Chapitre III. Les protestants au centre des décisions économiques et de l’innovation industrielle
p. 85-118
Texte intégral
La chambre de commerce de Nantes : un outil déterminant
1Intégrés et reconnus comme acteurs dans la ville et sur le port, les protestants participent aux prises de décisions stratégiques notamment à la Chambre de commerce et engagent l’avenir de nombreuses entreprises ou industries nouvelles. L’arrêté qui rétablit les chambres de commerce, signé le 24 décembre 1802 par Bonaparte, satisfait dans un premier temps le milieu négociant nantais désireux de réconcilier l’Ancien Régime et la Révolution. Par ailleurs, les Églises réformées passent du statut de tolérées à celui de la reconnaissance officielle, assorti d’une aide matérielle. Un culte désormais protégé, officialisé.
2Mais ce n’est pas vraiment cela qui préoccupe les négociants nantais de toutes obédiences. Le trafic portuaire nantais est proprement calamiteux : de 261 163 tonneaux en 1792, il est tombé à 79 887 en 1802. Face à ce constat, Bonaparte fait figure de sauveur. Des membres issus de familles protestantes étrangères figurent parmi les quinze premiers membres élus de la chambre : Benoît Bourcard, Philippe Cullmann, Thomas Dobrée, Michel Foucault…1 La plupart appartiennent aux grandes familles du négoce nantais d’avant la Révolution. Très vite, la bienveillance à l’égard de Bonaparte ne cache pas quelques divergences envers le gouvernement : c’est ainsi qu’une première pétition exprime une protestation contre la régie des tabacs (toujours en vigueur) susceptible de compromettre les intérêts du commerce maritime nantais. Une deuxième réclamation demande de renoncer à la vente de La Louisiane française qui s’étendait alors sur une grande partie du centre des États-Unis actuels. Ces deux requêtes traduisent bien le souci de poursuivre et de faire prospérer le trafic maritime nantais vers les Amériques. Les années qui suivent apportent leur lot de très mauvaises nouvelles : 1804, perte de Saint-Domingue où le commerce nantais avait placé l’essentiel de ses intérêts liés à la traite ; 1805, désastre de Trafalgar qui attribue à l’Angleterre la maîtrise totale des mers et compromet sérieusement l’activité maritime nantaise. À cela s’ajoutent de graves problèmes de trésorerie pour la chambre qui obligent son président, Pierre-Joseph Lincoln, à avancer les montants de loyers des entrepôts. Mathias Haëntjens, autre protestant devenu membre de la chambre, apporte 3 000 F afin de garantir également les loyers des entrepôts2. Enfin, le blocus continental, décrété en 1806, signe l’arrêt de mort de nombreuses activités liées au commerce maritime. C’est ainsi que l’indienneur protestant Favre-Petitpierre fait faillite et laisse un passif de 459 000 F3. La chambre se tourne alors vers la gestion des entrepôts, en soutenant notamment ceux de Dobrée et Schweighauser. Objectif : en faire un réel entrepôt de sucre du Brésil et de tabac en feuilles. Cette décision prémonitoire devance l’implantation d’une manufacture des tabacs par décret impérial et fait de Nantes un grand port d’importation. Autre inquiétude : les velléités de Paimbœuf de créer des bassins à flot et des chantiers navals ainsi que l’installation d’un tribunal consulaire. La chambre parviendra à faire échouer le projet. En attendant, plus tard, celui de Saint-Nazaire.
3Entre-temps, Napoléon entreprend, en 1808, une visite de Nantes et de la Loire. La garde d’honneur, placée sous le commandement du négociant Deurbroucq, accompagne Napoléon Bonaparte qui découvre, non sans surprise, la facilité avec laquelle les Anglais peuvent débarquer et prendre le contrôle de l’embouchure de la Loire. Son esprit est en effet frappé par la situation exceptionnelle de l’estuaire ; il comprend très vite le parti que l’on peut en tirer et demande à l’administration des Ponts et Chaussées de préparer un projet pour l’implantation, à Saint-Nazaire, d’un port fortifié doté d’un arsenal. Les guerres de l’Empire ont bloqué l’achèvement des fortifications mais c’est alors que débute l’aventure de Saint-Nazaire4. C’est aussi par un décret impérial que le palais de la Bourse de Nantes est achevé, en vertu d’une participation de l’État à hauteur de 50 % des dépenses. Aux espoirs du consulat succèdent les désillusions de l’Empire qui touchent particulièrement les négociants nantais telles que l’institution d’un impôt de 25 % sur les rentes, et de nouvelles taxes sur les marchandises. La bourgeoisie nantaise, pourtant protectionniste à ses heures, notamment sur la question du sucre, déplore cette politique douanière défavorable à leurs intérêts.
4En 1815, le retour de la monarchie n’inspire aucun regret chez les négociants nantais, encore moins chez ceux de confession protestante. En réalité, la politique de la monarchie n’est pas défavorable aux Réformés. Le pasteur nîmois et libéral Samuel Vincent écrit alors en ces termes, « les protestants sont aujourd’hui beaucoup mieux que tolérés ». Effectivement, sept huguenots siègent à la chambre des pairs ; le nombre des pasteurs passe de 200 en 1814 à 305 en 1829 ; la Société biblique s’honore d’une souscription de Charles X5. Le retour des Bourbons est plutôt bien salué à Nantes dans tout le milieu du négoce. Une fête populaire est même organisée le dimanche 30 juillet 1815, et la Garde nationale est passée en revue sur le cours Saint-Pierre6. Jusqu’en 1830, règne un climat de tolérance politique et confessionnelle assez remarquable à Nantes ; c’est ainsi qu’une colonne à l’effigie de Louis XVI est érigée en 1816. Représenté en empereur romain, Louis XVI tient dans une main le bâton de commandement et dans l’autre son testament sous forme d’un rouleau. Cette statue est juchée sur une colonne de 28 mètres de haut, Place Foch, que les Nantais appellent plus communément « Place Louis XVI ».
5Comme nous l’avons évoqué précédemment, c’est l’époque où Thomas I Dobrée se lance dans la pêche à la baleine et fait de Nantes le second port baleinier de France après Le Havre, fonde les forges de Basse-Indre sur la rive droite de la Loire. C’est là où les boîtes de conserves de Colin voient le jour. Dobrée relance le commerce nantais avec l’Extrême-Orient et fait venir des capitaux britanniques. En face à Indret, sur la rive sud de la Loire, la manufacture de canons et coques de navires se développe sous l’impulsion de Philippe Gengembre avec le soutien de capitaux, là encore, d’origine britannique.
Les tournants de 1830 et 1848 : les protestants prennent le pouvoir économique
6Après l’Angleterre, la France entre à son tour dans la révolution industrielle. À partir des années 1830, les sucreries se développent autour de la famille Say. En 1836, Jean-Simon Voruz modernise sa fonderie dans Nantes tandis que Charles Bonamy et Gustave de Coninck produisent le savon d’huile de palme et de suif commercialisé par Frédéric de Coninck au Havre. Vincent Gâche développe les bateaux à moteur. Ces noms qui figurent dans les registres protestants caractérisent le développement économique nantais. À cette époque sont recensés 1 483 ateliers et fabriques comptant 12 217 salariés et 1 944 ouvriers du bâtiment7.
7Tout bascule le 28 juillet 1830. Les ordonnances de Charles X, qui suspendent entre autres la liberté de la presse et dissolvent la Chambre des députés, engendrent les barricades à Paris. À Nantes, Ange Guépin organise l’insurrection. Les ponts sont coupés pour empêcher toute entrée de troupes de cuirassiers de Fontenay appelés en renfort. Parmi les manifestants, les frères Pierre-Samuel et Jean-Simon Voruz. Des armuriers sont dévalisés par les émeutiers qui cherchent à délivrer des opposants politiques arrêtés la veille et enfermés à la prison du Bouffay et au Château des Ducs de Bretagne. Le 30 juillet au soir, c’est la confusion générale : la troupe, qui barre l’accès à l’hôtel du Corps d’Armée place Louis XVI où le préfet et le maire se sont réfugiés, ouvre le feu. La fusillade occasionne la mort de 6 soldats fantassins. On dénombre 10 morts parmi les manifestants, sept tués par balle, et trois qui succombent de leurs blessures quelques jours plus tard8. Les émeutiers prennent le contrôle de la ville et les soldats se laissent désarmer sans résistance. Mais les blessés sont nombreux ; parmi eux les frères Voruz sévèrement touchés et transportés à l’École de médecine. Le jeune Voruz aîné, fait partie des victimes. Ses obsèques religieuses ont lieu le 20 août 1830 au carré protestant, sous la présidence du pasteur Jean Wilson9. Après le discours du Président du consistoire, la Garde Nationale fait retentir une salve d’artillerie sur sa tombe. Ce tragique événement marque l’entrée de son frère, Jean-Simon Voruz, en politique. Mais pas nécessairement dans le camp le plus progressiste comme nous le constaterons plus loin.
8Cet épisode sanglant a des conséquences inattendues. C’est la Chambre de commerce qui prend les choses en main : elle crée une garde nationale pour le maintien de l’ordre. Maës, président du tribunal de commerce et Soubzmain, président de la Chambre de commerce forment une administration provisoire. Le préfet et le maire quittent la ville sous escorte militaire vers la Vendée, dans la nuit du 2 août10.
9Pendant les dix-huit années que dure le règne de Louis-Philippe, la chambre de commerce connaît des changements. Dès 1827, les protestants y prennent une part de plus en plus active. C’est, dans un premier temps, la présidence de Louis-Yves Berthault. Armateur, juge au tribunal de commerce en 1816, 1817, 1820, et dont il assure la présidence en 1823, il est élu en 1827 président de la chambre de commerce. Louis-Yves Berthault (1780-1841) expérimente avec une certaine avance sur son temps la mixité religieuse. De confession catholique il épouse, en 1807, Marie Anne Julliot (1785-1878), fervente protestante. Sa fille, Pauline, née de leur union, sera élevée dans la religion protestante et se liera avec une autre famille protestante, les Durand-Gasselin. Lors des événements de 1830, ce sont les membres de la chambre et du tribunal de commerce qui reprennent les choses en main. Philippe-René Soubzmain, armateur issu d’une famille protestante de Touraine au xviie siècle, est élu président tandis que Pierre-Joseph Maès (ou Maës) est élu président du tribunal de commerce.
10Étonnant parcours que celui de ce Franco-Américain né en Louisiane à Natchitoches le 31 décembre 1787. Le négociant armateur Pierre-Joseph Maës se spécialise dans l’armement de baleiniers aux côtés de Thomas I Dobrée. Il est le fils de Pierre-Joseph Maës, d’origine hollandaise, exploitant d’une plantation de tabac et de coton en Louisiane. Il épouse à Nantes le 28 janvier 1817, Élise Haëntjens, fille de l’armateur nantais protestant, également d’origine hollandaise, Mathias Haëntjens. Élise est élevée dans le catholicisme par sa mère, Marie Provenchère, elle-même catholique. Partisan de la révolution de 1830, Maës est nommé, après juillet, colonel de la Garde nationale et, pour maintenir l’ordre dans la ville, fait appel à un autre protestant, le comte Pierre Dumoustier, général d’Empire en retraite à Nantes et ancien député durant les cent jours11. La démission du député Louis Rousseau de Saint-Aignan pour la Chambre des Pairs ouvre les portes de la Chambre des députés à Pierre-Joseph Maës. En octobre 1830, il prend place au centre gauche. Tous les deux s’entourent d’hommes de confiance liés à la confession protestante, soit par leurs origines (Louis Say, les frères Gouïn) soit par leur mariage comme Gabriel Lauriol. Ce sont les années où la chambre de commerce s’intéresse très sérieusement à l’idée d’un avant-port, mais seulement comme annexe. Le gouvernement, dès 1824, charge les Ponts et Chaussées d’inspecter la Loire et d’étudier l’opportunité de créer un bassin à flot à Saint-Nazaire. Une commission spéciale est même créée pour étudier le projet. C’est aussi une période de dissensions. Le président élu de 1837 à 1838 à la chambre de commerce, le catholique François Bignon (négociant, député, conseiller municipal, juge au tribunal de commerce), doit faire face à la contestation à la fois de membres de la chambre de commerce et de commerçants. Dans un courrier de juin 1837, Thomas II Dobrée demande « communication du budget de la Chambre afin d’apprécier par les recettes et les dépenses si ses ressources peuvent la mettre à même de se passer de la contribution qui est prélevée sur les patentes pour y subvenir12 ». En clair, les taxes de la chambre de commerce sont trop élevées. Ce à quoi, le président lui répond en des termes courtois, qu’il ne peut « répondre qu’au ministre ».
