Les avatars de l’identité catholique : les militants de la ruralité (1929-2000)
p. 67-103
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« La technique n’a pas moins inventé l’homme que l’inverse, et le Créateur lui-même ne saurait se tenir à l’écart de ce jeu. De même que nous changeons de comportement à chaque fois que nous changeons de milieu, social et technique, Dieu a changé d’esprit en changeant d’armature. C’est l’incidence décisive de menues bricoles et dispositifs, apparemment indignes de Sa gloire, que nous voudrions tirer au jour. Qu’on ne dise pas l’hypothèse « démystifiante ». peut-être ne fait-elle que remettre la Providence à sa place. Prenez une lorgnette et mettez-vous à la fenêtre. C’est par le petit bout que vous découvrirez le paysage. Par le gros, l’officiel, le plus visible, vous ne verrez que votre visage en reflet : information nulle. »
Régis Debray
1Évoquer les militants catholiques du monde rural en se revendiquant des leçons de Benjamin Constant n’est assurément pas très… catholique. Et pourtant, c’est sans doute chez « l’inventeur du libéralisme » (E. Faguet, 1901) qu’il faut aller puiser l’une des clés de compréhension d’une acculturation originale – sans doute sincère – des phalanges catholiques à la modernité libérale. Certes, les mots de Constant peuvent résonner aussi mystérieusement qu’une spéculation canonique : « Les anciens étaient dans toute la jeunesse de la vie morale ; nous sommes dans la maturité, peut-être dans la vieillesse ; nous traînons toujours après nous je ne sais quelle arrière-pensée qui naît de l’expérience, et qui défait l’enthousiasme. La première condition pour l’enthousiasme, c’est de ne pas s’observer soi-même avec finesse. Or, nous craignons tellement d’être dupes, et surtout de le paraître, que nous nous observons sans cesse dans nos impressions les plus violentes. Les anciens avaient sur toutes choses une conviction entière ; nous n’avons presque sur rien qu’une conviction molle et flottante, sur l’incomplet de laquelle nous cherchons en vain à nous étourdir. Le mot illusion ne se trouve dans aucune langue ancienne, parce que le mot ne se crée que lorsque la chose n’existe plus1. »
2« Mission », « évangélisation »… Le destin de ces deux mots serait celui que Constant attribue à « illusion ». Ces termes pastoraux, ceux-là mêmes qui devaient redonner au catholicisme sa plausibilité dans le monde de l’indifférence religieuse, remis au goût du jour par l’apostolat des laïcs au sein de l’Action catholique, ne se seraient véritablement créés qu’au moment de la mise du monde et de l’Église en procès, c’est-à-dire probablement en des temps où leur sens se trouvait déjà définitivement altéré.
3Décidément, il y a quelque chose de gâté au Royaume de Dieu. Les très saintes cartouches d’une lutte efficace contre l’esprit de libre examen sont mises au point à un moment où les courageux mercenaires ne peuvent plus réellement rester francs. La posture intransigeante, celle dictée par cette autorité romaine qui « se caractérise au premier chef par un antilibéralisme foncier, une hostilité intransigeante à la société moderne et à tous ses idéaux2 » n’a probablement – et c’est la thèse que nous voudrions soutenir ici – été retenue que par une élite peu nombreuse, le plus souvent restée à l’écart de problématiques profanes et toutes terrestres, en dépit d’appels récurrents à accueillir ce monde. L’intransigeance réclame soit le splendide isolement de la conscience des délicates affaires d’un ici-bas désenchanteur et épris de raison, soit une très forte résistance intellectuelle. Les théologiens d’une pastorale missionnaire se distinguent « en s’efforçant de diviser leur vie en deux parts, de verrouiller la porte de leur monde intérieur en laissant au-dehors leur rationalisme de façon à réserver l’intimité, l’intériorité aux émotions de la foi. Mais une telle tentative ne peut que prolonger le conflit entre les deux aspects de leur pensée sans jamais apporter de solution durable3 ».
4À suivre une telle hypothèse, trois idéaux-types de catholiques seraient à distinguer, selon qu’ils condamnent l’empire profane et/ou négocient, et/ou mobilisent 4 :
les intransigeants en philosophie comme en pratique, ces « curés enfermés dans leurs paroisses5 ».
les intégralistes néo-tridentins : intransigeants en philosophie mais accommodants en pastorale, ces jeunes vicaires à vélo tel celui qui allait bientôt soutenir Mgr Favé, évêque auxiliaire de Quimper et Léon car « ni le relief accidenté, ni les intempéries, rien ne pouvait arrêter l’aumônier Favé dans ses courses apostoliques d’un canton à l’autre6 ». Ces fidèles redécouvrent une dimension que l’histoire du christianisme avait pu mettre sous le boisseau : l’Incarnation.
les transigeants en philosophie comme en pratique, disciples souvent inconscients de cette théologie de l’Assomption que Maurice Montuclard appelait de ses vœux au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Catholiques… Pour combien de temps encore7 ?
5Trois questions se posent à la suite d’une telle taxinomie :
Doit-on établir une chronologie sécularisatrice au sein de cette catégorisation ? Un glissement mécanique s’avouerait forcément dépréciatif pour l’Église. Il ferait surtout se demander si le christianisme est bel et bien la « religion de la sortie de la religion8 ».
Quel fut le vecteur de ces transformations ? Faut-il ne chercher que des facteurs exogènes qui auraient attaqué l’Église ad extra ou convient-il conjointement d’y traquer ad intra des éléments, qui, au cœur même de la théologie catholique, seraient favorables à la maturation du subjectivisme moderne9 ?
Si en effet des causes peuvent être mises en lumière depuis le cœur même de l’institution ou du message évangélique, les auteurs de ces transformations ont-ils agi sciemment ou l’adoption des erreurs modernes n’est-elle qu’une scorie adventice de certains usages pastoraux auxquels il serait, par conséquent, possible et surtout indispensable aujourd’hui de mettre un terme, au nom de la nouvelle évangélisation ?
6L’Ouest célèbre volontiers la figure de saint Hervé. Né aux alentours de 515 vers Plouzévédé (Finistère), sa mère avait demandé à Dieu qu’il naquît aveugle afin que jamais le prude jeune homme ne vît la malfaisance du monde et ne s’y laissât entraîner. Saint Hervé illustre à merveille cet état angoissé de l’Église dont Émile Poulat a fixé à jamais le qualificatif. Cette Église syllabique ignore purement et simplement le monde, elle demeure dans une opposition imperméable, obsidionale, repliée sur ses œuvres de conservation. Émile Poulat appelle « intransigeance » cette « stratégie de position10 ».
7À saint Hervé succède peut-être le personnage de Guillaume de Baskerville. Le soigné et distingué franciscain, enquêteur dû à la plume d’Umberto Ecco11, doit lutter contre l’affreux mais vénérable Jorge de Burgos. Jorge, le moine que le crime ne repousse pas et qui maudit le monde, est lui aussi aveugle. Quant à frère Guillaume, on sait qu’il s’alimente de toutes les philosophies et que le monde le fascine. Il questionne cet univers fascinant et par ailleurs si instructif. D’ailleurs, pour observer les réalités d’ici-bas, le fier franciscain est nanti de précieuses lunettes qui adaptent sa vue, d’incroyables instruments qui attirent la curiosité des simples bénédictins. Que de sang versé pour de si petites choses qui en impliquent de si grandes ! Jorge égorge plusieurs innocents dont la faute avait été d’avoir été mis en rapport avec ces œuvres malignes où Aristote réhabilitait le rire. Le message de Jorge est celui de la mère de saint Hervé : le monde est tellement mauvais qu’il ne mérite même pas qu’on le voit, qu’on en rit. Guillaume de Baskerville au contraire incarne un second moment dans l’histoire de l’Église : les temps du catholicisme dit de « mouvement » ou « intégralisme », ressourcé aux écrits de l’Aquinate, s’adressant directement aux fidèles, parmi les meilleurs apôtres, finalement. « Une mutation de civilisation humaine (une région qui s’industrialise, qui passe au tourisme, une région qui se spécialise dans ses cultures), prévient le chanoine Boulard, se fait de soi dans un sens matérialiste. Quand elle se fait dans un sens chrétien, ce n’est jamais par hasard : c’est que des chrétiens consciemment ont pris la tête de la mutation pour l’orienter dans un sens chrétien12. »
8Alors, à l’assaut ! Les campagnes presque dans l’apostasie13 furent dotées dès 1929 de l’instrument de la rechristianisation : la Jeunesse Agricole Catholique14. Son apostolat se situe dans l’ambition typiquement intégraliste de tout restaurer en Christ, c’est-à-dire de « refaire chrétiens nos frères ». Derrière une pastorale souvent dite de l’ouverture au monde, se réfugie en réalité une conception de refus de la justification séculière de cet univers effrayant. L’heure est à la mobilisation militante au sein de mouvements très hiérarchiquement structurés15 et dociles aux ordonnances épiscopales. L’orientation pastorale passe, notamment au tournant léonin des xixe et xxe siècles, de l’interdiction pour l’erreur d’exister à la tolérance de sa formulation afin de mieux la combattre. Nous voudrions montrer que ce faisant, c’est toute la philosophie politique tridentine de l’Église catholique qui bientôt se trouvera bouleversée, chahutée, souvent au prétexte de la conforter dans la tradition. Les militants catholiques ruraux serviront à appuyer la démonstration : l’esprit ne souffle plus exactement de la même façon à Trémaouézan et à Rome…
9Car les choix pastoraux n’ont pas que des effets religieux. La préférence pour une méthode d’évangélisation reflète une décision d’ordre politique ou finit par porter, parfois à son corps défendant, des corollaires politiques ; « le problème de la philosophie chrétienne et celui de la politique chrétienne ne sont que la face spéculative et la face pratique du même problème », se plaisait à rappeler Jacques Maritain.
10« Voir-juger-agir »… Le fameux triptyque aura scandé la vie de militants d’Action catholiques enfin attentifs aux difficiles réalités de ce monde. Une méthode tripartite qui portera ses hérauts à une dialectique. L’observation de la situation des campagnes, augmentée des ressources de la sociologie, tendent à montrer que « les régions les plus pieuses sont les moins évoluées16 ». Les campagnes demeurent certes plus fidèles que les villes, mais le goût du confort, ce matérialisme qui tracasse tant les pasteurs, commence à faire succomber à la tentation urbaine. À la clé, c’est bel et bien l’exode citadin, ce quai Montparnasse que le doyen Le Bras trouvait si étranger à la Bonne Nouvelle. Le pari des jeunes de l’Action catholique rurale sera, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, de faire de la modernisation technique un facteur de conservation et d’enracinement. Avec le tracteur, avec la machine à laver, c’est, disent-ils, la possibilité de vivre, travailler et croire au pays.
