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L’« affaire Gilles Mersault » à Tournai (1423)

Un cas de résistance à l’inquisition ?

p. 49-68


Texte intégral

1Les éléments qui constituent l’« affaire Gilles Mersault » portent, à première vue, tous les traits d’un acte de résistance à l’inquisition. Mersault était un propagandiste hussite originaire de Tournai qui fut arrêté dans cette ville à la mi-mars 1423 après y avoir disséminé un tract hussite. Par la suite, il fut libéré de la prison épiscopale par un coup de force – un acte de résistance à l’inquisition dans un sens large car englobant la justice de l’évêque, mais presqu’aussitôt emprisonné à nouveau et, suite à un procès pour hérésie, condamné à être brûlé. Le verdict fut publiquement exécuté le 22 juillet 1423. Notre intérêt pour ce cas, qui est arrivé à notre attention par l’intermédiaire de Thomas A. Fudge1, en particulier pour la libération éphémère de Mersault de la prison épiscopale, s’explique par notre propre travail sur l’« affaire Claude Vuibert », le point culminant de l’affrontement entre Benoît de Montferrand, prince-évêque de Lausanne (1476-1491), et ses sujets lausannois. Suite à l’arrestation de Vuibert, contestée comme une violation des coutumes locales, les Lausannois, dont les rangs étaient encore renforcés par des paroissiens originaires de quelques villages épiscopaux de la région lémanique, se massèrent le 20 juillet 1487 au son du tocsin autour de l’official de Lausanne et le forcèrent à leur livrer le prisonnier, arrêté en premier lieu pour le crime de sorcellerie2. Si les scènes de la libération des deux prisonniers présentent des similitudes, l’analyse des contextes respectifs révèle néanmoins suffisamment de différences pour ne pas enfermer d’emblée les deux exemples dans une logique trop comparatiste. Il convient donc de présenter en premier lieu les aspects spécifiques de l’« affaire Mersault ».

Gilles Mersault et son « manifeste »

2L’acteur principal de l’affaire est Gilles Mersault, un bourgeois de Tournai qui a laissé quelques traces éparses dans la documentation urbaine en amont des faits racontés ici3 : d’origine modeste, Mersault avait acquis la bourgeoisie de Tournai en 1415. L’année suivante, il était membre des Trois-Cents, un collège représentatif élu par paroisse dont l’attribution principale était le contrôle de la gestion financière par les autorités urbaines4, où il siégeait pour la paroisse de Saint-Brice. Or cette paroisse était une paroisse populaire, dominée par des tisserands, des foulons, des teinturiers et d’autres « fèvres5 », un véritable « bouillon de culture » pour l’agitation sociale – un élément qui a sans doute favorisé la lecture sociale qui a été faite des événements. D’après le portrait succinct que Maurice Houtart a brossé de lui, Mersault « fils d’un chaussetier, doué d’une certaine instruction et quelque peu juriste, avait travaillé trois à quatre ans dans les bureaux “comme clerc d’aucuns officiers de la ville” ; puis, un beau jour, en 1420 ou 1421, s’en était allé vers une destination inconnue6 ». Peut-être déjà la vente d’une maison effectuée par Mersault le 30 octobre 1420, mais sans doute son absence lorsque sa mère testa en 14217, sont à voir dans le contexte de son départ. Son chemin semble bien l’avoir mené jusqu’à Prague, si l’on suit la trace dessinée dans le pamphlet diffusé par Mersault au début de mars 1423 dans sa ville d’origine. Il y est question d’un tract précédent, aujourd’hui perdu, que le même auteur dit avoir rédigé vers Noël 1420. Dans ce tract, il aurait dénoncé l’« extorsion » d’argent et d’or par des collecteurs pontificaux à Tournai autour de la Saint Jean (le 24 juin) précédente au profit de la première croisade contre « ceux du royaume de Bohême et en particulier contre ceux de Prague » à laquelle Martin V avait appelé le 17 mars 14208. Un deuxième reproche était adressé aux clercs qui auraient tu aux fidèles l’issue désastreuse de cette croisade9 qui s’était soldée, dit le texte, par la perte des bannières de l’Empire et du royaume de Hongrie (supremum vexilium imperii et unum aliud supremum regni Hungarie)10 et par la captivité de beaucoup de nobles amenés à Prague. D’autres éléments plaident en faveur d’une présence de l’auteur à Prague, notamment son affirmation, faite en 1423, qu’avant son départ de cette ville (ante recessum meum de dicta civitate Pragensi), la possession de la Bible en langue vernaculaire n’y aurait été aucunement prohibée. De même, écrivait-il dans une perspective sans doute idéalisée, aucun lupanar n’aurait existé à Prague au moment de son départ et déjà bien avant (tempore mei recessus et longo tempore ante). On n’y aurait rencontré ni jeux ni chansons profanes, mais seulement des cantiques spirituels11.

3Comme le texte de 1423 laisse entendre qu’il est la reprise d’un texte antérieur datant de Noël 142012, ce dernier, aujourd’hui perdu, devait déjà être l’apologie du hussitisme et de ses principes que présente la version conservée. Il est donc très probable que le départ de Mersault avait été provoqué par la publication de ce tract. Or, Mersault récidiva : au cours de la nuit du 10 mars 1423, la ville de Tournai fut « inondée », pour utiliser la formulation de František Michálek Bartoš, d’une masse de tracts hussites qui avaient été déposés à environ quatre-vingts endroits13. À part les références aux événements de 1420 et les observations se rapportant à la situation à Prague, le « manifeste » de Mersault, comme il est parfois appelé, propose une vaste exégèse des quatre articles de Prague de juillet 1420. L’auteur y plaide en effet pour la diffusion libre de la parole divine, la punition des péchés, le retour du clergé à la pauvreté apostolique et la communion sous les deux espèces14. La situation à Prague, dont l’auteur se donne comme témoin, est présentée en filigrane comme modèle. S’ensuit l’amorce d’une exposition du décalogue qui se concentre sur la condamnation des images15.

4Le dernier grand volet du texte est une diatribe contre l’Église comparée à Babylone. Dans l’exposition des erreurs de cette Église, l’auteur revient sur les articles de Prague pour étayer son argumentation.

5Pour terminer, il rappelle le destin de ceux qui étaient morts pour la vérité à Tournai même, à savoir Pierre du Perret et un certain Bierquerius, mais aussi à Valenciennes et à Douai, de même que le sort d’un prisonnier à Lille16. Au sujet de Pierre du Perret, on sait qu’il était un appareilleur de draps qui avait été brûlé le 3 janvier 141617. Son procès s’inscrit dans la répression endémique de l’hérésie qui toucha le nord de la France et la Flandre pendant la deuxième décennie du xve siècle18. Les victimes apparaissent dans les sources le plus souvent sous la dénomination de « bougre » ou d’« incrédule », sans autre spécification. Bart Jan Spruyt a pris la mention de Pierre du Perret par Gilles Mersault comme un indice de l’existence dans la région d’un groupe constitué d’« élèves » de Jean Hus (« eine Gruppe aus Husschülern19 ») – un terme qu’il faut sans doute comprendre dans le sens de « partisans » de Hus. Quant aux villes de Douai et de Valenciennes, également mises en évidence par Mersault, Douai fut la scène de « conciliabules suspects », découverts au début de l’année 1420, qui étaient sous la direction spirituelle d’un prédicateur clandestin venant de Valenciennes. Ladite découverte donna lieu à des procès à Arras et à Douai se soldant par plusieurs condamnations au bûcher. La même chose se produisit à Valenciennes20. Quant aux convictions de ces « hérétiques », qui semblent avoir lu des livres interdits, certains articles, pour autant que leur transmission soit fiable, font penser au valdéisme21. Paul Beuzart s’était, quant à lui, prononcé en 1912 en faveur d’une influence wyclifite (en plus du valdéisme) – une influence difficile à distinguer de celle du hussitisme. La proposition de Beuzart est à discuter, étant donné l’intensité de « l’échange d’idées », comme le dit le même auteur, « entre l’Angleterre et la Flandre22 ». À cet argument il convient d’ajouter l’ampleur des échanges commerciaux entre les deux pays. En ce qui concerne la ville de Lille, mentionnée par Mersault, elle avait elle aussi été la scène de persécutions23.

6Un personnage quasiment omniprésent dans le contexte des procès au nord de la France et en Flandre est l’inquisiteur Pierre Flour(e) de l’ordre des frères Prêcheurs dont la biographie reste à écrire. Elle serait d’autant plus intéressante que Floure apparaît en marge d’une des grandes affaires politiques de son époque24. Dans son manifeste, Mersault parle également de Floure, l’accusant implicitement, à ce qu’il semble, de duplicité. « Il est vrai », écrivit-il, « qu’avant qu’ils soient amenés pour être exposés au public sur une tribune (scalfaudus) » – il s’agit selon toute évidence de personnes suspectes de, voire déjà condamnées pour hérésie –, « maître Pierre Flour leur fit faire la promesse (eis fecerat promitti) qu’il ne les contredirait en rien, promettant de leur faire une légère expeditio25 après leur exposition sur la tribune (scalfaudatio)26 ». Floure les aurait donc, dans la version de Mersault, rassurés en leur promettant un traitement indulgent, une promesse non tenue, à ce que Mersault semble vouloir sous-entendre. Un deuxième exemple de la duplicité inquisitoriale, dont la description encadre ce que Mersault dit au sujet de Floure, concerne les livres appartenant à ceux qui avaient été exposés au public : au lieu d’être jetés au feu comme annoncé, les livres auraient été gardés dans la cour épiscopale27.

