Seulement une vedette de cinéma ?
Le statut et l’image d’Ève Francis dans la presse cinématographique française des années 1920
p. 89-104
Texte intégral
1Née en 18861, Ève Francis est une comédienne très appréciée, qui interprète plusieurs pièces de Paul Claudel, auteur avec lequel elle restera liée par une profonde amitié. Nourrie par cette collaboration de longue date, sa popularité s’accroît ultérieurement quand, dans les années 1910, l’actrice de théâtre commence à jouer dans des films réalisés par Germaine Dulac et, plus tard, par Louis Delluc, son compagnon. Devenue son épouse en 1918, elle est généralement considérée comme la créature cinématographique et la muse du cinéaste.
2Dans cet article, il s’agira de commencer par la fin de la biographie de la vedette, pour montrer, quel est, cinquante ans après ses débuts au cinéma, l’héritage laissé par Ève Francis. La place et le rôle qu’elle a tenus dans l’histoire du spectacle et, en particulier, du cinéma, seront ainsi appréhendés à partir d’articles de presse généraliste rédigés à l’ère du cinéma moderne et à l’apogée de la Nouvelle Vague. En 1964, à l’occasion du quarantième anniversaire de la mort du réalisateur de La Femme de nulle part (1922), Ève Francis est sollicitée à plusieurs reprises, notamment par des cinémathèques, pour rappeler la figure de Louis Delluc et présenter ses films. D’une part, il est normal que dans un tel contexte, la reconstruction de la carrière professionnelle de l’actrice et la sphère de sa vie privée « lointaine » s’organisent principalement autour de celles de Delluc. Cependant, afin de légitimer sa position de témoin direct de la vie et de l’œuvre de l’écrivain, critique et cinéaste, un constat s’impose : la presse délimite sa pratique cinématographique uniquement en fonction de ses contacts avec son défunt compagnon, ce qui équivaut à une grossière erreur par omission. De cette manière, une sorte de dérivation ou de lignée artistique est établie dans ce domaine du spectacle qui lui attribue le rôle de « jeune, belle et grande créatrice de Paul Claudel2 » qui, en rencontrant Delluc, a eu l’occasion de découvrir le cinéma et son essence artistique, décidant de se consacrer à un nouveau moyen d’expression. Autrement dit, après Claudel, Louis Delluc constitue pour elle un second Pygmalion, brillant et novateur. Dans la première moitié des années 1960, l’information véhiculée est claire (et également réitérée dans d’autres articles) : dans l’activité professionnelle d’Ève Francis au milieu des années 1910, Delluc et le cinéma prennent le pas sur Claudel et le théâtre. Son futur mari lui indiquera d’ailleurs une nouvelle voie professionnelle et théorique, au sein de laquelle le théâtre et le cinéma représentent deux formes d’art complémentaires. Pour une actrice de talent, il est donc légitime de pratiquer les deux. En somme, si Ève Francis a commencé à faire des films, c’est grâce à l’influence de Delluc qui, pour ainsi dire, l’a convertie et lui a donné l’opportunité de participer activement à la première avant-garde cinématographique :
« Ce qu’elle dira de Louis Delluc, premier théoricien du cinéma d’alors c’est de l’histoire déjà. Elle indiquera comment la jeune, belle et grande créatrice de Paul Claudel qui venait de faire triompher “L’Otage”, “L’Annonce faite à Marie”, “Le Partage du Midi”, fut séduite par les idées du journaliste. Ce dernier déplorait le divorce de la scène et de l’écran. Car si d’un côté, des hommes tels que Griffith, Marc Sennet [sic], Chaplin et en France Max Linder et Feuillade donnaient au cinéma ses lettres de noblesse, les grands interprètes de la scène ne se produisaient guère que dans les bandes dites de films d’arts, sérieuses, dramatiques et pesantes, qui n’étaient que du théâtre filmé, et dont la projection aujourd’hui, déclenche le fou rire. Pour Louis Delluc, Ève Francis fit le premier pas dans le genre ambitieux où l’image comptait d’abord3. »
3L’« épouse du grand cinéaste4 » est invitée à ce genre d’événement pour incarner la moitié d’un couple qui a été et est encore très représentatif d’un moment charnière de l’histoire du cinéma muet français, parce que :
