Limiter l’hérésie ? Un discours de résistance face à l’inquisition et au sabbat des sorcières
Le Tractatus de haeresi d’Ambroise de Vignate (vers 1468)
p. 175-190
Texte intégral
1À considérer l’ampleur de la nouvelle obsession démonologique qui caractérise le pontificat de Jean XXII (1316-1334), il semblerait que toutes les conditions intellectuelles, sinon juridiques, soient déjà réunies au début du xive siècle pour déclencher la chasse aux sorcières1. Il faut pourtant encore attendre la fin de ce même siècle pour que la pratique des sortilèges, au même titre que la divination et la magie noire (mais à l’exclusion du sabbat des sorcières encore plus tardif), soient significativement reliées à l’hérésie, comme on peut le constater, par exemple, sous la plume de Nicolas Eymerich († 1399) dans son fameux manuel des inquisiteurs, le Directorium inquisitorum (1376)2. L’élargissement de la notion d’hérésie3 qui va de pair avec le dynamisme de l’Inquisition n’a pas été cependant sans susciter de fortes résistances, en dehors comme au sein même de l’Église. Ce serait ainsi, pour une part, la défiance paradoxale de la papauté à l’égard de la juridiction inquisitoriale qui, selon Alain Boureau, aurait contribué à différer le phénomène de répression4. Au xve siècle, l’assimilation de la sorcellerie à l’hérésie est encore loin d’être acquise et l’Inquisition a souvent fort à faire sur le terrain de la magie et de la sorcellerie pour s’imposer localement face à d’autres juridictions concurrentes de la sienne. En dépit des efforts de persuasion déployés par certains juristes, parfois eux-mêmes inquisiteurs, l’appartenance de la magie ou du sortilège à l’hérésie fait encore débat dans la première moitié du xve siècle. Que ce soit sur le terrain très concret de la répression ou bien sur celui plus abstrait des normes juridiques, l’Inquisition ne parvient pas toujours à faire prévaloir ses vues conquérantes. Lorsqu’elle prétend poursuivre des sorciers ou des magiciens, elle se heurte alors souvent à de fortes résistances de la part d’autres tribunaux, aussi bien laïques qu’ecclésiastiques5. Si nombre de ces tensions juridictionnelles ont laissé des traces dans les archives judiciaires, peu de réflexions savantes ouvertement hostiles à l’Inquisition ont subsisté. Parmi celles-ci, le Tractatus de haeresi du juriste italien Ambroise de Vignate (v. 1410-1479) se distingue par la radicalité de son propos6.
2C’est probablement à l’apogée de sa carrière, vers 1468, que ce juriste réputé, originaire de Lodi, qui avait aussi enseigné le droit à Padoue, Bologne et Turin, composa ce petit traité sur l’hérésie encore assez méconnu des historiens. Le peu que l’on sait d’Ambroise de Vignate ne permet guère malheureusement de préciser le contexte de rédaction de son traité. Il est assuré que le texte a circulé, du vivant de son auteur, au-delà de l’Italie du Nord7. Par la suite, le traité a été jugé suffisamment important pour connaître une édition imprimée avec un commentaire de Francisco Peña. À défaut d’informations plus précises, c’est d’ailleurs à ce dernier que l’on doit la datation conventionnelle du De haeresi en 14688. La biographie très lacunaire de son auteur n’est que d’un faible secours pour préciser davantage les choses9. Formé dans les deux droits, Ambroise de Vignate fut un juriste assurément fort estimé de son temps, mais qui n’a laissé, en dehors de certains écrits, que peu de traces documentaires. Surtout actif entre 1435 et 1468, il semble avoir vécu jusqu’en 1479. Sa renommée relative lui survit à travers la destinée éditoriale d’une partie de son œuvre. Plusieurs de ses travaux ont ainsi fait l’objet d’éditions posthumes, éventuellement assorties de commentaires savants, comme c’est le cas pour son Tractatus de haeresi. Enraciné familialement en Lombardie, Ambroise de Vignate semble avant tout lié, dans les années 1450-1470, à la cour de Savoie pour laquelle il effectue en 1466 une mission diplomatique auprès du pape Paul II dont témoigne son discours d’apparat10. Dix ans plus tôt, en 1456, il comptait déjà parmi les 25 professeurs recrutés par la nouvelle université de Turin créée sous l’impulsion du duc de Savoie11. Sans pouvoir encore le prouver, archive à l’appui, il est ainsi fort probable qu’Ambroise de Vignate composa son traité sur l’hérésie à Turin dans l’orbite du pouvoir ducal piémonto-savoyard. À défaut de pouvoir s’appuyer sur des éléments biographiques plus consistants, c’est d’abord vers le texte lui-même qu’il convient de se tourner.
3À première vue, le traité d’Ambroise de Vignate n’a rien d’un brûlot subversif. Ainsi que son titre le suggère, le texte s’apparente à une sorte de synthèse savante sur l’hérésie. Le propos se décline en 21 questions qui s’articulent plus ou moins en deux parties (cf. annexe) : la première (de la question 1 à 12) consiste à définir l’hérésie de manière à la fois positive, en disant en quoi elle consiste et où elle commence, et négative, en indiquant ce qu’elle n’est pas et où elle s’arrête. Une seconde partie (de la question 13 à 21) porte davantage sur les aspects procéduraux et les conséquences juridictionnelles de la poursuite des hérétiques : Vignate y envisage successivement le nombre de témoins requis dans les affaires d’hérésie, la validité des aveux, la légitimité des juridictions, les modalités de capture ou de punition des coupables d’hérésie, enfin les problèmes soulevés par la confiscation des biens. À considérer pourtant de plus près son contenu, le traité de Vignate ne manque pas de surprendre par sa virulence à l’encontre de l’Inquisition.
Un anti-manuel de l’inquisiteur ?
4Sous des dehors ordinaires, le traité se présente comme une véritable machine de guerre dirigée contre l’Inquisition dont il s’agit de restreindre au maximum le champ de compétence. À contre-courant de cette forte tendance à « hérétiser » la magie et la sorcellerie traditionnelle que l’on observe depuis le début du xive siècle, Ambroise de Vignate s’efforce, en effet, par tous les moyens, à la fois théologiques et juridiques, de limiter l’hérésie, c’est-à-dire d’en restreindre la qualification.
5Si le Directorium inquisitorum de Nicolas Eymerich n’est jamais désigné explicitement – Vignate se contente incidemment de mentionner « certains livres et opuscules d’autres inquisiteurs12 » – il ne fait guère de doute qu’il constitue l’une des principales cibles du Tractatus de haeresi. La chose n’a rien d’étonnant en Italie du Nord vers le milieu du xve siècle dans la mesure où le manuel inquisitorial d’Eymerich est devenu la référence incontournable de l’Inquisition dominicaine dans ses tentatives pour défendre ou accroître ses prérogatives. À Bologne, par exemple, l’inquisiteur dominicain, Girolamo Parlascha de Côme, l’utilise alors volontiers dans les années 1460 pour étayer ses revendications en matière de lutte contre la magie noire et l’invocation des démons13. On sait aussi que son prédécesseur immédiat dans cette charge en avait fait établir une nouvelle copie en 1461, tout en cherchant à aiguiser ses armes juridico-procédurales contre l’invocation des démons et la magie savante14.
6Selon un ordre exactement similaire à celui du Directorium inquisitorum15, Ambroise de Vignate passe en revue les différentes catégories de contrevenants et d’activités susceptibles d’être contaminées par l’hérésie : les blasphémateurs, ceux qui portent en collier des brevets ou des amulettes protectrices contenant des extraits des livres sacrés, les devins ou astrologues, plus ou moins classés selon leurs différentes techniques de divination (par le biais des songes, des astres ou même des démons), etc. Mais là où l’inquisiteur aragonais attribuait un caractère hérétique aux activités illicites répertoriées aux marges de l’hérésie (les pratiques magiques et divinatoires, etc.), Vignate conteste absolument cette qualification. Tout à fait au rebours d’Eymerich et de ses continuateurs au xve siècle, il procède ainsi à une sorte de « déshérétisation » systématique de toutes les activités illicites que l’Inquisition s’efforçait depuis longtemps de rapprocher de l’hérésie.