7Un dernier nom mentionné par Mersault qui suscite notre attention est celui du frère Nicolas, sans doute Nicolas Serrurier28. C’est à Tournai que Serrurier, originaire du diocèse de Liège, entra dans l’ordre des ermites de Saint-Augustin. Licencié (en 1400), puis maître en théologie (en 1403), il rejoignit la campagne de prédication contre les hérétiques stimulée par l’évêque de Tournai, Jean de Thoisy (1410-1433). Or dans la situation de concurrence entre le clergé séculier et les ordres mendiants, l’ermite de Saint-Augustin s’attaqua au clergé séculier. Durant le carême de 1412, les discours de Serrurier et de ses confrères créèrent un scandale qui se prolongea de façon endémique pendant plusieurs années. En 1416, Serrurier devint la cible de l’inquisiteur Pierre Floure, affaire poursuivie devant le concile de Constance où la commission devant laquelle Serrurier devait être examiné reçut une délégation spéciale de la part de Jean de Thoisy et de Pierre Floure. Le 12 avril 1418, le prédicateur, ayant reconnu sa culpabilité et ayant montré des signes de contrition, fut admis à la réconciliation avec l’Église. La révision de son procès, demandée par les maîtres généraux des ordres mendiants, traîna en longueur pour des raisons que nous n’avons pas besoin d’évoquer ici et aboutit le 11 décembre 1419 à la confirmation du verdict précédent. Dans l’entretemps, Serrurier avait récidivé et s’était remis à prêcher dans des diocèses et régions qui lui avaient été interdits. En 1423, il fut arrêté à Lausanne par l’évêque Guillaume de Challant et l’inquisiteur dominicain Ulric de Torrenté, qui par la suite ne montrèrent pourtant pas trop d’empressement pour hâter une enquête contre leur détenu, malgré l’insistance de Martin V29. Le sort de Serrurier n’est pas connu. D’après Mersault, « le frère Nicolas » aurait prêché en public que « si le brancard attribué à saint Antoine était dans sa chambre, il le pousserait au feu comme une pièce de bois30 ». Cette citation s’accorde bien avec le fait que Serrurier « combattit à outrance la dévotion si populaire à saint Antoine le Grand et les promoteurs de celle-ci, les religieux de Saint-Antoine31 ».

8Notre résumé ne rend pas justice au réquisitoire de Mersault, qui mériterait une étude approfondie. Parmi les questions à creuser citons par exemple celle d’un éventuel modèle suivi par Mersault ou de possibles co-auteurs. Mersault avait-il les connaissances nécessaires pour rédiger un texte théologique complexe, truffé de citations bibliques ? Une autre question est celle de la reproduction du texte. Vu l’ampleur du pamphlet et le nombre élevé des copies disséminées à travers la ville de Tournai, cette action a dû être préméditée et orchestrée d’avance. Il est probable que le seul protagoniste connu ait eu des assistants qui l’ont aidé à recopier le manifeste en nombre suffisant, mais l’organisation derrière son acte reste entièrement dans l’ombre32, et cela d’autant plus, comme nous le verrons plus loin, que le texte ne nous est parvenu que sous la forme d’une copie tardive. Soulignons seulement que la diffusion de pamphlets anonymes appelant entre autres à des changements dans la pratique de gouverner la ville était un phénomène courant dans les Pays-Bas méridionaux au xve siècle33. Mersault pouvait s’attendre à ce que son tract soit « lu en public, et que son contenu soit mémorisé et transmis oralement34 ». La particularité de Mersault ne réside donc pas dans le fait d’avoir répandu un tract, mais dans l’argumentation religieuse de ce dernier et le grand nombre d’exemplaires distribués.

Arrestation, mise en liberté et nouvelle arrestation

9Quelques jours après son geste, Mersault fut appréhendé et emprisonné. Les registres des consaux35, le magistrat à proprement parler, ainsi que les comptes municipaux nous révèlent qu’il était « sur le radar » des autorités : en effet, le 9 mars 1423, un cordelier du couvent de Verdun du nom de Regnart de Marville délivra aux consaux des « lettres closes de par l’official et vicaires de l’inquisiteur de la foy ou [en le] diocèse de Verdun […] pour le fait d’aucuns faux hérites [hérétiques36] et erreurs contre le [sic] foy chrestienne, dont on disoit le maistre venir à Tournay ». Cet avertissement n’était pas trop précoce, car c’est pendant la nuit du 10 mars que Mersault distribua son manifeste. Quatre jours plus tard, le 14 mars, la cachette de Mersault fut révélée à l’évêque de Tournai par un particulier qui « avoit dénonchié […] le lieu et maison où s’estoit muchiés et retrais celui qui, le merquedy précédent [le 10 mars], de nuit, avoit semé, en iiiixx lieux et plus par la ville, cédules, rolles et quoyers del hérésie que ceulx de Peraghe et de Behagne tenoient contre la foy chrestienne ». Le 16 mars, une prime de 100 sols fut payée « par courtoisie » au délateur, tandis que les sergents et le procureur ayant effectué l’arrestation de Mersault devaient toucher 20 sols chacun37.

10À ce moment-là, l’affaire aurait pu trouver sa fin. Or pendant que Mersault attendait son sort dans la prison épiscopale, signe que les organes publics et ecclésiastiques collaborèrent dans son cas38, la ville de Tournai devint, dès le début du mois de juin, la scène d’un bouleversement politique majeur sur lequel nous reviendrons sous peu. Pour Mersault, toujours emprisonné, la nouvelle situation politique sembla offrir une nouvelle perspective : d’après le récit anonyme, mais très probablement contemporain, des « Troubles à Tournai », qui est considéré comme un ajout plus tardif aux « Chroniques de Franche, d’Engleterre, de Flandres, de Lille et especialement de Tournai » (1001-1390) de la main d’un copiste averti39, un dénommé Blaries, fils d’un tailleur de draps, se serait présenté auprès des membres du chapitre cathédral et des vicaires épiscopaux pour leur annoncer qu’un autre Blaries, parmentier, « et les aultres doyens parmentiers voloient avoir icelluy Gillet, parmentier, mis hors de prison et au délivré ». « Doubtans le [sic] fureur du peuple ainsy nouvellement esmeult à cause de leurs dictes bannières », « lesquels dicts seigneurs » auraient effectivement fait libérer le détenu sous la pression populaire40. L’auteur anonyme est en règle générale très bien renseigné sur les faits, même si, dans notre cas, il télescope les événements : il date en effet la libération de Mersault du lendemain de son arrestation, tout en écrivant lui-même que ladite libération eut lieu par peur du peuple « ému » à cause des bannières. Or la levée de ces dernières – il s’agissait des bannières des métiers, « le symbole de la puissance populaire41 », qui constituaient un appel au rassemblement – avait eu lieu le 9 juin 142342, donc trois mois après l’arrestation de Mersault.

11Ce qui ne ressort pas du récit de l’anonyme est la raison pour laquelle les doyens parmentiers ont bien pu vouloir libérer le détenu. Thomas A. Fudge a eu recours pour expliquer ce qui s’était passé à une sorte de parenté idéologique entre le hussite Mersault et les corporations insurgées : « It cannot be denied that Mersault’s ideology was linked to the uprising of the guilds in Tournai. Religion, heresy, and social discontent contributed to the time of troubles in Tournai43. » Auparavant, en 1969, Yvon Lacaze avait déjà parlé de « la condamnation de Mersault, suivie d’un soulèvement du quartier de Saint-Brice, qui prouvait assez l’impopularité de l’Église et les implications sociales de l’hérésie44 ». Rappelons dans ce contexte que les origines de Mersault se situaient dans ce même quartier. Mais peut-on vraiment établir un lien de cause à effet entre ce que Lacaze avait appelé « un soulèvement du quartier de Saint-Brice » et l’« affaire Mersault » ?