11On devine Thomas II Dobrée n’appréciant que très moyennement la réponse ; on n’ose imaginer comment aurait réagi son père, Thomas I. Deux membres de la chambre, prennent alors la tête d’une véritable fronde de 237 commerçants qui se réunissent à la Bourse dans le but de créer une commission pour faire connaître les ambitions du commerce nantais au gouvernement : Pierre-Joseph Maës et Mathurin Chéguillaume, tanneur et adjoint au maire Ferdinand Favre, représentent auprès du préfet les 19 membres de cette commission, véritable « chambre bis ». Cela provoque logiquement les plaintes du président auprès du préfet qui donne raison à François Bignon. Qu’à cela ne tienne, les frondeurs se réunissent dans un magasin voisin, deux fois par mois, et obtiennent des résultats significatifs. Cette affaire laisse des traces : neuf ans plus tard, c’est au tour des Pelloutier, Voruz et Guépin de juger la chambre de commerce bien tiède et de songer à fonder une association pour la défense des intérêts commerciaux. Jean-Simon Voruz prendra plus tard sa revanche en devenant président de la chambre de 1865 à 1867 à la fois pour des raisons politiques que nous observerons ultérieurement, et surtout parce que la nature des décideurs nantais a profondément changé : les négociants et armateurs consulaires sont minoritaires. Avec Voruz, c’est la première fois qu’un industriel est porté à la tête de la chambre de commerce, et non un portuaire. C’est sans doute un signe des temps car le port connaît de très sérieuses difficultés.
Un port tourné vers la mer
12Depuis son origine, le port de Nantes, comme la plupart des ports français ou britanniques, est un port de fond d’estuaire, ce, pour des raisons de sécurité. Situé à près de 60 km de la mer, son accessibilité est de plus en plus problématique à partir des années 1860, en raison du plus fort tirant d’eau des navires. La fin de la traite, dans les années 1830, marque la fin d’une époque où, malgré les aléas, Nantes pouvait exploiter sa position, au carrefour des routes maritimes, terrestres et fluviales13. Mais contrairement à d’autres ports, notamment celui de Bordeaux qui dispose d’un arrière-pays riche du négoce du vin et de solides relations d’affaires matrimoniales dans le réseau protestant, à destination de la Méditerranée, Nantes connaît des difficultés face à la concurrence des ports hanséatiques, du développement des ports belges et ceux de la Méditerranée à l’instar de Marseille. La ville portuaire souffre aussi de la faiblesse économique de son arrière-pays. En effet, les voies de communication y sont rudimentaires d’où la demande de construire une voie navigable en eaux profondes pour rompre l’isolement. La réalité, comme nous l’avons abordée plus haut, est la mutation d’un port traditionnellement commercial, tourné surtout vers les Antilles, en un port à vocation industrielle qui nécessite alentour des espaces de production et de stockage. C’est au cours du xixe siècle que la question de l’identité du port de Nantes se pose entre celle d’un port maritime et celle d’un port fluvial au travers des projets comme celui de Thomas I Dobrée à Indre, car le trafic se déplace inexorablement de plus en plus vers l’aval. Si en 1853, le port de Nantes draine encore 82 % du trafic des ports de l’estuaire, Chantenay, Basse-Indre, Le Pellerin et Paimbœuf, il ne représente plus que 40 % du trafic dès 1869 au profit de Saint-Nazaire qui, dans le même temps, passe de 7 % à 59,4 % du trafic14.
13Le xixe siècle est donc une période particulièrement difficile pour les acteurs portuaires nantais tant sur le plan économique qu’identitaire. Port de premier plan, Nantes devient en quelques décennies un port en déclin. Car la première des complications est de trouver une alternative à la fin du commerce triangulaire. Les protestants de l’industrie sucrière pallient en grande partie le « manque à gagner » de la traite, entre 1820 et 1857. La deuxième problématique est la perte de cette position dominante dans les relations maritimes avec l’océan Indien au profit de Bordeaux et de Marseille. La troisième difficulté réside dans l’acceptation de ne plus être un port maritime mais un port de transformation industrielle, à la veille du xxe siècle. Enfin, Nantes est en retard face aux ports qui ont fait le choix non seulement d’accueillir les bateaux à vapeur mais aussi d’en construire. C’est l’option stratégique prise par Saint-Nazaire et le chantier naval de John Scott créé en 1862. Il lance, en 1864, le transatlantique Impératrice Eugénie en présence de la dite Impératrice, sa marraine, à Saint-Nazaire. Le navire transatlantique à roues à aubes est propulsé par la machine à vapeur, tandis qu’entre 1889 et 1902 le chantier Dubigeon de Nantes persiste dans la construction de navires à voiles en lançant 26 grands voiliers. La préservation de la construction navale traditionnelle n’est pas illogique au regard du savoir-faire nantais. Par ailleurs, un réel marché existe dans ce domaine puisque la marine à voile domine, en tonnage, les mers du monde jusque dans les années 1890. Par ailleurs, le lobby nantais pousse à faire voter des subventions favorables à la construction de voiliers sous la IIIe République. Cependant, le décalage est énorme avec un port comme Marseille : En 1874, les 9/10e des mouvements dans le port de Nantes sont assurés par la marine à voile pour seulement la moitié du mouvement maritime à Marseille. Au Havre également où dès 1889, les bateaux à vapeurs sont plus nombreux que les voiliers15.
14Nantes reste, à la fin du xixe siècle, un port maritime au long cours mais devient progressivement un port industriel et de cabotage. La question qui se pose au maire Ferdinand Favre, ou bien encore au président de la chambre de commerce est de savoir si la ville peut encore asseoir son développement économique sur le négoce portuaire et sur une ligne innovatrice de transports de passagers et de marchandises. Dès 1832, Thomas II Dobrée réfléchit à la création d’une ligne de « Paquet-bots » entre Nantes et les îles de la Guadeloupe et de la Martinique avec le soutien de la chambre de commerce. L’idée est d’organiser un départ régulier mensuel pour une traversée d’une vingtaine de jours. Mais ce projet écrit nécessite le soutien du gouvernement par « l’obtention d’allocation d’indemnité pour chaque voyage ». L’auteur de cette lettre est probablement Frédérick de Coninck, associé dans la « Compagnie Veuve. Dobrée » parce que Thomas II poursuit des études artistiques à Paris à cette date. Le projet sera classé sans suite. Très étonnamment, le fidèle Duboisviollette fait preuve d’une rare frilosité et se déclare très réservé quant à la réussite du projet, rappelant une probable concurrence du Havre, plus proche de Paris. Coninck en tirera les leçons : installé peu après au Havre, il fera tout pour minimiser la ligne transatlantique de Saint-Nazaire16. Après de multiples tergiversations, Saint-Nazaire est finalement choisie 30 ans plus tard. L’annexe devenue rivale produit l’effet inverse à celui recherché : Nantes s’enfonce dans une logique de port relégué en fond d’estuaire.
La crise de 1857 et le déclin du port nantais
15L’ouverture du premier bassin en eau profonde à Saint-Nazaire, le 25 décembre 1856, doublé de l’arrivée du chemin de fer moins d’un an plus tard, signent le lent déclin du port amont de Nantes au profit du port aval de Saint-Nazaire. À cette nouvelle donne s’ajoute une crise économique qualifiée par les historiens de « première crise du capitalisme17 ». La panique financière de 1857 aux États-Unis est l’un des premiers krachs de Wall Street (la Bourse de New York est créée en 1792). Elle éclate lors de la faillite d’une banque de l’Ohio, à la suite d’une dépression générale de l’économie débutée en 1856 avec un ralentissement dans le développement du réseau de chemin de fer, une perte de confiance dans les compagnies ferroviaires et la baisse de la demande dans le domaine métallurgique. La crise de 1857 est pourtant la première crise mondiale de l’ère industrielle. Elle est précédée d’une période de forte croissance du développement du crédit et d’une intense spéculation (des terrains achetés 3 000 $ à Chicago en 1853 valent 100 000 $ trois ans plus tard). Alors appelée « activité fiévreuse », la crise se déclenche, quand la banque Ohio Life and Insurance Company doit suspendre ses paiements, bientôt suivie par les banques du Maryland et de Pennsylvanie, puis par d’autres banques importantes à Baltimore, Philadelphie et Washington18. Conséquences à Nantes : le prix du fret s’effondre, les chantiers navals souffrent en raison de l’annulation ou de la suspension de commandes de navires. La banque de France remonte ses taux d’escompte de 10 %.
16Le trafic du sucre est peu touché, dans un premier temps. En 1857, la chambre de commerce est alors présidée par l’armateur et maître de forge Auguste Garnier, lui-même secondé par Jean-Simon Voruz. Et Ferdinand Favre, maire, investi dans les raffineries de sucre, surveille de près l’évolution de la situation. Pour compenser la baisse des trafics portuaires, la chambre de commerce de Nantes soutient les raffineurs nantais (tous protestants à l’exception de Viot et Cossé) et propose un dégrèvement d’impôt total sur les produits du sucre et du café. Ce qui permet d’en abaisser le prix, pour en accroître la consommation avec cet argument imparable : l’usage du sucre est presque inconnu des habitants de nos campagnes ! La métallurgie souffre aussi, à l’exception des forges de l’arsenal d’Indret qui, avec Philippe Gengembre et ses 1 500 ouvriers, travaille essentiellement pour l’armement. Il en va de même pour les forges de Basse-Indre et ses 500 ouvriers, qui ont amorcé sa reconversion dans la production de ferblanterie pour la conserverie.
17Le trafic du port stagne et repose sur le cabotage fluvial avec Saint-Nazaire. Mais l’inquiétude grandit quand la Compagnie du chemin de fer de Paris à Orléans propose de créer un second bassin en eau profonde et une gare maritime à Saint-Nazaire. De plus, la municipalité de cette dernière a créé son propre entrepôt dont la gestion échappe à celle de la chambre de commerce. C’est pourquoi celle-ci émet un avis favorable à la construction du second bassin en espérant en détenir le contrôle. Elle insiste pour que le bassin de Saint-Nazaire soit toujours considéré comme l’avant-port de Nantes. Le coût de l’ouvrage est tel que les travaux qui suivent le décret impérial ne débutent que très lentement. C’est pourquoi le conseil général propose à son tour, en 1873, de faire l’avance de 10 millions de francs à l’État, le tout financé par un emprunt au Crédit foncier de France, amorti en 20 ans au moyen d’un droit de tonnage perçu sur les navires étrangers et les bâtiments au long cours opérant à Saint-Nazaire. La majorité de la chambre de commerce et les négociants portuaires nantais s’étranglent à nouveau à l’exception notable de Voruz qui mise au contraire sur la création du bassin de Saint-Nazaire pour relancer le trafic du port de Nantes19. Saint-Nazaire, effectivement, échappe à la sphère d’influence de Nantes. Déjà en 1834, dans une pétition, la chambre s’était opposée farouchement et avec succès à l’établissement d’entrepôts et de magasins à Saint-Nazaire. Et pour cause : c’est à Nantes que les principaux négociants résidaient. 1879 est l’année où Nantes voit s’éloigner la « porte océane » qu’elle avait mise des décennies à enfanter et à contrôler. Saint-Nazaire qui ne devait être que le port aval, une « annexe » de Nantes, prend son autonomie. À la demande du conseil municipal de Saint-Nazaire, le Conseil d’État, par décret, accorde ainsi la création d’une chambre de commerce dans la ville20. Cerise sur le gâteau : alors que le trafic total annuel en tonnage de jauge nette s’envole à Saint-Nazaire en 1879 pour atteindre 920 603 tonneaux, le port de Nantes atteint le plus bas niveau de son histoire avec un trafic de 164 545 tonneaux21. Le second bassin dit de Penhoët est inauguré en 1881 par le Président de la République, Sadi Carnot. Nantes a alors perdu tout contrôle sur Saint-Nazaire. Aucun officiel nantais n’est présent à l’inauguration.
18Mais le fait marquant reste la quasi-disparition des décideurs protestants au sein de la chambre de commerce à partir de 1870 : Voruz et Lauriol ne sont plus ni présidents ni même membres de la chambre de commerce de Nantes. Une nouvelle génération d’industriels a remplacé la vieille garde des armateurs et négociants désormais peu influents. En effet l’industrie métallurgique, malgré la crise de 1857, continue son développement notamment grâce à l’essor de la conserverie.