7À vrai dire, la stratégie argumentative du juriste italien est assez rudimentaire : il développe sa critique soit en déniant catégoriquement la présence de l’hérésie (par exemple au sujet de la divination par les astres16), soit en instillant le doute sur celle-ci, doute qui, selon lui, doit toujours profiter aux autorités civiles. L’obstruction systématique de Vignate à Eymerich va jusqu’à contester le caractère hérétique de l’invocation des démons :
« En outre, il semble qu’il soit licite d’enquêter auprès de celui qui sait la vérité utile à connaître : comme lorsqu’il est utile de savoir des choses cachées (occulta) qui peuvent être connues par les démons, ainsi, par exemple, pour découvrir les coupables de vols. En conséquence, il ne semble pas que la divination qui se pratique par les invocations démoniaques soit illicite17. »
8Dépourvue de subtilité, la méthode argumentative de Vignate est cependant bien rodée. Le juriste se sert principalement de la Somme théologique de Thomas d’Aquin dont la questio 95 de la Secunda secunde sur les différentes sortes de divination est largement mise à contribution18. Ambroise de Vignate se contente le plus souvent de démarquer textuellement le théologien dominicain tout en déformant son propos : des articles successifs de la questio 95, il ne retient en effet que les arguments qui abondent dans son sens, c’est-à-dire le plus souvent la première partie de la question, celle qui correspond à la position liminaire du videtur quod, autrement dit de cette phase initiale du raisonnement scolastique qui consiste à collecter des arguments en faveur d’une proposition contre laquelle va ensuite précisément s’élever le maître. Loin de refléter la position doctrinale de Thomas d’Aquin, l’argumentaire de Vignate l’assouplit ainsi dans un sens très permissif.
9Sous un angle d’attaque plus juridique, il fait également un ample usage du canon Accusatus au titre du chapitre Sane, tiré du Sexte, qui détournait en principe les inquisiteurs des arts divinatoires et des sortilèges sauf si ces derniers avaient manifestement la saveur de l’hérésie19. Ce chapitre, dérivé d’une bulle d’Alexandre IV (Quod super nonnullis) édictée en 1257, est celui-là même qui embarrassait fort Nicolas Eymerich au point que celui-ci n’eut de cesse, au fil de ses écrits, de le relativiser, de le marginaliser et, même à la toute fin de sa vie, de l’escamoter en lui substituant la redoutable mais suspecte décrétale Super illius specula (1326) attribuée à Jean XXII qui assimile ouvertement la magie à l’hérésie20. Il va de soi que Vignate ne cite jamais Super illius specula. De même d’ailleurs qu’il se montre extrêmement discret concernant l’articulation de l’hérésie avec la lèse-majesté : la fameuse bulle d’Innocent III, Vergentis in senium (1199) qui définit l’hérésie comme un crime attentatoire à la majesté divine et temporelle21 n’est citée que dans un seul chapitre relatif à la punition des hérétiques22. C’est que le projet de limiter l’hérésie n’est sans doute effectivement pensable qu’en reléguant à l’arrière-plan le crime de majesté, un crime dont la nature même (puisque la majesté désigne une grandeur indépassable et inquantifiable) implique une sorte d’expansion continue de l’incrimination23.
10En résumé, Ambroise de Vignate élève précipitamment une série de digues intellectuelles et juridiques autour de certaines activités plus particulièrement visées par l’Inquisition dans le cadre élargi de son combat contre l’hérésie. Il se pose ainsi en adversaire résolu des tendances « expansionnistes » de la juridiction inquisitoriale exprimées notamment par Nicolas Eymerich à la fin du xive siècle. En définitive, le juriste italien n’écrit un traité sur les hérésies que pour mieux en limiter les effets incriminants. Mais le Tractatus de haeresi n’est pas qu’une réplique au manuel des inquisiteurs d’Eymerich. Il enregistre, en effet, dans sa structure même, une évolution majeure, propre au xve siècle, et comme telle ignorée d’Eymerich : l’invention du sabbat des sorcières.
11L’analyse de sa composition est d’emblée révélatrice de l’importance nouvelle prise par la sorcellerie moderne articulée sur l’imaginaire du sabbat. L’organisation grossièrement duale du traité n’est pas non plus d’une cohérence parfaite : la deuxième partie intègre ainsi deux questions (la questio 15 sur les schismatiques et la questio 18 sur la confection des philtres amoureux) qui auraient davantage leur place dans la première. Ces apparents défauts de construction témoignent sans doute du caractère hâtif de la mise en forme du De haeresi qui transparaît aussi dans la rapidité avec laquelle la plupart des questions sont traitées. En y regardant de plus près, il semblerait que l’organisation générale du propos en deux parties soit en réalité déterminée par l’importance accordée aux trois questions centrales (10, 11 et 12) qui jouent dans le même temps le rôle effectif de charnière. Les questiones 11 et 12 notamment se trouvent consacrées à la sorcellerie mais selon deux modalités différentes : l’une, « traditionnelle », traite rapidement des magiciens et des devins, l’autre, beaucoup plus longue, est liée au sabbat. Ces questiones 11 et surtout 12 pourraient constituer le véritable noyau conceptuel autant que la véritable raison d’être du Tractatus de haeresi. Autrement dit et en dépit des apparences formelles, c’est bien déjà autour d’un problème tout à fait étranger à l’univers d’Eymerich – celui de la sorcellerie moderne (witchcraft) – que se déploie, vers le milieu du xve siècle, ce discours de résistance face à l’Inquisition.
Un traité inspiré par la nouvelle sorcellerie
12Le combat d’Ambroise de Vignate apparaît bien, en effet, d’actualité vers le milieu du xve siècle. La mainmise de l’Inquisition sur les affaires de magie et de sorcellerie traditionnelle, à base de sortilèges et de philtres amoureux, est loin d’être acquise partout, même en Italie du Nord. En fonction des situations, leur poursuite judiciaire donne lieu à d’âpres discussions et conflits juridictionnels dont l’Inquisition ne sort pas toujours victorieuse24. L’intensité de la polémique est précisément proportionnelle à la résistance. Tout au long du xive et du xve siècle, nombre d’écrits émanant d’inquisiteurs et incitant à la persécution de la magie et/ou de la sorcellerie résultent souvent d’une frustration (c’était déjà le cas d’Eymerich en butte à l’hostilité de l’épiscopat catalan et ce sera encore le cas du Malleus maleficarum en 1484-148625). De fait, il se pourrait que l’invention du sabbat démoniaque, dans les années 1420-1440, soit aussi, pour une part, le produit de cette frustration de la part de certains juges et parmi eux des inquisiteurs. Dans un certain nombre de cas bien contextualisés, le crime de sorcellerie a été utilisé par l’Inquisition dominicaine comme un levier pour bousculer les lignes de défense traditionnelles et tenter de déborder, par l’effroi, en agitant le spectre d’une menace « énorme », l’ordre juridictionnel établi26. Le fait est que le traité d’Ambroise de Vignate n’ignore pas cette réalité : il constitue même une réponse directe à cette poussée démonologique sensible sans doute dès le début du xive siècle, mais profondément transformée et amplifiée par l’invention du sabbat.
13Que le stéréotype du sabbat constitue la cible prioritaire du juriste italien ne fait aucun doute. Cela se traduit dans la structure même de son ouvrage avec l’importance particulière accordée à la question 12, relative aux lamies, aux striges et à leurs délits (de lamiis seu strigibus et earum delictis)27. Véritable traité dans le traité28, elle constitue de loin la question la plus longue et bénéficie d’un traitement particulier en tant qu’elle se développe selon un double raisonnement, à la fois théologique et juridique, sur le modèle scolastique du pro et contra. Tout se passe comme si l’auteur entendait se placer sur le même terrain que celui de ses adversaires dont on peut ainsi déduire qu’ils se rencontraient aussi et peut-être surtout parmi les théologiens et les inquisiteurs. Même sans nommer ses ennemis, le discours polémique de Vignate autour de la possibilité du sabbat ne peut pas ne pas rappeler d’autres traités contemporains comme ceux composés quelques années plus tôt, en Lombardie, par le dominicain Girolamo Visconti, le Lamiarum sive striarum opusculum (Opuscule sur les lamies et les striges) et l’Opusculum de striis (Opuscule sur les striges) ; deux ouvrages qui s’attachaient à vider le canon Episcopi de sa substance pour mieux encourager, notamment auprès du duc de Milan, la répression de la sorcellerie démoniaque29.