« Chaque “Nouvelle Vague” a ses théoriciens, ses réalisateurs, ses vedettes, ses égéries. La récente nous a valu les couples Bardot-Vadim et Godard-Karina. Une beaucoup plus ancienne, nouvelle vague d’après-guerre (la grande, celle de Verdun) avait déjà reconnu pour champions Ève Francis et son mari Louis Delluc5. »
4Cependant, lorsqu’Ève Francis fait la connaissance de Louis Delluc, en 1913, elle n’est pas « très jeune » puisqu’elle a vingt-sept ans, soit quatre ans de plus que lui ; c’est donc plutôt le compagnon qui est très jeune – vingt-trois ans. Lorsqu’ils se rencontrent, il est un homme de lettres et de théâtre, et un journaliste, mais il ne s’intéresse pas au cinéma. Ève Francis est considérée comme la compagne et l’égérie du célèbre critique de cinéma et réalisateur, mais c’est elle-même qui l’a poussé à s’intéresser au cinéma, et non l’inverse. Dans la biographie qu’elle consacre à Claudel, dans laquelle elle parle beaucoup d’elle à travers ses échanges avec l’écrivain, Francis le confirme :
« Mon engouement pour le cinéma ne tarit pas. Je l’ai transmis à force de découvertes sensationnelles à mon camarade Louis Delluc, le critique qui a préféré resserrer ces échanges enthousiastes en me menant autoritairement à la mairie du huitième arrondissement… Son amour fidèle et démesuré a fini par m’atteindre et me brûler6. »
5Celle que l’on appelait encore en 1964 « épouse du grand cinéaste7 » ne l’est en réalité restée que quatre ans. Bien qu’ils n’aient jamais divorcé, soient restés très proches et aient continué à se fréquenter et à travailler ensemble, ils se sont séparés en 1922. Lorsqu’elle découvre « la trahison sans circonstances atténuantes de celui qui partageait [sa] vie8 », Ève Francis prend l’initiative de cette séparation : « Je me trouvai tout à coup en face d’une trahison vulgaire et méprisable9. » Après en avoir informé Paul Claudel par lettre, il lui a répondu en octobre de la même année :
« La nouvelle que vous me donnez me fait de la peine. Si vous quittez la vie mariée, ce ne peut-être que pour entrer dans l’aventure, car, évidemment, votre vie sentimentale n’est pas terminée, et ce qui suit l’aventure, c’est le drame, parfois le gâchis. Il vaudrait mieux être patiente10. »
6En essayant de la dissuader par un appel, évidemment resté lettre morte, l’auteur dramatique et ami semble attribuer à la femme le contrôle de la situation et donc le pouvoir de la renverser. L’enjeu de cette contribution est d’examiner dans quelle mesure ces « petits arrangements avec la biographie » découlent de l’empreinte du premier traitement d’Ève Francis par la presse en tant que vedette du cinéma muet, c’est-à-dire pendant la période où elle a collaboré avec Louis Delluc et commencé à travailler avec Marcel L’Herbier. Il s’agira de déterminer si ce discours critique-promotionnel a plutôt subi une révision ou un oubli.
La muse de Paul Claudel, l’égérie de Louis Delluc
7La carrière d’actrice de cinéma d’Ève Francis est longue : l’artiste apparaît dans un premier court métrage en 1914 et tourne son dernier film en 1975, même si son précédent date de 1940. La période analysée sera plus spécifiquement le début des années 1920, correspondant au démarrage de la notoriété et de la présence de l’actrice de théâtre dans la presse, qui bascule vers le vedettariat cinématographique. Les années 1920 sont également celles où Ève Francis connaît ses plus grands succès dans le contexte du cinéma muet. C’est en effet à ce moment qu’elle accède à la fois au statut de vedette cinématographique en France, mise en exergue par la presse cinématographique, et à celui d’intellectuelle et d’artiste au cœur du cinéma français de la première avant-garde (et parfois dirigée par une femme). Elle est aussi activement engagée dans la première réflexion critique et esthétique sur le cinéma. En 1921, le 7e art lui offre son rôle le plus célèbre, celui de la danseuse Sibilla dans le mélodrame El Dorado, produit par la société Gaumont et réalisé par Marcel L’Herbier ; entre 1933 et 1938, sans abandonner sa carrière d’actrice, elle sera également assistante à la réalisation de ce dernier. Il faut ainsi souligner que les stratégies médiatiques mises en œuvre pour traiter sa popularité doivent faire face à une figure particulièrement originale, complexe et stratifiée, et qu’à cela s’ajoute le fait qu’elle est elle-même l’auteure de plusieurs articles et textes théoriques11.