La conserverie, des protestants innovent
19L’industrie des conserves de sardines à l’huile est née en France après 1820, à Nantes, dans la friterie de Pierre-Joseph Colin. Très rapidement, cette branche d’activité connaît un développement considérable et la production monte en flèche passant de 3 millions de boîtes en 1850, à 10 millions cinq ans plus tard, 30 millions en 1866 et plus de 40 millions en 1900, à l’apogée de la fabrication française. La fabrication des conserves de poissons devient une industrie de masse par les chiffres d’affaires et les bénéfices réalisés, par le nombre des salariés employés, par l’importance des activités annexes développées22.
20Alimentée par les produits de la pêche à la sardine des côtes de Bretagne et de celles de la Vendée ainsi que par les productions agricoles de son arrière-pays, stimulée par le fret et les exportations, Nantes a tous les atouts pour devenir au xixe siècle la « capitale française de la conserve23 ». De grandes marques y ont vu le jour : Amieux, Saupiquet, Cassegrain, pour ne citer qu’elles. Toutes doivent leur essor à l’invention de Nicolas Appert qui a mis au point une méthode de conservation des aliments en les stérilisant par la chaleur dans des contenants hermétiques. De passage à Nantes, il collabore avec le confiseur Pierre-Joseph Colin et donne naissance à la conserverie industrielle dès 1824. Les conserveries vont contribuer à l’essor des industries connexes telle la ferblanterie dans les forges de Basse-Indre.
21Cette nouvelle industrie alimentaire est destinée à l’exportation. Les ventes sur les marchés étrangers permettent à ce secteur de connaître une croissance considérable et quasi unique pour un produit innovant dans l’histoire commerciale Française. La raison ? Ceux qui investissent dans les usines de conserveries sont des négociants liés au monde maritime et connaissent les besoins des pays voisins. C’est ainsi que l’essentiel de la production de conserves, 4/5e environ, est destiné à l’étranger et expédié principalement au départ des ports. La vente des conserves est toujours plus active au premier trimestre de l’année : c’est le temps où les navires de Nantes, Bordeaux et Le Havre partent en grand nombre pour des voyages au long cours. Surtout pour l’Inde qui représente un débouché considérable et qui absorbe en 1827, via l’Angleterre, la moitié des exportations françaises24. Par ailleurs, les usages alimentaires quotidiens français ignorent ce nouveau produit de luxe. Enfin, les flux commerciaux terrestres sont coûteux et limités par la distance avant 1850. Il est donc tout simplement plus facile d’exporter par voie maritime les sardines à l’huile toujours produites dans un port que de les acheminer vers les grandes villes françaises où la clientèle aisée n’est pas forcément suffisante pour répondre aux offres des usiniers. Le produit est un luxe et son développement en métropole s’adresse à une clientèle supérieure. Les expositions universelles leur offrent vitrine et contribuent à leur expansion.
Philippe et Canaud
22Deux acteurs d’origine protestante vont occuper une place non négligeable dans l’histoire de la conserverie nantaise. Le premier est l’entreprise Philippe & Canaud, objet d’une histoire protestante qui va particulièrement défrayer la chronique politique à Nantes en 1852. Au commencement, une famille protestante d’armateurs nantais, la famille Philippe, associée à celles des Bourcard et des Luther, d’origine britannique, dans une compagnie d’armement de dix navires qui pratiquent la traite négrière jusqu’à son interdiction. Le patriarche, Louis, naît en 1760 à Berlin et, à l’âge de vingt ans, s’installe à Nantes en compagnie de son cousin indienneur Ulrich Pelloutier, envoyé par le roi de Prusse pour être son consul en Bretagne25. Louis Philippe devient ainsi vice-consul du roi de Prusse. La descendance de la famille Philippe est liée à d’autres grandes familles protestantes d’armateurs telles les Mörch de La Rochelle. Charles Philippe et Henri Canaud, originaire de La Rochelle, lui-même de confession protestante, mais surtout capitaine au long cours de l’armement Philippe, fondent en 1841 la Société Philippe et Canaud de conserves alimentaires.
23Deux autres protestants rejoignent l’affaire, Gustave d’Allens et Arthur Benoît, futur gendre du maire de Nantes Charles Lechat26. Les frères Pereire les rejoignent pour construire les conserveries à Concarneau et Douarnenez27. La maîtrise de l’anglais des capitaines et armateurs de la conserverie leur est utile. Ils obtiennent une médaille d’or à l’exposition universelle de Londres en 1851. Philippe et Canaud ne manquent jamais de signaler sur leurs étiquettes ou en-têtes de leur papier à lettres d’alors qu’ils sont les fournisseurs exclusifs de sa majesté Louis-Philippe et de la maison royale. Exclusivité qu’ils obtiennent en 1844 grâce à ce qui pourrait être qualifiée aujourd’hui de « lobbying » de la part du maire Ferdinand Favre. Mention que la maison Philippe et Canaud prendra bien soin de faire disparaître après la Révolution de 184828. Mais l’histoire de cette entreprise renferme quelques arcanes. Charles Philippe est marié mais entretient une liaison avec une jeune femme, Pauline Voisin, modiste de profession. Une enfant, Alice, naît de cette relation en 1833. Reconnue par son père en 1837, elle prend le nom de Philippe. Alice se marie au temple, le 3 mars 1852, avec son professeur particulier, agrégé du Lycée de Nantes : Julien-Charles Lechat.
Un mariage qui devient affaire d’État
24Ce qui aurait dû être un mariage ordinaire va devenir une affaire d’État. Julien-Charles Lechat (plus connu sous le nom de Charles Lechat) naît en 1825 dans une famille catholique de la commune de l’Aigle dans l’Orne. Brillant élève de primaire, il poursuit ses études secondaires comme élève boursier au lycée Louis-le-Grand à Paris, puis entre à l’École Normale Supérieure où il est reçu à l’agrégation de lettres. Il est ainsi nommé en 1849 professeur de lettres au lycée de Nantes. Les autorités catholiques encore très présentes dans les établissements scolaires publics à cette époque, n’apprécient guère qu’un enseignant se marie avec une protestante qui plus est son élève ; cela d’autant que cette même hiérarchie catholique avait dû peu de temps auparavant supporter la nomination d’un aumônier protestant au lycée. Le pasteur Jean Sohier notifie bien le fait que « tous les enfants doivent être protestants, l’époux étant catholique de naissance29 ». Lorsque Charles Lechat fait baptiser sa fille Alice le 24 janvier 1853 au temple, il subit la fureur de la hiérarchie catholique qui s’inquiète de l’influence du protestantisme. L’ire des catholiques aurait pu en rester là. Mais la plainte parvient au ministre de l’instruction publique, Hyppolite Fortoul qui, soucieux de ménager les catholiques, décide de muter Charles Lechat à Nancy à la rentrée scolaire de 1855. La réaction est très vive dans le camp protestant, à commencer par celle de Ferdinand Favre, maire nommé par Napoléon III. Le beau-père mobilise naturellement les industriels et la chambre de commerce30. Un compromis est trouvé : la mise en congé de Charles Lechat pour un an. Finalement, ce dernier prend une décision rare pour l’époque : le jeune professeur agrégé démissionne de l’enseignement. Il entre alors dans l’entreprise de son beau-père dont il devient rapidement l’un des principaux dirigeants. Durant 15 ans, il développe l’entreprise et accompagne avec talent l’essor de ce secteur sur le marché intérieur, ouvre des usines dans le nord du département, notamment sur le port du Croisic31. Mais c’est finalement la politique qui l’attire et il devient le premier maire de Nantes de la IIIe République sous étiquette républicaine, de 1874 à 1881. Charles Philippe, de son côté, avait été conseiller municipal de 1852 à 1865 pendant la mandature de Ferdinand Favre. La société qu’il fonda est le seul exemple de reconversion des capitaux du commerce maritime lié à la traite dans l’industrie de la conserve alimentaire. Elle est, en taille, la troisième maison de conserverie derrière celle du père fondateur de la conserverie nantaise, Joseph Colin et celle de François Deffe.
Charles Cassegrain
25Le second acteur se nomme Charles Cassegrain, fondateur d’une fabrique de conserves alimentaires à Nantes. À la différence des autres confiseurs spécialisés dans la conserve de poissons, Charles Cassegrain se consacre à la conserve de légumes et les salaisons. On ne connaît que peu de choses au sujet de son arrivée à Nantes. Douzième enfant d’une famille modeste, Charles Cassegrain naît le 19 mai 1831 à Artenay (département du Loiret) dans une famille protestante. Il gagne Paris à l’âge de 13 ans pour apprendre le métier de charcutier. Six ans plus tard, en 1856, il s’installe à Nantes et travaille dans une charcuterie, gagne la confiance de son patron qui lui cède son entreprise. Charles Cassegrain décide à son tour de mettre en pratique la découverte de Nicolas Appert. Il est membre de l’église réformée à Nantes32. À 25 ans il épouse Clarisse Chaboiseau, une nantaise catholique. Cassegrain fait état, dans toutes ses plaquettes publicitaires, du diplôme d’honneur reçu des mains de l’impératrice Eugénie lors de l’exposition internationale Impériale de Metz en 186133. Son succès est tel que, six ans plus tard, ses légumes mis en conserves sont présentés à l’Exposition universelle qui se tient à Paris entre le 1er avril et le 3 novembre 1867. Il y croise l’empereur Napoléon III qui vient l’inaugurer. On y dénombre alors 52 200 exposants et l’on comptera près de 15 millions de visiteurs. Et l’on note déjà la présence, comme emblème, d’un petit lapin blanc dont la carrière publicitaire sera longue.
26Pour satisfaire les demandes, Cassegrain fait construire une usine à Saint-Sébastien-sur-Loire où commence la fabrication des premières boîtes de conserve. Le lieu est choisi en vertu de la proximité des maraîchers qui lui fournissent la matière première. Le nom de Cassegrain figure parmi ceux des pionniers qui ont donné à la conserve son titre de gloire et fait de Nantes la capitale de cette nouvelle industrie. Quand il décède en 1902, il laisse à son fils Léopold trois autres usines : à Saint-Gilles-Croix-de-Vie, à Saint-Guénolé et à L’Herbaudière sur l’île de Noirmoutier. Charles est le seul Cassegrain qui figure sur les registres protestants nantais. Sans doute du fait des mariages avec des catholiques, n’y figurent aucun autre descendant de la famille. Son fils, Léopold sera maire de Nantes de 1929 à 1935 sous l’étiquette radicale. Lui décède le 19 avril 1941 et ses obsèques catholiques ont lieu en l’église Saint-Similien de Nantes.
L’innovateur Lefèvre-Utile
27La biscuiterie est à part mais bénéficie de l’apport de l’industrie sucrière portuaire et de la ferblanterie pour son conditionnement. La Biscuiterie Nantaise (BN) est créée tardivement, en 1897, par des négociants hors du cercle protestant. En revanche, LU relève d’une autre histoire. Nous ne possédons aucun élément probant concernant la proximité de Jean-Romain Lefèvre et de son épouse Isabelle Utile (fondateurs de l’entreprise en 1846) avec la foi réformée puisqu’ils n’apparaissent pas dans les registres protestants du xixe siècle. Cependant deux indications conduisent à nous intéresser à leurs parcours : leur arrivée à Nantes tout d’abord et leur installation 5 rue Boileau dans des locaux appartenant à Thomas II Dobrée. Par ailleurs, Michel Marie Jean Lefevre-Utile (1894-1982) fils de Joseph Victor Romain Louis Lefevre-Utile, industriel en biscuiterie à Nantes et Commandeur de la Légion d’honneur, se marie avec la protestante Christiane Marie Alice Madeleine Péquin (1894-1982) le 18 novembre 1919. La famille Péquin, originaire de Vendée, vieille famille protestante, est très présente dans les registres du xixe siècle. L’inhumation de l’un de ses ancêtres dans le cimetière de Cugand en Vendée fut même contestée par les catholiques locaux et déclencha une vive polémique. Enfin leur fils, Patrick, à l’origine de la mécanisation de l’entreprise LU et de sa stratégie à l’export se marie avec Yvonne Hugosson au temple de Nantes34. Créateurs et novateurs, les Lefèvre-Utile inventent eux-mêmes leurs slogans publicitaires, et sont d’habiles communicants. Du célèbre Véritable petit beurre au Mikado en passant par le Pépito ou la Paille d’or, l’entreprise LU est nationalement et internationalement reconnue. Les registres de la seconde moitié du xxe siècle mentionnent régulièrement l’appartenance de la famille Lefèvre-Utile à l’église réformée de Nantes.
