Avant-propos
p. 9-11
Texte intégral
1Quand j’ai proposé à mes collègues enseignants-chercheurs des universités de Rennes et de Brest de commémorer le centenaire de la Séparation des Églises et de l’État en Bretagne à Tréguier, le berceau de Renan, ils m’ont immédiatement dit oui. Comme si le choix s’imposait de lui-même. Tant la petite ville paraissait emblématique et l’auteur de la Vie de Jésus tout un symbole. Revenir sur les raisons qui nous ont motivés conduit à redéfinir l’esprit dans lequel nos manifestations ont été mises sur pied et à éclairer l’ensemble des communications dont nous présentons ici les Actes.
2Tréguier ne serait pas tout à fait Tréguier sans Renan. Sa cathédrale ne serait pas tout à fait sa cathédrale sans la présence à ses côtés, ou plutôt contre elle, du monument de bronze où le philosophe rêve sous l’olivier d’Athéna, la déesse de la raison. Mais pourquoi ici, sous la piété du ciel, cette énormité ? Et pourquoi l’inauguration d’un tel assemblage donna-telle lieu à un tel tumulte, eut-elle cette portée ? C’est qu’elle eut lieu le 13 septembre 1903, en pleine guerre des congrégations, c’est que la manifestation était présidée par Émile Combes, le président du Conseil et des Cultes, et que de culturelle elle devenait polémiquement politique. C’est qu’on était au cœur du bastion breton. Ainsi le monument Renan-Athéna s’inscrivait dans une logique de Séparation. Cela est si vrai qu’un an après son inauguration était inauguré un autre monument, en contrebas, sur les quais, dernier grand calvaire construit en Bretagne, calvaire déployé en tenue de combat, calvaire dit de Réparation, qu’on pourrait aussi nommer déjà de Séparation. Se retrouver pendant trois jours, cent ans après, sur ces lieux pour commémorer la loi de 1905, ne manquait pas de signification.
3Mais c’est Renan, bien qu’il soit mort depuis 1892, qui est responsable d’avoir ainsi fait de sa ville natale ce champ de bataille. Ou plutôt la République anticléricale d’avoir fait alors de lui son porte-drapeau. Il faut dire que, pour ce qui concerne la question de l’Église et de l’État, Ernest Renan est un homme providentiel. Jugez-en : un ancien séminariste, de surcroît breton, qui osa rompre avec l’ordre de l’Église, un professeur destitué de son poste du Collège de France pour affronter les deux forces conjuguées de l’Église et de l’État, l’auteur scandaleux du best-seller Vie de Jésus où précisément Jésus était présenté comme le fondateur de la séparation du temporel et du spirituel en même temps que la victime de leur coalition, le candidat en 1869 à la députation qui avait mis au cœur de son programme la Séparation de l’Église et de l’État. En réalité, c’est toute l’œuvre de Renan qui milite pour cette libération qui lui paraît aussi proche qu’inévitable, et qui n’est que la résultante d’un long combat qui a déterminé le progrès de l’Europe.
4L’ambition de notre colloque était de plusieurs ordres. Tout d’abord il n’était pas question de traiter de ce qui pouvait être dit ailleurs, ni des idées générales sur le sujet. Nous voulions traiter de ce que nous croyions seuls pouvoir dire, à savoir des Bretons face à la Séparation. Le titre même de ces Actes répond à cette exigence. Il nous a semblé, en second lieu, comme le montre d’ailleurs Renan lui-même, qu’il fallait se situer dans le temps long, dans la durée d’une longue gestation. Mais la date de 1905, tout en n’étant qu’un aboutissement, est aussi un point de départ. Pour les cent ans qui viennent de s’écouler la Bretagne constitue justement un extraordinaire champ d’expérimentation tant la religion y est prégnante, la question scolaire y est à vif, celle de la langue bretonne pas moins. Si enfin l’apport des spécialistes de l’histoire contemporaine est primordial, dans ses composantes politiques, juridiques, sociologiques, la part de la littérature a été préservée, dont la fonction est d’éclairer, de révéler, de mettre en perspective. Au lecteur d’apprécier comme les participants l’intérêt de ces communications croisées. Malheureusement il n’aura pas la même chance de revivre les débats qu’elles ont suscités, mais qui ont été enregistrés.
5On sera sans doute surpris de trouver dans cet ouvrage consacré à la Séparation en Bretagne six interventions qui font éclater le cadre prévu et nous poussent au large. Mais c’est aussi que nous voulions ici, à Tréguier, justement élargir le propos par des participations étrangères appropriées. Athéna appelait la collaboration de nos deux collègues d’Athènes. Lublin, ville universitaire près de laquelle enseigna Henriette, la sœur de Renan, appelait celle de notre collègue de Pologne. Il était excitant de voir comment la Grèce orthodoxe et la Pologne si catholique envisageaient notre problème de la Séparation. La révélation, car c’en fut une, de l’influence de la pensée de Renan au Brésil, influence telle qu’elle contribua à faire du Brésil la première nation moderne à avoir décidé la Séparation des Églises et de l’État, justifiait cette excursion inattendue. Quant à l’islam, qui n’était pas une préoccupation en 1905 et qui est devenu la principale préoccupation aujourd’hui, comment ne pas l’envisager alors que là encore, si polémiques qu’elles soient, les interventions de Renan plus que jamais interpellent ? Quant aux collègues québécois, qui ont l’habitude de travailler avec nos collègues des universités de Rennes et de Brest, ils viennent du beau pays qui fut terre d’accueil de maintes congrégations bretonnes expulsées et qui allaient là-bas reconstruire en quelque sorte une autre Bretagne. On reconnaîtra enfin que ces élargissements dans l’espace se conjuguant avec les élargissements dans le temps, c’est à Tréguier, en Bretagne, qu’ils ont été proposés et débattus. Le thème « Les Bretons et la Séparation » a pris le cap qu’il fallait.
6Il me reste, au nom des organisateurs des centres de recherche des universités de Brest et de Rennes (Centre de Recherche Bretonne et Celtique, Centre des correspondances, Centre de Recherches Historiques sur les Sociétés et Cultures de l’Ouest européen), à renouveler ma gratitude au professeur Émile Poulat qui a si remarquablement dirigé ces journées, à tous les participants, aux instances politiques qui ont contribué à faire de ces manifestations une réussite aussi intellectuelle que populaire : l’Institut culturel de Bretagne, la direction régionale des Affaires culturelles de Bretagne, le conseil régional de Bretagne, le conseil départemental des Côtes-d’Armor, les municipalités de Rennes, de Lannion, de Tréguier. On remerciera également la troupe d’Yves Moraud pour sa belle représentation, qui illustra le colloque, de la pièce tirée de La Terre des prêtres d’Yves Le Fèbvre, roman longtemps considéré comme un brûlot anticlérical alors qu’il s’agit d’une dramatique de l’esprit de tolérance et de l’intégrisme religieux. Comment enfin oublier les membres du Comité Renan qui ont su faire de ces journées un grand moment de convivialité ?
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