8« La muse de Claudel » et « l’égérie de Delluc » sont-elles les deux volets principaux des discours autour de la vedette Ève Francis dans les années 1920 ? Rappelons d’abord que, si la presse théâtrale peut, bien que plus rarement, faire référence à ses rôles au cinéma, la presse cinématographique intègre quasi systématiquement son statut de prestigieuse actrice de théâtre. Par une stratégie qui ne surprend pas aujourd’hui, cette presse spécialisée a tendance à mettre en valeur ce statut d’interprète de la scène pour l’intégrer dans un processus plus général de légitimation du cinéma à travers les références de ses interprètes. Un premier constat est que la construction de l’image d’Ève Francis étoile de l’écran passe volontiers par la sensibilité et le talent qu’on lui reconnaît sur scène, mais jamais – à l’époque de ses premiers succès au cinéma – on ne fait le contraire. Pour répondre à la question soulevée, dans la presse cinématographique spécialisée et non spécialisée, l’activité théâtrale de Francis et ses triomphes dans les pièces de Claudel sont intégrés de manière spontanée et récurrente comme deux éléments parallèles. Avec pourtant une spécificité en ce qui concerne Le Film, dont Louis Delluc est, à partir de 1917, le rédacteur en chef. Dans les pages de cette revue, Ève Francis emploie son énergie à établir un parallèle entre le théâtre et le cinéma, motif majeur de sa théorie. Elle prouve ainsi qu’une grande actrice de théâtre peut et veut se consacrer aussi à la nouvelle forme d’art qu’est le cinéma.
9En 1918, Louis Delluc lui-même loue déjà le talent et l’intérêt de Francis pour l’écran, ce qui – précisément parce qu’elle était une superbe interprète du théâtre moderne et une artiste intellectuelle – prouvait que le cinéma n’était pas à dédaigner. Il met en avant le passé artistique – c’est-à-dire théâtral – de l’actrice, soulignant par là qu’un tel niveau conduit à s’intéresser au cinéma et à vouloir y travailler. Par ailleurs, dans plusieurs articles, pas forcément publiés uniquement dans Le Film, Delluc revient à plusieurs reprises sur la capacité de Francis à adopter un jeu intériorisé, à travailler avec minutie le geste, la posture, l’expression, mais aussi les pauses, les silences des personnages. Il célèbre sa photogénie et celle des costumes et vêtements qu’elle porte à l’écran : « Ève Francis égale à ses essais de théâtre ses créations de la Fête espagnole et du Silence12. » Toujours à propos de La Fête espagnole, de Germaine Dulac, il écrit qu’« Ève Francis dépense une étonnante verve psychologique dans les attitudes, les robes et les amours de Soledad13 ». La double vie professionnelle de l’interprète d’El Dorado est ainsi intégrée par d’autres revues cinématographiques spécialisées, comme Cinéa. En 1923, un article, issu d’une visite dans la loge de Francis pendant sa pause entre deux actes d’une représentation, transmet l’image de l’actrice qui travaille entre le théâtre et le cinéma, qui aime les deux, qui est simple et professionnelle14.
10Même dans la presse non spécialisée, les « portraits » de Francis vedette de cinéma ne manquent jamais de mentionner la double carrière de l’actrice. Et vice versa : le cinéma est parfois évoqué dans les chroniques théâtrales qui lui sont consacrées, alors que, par exemple, lorsque Louis Jouvet a commencé à travailler au cinéma, les critiques de théâtre ont généralement jeté un voile sur l’autre côté de sa médaille professionnelle – celle qui lui a pourtant permis une plus grande autonomie financière au théâtre. Le mérite revient certainement à l’approche systématique de nombreux articles qui nourrissent la légitimité de la double activité en termes artistiques, dès la fin des années 1910. Il faut reconnaître que, dans le sillage de ce qui a été répété par Le Film et par Delluc, mais également par Francis elle-même, la « construction » de l’image de la vedette de cinéma passe volontiers par un parallélisme avec la sensibilité qui lui est reconnue sur scène.