Le brasseur Burgelin : un fleuron de l’industrie agro-alimentaire
28Nantes comptaient 3 brasseries familiales protestantes : celle des Grandes Brasseries et Malteries nantaise de Samuel Eugène Burgelin (1846-1925), celles de Schaeffer et de Rottenbach. En 1905 ils décident de s’associer, avec pour emblème un paludier, avant d’être rachetés par la brasserie de la Meuse dirigée par un autre protestant, Adolphe Kreiss, en 1906. Amarrée le long de la Loire dans la carrière de Misery à Chantenay, l’usine produisait notamment la Valstar. Samuel Eugène Burgelin, membre du diaconat et trésorier du consistoire, sera nommé administrateur des hospices civils de Nantes par Paul Bellamy. Dès 1896, il crée une caisse de secours et fait bâtir des maisons d’habitation sur la butte au-dessus de la carrière ainsi qu’une crèche en 1928. « Les salariés et leur famille peuvent profiter gratuitement chaque semaine de consultations dans une infirmerie. Une salle de douche est à la disposition du personnel, qui bénéficie également de prix avantageux sur les produits de première nécessité via une coopérative35. » L’entreprise ferme ses portes en 1985. Tous les bâtiments ont disparu pour laisser placer à un jardin public.
La guerre du sucre
Le sucre : une tradition protestante nantaise
29Une première raffinerie s’installe en 1654 à Nantes qui en compte trois en 1680. Le sucre est une denrée très rare et le miel en est le substitut. Au début du xviiie siècle, le sucre devient un produit de consommation courante lorsque celle du café, du thé et du chocolat se répandent dans les sociétés européennes36. Les esclaves des Antilles, affectés à la plantation de la canne à sucre, broient la récolte dans des moulins. Le sucre brut obtenu revient à Nantes afin d’y être raffiné37. À la veille de la Révolution, Nantes compte onze raffineries de sucre qui emploient quatre-vingts ouvriers et raffinent 450 tonnes de brut par an. Les raffineries sont essentiellement concentrées dans le quartier Richebourg, sur la rive du bras droit de la Loire aujourd’hui comblé, à quelques pas du château des Ducs et sur la Prairie de Mauves en lieu et place de la future gare de Nantes ainsi que du jardin des plantes voulu par Ferdinand Favre. C’est de l’artisanat. On cuit le sirop, on le clarifie au blanc d’œuf et au sang de bœuf, on le fait cristalliser. Ce sont les négociants nantais qui financent ces petites raffineries38. Après la Révolution, il ne reste plus que cinq entreprises à Nantes en 1812, quand Louis Say s’installe dans le quartier des ponts, à l’emplacement même où l’on fabriquait de « jolies indiennes », ces toiles imprimées qu’appréciaient tant les élégantes du xviiie siècle.
30C’est sur cette base que va s’édifier l’appareil industriel nantais de la raffinerie. En 1818, Charles et Gérard Haëntjens créent une société d’armement spécialisée dans les sucres. C’est à cette époque que Gérard devient raffineur et abjure la religion protestante à l’occasion de son mariage avec la catholique Adélaïde Lequen39. Son fils Henri prendra la direction de la plus grande raffinerie du Havre, celle de l’Anglais Knight, reliée aux entrepôts du port par 150 mètres de voies ferrées40. Son frère, Ernest, armateur et raffineur, occupe une place importante dans ce secteur à Nantes. Celui-ci abjure également lors de son mariage avec la catholique Lucie Marion de Procé. Il est élu d’opposition conservatrice dans les municipalités républicaines de René Waldeck-Rousseau et du protestant Charles Lechat.
31En 1861, Nantes est le premier centre de raffinage français. On parle même de l’or blanc de Nantes. Le sucre représente 52,3 % du chiffre d’affaires, toutes branches industrielles confondues, pour 14,8 % dans la métallurgie et la construction navale, 4 % dans le textile et seulement 2,2 % dans la conserverie41. En 1863, pas moins de 63 000 tonnes de sucres sont produites, soit la moitié du chiffre d’affaires des industries locales et 50 % du commerce portuaire42. Concurrencées par le sucre de betteraves, les raffineries nantaises se regroupent au cours du xxe siècle. Cette longue histoire nantaise est aujourd’hui peu visible dans la ville, hormis la raffinerie impériale De Launay, rue de la Brasserie et l’usine Beghin-Say qui marque depuis 1937, le paysage de la rive sud de l’Île de Nantes et dont une partie demeure encore en activité. Cette tradition sucrière se lit aussi dans les confiseries, candiseries et chocolateries qui ont fait la renommée de Nantes. Une saga industrielle issue en majeure partie de dynasties et de figures protestantes qui méritent d’être ici passées en revue.
Delessert et Say
32Jules Paul Benjamin Delessert (1773-1847), développe la méthode d’extraction du sucre de la betterave inventée par Jean-Baptiste Quéruel. Il est le fils d’Étienne Delessert, fondateur des Caisses d’épargne en France en 1818. La famille Delessert est aussi liée par alliance à la famille Delaroche possédant deux affaires au Havre et à Nantes. Louis Say est le frère cadet de Jean Baptiste Say (1767-1832) reconnu dans l’histoire économique française du xixe siècle, en tant qu’économiste, journaliste et industriel43. Louis est tout d’abord industriel à Abbeville dans le coton qu’il abandonne après la crise cotonnière de 1813. Il se fait recommander par Benjamin Delessert auprès de son cousin Armand Delessert, propriétaire d’une raffinerie de sucre de canne à Nantes et associé à la maison Delaroche dont une fille est baptisée en 1805 par le pasteur Dejoux44. Gérant associé, puis seul dirigeant, il crée la société Louis Say et Cie. Pendant le blocus continental, l’intérêt de fabriquer du sucre à partir des betteraves s’impose à lui comme une évidence. Cependant, dès la Restauration, avec la reprise du trafic maritime, il abandonne la betterave pour la canne à sucre des Antilles, moins chère. L’importation en France des sucres raffinés étant lourdement taxée, son entreprise prospère. Il est alors le premier à utiliser la vapeur pour fondre les sucres et s’associe en 1827 à Jean-Baptiste Étienne, négociant et ancien capitaine de navire45. En 1832, il ouvre dans le 13e arrondissement de Paris, avec Constant Duméril qui travaillait déjà à ses côtés, les raffineries de sucre à betteraves Say, appelées Raffinerie de la Jamaïque. Il cède son entreprise nantaise à ses fils, Achille et Gustave, qui achètent les bâtiments Pelloutier en s’alliant à nouveau financièrement avec Jean-Baptiste Étienne46. Celui-ci reprendra l’entreprise en 1858, à la mort d’Achille, avec Nicolas Cézard également protestant.
33La question du sucre va incontestablement peser sur la politique de la chambre de commerce car ce produit connaît des hauts et des bas retentissants. Dès 1820, Thomas I Dobrée, membre actif de la chambre, milite auprès des députés pour que le sucre consommé en France soit exclusivement d’origine coloniale. Ce polyglotte qui a effectué son apprentissage et ses premières armes à l’étranger fait preuve d’un protectionnisme pointilleux quand il requiert le maintien du monopole de la France pour ce commerce, il est vrai par définition maritime. C’est ainsi qu’il s’exprime dans une pétition :
« D’ailleurs, Messieurs, quand il serait prouvé (chose assez difficile, à mon avis) que nos bâtiments ne pussent établir leurs frets à des taux aussi modérés que ceux des bâtiments de quelques-unes des autres nations, il ne s’ensuivrait pas que nous dussions continuer de permettre à ces derniers de s’immiscer dans nos rapports avec des nations tierces, puisque les sommes que nous payons à ces bâtiments, quelque modiques qu’elles puissent être, sont irrévocablement perdues pour la France, tandis que, sous le point de vue national, celles que nous payons à nos propres armateurs, ne font que changer de mains47. »
34La pétition de Thomas Dobrée ne modifiera pas le cours de l’histoire : le pavillon national décline inexorablement au xixe siècle. En revanche, face aux mutations et à la mondialisation naissante, Thomas I Dobrée fait preuve, en cette première moitié du xixe siècle, d’une indéniable capacité d’adaptation en investissant dans diverses activités maritimes et industrielles nouvelles. Il bâtit dès lors sa stratégie en misant sur une autre destination, plus prometteuse que celle des Antilles : l’île Bourbon.
L’île Bourbon ou la stratégie Dobrée
35Avant son apogée des années 1860, le commerce du sucre connaît des revers dès 1835 à cause de la suppression des primes à l’exportation et la création d’entrepôts intérieurs, en métropole, qui portent un coup dur aux raffineurs portuaires. Ainsi, le trafic s’effondre et passe de 7 000 tonnes en 1832 à 3 000 tonnes en 183748. Et Louis Say n’est pas totalement étranger à cette crise. En 1838, dès la reprise du trafic colonial, la concurrence est vive entre le sucre de betterave et celui de canne.
36Mais le sucre de betterave est soumis à un droit de douane de 11 francs, tandis que celui de canne est taxé à 49 francs. La raison ? Le prix de revient du sucre de betterave est beaucoup plus élevé que celui de canne. Malgré les protestations, des usines ferment, des navires sont désarmés. Les chambres de commerce françaises haussent le ton. Le ministre Guizot est pris entre les feux de ses coreligionnaires de l’intérieur et du Nord (betterave) et ceux des « portuaires » (canne). En 1843, les présidents des chambres de commerce du Havre et de Nantes décident de démissionner. La solution envisagée par la chambre est d’expulser de Nantes toute industrie betteravière49. Mais cette solution n’est guère viable. Elle mise alors sur deux éléments concomitants : l’augmentation de la consommation de sucre et son importation de l’île Bourbon. De 1839 à 1879, Bourbon fait jeu égal avec les Antilles jusqu’à ce qu’une maladie de la canne provoque la chute de sa production ainsi que celle de l’Île Maurice50. Dans le même temps, de 1821 à 1898, la consommation par habitant passe de 1,4 kg par personne et par an à 13,7 kg51.
37La perte de Saint-Domingue, la fin de l’esclavage, et le déclin de la production des Antilles, particulièrement entre les années 1820 et 1830, ont permis aux productions sucrières bourbonnaises d’occuper une place de plus en plus importante sur le marché nantais avec le soutien de Say notamment. Mais ce dernier pense qu’il faut anticiper et investir dans le sucre de betterave. Une détaxe de distance est octroyée aux sucres réunionnais qui en rendent les prix attractifs. Par ailleurs, la mécanisation et les progrès de fabrication, nettement plus rapides à Bourbon qu’aux Antilles génèrent un développement du secteur industriel. Le sucre est produit en plus grande quantité, il est de meilleure qualité, moins cher aussi. Enfin, les progrès de navigation, le choix des armateurs, sous l’impulsion de Thomas I Dobrée, de Bourbon plutôt que des Antilles expliquent le quasi-monopole de l’importation sucrière vers le port de Nantes jusque dans les années 1880, avant que le port de Marseille ne devienne le principal entrepôt français du sucre de canne d’origine coloniale. L’ouverture du Canal de Suez a permis aux transporteurs d’éviter le long détour par le sud de l’Afrique. Si bien que les échanges sucriers se sont reportés naturellement vers la partie méditerranéenne de la métropole notamment au profit de Marseille. « Cette situation se renforce à partir de 1883. Avec 14 000 tonnes de sucre reçus, le port phocéen devient le premier point d’entrée du sucre réunionnais (62 %) devant Nantes, 8 500 tonnes (37,9 %). Dès 1895, la totalité du sucre réunionnais destiné à la métropole transite par Marseille52. »
38Le sucre de betterave s’était entre-temps imposé dans les raffineries du Nord et surtout dans le bassin parisien grâce à la protection douanière dont il bénéficiait53. Le sucre nantais va être confronté à une autre difficulté. Dans les années 1860, le Second Empire envisage un droit d’entrée sur les sucres, à 42 francs pour 100 kilos au lieu de 25 francs. Par ailleurs, pour soutenir la production métropolitaine (dite indigène) l’État prévoit d’y étendre le bénéfice du « Drawback », un système qui consiste à restituer, à la sortie du sucre raffiné, des droits de douane perçus lors de l’entrée du brut. Au lieu de privilégier le sucre des colonies par une baisse des droits de douane, la loi étend les mêmes droits au sucre de betterave. De fait, la chambre de commerce de Nantes ne peut plus s’opposer à l’installation d’un nouvel entrepôt de sucres sollicité par Nicolas Cézard. Cependant, celui-ci va essentiellement exploiter le sucre de canne sur ses deux sites (Launay et l’île de Récollets). Loin de commercialiser le sucre de betterave, il importe massivement du sucre de La Havane et de l’Île Maurice qui bénéficie du Drawback par un décret de 1861.