Une double évocation inaugurale du sabbat
14La question 12 reflète un état de la croyance au sabbat qui apparaît déjà très élaboré. Dès l’ouverture, l’auteur rend compte de ces femmes qui rapportent dans leurs aveux comment, à la manière des striges, elles circulent la nuit pour accomplir d’innombrables forfaits en compagnie ou avec l’aide des démons :
« Que pouvons donc nous dire de ces femmes qui avouent se déplacer pendant la nuit, sur de longues distances et en peu de temps, qui avouent entrer dans des chambres étrangères et closes, avec l’aide de leurs maîtres, les démons (comme elles disent), avec lesquels elles parlent, auxquels elles versent un cens, et avec lesquels (comme elles disent), elles ont une relation charnelle, et qui, persuadées par ces démons (comme elles disent), renient Dieu et la Vierge Marie et qui foulent aux pieds la sainte croix, et qui, avec l’aide des démons (comme elles disent), tuent les enfants et tuent les hommes, et les font tomber dans diverses infirmités, et qui disent faire bien d’autres choses similaires encore, et qui, parfois, avouent se transformer en forme de souris, et qui disent que le diable parfois se transforme lui-même en forme de chien ou d’autres animaux ? Et toutes ces choses et d’autres semblables sont-elles possibles, vraisemblables ou croyables30 ? »
15Comme on le voit, cette première description réunit tous les éléments constitutifs de l’imaginaire du sabbat : le vol nocturne et magique, les relations approfondies, jusqu’à l’union charnelle, avec le diable, les meurtres d’enfants, les maléfices, les diverses profanations sacrilèges ainsi que les métamorphoses animales. Quelques lignes plus loin, Ambroise de Vignate reprend le même motif pour y ajouter de nouveaux éléments :
« J’ai très souvent considéré ce cas dans les faits, et il m’est arrivé, entre autres, le cas suivant : une certaine personne accusée d’être de la secte des masques ou des sorciers, et qui avait avoué pour elle-même, accusait beaucoup d’autres hommes et femmes [affirmant qu’ils] étaient de la secte de ceux qui se déplacent la nuit et qui vont çà et là, à des carrefours de trois ou quatre routes ou bien sur les chemins des confins et qui font beaucoup de maux : sur la base de sa déposition, l’inquisiteur de la dépravation hérétique se saisit de plusieurs femmes et les incarcéra, parmi lesquelles certaines avouèrent spontanément les choses susdites et de la même façon, tandis que d’autres, persistant à nier, furent soumises à la torture et elles avouèrent dans les tourments31. »
16D’un passage à l’autre, l’image se modifie sensiblement. D’exclusivement féminine, la nouvelle sorcellerie s’indifférencie du point de vue du genre. Le motif de l’errance nocturne, de la cavale meurtrière, perdure, mais il change de contenu : il prend une dimension plus collective et sectaire. Les hommes et les femmes appartiennent désormais à une secte particularisée (la « secte des masques » – dont le nom fait écho au modèle provençalo-alpin du sabbat32 – « ou des sorciers ») capables de se réunir rapidement et clandestinement, sous le couvert de l’obscurité, pour mieux accomplir leurs méfaits. La reprise du motif sabbatique s’opère surtout dans un cadre judiciaire plus marqué. Dans la première évocation, le récit était surtout référé à la parole de ces femmes qui semblaient tout droit sorties du canon Episcopi. La formule « ut dicunt » y était récurrente. La deuxième mention apparaît davantage reliée à l’aveu judiciaire. Le fait est qu’elle s’inscrit plus nettement que la première dans un contexte judiciaire encore assez vague, indéterminé et néanmoins suffisamment précis pour révéler l’intervention d’un inquisiteur auquel l’auteur se serait peut-être personnellement confronté. Ici, et le cas est unique dans l’ensemble du traité, l’expérience personnelle du juriste ou du magistrat laïc transparaît sous le voile du discours normatif.
17À travers ce double récit inaugural du crime de sorcellerie, le début de la questio 12 condense une évolution plus générale qui, à l’échelle d’un demi-siècle, fait confluer les récits, assurément très anciens et d’origines composites, de voyages nocturnes à la suite de déesses païennes, vers le paradigme du sabbat.
18La sorcellerie est devenue un problème qui n’est pas ou plus seulement d’ordre pastoral, disciplinaire ou même seulement intellectuel, mais aussi et plus nettement judiciaire. Si elle demeure floue et incertaine, la situation évoquée par Ambroise de Vignate est loin d’être purement rhétorique. Elle renvoie à une certaine réalité dont les historiens commencent à mieux discerner les contours. Précisément dans les années 1450-1460, nombre de procès en sorcellerie, plus ou moins bien attestés par la documentation conservée33, sont intentés, le plus souvent à l’initiative de l’Inquisition dominicaine et franciscaine, sur le versant italien des Alpes (dans le Piémont savoyard, en Lombardie, etc.)34. D’une façon générale, vers le milieu du xve siècle, l’Italie du Nord se distingue de celle du Sud ou du Centre par une plus grande intensité de la répression dirigée contre la sorcellerie de type diabolique. Mais d’un autre côté, la persécution ne se développe pas de façon homogène. Bien que parfaitement au courant de ce qui se passe sur le versant occidental des Alpes et sensibilisé au problème de l’invocation des démons, un évêque comme Nicolas de Cues, lorsqu’il est confronté, dans son diocèse de Bressanone/Brixen en 1457, au cas de deux vieilles femmes du Val di Fassa accusées d’appartenir à la « société de Diane », ne lui applique pas moins le régime pénitentiel indulgent découlant de l’interprétation traditionnelle du fameux canon Episcopi35. D’un point de vue judiciaire, la situation en Italie du Nord semble encore très fluide vers le milieu du xve siècle. Le même type d’accusation fondé sur la nigromancie ou même l’imaginaire du sabbat peut aboutir, en fonction des régions ou des juridictions concernées, à des résultats diamétralement opposés. C’est aussi dans ce contexte incertain que se situe le traité d’Ambroise de Vignate.
Un apprenti théologien face à la possibilité du sabbat ?
19Comme en écho à cette double mention inaugurale de la sorcellerie démoniaque, le juriste italien développe sa réponse autour de deux problèmes successifs : l’un qui concerne la possibilité du sabbat, l’autre qui porte sur la validité des aveux extorqués aux accusés, éventuellement sous la torture.
20De manière assez singulière pour un juriste de formation, docteur dans les deux droits, c’est d’abord sur le terrain théologique ou démonologique que l’auteur s’aventure pour aborder le problème de la possibilité du sabbat. La forme contradictoire de sa démonstration, calquée sur le modèle de la disputatio scolastique, a pu induire l’historiographie en erreur, en la conduisant à lui attribuer directement des propos sceptiques qui relèvent en réalité d’une posture rhétorique36. Conformément à la logique de la pensée scolastique, l’auteur commence par présenter des arguments au titre du pro avant d’envisager ceux du contra, sans pour autant faire sienne cette seconde position, loin de là. Comme on sait, tout le raffinement de la démonstration scolastique consiste précisément à dépasser les contradictions apparentes du « pour » et du « contre » pour mieux dégager une solution consensuelle en forme de synthèse37. C’est donc bien dans les conclusiones et seulement dans les conclusiones qu’il faut aller chercher la quintessence de la pensée d’Ambroise de Vignate.
21Or, à s’en tenir à ses seules conclusiones38, le juriste italien, manifeste une assez grande tolérance à l’égard de la possibilité du sabbat. De tous les aspects fantastiques du nouveau crime de sorcellerie, seule la métamorphose animale est véritablement frappée d’impossibilité. Toutes les autres performances attribuées aux sorciers et aux sorcières, à commencer par le vol magique ou le fait d’entretenir des rapports physiques avec les démons, depuis l’échange verbal jusqu’à l’union sexuelle, entrent dans le champ du possible. Parfaitement admise par le juriste, la théorie des corps assumés joue un rôle essentiel dans la prise en compte effective des interactions entre les démons et les êtres humains39. Par le biais des corps assumés, les anges peuvent accomplir presque toutes les fonctions vitales, y compris entretenir des relations sexuelles avec des femmes ou des hommes. Chez Vignate, une forme de corporéité des démons perdure et fait obstacle à la remise en cause de l’acceptabilité du sabbat.