12La suite des événements montrera que l’acte de résistance était moins le fruit de considérations idéologiques qu’un geste d’amitié, somme toute isolé, comme l’avait déjà senti Maurice Houtart en 190845. En effet, après que la libération de Mersault était parvenue « à la cognoissance dudit Blaries, parmentier, et des aultres doyens parmentiers » – c’est précisément le groupe de personnes dont le fils d’un tailleur de draps homonyme s’était réclamé lorsqu’il avait fait pression sur les chanoines et les vicaires épiscopaux pour obtenir la sortie de prison de Mersault –, ils « vinrent tantost par deviers les seigneurs et leur dirent que ce n’estoit point de leur faict ne de leur adveu [accord], mais voloient que on en feist justice telle comme il apertenoit46 ». Désavoué par les doyens des parmentiers, Mersault fut aussitôt, tout comme son ami Blaries qui s’était engagé en sa faveur, « repris » par l’un des deux prévôts, office ayant des attributions judiciaires, « et mis comme devant en le [sic] prison [de] Monss[eigneu]r l’Evesque47 ». Cette nouvelle arrestation se passa, explique Thomas A. Fudge, sous les protestations du menu peuple (« Guildsmen, artisans and common people protested and stood armed through the night48 »), une réaction dont l’auteur des « Troubles à Tournai » ne dit rien, et pour laquelle Fudge manque par ailleurs de fournir une preuve. Il se peut donc bien que le revirement de la situation se soit passé dans l’indifférence générale.

Les troubles à Tournai et leur arrière-plan politique

13Pour pouvoir mieux saisir les enjeux des événements relatés jusqu’ici, il convient de revenir sur leur arrière-plan politique. Dans la nuit du lundi 7 au mardi 8 juin 1423, des attroupements eurent lieu à divers endroits de la ville pour se fondre dans une insurrection générale des corps des métiers49. Sur un plan symbolique, les métiers réclamèrent aux patriciens, d’ailleurs avec succès, la remise de leurs bannières jalousement gardées par ces derniers ; sur un plan pratique, la direction – ou du moins la surveillance – des affaires importantes passa d’un « “patriciat” de grands marchands et de petits nobles terriens » aux métiers, plus précisément aux doyens et sous-doyens des corporations, qui « reprirent certaines attributions des consaux et des Trois cents50 ». Dans les faits, le changement avait pour conséquence un droit de regard des métiers sur les consaux, ce qui ne semble pas s’être passé sans frictions, ou pour citer Gabriel Wymans, par ailleurs très critique à l’égard du nouveau régime plus populaire : « L’introduction des doyens et sous-doyens de métiers au sein du magistrat urbain rendit le gouvernement très difficile51. »

14Les événements dont nous présentons seulement une brève esquisse sont à voir dans le contexte de la longue histoire des rébellions urbaines en Flandre, une région où « les rébellions », d’après la formulation de Jan Dumolyn et Jelle Haemers, « formèrent un trait fondamental de la culture politique » (« rebellions formed a fundamental feature of political culture52 »). On décèle en effet des traits structurels communs entre l’insurrection des corps des métiers à Tournai et ces rébellions : l’importance des meneurs, la mobilisation des masses, l’occupation de l’espace public et les signes de ralliement, en particulier les bannières53.

15La spécificité du cas tournaisien résidait cependant dans les enjeux politiques, qui étaient au moins aussi importants que les enjeux sociaux. La ville, un avant-poste appartenant à la couronne de France en Flandre, était en 1423 dans une situation délicate due à son exposition géographique, mais aussi à la guerre de Cent ans. Tournai se trouvait en effet enclavée entre le comté de Flandre, échu en 1384 comme héritage à Philippe le Hardi, et le comté de Hainaut, possédé par Jacqueline de Bavière, une petite-fille de Philippe le Hardi, dont l’histoire se confond en partie avec celle des maisons de Bourgogne et de Lancastre. Or la ville était d’un côté mise à contribution par ses suzerains, les rois de France ; ainsi, Charles VII demanda aux Tournaisiens en 1423 une avance de 30 000 à 50 000 livres tournois pour financer la guerre – une requête qui se heurta à l’impécuniosité de la ville54. De l’autre côté, Tournai devait faire face aux pressions des ducs de Bourgogne, héritiers des comtes de Flandre. La ville se voyait obligée de signer avec eux différents traités commerciaux et de bon voisinage qui lui assuraient, certes, « une relative tranquillité militaire et commerciale », mais qui lui coûtaient des fortunes55. Les pressions financières pesant sur la ville n’étaient peut-être pas étrangères aux tensions sociales en son sein qui éclatèrent sous forme de soulèvement au début juin 1423. Mais il faut en même temps souligner l’impact des tensions politiques qui découlaient de la situation de Tournai comme ville française entourée de possessions bourguignonnes à proprement parler ou du moins sous influence bourguignonne. Dans cette perspective, l’insurrection des métiers apparaît comme le résultat d’une dynamique déclenchée par la mort de Charles VI le 21 octobre 1422. D’après le traité de Troyes du 21 mai 1420, qui avait scellé l’alliance anglo-bourguignonne, le successeur de Charles VI – qui s’était trouvé depuis un certain temps déjà dans l’incapacité de gouverner – était son petit-fils Henri VI, roi d’Angleterre. Cet arrangement excluait de la succession le fils du roi défunt, le dauphin Charles, futur Charles VII. Pour décrire le dilemme dans lequel se trouva alors Tournai, nous avons recours aux formulations imagées de Maurice Houtart :

« Le 30 octobre [1422], dans la chapelle du château de Mehun-sur-Yèvre, une bannière de France fut levée devant Charles de Valois, et les hérauts crièrent haut et clair à plusieurs reprises : vive le roi. D’autre part, le 8 novembre, sur la tombe de Charles VI à Saint-Denis, le roi d’armes de France cria : Dieu donne bonne vie à Henri par la grâce de Dieu roi de France et d’Angleterre. L’Anglais avait Paris, toutes les provinces du nord et l’alliance du duc de Bourgogne ; l’autre, le roi de Bourges, ne régnait qu’au sud de la Loire. De ces deux rois de France, lequel sera celui des Tournaisiens56 ? »

Figure 1. La situation de Tournai, ville française entre le comté de Flandre et le comté de Hainaut.

Source : Marco Zanoli, Wikipedia (licence CC-BY-SA) [licence libre].

16Pour ces derniers s’ensuivit alors un temps d’incertitudes marquées par des négociations bidirectionnelles : une ambassade fut envoyée au dauphin le 10 décembre 1422, dont la tâche était de « monnayer » la reconnaissance de Charles en échange de concessions57. Cette ambassade ne rentra que le 23 mars 1423. Parallèlement, des pourparlers eurent lieu avec Philippe le Bon pour « définir les termes de la neutralité qu’imposait aux Tournaisiens leur position géographique ». L’évêque de Tournai, Jean de Thoisy, d’ailleurs chancelier du duché de Bourgogne, servait d’intermédiaire58. Or le retour le 26 mai des envoyés tournaisiens, qui avaient négocié avec Philippe le Bon à Bruges un projet de traité59, eut lieu dans une atmosphère d’effervescence montante. Dans ce contexte marqué par l’agitation sociale et le factionnalisme politique, le projet négocié à Bruges fut rejeté le 4 juin sous l’impulsion, semble-t-il, des paroissiens de Saint-Brice60. Trois jours plus tard, l’insurrection générale éclata. C’est dans cette situation explosive que survint la libération de Mersault, qui avait langui dans la prison épiscopale depuis son arrestation à la mi-mars.

17Pour saisir la dynamique sous-jacente aux événements, il faut distinguer deux phénomènes qui, en réalité, étaient étroitement emboîtés : d’une part l’antagonisme social entre les corporations et le patriciat, d’autre part les sympathies politiques divergentes. Gabriel Wymans a parlé dans ce contexte d’un « camp patricien pro-bourguignon » auquel était opposé « la loyauté du petit peuple » pour le dauphin qui s’était proclamé roi à la mort de son père. Charles aurait « misé » sur cette loyauté « pour faire échec au camp patricien61 ». Il ne le fit bien entendu pas en personne, mais par l’intermédiaire de ses hommes de confiance, en premier lieu Jean de Troissy, dépêché sur place avec l’ambassade tournaisienne qui rentrait après avoir mené des négociations avec Charles. Il engagea des pourparlers avec les magistrats, d’entente, si l’on suit Maurice Houtart, avec un groupe d’hommes que ce dernier a appelé « les principaux armagnacs de la ville62 ». Un autre personnage crucial était Gui, sire de Moy et de Chin, qui dirigeait, selon Houtart, « en qualité de “lieutenant général du roi delà la Seine” les affaires tant politiques que militaires de Charles VII dans les provinces du nord63 ». Houtart a vu en lui le principal artisan du rapprochement entre le milieu des corporations et la faction « française » au sein du patriciat. Ce rapprochement s’explique – toujours d’après Houtart dont les mots publiés en 1908 peuvent paraître quelque peu anachroniques, mais qui nous paraissent néanmoins toucher un fond de vérité historique – par l’« occasion [qui] s’offrait [au parti populaire] de rompre [l’]accord traditionnel [entre les grands bourgeois et la couronne] et de solidariser les intérêts du roi avec ceux de la démocratie. Il fallait la saisir, accabler les bourgeois sous l’épithète de “traitres bourguignons” et colorer de patriotisme les desseins révolutionnaires64 ».