Nicolas Cézard
39La carrière de Nicolas Cézard est hors norme, mais aussi peu concluante qu’extravagante. Ce protestant, d’origine modeste, né à Nancy le 12 juillet 1797, d’un père marchand mercier principal donneur d’ordre de la société d’armement et de commission néerlandaise Suermondt de Batavia, devient négociant de cette maison. Dès 1823, il en est le gérant et se marie avec une Hollandaise protestante dont le père est diplomate, Sophie Van Polanen Petel avec qui il a sept enfants. Il est probablement en affaire avec les planteurs hollandais des Indes orientales néerlandaises54.
40Le sens inné des affaires de Nicolas Cézard le conduit à se mettre en relation avec la maison Dobrée, notamment lors des escales du navire le Fils de France à Batavia. Jusqu’en 1837, il développe ses activités commerciales en Inde et en Extrême-Orient où il fonde sa fortune. À Java, Nicolas Cézard fait des avances de fonds aux planteurs qui, chaque année, le remboursent en consignations de produits coloniaux. Ainsi, est-il toujours assuré de posséder un fond de marchandises sans supporter les aléas de la récolte et, en cas de pénurie, faire grimper les prix. Cette organisation lui permet de réaliser 14 % de bénéfices en moyenne pour chaque transaction. Dans le même temps, il devient armateur et se lance dans le commerce des peaux, d’étain, de café, de tabac, de poivre à destination de l’Europe. Si bien qu’il finit par détenir 1/3 du capital de l’entreprise Suermondt55.
41Cézard a la même idée que le négociant et armateur Betting de Lancastel, non protestant, président de la chambre de commerce de Nantes. Après son retour en France et son installation à Nancy, il choisit le port de Nantes pour y poursuivre ses affaires et distribuer les produits envoyés par la société. Veuf, il se remarie avec sa belle-sœur, Antoinette Van Polanen Petel avec laquelle il aura une fille. Sa fortune, estimée à trois millions de francs en 1845, lui permet de posséder treize voiliers avec inscrite en poupe sa devise Post Nebula Phoebus, c’est-à-dire Enfin la lumière, ou bien encore Après la pluie le beau temps, et d’être l’actionnaire d’une quarantaine de navires. Dans le même temps, il monte quelques affaires de spéculation immobilière au Havre avec Frédéric de Coninck, son fondé de pouvoir56. En 1852, il acquiert sa première raffinerie de sucre à Nantes sur l’île de Petite Biesse. Les chiffres donnent la mesure de sa fortune grandissante : en 1853, le journal Herald l’estime à seize millions de francs. En 1863, les mouvements de fonds suscités par ses transactions atteignent soixante millions de francs57. Il traite 130 tonnes de sucres par jour.
42Frédéric de Coninck, sans doute impressionné par Nicolas Cézard dit de lui : « On a vu en France un négociant n’ayant pas d’associés, dont le nom est si universellement et si honorablement connu, faire depuis 20 ans avec ses seuls capitaux, plus d’affaires commerciales et industrielles que n’en a probablement fait aucun négociant anglais58. » Cézard fait quelques affaires avec les frères Pereire au sein de la Compagnie générale maritime mais leur intente un procès en 1857. Rien ne semble résister ou arrêter la domination de l’empire Cézard sur le port de Nantes. C’est le temps où les autres raffineurs comme les Say sont évincés ou doivent se soumettre. L’usine des Ponts d’Émile et Gustave Étienne, qui emploie 700 ouvriers dans le raffinage de sucre de canne et de plus en plus de betteraves, est rattrapée par la crise. Elle avait elle-même absorbé les raffineries Say et Bourcard en 1866, par un jugement du tribunal de commerce.
43Il est inutile de réécrire l’histoire des sagas familiales du sucre à Nantes mais retenons qu’Émile Étienne dut se rapprocher de la raffinerie de Louis Cézard59. Car en 1864, Nicolas Cézard laisse la direction des Raffineries Nantaises (ex-raffineries Cézard fondées également par Ernest Haentjens) à son troisième fils Louis. En 1863, le sucre représente 50 % du trafic portuaire. Et pourtant, la situation se détériore très rapidement. La baisse des exportations vers les pays en guerre ou en rupture diplomatique avec la France, la concurrence acharnée du sucre indigène fait perdre en 18 mois plus de deux millions de francs à l’entreprise60. Mais surtout, Nicolas Cézard doit supporter les conséquences des désastreux investissements de ses fils et la spéculation à Saint-Nazaire. En premier lieu, son fils aîné, Jules, se fixe en France en 1859 à La Haye-Fouassière pour diriger les affaires de son père avant de retourner à Batavia comme gérant de la maison Suermondt. Durant cette période, entre 1860 et 1862, il siège au conseil presbytéral. En 1863, il engage des fonds dans la spéculation coloniale en accordant d’importantes avances contre hypothèques des terres à des planteurs de sucre à Java et Sumatra. Mais la crise de 1857 les empêche de rembourser leurs créances et Jules Cézard se retrouve avec des terres à vendre pour lesquels il ne trouve aucun acquéreur. Tel « l’arroseur arrosé », il doit alors emprunter pour exploiter les plantations dont il est de fait propriétaire. Cependant cela n’est pas suffisant pour rembourser les dettes et Jules ne trouve pas d’autres solutions que d’émettre des traites à découvert sur ses principaux donneurs d’ordre dont un million de francs pour les Raffineries Nantaises ; que Nicolas Cézard renfloue sur sa propre fortune. Mais ce n’est rien comparé à la chute du montage financier de l’entreprise Cézard. La caisse de la société sert de banque familiale, tous les mouvements de fonds se font en son nom, armement compris. Or, le nombre de navires armés par Cézard diminue chaque année en raison de la chute vertigineuse des relations commerciales avec l’Extrême-Orient qui ont fait sa fortune. Par ailleurs, cette même caisse sert à ses propres intérêts : ainsi verse-t-il trois millions de dot à sept de ses enfants, notamment lors du mariage de sa fille Malvina avec le fils du maréchal Molitor, Pierre Olivier. Enfin, Nicolas Cézard, en 1863, toujours et malgré son sens des affaires, va soutenir les projets de son fils cadet, Alphonse, à Saint-Nazaire en lui ouvrant un crédit de deux millions. Projets fantasques et désastreux comme nous le verrons plus loin. Tout ceci se fait à distance, car Nicolas Cézard vit la plupart du temps à Nancy où il est même un temps conseiller municipal. Ce qui devait arriver arriva : malgré la demande d’un prêt de 2 millions au ministre de l’Agriculture, du Commerce et des Travaux publics pour relancer la fabrication, Les Raffineries Nantaises, frappées par la conjonction de la crise économique à l’export, par la domination des sucres indigènes produits en métropole et la gestion calamiteuse de leurs fonds propres, font faillite et mettent 700 ouvriers au chômage. Une partie est rachetée par les frères Guillet de La Brosse qui jettent l’éponge deux ans plus tard61. C’en est fini de la grande époque du sucre nantais protestant de la fin du Second Empire. Dans le même temps, l’effondrement de la production sucrière à la Réunion et à Maurice, dû principalement à une maladie de la canne, précipite la ruine. Son refus de dépasser l’horizon colonial et de diversifier les provenances de sucre autre que celui de Bourbon contribua au déclin du port et du raffinage du sucre62.
44La saga du sucre se poursuit mais à plus petite échelle. La famille Étienne qui s’était alliée à Eugène Bourcard pour exploiter une candiserie basée sur la betterave à sucre subit un nouvel échec en 1875. Alphonse Bardot, protestant, reprend l’affaire mais doit fermer en 1890. La famille Kerr, autre famille protestante, dont la S. A des Raffineries de l’Ouest fait à son tour faillite. Enfin, Albert Durand-Gasselin seconde un candisier, Maurice Pelletier, avec un succès tout relatif, au début du xxe siècle63. La solidarité confessionnelle n’a certainement pas joué pour sauvegarder les raffineries de sucre. Si l’on prend l’exemple des Say, « aucun cadeau » ne leur a été fait. L’objectif est d’assimiler a minima, voire d’annihiler la concurrence. Il serait prudent d’alléguer le rôle de certaines solidarités familiales au sein d’un même milieu d’affaires. L’histoire des Cézard reste donc celle d’une entreprise individuelle, d’une colossale fortune personnelle aussi vite dilapidée qu’amassée. Nicolas Cézard décède à Nancy, le 9 février 1891, à l’âge de 93 ans, ruiné.
45Le déclin du sucre nantais se poursuit jusqu’au milieu du xxe siècle. Il ne représente plus qu’une très faible proportion du trafic portuaire nantais. Pour les héritiers de Louis Say, alors implantés à Bordeaux, l’heure de la revanche a sonné. Ils rachètent une raffinerie qui a survécu, celle des Cossé-Duval, et construisent la dernière raffinerie de sucre en France avant la Seconde Guerre mondiale. En 1973, Say, le pionnier et Ferdinand Beghin, magnat de la betterave sucrière aux origines suisses, fusionnent. L’usine de l’île de Nantes devient Beghin-Say. Le site, toujours debout, aux couleurs blanches et bleues, cher au cœur des Nantais, assoie, dans un quartier en pleine mutation, son image de « grand témoin » de l’industrie nantaise et du passé sucrier de Nantes64.
Le chemin de fer et la Loire
La ligne Nantes-Paris : une difficile obtention
46Les années 1830 sont marquées par le début de la grande aventure du chemin de fer en France. Les rails ce sont, dans les mines de charbon anglaises, des poutres de bois sur lesquelles circulent des chariots avant de devenir, au xviiie siècle, entièrement métalliques ; l’on en trouve trace à l’arsenal d’Indret sur la rive gauche de la Loire. Dès 1777 les Britanniques exploitent alors cette fabrique où des bœufs tractent les chariots. En France, la première ligne, de Paris à Saint-Germain, est inaugurée en 1837 et le gouvernement de Louis-Philippe prévoit de construire sept lignes au départ de Paris en direction de la province… sauf vers Nantes. Les représentants de la Chambre de commerce protestent lorsqu’ils réalisent que la priorité est donnée à la ligne Paris-Le Havre et la ligne Paris-Marseille. Non seulement, le sucre de betterave qui concurrence le sucre des colonies trouvera un débouché facilité par le transport ferroviaire mais en outre, Marseille pourra plus facilement achalander sa marchandise dont celle du sucre. C’est la mort assurée du port de Nantes. Pourtant, une première ordonnance royale de 1833 avait autorisé la Compagnie Jucqueau-Galbrun et Steiner à « relever les plans d’un chemin de fer Paris-Nantes » ce qui s’était traduit par un projet déposé en préfecture de Nantes pour enquête65. Mais cet avant-projet d’une ligne d’Orléans à Nantes est jugé utopique par beaucoup. Hormis pour le maire, Ferdinand Favre, qui le soutient de même qu’il soutient le projet d’une ligne transatlantique au départ de Nantes. Accompagné du banquier Jules Gouïn, délégué par la Chambre de commerce, il se rend à Paris et proteste contre l’abandon du projet auprès du ministre des Travaux Publics, l’agnostique Hippolyte Passy, auquel succédera à ce poste, un protestant, Adrien de Gasparin66.
47Rien n’indique à ce jour que les réseaux protestants aient joué en faveur de la délégation car les projets de lignes ferroviaires concernaient aussi des négociants protestants de Marseille et surtout du Havre comme Frédérick de Coninck. Ce dernier connaît très bien Nantes et ses atouts commerciaux pour y avoir travaillé pendant dix ans aux côtés de son associé Thomas I Dobrée. Il se plaint par la suite, avec une incroyable mauvaise foi, des décisions prises par l’État en faveur de lignes transatlantiques concédées à Saint-Nazaire ou à Bordeaux, au détriment du Havre67. La solidarité confessionnelle a ses limites lorsqu’il est question des affaires. Coninck oublie que le port du Havre, en ayant obtenu l’ouverture de la ligne la plus commercialement prometteuse, à savoir Le Havre-New York, a été le mieux servi. Et le projet de ligne ferroviaire Paris-Nantes est rejeté. Toutefois, des études se poursuivent, à titre privé, et une nouvelle stratégie se met en place : la compagnie revoit le parcours et son devis. Côté politique, les conseils généraux concernés sont associés à l’étude. C’est ainsi qu’ils participent à la garantie d’emprunt. Quatre années suffisent alors pour que le projet soit voté par les deux chambres, en 1841, et la loi promulguée, en 1842. Mais priorité est donnée à la ligne Paris-Bordeaux, le redoutable port rival de Nantes. Car, finalement, les Nantais ont eu peur de la concurrence du chemin de fer sur le trafic fluvial. Ferdinand Favre, se rend de nouveau à Paris, toujours accompagné de Jules Gouïn et reçoit le meilleur accueil du Président du Conseil et protestant François Guizot. Celui-ci reconnaît la légitimité de Nantes qui, « boulevard de la Révolution contre la Vendée a mérité un traitement de faveur68 ». Le roi lui accorde même une audience et l’assure de son appui.