22Certes, il est vrai que Vignate, dans le même temps, s’emploie à minimiser la puissance des anges maléfiques dont les manifestations sont toujours subordonnées à la volonté divine. Il insiste ainsi sur les difficultés de l’entreprise qui consiste à assumer des corps d’emprunt. L’opération est possible, en ce sens qu’elle est à la portée « technique » des mauvais anges, mais elle ne va pas sans laisser des traces susceptibles de trahir la supercherie : les corps assumés inspirent ainsi malgré eux la peur aux hommes40. Mais il ne peut en nier absolument la possibilité. La démonologie joue avec les frontières du réel et un juriste aussi renommé qu’Ambroise de Vignate peine à contenir ses poussées. Son effort de résistance se focalise sur les métamorphoses alors que celles-ci n’occupent qu’une faible part dans les propos imputés aux sorcières, à savoir le seul fait de se transformer en souris. Il tente bien de repousser du côté de l’illusion l’ensemble des récits liés aux sorcières, mais sans y parvenir vraiment, faute de pouvoir notamment neutraliser la théorie des corps assumés qui constitue l’une des principales portes d’entrée du sabbat dans le réel41. Si une grande partie du concept sabbatique est ici postulée comme invraisemblable, il n’en reste pas moins possible, à la seule et unique exception des métamorphoses.
23À son tour, Ambroise de Vignate illustre bien la faible capacité de résistance de la démonologie thomiste (ou du moins l’interprétation qui en est donnée au xve siècle) face au nouveau concept du sabbat. Au final, seuls les récits de transformations zoomorphes constituent vraiment des impossibilia. Tous les autres aspects de l’imaginaire du sabbat entrent dans la catégorie (moins résistante à l’offensive des chasseurs de sorcières) des choses « peu vraisemblables ». En conclusion de sa première partie, s’il introduit effectivement le doute sur le contenu des aveux des sorcières en considérant que « plusieurs choses […] sont impossibles », à commencer par les métamorphoses, il n’en est pas moins obligé de concéder que d’autres, c’est-à-dire la plupart, sont « vraisemblables42 ».
24Il ne faut donc pas ranger trop vite Ambroise de Vignate dans le camp des sceptiques. Sa dépendance exclusive à l’égard d’une démonologie d’inspiration thomiste ne lui permet pas de contester la possibilité du sabbat. De ce point de vue, il ne se distingue guère des tenants contemporains d’une répression accrue de la sorcellerie en Italie du Nord. Une position tout à fait analogue sur la possibilité du sabbat est ainsi soutenue au même moment ou peu de temps auparavant par d’autres auteurs qui militent en faveur de la répression. On se souvient ainsi que le dominicain Girolamo Visconti avait défendu quelques années plus tôt la thèse de la possibilité du sabbat dans une optique très différente de celle de Vignate43. Comme il a déjà été noté44, la ligne de partage entre les adversaires et les partisans de la répression de la sorcellerie ne recoupe pas exactement celle qui oppose les adeptes de l’illusion et ceux du réalisme sabbatique. À partir d’une position théorique commune (la possibilité du sabbat), des auteurs relativement proches comme Ambroise de Vignate et Girolamo Visconti peuvent ensuite totalement diverger sur les conséquences pratiques à en tirer. On peut croire, comme Vignate, en la possibilité théorique des relations concrètes des hommes avec les anges maléfiques sans pour autant succomber à la peur panique du péril sorcier.
La résistance du droit
25La résistance qu’oppose Ambroise de Vignate à la sorcellerie démoniaque et surtout à ses conséquences dans le domaine judiciaire et donc à l’Inquisition, s’observe bien davantage sur le versant juridique de sa réflexion.
26Au tout début de sa questio 12, le juriste avait établi une première échelle d’évaluation des propos placés dans la bouche des lamies ou des striges45. Cette échelle comportait trois degrés : la « possibilité », le « vraisemblable » et le « crédible » ou plus exactement peut-être « ce qu’il faut croire ». La première partie de sa démonstration axée sur la possibilité du sabbat ne fait jouer que les deux premiers critères de l’évaluation. À l’issue de celle-ci, les faits imputés aux accusés se répartissent en effet sur une échelle réduite à deux degrés : les métamorphoses sont déclarées impossibles, les autres opérations « possibles », éventuellement « vraisemblables », mais à aucun moment « crédibles ». C’est bien que dans l’esprit d’Ambroise de Vignate il revient en définitive au droit, et notamment au droit procédural, de dire « ce qu’il faut croire » en matière de sorcellerie et, surtout, ce qui est vrai.
27La deuxième partie de sa démonstration porte sur la recevabilité des aveux. Si le mode de raisonnement fondé sur les arguments pro et contra est toujours le même, la réflexion prend un tour beaucoup plus juridique comme le montre l’inflation soudaine des références précises au droit savant. Il est intéressant de voir que l’échelle d’évaluation posée au départ est toujours pertinente, mais qu’elle s’enrichit soudain d’un nouveau degré qui a pour nom la certitude (« incerta », « crimina certa »)46. La question n’est plus seulement de savoir si le sabbat est possible, mais de déterminer si ce que l’on rapporte à son sujet, sous la forme de l’aveu, est vrai. Là où la démonologie permet de tracer la limite entre le possible et l’impossible, la pensée juridique fait la distinction entre le faux et le vrai, entre l’allégué et la certitude. Tout l’effort critique du juriste se reporte alors sur les conditions d’obtention de l’aveu, seules garanties de leur valeur.
28Sur le point de conclure, le juriste de Turin envisage successivement cinq cas de figures où les effets incriminants de l’aveu se trouvent pour l’essentiel neutralisés. La confession d’un crime impossible, comme celui des métamorphoses animales, ne saurait ainsi porter préjudice à son auteur. De même, le fait pour un prévenu d’avouer des choses possibles mais peu vraisemblables (comme les maleficia supposés jalonner la « course » nocturne des sorciers et des sorcières) et surtout sans fournir de détails précis à leur sujet, ne peut être retenu à son encontre. À l’inverse, si l’accusé avoue des crimes certains (crimina certa) au titre de l’homicide, de la divination et du sortilège, il n’en échappe pas moins à la compétence inquisitoriale puisque ces cas ne relèvent pas de l’hérésie. Il en va de même pour les méfaits illusoires qui, conformément à l’autorité du canon Episcopi, n’entrent pas dans le champ de l’hérésie. En définitive, le juriste n’admet l’intervention légitime de l’inquisiteur que dans une seule situation : lorsque les aveux contiennent des éléments constitutifs d’une causa heresis, tels que des atteintes aux sacrements ou des paroles dissonantes avec la foi47. En ce cas précis, Vignate semble bien reconnaître la validité des aveux extorqués aux accusés et par là même la possibilité d’étendre les poursuites à leurs complices présumés, en conformité avec la décrétale In fidei favorem48. Cette bulle d’Alexandre IV, insérée ensuite dans le corpus canonique sous Boniface VIII, accrédite en matière d’hérésie le témoignage de personnes (mineures, diffamées, excommuniées, etc.) qui n’étaient pas habilitées à le faire en droit commun. En ce sens, la tentative de Vignate pour décrédibiliser les aveux des sorciers et des sorcières semble bien achopper ici sur l’extraordinaire, au sens légal du terme. C’est pourquoi cette concession apparente à l’Inquisition dans le domaine de la lutte contre la sorcellerie (dans la seule hypothèse où celle-ci contiendrait des traces d’hérésie), est-elle aussitôt assortie dans le traité de Vignate d’un rappel de toutes les garanties légales susceptibles de limiter la portée incriminante de l’aveu dans le procès pour hérésie : caractère vraisemblable de l’accusation, nécessité de présomptions préalables, etc. De manière paradoxale, l’ultime argument avancé par Vignate pour s’opposer à la répression indiscriminée de la « secta mascorum » consiste à disqualifier la parole des femmes devant le tribunal : « Que la femme puisse diffamer ou accuser quelqu’un ou quelqu’une d’hérésie est grandement absurde, puisque, bien que les femmes soient admises [à témoigner] par In fidei favorem, cependant la femme est interdite de témoignage dans les autres affaires criminelles49. »
29On comprend mieux sans doute alors pour quelles raisons le juriste s’est employé à replacer la sorcellerie fondée sur l’imaginaire du sabbat dans le cadre global d’une réflexion sur l’hérésie, ou plutôt sur ses limites. En inscrivant la questio 12 sur les lamies et les striges dans la suite logique d’une série d’activités illicites systématiquement ou presque « nettoyées » de tout soupçon hérétique, Ambroise de Vignate prépare l’adhésion de son lecteur à cette idée que la répression de la sorcellerie ne saurait passer intégralement par la voie légale de l’extraordinaire. Le plus important alors n’est pas de déterminer si le sabbat démoniaque est possible ou non, mais de limiter la qualification de l’hérésie pour mieux bloquer l’extension du régime procédural d’exception qui lui est intrinsèquement lié50.