18La constellation décrite par Houtart s’accommode d’ailleurs bien avec les observations d’un groupe de chercheurs de l’université de Gand publiées en 2012 sous le titre The politics of factional conflict in late medieval Flanders, même si l’on hésite à qualifier la ville de Tournai – du fait de son appartenance à la couronne française – de flamande à proprement parler. Les auteurs parlent d’alliances contractées par des corporations avec une faction faisant partie de l’élite (« the guilds allied with an elite faction ») dans le but d’élargir leur champ de participation politique. Les leaders des rébellions dites populaires sont dès lors à chercher parmi les membres de l’élite : « The leaders of rebellious groups in urban society usually belonged to elite circles65. »

19La présence de leaders issus des couches supérieures au cœur des rébellions urbaines ne doit cependant pas faire oublier le rôle des meneurs actifs sur le terrain, et c’est exactement un de ces meneurs issu du monde des corporations qui joua un rôle important dans la suite de l’« affaire Mersault ». Pour comprendre la libération et la nouvelle arrestation de Mersault, il faut se faire une image des forces en présence à chacun de ces deux moments. La meilleure source pour notre dessein est le récit anonyme des « Troubles à Tournai ». Son auteur nous renseigne sur le fait que « le lendemain au matin » après l’arrestation de Gilles Mersault, « ung appellet Blaries, fils d’un tailleur de draps de Tournay, vint à Messieurs de Capitle de Nostre-Dame et aux vicaires de Monsseigneur l’Evesque, et leur dist comment ledit Blaries, parmentier, et les aultres doyens parmentiers voloient avoir icelluy Gillet, parmentier, mis hors de prison et au délivré66 ». Comme nous avons pu le constater, cette initiative fut couronnée de succès, même si ce dernier ne fut que passager.

20Une difficulté consiste dans la présence de deux personnes appelées Blaries, à savoir Blaries, fils d’un tailleur de draps, et Blaries, parmentier. Le premier est Jacquemart de Bléharies, un partisan, voire ami de Mersault, qui ne manquait pas de panache67. Il se réclama, nous renseigne l’anonyme, de l’autorité de Blaries le parmentier, pour sortir Mersault de la prison épiscopale. Or ce deuxième Blaries n’est personne d’autre que Jean de Bléharies, doyen des parmentiers et comme tel un des meneurs de l’insurrection des métiers. Il n’est pas sûr qu’il ait été apparenté à Jacquemart de Bléharies68, mais son poids politique lors des événements de juin 1423 explique que Jacquemart ait pu se servir de sa renommée pour libérer Mersault. Maurice Houtart a d’ailleurs qualifié Jean de Bléharies de « démagogue par excellence ». « Sa parole puissante », écrit-il, « enflée d’exagérations, d’imprécations, de menaces, soulevait les passions de la foule et fomentait les haines sociales69 ». Grâce à de telles « qualités », il remplissait la fonction d’intermédiaire entre la masse des gens des métiers d’une part et les élites urbaines de l’autre70. Il est dès lors compréhensible qu’un tel leader ait difficilement pu accepter que son nom soit instrumentalisé à son insu, et moins encore lorsque cela se soit passé en faveur d’un « hérétique » tel que Mersault71. La réaction de Jean de Bléharies montre que la mise en liberté de Mersault n’était pas planifiée par les métiers qui, d’après le récit anonyme des « Troubles à Tournai », réclamèrent sa seconde arrestation. Quant au sort des deux protagonistes, l’auteur des « Troubles » remarque sèchement que « ledit Blaries », c’est-à-dire Jacquemart de Bléharies, « fut bannis de Tournay, et ledit Gillet », donc Gilles Mersault, « eschaffaudez et ars comme incrédules72 ».

Les procès contre Gilles Mersault…

21La condamnation de Gilles Mersault au bûcher en 1423 fut prononcée au terme d’un procès sur lequel on reçoit quelques éclaircissements dans des sources non-narratives : d’après les registres des consaux, les doyens et sous-doyen des métiers, c’est-à-dire les représentants des corporations, prirent acte le 15 juin 1423, donc peu de temps après la libération et la reprise de Mersault, d’une lettre expédiée par l’évêque de Tournai à son sujet, sans toutefois prendre de décision73. Or le fait seul que l’évêque se soit adressé aux doyens et sous-doyens des métiers montre le poids que ces derniers avaient gagné depuis les événements de début juin. Quinze jours plus tard, le 30 juin, la date du jour pour « faire justice » fut arrêtée, « et sont les eswardeurs d’accord a de juedj en viii jours74 ». Les eswardeurs étaient en principe un collège électoral qui formait, avec les prévôts et jurés et les échevins de Tournai et de Sainte-Brice, les consaux75. Mais selon toute apparence, ils avaient aussi d’autres attributions.

22Les choses semblent avoir pris du retard, car le jour initialement prévu afin de « faire justice », le jeudi 8 juillet, une lettre fut adressée à l’évêque de Tournai pour qu’il vienne « pour plusieurs coses et mesmement pour faire expedicion de Gilles Mersault76 ». Les comptes de la ville révèlent que l’évêque fut accueilli par une délégation urbaine qui s’était déplacée à sa rencontre. Détail significatif, cette délégation était dirigée par Caron d’Estrayelles77, qui, d’après la chronique du chanoine tournaisien Jean Cousin (1568-1636), avait en sa qualité de prévôt arrêté deux fois Mersault, avant et après sa mise en liberté forcée78, et qui était sans doute à même d’informer le prélat des détails de l’affaire.

23Le 19 juillet, l’official, accompagné d’autres officiers épiscopaux, annonça aux autorités urbaines que « monseigneur levesque a fait venir linquisiteur des bougres pour conclure le proces fait contre Gilles Mersault, entend a faire un escaffault contre le portal de leglise [St Quentin] », demandant pour cela « ayde et […] assistence » à la ville. Les consaux donnèrent leur accord que la tribune pour exposer l’accusé au public et – sans doute – prononcer le jugement soit érigée devant la halle du marché et que l’exécution à proprement parler ait lieu en dehors de la ville à l’endroit accoutumé. Le 20 juillet, l’évêque « fist savoir […] que jl entendoit a faire pugnicion dudit Mersault a juedj », donc le 22 juillet (et non le 21 initialement prévu)79.

24Le procès et l’exécution de Mersault eurent en effet lieu le jeudi 22 juillet. Nous n’entrerons pas dans les détails des frais occasionnés par l’exécution, à part les 15 sols déboursés pour la « carette » et le cheval utilisés pour amener le condamné du « marchié de laditte ville contre le halle aux draps », donc du lieu du procès où il avait été « escaffaude », au lieu où il « fu ars et executes a mort80 ». Tout s’était donc passé comme prévu. Mersault était mort « sans ce que il se volsist reuoquier », donc comme hérétique impénitent. La sentence fut prononcée par l’évêque qui fit ensuite remettre le condamné aux autorités urbaines, prévôt et jurés, « pour en faire lexecution comme au cas appertenoit81 ».

25La causa Gilles Mersault témoigne de la bonne collaboration entre les instances concernées, d’une part les autorités municipales et d’autre part l’évêque, qui fut appelé par ces mêmes autorités pour présider au procès. Cette collaboration ne semble avoir été entravée ni par les troubles qui avaient eu lieu juste auparavant, ni par l’implication des métiers dans le gouvernement de la ville. Quant à l’« inquisiteur des bougres » qui, selon l’annonce faite aux autorités urbaines, avait été convoqué par l’évêque, il reste dans l’ombre. Nous ignorons tout sur son rôle dans le procès, pour autant qu’il y ait pris part, et nous ne savons même pas son nom. Il serait tentant de l’identifier avec le dominicain Pierre Floure déjà mentionné, sauf que Floure n’est pas attesté comme inquisiteur – du moins à notre connaissance – au-delà de 1421.

26Il semble par ailleurs que la conservation du manifeste de Mersault, publié une première fois de façon abrégée en 1728 par Charles du Plessis d’Argentré dans sa Collectio judiciorum de novis erroribus82, soit également due au procès contre son auteur. Le texte du pamphlet avait en effet été dépêché par l’évêque de Tournai à la Faculté de théologie de Paris, sans doute pour être examiné par les docteurs parisiens au sujet de son orthodoxie. On ignore si cet envoi fut effectué avant ou après le procès ; la seule alternative que nous pouvons exclure est un envoi pendant le procès, compte tenu du déroulement expéditif de ce dernier. Au début du xvie siècle, le texte de Mersault fut recopié dans le « Premier registre des censures de la Faculté de théologie de Paris » nouvellement constitué, où il porte le titre Assertiones erronee et detestande procedentes ex erroribus Pragensibus post Wicleff, misse ad sacram facultatem a domino episcopo Tornacensi circa annum Domini millesimum ccccmxxm. L’indication de l’année 1420 est sans doute imputable à une confusion avec des faits relatés au début du texte, à savoir l’arrivée à Tournai en cette année-là d’émissaires pontificaux qui auraient cherché à « enflammer » les habitants contre les hussites. Ledit premier registre des censures a fait partie du fonds Barrois de la collection du comte d’Ashburnham (en partie aliénée des dépôts publics en France83), dont une partie fut mise en vente en juin 1901. Parmi les manuscrits adjugés alors à la Bibliothèque nationale à Paris, se trouvait le premier registre des censures qui, doté de la cote Nouv. acq. lat. 182684, rejoignit le second registre des censures déjà en possession de la Bibliothèque nationale (cote 3381b)85.