11À suivre saint Matthieu, les sauvés du Jugement dernier seront les premiers étonnés. À cette école, les promoteurs de la JAC contemplent désormais la face du Très-Haut. La cuisine aménagée fut un excellent agent d’abandon de la foi ou, au moins, de transformation du rapport à la religion. L’innovation technique charrie la conscience – malheureuse – que « Dieu est celui qui empêche d’être heureux17 ».
12La praxis de l’Action catholique permet de la sorte un exercice de médiologie18. L’étude des réalités terrestres fait basculer progressivement la doctrine de l’Église d’une stricte objectivité à une herméneutique largement intuitive. Nul ne le confesse mieux que Gilles Ferry, adepte de Jeunesse de l’Église : « Nous sommes partis avec la conscience claire de ce que nous avions à apporter au monde, et nous avons découvert que nous étions des tard-venus qui avaient tout à apprendre… Nous avons voulu nous engager pour la paix, pour la justice, contre la misère au nom de notre foi, parce que chrétiens, et nous avons découvert que leur sens humain suffisait aux hommes qui nous entouraient. Nous avons cherché dans quels interstices il pouvait bien y avoir place pour caser notre affaire, et nous avons découvert un monde plein qui nous obligeait à mettre en cause notre foi elle-même. Nous avons découvert… que l’athéisme de ce monde lui est une revendication essentielle de vigueur et d’équilibre. S’il y avait une soif religieuse des hommes, les chrétiens étaient incapables d’y répondre19. »
13Tous les militants de la JAC ne suivront évidemment pas Gilles Ferry dans les franges du progressisme chrétien. À beaucoup de militants cependant, la JAC aura au moins fait prendre conscience de l’existence d’un monde détaché de la chrétienté. Ce monde se trouvait-il sous l’empire du Malin, comme l’assénait encore la première encyclique de Pie X, E supremi apostolatus20 ? Bien de militants vont en douter… Tellement en douter qu’on osera avancer la thèse selon laquelle les usages de l’Action catholique ont grandement contribué à transformer les conditions de la fidélité religieuse : une foi de plus en plus personnelle au prix d’églises de moins en moins bondées. Une foi qui ne détermine plus non plus l’orientation politique : pendant si longtemps « un paysan de droite [n’était] pas nécessairement catholique mais un paysan catholique [était…] nécessairement de droite21 ».
14L’acculturation progressive des masses catholiques au libéralisme philosophique pourrait être appelé « libéralisme catholique », tel qu’explicité par Lucien Jaume22 ou, pourquoi pas, « modernisme », selon l’actualisation admise et même promue par son inlassable limier23. Le libéralisme catholique a finalement rompu avec l’intransigeance, y compris avec la mémoire que, pourtant, il en est issu. On peut légitimement douter de la sincérité du ralliement. Émile Poulat rappelle utilement qu’il n’a « jamais suffi d’ajouter une particule à son patronyme pour sortir de la roture24 ». Le sociologue du présent aura à prendre très au sérieux cet avertissement. Les préférences idéologiques aveuglent, notamment dans le registre du croire. Mesurer la réalité d’une revendication moderne représente une tâche d’autant plus mal aisée qu’elle consiste à comparer un verbe et des actes à une philosophie – le libéralisme – dont la définition se résume au constant dépassement. Les catholiques seront peut-être à chaque fois en retard d’une modernité, pour autant cela n’enlèvera rien à la réalité de leur adhésion25.
15Étienne Fouilloux demandait récemment si on pouvait parler d’une fin de l’intransigeance26. Ses conclusions aboutissent à une gradation matérielle de l’intransigeance, tout en reconnaissant au final une chronologie presqu’historiciste de son extinction. Le refus de la modernité s’analyserait différemment selon le secteur concerné, la question des mœurs serait en particulier à la remorque. Reste que « le projet consiste en la construction d’une échelle de transaction par le croisement de divers paramètres, les plus significatifs étant la précocité chronologique et l’ampleur des concessions effectuées27 ». Et l’historien d’avouer : « Je suis de plus en plus persuadé […] qu’une bonne partie des questions ouvertes par Émile Poulat serait résolue par la dissociation, pour les deux derniers tiers du xxe siècle, des adjectifs “intégral” et “intransigeant”. Avec des remords et des retours en arrière, j’en conviens, de larges pans du catholicisme ont été conduits à des transactions de taille avec leur intransigeance initiale28. » Nous n’adopterons pas tout à fait la même posture afin de proposer, à partir de l’évolution des pratiques militantes dans les campagnes de l’Ouest, et puisque la barque de Pierre tend aujourd’hui à s’apparenter à une « mosaïque de sectes29 », un regard dynamique – mais non généalogique – de l’intransigeance sans entendre son tarissement comme le dernier mot de l’histoire. L’Église serait cette institution où fourmillent concurremment intransigeance aux visages sans cesse renouvelés et adoption des canons de la pensée moderne.
16Si, comme l’enseigne Émile Poulat, l’intransigeance se métamorphose, il faut aller jusqu’à admettre qu’en certaines circonstances, à un certain stade, elle puisse mourir. Il faut aussi croire que, tel celui auquel il se réfère, l’intransigeance puisse ressusciter, souvent dans des formes qui déconcertent ou trompent l’observateur pressé. La résurrection pourra concerner un nombre réduit ou important de fidèles, concurremment ou postérieurement à ceux acquis à la modernité. Parfois d’ailleurs, ce seront les mêmes ; on retrouve chez les intégristes d’aujourd’hui, des vicaires autrefois épris d’audaces pastorales30. Ce modèle aurait le mérite d’échapper à une lecture par trop historiciste de l’acculturation des catholiques à la modernité libérale, tout en ne la considérant pas comme invraisemblable.
17Notre travail va alors consister à distinguer, parmi les actuels militants catholiques ruraux et sans postuler de généalogie, ceux qui seraient à ranger parmi les modernistes sociaux de ceux qui continuent ou retrouvent les accents de la dénonciation de la cité anti-chrétienne, lassés d’une pastorale de l’enfouissement, déchristianisante, à force. Tels Jorge de Burgos, ils se demandent désormais : « Que veulent toutes ces nugae ? » et répondent : « Un monde inverse et opposé au monde établi par Dieu, sous prétexte d’enseigner les préceptes divins ! […] Mais saint Bernard avait raison : petit à petit l’homme qui représente des monstres et des prodiges de la nature pour révéler les choses de Dieu per speculum et in aenigmate, prend goût à la nature même des monstruosités qu’il crée et d’elles fait jeu, et pour elles joue, et ne voit plus qu’à travers elles. […] Allez-y, désormais il est plus agréable pour un moine de lire les marbres que les manuscrits, et d’admirer les œuvres de l’homme plutôt que de méditer sur la loi de Dieu. Honte aux désirs de vos yeux et à vos sourires31 ! »
18La leçon des principes de politique de Benjamin Contant, celui qui ouvrait cette introduction, sera le fil conducteur de notre zèle nécessaire, tant pour le sociologue est ténue la frontière entre un intégralisme intransigeant accueillant au monde et le ralliement aux schèmes de la pensée moderne. Car, se réjouit Constant, les partisans de la restauration d’un ordre ancien « ne le veulent pas vraiment, ne peuvent pas vraiment le vouloir, puisque, hommes modernes en dépit d’eux-mêmes, ils ont perdu l’innocence et la sincérité qui seules donneraient sens à l’entreprise de restaurer le catholicisme médiéval32 ». Bonheur du philosophe, malheur du politiste…
Refaire chrétiens nos frères ruraux
19Le pape Pie X, comme Augustin de Boisanger, fondateur en 1906 de l’Office central de Landerneau, feront leur devise du programme de récupération du monde errant par la saine doctrine : « Instaurare omnia in Christo ». L’antienne de l’intégralisme est posée : catholiques d’abord33, partout… L’Église doit cesser de reculer. La réaction vaticane se veut offensive, entriste. Avec Léon XIII, auteur du réajustement pastoral et doctrinaire34, ce sont les ambitions d’une restauration pure et simple du pouvoir direct de l’Église en politique qui s’évanouissent. La chrétienté a vécu, il faut en théoriser une nouvelle. Léon XIII n’en devient pas un pape libéral, seulement un pontife réaliste, stratège, sûrement certain des errements des sociétés bourgeoises. Conformément aux enseignements de saint Thomas, l’Église accepte les régimes établis par une révolution honnie, bien décidée à les orienter de l’intérieur vers la référence, puis la révérence à Dieu. Le pouvoir de l’Église en politique devenait indirect, il lui fallait des serviteurs zélés, ce seront de jeunes vicaires, tellement impatients de reconquête, et derrière eux à la foule des simples fidèles, les meilleurs agents de pénétration des milieux naguère hostiles. Le temps pressait, les troupes pouvaient s’amenuiser : y compris dans les campagnes de l’Ouest, l’indifférence religieuse, sinon le refus explicite du Seigneur, menaçait35. Si « à Paris, le choléra, c’est la faute du gouvernement », « à Brest, c’est la faute à Lucifer36 », il se pourrait bien qu’avec la diffusion de la raison scientifique, les pouvoirs publics soient finalement rendus responsables des épidémies brestoises.
20La doctrine sociale de l’Église trouve à s’appliquer à l’ouest de la péninsule bretonne. Se réclamant des travaux de Frédéric Le Play et René de La Tour du Pin, une partie de la noblesse finistérienne, bientôt rejointe par les grands propriétaires de la roture, va, au tournant des xixe et xxe siècles, se risquer à doter la Bretagne des institutions du nouvel ordre chrétien37 : ce sera, en 1911, l’Office central des œuvres agricoles de Landerneau et, à sa tête, la figure tutélaire du saintpolitain comte Hervé Budes de Guébriant, « an ôtrou38 », comme le dit joliment la langue bretonne. L’organisme nouveau diffuse dans les campagnes une philosophie dite corporatiste, l’utopie de l’unité retrouvée de la profession agricole, celle de la collaboration des classes, une profession où seul le service charitable devrait guider le propriétaire comme l’ouvrier agricole. Batailler contre l’emprise de l’État, rendre les campagnes imperméables au capitalisme, un des parangons du libéralisme honni, défaiseur des hiérarchies sociales, demeure l’idéologie de Landerneau et, pour ce faire, ses théoriciens sauront aller au peuple des terroirs et bientôt rejoindre les cercles de Vichy39. Il faut cependant reconnaître que « ces syndicalistes à particule ont souvent fait bien davantage pour transformer la société villageoise que ne faisaient les révolutionnaires en chambre, incapables d’appréhender les ruraux40 ». L’Office central donne en tout cas le signal du regroupement des agriculteurs, au nom de la lutte contre cet individualisme tout droit venu du malfaisant esprit de 89, et que les Républicains entendraient généraliser à l’ensemble du peuple des campagnes41.