30Dans la conjoncture nouvelle des poursuites engagées contre les adeptes de la « secte des masques », limiter l’hérésie, c’est aussi et surtout s’opposer au renforcement des moyens de l’extraordinaire, c’est-à-dire de toutes les formes dérogatoires à la procédure criminelle commune. Certes, à l’époque de Vignate, le régime légal de l’extraordinaire est déjà fortement implanté dans les pratiques criminelles des juridictions ecclésiastiques et civiles, comme en témoigne la place croissante aux xive et xve siècles de la torture probatoire dans l’enquête pénale51. Il reste qu’un certain nombre de garanties offertes à la défense subsistaient, même dans le cadre d’une procédure criminelle de moins en moins accusatoire et de plus en plus subordonnée à la protection de la chose publique52. Officiellement inscrites dans les statuts communaux et régulièrement répétées par la doctrine, des limites étaient ainsi assignées à l’usage de la torture judiciaire et aux modalités d’obtention de l’aveu. Ce sont précisément ces ultimes garanties, fragiles barrières encore élevées par le droit autour de l’accusé, que la montée en puissance du discours anxiogène sur la sorcellerie démoniaque menace de renverser. Confronté à l’émergence du sabbat, Vignate fait de son mieux pour tenter de reconduire le traitement judiciaire des accusations en sorcellerie dans le cadre de la procédure criminelle la plus « ordinaire » possible.
31En définitive, toute la démonstration de Vignate (et son efficacité éventuelle) repose sur ce postulat que la sorcellerie démoniaque ne relève pas de l’hérésie. D’une certaine façon, l’opération ne peut fonctionner qu’à la condition de banaliser la sorcellerie pour mieux aligner son traitement judiciaire sur celui des crimes ordinaires. Opération difficile, assurément, car dans le même temps, Ambroise de Vignate oublie ou fait mine d’oublier que la nouvelle sorcellerie est aussi, par elle-même, indépendamment même de l’hérésie, porteuse de l’exception. Comme l’a bien souligné Jacques Chiffoleau, si le sabbat est inimaginable sans l’extraordinaire, la réciproque est encore plus vraie dès lors que la nécessité de lutter contre la redoutable secte des adorateurs du diable, contre l’occulte dont le sabbat est devenu la forme principale au xve siècle, justifie toujours le recours aux formes légales de l’exception judiciaire (le secret, la torture, etc.)53. À la vérité, Ambroise de Vignate ne peut tout à fait s’empêcher de le reconnaître : il y a bien dans l’activité des lamies et des striges des choses hors du commun. Même si l’auteur n’insiste pas sur la présence des « enormia » ou la dimension occulte du crime54, il n’en concède pas moins que la plupart des performances attribuées aux sorciers et aux sorcières sont « possibles » par exception, du fait d’une permission « spéciale » accordée par la toute-puissance divine55. Par exemple, dans l’éventualité (impossible pour l’auteur à exclure tout à fait) que le vol magique existerait, il constituerait non seulement l’une des manifestations les plus spectaculaires de la puissance (« potestas ») du diable, mais encore la conséquence d’une permission toute « spéciale » de Dieu ; autrement dit d’une suspension exceptionnelle des lois de la nature. À certains égards, le sabbat se présente comme une sorte de miracle divin à l’envers, un miracle réalisé par procuration. La puissance divine délègue momentanément au diable la possibilité de suspendre les lois de la nature. Rapportée à la toute-puissance divine, la « potestas » du diable n’en est pas diminuée pour autant56. Bien au contraire si l’on considère, comme tiennent à le rappeler nombre de théologiens au xve siècle, que la véritable nature de la volonté divine reste inaccessible et que sa puissance se situe hors de toute mesure57.
32Même dévitalisée dans le cadre critique du Tractatus de haeresis de Vignate, la nouvelle sorcellerie conserve certains traits caractéristiques du crimen exceptum et de l’exception, à commencer par la violation des lois de la nature. D’où la difficulté, pour les juristes attachés au respect des garanties protégeant plus ou moins les accusés contre les « excès » de la procédure d’enquête criminelle, à maîtriser ce nouveau crime en partie construit et imaginé par des théologiens.
33En sorte que ce discours de résistance n’est sans doute audible et même viable que dans un contexte où la pression démonologique n’est pas trop forte ; une situation où le sabbat est davantage appréhendé comme une virtualité que comme une réalité. En ce sens, l’hypothèse prudemment avancée par Matteo Duni selon laquelle le traité de Vignate constituerait une réplique indirecte ou même directe à la pensée réaliste d’un théologien bourguignon comme Nicolas Jacquier nous semble fragile58. Si dialogue critique il y a, c’est sans doute bien davantage avec la pensée plus « souple » et plus proche géographiquement d’un Girolamo Visconti.
34En fin de compte, la charge critique du Tractatus de haeresis semble davantage proportionnée à l’état de la controverse sur le sabbat en Italie du Nord vers le milieu du xve siècle. Il s’agit là d’un discours de résistance adapté à une configuration spécifique où, malgré le développement sensible de la persécution stimulée dans certaines régions (en particulier par les Observances dominicaine et franciscaine, éventuellement relayées par des princes comme le duc de Savoie ou celui de Milan), les réticences dans l’ensemble de la société demeurent fortes ; une conjoncture italienne du sabbat où de nombreux freins culturels, juridictionnels et politiques s’exercent encore pleinement. On sait mieux désormais que la papauté elle-même se montre assez circonspecte à l’égard de l’imaginaire du sabbat. Pour ce que l’on en sait, elle hésite souvent à valider les initiatives prises dans ce domaine par des inquisiteurs trop zélés et lorsqu’elle le fait, c’est paradoxalement pour reconnaître elle-même les limites de l’hérésie59. Ce n’est assurément pas un hasard non plus si le dominicain Girolamo Visconti dédicace son Lamiarum sive striarum opusculum non pas au pape mais au duc de Milan, Francesco Sforza. Il est également intéressant de souligner que dans ce même traité, la condition de possibilité du sabbat est explicitement suspendue à celle d’une souveraineté ducale encore en attente. Reconnaître, à la suite du canon Episcopi, que les actions des sorcières sont illusoires ne signifie pas, selon Visconti, qu’elles sont impossibles dans l’absolu, de même que le duc de Milan, s’il n’est pas encore roi de l’Italie ou empereur, pourrait fort bien le devenir un jour60…
35Il n’est donc pas certain que le même discours offrirait une résistance comparable ailleurs, dans un autre contexte politique et culturel lorsque l’imaginaire du sabbat pèse de toutes ses forces sur le réel, comme, par exemple, aux marges du royaume de France et plus exactement même sur les territoires septentrionaux des ducs de Bourgogne, où comme on sait, les sorcières commencent vraiment à voler, pour de vrai61. Du moins, bien sûr, à en croire ceux et celles, de plus en plus nombreux, qui le disent en procès sous le sceau de la confession judiciaire, car l’imaginaire du sabbat ne devient « réel » que dans la mise œuvre effective des procédures qui « font » le crime62.
