplication des interrogatoires et en variant les questions45. C’est ainsi qu’a procédé le tribunal de Rouen en 1431. Toutefois la contradiction avec l’argumentaire de Bréhal n’est peut-être ici qu’apparente car l’auteur catalan ajoute : « On réservera de préférence ce type d’interrogatoire […] aux accusés dont l’opiniâtreté s’avérera bien claire46. » Eymerich laisse donc à l’appréciation des inquisiteurs le fait d’utiliser ces méthodes. Or aux yeux de Bréhal, Jeanne ne pouvait pas être considérée opiniâtre. Ce n’est donc peut-être pas le régime d’exception en soi qu’il dénonçait, mais le fait d’avoir appliqué à la jeune fille ce régime-là, alors qu’elle aurait dû bénéficier d’une procédure régulière. L’inquisiteur semble néanmoins donner une portée plus générale au rejet des méthodes utilisées contre la Pucelle, toute ruse étant proscrite de jure.

10La défense posthume de Jeanne conduit Bréhal à formuler des positions qui peuvent paraître à contre-courant d’une pratique où la lutte contre l’hérésie avait justifié, dès la fin du xiie siècle, l’adoption de mesures spéciales et de multiples dérogations au ius commune. Pourtant les conseils de prudence, certaines définitions ou des arguments légaux avancés dans la Recollectio, se trouvent en fait déjà chez Bernard Gui ou Nicolau Eymerich car ces derniers ont largement compilé des ouvrages antérieurs et intégré la législation canonique dans leurs manuels. On rencontre aussi les mêmes points de procédure, en particulier si on fait la comparaison avec le Directorium : Eymerich consacre ainsi des chapitres à la défense, bien que ces questions procédurales figurent dans une sous-partie intitulée « obstacles à la rapidité d’un procès47 ». Il admet néanmoins la légitimité de fournir un défenseur à l’accusé comme celle de l’appel au pape, ainsi que la possibilité de récuser un juge48. Toutefois l’argumentation de Bréhal diverge sur un certain nombre de points gênants qui conforteraient la procédure de 1431. Ainsi, sa définition du relaps est plus restrictive que chez Eymerich49. De même, l’inquisiteur catalan considère légitime et même nécessaire l’abjuration de levi, soit « par suspicion faible » alors que, nous l’avons vu, Bréhal la juge inopportune et illégale50. Par ailleurs, dans les « questions afférentes » qui concluent le Directorium, Eymerich affirme que l’inquisiteur et l’évêque peuvent procéder l’un sans l’autre51. Selon lui, seule la prison pénale doit être commune à l’inquisiteur et à l’évêque ; il semble peu se soucier des conditions carcérales subies par de simples accusés et admet de les mettre aux fers52. Surtout, c’est par l’esprit que le texte de Bréhal se distingue du célèbre manuel de la fin du xive siècle. Au contraire de la Recollectio, l’équivalence, ou la confusion, entre prévenu et hérétique est savamment entretenue dans le Directorium – la présomption de culpabilité sous-tend l’ouvrage et même en cas de verdict d’absolution, il est conseillé de ne pas déclarer un accusé « innocent ou exempt » de façon à pouvoir le condamner plus tard s’il est de nouveau déféré devant le tribunal53. Enfin, si Eymerich reconnaît certaines dispositions légales en faveur des accusés, il invite en général les inquisiteurs à les contourner, instruisant son lecteur sur les moyens à mettre en œuvre afin d’éviter la récusation54. Une stratégie similaire et des tactiques dilatoires sont également conseillées pour « l’appel au pape ». Le Directorium est donc bien pensé contre les recours que le droit admet en faveur des prévenus. Bréhal, à l’inverse, rappelle constamment le respect des règles.