11Ève Francis a eu au théâtre un parcours similaire à celui qu’elle a eu au cinéma, c’est-à-dire qu’elle s’est tournée très tôt et très souvent vers le théâtre contemporain et d’avant-garde, ou en tout cas vers de jeunes auteurs émergents, comme Filippo Tommaso Marinetti, L’Herbier et Delluc. Cependant, désireuse d’évoquer le prestige théâtral d’Ève Francis, la presse cinématographique opère une manipulation par soustraction (probablement plus évidente à l’époque qu’aujourd’hui) du curriculum de l’actrice. Autrement dit, elle se limite essentiellement à Claudel, et ce jusqu’aux légendes des photos de tournage qui accompagnent les critiques ou les présentations de films :
« Mlle Ève Francis, que notre photo représente dans “La Boue”, le film de M. Delluc, n’est pas seulement une artiste cinématographique remarquable. Elle vient de remporter un grand et mérité succès dans “l’Annonce faite à Marie” de Paul Claudel, représentée récemment à la Comédie-Montaigne15. »
12Mais son influence sur la presse de cinéma, on l’a vu, est importante. Les journalistes ont pris l’habitude de raccourcir la filmographie de l’actrice au bénéfice des films des réalisatrices et des réalisateurs liés au circuit de la revue. Dans les articles consacrés à la muse de Delluc, sont ainsi mises en valeur les œuvres des cinéastes théoriciens qui ont écrit dans Le Film plutôt que les autres fictions. Par exemple, en 1921, El Dorado pourrait lui faire obtenir la « consécration qui est bien due au grand talent qu’elle a dépensé déjà dans La Fête espagnole, Le Silence, Prométhée banquier et dans L’Américain et La Boue que nous ne connaissons pas encore16 », c’est-à-dire qu’avant Dulac, Delluc et L’Herbier, il n’y aurait pas de cinéma pour Francis. Ce qui est généralement omis par les articles du Film, est le fait que son attirance et son intérêt pour le cinéma précèdent sa rencontre avec son mari et même avec le cinéma d’avant-garde. Elle épouse Delluc en 1918 et commence à tourner avec lui en 1919 dans Fumée noire, mais ce n’est pas son premier film. Quand elle interprète pour la première fois un long métrage de Delluc, elle tourne déjà depuis cinq ans : après deux courts métrages, en 1914 (La Dame blonde, de Charles Mandru) et en 1916 (Un homme passa, d’Henri Roussel), elle avait participé en 1917 au Roi de la mer de Jacques de Baroncelli et, en 1918, à Frivolité, de Maurice Landay. Pour ce qui est de l’avant-garde cinématographique, elle avait tourné d’abord avec Germaine Dulac : en 1917 le film à épisodes Âmes de fous, en 1918 le court métrage Le Bonheur des autres et, en 1919, La Fête espagnole. Il est vrai qu’on ne trouve pas non plus de discours explicitant une supposée initiation cinématographique déterminée par la rencontre avec Delluc, mais il est en tout cas extrêmement rare de rencontrer, dans la presse, une biographie artistique aussi complète et objective que celle-ci :
« Au cours de tant de combats d’avant-garde [au théâtre], Ève Francis venait de découvrir le cinéma. De suite, cet art neuf entre les choses neuves la passionna. Pour une artiste française, elle a déjà beaucoup tourné, ce qui est assez rare, et bien, ce qui l’est encore plus. Nous l’avons vue dans La Dame Blonde, de Maudru ; Un Homme passa, de Roussell ; Frivolité, de Maurice Landais ; Âmes de Fous et Le Bonheur des Autres, de G. Dulac ; La Fête espagnole, de Delluc et Dulac ; Fumée noire, de Delluc ; Le Silence, du même. Bientôt nous la verrons dans L’Américain, Une Ténébreuse Affaire, Fièvre, et ce n’est pas fini17. »
La femme au portrait
13Ève Francis est une femme, et non plus une jeune fille, quand elle commence à faire du cinéma. Elle possède une culture, une personnalité et surtout un talent reconnu au moment de ses débuts à l’écran. Elle arrive au cinéma à la recherche d’une nouvelle forme expressive, et non pour des raisons financières ou pour élargir sa popularité. Ces éléments peuvent expliquer pourquoi, si ses yeux, son sourire, sa manière de bouger et de marcher font régulièrement l’objet de descriptions, parfois très détaillées, nous ne rencontrons jamais une lecture érotique de la femme et de l’actrice. Pourtant, elle est décrite comme une « beauté » et son aspect – qualifié par exemple de « charmant » et « mystérieux » – pourrait s’y prêter. À la toute fin des années 1910, son image de vedette élégante est d’ailleurs déjà exploitée par la publicité et nous apprenons, par exemple, qu’« Ève Francis est habillée par Monge 18, Chaussée-d’Antin18 ». Sous le grand portrait photographique de mode où Francis pose en robe du soir et cape en fourrure, une petite légende rappelle également que : « La jeune artiste qui aborda le cinéma avec Âmes de fous et Frivolité, achève de tourner Le Bonheur des autres, et tournera aussitôt après un autre film dont nous reparlerons19. »