21La Jeunesse Agricole Catholique se structure dans le Finistère au cours des années Trente : elle cohabite parfaitement avec l’Office central, s’affirmant un complément spirituel si utile. Les aumôniers sont communs, comme par exemple l’abbé Eucher Corre. À Guipavas, ce vicaire, farouchement épris des encycliques sociales de Léon XIII, assiste les fondateurs de l’Office central, en supervise le bulletin, tout en administrant ses conseils aux premières équipes JAC du Léon. De même, l’abbé Lemée, costarmoricain cette fois, se fera l’apôtre de la conquête de son département par les œuvres agricoles de Landerneau, avant de devenir l’un des administrateurs nationaux de la JAC. Reconnaissons qu’à l’origine l’idéologie de Landerneau satisfait les ambitions du jeune mouvement d’action catholique originellement issu de l’intransigeance. La sociologie distinguerait les deux initiatives42, pas la philosophie qui demeure paysanniste : « Cet homme économique, moderne, séparé de l’homme tout court, ou plutôt submergeant l’homme tout entier, libéré de ses attaches morales et sociales spirituelles et éternelles, cet homme qui fait du royaume terrestre sa fin, du plaisir animal son bien, de l’argent son Dieu, appelons-le de son vrai nom : cet homme déshumanisé, c’est l’homme déchristianisé. Et notre analyse s’achève en reconnaissant dans la paganisation moderne la source profonde de ce désordre économique dont l’exode rural étale sous nos yeux l’aveuglant symptôme43. » La concurrence ne viendra pas de la JAC mais du Sillon44.
Faire modernes nos frères chrétiens ruraux
22Si, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, l’ambition corporatiste de Landerneau va de pair avec l’objet missionnaire de la JAC, les lendemains du conflit pulvérisent, de fait, l’option intégraliste. Sous couvert de simples améliorations techniques, c’est toute une philosophie moderne qui finira par s’imposer. La charité s’est bel et bien faite technicienne, pour paraphraser un slogan JAC d’après-guerre, la doctrine sociale de l’Église, originellement pensée comme un moyen de développer l’économie domestique et familiale va venir appuyer le développement des campagnes et la concentration des exploitations, au prix d’un exode rural massif qu’au départ pourtant, les militants jacistes entendaient stopper. Ce faisant, ils continuent d’affirmer leur originalité. La technophilie les fait certes épouser les canons de la modernité mais paradoxalement dépasser même l’idéal de la République au village, celui individualiste de la généralisation de la petite propriété, ou le « modèle du propriétaire, du bourgeois des champs prenant sa revanche sur l’aristocrate alors naturellement allié politiquement avec la bourgeoisie urbaine45 ».
La JAC, vecteur dynamique de modernisation des campagnes
23L’Office central de Landerneau se trouve dès les origines concurrencé, en Ille-et-Vilaine, essentiellement, par une forme de syndicalisme dit « séparé », animé par les abbés démocrates sillonistes Mancel, Trochu, Crublet, Bridel. Condamnés à plusieurs reprises par l’autorité diocésaine, ces vicaires porteront sur les fonts baptismaux la Ligue des paysans de l’Ouest, autrement appelée les « cultivateurs-cultivants46 », une organisation ne retenant pas la collaboration des classes telle que la promeut l’idéologie corporatiste de Landerneau. François Mévellec juge sévèrement que « dans son principe, l’esprit insufflé par l’abbé Mancel à ses syndicats dits “séparés” sous le pavillon de l’idée démocratique portait en lui-même des germes de division et devait sécréter, en pratique, à brève échéance, la lutte des classes comme dans les syndicats des ouvriers de l’industrie47 ». Entre 1900 et la Première Guerre mondiale, le Sillon accomplira une réflexion rurale, inspirera des créations de coopératives à Morlaix ou Saint-Pol-de-Léon48, et surtout affirmera, au gran dam de Landerneau, que « la terre doit être possédée par ceux qui la cultivent49 ». Tout naturellement, le Sillon prendra position en faveur des exploitants contre les propriétaires, et derrière eux contre les évêques, les amis des nobles. Toutefois, les syndicats mancellistes s’éteindront, tandis que la JAC enracinera son implantation. Nous allons mettre en lumière l’exemple du Léon qui correspond à la partie septentrionale du Finistère. Ce dernier espace représente environ 25 % de la superficie du département.
Un territoire léonard rapidement conquis
24En 1936, les trois premières sections finistériennes de la JAC sont mises en place : il s’agit de Plouénan, Plouzévédé et Cléder ; cette dernière paroisse n’est autre que la paroisse natale de Vincent Favé : le prêtre fondateur de la JAC en Finistère, avec François Mévellec.
25Dès 1939, sur les 30 sections existant dans le département, 24 sont concentrées dans le Léon. Durant la Seconde Guerre mondiale, le mouvement de conquête se poursuit. De fait, en 1945, la JAC regroupe 90 équipes paroissiales.
26Du fait d’une progression continue des adhésions, en 1951, 124 sections sont recensées dont 73 pour la seule partie nord (59 %). Toutefois, le Trégor léonard, la presqu’île de Crozon, la baie de Douarnenez ainsi que le sud-est du Finistère sont quelque peu rétives à cette association d’Église. Sans doute est-ce à ces ensembles territoriaux que pense l’évêque du diocèse quand, en 1954, à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de la JAC, il exhorte les militants jacistes à développer un nouvel effort missionnaire « là où la JAC n’existe pas encore50 ».
27Une même expansion est observée dans d’autres contrées de l’Ouest qui elles aussi ont connu sur leur territoire une nette expansion de la JAC, des années 1930 aux années 1950 : qu’il s’agisse par exemple du sud du département de la Manche ou des Mauges en Maine-et-Loire. Mais, en définitive, il semble que l’implantation de ce mouvement missionnaire s’effectue bel et bien au sein de terroirs encore très chrétiens ; la JAC s’avoue davantage un outil de persévérance que de conversion ou rechristianisation.
28Quant au Léon, la JAC missionnaire des premières décennies a cédé le pas progressivement à un mouvement d’Église qui se donne comme objectif de sortir les campagnes de leur léthargie, en les faisant accéder à la modernité technique.
Cette modernité consiste notamment à diffuser mécanisation
et confort dans le but d’enraciner des familles rurales croyantes
29Les visites de fermes-pilotes, les stages où on mêle aspects professionnels et religieux ont contribué à accroître et renforcer la compétence professionnelle de ces jeunes ruraux tout en leur faisant prendre conscience de réalités qui, sans le mouvement, leur seraient restées longtemps inconnues ou auraient suscité peut-être bien davantage de suspicions. En voulant retrouver des campagnes unanimement confessantes, la JAC ensemence les labours d’un espace public51 bientôt démocratique. Ainsi, Jean-René, militant de base en 1960 et ouvrier en 1980 en Loire-Atlantique, remarque qu’en huit jours, « on apprenait […] ce qu’on avait vu en plusieurs années à l’école, sans parler de bien des nouveautés. On faisait des enquêtes […] On parlait de la famille, de la société, des loisirs […] C’était formidable52 ».
30Rétrospectivement, certains thèmes de stages ne manquent pas d’interroger. Bernard, militant de base en 1960 et agriculteur en Vendée en 1980, se souvient : « Dans ces stages, il y avait pas mal de thèmes qui nous étaient proposés. Celui qui m’a le plus frappé s’intitulait ainsi : “Comment élever un veau chrétiennement53.” Même si l’on raconte qu’un prédicateur breton s’était adressé aux « chevaux chrétiens qui m’écoutez54 », le projet missionnaire de la JAC n’en est tout de même pas à vouloir convertir les animaux, mais bel et bien celles et ceux qui les élèvent. Les temps ont changé cependant, la résistance croyante passe désormais moins par les nefs que par l’action au cœur du monde et, en l’occurrence Bernard sera d’autant chrétien qu’il parviendra à présenter un veau bien charpenté pour des dépenses raisonnées, bref l’onction par la productivité, l’évangélisation par l’exemple.
31Ce faisant, les jeunes de la JAC deviennent plus sensibles à l’importance de l’innovation technique et à la mécanisation. D’ailleurs, quelques dirigeants de cette association d’Église vont tracer le sillon : ainsi, René Colson, après avoir été lui-même secrétaire général de la JAC de 1941 à 1947, publie, en 1950, une brochure intitulée Motorisation et avenir rural. Est-ce à dire que le progrès technique coulait de source ? Non. Michel Lagrée, dans La Bénédiction de Prométhée55, évoque de fortes réticences que bien des témoignages d’anciens jacistes illustrent. Si militantisme à la JAC et progrès technique finiront par aller de pair, par contre, pour les générations plus anciennes, une certaine circonspection était de mise, révélatrice sans doute d’un rapport différent à la religion. Marie, militante de base en 1947 et agricultrice en Mayenne en 1980, évoque la réaction de ses parents. « Après ce qu’ils avaient connu durant la guerre, ils s’estimaient “heureux” en paix. Nos parents ne voulaient pas que le progrès arrive trop vite. Ils voulaient d’abord voir chez les autres56. » Ce désir de modernité provoque des conflits familiaux, comme l’évoque Véronique, responsable de secteur en 1941 et agricultrice en Mayenne en 1980 : « En 1945, quand nous nous sommes mariés, nous étions les premiers du coin à avoir un évier qui servait uniquement à l’écoulement des eaux usées. Mais il n’y avait encore aucune installation d’eau courante […] Et rien que pour cette modeste amélioration, on se faisait critiquer. Il y en avait pour dire : “Les femmes deviennent fainéantes57.” » De même, Christian, responsable de secteur en 1944, et agriculteur en Loire-Atlantique s’est rendu compte que « les jeunes qui sont passés par la JAC se sont rapidement opposés à leurs parents58 ».