11Chargé d’argumenter sur le caractère vicié du procès de 1431, l’inquisiteur défend la résistance de la Pucelle devant le tribunal de Rouen, adoptant donc un point de vue favorable aux droits de l’accusée ; par ailleurs, la récusation supposée visait seulement l’évêque de Beauvais. Aussi il serait hâtif de conclure que l’auteur de la Recollectio aurait forcément désapprouvé les conseils du Directorium – et l’immense latitude octroyée aux inquisiteurs –, pour d’autres juges et en d’autres circonstances. Sa vision n’a rien de révolutionnaire, « le style de l’inquisition » renvoyant souvent à des références archaïques. Il s’agit bien plutôt d’un retour aux fondamentaux ou, du moins, à ce que le dominicain considère comme tels.

Pour une inquisition réformée

12L’argumentation développée ad hoc est indéniablement biaisée par un présupposé favorable à Jeanne, et défavorable à ses juges, mais elle fait autorité et on ne peut pas exclure la possibilité que Bréhal ait profité de cette affaire pour faire entendre une parole normative et promouvoir une inquisition régulière, mesurée et apaisée. Cette justice est alors non seulement normée mais bornée. En effet, dans le chapitre ix où le caractère politique de certaines questions posées à Jeanne sans rapport avec la cause est évoqué, on lit :

« C’est pourquoi tout ceci fut frivole et superflu et tout à fait sans rapport avec cette même cause, alors qu’il est pourtant bien connu que les affaires de foi ont des limites déterminées, limites qu’il n’est vraiment pas permis de dépasser en enquêtant pour que de telles excursions ne heurtent ni la foi ni les fidèles (chapitre Accusatus, §. Sane et § suivants, du titre De haereticis du Sexte, 6o 5. 2. 8). Autrement, en effet, en étendant son pouvoir au-delà des bornes, cette même inquisition qui est établie d’une manière salutaire pour soutenir la foi, tournerait à l’oppression des innocents et se ferait complètement au détriment des fidèles. Ceci est tout à fait interdit dans la Clémentine Multorum du titre De haereticis (vers le début), avec les annotations de Jean André55. »

13Dans le paragraphe Sane du Sexte, allégué ici, il s’agissait de clarifier et circonscrire le champ d’activité de la justice extraordinaire afin de centrer l’office sur la lutte contre l’hérésie (et sans doute aussi de ne pas empiéter sur d’autres juridictions), les délits cités étant présentés par le pape comme faisant obstacle à la mission inquisitoriale – le terme employé est offendiculum repris par Bréhal pour parler cette fois, via un raccourci, d’entrave à la foi et aux fidèles. Cependant, en insistant sur ses « limites », l’inquisiteur va plus loin. L’idée est bien de contenir l’inquisition pour en préserver non seulement l’efficacité mais aussi, et surtout, l’intégrité. Le danger n’est plus simplement la dispersion ou la distraction mais le détournement moral ou idéologique. Un processus d’extension incontrôlée serait facteur de désordre et de perversion, aliénant l’inquisition en l’éloignant de son intention première. Bréhal pense bien entendu à l’instrumentalisation de la cause par les adversaires politiques de Jeanne, mais cette affirmation du risque potentiel à voir l’inquisition se retourner contre les fidèles – et donc contre la foi – et devenir une arme d’oppression, peut aussi être le fruit d’une réflexion plus générale sur la nature de l’office. De bons chrétiens, « innocents », pourraient pâtir d’une justice au pouvoir absolu, susceptible, entre de mauvaises mains, de servir de mauvais desseins. Les décrets du concile de Vienne, que Bréhal paraphrase ici, l’ont déjà souligné. Adoptés en 1311-1312, ils furent alors présentés comme une réponse aux abus des inquisiteurs, et ont placé ces derniers sous la surveillance des évêques56. Théologien de la seconde moitié du xve siècle, Bréhal a intégré la problématique des déviances judiciaires. Tirant les leçons des excès et abus du passé, il a pu être amené à considérer que seul le respect du droit – cet ensemble de règles qui limitent les débordements – constituait un principe de précaution salutaire57. La fin du chapitre consacré à Cauchon, se clôt par une véritable théorie de l’inquisition modérée :