… et Jacquemart de Bléharies

27Le bannissement de Jacquemart de Bléharies en 1423 était probablement assorti d’une sorte d’asseurément ou serment de ne pas chercher à se venger, menaçant la personne bannie de lourdes conséquences si elle revenait prématurément. C’est du moins ce que laisse entendre le récit de l’anonyme de Tournai : quatre ans après le bannissement de Bléharies, en février 1427, « le commun de Tournay s’esmeult à le [sic] cause d’un incrédule quy estoit nommés Blaries » et « quy fist mettre ung incrédule hors de le [sic] prison », suite à quoi il avait été banni. Revenu à Tournay, il fut aussitôt « prins et mis ès prison de Monsieur l’Evesque ». Cette mesure semble avoir suscité une émeute de type « classique » au début de laquelle « ledit commun cria alarme et aux banières ». Le fait qu’un tel attroupement ne paraît pas avoir eu lieu auparavant lors de l’arrestation de Mersault (contrairement à l’assertion de Thomas A. Fudge) s’explique peut-être par l’isolement social plus grand de Mersault qui au moment de ses déboires avec la justice venait de rentrer de son exil. L’attroupement évita à Jacquemart de Bléharies d’être exposé au public (« escauffaudez »), mais ne lui épargna pas d’être « condemnez à estre en le chartre [carcer, prison] dix ans ». Or « une [sic] espasse de temps après », Bléharies fut tout de même « prins et escauffaudez et ars avecq aultres incrédules86 ». Cette dernière remarque retient l’attention : les cas de Mersault et de Bléharies n’étaient, si l’on s’en tient au témoignage du chroniqueur anonyme, pas des exemples isolés.

28La documentation administrative confirme les informations transmises dans la chronique, apportant toutefois des éclaircissements concernant le déroulement des faits : le 23 janvier 1427 (n. st.), les autorités municipales prièrent l’inquisiteur, dont l’identité n’est pas révélée, de faire connaître par écrit les actes d’accusation contre Bléharies, afin que le peuple puisse « avoir son avis sur cette affaire87 » – un écho du régime plus populaire à Tournai issu du soulèvement des métiers. L’assemblée annoncée eut lieu le 26 janvier, et les consaux décidèrent que l’avis de l’ensemble du commun serait communiqué par voie orale à l’inquisiteur88. Le 29 janvier, la publication de la « pugnition » que Jacquemart de Bléharies devait subir fut annoncée pour le lendemain. Quant au méfait qui lui était reproché, il est question de l’« injure et offense qu’il puet avoir commis envers plusieurs du peuple de la ville d’avoir maintenu de avoir prins et extrait ledit Mersaut hors desdites prisons, à leur requeste, en eulx de ce chargant et soy en escusant sur eulx contre vérité ». Bléharies avait donc par son intervention porté atteinte à l’honneur de ceux du nom desquels il avait abusé. Par crainte de l’agitation populaire à l’issue du verdict, toute expression publique de désaccord fut prohibée : « Qu’il ne soit aucune personne qui, en ce faisant, devant ne après, face ne die chose dont murmure. » La population fut enjointe d’« assiste[r] et demeure[r] un chacun […] comme bons chrestiens et fils de sainte église doivent faire89 ». Le terme de « murmure » utilisé ici est particulièrement révélateur, car il fait référence au grondement sourd, redouté par les autorités, qui précédait régulièrement une émeute90.

29Or les craintes des autorités n’étaient pas infondées, comme le montra la suite des événements : le lendemain, 30 janvier, « plusieurs du peuple n’estoient point contens de la punition que ledit inquisiteur avoit de ce donnée audit de Bleharies [l’incarcération initialement prévue ou la mort sur le bûcher] et voloient oïr ledit de Bleharies en ses excusations », ce qui allait « du tout contre la deffence et ordonnance dessus déclarée ». Face à cette situation dangereuse, les autorités eurent recours à un stratagème : « On fist un cry » de rassemblement pour que « toute personne estant en bannière, armé et abastonné, veinst incontinent au marchié desoubz sa banière [il s’agit des bannières des métiers] […] à l’honneur de Dieu, du roy nostre sire et de la dite ville. » La dynamique qui mène à l’émeute ainsi cassée, les « bonnes gens de ladite ville », assemblés sur la place du marché sous leurs bannières respectives, « disrent tous d’une mesme voix qu’ils avoient agréablement tout ce que fait avoit esté par ledit inquisiteur et y voloient tenir la main comme bons chrestiens et fils de sainte église. Et de tant ung chacun s’enala et retourna en sa maison et ostel bellement et douchement91 ».

30Ainsi, le sort de Jacquemart de Bléharies était scellé – d’autant plus qu’à partir du premier février fut lancée une enquête contre ceux qui avaient « désobéy » au « cry qui se fist que toute personne assistast avecq linquisiteur sur certaine paine92 ». On leur reprocha d’avoir voulu émouvoir « le peuple ad ce que on alast quérir par violence et oster des prisons [de] monseigneur lévesque Jacquemart de Bléharies, qui y estoit comme fauteur et réceptateur de feu Gilles Mersaut93 ». Le fait que Jacquemart n’était pas dépourvu d’alliés trouve une confirmation supplémentaire au cours de cette enquête : ses partisans n’auraient pas seulement exigé que Jacquemart « fuist oije [entendu] en ses deffenses », mais aussi que fût « leu » « un mandement, que ledit Bléharies avoit subrepticement impétré du roy nostre sire94 », un document par ailleurs inconnu.

Conclusion

31Comment interpréter le sort de Gilles Mersault ? Il semble évident qu’il n’y avait pas, à part une action isolée, de mouvement populaire en sa faveur. S’il avait lui-même l’impression que ses idées religieuses trouveraient un terrain fertile à Tournai, il dut se rendre à l’évidence que ce terrain était bien maigre. Le fait que Jacquemart de Bléharies ait joui d’un certain soutien quatre ans plus tard, sans oublier qu’il ne fut pas le seul à être brûlé, suggère toutefois que le terrain en question n’était pas complètement stérile. Résistance à l’inquisition, il y a certes eu, mais, du moins dans le cas de Mersault, elle eut lieu à l’échelle d’un geste individuel, donc de façon atypique : le principal motif pour s’opposer en Flandre à l’inquisition semble avoir été le sentiment de voir ses droits et privilèges violés par les tribunaux95 – un motif que l’on peine à discerner dans les sources se rapportant à notre exemple.

32Pourquoi ce désaveu à l’égard de Mersault ? Un article récent de Jelle Haemers, spécialiste des révoltes populaires dans les villes flamandes, pourrait ouvrir une piste de réflexion : pour Haemers, les mobilisations des corps des métiers étaient le plus souvent « bien orchestrées par des meneurs, généralement issus des doyens et jurés des métiers », ce qui nous amène à Jean de Bléharies. Haemers parle d’un « “répertoire révolutionnaire” bien huilé de techniques et de méthodes de mobilisation ». La prise des bannières, geste central à Tournai, ou bien l’occupation de la place centrale au son des cloches étaient des actes stratégiques, aboutissant à « une forme de grève armée, mais ritualisée ». Il s’agissait de canaliser les émotions et de discipliner les « troupes » : « Un désaccord parmi les artisans rassemblés sur le Marché ou l’expression d’idées subversives pendant les actions collectives pouvaient déstabiliser l’autorité des meneurs de la révolte. Si ceux-ci voulaient figurer comme porte-paroles légitimes et fiables vis-à-vis des autorités urbaines, il fallait que leurs subordonnés continuent à leur obéir. » Il s’ensuit que « les doyens de métiers ont préféré une mobilisation rituelle et rangée aux débordements spontanés96 ». Dans cette perspective, il semble que les « meneurs » tournaisiens ne tenaient pas à être associés à l’« hérétique » qu’était Mersault, même s’ils avaient éprouvé, ce qui n’est pas du tout certain, de la sympathie pour ses visions. Il va de soi qu’un Jean de Bléharies, dans sa position, ne pouvait pas tolérer qu’un tiers se serve de son nom à ses propres fins. Il est d’ailleurs significatif de voir avec quelle véhémence les autorités urbaines cherchèrent, en soulignant l’orthodoxie des Tournaisiens, à couper court à tout débordement quatre ans plus tard lors de la condamnation de Jacquemart de Bléharies qui, quant à lui, jouissait d’un soutien parmi les gens du métier qui dépassait sensiblement celui de Mersault.

33Une autre piste de réflexion concerne l’évêque de Tournai, Jean de Thoisy. Conseiller de Jean sans Peur, chef du Conseil privé de Philippe le Bon, il incarnait le parti bourguignon. Il fut aussi l’architecte du traité de Troyes de 1420. Confronté aux émeutes de juin 1423, qui amenèrent au pouvoir à Tournai les métiers d’orientation plutôt pro-française, il se retira à Lille et dans sa région où il avait l’habitude de résider à peu près autant qu’à Tournai97. Le procès de Gilles Mersault permit aux autorités urbaines de rappeler l’évêque dans la ville cathédrale où il fut solennellement reçu en présence des métiers le 21 juillet 1423, et d’entamer un processus de conciliation. L’évêque saisit d’ailleurs la main tendue : le 23 juillet 1423, le lendemain de l’exécution de l’hérétique, il « présida une procession générale ordonnée pour le bien, paix, union et tranquillité des habitants de la ville98 ».