32Le souci de modernisation ne va pas s’arrêter au cadre étroit du foyer domestique. Certains militants proposeront des réflexions plus larges s’agissant du devenir et de l’agriculture française et des territoires. Ils vont trouver à s’épanouir en politique.
Quelques parcours d’anciens jacistes
33Pour illustrer cet engagement, nous allons mettre en lumière le parcours de quatre anciens militants dont l’enracinement politique était avéré en Léon et plus globalement en Nord-Finistère. Il s’agit essentiellement de politiciens de droite.
34Entre 1996 et 2001, trois anciens jacistes viennent de mettre un terme à leur investissement actif en politique : il s’agit de Pierre Abéguillé, longtemps maire de La Martyre, Alphonse Arzel, premier édile de Ploudalmézeau sans oublier Joseph Larreur, originaire de Plouzané et conseiller régional. Ces quatre hommes politiques ont aujourd’hui entre 71 ans et 81 ans. Ils présentent des cursus scolaires quasiment identiques et seraient les lointains héritiers de la démocratie chrétienne léonarde, ces abbés démocrates et autres sillonnistes de la fin du xixe siècle. Depuis cette époque, on assiste en Léon à une alliance directe du presbytère et du peuple (et non du château). Ainsi, aux législatives de 1962 et 1967, Alphonse Arzel n’hésite pas à se présenter contre le gaulliste et noble Gabriel De Poulpiquet, dont les mémoires59 trahissent le désarroi en face de cette démocratie-chrétienne décidément traîtresse du conservatisme.
35Ces responsables ont tous fréquenté une école catholique et présentent un niveau d’instruction s’achevant au moins au certificat d’études. Très rapidement, ils perçoivent des lacunes dans leur formation générale et agricole : ils prennent la décision de suivre des cours par correspondance dispensés par l’Office central de Landerneau ou par l’école d’agriculture d’Angers. Dans le même temps, ils assument des responsabilités locales ou cantonales à la JAC. De là leur vient, sans doute, l’envie de s’investir en politique. Les anciens jacistes se sont tournés tant vers la politique locale (maire, conseiller général) que régionale ou nationale (conseiller régional, député ou sénateur). En Léon, la grande majorité a rejoint les rangs de la droite. Quelques-uns, plus investis de responsabilités syndicales ou associatives se sont malgré tout tournés vers la gauche bien que le « terreau » politique leur soit, ici, peu favorable. Joseph Larreur milite au parti socialiste ; il retient de son grand-père Jean Larreur, propriétaire terrien et l’un des fondateurs de l’Office central, son goût pour la question sociale que l’élu de gauche extrait cette fois de la gangue corporatiste. Toutefois, Joseph Larreur pâtira du mode d’élection uninominal : grâce au scrutin de liste, il pourra se consacrer comme élu à la région Bretagne.
36Au final, nous demeurons ici dans un des espaces bien caractérisés par André Siegfried, en 1913, dans son Tableau politique de la France de l’Ouest60. Il y avait identifié des régions dans lesquelles « il y avait une étrange coïncidence entre des taux très forts de pratique religieuse, confinant même à l’unanimisme, des taux également considérables de fréquentation de l’école privée catholique, solidement implantée en des bastions ruraux, et des votes massivement et régulièrement orientés à droite61 ». Lorsque ces trois éléments des comportements sociaux confinent à l’unanimisme, on se trouve face aux régions cléricales de l’Ouest, selon Siegfried62. « En quatre régions dans l’Ouest le recoupement et le recouvrement géographique de ces comportements étaient quasi-parfaits : le Léon, le Vannetais (l’est du Morbihan), les cantons limitrophes de l’Ille-et-Vilaine et de la Loire-Inférieure, l’est de l’Ille-et-Vilaine (Vitré), le Segréen, l’est de la Mayenne, le sud de la Manche et le Bocage normand des confins de l’Orne, enfin les bocages vendéens et les Mauges au sud de la Loire63. »
37Concernant ces mêmes territoires, l’historien Jean-Clément Martin retient utilement l’appellation « région-mémoire64 » lorsque ce schéma se perpétue et que, comme le fait remarquer Paul Houée, « le progrès a dû passer par l’Église pour être accepté des masses populaires65 ». Il est donc peu étonnant que les seuls hommes politiques locaux à avoir eu une carrière brillante soient tous issus de la droite. Naturellement formés dans la tradition catholique, ces hommes de progrès que de fait tous sauront devenir se ressemblent bien plus qu’on ne pourrait l’imaginer et qu’eux-mêmes ne l’imaginent, peut-être.
38En Léon, ces personnalités de droite ressentaient auprès de la population tout le prestige attaché à leur fonction ; ceci n’est point le cas en milieu syndical ou associatif, qui plus est pour les femmes. Contrairement aux hommes, les réussites de femmes y sont moins nombreuses. Elles se sont notamment intéressées à l’amélioration de la condition féminine. En la personne d’Anne Vinçot (75 ans), nous avons un bon exemple en pays léonard. En 1945, elle est responsable des adolescentes de la JACF à Ploudaniel. En 1946-1947, elle assure la responsabilité des « ados » du mouvement au plan départemental avant d’occuper les mêmes fonctions au plan national en 1948-1950. En 1951, elle épouse Maurice Vinçot, alors secrétaire général de la JAC. En 1955, elle crée le mouvement des aides familiales rurales et expérimente à Ploudaniel la première « ruche » du Finistère. En 1957, militant sans cesse pour améliorer le sort des femmes en milieu rural, elle lance les groupes de vulgarisation agricole. De 1961 à 1966, elle structure le mouvement « Familles Rurales » dans le département et contribue à sa mise en place, à l’échelon de la Bretagne. De 1966 à 1971, elle est membre du conseil d’administration de la Mutualité Sociale Agricole (MSA) du Finistère. De 1974 à 1987, elle est élue vice-présidente des caisses centrales de la MSA, avant d’en assurer la présidence en Finistère – c’est une première pour une femme – entre 1977 et 1984. En 1986, à Ploudaniel, elle crée une maison d’accueil rural pour personnes âgées dont elle assure la présidence jusqu’en 1997. Le 29 août 1998, le ministre de l’agriculture lui a remis la légion d’honneur.
39Toutefois aujourd’hui, si on observe la sociologie électorale en Léon, on constate que la gauche progresse insensiblement, notamment grâce au ralliement des catholiques. Si littéralement catholicisme se met à rimer avec gauche66, on peut toutefois se demander si, en raison de la mémoire démocrate-chrétienne, ce pluralisme ne masque pas en réalité cette République du Centre67 que naguère MM. Furet, Julliard et Rosanvallon appelaient de leurs vœux.
Un processus endogène de subjectivisation
40Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les jeunes de la JAC parviennent aux responsabilités. Bientôt, ces élèves de l’école du paternalisme et de la conservation sociale feront « trembler la France68 ». Suzanne Berger fait remarquer que « l’arrivée de la jeune génération dans le mouvement paysan adulte ne transforma la situation des organisations que dans les régions où des mouvements de jeunesse avaient enrôlé de larges couches de la jeune paysannerie69 ». C’est ainsi au cœur même de ces mouvements qu’il faut aller chercher les vecteurs inconscients de l’adoption du subjectivisme moderne.
Par les buts
41On retient de la JAC des origines son projet conservateur, paysanniste, restitutionniste d’une catholicité non entamée par l’esprit de libre examen. Les campagnes étaient à préserver des vents du Malin, elles devaient rester cloisonnées, ainsi serait assuré l’exercice persévérant des vertus chrétiennes70. L’alliance de la terre et du goupillon était encore la plus solide.
42Cette utopie ne pouvait fonctionner qu’à la condition de rendre supportable la condition rurale, il fallait redonner de l’honneur au métier de paysan, illégitimement raillé par le peuple incroyant des villes. Le militant jaciste dévoile son véritable visage, celui d’un résistant, membre d’une admirable et si pérenne civilisation rurale, et qui, pour ne pas succomber aux sirènes déchristianisantes, doit se former à devenir compétent dans sa profession. Parce qu’on respecte davantage les savants, le peuple catholique de la terre aura à s’extraire de cette image de ploucs glaiseux, inamicaux, des bourrus stupides aux accents qui amusent tant sur les grands boulevards. Beaucoup de témoignages rapportés au moment du cinquantième anniversaire de la JAC trahissent cette satisfaction d’être enfin sorti de conditions de vie inhumaines et humiliantes. Ainsi J. F., responsable national entre 1939 et 1945, se souvient que « les jeunes étaient abandonnés à eux-mêmes, en marge de l’évolution du pays, complexés, inquiets de leur avenir professionnel, habitués à l’obéissance partout, en famille, à l’école, à l’Église71… » Mais c’est H. B., militant de base en Maine-et-Loire entre 1933 et 1939 qui résume la bousculade comme l’ambiguïté des attentes : « On avait grand besoin d’éprouver de la fierté pour ce métier méconnu et généralement méprisé. La paysannerie était considérée comme un métier de ratés, d’attardés. On disait couramment à l’école d’un mauvais élève, d’un déficient mental ou d’un incapable : “Il en saura toujours assez pour faire un paysan.” Ce dernier ressentait un complexe d’infériorité. C’est vrai que l’agriculteur d’alors ne sortait guère de sa ferme, il avait peur du contact avec l’extérieur et par manque d’habitude ne savait pas s’exprimer, ce qui le faisait apparaître maladroit, ignorant, ce qui était souvent contraire à la réalité. […] Alors vous comprenez combien il était important que nous puissions prendre des responsabilités et que nous devenions compétents. Nous voulions devenir des valeurs pour une vie plus humaine, pour une vie de famille, pour des loisirs sains, des loisirs de culture, pour être ouverts aux autres. Nous voulions aussi comprendre la place du travail de la femme à la maison. Nous voulions un minimum de réussite, aussi72. »
43Faire respecter le travail paysan ne constituait toutefois qu’un but second, parce qu’il était nécessaire à la mission primordiale : demeurer « catholiques d’abord ». De fait, les exigences de justice posées par la doctrine sociale de l’Église, d’abord reçues avec enthousiasme, vont finalement venir alimenter des aigreurs, devenir des éléments de ralentissement de la vaste entreprise de remembrement d’une agriculture de plus en plus capitalistique. Les pontifes condamnent le libéralisme et proposent une philosophie sociale corporatiste. Cette dernière a pu servir, dans un premier temps, à dégager les campagnes du sous-développement73 mais au milieu des années 1960, les avertissements romains deviennent de vieilles lunes handicapant finalement l’enrichissement, le seul étalon de la respectabilité au sein du monde des Trente Glorieuses, comme l’anéantissement des canard boiteux de l’entreprenariat agricole. Suzanne Berger relève qu’« en entreprenant de rationaliser leurs opérations économiques, Landerneau et UNICOPA n’ont pu échapper à une distinction qu’elles avaient toujours refusé d’établir dans le passé : il leur fallut distinguer entre les opérations auxquelles s’attache une rentabilité réelle ou potentielle et celles qui, du point de vue économique, sont parfaitement irrationnelles mais aident une catégorie donnée de membres – les “cas sociaux” – ceux qui sont trop pauvres ou trop vieux ou trop dépourvus d’esprit d’entreprise pour adapter leur exploitation et leurs méthodes culturales à l’agriculture moderne. Aujourd’hui, ces organisations affirment que le vrai rôle des coopératives est économique et qu’elles devraient abandonner les cas sociaux pour se consacrer aux cultivateurs désireux et capables de devenir des producteurs rationnels74. »
Par les méthodes
44Mouvement d’action catholique spécialisée, la JAC use de la méthode dite du « voir-juger-agir ». Ce programme est susceptible de deux lectures opposées : une acception néo-thomiste contre une interprétation aux marges du situationnisme. D’un côté, et c’est l’ambition de l’Église intégraliste, la méthode entend établir un dialogue d’ordre maïeutique avec le monde. L’univers pécheur aura à être analysé, précisément étudié afin de proposer les remèdes évangéliques appropriés. Selon cette école, le message chrétien n’a sûrement pas à être reconsidéré, sa validité est certaine. Si la Bonne Nouvelle a quelque chose à recouvrer dans cet univers menaçant de la sécularisation, c’est seulement sa plausibilité. Les nouveaux croisés seront d’autant plus convaincants qu’ils sauront faire preuve de compétence, d’une connaissance détaillée des maux terrestres. D’un autre côté, la méthode peut donner lieu à une posture compréhensive pour le monde. Il s’agit cette fois de l’analyser sans se considérer détenteur d’une vérité fixée une fois pour toute. Le monde est toujours à étudier mais ici les réalités terrestres vont semer le doute, questionner les auteurs de l’enquête, les conduire à réviser leurs préjugés. C’est la réception moderne de « voir-juger-agir ».