Annexe
Composition du Tractatus de Haeresi (Édition de Rome, 1581) d’Ambroise de Vignate
Structure | Foliotation | Titre |
Préambule | 1 ro-5 vo | |
Questio 1 | 5 vo-7 vo | Quae infidelitas sit omnium pessima |
Questio 2 | 7 vo-13 ro | Qui sint haeretici? |
Questio 3 | 13 ro-14 ro | De blasphemis |
Questio 4 | 14 ro-15 vo | An suspendere divina verba ad collum sit illicitum |
Questio 5 | 17 ro-19 ro | An divinatio sortium illicita |
Questio 6 | 19 ro-20 vo | An liceat divinare |
Questio 7 | 20 vo | An divinatio, quae fit per invocationes daemonum, sit licita |
Questio 8 | 21 ro | An divinatio, quae fit per astra, sit illicita |
Questio 9 | 21 ro-21 vo | An divinatio quae fit per somnia sit illicita |
Questio 10 | 21 vo-35 vo | An divinatio, quae fit per auguria et omina et alias huiusmodi observationes exteriorum rerum sit illicita |
Questio 11 | 35 vo-36 vo | An sortilegi et divinatores inquisitorum iudicio sint subiecti |
Questio 12 | 37 vo-57 vo | De lamiis seu strigibus et earum delictis |
Questio 13 | 57 vo-59 vo | De numero testium in causa heresis |
Questio 14 | 59 vo-61 vo | De confitentibus de se ipsis |
Questio 15 | 61 vo-64r | De schismaticis |
Questio 16 | 64 ro-64 vo | An liceat cuique propria auctoritate capere haereticos |
Questio 17 | 64 vo-65 vo | An ex suscipicionibus vehementibus possit aliquis de crimine haeresis condemnari |
Questio 18 | 65 vo-68 ro | An dare pocula amatoria sapiat haeresim |
Questio 19 | 68 ro-75 vo | Quomodo haeretici deprehendantur |
Questio 20 | 76 ro-80 vo | Qualiter haeretici puniantur |
Questio 21 | 81 ro-87 vo | An bona feudalia, emphyteutica, allodiala et etiam mobilia haereticorum confiscentur |
Notes de bas de page
1Boureau Alain, Le pape et les sorciers. Une consultation de Jean XXII sur la magie en 1320, Rome, École française de Rome, 2004 ; id., Satan hérétique. Histoire de la démonologie (1280-1330), Paris, Odile Jacob, 2004 ; Boudet Jean-Patrice, « La genèse médiévale de la chasse aux sorcières. Jalons en vue d’une relecture », in Nathalie Nabert (dir.), Le Mal et le diable. Leurs figures à la fin du Moyen Âge, Paris, Beauchesne, 1996, p. 34-52. Mes plus vifs remerciements à Martine Ostorero pour la relecture attentive de cette contribution.
2Bailey Michael D., « From Sorcery to Witchcraft: Clerical Conceptions of Magic in the Later Middle Ages », Speculum. A Journal of Medieval Studies, no 76, no 4, 2001, p. 960-990 ; Boudet Jean-Patrice, Entre science et nigromance. Astrologie, divination et magie dans l’Occident médiéval, xiie-xve siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 2006.
3Mercier Franck et Rosé Isabelle (dir.), Aux marges de l’hérésie. Inventions, formes et usages polémiques de l’accusation d’hérésie au Moyen Âge, Rennes, PUR, 2015.
4Boureau Alain, Satan hérétique, op. cit., p. 56-59.
5Mercier Franck et Ostorero Martine, L’énigme de la Vauderie de Lyon. Enquête sur l’essor de la chasse aux sorcières entre France et Empire (1430-1480), Florence, Sismel/Edizioni del Galluzzo, 2015.
6Ambrosius de Vignate, Tractatus de haeresi, édition de Rome (Ex typographia Georgii Ferrarii), 1581, avec les commentaires de Francisco Peña. Le traité de Vignate est édité par Peña avec deux autres textes : l’Allegatio in materia haeresis de Juan Lopez de Palatios et le Tractatus de haereticis et sortilegiis de Paolo Grillandi. Des extraits choisis, en particulier de la question 12, sont proposés par Joseph Hansen, Quellen und Untersuchungen zur Geschichte des Hexenwahns und der Hexenverfolgung im Mittelalter, Bonn, 1901, p. 215-227. Voir également Lea Henri Charles, Materials towards a History of Witchcraft, New-York, University of Pennsylvania Press, 1957 (1939), p. 299-301.
7Ainsi que l’avait déjà signalé Joseph Hansen (Quellen, op. cit., p. 215), il existe à la Bibliothèque nationale de France (Ms. lat. 3217) une autre version incomplète du De haeresis (désigné au fo 127 sous le nom de De hereticis). Un autre manuscrit composite (Paris, BnF, Ms. lat. 4366c) réunit plusieurs textes de Vignate, dont une belle copie du De haeresi (fo 89 ro-127 ro). L’analyse de son filigrane (un monogramme constitué de lettres soudées proche du type Briquet no 9762 ou 9751) suggère une provenance bourguignonne (Lyon, 1538 ou Dijon, 1480). Le problème de la diffusion du traité de Vignate en dehors de son contexte italien est actuellement à l’étude, en collaboration avec Martine Ostorero, dans le cadre d’une recherche en cours sur un autre traité de résistance à la chasse aux sorcières encore inédit, le De synagoga daemonum d’Humbert de Costa. Voir dans ce volume Mercier Franck et Ostorero Martine, « Résister à la chasse aux sorcières. Le De synagoga demonum d’Humbert de Costa (o. carm), c. 1470 ».
8À ma connaissance, la seule et unique source de la datation du texte (1468) provient de la présentation au lecteur par F. Peña qui figure en tête de son édition (signée du mois d’août 1581) : De Haeresi, éd. citée, « Noticia. Ad lectorem », non paginée.
9Rosso Paolo, « Vignati (de Vignate), Ambrogio », in Dizionario biografico degli Italiani, 99, Treccani, 2020, p. 255-258 ; id., « Studio “del principe” e stregoneria nel Quattrocento: rifrazioni dall’Universitaà di Torino », in Marco Cavina (dir.), L’università davanti alla stregoneria in Europa tra medioevo ed età moderna, Bologne, Il Mulino, 2022, p. 275-298.
10Ambrosius de Vignate, « Oratio divi Ambrosivii Vignati legati Sabaudiae ad beatissimum pontificem maximum Paulum ii pro obediencia Sabaudientium ducis incliti », in id., Epistolarum Francisci Philelphi libri xvi, Paris, 1513, p. 356.
11Plusieurs indices donnent à penser que Vignate exerça, de façon plus ou moins continue, son activité d’enseignement à Turin de 1435 à 1477 : voir en dernier lieu Naso Irma (dir.), Storia dell’Università di Torino, 1, Alma felix. Universitas studii Taurinensis. Lo studio generale dalle origini al primo cinquecento, Turin, Alma universitas Taurinensis, 2004, p. 191, 238, 243, 256, 288-290.
12Vignate, De Haeresi, op. cit., fo 52 vo : « Item pro hoc facit, quia videtur standum libris et quinternis inquisitorum aliorum, c. ut commissi vers. necnon supra eodem. »
13Herzig Tamar, « The Demons and the Friars: Illicit Magic and Mendicant Rivalry in Renaissance Bologna », Renaissance Quartely, vol. 64, no 4, 2011, p. 1025-1058. À prolonger par Parmeggiani Riccardo, « “Ad extirpandas sortilegiorum, divinatorum ac malleficorum iniquas operationes”. Riflessi teori-pratici della repressione nello specchio di un registro quattrocentesco dell’Inquisizione bolognese », Rivista storica italiana, CXXIX, fasc. III, 2017, p. 842-862. Tous mes remerciements à Riccardo Parmeggiani pour avoir attiré mon attention sur ce contexte.
14Herzig Tamar, « The Demons », art. cité, p. 1031, no 27. De son côté, R. Parmeggiani met précisément en valeur, à Bologne, le rôle de l’inquisiteur d’origine catalane Gabriel Cassafages (titulaire de l’office de 1460 à 1463). Il est l’auteur d’un traité qu’il laissa inachevé en vue d’actualiser le manuel des inquisiteurs de Nicolas Eymerich pourtant considéré comme un modèle : Parmeggiani Riccardo, « Ad extirpandas sortilegiorum », art. cité, p. 855-860. Peut-être faudrait-il en ce sens nuancer le jugement porté par Michael Tavuzzi au sujet de la faible réception d’Eymerich parmi les inquisiteurs de l’Italie septentrionale : Tavuzzi Michael, Renaissance Inquisitors. Dominican Inquisitors and Inquisitorial Districts in Northern Italy, 1474-1527, Leyde/Boston, Brill, 2007, p. 34-35.