14Autour de son physique et de son aspect se compose au fil du temps une iconographie importante, spécifique et très cohérente : celle d’une beauté graphique, faite de contrastes nets entre le noir et le blanc (à l’écran et en dehors de l’écran), élégante, aristocratique, distante. Parfois l’origine étrangère de la comédienne semble jouer un rôle par rapport à cette distance, et certains éléments de la représentation de son physique rappellent ceux qui seront utilisés pour Greta Garbo :
« J’ai vu Ève Francis dans La Femme de nulle part. Très grande artiste, en effet, savez-vous qu’elle est belge ? Si vous collectionnez [les] photos-artistes, écrivez-lui, elle n’en est pas avare ; j’en ai d’elle, deux grandes, où elle est très expressive20. »
15Les journalistes emploient des termes comme « mystères nordiques » et « regards froids », ils font référence à sa taille, qui est haute pour une femme de l’époque, et à une sorte de majesté rigoureuse et paisible, mais inatteignable :
« Ève Francis est une femme de taille haute et mince, au teint blanc, aux cheveux châtains. Elle possède un visage large, aux traits inexorablement réguliers, presque hautains. Le tout est rehaussé d’un sourire du bout des lèvres, étrange, changeant, doux, timide, plein de charme et de mystères nordiques. Silencieuse, taciturne avec des regards froids qui tombent des yeux creux, elle semble être descendue d’un cadre doré, là-haut, quelque part vers les lambris. Regardez-la se lever, s’étendre, avancer d’un grand pas souple de lévrier, vous tendre la main avec une flexion arrière du buste et une élévation sur la pointe d’un pied : on dirait un Van Dongen. D’ailleurs, Ève Francis fut tellement peinte par Van Dongen qu’on ne sait plus si elle cherche à reproduire dans ses attitudes les toiles du maître, ou si ce sont les toiles qui cherchent à la reproduire. Dilemme21. »
16Ève Francis vedette est une femme à portrait. D’ailleurs, elle a été peinte et dessinée par plusieurs artistes renommés qui, comme les dessinateurs [Bernard] Bécan, Henri Debain, Jean Don et Hayes, ont créé pour elle des marques de fabrique, d’élégantes caricatures qui essentialisent, surtout en noir et blanc, ses traits angulaires. Les photos de tournage et de plateau diffusées pendant la production et à la sortie de ses films répliquent ces schémas : la symétrie, la géométrie, les contrastes nets entre ombre et lumière, les poses mêmes du corps qui dessinent l’espace dans une sorte d’expressionnisme de lignes et de trajectoires. Les portraits hors tournage de l’actrice – ainsi que les descriptions verbales de ses apparitions à l’intérieur et à l’extérieur des tournages – reprennent et imitent cette démarche déjà présente dans les choix photographiques, de costumes, de maquillage et coiffure de ses films. Films, photogrammes, photographies, dessins : nous avons pourtant l’impression que derrière ces représentations iconographiques de la vedette reste « Toujours le Van Dongen descendant de son cadre pour nous étonner par son visage étrange, sévère et distingué22 ! » Comme nous l’explique Le Film en janvier 1920, Kees Van Dongen est « le peintre très moderne, dont les portraits font sensation au Salon d’Automne, et dont nous avons reproduit, dans notre numéro de Noël, le portrait d’Ève Francis23 ». Dans ce numéro de Noël de la revue, il est délivré un cadeau aux lecteurs sous la forme de plusieurs pages contenant des portraits de 57 actrices et de 77 acteurs. Sur 134 images, la seule star représentée par un portrait pictural – de Van Dongen, évidemment – et non pas par des photographies, est Ève Francis24 (ill. 2).
17Cette dimension picturale intègre parfaitement sa présence à la fois théâtrale et cinématographique :
« Elle a apporté à l’écran cette science de l’expression muette, une mimique impressionniste, ample jusqu’à l’infini, une sorte de psychologie plastique qui relève autant de l’art pictural que de l’art dramatique25. »
18Ou encore :
« Son masque aux yeux énormes, d’un caractère extraordinaire et qui semble dessiné par quelque Utamaro26, son jeu sobre, vivant, expressif, l’harmonie véritablement antique de ses gestes et de ses attitudes – on dirait d’une Isadora Duncan au ralenti – font de cette artiste remarquable la grande et la seule vedette de l’écran français27. »
19D’ailleurs, le tableau de Van Dongen a été reproduit an 1920 pour réaliser une affiche de promotion de Francis en tant que vedette d’Aubert, l’un des principaux distributeurs français des années 1910 et 192028.