« Ce qui vient d’être dit établit manifestement et la sévérité de l’évêque et sa haineuse passion contre l’accusée. Cependant les lois civiles elles-mêmes proclament que pareil sentiment dans un juge est souverainement exécrable. Elles inclinent toujours vers le parti le plus humain : loi Nulla de De legibus et senatus consulto (D. 1. 3. 25). On lit dans la loi Nulla : c’est bouleverser la notion de droit, la sainteté de la justice, de faire que ce qui a été établi pour le bien commun tourne au détriment général, par une trop sévère interprétation. La loi Observandum du titre De officio praesidis (D. 1. 18. 19) porte que le juge, dans l’instruction de la cause, ne doit manifester ni haine, ni colère, ni indignation, contre ceux qu’il croit mauvais ou coupable. Combien ces prescriptions sont encore plus urgentes selon les lois canoniques pour le juge d’Église ou le prélat ! Elles le sont surtout pour les causes de la foi, où on prohibe toute sévérité et toute impiété indigne, et où il faut incliner à absoudre plus qu’à condamner, ainsi qu’on le trouve au chapitre Ex litteris du titre De probationibus (X. 2. 19. 3). La glose allègue pour cela à cet endroit de nombreux textes concordants. C’est l’intention sincère et habituelle de l’Église, en premier dans les causes de la foi, où il s’agit de ramener les déviants plus encore que de les punir. Toute haine, toute rigueur, toute inhumaine sévérité est très strictement interdite, et sous les plus graves peines, tant aux prélats qu’aux inquisiteurs envoyés contre la souillure hérétique. C’est ce qui est clairement exprimé dans la constitution Multorum et dans les annotations des docteurs à cet endroit, au titre De haereticis, sixième livre (Clem. 5. 3. 1)58. »

14Selon une méthode récurrente dans la Recollectio, l’inquisiteur rappelle d’abord les lois romaines, bases de tout l’édifice législatif, puis établit une transition avec le droit canonique car ce qui est vrai de la justice civile, l’est plus encore de la justice ecclésiastique, le principe atteignant un degré paroxystique et emblématique dans les causes de la foi. L’humanité, vantée dans le droit civil, s’accompagne alors de l’intention charitable de l’Église, et la dimension pénitentielle de l’inquisition est professée. Ramener vers le droit chemin ceux qui se sont égarés l’emporte sur la répression des déviances. Par ailleurs, le procès inquisitorial, même de plano, ne peut être expéditif car il faut être prudent et suivre ordo per providenciam juris59. En opposition à ce protocole codifié, avec ces différentes étapes à franchir et à respecter, à partir de fondations solides, la procédure de 1431 est présentée comme un édifice bancal, construit sans méthode et à la hâte, malgré des tentatives pour couvrir la malfaçon avec une belle façade. Quelques lignes plus loin, l’inquisiteur ajoute :

« Parce qu’il ne faut pas procéder injustement là où sont nées les lois, et ce que l’on trouve précisément dans le droit, c’est une précaution pour que le crime d’hérésie – en raison de sa très grande énormité – ne soit en aucune manière imputé aux innocents. On le lit expressément dans la Clémentine Multorum du titre De haereticis60. »

15Alléguant de nouveau les Clémentines, Bréhal se place sous l’autorité papale et dans la perspective de la réforme inquisitoriale. L’hérésie justifie l’emploi de procédures extraordinaires mais le negotium fidei fait l’objet d’un contrôle grâce à des dispositions préventives. Les garanties subsistent, ce qui montre que l’inquisition n’est pas incompatible avec le droit. Enfin, la Recollectio se termine en réaffirmant l’orthodoxie de la Pucelle et les règles de l’hérésiologie. Bréhal y rappelle que la qualification d’hérétique est à manier avec prudence, or elle a été galvaudée61. L’inquisiteur idéal ne voit pas des hérétiques partout, ou n’utilise pas cette appellation à tort et à travers. Il fait preuve de sang-froid et respecte les lois. Il est aidé en cela par le consilium de Guy Foucois62. En évoquant cette autorité des premières décennies de l’inquisition, Bréhal s’inscrit dans la tradition et non dans la rupture. Si intention réformatrice il y a, elle doit se comprendre comme la volonté d’un retour à une forme originelle, pensée – et largement fantasmée – en contraste avec des dérives dont la condamnation de Jeanne est un exemple frappant.