45Il y a lieu de penser que ces deux idéaux-types vont se succéder et permettre précisément l’installation de la liberté de penser jusqu’au cœur de l’Église. Les années soixante correspondent ainsi aux temps où s’effectue la transition de l’intégralisme classiquement défini75 à ce que nous avons choisi de qualifier de libéralisme catholique. Ouest-France fait à plusieurs reprises état d’une telle ambivalence, par exemple en décrivant la tenue, à Lesneven, de trois semaines de stage à l’intention des jeunes militants catholiques du Nord-Finistère « désireux de ne pas sombrer dans une vie toute matérialisée ». L’un des participants avoue combien ces journées l’ont amené à se remettre en question grâce à la délibération : « J’ai découvert que j’étais trop dur pour les autres dans mes jugements, ne cherchant jamais à voir la complexité d’une question ou d’une situation, mais me contentant d’une opinion toute subjective que je cherchais par tous les moyens à faire admettre comme vraie par les autres76. » Un peu plus bas, la rédaction du quotidien démocrate-chrétien se fait un devoir de rappeler l’enthousiasme vigilant de Pie XII, un peu comme si le pontife répondait à la fougue du jeune témoin : « L’agriculteur doit acquérir la connaissance technique de sa profession en se laissant guider avec confiance par ceux qui reconnaissent dans l’agriculture une science et un art. »
46Il reste que le recours à l’examen des réalités concrètes amène à la découverte d’horizons jusqu’alors insoupçonnés. Comme en Mayenne où V. L., responsable de secteur JACF 1941-1945 avoue que « tout cela, on l’avait osé à partir de l’enquête sur le travail. La JAC nous avait éveillés à tous ces problèmes. Par l’enquête on s’était rendu compte que nous vivions comme nos grands-mères. Les enquêtes permettaient ainsi un changement de mentalité. Une fois convaincues du besoin de changement, on osait braver les traditions ainsi que la famille. Souvent on travaillait à contre-jour parce qu’on avait l’habitude de faire tel travail à telle place. On ne se posait pas de questions pour changer les habitudes77 ». Et voici qu’en Manche, un ancien responsable national se souvient que « le fait de vulgariser la méthode Ogino, ou telle autre, c’était tout de même un progrès. Car combien de femmes n’en venaient-elles pas souvent à dire : “Je dois mon dernier à la prédication d’un missionnaire de passage78 !” »
47Mais la révision de vie a vite montré ses limites : elle ne fournissait pas de causes généralistes aux phénomènes étudiés mais des solutions toutes-faites, adaptées peut-être à une situation isolée, mais plus inappropriées quand on pense le fonctionnement global d’une société développée. Les militants deviendront demandeurs de cadres théoriques pour la pensée. Ainsi « à partir de 69, on a vu des gens qui venaient aider les stagiaires à faire une analyse de la société, les intéresser à un certain nombre de concepts importants : mode de production, plus-value, lutte de classes, etc., le profit… Toutes ces choses-là étaient par la suite systématiquement vues au cours des stages. Devant cette initiation à la compréhension des mécanismes du système capitaliste à partir d’outils marxistes, la traditionnelle « doctrine sociale » de l’Église faisait pâle figure79 ». C’est la praxis révolutionnaire qui prend corps, comme l’explique F. L., militante de la très catholique Vendée : « La méthode voir, juger, agir, c’était dépassé. Ça ne permet que de voir. C’est toute la question de la conscience révolutionnaire… Mais je crois que le Mouvement a fait pas mal de choses avec cette méthode. Cela a permis d’éveiller des gens. Mais elle n’a pas donné les moyens d’analyse. Hier soir j’étais chez des amis paysans et tout le débat portait là-dessus. “Toi, disaient-ils, tu veux transformer la société, nous on veut l’aménager. Il y a des injustices, mais on ne voit pourquoi on transformerait la société elle-même.” Derrière cela, on voit que ces gens n’ont pas à leur disposition les outils d’analyse qui permettent de voir comment fonctionnent les mécanismes de la société. Le jour où tu découvres comment ça fonctionne, tu ne peux pas dire qu’on va l’aménager80. »
48Les militants ont-ils arraché des libertés à leurs guides, les aumôniers jacistes ? À suivre la sociohiostoire de la paroisse de Limerzel (Morbihan), telle que rapportée par Yves Lambert, on serait tenté de répondre par l’affirmative : « Les jeunes Limerzelais ont plus ou moins conquis le droit de s’habiller, de s’amuser, de travailler, de partir, comme ils l’entendent, un peu comme les fermiers ont relevé l’échine face aux “Maîtres”, ou les fidèles face au clergé81. » Une presse abondante au cours des années cinquante conduit à penser, qu’au contraire, le bas-clergé s’est fait le pédagogue des attitudes nouvelles, persuadé ce faisant d’œuvrer à l’expansion de la morale chrétienne. P. K., aumônier jaciste de 1932 à 1965 en donne un aperçu saisissant : « Conquérant ? Cela voulait dire : avoir le souci des autres ; ce qui ne signifiait pas : les amener à la messe. Assez vite cela a été bien établi. Le souci des autres, c’est s’enrichir soi-même pour pouvoir donner aux autres82. » L’épiscopat alla d’avertissements en avertissements, des monitions que les anciens de la JAC, décidément libres, persistent à ne pas admettre. M. G., permanent national entre 1962 et 1962, originaire des Deux-Sèvres laisse paraître une certaine amertume, ou la satisfaction peut-être d’avoir quitté l’Église à temps, en se rappelant « ces réunions, ces convocations plutôt, par la commission épiscopale du monde rural. Une fois, ce fut à Caen, une autre, à Lyon. Elle recevait en l’espace de 2 ou 3 trois heures les trois mouvements ruraux. Quand tu arrivais tu voyais une douzaine de vieux prélats en rouge qui se levaient. Après la prière, L. nous demandait “Avez-vous quelque chose à dire ?” On répondait “Non, puisque c’est vous qui nous avez convoqués !” Quand on y réfléchit tout ce rituel faisait comme si on passait devant un tribunal. Et de fait, c’est eux qui ouvraient le feu : on nous tirait à boulets rouges. C’était par exemple à l’occasion du stage sur la propriété. On trouvait qu’il avait une résonance doctrinalement peu sûre, en d’autres termes “marxistes” (et vraiment il l’était si peu). Après c’était sur la presse etc. Au bout d’une demi-heure, nous n’avions pas la possibilité de répondre, L. nous disait, après avoir tiré les conclusions de ce tour d’horizon accusateur : “On s’excuse mais nous avons encore tel et tel mouvement à voir.” On se levait, un autre Notre Père, et le tour était joué. En guise de conclusion. “Bon, il ne faudra pas recommencer.” C’est tout juste, s’il ne te reconduisait pas à la porte en te tenant l’oreille et en te disant : “Bon, vous êtes de bons garçons, quand même, foutez moi le camp83.” »
49Les vicaires se firent les véritables champions du dialogue avec le monde en particulier dans le diocèse de Quimper et Léon, tout comme ils en arrivèrent à relativiser sévèrement la classique distinction entre les clercs et les simples fidèles. La Semaine religieuse consacre à la JAC une série d’articles84, notamment en 1955 une vaste enquête répondant au titre suggestif de : « Qu’attendent les jeunes du prêtre aumônier d’Action Catholique ». Le chapeau introductif se veut rassurant et en plein dans la ligne intégraliste de Mgr Fauvel : « Les textes choisis concernent le rôle du prêtre aumônier d’Action catholique de jeunes. Leur résonance est cependant plus vaste : tous disent combien ils attendent compréhension, révélation du Message divin, conseils pour leur progrès spirituel, soutien de leur engagement chrétien. Réjouissons-nous de trouver de telles exigences85. » Sans doute l’abbé Levallois, aumônier régional de la JAC dans la région ouest et rédacteur de la recension, a-t-il péché par excès d’optimisme. Les propos qu’il rapporte témoignent avant tout de son aveuglement en face de ce qui se dessine comme une entreprise de destruction des certitudes cléricales, une enceinte efficace d’apprentissage de l’autonomie personnelle car « la meilleure école d’un aumônier sera le ou les militants qui le mettront en face des réalités. Il devra jouer, je dirais, au philosophe, demander ce qu’il sait pour en savoir davantage ; c’est une affaire qui flatte, qui satisfait le gars et peut l’amener à prendre des décisions sans que l’aumônier le lui demande ». « Je crois, confesse un jeune de la JAC, que le danger qui guette souvent les aumôniers, comme les responsables, c’est de vouloir trop faire soi-même de peur que ce ne soit pas aussi bien fait et aussi vite fait par les autres. Donc manque de confiance. » Un autre jaciste dissipe des conseils renversants : « Nulle part je n’ai rencontré d’aussi grandes précisions réalistes que chez René Colson. C’est pourquoi j’estime qu’il serait utile à tout aumônier de consulter ses directives. » Au rendez-vous de la conversion, ne se présentent pas ceux qu’on attendait… L’Ouest continuera-t-il donc toujours de creuser le Sillon86 d’enterrement de Veritatis splendor ?