20En 1929, la description physique d’Ève Francis, même au seuil de la diffusion du cinéma parlant, est toujours très « graphique », nette et géométrique, et la référence à la peinture ou au dessin est encore d’actualité. Cette image picturale s’est définitivement fixée autour de son visage et de son corps… au cinéma :
« Elle est trop faite pour l’écran. Il y a dans sa photogénie quelque chose d’étrange, d’émouvant ; cette attirance invincible qui nous attrape et que nous ne retrouvons chez presque aucune artiste. Gina Manès chez nous, exerce aussi cette attraction d’espèce physique, Brigitte Helm et Lya de Putti, en Allemagne, et je ne vois pas dans cette Amérique pourtant si riche en tempéraments de toutes sortes qui mettre en parallèle ; peut-être Joan Crawford, et encore29 ! »
Quand Ève Francis parle d’elle-même
21Ève Francis n’a pas seulement joué au cinéma en même temps qu’au théâtre, elle a également théorisé ce double cursus et délibérément souligné la nécessité d’une relation de proximité et d’échange entre le monde de la scène et celui du cinéma. Elle fait l’objet d’articles et de chroniques, mais elle signe aussi des textes publiés dans la presse. Apparemment, elle se décrit elle-même surtout comme une artiste. Pourtant, elle défend, plus généralement, une certaine idée de son métier d’actrice : celle de l’interprète qui a le droit de se partager entre théâtre et cinéma, de vivre cette osmose professionnelle entre spectacle vivant et performance enregistrée. Il est évident qu’elle plaide finalement, aux côtés de Delluc, pour la légitimité artistique du plus jeune cinéma. Elle part presque de l’anecdote : « Comme j’aimerais faire du cinéma si je ne me voyais jamais à l’écran… […] Je vous dis que je rêve de ne jamais plus me revoir – et d’oublier que je m’y suis vue30. » Une fois qu’elle a captivé le lecteur, elle peut avouer :
« Je vais de l’un à l’autre, passionnée de l’un et de l’autre […]. Bah ! Tant de gens cumulent plusieurs métiers, et on les en félicite. Pourquoi n’aurions-nous pas le droit de nous tromper – ou de ne pas nous tromper sur plusieurs routes à la fois31 ? »
22Un deuxième point qu’elle soutient est la nécessité de la part du théâtre de se faire enregistrer par le cinéma. Elle parle ici de la captation du spectacle vivant pour en conserver la mémoire et la vérité pour les générations à venir ou pour les spectateurs qui n’ont pas la possibilité d’assister aux spectacles des grands auteurs, metteurs en scène et acteurs : « Il est injuste de ne pas filmer leurs créations essentielles. […] Injustice d’autant plus stupide que pas commerciale32. » En outre « cela aurait un autre avantage : mettre nos grands comédiens en contact plus direct avec le cinéma33 ». Dès 1919, elle l’a écrit elle-même très clairement : « Que les acteurs [de théâtre] aillent au cinéma34. » Son raisonnement est d’une grande modernité : « La fréquentation du cinéma atténuerait ces déformations monstrueuses dont eux-mêmes ne se rendent pas compte, et que le public n’aurait jamais vues sans le cinéma35. » De plus, « les metteurs en scène de théâtre feraient pas mal de ne plus mépriser le cinéma36 » parce que « le jour où le théâtre sera mis au point – par le contact des dures leçons de l’écran – on reprochera moins souvent à un acteur de cinéma d’avoir l’air d’un acteur de théâtre37 ». Elle envisage également la captation au service des acteurs et des metteurs en scène comme un outil de travail. Les premiers pourraient s’étudier, se voir sur scène, et les seconds « qui ne voient pas tous très clair, n’est-ce pas ? sauraient ce qu’on peut leur demander38 ». Il est difficile d’imaginer que toutes ces réflexions dérivent de sa fréquentation de Louis Delluc.
23En 1923, l’un de ses articles (elle ne publie pas que dans Le Film) s’intitule de manière plus explicite « Les deux rivaux. Théâtre et cinéma39 ». À nouveau, elle part ici de son statut particulier, qu’elle revendique : « On me demande, à moi, interprète de ces deux arts, de vous dire quelle est la réalisation artistique que je préfère40. » En parlant d’elle, en réalité elle glisse toujours sous les yeux du lecteur des sujets plus substantiels et généraux, comme l’idée qu’on ne peut nier que le cinéma soit une forme d’expression artistique, et qu’« il faut sans retard créer le Film français ; ce film qui amènera les détracteurs du cinéma à reconnaître enfin que c’est un Art et un Art magnifique41 ».
24Signalons également qu’en février 1949 paraît un volume de mémoires, Temps héroïques, signé par Ève Francis elle-même. Bien évidemment, la préface est de Paul Claudel qui pourtant, dans les trois pages de son texte d’introduction, n’évoque point le contenu de « ce gros tas de feuillets que vous m’aviez préparés [sic] à brouter, les uns encore manuscrits, les autres parvenus à l’expression, je veux dire à l’impression42 ». Claudel signe une attachante déclaration d’amitié et d’estime professionnelle envers l’actrice qui fut sa muse. Il n’est pas étonnant, par conséquent, qu’il cite seulement des composantes de la carrière théâtrale de Francis :
« C’est vrai que pendant 30 ans, séparés généralement par aussi peu de chose que l’épaisseur du globe terrestre, nos vies n’ont pas cessé d’être réunies. Je vous entends déclamer le Cantique du Rhône, la Chambre intérieure, la Vierge à midi ! C’est grâce à vous que les Anglais ont pris une idée de ce grand poète que fut Coventry Patmore. C’est aux accents du poème : Aux Morts des Armées de la République que tous deux, en l’an 1916, l’un portant l’autre, nous avons mis le feu à la Péninsule ! […] Un joli coup que nous avons fait là43 ! »
25Pourtant, le sous-titre de Temps héroïques affiche clairement la double âme d’Ève Francis : Théâtre Cinéma.