16Composée dans le cadre d’un procès éminemment politique, la Recollectio doit aussi être replacée dans le contexte d’un ordre des Prêcheurs sur la défensive. Dans le royaume de France, au xve siècle, les dominicains jouent désormais souvent un second rôle dans la répression de l’hérésie. Ils sont tributaires d’autres pouvoirs qui ont pris le pas sur l’inquisition pontificale : les officiers du prince et les représentants du pouvoir épiscopal. Certains inquisiteurs, plus combatifs que d’autres, ont tenté d’y remédier. La riposte pouvait s’organiser sur le terrain, là où l’office était solidement implanté et où la collaboration avec les autorités locales était possible. La résistance pouvait aussi passer par l’écrit, par l’œuvre doctrinale ou polémique. Bréhal choisit l’arme de la rhétorique scolastique, sachant qu’il doit compter avec les décrets du concile de Vienne. Il ne les critique pas et ne remet pas en cause la collaboration, désormais acquise, entre l’évêque et l’inquisiteur mais il les utilise à l’envers. Là où les constitutions Multorum Querela et Nolentes étaient pensées pour contrôler les inquisiteurs et les subordonner aux évêques, le dominicain les allègue pour souligner les manquements de Cauchon et rappeler à l’ordre ce juge ordinaire, et peut-être aussi à travers lui tous les autres. Le maniement du droit canonique, dans la Recollectio, tend systématiquement à retourner la situation en faveur des inquisiteurs, en particulier lorsqu’il s’agit de la juridiction limitée du juge ordinaire ou du respect d’un strict équilibre établi par les Clémentines. Ainsi Bréhal rappelle que les règles s’appliquent « autant aux prélats qu’aux inquisiteurs63 ». Dans son argumentation, tout concourt à restreindre le champ de l’inquisition épiscopale en dénonçant ses abus, tandis que le « style » des inquisiteurs est loué comme empreint d’ordre et de tempérance. La territorialité de l’office judiciaire est utilisée pour contraindre l’évêque, tandis que l’inquisiteur pontifical, lorsqu’il n’est pas un simple vicaire, jouit d’une plus grande liberté. Bréhal lui-même est inquisiteur de la foi « dans le royaume de France ». C’est à l’aire du regnum, et non dans les limites d’un diocèse, que se mesure l’étendue possible de sa juridiction. Il a sans doute contribué à pérenniser une charge dominicaine menacée. Après lui, les nominations d’inquisiteurs dominicains se poursuivent, et de nombreux inquisiteurs que l’on commence à appeler « généraux », au tournant du siècle, seront issus de son couvent d’origine, Saint-Louis d’Évreux64.

17Le service de la France, de la justice, et de l’Ordre se confondent dans la procédure en nullité. Jean Bréhal a produit une œuvre savante, contentant les uns, rassurant les autres, témoignant aussi peut-être d’une utilité renouvelée de l’inquisitio, voire de son caractère incontournable en matière de foi, et assurant ainsi in fine la défense de l’office. Ce dernier reste, en outre, une extension de la juridiction pontificale, mise à mal pendant le Grand Schisme et la crise conciliaire. L’inquisition bréhalienne relève donc à la fois de la remédiation, de l’intégration et de la normalisation. Avec sa Recollectio, l’inquisiteur résiste aux dérives et fait figure de redresseur de torts, réconciliant le bien commun et la défense posthume d’une fidèle injustement condamnée. Certes, la nature extraordinaire de la victime, qualifiée de puella electa, rend la démarche exceptionnelle. Il n’est cependant pas indifférent que l’inquisiteur de France ait mené ce combat et écrit ces mots-là.