34Quant à Martin V – pour évoquer un cadre encore plus large –, il félicita Jean de Thoisy de l’exécution d’un hérétique qui aurait cherché à pervertir le peuple avec de faux dogmes, et qui est sans doute à identifier avec Mersault99, tout en encourageant le prélat à poursuivre ses efforts100. D’autres lettres pontificales en ce sens furent adressées au chapitre cathédral101 et au magistrat de Tournai102. Le pape n’avait-il pas lui-même lancé un appel à la croisade contre les Bohémiens schismatiques en 1420 ? Suite à l’échec de cette croisade, il fallait combattre la pernicieuse hérésie partout où on la trouvait pour éviter la contagion d’autres pays.

35Pour revenir au point de départ de notre intérêt pour l’affaire Mersault, à savoir le renvoi de Claude Vuibert par l’official de Lausanne sous la pression populaire en 1487, les similitudes entre les deux cas sont plutôt superficielles. Ce qui les rapproche vraiment est le fait que des questions de foi ou de doctrine sont largement absentes des motivations des acteurs, contrairement à des questions de droit et d’honneur : Claude Vuibert fut libéré de la prison de l’official parce que les Lausannois estimèrent leurs droits lésés par les officiers de l’évêque ; Gilles Mersault, quant à lui, fut probablement reconduit en prison du fait que ses amis, auteurs de sa libération éphémère, avaient abusé du nom d’un des leaders politiques du moment pour mener à bien leur subterfuge.

Notes de bas de page

1Fudge Thomas A., « Heresy and the Question of Hussites in the Southern Netherlands (1411-1431) », in id., Heresy and Hussites in Late Medieval Europe, Farnham, Surrey, Ashgate, 2014 (20071), chap. vi, p. 17-20.

2Modestin Georg, « “Nos volumus eum habere!” Une émeute contre l’évêque de Lausanne et l’Inquisition en 1487 », Mémoires de la Société pour l’Histoire du Droit et des Institutions des anciens pays bourguignons, comtois et romands, no 69, 2012, p. 243-261.

3Houtart Maurice, Les Tournaisiens et le Roi de Bourges, Tournai, Casterman, nouvelle série, vol. 12, 1908, p. 184 avec note 2.

4Ibid., p. 28-29.

5Ibid., p. 185-186.

6Ibid., p. 184.

7Ibid., p. 184 note 2.

8Au sujet de la participation de certains pays gravitant « dans l’orbite bourguignonne » aux expéditions contre les Hussites dans les années 1421-1422, voir Lacaze Yvon, « Philippe le Bon et le problème hussite : un projet de croisade bourguignon en 1428-1429 », Revue historique, fasc. 1, no 241, 1969, p. 69-98, ici p. 72. L’article de Vantuch Anton, « La participation liégeoise à la croisade contre les Hussites en 1421, d’après Jean de Stavelot », in Liège et Bourgogne, Liège, Presses universitaires de Liège, 1972, p. 45-54, ne tient par contre pas ses promesses, étant limité à quelques considérations d’ordre historiographique.

9Au sujet de cette croisade, voir Šmahel František, Die Hussitische Revolution, 3 tomes, Hanovre, Hahnsche Buchhandlung, 2002, ici t. II, p. 1071-1131.

10Sigismond, couronné roi d’Hongrie en 1387 avait été élu roi des Romains en 1411, puis couronné en 1414. En tant que roi des Romains, il avait le droit d’utiliser la bannière impériale, même avant son couronnement comme empereur en 1433.

11Le pamphlet a été édité par Bartoš František Michálek dans Manifesty města Prahy z doby husitské. Les manifestes de la ville de Prague de l’époque des guerres hussites, Prague, Tisk Dr. Ed. Grégra a syna, 1932, p. 290-302, no V, ici p. 290-291.

12Par exemple dans le passage : circa natale proxime sequens [c’est-à-dire vers Noël 1420] ego vobis scripsi hos presentes rotulos [le texte de 1423] (ibid., p. 291).

13Le cours des événements a été décrit en tchèque par Bartoš František Michálek, Husitství a cizina [Le Hussitisme et l’étranger], Prague, ČIN Tiskové a nakladatelské družstvo československých legionářů, 1931, p. 185-186, et, dernièrement, par Lošt’áková Kateřina, « Husitské ohlasy v soudobých Flandrech » (« Échos hussites en Flandre contemporaine »), in Vojtěch BaŽant et Věra Vejrychová (éd.), Kacíři, barbaři, nepřátelé. Odlišnost a stereotypy v pozdním středověku (Hérétiques, barbares, ennemis. Altérité et stéréotypes au Bas Moyen Âge), Prague, Filosofia, 2016, p. 115-133, ici p. 119-122 ; pour une version en allemand des événements : Spruyt Bart Jan, « Das Echo von Jan Hus und der hussitischen Bewegung in den Burgundischen Niederlanden (ca. 1420-ca. 1520) », in Ferdinand Seibt (éd.), Jan Hus. Zwischen Zeiten, Völkern, Konfessionen. Vorträge des internationalen Symposions in Bayreuth vom 22. bis 26. September 1993, Münich, R. Oldenbourg Verlag, 1997, p. 283-301, ici p. 288-289 ; pour une version en anglaise : Fudge Thomas A., « Heresy », art. cité, p. 17-20.

14Au sujet des quatre articles de Prague et de leur contexte, voir Šmahel František, Die Hussitische Revolution, op. cit., t. I, p. 636-674.

15Bartoš František Michálek, Manifesty města Prahy, op. cit., p. 294.

16Ibid., p. 301.

17Bartoš František Michálek, Husitství a cizina, op. cit., p. 180 ; Spruyt Bart Jan, « Das Echo von Jan Hus », art. cité, p. 286-287, ainsi que Fudge Thomas A., « Heresy », art. cité, p. 9.

18Au sujet de cette persécution endémique d’hérétiques, voir Bartoš František Michálek, Husitství a cizina, op. cit., p. 179-185 ; Spruyt Bart Jan, « Das Echo von Jan Hus », art. cité, p. 285-288, ainsi que Fudge Thomas A., « Heresy », art. cité, p. 5-11, 14-17.

19Spruyt Bart Jan, « Das Echo von Jan Hus », art. cité, p. 287.

20Au sujet de ces affaires, voir le récit circonstancié ainsi que l’édition des sources dans Beuzart Paul, Les hérésies pendant le Moyen Âge et la Réforme jusqu’à la mort de Philippe II, 1598, dans la région de Douai, d’Arras et au pays de l’Alleu, Paris, Honoré Champion, 1912, p. 37-49 (récit), 473-479, no XV (sources) ; Spruyt Bart Jan, « Das Echo von Jan Hus », art. cité, p. 288, ainsi que Fudge Thomas A., « Heresy », art. cité, p. 14-17.

21Voir la liste des erreurs imputés aux hérétiques de Douai et de Valenciennes dans Beuzart Paul, Les hérésies, op. cit., p. 476-477.

22Ibid., p. 48.

23Fudge Thomas A., « Heresy », art. cité, p. 6, 10-11.