48Dans sa séance du 26 août 1844, Ferdinand Favre, également conseiller général, se réjouit du contenu du rapport introductif du préfet Achille Chaper :
« La session législative qui vient de se terminer a résolu définitivement une grande question d’avenir pour le département de la Loire-Inférieure. Le chemin de fer de Paris à Nantes, promis par la loi de 1842, va être immédiatement exécuté, 1 500 000 francs sont affectés à ces travaux pour 1844, et 4 millions pour 1845. Il est impossible sans doute de prévoir avec exactitude quelles seront les conséquences de cette création nouvelle ; mais, dès à présent, cependant, on peut reconnaître qu’elle doit gravement modifier la direction actuelle du mouvement commercial, et rendre à Nantes l’importance que lui réservait nécessairement son heureuse position […]69. »
49Pour Ferdinand Favre, c’est un vieux et long combat car il faut encore attendre le 25 juin de l’année suivante pour que la loi qui crée la ligne de Paris vers l’océan soit définitivement adoptée. C’est la société de Pierre-Joseph Maës et de Lancastel qui emporte l’adjudication sous le nom de la Mackensie avec le soutien de la banque Gouïn pour un montant de 28 800 000 F.
50Le négociant Pierre-Joseph Maës a choisi un allié précieux en la personne de Michel Betting de Lancastel. D’origine alsacienne, ce haut-fonctionnaire débute sa carrière à la préfecture du Haut-Rhin avant d’être nommé directeur général de l’Intérieur sur l’île Bourbon. C’est un fervent abolitionniste qui rédige en 1836 un libelle sur la question coloniale et celle du sucre70. Il connaît parfaitement les principaux armateurs et négociants protestants nantais tel Dobrée ou Cézard qui commercent avec Bourbon. C’est très naturellement qu’il s’installe à Nantes comme négociant en sucre et se fait élire à la Chambre de commerce, dès 1838, avant d’en prendre la présidence en 1847. Sa carrière nantaise est fulgurante : il devient conseiller municipal de la ville de Nantes et député en 1849, renouant avec la tradition des commerçants nantais conjuguant négoce et politique71. Son gendre Ernest Vince épouse en secondes noces une Schweighauser et se trouve apparenté aux Dobrée et Möller. Pour Ferdinand Favre, Maës et Lancaster sont donc des porte-paroles respectés dans l’entourage négociant nantais. Notamment quand ils sont alliés au milieu protestant.
51Mais le maire n’est pas encore au bout de ses peines. Un vif débat s’engage à propos de l’emplacement de la gare. Et les avis divergent, tant au sein de la Chambre de commerce que de la municipalité qui consacre nombre de débats et de délibérations sur le sujet. Quel lieu choisir ? Sur le quai principal, quai de la Fosse, d’où partent les grands voiliers ? Près de l’entrepôt des Salorges ? Sur la Prairie au Duc, l’actuelle île de Nantes ? Sur la Prairie de Mauves ? Les conséquences économiques du lieu choisi se font encore ressentir au xxie siècle.
52Car le dilemme est le suivant : la Compagnie de chemin de fer ne cache pas sa préférence pour l’entrepôt des Salorges dans la perspective de desservir le port en contournant la ville par le nord. Mais cela engendre un coût supplémentaire. La solution de la Prairie-au-Duc intéresse les ateliers métallurgiques (notamment ceux de Voruz) qui se sont installés sur les emplacements des fabriques d’Indiennes. Mais cela nécessite de construire un pont de franchissement de la Loire et c’est trop cher. Le quai de la Fosse revient à desservir les Salorges et à poursuivre la ligne vers Saint-Nazaire. La Prairie de Mauves apparaît pour beaucoup comme étant la solution la plus économique et la plus pragmatique. Et c’est bien cette dernière solution qui est retenue car les terrains à exproprier s’avèrent les moins onéreux alors que sur les autres emplacements des constructions neuves ont été réalisées et seraient dépréciées par la proximité de la gare et des voies de chemin de fer. Une autre raison, sous-jacente, est d’empêcher à tout prix un prolongement de la ligne vers Saint-Nazaire dont le projet de bassin en eau profonde doit rester une simple annexe au port de Nantes. Les 8 et 30 octobre 1845, la Chambre de commerce et la mairie se prononcent en faveur de la Prairie de Mauves, prairie inondable, dénommée ainsi en raison de son orientation vers la commune de Mauves-sur-Loire. Afin de faciliter la construction de la Gare de Nantes (baptisée alors Gare d’Orléans), la municipalité fait dévier les étiers au sud de celle-ci. Au cours du xixe siècle, l’ensemble de voies ferrées, constituant un nœud de raccordement ferroviaire, se met en place sur cette prairie, isolant du reste de l’activité urbaine de la ville un espace de 17 hectares.
Le train pour Saint-Nazaire ?
53Cependant une condition suspensive à cette décision est obtenue par Ferdinand Favre : le tracé doit prévoir une voie ferrée à traction de chevaux le long du quai de la Fosse jusqu’à l’entrepôt des Salorges où une gare maritime doit voir le jour72. Pour beaucoup c’est la solution idéale qui rend très hypothétique la prolongation d’une ligne ferroviaire jusqu’à Saint-Nazaire. Le ministre des travaux publics, prêt à autoriser une voie ferrée à traction de chevaux sur le quai de la Fosse, est lui-même opposé à l’emploi de la locomotive sur cette distance de quatre kilomètres environ. C’est une solution de compromis qui est trouvée permettant l’arrivée du chemin de fer tout en préservant la possibilité d’une desserte vers les entrepôts portuaires des négociants dont Maës. Jules Verne n’a que 17 ans lorsqu’il séjourne sur l’île Feydeau. Cet épisode ferroviaire nantais lui a-t-il fourni une part de son inspiration ? Dans son roman Le Tour du monde en quatre-vingts jours écrit en 1872, Jules Verne fait voyager ses personnages Phileas Fogg, Passepartout et la princesse Aouda autour du monde. Jules Verne utilise la révolution des transports du xixe siècle pour réaliser ce voyage extraordinaire. Il exploite au maximum le développement des chemins de fer pour qu’ils puissent accomplir leur défi.
54La polémique fait rage, la Compagnie défendant la solution de l’entrepôt conforme au texte de loi, préconisant une ligne de Paris jusqu’à l’océan (donc à terme vers Saint-Nazaire). La presse nantaise n’est pas avare de commentaires. Les éditorialistes s’en mêlent : ainsi, lorsque se dessine inexorablement le prolongement de la ligne vers la ville devenue rivale, Le Courrier de Nantes, L’Hermine, Le Breton supplient d’empêcher la prolongation. Avec le recul, la Compagnie Mackenzie, immédiatement favorable à la prolongation jusqu’à Saint-Nazaire, avait une vraie vision du développement économique et portuaire qui devait se concrétiser de plus en plus en aval sur la Loire. Le chemin de fer finit par emprunter les quais avec des locomotives à charbon alors qu’un autre schéma de contournement aurait été possible. La grande majorité des négociants nantais (protestants ou non) entre en résistante face à la rivale nazairienne qui avait été toutefois tant désirée. C’est ainsi qu’en 1852, la Chambre de commerce s’oppose à la prolongation de la ligne vers l’océan, imposant son passage au cœur de la ville, sur le quai de la Fosse doté de 23 passages à niveau et d’un terminus à Chantenay. Certains doivent fermer 80 fois par jour, 120 pour les plus empruntés73. Les nuisances et scories qui en résultent pour les riverains sont aisément imaginables.
55Si la chambre de commerce et la municipalité avaient choisi le contournement par le nord, le quai de la Fosse eut été épargné durant près de cent ans. Mais à l’époque nul ne peut imaginer l’impensable : le déplacement physique du port vers l’aval. Lors de la reconstruction de l’après-guerre 39-45, le quai est libéré de la voie ferrée qui l’empruntait, ce, après la construction du tunnel ferroviaire de Chantenay, achevé en 1955. Nous sommes au xxe siècle et l’urbanisation a gagné du terrain ; un contournement par le nord devient quasi impossible, les priorités budgétaires vont au logement et le temps presse. Or les containers débarqués sur les quais de Saint-Nazaire/Montoir-de-Bretagne en aval, n’utilisent que très peu la desserte ferroviaire déjà chargée par le trafic passagers. Par ailleurs les trains qui transportent des produits inflammables demandent des modes d’exploitation spécifiques interdisant le croisement avec des trains passagers. En 1845, Nantes ferme-t-elle involontairement ou non, la porte expliquant en partie la faiblesse structurelle de la chalandise du port de Nantes/Saint-Nazaire pour le pré ou post acheminement des marchandises ? Sans compter les cadencements et le temps perdu en raison du passage obligatoire par Nantes. Est-ce pour cela que les pays de La Loire à partir d’Angers, situé à moins de soixante kilomètres à l’Est de Nantes, sont mieux desservis en containers par le réseau ferré ou par la route en provenance du port du Havre ? Ferdinand Favre a-t-il fait preuve de faiblesse ? La pression des négociants est telle qu’il ne peut imposer un point de vue totalement contraire aux intérêts de la ville de Nantes. Par ailleurs, sans son investissement personnel et son sens du compromis, Nantes n’aurait été desservie que bien après l’ouverture des autres lignes à destination des ports du Havre et de Marseille, même si, comme nous l’avons observé, cela n’a pas vraiment contribué à les concurrencer. Ferdinand Favre n’est donc pas responsable de l’erreur stratégique de l’emplacement de la gare et du refus de contournement de la ville. Et comme nous le verrons également plus loin, un autre maire protestant de Nantes, Paul Bellamy, va tenter en 1913 d’inverser le cours de l’histoire des dessertes ferroviaires avec le maire libre-penseur de Saint-Nazaire, Louis Brichaux.
56La révolution de 1848 renverse la monarchie de juillet 1830 et, ironie du sort, lorsque le premier train entre dans Nantes le 25 mai 1851, ce n’est pas Ferdinand Favre qui accueille le voyage d’essai des cadres et du personnel de la Compagnie mais le nouveau et provisoire maire Évariste Colombel, nommé par le commissaire du gouvernement Maunoury à la place de Ferdinand Favre jugé insuffisamment républicain. Colombel, également marié à une protestante, et dont l’un des enfants baptisés au temple protestant, Georges-Évariste Colombel, deviendra maire de Nantes74.
57Quel progrès accompli ! Au xviiie siècle, la diligence parcourait la distance de Nantes à Paris en une semaine. Quand Ferdinand Favre se rendait dans la capitale pour plaider entre autres la cause du chemin de fer, il fallait alors compter entre 26 et 36 heures de transport et une escale au Mans. Le jour de l’inauguration, il ne fallut que 13 heures pour parcourir les 423 km qui reliaient les deux villes75. Deux heures aujourd’hui avec le TGV !
Nantes/Saint-Nazaire ou la bataille du rail et des bassins
58La polémique ferroviaire ne faiblit pas. Les commerçants nantais vont tout faire pour saboter le projet de prolongement de la ligne jusqu’à Saint-Nazaire. C’est l’époque où le débat au sujet d’un canal latéral à la Loire occupe les esprits. Le journal Le National de l’Ouest, dans son édition du 12 mai 1847, écrit :
« Il faut sauver Nantes de la ruine, éviter la prolongation sur Saint-Nazaire, car cette voie ne serait jamais rentable, car elle ne pourrait soutenir la concurrence du fleuve, le revenu ne couvrirait même pas la moitié des frais d’exploitation. Que tous ceux qui veulent que Nantes, restant port de mer, marche d’un pas ferme et sûr vers l’avenir prospère que lui assurerait le développement de son commerce, se réunissent pour demander la gare maritime en aval des ponts, en contact immédiat avec le fleuve, comme terminus de la ligne ferrée de Paris à l’Océan ; qu’un accord unanime sauve Nantes de la ruine qui la menace et qu’il faut à tout prix conjurer […] ; il faut que tous les efforts se réunissent franchement et loyalement pour faire triompher cette question de principe. »
59Mais le soutien au prolongement de la ligne va curieusement venir de l’extérieur. Sur décision de l’État, une ligne Poitiers-La Rochelle vient d’être attribuée à la Compagnie d’Orléans, celle-là même qui exploite désormais la ligne Paris-Nantes. Et l’inquiétude gagne les milieux du négoce : en clair, La Rochelle peut devenir à son tour un redoutable concurrent portuaire d’autant plus qu’au milieu du xixe siècle, il existe un véritable consensus entre tous les acteurs économiques rochelais pour demander à l’État la création d’un nouveau bassin de commerce. Par ailleurs, les travaux du premier bassin en eau profonde de Saint-Nazaire sont en cours d’achèvement.