Notes de bas de page

1Sur Jean Bréhal et son œuvre, voir Silvestre Laurence, Jean Bréhal, inquisiteur d’exception ou inquisiteur exemplaire de la fin du Moyen Âge, thèse soutenue à l’université de Paris I Panthéon-Sorbonne, le 8 décembre 2017.

2AM, Évreux, CC. 12, fo 8 : « A religieuse personne et honneste maistre Jehan Brehal, docteur en théologie, pour don a luy fait par les gens d’eglise et bourgois d’icelle ville, pour aider a supporter les frais et mises qui lui convinrent fere quand il fut ordonné et fait docteur, pour ce paié par le commandement et ordonnance diceulx gens d’eglise et bourgois la somme de dix salus d’or, pour ce ix l. »

3Duparc Pierre, Procès en nullité de la condamnation de Jeanne d’Arc, 5 vol., Paris, Librairie Klincksieck, 1977-1988. La Recollectio occupe une partie du deuxième volume (p. 405 à 600), mais Pierre Duparc n’en a pas édité de traduction. Il en existe une édition plus ancienne mais très utile : Belon Marie-Joseph et Balme François, Jean Bréhal, grand inquisiteur de France et la réhabilitation de Jeanne d’Arc, Paris, P. Lethielleux, 1893. Toutes les références et citations latines, tirées de la Recollectio, et reproduites ici, proviennent de cette édition (pagination spéciale de 1* à 208* dans l’ouvrage) qui sera désormais référencée BB. Les traductions proposées sont les miennes.

4BB., p. 173*.

5Ibid., p. 161*-162*.

6Ibid., p. 123*.

7Ibid., p. 167*-168*.

8L’aveu spontané était une règle fondamentale, mais dans la pratique elle fut conciliée avec la nécessité de torturer : les seuls aveux pris en compte seraient alors ceux librement et formellement renouvelés après les tourments, cf. Carbasse Jean-Marie, « Les origines de la torture judiciaire en France du xiie au début du xive siècle », in Bernard Durand (dir.), La torture judiciaire. Approches historiques et juridiques, I, Lille, Centre d’histoire judiciaire, 2002, p. 382 note 1.

9Ibid., p. 201*-202.

10Loc. cit. : « Sed et hoc maxime cavendum est, ut scilicet ex suspicionibus judex procedat ad condempnandum ; et presertim de tam gravi crimine ut est crimen heresis, (per capitulum “Licteras”, De presumptionibus). Unde, cum Johana minime, ut patuit, de heresi fuerit per probacionem sufficientem aut confessionem convicta, ideoque censeri omnino debet istud judicium nullum contra eam habitum. »

11Ibid., p. 158*.

12Ibid., p. 160*.

13Loc. cit.

14Loc. cit., cité dans la note 2 : « Cum propter solam (quamvis vehementem) nolumus illum de tam gravi crimine condemnari […]. »

15Pour l’ignorance, il allègue la règle Scienti et conscienti du Sexte, ainsi que deux lois du Code et du Digeste, reprises par le Sexte (6o 1. 2. 2), et liant ce que nous voulons à la scientia et non à l’ignorantia, cf. ibid. p. 165* : […] scienciam enim, non ignoranciam, ligari volumus ; (lege « Generali », C. [de] Tabulariis, libro xo ; et lege ultima, ff. De decretis ab ordine faciendis ; c. « Ut animarum », De consitutionibus, libro vio) ; pour la contrainte, il allègue de nouveau le droit romain (Digeste) et le Décret de Gratien (canon Ita ne, D.G. 2. 32, 5, 3 ; canon Presbyteros, D.G. 1, 50, 32) ; pour la peur, il accumule les allégations dont la loi Persecutionem du Code, C.2. 20. 21.

16BB., p. 135*.

17Ibid., p. 136*.

18Ibid., p. 137* : « Preterea, eam duro tradere carceri et arto, longo tempore priusquam inquisitorem requireret, presumpsit. Ideo, juxta prefatam constitucionem, nulliter et indebite, presertim ante citationem et cause congnicionem, processit. Unde et lex dicit : Nullus incarcerai debet, ut ligetur in carcere, antequam convincatur. »

19Loc. cit.