26La grande vedette du cinéma français muet n’a pas été oubliée alors que le film parlant commence à se répandre, et la presse s’enquiert de son opinion. Son avis concernant la nouveauté technique est d’une grande clairvoyance et n’est pas dénué d’enthousiasme. En 1929, elle confie à Roger Régent, de Pour Vous :
« Comment ne pas rester stupéfait devant les résultats déjà atteints dans le domaine ! Je trouve cela tout simplement renversant, et je vois d’ici quelques années, tout le cinéma actuel remplacé par la nouvelle invention44. »
27Quand le journaliste lui demande : « Vous croyez donc que le cinéma parlant tuera définitivement le cinéma muet45 ? » Francis n’a aucun doute : « Certainement. Ou plutôt le film muet mourra tout simplement de sa belle mort46. » Ces mots ne sont pas que des mots. En 1935, un article paru dans Excelsior annonce même que « la grande vedette Ève Francis est devenue “répétitrice” pour les artistes de cinéma, afin de tirer d’eux tout ce qu’ils sont capables de donner. Elle en est déjà à son 7e film47 ».
28La presse cinématographique des années 1920 a été souvent conditionnée par la lecture de Delluc de la spécificité du talent cinématographique d’Ève Francis. Sa remarquable photogénie, la finesse psychologique de ses interprétations, etc., mais aussi son rôle avant-gardiste de passeuse entre le théâtre et le cinéma, sont des qualités attribuées à l’actrice qui, au fil du temps, ont été associées à l’influence artistique et intellectuelle du critique et réalisateur. Il n’est pas surprenant qu’à l’époque de la Nouvelle Vague, courant obsédé par la notion d’auteur-réalisateur le plus souvent au « masculin singulier48 », considérant les acteurs et surtout les actrices comme des partenaires des premiers, cette tendance soit si évidente. Ève Francis ne s’y est jamais explicitement opposée, elle qui a spontanément occupé le rôle de gardienne de la mémoire intellectuelle et artistique de Delluc, et ce dès son décès.
⁂
29Dans les années 1920, si, d’un côté, les articles sur Francis prennent en compte sa carrière parallèle au théâtre et au cinéma, et la qualité de ses films, ces textes n’ont pas la capacité ou la volonté d’intégrer, dans le discours promotionnel autour d’une vedette féminine, des éléments qui échappent complètement à l’archétype, à l’idéalisation ou à la mode, comme sa propre compréhension et son soutien individuel au potentiel artistique du film. La presse la coiffe du chapeau de la grande vedette-interprète, de la femme belle, élégante, de la muse de Claudel, de la compagne et de l’actrice qui inspire Delluc, mais ne met pas spécialement en avant son rôle d’intellectuelle et de théoricienne du théâtre et du cinéma, c’est-à-dire d’une partie cruciale, en réalité, de son parcours et de son identité professionnelle et artistique. Ce qui conduit, avec le temps, à faire oublier un élément essentiel de sa trajectoire singulière et remarquable : sa modernité.
Notes de bas de page
1De son vrai nom Éva Louise François, née en Belgique, à Saint-Josse-ten-Noode (Bruxelles) le 24 août 1886 et morte en France, à Neuilly-sur-Seine, le 6 décembre 1980.
2[Non signé], « Ève Francis parlera ce soir de son mari Louis Delluc et de la nouvelle vague de 1920 », La France, 3 novembre 1924, p. 3.
3Ibid.
4[Non signé], « Ève Francis vient présenter les films de Louis Delluc [à la cinémathèque de Bordeaux] », Sud-ouest, 4 novembre 1924, p. 5. La présentation de la biographie de l’actrice dans cet article converge avec celle qui est faite dans d’autres publiés dans la presse généraliste à l’occasion du quarantième anniversaire de la mort de Delluc.
5[Non signé], « Ève Francis parlera ce soir de son mari Louis Delluc et de la nouvelle vague de 1920 », art. cité.
6Francis Ève, Un autre Claudel, Paris, Grasset, 1973, p. 157.
7[Non signé], « Ève Francis vient présenter les films de Louis Delluc », art. cité, p. 5.
8Francis Ève, Un autre Claudel, op. cit., p. 204-205.
9Ibid.
10Lettre de Paul Claudel (écrite depuis Tokyo) du 24 octobre 1922, citée dans Francis Ève, Un autre Claudel, op. cit., p. 205.
11Elle a également collaboré – en tant que critique de cinéma – à La Revue de la femme, une publication mensuelle née à la fin de 1926, qui voulait donner une place centrale à l’émancipation de la femme dans la société française « en traitant sans exclusion tous les sujets qui l’intéressent ». Les films étaient par conséquent des sujets d’intérêt pour les lectrices.