24D’après Quétif Jacques et Échard Jacques, Scriptores ordinis praedicatorum recensiti notisque historicis et criticis illustrati…, t. 1, Paris, Apud J. B. Christophorum Ballard… et Nicolaum Simart, 1719, p. 754-755, Pierre Floure entra dans l’ordre au couvent de Saint-Omer ou à celui de Dijon. Admis comme bachelier par la Faculté de théologie de Paris le 15 mai 1407, « il obtint la licence à la fin de décembre 1413 » (Coville Alfred, Jean Petit. La question du tyrannicide au commencement du xve siècle, Genève, Slatkine, 1974 [réimpression de l’édition de Paris, Auguste Piccard, 1932], p. 453-454). À ce moment-là, il prit part comme vicaire de l’inquisiteur général de France Jean Polet, « personnage peu connu, qui joua en cette occasion un rôle plutôt effacé » (ibid., p. 453), à Paris au « concile de la foi » qui examina du 30 novembre 1413 au 23 février 1414 certaines propositions du théologien et professeur parisien Jean Petit. Ce dernier avait été en 1408 l’apologiste officiel de l’assassinat de Louis d’Orléans commandité par le duc de Bourgogne Jean sans Peur. Au sujet de cette affaire, voir par exemple Coville Alfred, Jean Petit, op. cit., Jollivet Lucie, « La résistance du milieu humaniste français à la “Justification” de Jean Petit et à sa diffusion, 1408-1435 », Questes. Revue pluridisciplinaire d’études médiévales, no 39, 2018, p. 91-112, ou Provvidente Sebastián, « Stylus theologicus et iuridicus : la causa Jean Petit à Constance (1414-1418) et les débats sur le tyrannicide », Médiévales. Langues, Textes, Histoire, no 77, automne 2019, p. 129-151. Coville Alfred, Jean Petit, op. cit., p. 439-561, donne un récit circonstancié du concile de la foi de Paris qui se solda par la condamnation de l’apologie de Jean Petit par l’évêque de Paris et l’inquisiteur général de France. Quant à Pierre Floure, il remplaça l’inquisiteur lors de l’ouverture du concile le 30 novembre 1413 (ibid., p. 454) et résuma à deux reprises ce qui avait été dit au cours de sessions précédentes (ibid., p. 462, 465-466). Pendant la troisième session qui nécessita plusieurs séances, il appela à séparer le cas de Jean Petit de celui du duc de Bourgogne, une manœuvre politique censée faciliter la condamnation de Petit sans trop s’aliéner le duc (ibid., p. 475). Avant même la conclusion du concile de la foi, Floure fut envoyé le 8 janvier 1414 auprès de Jean sans Peur afin de lui expliquer « les origines et la cause du concile » et « que l’intention des juges et des membres du concile était bonne, sincère et pieuse » (ibid., p. 482). Le dominicain finit par se lier au duc de Bourgogne. Après l’assassinat de ce dernier en 1419, l’héritier de Jean, Philippe le Bon, accorda à Floure, attesté alors comme inquisiteur en la province ecclésiastique de Reims, l’honneur de prononcer l’oraison funèbre : « lequel prescheur en sondit preschement desenhortoit ledit Duc tant qu’il pouoit, qu’il ne prensist vengeance de la mort de son pere : en luy remonstrant qu’il requist à iustice reparation à luy estre faicte », soulignant au grand dam d’« aucuns nobles » présents, que la vengeance « appartient à Dieu tant seullement » (Chroniques d’Enguerrand de Monstrelet…, Paris, Chez Pierre l’Huillier, 1572, fo 282 ro). Voir aussi Chapotin Marie-Dominique OP, La Guerre de Cent ans, Jeanne d’Arc et les Dominicains, Évreux, Imprimerie de l’Eure, 1888, p. 71, et Coville Alfred, Jean Petit, op. cit., p. 561, note 225. Relevons la participation, notamment en 1421, de Floure à la répression des « Turlupins », groupe hétérodoxe décrit par Ostorero Martine, Le diable au sabbat. Littérature démonologique et sorcellerie (1440-1460), Florence, Sismel, 2011, p. 140-141.

25La meilleure traduction que nous avons trouvée pour expeditio dans le contexte donné est « présentation nette », « exposition claire » (Gaffiot Félix, Dictionnaire illustré latin-français, Paris, Hachette, 1934, p. 629), à comprendre dans un sens doctrinal.

26Bartoš František Michálek, Manifesty města Prahy, op. cit., p. 301.

27Ibid, loc. cit.

28Pour la biographie de Nicolas Serrurier, voir Cauchie Alfred, « Nicole Serrurier, hérétique du xve siècle », Analectes pour servir à l’histoire ecclésiastique de la Belgique, 2e série, no 8, 1893, p. 241-336 ; id., « Serrurier (Nicole) », in Biographie nationale publiée par l’Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique, vol. 22, Bruxelles, Établissements Émile Bruylant, 1914-1929, col. 273-277, et Fudge Thomas A., « Heresy », art. cité, p. 7-9.

29Pour le volet lausannois de l’affaire, voir aussi Andenmatten Bernard et Utz Tremp Kathrin, « De l’hérésie à la sorcellerie : l’inquisiteur Ulric de Torrenté OP (vers 1420-1445) et l’affermissement de l’inquisition en Suisse romande », Revue d’histoire ecclésiastique suisse, no 86, 1992, p. 69-119, ici p. 76-77 ; Morenzoni Franco, avec la collaboration d’Isabelle Jeger, Le prédicateur et l’inquisiteur. Les tribulations de Baptiste de Mantoue à Genève en 1430, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2006, p. 46-49.

30Bartoš František Michálek, Manifesty města Prahy, op. cit., p. 301.

31Cauchie Alfred, « Serrurier (Nicole) », art. cité, col. 274.

32À titre de comparaison nous avons quelques renseignements sur la « reproduction » de l’apologie de Jean Petit par tout un groupe de scribes recopiant le texte qui leur était dicté : Coville Alfred, Jean Petit, op. cit., p. 476.

33Haemers Jelle et Vrancken Valerie, « Libels in the city. Bill-casting in fifteenth-century Flanders and Brabant », Medieval Low Countries, no 4, 2017, p. 165-187, qui renvoient, entre autres, à un exemple tournaisien de 1428.

34Dumolyn Jan et Haemers Jelle, « “A Bad Chicken was brooding”: Subversive Speech in Late Medieval Flanders », Past and Present, no 214, fév. 2012, p. 45-86, ici p. 52-53 : « Written texts were not only copied and dispersed in a textual form, they were also read in public, memorized and dispersed orally. »

35En ce qui concerne les institutions tournaisiennes, nous renvoyons à Houtart Maurice, Les Tournaisiens, op. cit., p. 22-39, et à Dury Christian, « Tournai (Moyen Âge) », in Bernard Desmaele et Jean-Marie Cauchies (dir.), Florian Mariage (coord.), Les institutions publiques régionales et locales en Hainaut et Tournai-Tournaisis sous l’Ancien Régime, Bruxelles, Archives générales du Royaume, vol. 119, 2009, p. 465-481. Comme cet ouvrage ne nous a pas été accessible, nous avons consulté la version typographiée de la contribution mise en ligne par Christian Dury sur [www.academia.edu/6032767/Tournai_Moyen_Âge_] (consulté le 19-08-2019). Des approfondissements substantiels pourraient sans doute être apportés par Dehove Pierre, « Par devant messeigneurs les consaux ». Élites et magistrats tournaisiens à la fin du Moyen Âge (1423-1521), thèse inédite pour le diplôme d’archiviste-paléographe : Histoire sociale. Époque médiévale, Paris, École nationale des chartes, 2010. Voir la position de thèse : [www.chartes.psl.eu/fr/positions-these/elites-magistrats-tournaisiens-fin-du-moyen-age-1423-1521] (consulté le 19-08-2019).

36Godefroy Frédéric, Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du ixe au xve siècle, t. IV, Paris, F. Vieweg, 1885, p. 464.

37Vandenbroeck Henri (éd.), Extraits analytiques des anciens registres des consaux de la ville de Tournai, 1422-1430, vol. 2, Tournai, Imprimerie de Malo et Levasseur, 1863, p. 21.

38D’après le récit anonyme des « Troubles à Tournai » dont il sera question ci-dessous, « lesquelles choses », à savoir la distribution du tract de Mersault, « venues à la cognoissance de Messieurs de l’Eglise et de le [sic] Ville, firent que, en icelle meisme nuict, icelluy Gillet fut pris », ce qui laisse entendre que les instances urbaines et diocésaines agirent à l’unisson ; Grange Amaury Louys de la (éd.), « Troubles à Tournai (1422-1430) », in Mémoires de la Société historique et littéraire de Tournai, no 17, Tournai, Veuve H. Casterman, 1882, p. 291-330, ici p. 304.

39Véronique Lambert, Chronicles of Flanders 1200-1500. Chronicles written independently from « Flandria Generosa », Gand, Maatschappij voor Geschiedenis en Oudheidkunde te Gent, 1993, p. 105. Une tradition manuscrite légèrement différente de celle utilisée par Amaury Louys de la Grange, « Troubles à Tournai (1422-1430) », art. cité, avait servi de base à l’édition de Joseph-Jean de Smet in Recueil des chroniques de Flandre, t. 3, Bruxelles, M. Hayez, 1856, p. 373-405. Nous n’avons pas eu accès à Hocquet Ad. (éd.), Croniques de Franche, d’Engleterre, de Flandres, de Lille et espécialement de Tournay, Mons, Dequesne, 1938. Le chanoine tournaisien Jean Cousin (1568-1636) s’est selon toute évidence inspiré du récit de l’anonyme pour sa propre version des faits dans son Histoire de Tournay…, voir Fredericq Paul (éd.), Corpus documentorum inquisitionis haereticae pravitatis Neerlandicae, t. 2, Gand/Martinus Nijhoff/S’Gravenhage, J. Vuylsteke, 1896, p. 304-305, no 191.

40Grange Amaury Louys de la (éd.), « Troubles à Tournai (1422-1430) », art. cité, p. 304-305.

41Houtart Maurice, Les Tournaisiens, op. cit., p. 195.

42Ibid., p. 194.

43Fudge Thomas A., « Heresy », art. cité, p. 22.

44Lacaze Yvon, « Philippe le Bon et le problème hussite », art. cité, p. 71.

45Houtart Maurice, Les Tournaisiens, op. cit., p. 234.

46Grange Amaury Louys de la (éd.), « Troubles à Tournai (1422-1430) », art. cité, p. 305.