20Loc. cit. : « et iterum secundum leges, cum carcer pocius inventus sit ad custodiam quam ad penam : (ff. De penis, « Aut dampno », § Solent) ; Nam et ipsarum legum humanitas vult, quod etiam reus capitalis criminis exhibitus, non debeat pati manicas ferreas inherentes ossibus ; sufficit enim ut talis tute custodiatu, et nullatenus crucietur (CDe custodia et exhibicione reorum, lege i). »

21Ibid. p. 138* : « Que etiam lex non patitur hujusmodi reum in obscuro diei luce privari ; quanto magis, ait, innocenti miserum esset. »

22Biget Jean-Louis, « L’Inquisition du Languedoc, entre évêques et mendiants (1229-1329) », in Les justices d’Église dans le Midi (xie-xve siècle), Cahiers de Fanjeaux, no 42, 2007, p. 121-163 ; id., « L’inquisition et les villes du Languedoc (1229-1329) », in Jacques Chiffoleau, Claude Gauvard et Andrea Zorzi (dir.), Pratiques sociales et politiques judiciaires dans les villes de l’Occident à la fin du Moyen Âge, Rome, École française de Rome, 2007, p. 527-551 ; Given James B., « Dans l’ombre de la prison. La prison de l’Inquisition dans la société languedocienne », in Isabelle Heullant-Donat, Julie Claustre et Élisabeth Lusset (dir.), Enfermements : le cloître et la prison (vie-xviiie siècle), Paris, Publications de la Sorbonne, 2011, p. 305-320 ; Fournier Paul, Les officialités au Moyen Âge. Étude sur l’organisation, la compétence et la composition des tribunaux ecclésiastiques ordinaires en France, de 1180 à 1328, Paris, E. Plon, 1880 ; Beaulande-Barraud Véronique et Charageat Martine (dir.), Les officialités dans l’Europe médiévale et moderne. Des tribunaux pour une société chrétienne, Turnhout, Brepols, 2014.

23BB., p. 138-139*.

24Loc. cit.

25Beaulande-Barraud Véronique, « Au pain de douleur et à l’eau de tristesse », in Isabelle Heullant-Donat, Julie Claustre et Élisabeth Lusset (dir.), Enfermements, op. cit., p. 289-303.

26BB., p. 177*.

27BB., p. 178* : « Secus autem, secundum Henricum post alios, (in capitulo “Si adversus”, De hereticis), qui dicit quod, ubi crimen est occultum et convinci non potest, non est audiencia seu legitima defensio deneganda, cum ecclesia non judicet de occultis : (c. “Sicut tuis”, et c. sequenti, De symonia ; c. “Christiana”, xxxii. q. v). Quinymo, ubi etiam crimen non est penitus occultum, antequam tales sint legitime confessi seu convicti de heresi, non est eis in processu inquisicionis defensio deneganda : in quo quidem, si contra jura gravarentur, possent appellare : (ii. q. vi, c.ii et iii, et c. “Non ita”). Non tamen admictuntur ad defendendum crimen heresis, aut substinendum aliquam speciem ejus vel sectam : (argumentum, c. “Non vos”, xxiii. q. v). Et ita in proposito nostro hec instancia non valet, ut ex superius deductis evidenter patuit. »

28Sur ce duplex occultum et donc sur la nuance et la tension entre penitus occultum ou omnino occultum et le pene occultum, ainsi que sur la « zone grise » entre les deux espèces d’occulte où le champ de l’enquête progresse en repoussant les limites imposées par le droit, voir Chiffoleau Jacques, « “Ecclesia de occultis non iudicat”. L’Église, le secret et l’occulte du xiie au xve siècle », in Il segreto nel Medioevo, Florence, Sismel/Edizioni del Galuzzo, 2006, p. 425-436.