Une philosophie de la situation
50Fermer cette deuxième partie requiert un intermède d’ordre méthodologique. Nous avons souhaité mettre en évidence l’installation au cœur même de l’Église d’une liberté de penser, « l’effet des logiques de l’individualisation et de la subjectivisation du croire87 ». Les sociologues du religieux ne cessent de mettre en évidence une pulvérisation de la réception des dogmes, une dérégulation institutionnelle du croire aux racines exogènes88 – la continuation du mouvement des Lumières – mais aussi endogènes – une pastorale du dialogue avec le monde –, sur lesquelles nous avons choisi de nous appesantir. Nous avons essayé de montrer comment des fidèles entendant interroger le monde, le mettre en face de ses erreurs, lui faire prendre conscience de ses atteintes peccamineuses à la vraie loi, se sont laissé en fin de compte interroger par un monde que bien vite ils hésiteront à dire absolument pécheur. On pourrait oser la formule audacieuse de situationnisme chrétien, une morale herméneutique, phénoménologique et délibérative. Derrière ce renversement se perpétue la lame de fond de la modernité libérale et pluraliste, elle atteint cette fois des citadelles réputées imprenables, des institutions censées dicter aux agents des normes catégoriques de comportement.
51Le spécialiste des religions ne peut plus aujourd’hui qu’user avec maladresse des ressources de la sociologie classique tant la subjectivité de l’acteur reprend de nos jours ses lettres de noblesse. « Dans un ensemble social qui ne peut plus être défini par son homogénéité culturelle et fonctionnelle, par ses conflits centraux et par des mouvements sociaux tout aussi centraux, les acteurs et les institutions ne sont plus réductibles à une logique unique, à un rôle et à une programmation culturelle des conduites89. » Comment alors leur adresser la loupe du savant ? Nous inviterons à user des ressources de la sociologie de l’expérience due à François Dubet : « La sociologie de l’expérience sociale vise à définir l’expérience comme une combinaison de logiques d’action, logiques qui lient l’acteur à chacune des dimensions d’un système. L’acteur est tenu d’articuler des logiques d’action différentes, et c’est la dynamique engendrée par cette activité qui constitue la subjectivité de l’acteur et sa réflexivité90. »
Refaire ruraux nos frères ou les querelles d’héritage
52D’un rameau paysanniste catholique intransigeant, la Jeunesse Agricole Catholique puis Chrétienne en est venue à se dégager du corset thomiste corporatif pour épouser au final les canons du libéralisme. Le libéralisme, à son tour, a mauvaise presse, en particulier sous son jour économique. Le nouveau siècle rassasié peut se permettre de renoncer aux idéologies, au règne souverain de la technoscience, à l’apologie d’une raison désincarnée et déracinante. Bref, d’aucuns déclarent la faillite de l’Occident, il ne resterait plus à l’homme blanc que le son du sanglot, celui qui résulterait de la recherche angoissée de la communauté évanouie. Au holisme dont les militants ruraux se sont dégagés sans vraiment de scrupule, succède un individualisme narcissique et psychomorphique qui fait craindre pour la vigueur du lien social. Faut-il préférer l’univers atomistique d’aujourd’hui au monde réglé du Tantad d’autrefois ? Cette question qui met l’humanisme et la démocratie en jeu est susceptible de trois réponses91 :
- la continuation du libéralisme économique, facteur de développement des campagnes,
- la critique des errements de l’économie de marché sans pour autant revenir sur les acquis du libéralisme philosophique,
- la condamnation de l’esprit de libre-examen, des atteintes à la loi naturelle sous le prétexte fallacieux du dialogue avec le monde, rendus responsables de la défiguration des campagnes.
53Quel courant l’emportera ? À suivre Luc Ferry, « il se pourrait bien, en effet, que la séparation de l’homme et de la nature par laquelle l’humanisme moderne fut conduit à attribuer au premier seul la qualité de personne morale et juridique n’ait été qu’une parenthèse, en train de se refermer92 ». Et le philosophe de confesser une angoisse en face du développement des courants dits de la deep-ecology, pensée de l’« après-humanisme », qui ne revient, en réalité, qu’à restaurer l’antique pensée cosmologique, sous prétexte de bien-être, d’épanouissement de la personne, d’authenticité. Toutefois, en bâtissant son état des lieux, Luc Ferry omet la pensée religieuse. Certes, en nos temps sécularisés, « la pureté retrouve ses droits », mais on persiste à se demander si « ces derniers ne sont plus fondés sur une croyance religieuse ou idéologique93 ». Ce sont précisément quelques-unes de ces tentatives intransigeantes et intégrales catholiques présentes – et sans lien historique ou sociologique avec les précédentes – que nous entendons mettre en lumière, étant entendu que seule une étude de grande ampleur les concernant pourrait esquisser des classements circonstanciés. Pour ce qui nous concerne, nous classerons la réflexion présente sur le devenir souhaitable des espaces ruraux en trois rameaux, enfants prodigues de l’intransigeance originelle.
L’héritage productiviste
54La JAC a soutenu la conversion de l’agriculture aux impératifs de la productivité et, ce faisant, elle aura tellement contribué à l’amélioration des conditions alimentaires dans une France aux terroirs alors si miséreux. C’est parce qu’aujourd’hui la société française se trouve « rassasiée94 », qu’elle peut se permettre de relativiser ce modèle de développement.
55Nous évoquerons la réussite socio-professionnelle d’un ancien responsable de la JAC : Alexis Gourvennec. Certains l’appellent le « paysan directeur général95 ». En 1961, A. Gourvennec apparaît de manière fracassante sur la scène publique, depuis Saint-Pol-de-Léon, la ville qui fut aussi celle d’Hervé Budes de Guébriant. À la fin des années cinquante, la production de choux-fleurs et d’artichauts progresse au point de provoquer une mévente cruciale en 1958. Celle-ci perdure jusqu’en 1961 date à laquelle elle atteint son paroxysme. À la tête de 5 000 agriculteurs, le 8 juin 1961, il prend d’assaut la sous-préfecture de Morlaix (Nord-Finistère), une opération commando largement inspirée par l’enquête JAC de 1954 sur les primeurs. Malgré de multiples manifestations de soutien dans toute la Bretagne, il est emprisonné. Les écrous se lèvent le 22 juin 1961. Forte tête et orateur hors pair, A. Gourvennec, à peine âgé de vingt ans, est déjà sur le devant de la scène : il ne la quittera plus et suivra toutes les mutations de l’agriculture bretonne. En Finistère, il symbolise la ligne ultra-libérale en matière économique et est souvent montré du doigt par des syndicats car il jette l’ostracisme sur les petits producteurs. Ne déclarait-il pas, en février 1976, à l’occasion d’un débat organisé au lycée agricole de Suscinio (Morlaix), que « nous devons faciliter l’installation de jeunes paysans courageux et de bon niveau technique, en abandonnant à leur sort les “minables” qui ne nous intéressent pas ». Boulimique d’activités et de responsabilités, cet ancien jaciste a contribué à la vocation animale de l’agriculture bretonne. Rétrospectivement, peut-on dire que la JAC ait une quelconque responsabilité dans les nuisances et pollutions observées en Bretagne aujourd’hui ?
56En Finistère, lorsque l’on compare la carte présentant les implantations de la JAC en 1951 et les cantons classés en Zone d’Excédents Structurels (ZES) en 2000, on n’est pas sans faire des rapprochements. Ainsi la plupart des zones de faible implantation de la JAC (Trégor finistérien, presqu’île de Crozon, Sud-Est du Finistère) ne sont pas classés en ZES.
57Quelles conclusions en tirer ? Coïncidence… ?
58Et surtout, quelles conséquences sur la perpétuation du sentiment religieux ? Quel rapport à la foi ces héros de la performance agro-alimentaire cultivent-ils ? Ont-ils abandonné la pratique ? L’ont-ils au contraire transmise ? S’en vantent-ils ? Quelle image ont-ils de l’Église ? Comment considèrent-ils les assauts portés à la barque de Pierre ? « Le bourgeois, écrivait Gilbert Mury, […] n’éprouve pas le besoin d’une religion communautaire parce que son salut est déjà fait en ce monde… à condition qu’il ne se laisse pas entraîner à d’imprudentes générosités. Ainsi la religion n’apparaît nécessaire que pour assurer l’éternité du salut. En conséquence, le bourgeois ne demanderait pas […] à la religion de transformer sa vie. La religion serait une clé pour l’au-delà… D’où il résulte que l’Église devra se contenter de dresser un code de permissions et de défenses, code aussi restreint que possible et qui ne devra surtout pas gêner l’homme arrivé dans sa réussite financière ou mondaine96. » Une hypothèse qu’une investigation ultérieure pourrait tenter d’éclairer.
L’héritage humaniste
59Cette philosophie concerne des militants ruraux bien accommodés à la modernité libérale et qui conservent intacts les leçons de la Genèse : la créature rejoint son créateur en soumettant la nature. L’homme demeure au centre de la création, cette position va correspondre à ce que Luc Ferry distingue comme la conception « anthropocentriste » de l’écologie97 : la nature demeure au service d’un Prométhée raisonnable qui use alors légitimement des artifices.
60Il se produit toutefois chez ces militants un éclatement du libéralisme : leur libéralisme culturel affiché se sépare du libéralisme économique, ces militants dénoncent, au nom de leur foi, les errements de l’économie marchande mondialisée, devenue une nouvelle idole, encore bien plus dangereuse sans doute que les clercs intransigeants d’autrefois.