60Malgré l’opposition de la Chambre de commerce, la liaison avec Saint-Nazaire est consentie dans la douleur. Les négociants insistent alors pour que le terminus en provenance de Saint-Nazaire soit Chantenay et séparé par quatre kilomètres de la gare principale de Nantes, ce, afin d’éviter l’autonomie commerciale dont pourrait bénéficier Saint-Nazaire si l’avant-port était directement relié à Paris et au réseau national. Position certes intenable mais très révélatrice de la peur des Nantais à l’égard de Saint-Nazaire. Comme nous l’avons vu précédemment, la Chambre ne veut pas entendre parler d’une liaison par contournement de la ville qui éviterait en conséquence les quais du port de Nantes, ses entrepôts et industries. Le métallurgiste Voruz y pressent un grand danger, préjudiciable à son activité. Il est cependant celui qui poursuit la réflexion la plus audacieuse. Dans une petite brochure qu’il publie à ses propres frais, Jean-Simon Voruz affirme que l’avenir et le développement du port de Nantes dépendent du chemin de fer et que Marseille, ou bien encore Le Havre, ainsi que tous principaux ports européens, fixent leurs gares à proximité des quais de leurs bassins76. Et d’enfoncer le clou : « En Angleterre, la ville de Liverpool, assise sur la Mersey, comme Nantes sur la Loire, n’a pas reculé devant la dépense de douze docks éclusés, bordés de railways et de magasins ». Peine perdue. Par ailleurs, ce contournement de 7 à 8 km générerait un surcoût. Après discussion, la solution arrêtée est de relier les deux lignes par le quai de la Fosse qu’emprunte une locomotive pour la première fois vers l’océan, le 10 août 1857.
61Malgré les pétitions, dont une organisée par le journal républicain modéré Le Phare de la Loire, la ligne est inaugurée à Saint-Nazaire, désormais nouveau terminus en provenance de Paris, le 16 août 1857. Le maire de Nantes et le président de la Chambre de commerce sont excusés. Mais rapidement d’autres problèmes vont occulter l’épisode ferroviaire car l’année de crise économique mondiale de 1857 touche le port de Nantes. C’est le début d’un déclin qui durera près d’un demi-siècle.
La stratégie de « La Loire Navigable » et du canal de La Martinière
62La Loire s’ensable, la Loire ne répond plus aux besoins d’une nouvelle génération de navires. Alors qu’au début du xixe siècle, les navires dits de « haute mer » affichent au maximum 500 tonneaux de jauge brute, c’est plus du double à la fin du même siècle. « Un navire, d’un tirant d’eau supérieur à 4 m, ne peut descendre avec son chargement que 37 jours/an77. » Encore faut-il composer avec les marées. Aussi, dès 1820, la question de la Loire devient une problématique majeure pour les ingénieurs des ponts et chaussées. L’idée d’un canal latéral tout le long du cours de la Loire, d’Orléans à la mer, est alors envisagée. Mais, face à ce projet pharaonique, l’hypothèse de l’endiguement des berges est préférée par la haute administration. L’objectif : araser les îles sableuses de la Loire formées par les sédiments (on en compte une soixantaine entre Nantes et Paimbœuf), rétrécir le lit de la Loire, renforcer le débit de l’eau et ainsi accélérer le phénomène de chasse pour désensabler et améliorer par conséquent la profondeur du tirant d’eau. De 1834 à 1838, des digues sont aménagées sur de petites portions du fleuve : de Trentemoult, quartier fluvial de Rezé, à Couëron ou à Paimbœuf.
63C’est ici qu’interviennent les projets des ingénieurs dont l’un d’entre eux, Henri Auguste Chéguillaume, apparaît dans les registres protestants de Nantes et de Saint-Nazaire. Water père et fils, issus d’une famille de négociants entre 1859 et 1870 ont un projet d’endiguement s’évasant en direction de l’aval de la Loire avec un effet de chasse au jusant pour désensabler le lit du fleuve. Chéguillaume, également père et fils, sont liés à une famille de notables industriels bien implantée en Loire-Inférieure78. En même temps que d’autres ingénieurs, Henri Chéguillaume s’engage en faveur du projet de construction du canal de la Martinière. La majorité des politiques de confession protestante au sein de la municipalité ne cache pas un certain scepticisme, à commencer par le maire Favre ou bien encore Voruz, alors président de la Chambre de commerce. Gabriel Lauriol, également président de la Chambre, est dans un premier temps opposé au projet du canal. Hostile au traité franco-anglais du libre-échange de 1860 et inquiet de la montée en puissance du port de Saint-Nazaire, il dénonce en même temps l’inaction du gouvernement pour le creusement du dit canal. Ainsi les soutiens ou opposants au projet du canal fluctuent. Les premiers soutiens au canal ont avant tout pour objectif de s’opposer à la politique maritime de l’Empire, jugée trop favorable à Saint-Nazaire. Puis les mêmes la défendent sous la IIIe République et inversement. Voruz se rallie très vite à la cause, car il pressent la montée en puissance du port de Saint-Nazaire… pour lequel il milite pourtant. Dès 1846, il évoque l’idée du canal et préside en 1866 la commission d’études du canal maritime.
64L’idée d’un canal maritime latéral sur la rive sud est lancée dès les années 1830 notamment par Ange Guépin. « C’est le moyen véritablement certain d’améliorer la situation du bas de la Loire79. » Ange Guépin est médecin, ophtalmologiste. Il ne cache pas ses sympathies socialistes et saint-simoniennes. Marié en troisièmes noces à Floreska Leconte, il est proche du protestantisme par sa femme. Née le 26 mars 1813 à Sézanne dans la Marne, issue d’une famille de religion réformée, celle-ci œuvre avec lui en faveur de l’enseignement professionnel féminin à Nantes. Elle fréquentait le groupe de femmes soucieuses de promouvoir l’enseignement des jeunes filles et en particulier les écoles professionnelles initiées par Élisa Lemonnier et dans lequel gravitaient Jules Simon homme d’état, d’origine protestante et défenseur de l’instruction publique.
65Dès 1846, les ingénieurs doutent de la possibilité d’améliorer le tirant d’eau de la Loire à plus de 4 m. L’idée du canal fait donc son chemin. Dès 1850, la Chambre de commerce de Nantes définit son objectif : « Rechercher un moyen pratique, au point de vue technique comme au point de vue économique, de relier Nantes à l’Océan par une voie navigable donnant au moins six mètres de tirant d’eau en hautes mers80. » En 1878, le projet est finalisé malgré la réserve de beaucoup d’ingénieurs des ponts et chaussées. Mais le développement de Saint-Nazaire et la rivalité entre les deux villes ont raison des réticences. Dix ans de travaux sont nécessaires, entre 1882 et 1892. Le canal de la Martinière, long de quinze kilomètres, voit le jour et le premier navire l’emprunte en septembre 189281. Le dernier fermera la marche en juin 1913. Même si son succès est bien réel, on réalise alors l’énorme erreur : l’augmentation du tonnage des navires ne permet plus d’emprunter le canal et les nouvelles techniques de dragage de la Loire condamnent cette fausse bonne idée alternative. Le choix des Nantais ne s’est pas fait au regard des nouvelles techniques déjà connues et utilisées par d’autres grands ports européens : dragage et endiguement pour faciliter l’entrée de la marée et permettre aux navires de remonter sur l’onde marée. « C’est la peur de l’autonomie nazairienne qui a brouillé la réalité82. »
66Cependant, cet équipement offre une véritable bouffée d’oxygène pour le port de Nantes. Les nouveaux tarifs douaniers et traités du commerce permettent à l’activité maritime nantaise de passer de 543 221 tonnes de marchandises en 1892 à 843 130 tonnes en 189783. Soit une progression de 55 %. Dans la même période, le mouvement commercial des ports maritimes de France s’élève à 9,7 %84. L’endiguement de la Loire a fait long feu. Des années de controverses où les avis des décideurs protestants au sein de la Chambre de commerce ont été déterminants. Car le débat fait rage à propos de l’avenir du port. Deux logiques d’aménagement s’affrontent : créer des bassins sur le fleuve (en amont de Paimbœuf ou de Saint-Nazaire, voire même aux portes de Nantes) ou considérer que les navires continuent à remonter le fleuve, jusqu’à la rupture de charge pour transiter les marchandises ensuite par cabotage.
67Une autre logique plus radicale est celle d’un nouveau port le plus en aval possible, c’est-à-dire sur l’océan. Comme le souligne avec humour le très catholique ingénieur des ponts et chaussées, René de Kerviler, « il est plus facile d’aller au-devant de la mer que de la faire venir à soi85 ». Le débat n’est pas nouveau. Pour mémoire, en séance du conseil général du 26 août 1844, Ferdinand Favre, alors maire de Nantes, approuve l’intervention du très orléaniste préfet Achille Chaper, en faveur des projets de bassins à flot de Saint-Nazaire ainsi que la réalisation d’une ligne de chemins de fer vers Paris :
« Lorsqu’un bassin à flot aura ouvert un asile assuré aux plus grands navires, lorsque dix heures à peine sépareront Nantes de la capitale, vers laquelle tout gravite et s’empresse, alors le commerce appréciera à leur véritable valeur la facilité de nos atterrages, la sécurité qu’ils offrent en cas de tempête et même en cas de guerre, l’avantage d’arriver à jour fixe et par tous les vents sans avoir à louvoyer péniblement dans une mer étroite ; alors Nantes deviendra la grande voie commerciale entre la France et l’Océan. Unissons donc tous nos efforts, Messieurs, pour obtenir le complément de ce grand ensemble ; que le bassin à flot de Saint-Nazaire s’achève en même temps que notre chemin de fer ; l’intelligence et la probité bretonnes feront le reste86. »
68Cette volonté d’aller vers la mer est soulignée dès 1824 par le conseil général considérant que les guerres maritimes et le blocus britannique appartiennent au passé. L’idée d’un bassin à Saint-Nazaire est soutenue par la Chambre de commerce dès 1835, à l’extrême condition que Saint-Nazaire ne soit qu’un port militaire de refuge et l’entrée d’un canal maritime… La position du maire Ferdinand Favre est très éloignée de celles de ses coreligionnaires ou proches siégeant à la Chambre ; parmi eux, Gouin, Soubzmain, Maès, Chéguillaume craignent que cette réalisation ne porte préjudice au port de Nantes. Et surtout, les regards se portent encore vers l’amont. La Chambre de commerce continue de croire en un projet en lien avec la Chambre de commerce d’Orléans : construire un remorqueur capable de tracter les navires jusqu’à Orléans, canaliser l’affluent le Loir pour relier la Loire et la Maine au canal d’Orléans. L’esprit du négoce est avant tout d’achalander l’intérieur des terres. L’attitude de la Chambre n’est pas surprenante ; son raisonnement s’appuie sur l’atout que constituent les équipements fluviaux et le souci d’écouler la marchandise sur tout le territoire français.
69À sa mort, en 1828, Thomas I Dobrée est loin d’imaginer que vingt ans plus tard, l’idée d’un estuaire à deux villes, le port en aval et la ville industrielle en amont, à l’image de Liverpool et de Manchester, a fait son chemin au plus haut niveau de l’État. Or pour beaucoup, Saint-Nazaire demeure une tête de canal et non un débouché. La réalité en sera toute autre. Mais les difficultés relationnelles encore palpables entre Nantes et Saint-Nazaire montrent que la conception même du port a fait l’objet d’un vif débat de la part des négociants et reste encore en discussion. À ce jour, alors que 90 % des trafics du port Nantes/Saint-Nazaire s’effectuent sur les quais avals de Saint-Nazaire et de Montoir, l’administration portuaire demeure à Nantes. Elle a longtemps considéré Saint-Nazaire comme un faubourg maritime de Nantes, au sein d’une même unité87.