29BB., p. 140*-145*. L’argument de la partialité est étayé par le chapitre Accedens (X. 2. 6. 4), le chapitre Insinuante (X. 1. 29. 25) et enfin Postremo (X. 2. 28. 36) ; pour la haine, il allègue la loi Apertissimi (C. 3. 1. 16), ainsi que le chapitre Secundo requiris des Décrétales (X. I2. 28. 41), puis la glose de Jean André sur Cum sicut, et finalement le Digeste (D. 40. 12. 9).

30BB., p. 145*.

31Ibid., p. 146*.

32Ibid., p. 148*-149*.

33Notons que Thomas Basin déploie une argumentation similaire sur la clause du Sexte et conclut que la Pucelle, bien que poursuivie en matière de foi, pouvait faire appel, voir Duparc Pierre, Procès, II, op. cit., p. 169-170.

34BB., p. 133* : « sicut ex stillo inquisicionis et moris et juris est ».

35Ibid., p. 206*-207* : « quod est contra equitatem et expresse contra stillum inquisitoribus traditum et semper observatum ».

36Sur les 70 articles de Jean d’Estivet et sur le « recentrage » que constituent les 12 articles, voir Contamine Philippe, Bouzy Olivier et Hélary Xavier, Jeanne d’Arc. Histoire et dictionnaire, Paris, Robert Laffont, 2012, p. 245-254.

37BB., p. 153*-158*.

38Ibid., p. 157*-158* : « Ideoque stillus inquisicionis contra hereticos, qui ab istis obervandus erat (juxta c. “Per hoc”, De hereticis, libro vio), habet et tenet, quod clari et breves, fideliterque extracti, ac debite coordinati, sunt formandi articuli in negocio fidei. »

39Ibid., p. 130*.

40Ibid., p. 173*.

41Ibid., p. 174*.

42Ibid., p. 174*-175*.

43Ibid., p. 175* : « Quod sub magnis penis fieri, presertim in causa fidei, districtissime prohibetur (in Clementina “Multorum”, De hereticis), ideoque omnis interrogacio captiosa de jure reprobatur, (juxta notata per Speculatorem, titulo De positionibus, §. viio, verbo “Considerandum”). »

44Sala-Molins Louis, Nicolau Eymerich, Francisco Peña, Le manuel des inquisiteurs, Paris, Albin Michel, 2001, p. 164, 169-173.

45Ibid., p. 172.

46Loc. cit.

47Sala-Molins Louis, Nicolau Eymerich, op. cit., p. 183.

48Ibid., p. 184-186 ; p. 191-192 ; p. 193-195.

49Dans le Directorium, on peut en effet lire qu’est relaps « celui qui avait déjà été considéré fortement suspect d’hérésie sans que l’on ait pu établir pleinement son crime et qui, après abjuration, est retombé dans l’hérésie », ibid., p. 91.

50Ibid., p. 209, 277.

51Ibid., p. 253.

52Ibid., p. 254-256.

53Ibid., p. 200.

54Ibid., p. 188-192.

55BB., p. 176* : « Ideoque superflua omnino fuerunt et frivola, necnon ad rem ipsam prorsus impertinencia ; cum tamen notum sit, quod fidei negocium limites prefixos habeat, quos sane inquirendo egredi non licet, ne ipsi fidei ac etiam fidelibus per hujusmodi impertinencia offendiculum preparetur : (ut c. “Accusatus”, §. “Sane”, et §. sequenti, De hereticis, libro vio). Alias enim, ultra metas potestatem extendendo, ipsa inquisicio, de qua pro argumento fidei salubriter provisum est, cederet plane ad detrimentum fidelium et gravamen innoxorium ; quod omnino fieri prohibetur (in Clementina “Multorum”, circa principium, De hereticis, cum notatis ibidem per Johannem Andree). »

56Les décrets concernant la réforme de l’inquisition figurent au livre V des Clementis papae V. Constitutiones, dans le troisième titre, De haereticis, aux chapitres i (Multorum querela) et ii (Nolentes) : Corpus iuris canonici, II. Decretalium collectiones, éd. Emil Friedberg, Graz, Akademische Druck-u. Verlagsanstalt (1re édition Leipzig, 1881), 1959, p. 1181-1183. Pour la traduction en français des constitutions Multorum querela et Nolentes, voir Alberigo Giuseppe (éd.), Les conciles œcuméniques, II. 1 : les Décrets, Paris, Cerf, 1994, p. 380-384.