61Selon la doctrine sociale de l’Église, le libéralisme fait un bloc et doit être dénoncé comme tel. Les militants de la JAC d’aujourd’hui, rebaptisée Mouvement Rural de la Jeunesse Chrétienne (MRJC) en 196198, ne condamnent nullement les droits de l’individu : ils revendiquent leur subjectivisme et sur ce point, ne se situent plus dans les cadres du catholicisme social intégraliste. En revanche, en matière économique, ils adoptent volontiers les accents jeanpauliniens lorsque le souverain pontife condamne ce capitalisme en mesure de structurer tous les aspects de l’existence. On a alors affaire à des personnalités fort originales : libérales quand il s’agit de décider de leur vie mais interventionnistes quand il s’agit de produire des biens. Les années soixante-dix et l’enthousiasme provoqué par le concile Vatican II ont fourni le cadre de maturation de cet esprit99 qu’il faut se résoudre à appeler moderne, celui qui porte les « élites militantes [à] formuler sans détour […] une transformation radicale des manières de penser, d’agir et de croire100 ». Du coup, le MRJC eut à plusieurs reprises maille à partir avec l’épiscopat français, le dernier accroc étant sans doute les réserves – et c’est peu dire – formulées par l’organisation au moment des Journées Mondiales de la Jeunesse à Paris. Mais dès la session nationale de Jambville en mars 1969, les administrateurs du mouvement faisaient voter une déclaration aigre : « Ce qui est spontanéité, créativité… ne trouve pas sa place dans le Mouvement ; on bloque le dynamisme des jeunes ; on les habitue à être dominés par les structures… Nous n’allons pas jusqu’à analyser comment les hommes sont ficelés, manipulés… Et dans l’action… s’il a un projet de promotion collective de l’homme, une conception de la société, il n’en tire pas toutes les conséquences au niveau de l’action, de l’expression et en cela n’est-il pas un peu à l’image de l’Église ? Institution qui, par crainte de créer des clivages, des oppositions profondes ne se compromet pas concrètement, ne pose pas des actes compromettants et au fond, s’aménage. » Trois ans après, à l’instigation de la région Bretagne, le comité national produit un texte aux marges d’une lutte des classes apprises du monde : « Le Mouvement se donne comme perspective de concourir à un changement radical des rapports entre les hommes pour la libération de tout l’homme et de tous les hommes. » L’épiscopat en sera réduit à suspendre ses subventions à une organisation par trop rebelle.
62Le MRJC rejoint toutefois l’épiscopat dans la dénonciation de l’idolâtrie des marchés101 et la réduction de la personne à un homo consommatus : la vie humaine tend à se mesurer à l’aune de la rentabilité ou la capacité à absorber des biens nouveaux, ce que les jeunes militants, au nom de la solidarité évangélique, ne sauraient admettre. L’homme ne se réduit pas à un producteur esseulé, enfermé dans son égoïsme petit-bourgeois, il a à réapprendre le lien communautaire, à redevenir auteur d’un tout qui le dépasse sans évidemment l’absorber et le diriger. Comme l’explique un responsable MRJC nord-finistérien : « Depuis trois ans maintenant, je milite pour essayer de faire vivre ou revivre par l’action, un milieu, un territoire qui est le rural. Il s’agit de rendre acteurs tous ces jeunes, demandeurs de responsabilité, d’une place dans la société. Le milieu rural a un avenir ; il évoluera avec son temps et se modernisera comme tous les territoires mais il doit conserver sa qualité première, à savoir cette convivialité rare entre les populations, à présent menacée102. » Le productivisme agricole est logiquement dénoncé parce que son service inconditionnel en arrive à renier la dignité de la personne, sans que jamais cependant le MRJC ne propose la restauration de la cité catholique.
63Que reste-t-il de l’intégralisme des origines ? Pas grand chose sinon sans doute une culture de la résistance : résistance au nihilisme, aux préjugés, à la pensée dominante et un goût : goût pour aller vers l’autre, débattre, s’engager au service de l’humanité, seule révélatrice de la Vérité. Un permanent léonard l’affirme en 2000 : « Le MRJC, c’est un lieu de réflexion sur le monde qui m’entoure, sur l’Église ; c’est un temps de pause pour partager avec d’autres sur mes doutes, mes convictions. » Nous avons proposé ailleurs d’appeler « subjectivisme de l’altérité » cette philosophie morale que certains se plairont à dire néo-réactionnaire, consciente des nécessités d’une délibération démocratique103 en pleine liberté de penser toujours, et c’est la leçon tocquevillienne, susceptible de succomber aux attraits de Narcisse intimiste104.
64Que reste-t-il de catholique au MRJC ? À peine le « C » du sigle est-il d’ailleurs expliqué aux arrivants105 ainsi qu’en témoigne un militant : « Dans une réunion, je n’annonce pas mon C sous peine de rejet de la part des jeunes. Nous sommes bien loin du temps de la JAC, d’une époque où nous trouvions “un militant qui confesse résolument et sans fard sa foi, qui devient compétent dans sa profession et qui apprend à la représenter et à la défendre”106 ». Les impressions peuvent en effet conduire à séparer radicalement le projet identitaire de la JAC et celui sécularisé du MRJC. À y regarder de près cependant, demeure presqu’inchangée l’idée que le progrès technique doit et peut demeurer au service de la promotion de l’homme désigné comme fidèle par la JAC et individu par le MRJC. Le courant qualifié de « technophobe » par Michel Lagrée n’y paraît pas bien représenté alors qu’au contraire, il semblerait devoir caractériser ces hérauts de la ruralité que nous qualifions d’héritiers de l’intégralisme intransigeant, mais sûrement pas issus du personnel de la JAC d’autrefois.
L’héritage intégraliste
65En Bretagne, la restauration de la cité catholique prendra un accent local, elle se concrétisera lorsque la langue bretonne en aura enfin fini avec son déclin. Puisqu’en Bretagne ar brezoneg hag ar feiz a zo breur ha c’hoar e breiz107, l’expansion du message évangélique ira de pair avec, non une philosophie du progrès comme à la JAC, mais au contraire avec la mémoire du glorieux passé d’un peuple fidèle au Christ, avec l’évocation de paysages108 parfaites images de la beauté de la Création. L’option autonomiste et nostalgique n’est qu’accessoire cependant, elle sert avant tout la cause de la morale catholique. Parce que Feiz da genta, nous rangerons les catholiques du Mouvement breton contemporain dans les suites de ce qu’Yvon Tranvouez appelle « le deuxième cercle » du catholicisme breton109, une nébuleuse que toutefois nous hésiterons à qualifier de « nationaliste » tant le mot ne se comprend que dans les schèmes de la modernité110. On les appellera plus volontiers « provincialistes » qui, lorsqu’ils useront du mot de « nation », le feront en référence au sens traditionnel de la « nation-génie » rafraîchie par le courant romantique111 et les déceptions nées du tarissement du sacre de la raison, son cortège d’idéologies décevantes, sinon sanglantes. Nous aurons ici affaire à la réactivation de la philosophie traditionnellement intransigeante de l’Église, une pensée restauratrice et non-constructiviste au contraire d’autres pans de l’Emsav112.
66Les militants dont nous allons maintenant parler n’ont en général pas fait leurs armes dans l’action catholique type JAC ou MRJC. Et pour cause, ils en appellent au retour à une culture archéo-rurale exempte du pouvoir prométhéen, dont l’agent finalement ne se situerait qu’à une place déterminée une fois pour toute dans le tout hiérarchisé du cosmos. On qualifiera ces hérauts de « militants de la ruralité », justifiant leur combat à force d’arguments d’ordre émotionnel, spirituel. L’environnement est à respecter non pas tellement au nom du devenir de l’individu artisan de son destin, qu’en raison d’une fidélité d’ordre religieuse : l’écosystème n’est rien que l’autre appellation de la création, un univers symbolique où l’homme doit pouvoir se situer, s’enraciner, rejoindre une ancestrale et véritable lignée croyante.
Bleun-Brug Feiz ha Breiz : penser la tradition
67Au moment où le MRJC prenait son virage à gauche, depuis le couvent des Augustines de Morlaix, le chanoine François Mévellec (1901-1995), ardent défenseur de la cause bretonne, admirateur du maréchal Pétain et de Yan Vari Perrot, le recteur de Scrignac fondateur du Bleun-Brug113, assassiné en 1943, appelle au renouveau identitaire de l’Église catholique : plus que jamais la foi a à être publiquement confessée, ressourcée à la tradition. L’opération restitutionniste s’appuiera sur la remémoration des racines chrétiennes de la Bretagne, nouvelle illustration des capacités étonnantes de l’intransigeance à se métamorphoser. L’idiome régional, si révélateur d’une mentalité terrienne, constituera le vecteur naturel du retour à la dévotion au Christ, comme à l’exercice des vertus chrétiennes. Le français est la langue de la raison déracinante, il n’a pas cette prise directe avec la vie simple tant « nous nous desséchons à force de raisonner et de ne plus adorer114 ». Chouan à la manière d’un Georges Cadoudal que sa revue entend réhabiliter, le chanoine se veut un défenseur de la langue bretonne comme de l’autonomie de la province, se référant à longueur de colonne au très discuté Yann Fouéré115. Mais surtout, l’abbé Mévellec contribua avec Vincent Favé à l’enracinement de la JAC en Finistère avant de diriger dépité, au début des années soixante-dix, l’association du Bleun-Brug Feiz ha Breiz, issue d’une scission d’avec le Bleun-Brug. Jamais il ne s’écartera de le ligne paysanniste des origines. Il est, semble-t-il, demeuré isolé dans ce combat. En tout cas il n’a nullement mobilisé des militants jacistes qui avaient une dignité d’hommes libres à épouser.
68Le Bleun-Brug Feiz ha Breiz entendait retrouver les inspirations catholiques traditionnelles de feu l’abbé Perrot et accusait sa consœur de dérive sécularisante et rationaliste. Un survol rapide de la revue du mouvement suffit à en apprécier le ton évidemment intransigeant et critique à l’égard des audaces apostoliques de ces « trente glorieuses de l’Église de France » (Y.-M. Hilaire). Le chanoine Mévellec est par ailleurs l’auteur en deux tomes du Combat du paysan breton à travers les siècles, publiés à compte d’auteur en 1973-1974. La paysannerie atteint son apogée grâce au maréchal Pétain, à la corporation paysanne si scolastiquement administrée par l’un des plus beaux représentants de la noblesse bretonne, le comte Hervé Budes de Guébriant116, avant l’incompréhensible dégradation, préparée dès les félons abbés mancellistes117, théoriciens d’une incompréhensible lutte des classes, parachevée par les irresponsables « technocrates et les théoriciens du Progrès118 ».