15Nicolas Eymerich, Directorium inquisitorum, éd. de Francisco Peña, Rome, 1587, p. 332b-343.
16Entièrement démarquée de la Summa theologica de Thomas d’Aquin (iia, iiae, q. 95, 5), la questio 8 s’achève chez Vignate sur une conclusion sans appel : « Videtur quod non sit superstitiosa et illicita divinatio, quae fit per astronomiam » (op. cit., fo 21 ro).
17Vignate, De haeresi, op. cit., fo 20 vo : « Praeterea, licitum esse videtur veritatem ab aliquo sciente inquirere, quam scire utile est : sed quandoque est utile scire aliqua occulta, quae per daemones sciri possunt, sicut apparet in inventione furtorum commissorum, ergo divinatio quae fit etiam per invocationes daemonum non videtur illicita. »
18Thomas d’Aquin, Opera omnia, éd. Léonine, t. IX, Rome, 1897, p. 311-329.
19Sexte, 5, 2, 8 (Corpus iuris canonici, éd. Emil Friedberg, II, col. 1071-1072).
20Véronèse Julien, « Nigromancie et hérésie : le De jurisdictione inquisitorum in et contra christianos demones invocantes (1359) de Nicolas Eymerich (O.P.) », in Martine Ostorero et Julien Véronèse (dir.), Penser avec les démons. Démonologues et démonologies (xiiie-xviie siècles), Florence, Sismel/Edizioni del Galluzzo, 2015, p. 5-56 ; Boureau Alain, Le pape et les sorciers, op. cit.
21Chiffoleau Jacques, « Note sur la bulle Vergentis in senium, la lutte contre les hérétiques du Midi et la construction des majestés temporelles », in Innocent III et le Midi, Cahiers de Fanjeaux, no 50, 2015, p. 89-144.
22Vignate, De haeresi, op. cit., Questio 20, fo 77 vo, 78 ro, 80 vo.
23Chiffoleau Jacques, « Sur le crime de majesté médiéval », in Genèse de l’État moderne en Méditerranée. Approches historique et anthropologique des pratiques et des représentations, Rome, École française de Rome, 1993, p. 183-213.
24Comme l’illustre notamment le cas de Bologne au Quattrocento : Herzig Tamar, « The Demons and the Friars », art. cité, et Parmeggiani Riccardo, « Ad extirpandas sortilegiorum », art. cité.
25Rob-Santer Carmen, « Le Malleus maleficarum à la lumière de l’historiographie : un kulturkampf? », Médiévales, no 44, 2003, p. 155-172. Sur les liens de ce texte avec l’Italie, voir Herzig Tamar, « Heinrich Kramer e la caccia alle streghe in Italia », in Dinora Corsi et Matteo Duni (dir.), «Non lasciar vivere la malefica.» Le streghe nei trattati e nei processi (secoli xiv-xvii), Florence, Firenze University Press, 2008, p. 167-196.
26Mercier Franck et Ostorero Martine, L’énigme de la Vauderie de Lyon, op. cit.
27Vignate, De haeresi, op. cit., fo 37 vo -57 vo.
28Cette partie du traité circulera d’ailleurs de manière autonome sous une forme imprimée au xviie siècle, bien que toujours associée à d’autres textes liés à la sorcellerie : Quaestio unica de lamiis seu strigibus, et earum delictis, cum commentariis Francisci Penae sacrae theologiae et iuris utriusque doctoris, dans Malleus maleficarum, maleficas et earum haeresim framea conterens, ex variis auctoribus compilatus, et in quatuor tomos iuste distributus, Lyon, 1669, vol. 1, p. 131-162.
29Estuardo Flaction Astrid, « Girolamo Visconti, un témoin du débat sur la réalité de la sorcellerie au xve siècle en Italie du Nord », in Martine Ostorero, Georg Modestin et Kathrin Utz Tremp (dir.), Chasses aux sorcières et démonologie. Entre discours et pratiques (xive-xviie siècles), Florence, Sismel/Edizioni del Galluzzo, 2010, p. 389-406. Une nouvelle édition intégrale et critique du traité de Visconti est parue : Belli Alessia et Estuardo Flaction Astrid, Les striges et les lamies en Italie du Nord. Édition critique et commentaire des traités de démonologie et sorcellerie de Girolamo Visconti (Milan, c. 1460) et de Bernard Rategno (Côme, c. 1510), Florence, Sismel/Edizioni del Galluzzo, 2019. Pour un aperçu panoramique et suggestif du contexte intellectuel dans lequel s’insère le traité de Vignate, voir Ostorero Martine, Le diable au sabbat. Littérature démonologique et sorcellerie (1440-1460), Florence, Sismel/Edizioni del Galluzzo, 2011, p. 681-693, sp. 685-686.
30Vignate, De haeresi, op. cit., fo 37 vo -38 ro : « Quid ergo dicemus de mulieribus, quae confitentur nocturno tempore ambulare per longa locorum intervalla in momento temporis, et intrare cameras alienas clausas, coadiuvantibus earum magistris daemonibus, ut dicunt, cum quibus loquuntur, quibus praestant censum, et cum quibus, ut dicunt, habent copulam carnalem, et quibus persuadentibus, ut dicunt, abnegant Deum et Virginem Mariam, et cum pedibus conculcant sanctam crucem, et quae daemonibus coadiuvantibus, ut dicunt, interficiunt pueros et interficiunt homines, et faciunt eos cadere in infirmitates diversas, et quae dicunt se multa his similia facere, et aliquando se transformare in formam muscipulae, et diabolum dicunt se aliquando transformare in formam canis, vel alterius animalis ? »
31Ibid., fo 38 ro : « Hunc casum habui saepius de facto, et inter caeteros occurrit mihi casus talis : Quidam inculpatus, quod esset de secta mascorum seu maleficorum, de se confessus, multos alios viros et mulieres inculpavit, quod essent de eadem secta, de nocte ambulantes, et quod in triviis vel quadriviis, vel confiniis viarum ibant discurrentes, et multa mala facientes: ad depositionem istius, inquisitor haereticae pravitatis aliquas mulieres cepit et incarceravit, quarum aliquae sponte confessae sunt praedicta et similia huiusmodi, aliquae vero negantes ad torturam positae sunt, et in tormentis confessae sunt. »
32Le vocable de « masque » pour désigner les sorcières est notamment attesté dans le Champion des Dames de Martin Le Franc. Voir Ostorero Martine, Paravicini Bagliani Agostino, Utz Tremp Kathrin et Chène Catherine (dir.), L’Imaginaire du sabbat. Edition critique des textes les plus anciens (1430 c.-1440 c.), Cahiers lausannois d’histoire médiévale, no 26, Lausanne, 1999, p. 439-508. Dans l’Italie du Quattrocento, l’expression est aussi occasionnellement utilisée par Bernardin de Sienne pour désigner les vieilles femmes qui, dans la tradition du canon Episcopi, accompagnent Hérodiade dans sa course nocturne : Montesano Marina, «Supra acqua et supra ad vento.» «Superstizioni», malefica e incantamenta nei predicatori francescani osservanti (Italia, sec. xv), Rome, Istituto Storico Italiano per il Medio Evo, 1999, p. 107 et 124.
33Voir la mise au point de Tavuzzi Michael., Renaissance Inquisitors, op. cit., p. 155-162.
34Voir en dernier lieu l’ample panorama de Belli Alessia, Estuardo Flaction Astrid, Les striges et les lamies, op. cit., p. 14-29. Sur l’implication de l’Inquisition franciscaine dans le val d’Aoste et le Piémont savoyard, incarnée par diverses personnalités telles que Bernard Trémey ou Ponce Feugeyron : Mercier Franck et Ostorero Martine, L’énigme de la Vauderie de Lyon, op. cit., p. 286-293.