47Ibid., loc. cit.

48Fudge Thomas A., « Heresy », art. cité, p. 20.

49Le récit le plus circonstancié des événements est fourni par Houtart Maurice, Les Tournaisiens, op. cit., chap. iii, § 3. Pour un survol des conflits sociaux et politiques à Tournai entre la deuxième moitié du xive et la première moitié du xve siècle, voir aussi Lantschner Patrick, The Logic of Political Conflict in Medieval Cities. Italy & the Southern Low Countries, 1370-1440, Oxford, Oxford University Press, 2015, p. 131-168.

50Dury Christian, « Tournai (Moyen Âge) », art. cité (version typographiée).

51Wymans, Gabriel, « Le déclin de Tournai au xve siècle », Anciens pays et assemblées d’États. Études publiées par Section belge de la Commission internationale pour l’histoire des assemblées d’États, no 22, 1961, p. 111-134, ici p. 121-122.

52Dumolyn Jan, Haemers Jelle, « Patterns of urban rebellion in medieval Flanders », Journal of Medieval History, no 31, 2005, p. 369-393, ici p. 370.

53Ibid., p. 382-391 ; Dumolyn Jan, « Espaces et lieux urbains comme enjeux dans la politique communale en Flandre médiévale », in Paloma Bravo et Juan Carlos D’Amico (dir.), Territoires, lieux et espaces de la révolte xive-xviiie siècle, Éditions universitaires de Dijon, 2017, p. 23-40.

54Wymans, Gabriel, « Le déclin de Tournai », art. cité, p. 125.

55Ibid., p. 128.

56Houtart Maurice, Les Tournaisiens, op. cit., p. 154.

57Ibid., p. 155-156.

58Ibid., p. 171-172.

59Ibid., p. 176-178.

60Ibid., p. 190.

61Wymans, Gabriel, « Le déclin de Tournai », art. cité, p. 124. Cette analyse a d’ailleurs été anticipée en 1908 par Maurice Houtart, chez qui la bipolarité politique à Tournai apparaît comme un leitmotiv.

62Houtart Maurice, Les Tournaisiens, op. cit., p. 163 sq., ici p. 166-167.

63Ibid., p. 188-189.

64Ibid., p. 186.

65Braekevelt Jonas, Buylaert Frederik, Dumolyn Jan et Haemers Jelle, « The politics of factional conflict in late medieval Flanders », Historical Research, vol. 85, no 227, février 2012, p. 13-31, ici p. 27.

66Grange Amaury Louys de la (éd.), « Troubles à Tournai (1422-1430) », art. cité, p. 305.

67Houtart Maurice, Les Tournaisiens, op. cit., p. 185.

68Ibid., p. 216 note 2.

69Au sujet de Jean de Bléharies, voir Houtart Maurice, Les Tournaisiens, op. cit., p. 197, 216-217 (citation), 223-224, 252-253 et passim (registre des noms).

70Dumolyn Jan et Haemers Jelle, « A Bad Chicken », p. 49-50 : « the middling sort of people […] usually kept firm control over urban political revolts in order to negotiate with the urban elite or the prince ».

71Au sujet de l’arrestation et de la libération de Mersault, Lošt’áková Kateřina, « Husitské ohlasy v soudobých Flandrech », art. cité, p. 122 avec note 22, parle, en se référant au récit dans les « Troubles à Tournay », d’une « comédie des erreurs ». L’auteur anonyme aurait tout fait pour éviter que des personnes en vue soient discréditées par des rumeurs liées à l’hussitisme.

72Grange Amaury Louys de la (éd.), « Troubles à Tournai (1422-1430) », art. cité, p. 305.

73Vandenbroeck Henri (éd.), Extraits analytiques, op. cit., p. 44-45 ; Fredericq Paul (éd.), Corpus documentorum, t. 2, op. cit., p. 305-306, no 192. On note la participation de l’évêque de Tournai à ce procès, même si la paroisse de Saint-Brice dont Mersault était originaire faisait partie des trois paroisses tournaisiennes relevant du diocèse de Cambrai ; Lantschner Patrick, The Logic of Political Conflict, op. cit., p. 153.

74Fredericq Paul (éd.), Corpus documentorum, t. 2, op. cit., p. 306, no 192.

75Houtart Maurice, Les Tournaisiens, op. cit., p. 22-26.

76Vandenbroeck Henri (éd.), Extraits analytiques, op. cit., p. 50 ; Fredericq Paul (éd.), Corpus documentorum, t. 2, op. cit., p. 306, no 192.

77Vandenbroeck Henri (éd.), Extraits analytiques, loc. cit., note 1.

78Fredericq Paul (éd.), Corpus documentorum, t. 2, op. cit., p. 304-305, no 191.

79Vandenbroeck Henri (éd.), Extraits analytiques, op. cit., p. 56 ; Fredericq Paul (éd.), Corpus documentorum, t. 2, op. cit., p. 306, no 192.

80Fredericq Paul (éd.), Corpus documentorum, t. 2, op. cit., p. 306-307, no 193.

81Fredericq Paul (éd.), Corpus documentorum inquisitionis haereticae pravitatis Neerlandicae, t. 1, Gand/Martinus Nijhoff/S’Gravenhage, J. Vuylsteke, 1889, p. 304, no 266.

82Du Plessis d’Argentré Charles, Collectio judiciorum de novis erroribus…, t. 1 [2e partie], Paris, Apud Andream Cailleau, 1728, p. 172-174.

83Voir à ce sujet par exemple Delisle Léopold, « Les manuscrits du comte d’Ashburnham. Rapport à M. le ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts », Bibliothèque de l’École des chartes, no 44, 1883, p. 202-224.

84Omont Henri, « Catalogue des manuscrits Ashburnham-Barrois récemment acquis par la Bibliothèque nationale », Bibliothèque de l’École des Chartes, no 62, 1901, p. 555-610, ici p. 555-559, 578-579, 583. Pour l’histoire du manuscrit, voir aussi Bartoš František Michálek, Manifesty města Prahy, op. cit., p. 269 note 43.

85Catalogus codicum manuscriptorum bibliothecae regiae. Pars tertia. Tomus tertius, Paris, E. typographia regia, 1744, p. 412.

86Grange Amaury Louys de la (éd.), « Troubles à Tournai (1422-1430) », art. cité, p. 323-324.

87Vandenbroeck Henri (éd.), Extraits analytiques, op. cit., p. 234 ; Fredericq Paul (éd.), Corpus documentorum inquisitionis haereticae pravitatis Neerlandicae, t. 3, Gand/Martinus Nijhoff/S’Gravenhage, J. Vuylsteke, 1906, p. 67, no 53.

88Vandenbroeck Henri (éd.), Extraits analytiques, op. cit., p. 234-235 ; Fredericq Paul (éd.), Corpus documentorum, t. 3, loc. cit.

89Vandenbroeck Henri (éd.), Extraits analytiques, op. cit., p. 235-236 ; Fredericq Paul (éd.), Corpus documentorum, t. 3, op. cit., p. 67-68, no 54.

90Au sujet de la murmuratio (« the imminent threat of revolt »), voir Dumolyn Jan et Haemers Jelle, « A Bad Chicken », art. cité, p. 56-60.

91Vandenbroeck Henri (éd.), Extraits analytiques, op. cit., p. 236-237 ; Fredericq Paul (éd.), Corpus documentorum, t. 3, op. cit., p. 68-69, no 54.

92Fredericq Paul (éd.), Corpus documentorum, t. 3, op. cit., p. 69, no 55 (1er février 1427) ; p. 69-70, no 56 (5 février) ; p. 70-71, no 57 (12 février) ; p. 71-72, no 58 (février).

93Ibid., p. 70, no 56.

94Ibid., p. 71, no 57.

95Fudge Thomas A., « Heresy », art. cité, p. 21-24.

96Haemers Jelle, « Révolte et requête. Les gens de métiers et les conflits sociaux dans les villes de Flandre (xiiie-xve siècle) », Revue historique, no 677, 2016, p. 27-56, ici p. 48-50.

97À défaut d’avoir accès à Champion Pierre et Thoisy Paul de, Bourgogne, France et Angleterre au Traité de Troyes : Jean de Thoisy, évêque de Tournai, membre du Conseil du Roi (1350-1433), Paris, Balzac, 1943, nous renvoyons au compte rendu étoffé de ce livre par Leman Auguste, Revue du Nord, vol. 27, no 107-108, juillet-décembre 1944, p. 244-246.

98Houtart Maurice, Les Tournaisiens, op. cit., p. 234.

99Cette identification a été proposée de façon convaincante par Van Houtte Hubert, « Lettres de Martin V concernant l’hérésie hussite dans les Pays-Bas », Annalectes pour servir l’histoire ecclésiastique de la Belgique, 2e série, vol. 10, 1896, p. 5-19, où les trois lettres citées ci-dessous sont également éditées.

100Fredericq Paul (éd.), Corpus documentorum, t. 2, op. cit., p. 248-249, no 144.

101Ibid., p. 249-250, no 145.

102Ibid., p. 250-252, no 146.

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