Notes de bas de page
1« Trois étrangers protestants », les armateurs Pierre-Frédéric Dobrée, le négrier suisse Jean Riedy et l’armateur hollandais Vandamme faisaient partie du Comité provisoire du commerce en 1789, Bovar A., La Chambre de commerce et d’industrie de Nantes, 1700-1987, Nantes, Cid Éditions, 1990, p. 18.
2Bovar A., op. cit., p. 30.
3Ibid., p. 31. Soit l’équivalent de près d’un million d’euros aujourd’hui.
4Barbance M., Saint-Nazaire, le port, la ville, le travail, Moulins, Crépin-Leblond éditeur, 1948, Marseille, Lafitte, 1979.
5Richard M.-Ed., Notables protestants en France dans la première moitié du xixe siècle, Montpellier, Éditions du Lys, 1996, 376 p.
6Libaudiere F., « Précis des événements qui se sont passés à Nantes, du 11 juillet 1815 au 4 août 1830 (seconde restauration) », Nantes, ASANLI, 1905, p. 13-83. Bovar A., op. cit., p. 37.
7Bovar A., op. cit., p. 41.
8ADLA, 1 M 407 Police générale, « événements de juillet 1830 ».
9ADLA, 124 J 30 : « Pierre-Samuel Voruz, fondeur, mort d’une blessure à la cuisse. Fils de Jean-Samuel et de Madeleine Collet ».
10Bovar A., op. cit., p. 49.
11« Pierre-Joseph Maës », dans Robert A., Bourloton E. et Cougny G., Dictionnaire des parlementaires français, Paris, Bourloton Éditeur, 1889.
12Bovar A., op. cit., p. 53.
13Vauthier-Vézier Anne, L’estuaire et le port : L’identité maritime de Nantes au xixe siècle, Rennes, PUR, coll. « Histoire », 2007, p. 15.
14Ibid., p. 24.
15Ibid., p. 31.
16Collectif, Thomas Dobrée…, op. cit., p. 86.
17Philippe G., Des crises industrielles du xixe siècle aux crises financières actuelles, Paris, Armand Colin deuxième édition, Coll. « U – Histoire Contemporaine », 2009.
18Marseille J., « 1857, La première crise financière mondiale », Les Échos, 1er janvier 2009.
19Voruz Jean-Simon, Proposition sur la gare du chemin de fer de Nantes, Nantes, Imprimerie William Busseuil, 1846.
20Il faut attendre 2008 pour que les deux chambres fusionnent après 130 années de méfiances et de rivalités.
21Marnot B., op. cit., p. 570.
22Fichou J.-C., « Les conserves de sardines à l’huile, ou le luxe français sur les grandes tables du monde », Histoire, économie & société, Paris, Armand Colin, 1/2007 (26e année), p. 107-123.
23Gautier M., « L’industrie des conserves en Bretagne méridionale (Loire-Atlantique exclue) », in Norois, Rennes, 1960, no 27, p. 317.
24Fichou J.-C., op. cit., p. 110. ADLA, 6 JJ 170, Chambre de commerce de Nantes, séance du 10 juin 1833.
25Rochcongar Y., op. cit., p. 275.
26Arthur Benoît (1843-1923), baptisé au temple de Nantes est le fils de Jules Benoît investisseur dans les salines de Guérande, la conserverie des sardines et l’aménagement des dunes d’Escoublac. Une plage de La Baule porte son nom. Il est maire du Pouliguen de 1854 à 1871. Ce disciple de Charles Fourier est membre de la Chambre de commerce de Saint-Nazaire. ADLA, 124 J 13. Charles A., « Sur les rivages du pays de Guérande. Précurseurs et fondateurs de la villégiature maritime », Cahier du pays de Guérande, no 35, 1994, p. 13-14.
27Par le jeu des alliances familiales, Guillaume d’Allens, capitaine au long cours puis négociant, épouse Jeanne Philippe en 1833, sœur de Charles Philippe. Puis Arthur Benoît associé dans l’affaire épouse la petite fille de Charles Philippe, Alice Lechat.
28Fichou J.-C., op. cit., p. 112-113. Leur collègue Joseph Peneau, installé à Chantenay depuis 1844, obtient une mention.
29ADLA, 124 J 25. Mot « protestants » souligné 2 fois sur le registre.
30Guiffan J., Barreau J. et Liters J.-L., Le Lycée Clemenceau. 200 ans d’histoire, Nantes, éditions Coiffard, 2008, 491 p., et p. 107 « L’Affaire Lechat ».
31Delpire L., « L’épopée de la conserve de sardines au Croisic », Le Croisic Mag, Le Croisic, septembre 2011. La dernière usine ferme au Croisic en 1974.
32ADLA, 124 J 14.
33Fichou J.-C., op. cit., p. 112. Cette mention disparaît à la chute de l’Empire.
34Temple de Nantes, registre des mariages, Yvonne Hugosson, protestante née le 15 août 1927 à Stockolm.
35Wester P., « Brasserie de La Meuse : quand l’odeur du houblon annonçait la pluie », Nantes au quotidien, no 167, septembre 2006, p. 28.
36Biette A., L’Usine Bleue, Sucre des Îles, Sucre des Champs, Nantes, Itinéraires Médias – Itimédias, coll. « Regards d’entreprises », juin 2013, 112 p.
37Villeret M., Le goût de l’or blanc. Le sucre en France au xviiie siècle, Rennes, PUR, coll. « Histoire », 2017, 402 p.
38Fiérain J., Les Raffineries de sucre des ports en France, xixe-xxe siècles, Paris, Librairie Honoré Champion, 1976.
39Rochcongar Y., op. cit., p. 50.
40Ibid., p. 215.
41Fiérain J., « L’Économie au xixe siècle », in Bois P. (dir.), Histoire de Nantes, op. cit., p. 329.
42Rochcongar Y., op. cit., p. 16.
43Valynselle J., Les Say et leurs alliances, l’étonnante aventure d’une famille cévenole, préface d’André Chamson, Paris, 1971, 392 pages.
44Sources, temple de Nantes, 15 bis place Édouard Normand. Registre des baptêmes et catéchumènes, février 1805-octobre 1818. Plusieurs enfants des familles Delessert, Delaroche et Say sont baptisés à Nantes par le pasteur Dejoux. Marie Delaroche en 1805, Pauline Delaroche en 1808, Michel Delaroche en 1812 et Armande en 1813 ; Arthur Delessert en 1811.
45Jean-Baptiste Étienne n’est pas protestant. Les deux premiers fils Say sont nés à Abbeville. Le troisième frère, Constant, né à Nantes, est baptisé par le pasteur Dejoux le 21 décembre 1817.
46Rochcongar Y., op. cit., p. 303.
47ADLA, Br in-8o, 1049, Pétition du négociant Thomas Dobrée, p. 7 du mémoire.
48Bovar A., op. cit., p. 51.
49Ce qui semble en apparence être une stratégie soutenue par l’État. Ainsi le préfet déclare en séance du Conseil général le 26 août 1844 : « Favoriser l’exportation des sucres raffinés, veiller à la concurrence dangereuse du sucre indigène qui menace notre puissance maritime, sont des objets dignes de la plus haute attention du gouvernement », Conseil Général De Loire Inferieure, Imprimerie Mellinet, Nantes, 1844, p. 84. « Le sucre est le principal élément de notre navigation : c’est ce qui explique la part si vive que le commerce de Nantes a prise dans les débats relatifs à la législation des sucres », ibidem, p. 85.
50Martin Ph., L’or brun de l’estuaire : l’industriel, le port et le paysan, Nantes, Coiffard Libraire Éditeur, 2015, p. 49.
51Le Terrier X., Nantes, Bourbon, Saint-Denis La Réunion, CRESOI, no 4, p. 2, [http://www.cresoi.fr/]. « Il est arrivé de nos colonies, en 1842, 55 navires jaugeant 12,439 tonneaux, dont 34 venant de Bourbon ; en 1843, 63 navires dont 37 venant de Bourbon », Conseil Général De Loire Inferieure, Sessions de 1844, op. cit., p. 7.
52Fiérain J., « La Fortune de l’armateur nantais Alexandre Viot (1803-1888) », Enquêtes et documents, université de Nantes, 1985, t. 10, p. 10 et p. 69. Et X. Le Terrier, op. cit., p. 4.
53Daumalin X. et Raveux O., « Marseille (1831-1865). Une révolution industrielle entre Europe du Nord et Méditerranée », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 56e année, no 1, 2001, p. 161.
54Bruhat J., Histoire de l’Indonésie, Paris, PUF, 1976.
55Fiérain J., Les raffineries de sucre des ports en France : xixe-début du xxe siècle, op. cit.
56Fiérain J., « Les spéculations foncières des Cézard à Saint-Nazaire (1863-1866) », in 4e rapport SERS, La situation conflictuelle de l’occupation du littoral, dact., 1984, p. 85-98.
57Un franc de 1850 égale 3,27 euros aujourd’hui (sources INSEE).
58De Coninck Frédéric, Le Havre, son passé, son présent, son avenir, Le Havre, Imprimerie du Commerce, 1859, p. 96.
59Rochcongar Y., op. cit., p. 186.
60Fiérain J., Les Raffineries de sucre des ports de France (xixe-xxe siècle), op. cit., p. 86.
61Les Guillet de la Brosse sont catholiques. Ils ne doivent pas être confondus avec la famille protestante Rousseau de la Brosse.
62Fiérain J., « Croissance et mutation de l’économie (1802-1914) », Histoire de Nantes, Privat, 1977, p. 327.
63Fiérain J., Les raffineries de sucre des ports en France, op. cit., p. 405.
64Gheerbrant M., « La saga du sucre à Nantes », Nantes au Quotidien, Supplément à Nantes Passion, magazine de l’information municipale – novembre 2007, no 179, p. 28.
65Caron F., Histoire des chemins de fer en France, t. 1, Paris, Fayard, 1997, Javayon J., « L’histoire des transports à Nantes, Le chemin de fer à Nantes », Nantes, Annales de Nantes et du Pays Nantais, 4e trimestre 2004, p. 4-16.
66Iver B., Dictionnaires des ministres de 1789 à 1989, Paris, Perrin, 1990, et Dartigue H., Annuaire protestant, Paris, Librairie Fisçhbacher, 1939. Hippolyte Passy est l’oncle du protestant libéral Frédéric Passy.
67De Coninck F., op. cit., p. 22-23. « Ce sont donc les transatlantiques anglais qui profiteront de la faute commise par la France lorsqu’elle a forcé la ligne du Brésil à se mettre à Bordeaux et celle des Antilles à St-Nazaire », ibid., p. 73.
68François Guizot fait peut-être aussi référence à l’affaire de la duchesse de Berry. Bovar A., op. cit., p. 57.
69Conseil Général de Loire Inférieure, Rapport de sessions de 1844, Imprimerie Mellinet, Nantes, 1844, p. 4.
70Michel Betting de Lancastel est né le 5 mars 1797 à Saar-union (Allemagne) et décédé le 18 février 1863 à Paris. Betting De Lancastel M., Questions coloniales, Paris, 1836, 29 p.
71Bovar A., op. cit., p. 59.
72Javayon J., op. cit., p. 8.
73Marnot B., op. cit., p. 136.
74ADLA, 124 J 12. Évariste Colombel reste maire de Nantes jusqu’à l’avènement du Second Empire, qui rétablit Ferdinand Favre dès 1851.
75Javayon J., op. cit., p. 15.
76Voruz J.-S., Proposition sur la gare du chemin de fer de Nantes, Nantes, Imprimerie William Busseuil, 1846, 19 p.
77Vauthier-Vézier A., op. cit., p. 45.
78Henri Chéguillaume laisse à ses enfants un héritage qui permet, entre autres à son aîné lui aussi ingénieur, de bénéficier d’une rente de 12 000 F en plus de son traitement, Vauthier-Vézier A., op. cit., p. 135.
79Guépin A., « Navigation de La Loire au-dessous de Nantes », ASANLI, 1832, p. 20-40.
80Bovar A., op. cit., p. 101.
81Des remorqueurs brise-glace y sont même affectés, La Ville de Nantes et la Loire-Inférieure, Nantes, 1898, t. II, p. 40.
82Le Marec Y., op. cit., p. 56.
83Cosmi J. (Ingénieur des ponts et Chaussées), « Le port de Nantes et La Loire maritime », La Ville de Nantes et la Loire-Inférieure, Nantes, 1898, t. II, p. 8.
84Ibidem.
85Cité dans Vauthier-Vézier A., op. cit., p. 107.
86Conseil Général de Loire Inferieure, Sessions de 1844, Nantes, Imprimerie de Mme Veuve Mellinet, 1844, p. 4.
87Vauthier-Vézier A., op. cit., p. 112.
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