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Conclusion

p. 177-180


Texte intégral

1Devant la caméra, les vedettes incarnent des personnages et constituent une matière première pour les réalisateurs qui racontent une histoire dans le but de distraire les spectateurs. Dans les pages des magazines et des revues cinématographiques, les stars restent des héros et des héroïnes au cœur d’un récit destiné à faire rêver les lecteurs. Au service d’une maison de production ou d’une rédaction souvent inféodée à la première, les têtes d’affiche servent des intérêts économiques : leurs performances, leur plastique, leur charme ou leur force font acheter les tickets de cinéma et les produits dérivés.

2En plaçant sous les projecteurs des Success Stories, à travers le mythe de Cendrillon ou du self-made-man, et en oblitérant les zones plus ténébreuses des acteurs du 7e art à la frontière du muet et du parlant, les journaux vendent de l’espoir. En prolongeant sur le papier l’histoire des protagonistes vus sur grand écran, au risque de gommer la véritable personnalité de celles et ceux qui les ont interprétés, les critiques fabriquent des êtres imaginaires. Maquillages, cadrages et sunlights contribuent à cacher les défauts d’un corps fatigué, abîmé ou vieillissant. Les accidents, passés sous silence, idéalisent en les simplifiant les parcours. Enjolivées, édulcorées, les biographies sont des constructions médiatiques qui répondent aux attentes des publics, mais s’écartent de la vérité des acteurs et laissent croire au destinataire que les rôles endossés et l’habitus du comédien sont identiques.

3Le Fernandel médiatique emprunte à ses personnages leur identité méridionale, leur caractère débonnaire et chaleureux, même si, en réalité, l’artiste n’a peut-être rien de commun avec un Saturnin ou un Isidore. Le nom de scène Claude Mérelle, qui chasse le patronyme d’état civil dans les colonnes des journaux, aide à mieux faire oublier le passé sombre de la criminelle Lise Laurent, accusée d’avoir tenté d’assassiner son amant, l’acteur Paul Guidé. Le mystère entretenu par les critiques autour des origines familiales de Jeanne de Balzac, l’interprète de Salammbô, contribue à semer le doute sur son identité et son histoire. Dita Parlo s’accommode de l’image de jeune première que les journaux font circuler. D’origine germanique, elle s’appuie sur les médias pour exprimer son désaccord avec la politique de l’Allemagne nazie et devenir, aux yeux de tous, une comédienne polyglotte européenne employée dans de nombreux films français pour jouer, grâce à son accent, des étrangères. Ève Francis, par contre, cherche à ne pas apparaître uniquement dans le discours promotionnel comme l’égérie de Paul Claudel et de son mari Louis Delluc alors que sa palette artistique est très large. La trajectoire de la vamp Lily Damita est marquée du sceau des hommes qui ont compté pour elle, tels Michael Curtiz et Errol Flynn.

4Mais la presse française peut aussi défaire les carrières qu’elle a forgées. Après avoir été consacré « roi de l’écran », Ivan Mosjoukine chute de son piédestal dès que la Russie cesse d’être à la mode. Il n’est soudain plus l’artiste total qui scénarise, réalise et joue en émerveillant les critiques mais un simple acteur étranger, un Russe blanc, membre d’une communauté qui ne parvient pas à s’intégrer.

5Les journalistes, conscients de l’attrait que constituent les vedettes pour leurs lecteurs, s’efforcent de construire des typifications singulières pour chacune d’entre elles. Le comique sympathique, la Latina aux belles jambes, la femme fatale au sang chaud… composent ainsi un paysage actoriel riche, fait de spécificités diverses. Cette multitude de personnages médiatiques, conçus à partir des rôles interprétés, forme une source intarissable d’histoires à raconter. D’une rédaction à l’autre, d’une plume à l’autre, les principaux mythèmes se retrouvent, concordant avec le « scénario » établi.

6Le fond et la forme sont au service des petits arrangements biographiques. Comme dans la vitrine d’un magasin, où les vêtements sont mis en valeur sur des mannequins, rehaussés par des accessoires, les journaux présentent les comédiens sous leur meilleur jour, pour doper les ventes. Faire croire aux fidèles de Cinémagazine, de Cinéa-Ciné pour tous ou de Pour Vous qu’ils vont percer les secrets de leurs idoles, s’introduire dans leur intimité, en lisant les reportages qui leur sont consacrés, fait partie des stratagèmes développés pour fidéliser le lectorat, encourager la cinéphilie et garantir les entrées en salle. Les mises en scène d’interviews dans un décor attentivement choisi, les procédés d’écriture destinés à simuler la révélation de fausses confidences, les jeux et les concours sont autant d’astuces journalistiques au service du star-system. Ces dernières témoignent des mutations structurelles de l’écriture sur le vedettariat accompagnant l’évolution de la place des stars dans le milieu cinématographique. La connaissance de plus en plus fine que les lecteurs ont des visages et de la filmographie des comédiens induit la recherche de formules ludiques inédites. Les pages des magazines s’enrichissent de nouvelles rubriques créées sous l’impulsion de la cinéphilie grandissante des publics.

7L’étude des petits arrangements avec la biographie révèle finalement davantage les rouages de la presse, et les coulisses d’une profession intimement liée à l’industrie cinématographique, que la vie des stars, lesquelles gardent leur mystère.

8Les arrangements d’aujourd’hui ne sont guère différents de ceux d’hier. Ils s’appuient simplement sur des outils plus perfectionnés pour embellir les célébrités. À l’aide de logiciels de retouche d’images comme Photoshop et de trames électroniques, les visages des acteurs et des actrices conservent durant des décennies leur fraîcheur. La starification, des artistes comme des sportifs et des politiques, est un phénomène toujours d’actualité qui construit des êtres de papier ou d’acétate, destinés à fournir des modèles et à faire rêver celles et ceux qui cherchent à leur ressembler. Par contre, les journalistes actuels ne sont plus, comme ceux des Années folles, des médiateurs indispensables entre les vedettes et leur public. Les supports d’information se sont multipliés pour délivrer les récits de la vie fantasmée des idoles et échappent aux canaux de communication traditionnels. Facebook, Instagram, Tweeter, TikTok sont autant de plateformes dématérialisées ouvertes sur l’intimité des stars et offrant d’elles un portrait tronqué qu’elles ont pu concevoir elles-mêmes.

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