57Sur les réactions suscitées par ces excès, voir Roncière Charles de la, « L’Inquisition a-t-elle été perçue comme un abus au Moyen Âge ? », in Gabriel Audisio (dir.), Inquisition et pouvoir, op. cit., p. 11-24.

58BB., p. 134* : « Et ita ejusdem episcopi manifesta severitas ac persone affectatum odium ex premissis evidenter comperitur, cum tamen in judice, etiam secundum dictamina civilium legum, hoc ad summum execrabile censeatur, quoniam semper ad humanitatem inclinant; (ff. De legibus et senatus consulto, lege “Nulla”, in qua dicitur) : “Nulla juris racio aut equitatis benignitas patitur, ut que salubriter pro utilitate hominum introducuntur, ea nos duriore interpretacione contra ipsorum comodum producamus ad severitatem”. Et (ff. De officio praesidis, lege “Observandum”), dicitur : Jus reddens in recognoscendo excandescere, scilicet ira, odio aut indignacione, non debet adversus eos quos malos putat. Quanto magis ergo secundum canonica jura in ecclesiastico judice aut prelate, causam potissimum fidei deducente, severitas ac impietas dampnabilis perhibetur, cum promptiora semper sint ad absolvendum quam ad condampnandum, (ut c. “Ex litteris”, De probacionibus ; et ad hoc in glosa allegantur ibidem multe concordancie). Sed et in premissa fidei causa, que pocius ad reducendum devios quam puniendum ex communi et sincere intencione ecclesie agitur, omne odium, omnis rigor, omnisque impia severitas tam prelatis quam inquisitoribus contra hereticam labem deputatis districtissime et sub gravissimis penis interdicitur : (ut clare patet in Constitucione “Multorum”, cum notatis ibidem per doctores, titulo De hereticis, libro vio). »

59Ibid., p. 202*-203*.

60Ibid., p. 204* : « quia non debent procedere injurie unde jura nascuntur, et maxime repperitur cautum in jure, ne heresis crimen, quod sua enormitate maximum est, insontibus quoquomodo imponatur : (quod expresse legitur in Clementina « Multorum », De hereticis) ».

61Ibid., p. 207*.

62Il s’agit des Quaestiones quindecim ad inquisitores. Ces instructions ont été éditées dans Carena Cesare, Tractatus de officio Sanctissimae Inquisitionis et modo procedendi in causis fidei, Lyon 1669, p. 365-39 (en appendix). Voir aussi Dossat Yves, « Guy Foucois, enquêteur-réformateur, archevêque et pape (Clément IV) », in Les évêques, les clercs et le roi (1250-1300), Cahiers de Fanjeaux, no 7, 1972, p. 23-57.

63BB, p. 134*.

64Le terme d’« inquisiteur général » ne semble apparaître qu’à la toute fin du xve siècle, pour devenir plus fréquent au xvie siècle. Nous le rencontrons, d’abord dans les registres des maîtres généraux de l’ordre des Prêcheurs, à propos de Thomas Héron, cf. Archivum generale ordis praedicatorum (AGOP), IV, 4, fo 18 ro : « fuit factus inquisitor generalis Francie in locum magistri Jo. Watat defuncti ». Puis on le trouve attaché à des dominicains issus, comme Bréhal, du couvent Saint-Louis d’Évreux : voir Chapotin Marie-Dominique, Études Historiques sur la province dominicaine de France, Paris, A. Picard et fils, 1890, p. 43-47.

Précédent Suivant

Le texte seul est utilisable sous licence Creative Commons - Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International - CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.