35Ginzburg Carlo, Le sabbat des sorcières, Paris, Gallimard, 1992, p. 103-105 ; Ostorero Martine, Le diable au sabbat, op. cit., p. 681.
36Duni Matteo, « Doubting Witchcraft: Theologians, Jurists, Inquisitors during the Fifteenth and Sixteenth Centuries », Studies in Church History, no 52, 2016, p. 203-231, spécialement p. 216-219.
37Sur les formes spécifiques d’exposition des idées par la pensée scolastique, voir notamment Marmursztejn Elsa, L’autorité des maîtres : scolastique, normes et société au xiiie siècle, Paris, Les Belles Lettres, 2007.
38Vignate, De haeresi, fo 46 ro -51 ro.
39Sur ces aspects, voir Boureau Alain, « Le sabbat et la question scolastique de la personne », in Nicole Jacques-Chaquin et Maxime Préaud (dir.), Le Sabbat des sorciers, xve-xviiie siècle, Grenoble, éd. Jérôme Millon, 1993, p. 33-46 ; Van der Lugt Maaike, Le ver, le démon et la vierge. Les théories médiévales de la génération extraordinaire, Paris, Les Belles Lettres, 2004 ; Ostorero Martine, Le diable au sabbat, op. cit., p. 219-235.
40Vignate, De haeresi, fo 46 ro-vo.
41Ostorero Martine, Le diable au sabbat, op. cit., p. 266-272.
42Vignate, De haeresi, fo 51 ro.
43Estuardo Flaction Astrid, « Girolamo Visconti », art. cité.
44Ostorero Martine, Le diable au sabbat, op. cit., p. 681-693.
45Vignate, De haeresi, fo 38 vo : « Circa casum istum putavi de duobus principaliter esse inquirendum, dum accideret de facto : primo investigandum an praedicta confessata sint possibilia et verisimilia et credenda, vel non. »
46Vignate, De haeresi, fo 55 ro-56 ro : « dico, quod si praedicti socii confitentur, quae supra dicta sunt, fore impossibilia, ut de transmutatione creaturae in aliam creaturam, talis confessio sociorum nihil facit probationis vel indicii, imo nec praeiudicat ipsi confitenti, ut ff. De interrogationibus actio l. Confessionibus [D. 11, 1, 13], et l. [Si] is cuius [D. 11, 1, 14], et l. Qui servum [D. 11, 1, 20], et ff. De confessis, l. [Si is] qui stichum [D. 44, 7, 18], et notatur in cap. fin. in glossa supra De confessis, et habetur abunde in Summa Hostiensis in titulo De confessis § qualiter intelligatur haec regula [Summa, II, éd. Lyon, 1537, fo 218 vo]. Si autem confiteantur possibilia, sed non verisimilia, tunc si confitentur incerta, puta quia fuerunt socii in cursu ad committendum maleficia, et non dicunt quae et qualia, adhuc ista confessio non nocet, l. Certum, ff. De confessis [D. 42, 2, 6], et l. Praetor edixit, ff. De iniuriis [D. 47, 10, 7]. Si vero dicunt crimina certa, ut puta se fuisse socios in criminibus homicidiorum, divinationum et sortilegiorum ; talia crimina non pertinent ad inquisitorem, ut dicto cap. Accusatus, § licet et § sane [Sexte, 5, 2, 8], supra eodem ».
47Vignate, De haeresi, op. cit., fo 56 vo-57 ro : « Si autem praedicti socii sunt confessi aliqua de sociis in causa haeresis propriae, verbi gratia, quia dicunt se et omnes socios male sentire de articulis fidei et de sacramentis, tunc verum est quod in tali casu nunc excepto admittuntur socii et participes, dicto cap. In fidei favorem, si modo ex verisimilibus conjecturis et aliis circumstantiis et ex manifestis indiciis appareat, eos vera dicere et non aliter. »
48Sexte, 5, 2, 5 (Corpus iuris canonici, éd. Emil Friedberg, II, col. 1071).
49Vignate, De haeresi, fo 57 ro-vo : « mulier possit diffamare vel accusare alium vel aliam de haeresi est valde absurdum, quia licet In fidei favorem admittantur mulieres, tamen mulier est alias prohibita in criminalibus testificari, l. Qui testamento, § mulieres, ff. De testamento (D. 28, 1, 20, 6), et mulier dicta a mollitie animi et levitate, cap. Forus, supra de verborum significatione (X., 5, 40, 10 – Corpus iuris canonici, éd. Emil Friedberg, II, col. 914) et l. Filia in orbitate, C. De inofficioso testamento (C. 3, 28, 20) ».
50Chiffoleau Jacques, « Sur la pratique et la conjoncture de l’aveu judiciaire en France du xiiie au xve siècle », in L’Aveu : Antiquité et Moyen Âge, Rome, École française de Rome, 1986, p. 341-380.
51Storti Storchi Claudia, « La torture judiciaire dans les statuts lombards (xive siècle) », in Bernard Durand et Leah Otis-Cour (dir.), La torture judiciaire. Approches historiques et juridiques, Lille, Centre d’histoire judiciaire, 2002, p. 451-470.
52Sbriccoli Mario, « Justice négociée, justice hégémonique. L’émergence du pénal public dans les villes italiennes des xiiie et xive siècles », in Pratiques sociales et politiques judiciaires dans les villes de l’Occident à la fin du Moyen Age, Rome, École française de Rome, 2007, p. 389-421.
53Chiffoleau Jacques, « Sur la pratique », art. cité, sp. p. 377-378 et id., « Dire l’indicible. Remarques sur la catégorie du nefandum du xiie au xive siècle », Annales ESC, no 45, mars-avril 1990, p. 289-324.
54Théry Julien, « Atrocitas / enormitas. Esquisse pour une histoire de la catégorie d’énormité ou crime énorme du Moyen Âge à l’époque moderne », Clio@themis, Revue électronique d’histoire du droit, no 4, 2011, p. 1-48.
55Au début de sa conclusion de la première partie, Vignate concède à plusieurs reprises qu’il existe une puissance (« potestas ») diabolique capable de surprendre les hommes de différentes façons, mais toujours « ex speciali permissione divina » (De haeresi, fo 47 vo).
56Comme le rappelle justement Ostorero Martine, Le diable au sabbat, op. cit., p. 227.
57Sur l’articulation entre la toute-puissance divine et la construction du sabbat, voir Mercier Franck, « “Des choses qui surmontent la puissance des anges”. La défense de la toute-puissance divine dans le Traité du crime de Vauderie de Jean Tinctor », in Martine Ostorero et Julien Véronèse (dir.), Penser avec les démons, op. cit., p. 121-143.
58Duni Matteo, « Doubting witchcraft », art. cité, sp. p. 218. Sur la position réaliste de Nicolas Jacquier à l’égard du sabbat, voir Ostorero Martine, Le diable au sabbat, op. cit., p. 451-501. La nature de l’opposition théorique à Jacquier fait actuellement l’objet d’une enquête menée avec Martine Ostorero autour du dossier d’Humbert de Costa.
59Le paradoxe de la bulle de Nicolas V (1451) qui étend les prérogatives de l’inquisiteur de Toulouse, Hugues Noir, aux pratiques « qui ne sentent pas manifestement l’hérésie », ce qui revient précisément à poser des limites à l’hérésie. Voir Ostorero Martine, « Des papes à la sorcellerie démoniaque (1409-1459) : une dilatation du champ de l’hérésie ? », in Franck Mercier et Isabelle Rosé (dir.), Aux marges de l’hérésie, op. cit., p. 153-184, sp. p. 167-171.
60Estuardo Flaction Astrid, « Girolamo Visconti », art. cité, p. 397.
61Mercier Franck, La Vauderie d’Arras. Une chasse aux sorcières à l’Automne du Moyen Âge, Rennes, PUR, 2006 et Ostorero Martine, Le diable au sabbat, op. cit., p. 451-501 et 649-676.
62Sur ce point, Chiffoleau Jacques, « Le procès comme mode de gouvernement », in Antonio Rigon et Francesco Véronèse (dir.), L’Età dei processi: inchieste e condanne tra politica e ideologia nel ‘300, Rome, Istituto storico italiano per il Medio Evo, 2009, p. 317-348.
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Contester l’Inquisition (xiiie-xve siècle)
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