12Delluc Louis, [rubrique : Cinéma], « Interprètes français », Comœdia illustré, no 2, 1er janvier 1920, p. 7.
13Delluc Louis, [rubrique : Cinéma], « Les films à voir », Comœdia illustré, no 3, 5 janvier 1920, p. 171.
14Voir Christiany Jaque, « Cinéa chez Ève Francis », Cinéa, no 84, 26 janvier 1923, p. 4.
15Légende de photographie, Le Film, no 181, mai-juin 1921, n. p.
16[Jeanne René] R. J., « Les prochains films : “El Dorado” », Le Film, no 181, mai-juin 1921, n. p.
17Morizot Jean, « Ève Francis », Ciné pour tous, no 50, 8 octobre 1920, p. 4. Ce portrait de l’actrice sur une double page, avec deux photos de tournage du drame sentimental L’Américain ou Le Chemin d’Ernoa (1920) de Louis Delluc et René Coiffard et de quatre portraits photographiques de la vedette, se compose de trois parties signées par trois auteurs différents : Galtier-Boissière, Jean Morizot et Pierre Scize.
18Page publicitaire, Le Film, no 146-147, 7 janvier 1919, n. p.
19Ibid.
20[Non signé], rubrique « La Ruche » [courrier des lectrices], La Femme de France, no 607, 26 décembre 1926, p. 7.
21Morizot Jean, « Ève Francis », art. cité, p. 4. Kees van Dongen (1877-1968), de son vrai nom Cornelis Theodorus Maria van Dongen, était un peintre néerlandais, naturalisé français, proche du mouvement Fauve. Il a été un portraitiste très à la mode de la société parisienne des années 1920-1930.
22Ibid., p. 4-5. Nous soulignons.
23[Non signé], « Les Enquêtes du Film : II. Peinture, Sculpture et Cinéma », Le Film, no 167, janvier 1920, p. 3. Le portrait en question s’intitule « La Robe rose (Ève Francis) ».
24Voir Le Film, no 166, numéro de Noël, décembre 1919. En 1921, le numéro de janvier propose une série de treize portraits d’artistes, sous la forme de dessins, croquis ou tableaux, et Ève Francis se voit représenter par un croquis de Robert Kastor. Voir Le Film, no 177, janvier 1921, n. p.
25Morizot Jean, « Ève Francis », art. cité, p. 4.
26Utamaro Kitagawa (1753-1806), dessinateur et illustrateur japonais.
27Galtier-Boissière Jean, « Ève Francis », Ciné pour tous, no 50, 8 octobre 1920, p. 5.
28Van Dongen Kees, Ève Francis, Paris, 1920, lithographie, noir et blanc, 160 × 125 cm, Bauduin (impr.). La Cinémathèque française, E1387, cote de numérisation : A013-086.
29Régent Roger, « Verrons-nous Ève Francis dans un film japonais ? », Pour Vous, no 13, 14 février 1929, p. 7.
30Francis Ève, « Le cinéma du théâtre », Le Film, no 165, 15 novembre 1919, p. 41.
31Ibid.
32Ibid., p. 42.
33Ibid.
34Francis Ève, « Réflexions d’une Artiste », Le Film, no 161, 20 juin 1919, p. 41.
35Ibid.
36Francis Ève, « Réflexions d’une Artiste », art. cité, p. 42.
37Ibid.
38Francis Ève, « Le Théâtre du Cinéma », art. cité, p. 42.
39Francis Ève, « Les deux rivaux. Théâtre et cinéma », Comœdia, 15 septembre 1923, p. 1.
40Ibid.
41Ibid.
42Claudel Paul, « Préface », dans Ève Francis, Temps Héroïques Théâtre Cinéma, Bruxelles/Paris, À l’enseigne du Chat qui Pêche-Éditions Denoël, 1949, p. 6.
43Ibid., p. 6-7.
44Régent Roger, « Verrons-nous Ève Francis dans un film japonais ? », art. cité, p. 7.
45Ibid.
46Ibid.
47Berger M. H., « La grande vedette Ève Francis est devenue “répétitrice” pour les artistes de cinéma, afin de tirer d’eux tout ce qu’ils sont capables de donner. Elle en est déjà à son 7e film » (Excelsior, 1er novembre 1935, p. 6). D’après l’article, elle se prête à cette tâche pour des acteurs de films de Marcel L’Herbier, mais l’idée de les faire répéter serait d’Ève Francis.
48Je fais référence à Sellier Geneviève, La Nouvelle Vague, un cinéma au masculin singulier, Paris, CNRS Éd., coll. « Cinéma & Audiovisuel », 2005.
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La fabrication des vedettes dans l’entre-deux-guerres
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