69François Mévellec relève l’égarement auquel la lecture de Vatican II a donné lieu. Le projet du concile de s’ouvrir au monde n’est pas mauvais en soi, à condition de le cantonner à un strict contrôle par la hiérarchie et de ne pas laisser penser que ce monde où en l’état « nous mourrons de subjectivisme et de relativisme119 » puisse enseigner quelque chose à l’Église. Le prêtre bretonnant répète les mots de Paul VI : « La Vérité demeure, mais elle a besoin d’être divulguée, traduite, formulée d’une façon correspondant à la capacité de compréhension de ceux qui se mettent à son école et qui sont d’âges, de cultures et de civilisations différents. La religion admet donc un perfectionnement, un développement, un approfondissement ; elle admet une science tendant constamment à la faire mieux comprendre, à lui donner une formation plus heureuse. Faut-il donc parler de pluralisme ? Oui ! d’un pluralisme qui tienne compte des recommandations du Concile et qui porte non pas sur le contenu des vérités de la foi, mais sur la façon dont elles sont énoncées, comme l’a affirmé avec tant de force et de clarté notre vénéré prédécesseur, le pape Jean XXIII120. »
70L’abbé Mévellec continue la lignée intégraliste et non intégriste : jamais il n’a rompu avec le successeur de Pierre. Il voit au contraire dans la théologie de Jean-Paul II une solennelle justification à son combat, notamment lorsque l’évêque de Rome évoque la nécessaire remémoration des cultures traditionnelles121. L’aumônier des Augustines se tient également dans la droite ligne de la doctrine sociale de l’Église lorsqu’il appelle à la « collaboration des classes », répétant à l’envi ce toast percutant du comte de Vogüé au premier congrès de l’Office central de Landerneau (1912) : « Si dans le cadre de cette collaboration, les paysans savent joindre la simplicité au dévouement, ils agrandiront encore le trou de l’aiguille par lequel les riches doivent passer pour aller en Paradis122. » L’abbé Mévellec ponctue son histoire de la paysannerie bretonne par des appels récurrents au désengagement de l’État et de son droit uniformisateur, au profit de rapports paternalistes. Ainsi à propos d’un dirigeant de l’Office central, il s’émerveille parce ce dernier « continuera à traiter [ses fermiers] avec une simplicité patriarcale et affectueuse qui le dispensait d’user à leur égard de contrat écrit là où l’échange verbal et la reconduction tacite suffisaient entre bretons123 ».
71Mais la question qui tourmente le chanoine Mévellec est bel et bien celle du nationalisme, une philosophie qui fait écho au moment révolutionnaire, celui-là même qui détruit la chrétienté au profit de la violence échevelée d’individus de nulle part. Traçant la généalogie de la noblesse bretonne, le chanoine en arrive à discuter la date de l’unification de la Bretagne à la France. Ce n’est pas tellement 1532 que 1789, la réunion des États Généraux, qui dissipe la traditionnelle interprétation provinciale d’Ancien régime au profit d’un jacobinisme individualiste, centralisateur et donc meurtrier : « Les Bretons, appelés depuis la première République à contribuer, par leur sang, leur travail et leurs impôts, à la défense et à la prospérité d’un ordre nouveau qui est celui d’une communauté nationale où ils ne retrouvent plus la place et les droits laissés à leurs pères par un arrangement historique à l’amiable, ne sont pas des rebelles, quand ils contestent d’une manière ou d’une autre la mainmise sur leur pays, ses biens et ses gens par un pouvoir central unitariste, contrairement aux règles élémentaires du droit public international124. »
Le centre spirituel bretonnant de Minihi Levenez :
parler la tradition
72Depuis près d’une vingtaine d’années, les hauteurs de Landerneau (Nord-Finistère) servent de cadre à une réflexion chrétienne autour de l’universalisme. En 1984, Mgr Guillon, évêque de Quimper et Léon, autorisait l’ouverture en Tréflévénez d’un centre spirituel bretonnant dit du Minihi Levenez, regroupant une petite communauté autour de l’abbé Job an Irien, vulgarisateur infatigable de la christianisation des racines celtiques de la culture bretonne et surtout, chroniqueur dans le Courrier du Léon et le Progrès de Cornouaille. Ce sont précisément ces textes hebdomadaires que nous entendons relire125.
73L’abbé Irien, par ailleurs aumônier des écoles Diwan, se place dans la pleine orthodoxie catholique du mouvement breton, réprouvant les velléités druidiques ou surnaturelles. À propos de la troménie de Locronan, disputée par les fidèles de l’Église et le Gorsedd, Job an Irien prend clairement position en faveur de l’identité catholique du pèlerinage, expliquant que « si les druides sont venus dimanche en robes blanches et bleues célébrer une troménie païenne, c’est qu’ils sont en train d’inventer là un nouveau rite païen, né de leur imagination. Ils en ont le droit bien-sûr, mais je ne trouve pas décent qu’ils soient venus nous faire la leçon le premier jour de la troménie126 ! » Et un peu plus tard, il ajoute : « Tout cela, c’est oublier que la troménie n’existe aujourd’hui que parce qu’elle a été arrangée, sanctifiée et gardée vivante par l’Église comme pèlerinage de foi127. »
74En revanche, le prêtre bretonnant s’accorde avec la modernité d’une foi tout intérieure, nourrie de prière et d’adoration, la seule qui puisse refaire résonner les fibres bretonnes qu’une pratique intellectualisante à mis sous le boisseau. « Nous savons aujourd’hui que si Dieu ne parle pas au cœur, il ne parle pas. Les musiques du pays et la langue du pays peuvent être le chemin du cœur. C’est de là peut-être que vient la joie que l’on peut lire sur la face des gens après une messe en breton ou bilingue128. » Et puis, de toute manière, le pouvoir de la prière se trouve décuplé dans l’idiome local : « Qui dira la profondeur de la prière, quand on se retrouve ainsi avec des frères et des sœurs, si heureux de louer Dieu ensemble et de remettre entre ses mains les difficultés de la vie quotidienne. On entend ainsi la force de la prière jusque dans le silence le plus grand. Et ce miracle nous vient grâce au breton129. »
75La langue bretonne aura le mérite de renouer le fil des générations, coupé par le subjectivisme moderne et son cortège de maux. La scène suivante émeut notre auteur : « Le grand-père pleurait à chaudes larmes en chantant du fond du cœur Da feiz an Tadou Koz. Les couplets étaient nouveaux, mais le refrain était celui de sa jeunesse, et la trop grande joie faisait couler les larmes de ses yeux. Son petit-fils, un jeune homme déjà, venait de recevoir le sacrement de confirmation des mains de l’évêque, et en breton qui plus est ! Le jeune homme lui-même avait les larmes aux yeux : le lien était noué entre une jeunesse et une autre130. » Mais qu’est-ce qui avait dénoué ce lien ? La modernité a accouché des droits du sujet, directement responsables des atteintes présentes à la loi naturelle. Ainsi « du côté de la croix, se trouvent toutes les réalités cruelles que nous avons entendues ces temps-ci, depuis le droit de donner la mort douce aux Pays-Bas jusqu’à l’autorisation dans notre pays d’utiliser l’embryon humain pour des travaux scientifiques, sans parler du jeune garçon handicapé qui a été indemnisé pour être né. Où est là le respect pour la vie, cette merveille qui nous a été donnée gratuitement ? Et ne sommes-nous pas sur le chemin de l’enfant parfait avec l’autorisation d’avorter jusqu’à douze semaines ? Que fait-on dans notre pays pour la vie131 ? » Dans un texte surprenant, l’abbé Irien présente le traditionnel pays breton succombant à l’envahisseur moderne car « de nouvelles maladies se sont abattues sur lui : on les appelle chômage, émigration, déchristianisation, divorce, drogue et sida132 ».
76Du registre des maux modernes, il faut extraire le nationalisme et le condamner. La Bretagne, selon l’abbé Irien, n’a pas à être inventée mais bel et bien restaurée. En ce sens, il s’isole dans la mosaïque du mouvement breton, distinguant le projet de restauration catholique des ambitions politiques déplacées du breton-nouveau. Job an Irien ne cesse de barrer la route aux courants nationalistes qui, selon lui, ont mis l’Europe à feu et à sang, en particulier dans les Balkans, comme il regrette la dispute autour de la mémoire de Yann-Vari Perrot. Selon l’administrateur du Minihi, Perrot demeure avant tout un enfant de l’Église, un missionnaire, un homme de paix même si « sa mémoire fut salie peu après par ceux qui accolèrent son nom à leur rêve insensé133 ». Le nationalisme est ce monstre moderne qui, comme l’avait avant lui souligné l’abbé Barruel, détruit les communautés fraternelles d’autrefois, soudées autour du Christ. Renoncer à Jésus, c’est se promettre la haine : « Parmi les mauvaises tendances d’aujourd’hui chez nous, nous trouvons chez certains un nationalisme étroit, fermé sur lui-même, et chez d’autres, ou parfois les mêmes, une façon de voir la religion des celtes comme une religion pure, qui a été salie bien sûr et persécutée par l’Église134. »
77L’agriculture et la beauté des paysages ont en particulier à pâtir du nouveau Prométhée, cet homme qui se croit tout permis, au point d’attenter aux droits du créateur, et finalement ruiner les liens communautaires : « Dans nos pays, la farine animale a fait son mal et nourri une maladie qui n’est pas prête, hélas, à être déracinée. Mais cette maladie-là n’est qu’un signe de la pollution que nous avons semée dans la terre, dans l’eau et dans l’air, un signe d’une maîtrise aveugle des richesses de la nature, un signe du pouvoir terrible et mortel de Mammon dénoncé par Jésus dans l’Évangile135. » Une réflexion analyse en particulier le rôle de la JAC dans cet arraisonnement de la nature : le mouvement missionnaire avait de bons objectifs, mais intervenait bien trop tard, au cœur d’une civilisation déracinée et donc sécularisée : « S’il y eut échec, et il semble bien qu’il y en ait un, du moins dans la fréquentation de l’église et, sans doute aussi, au plan de la foi, ce n’est pas de la faute de la JAC, mais plutôt par manque de JAC. L’appel à approfondir la foi, l’appel à accrocher sa vie à celle de Jésus-Christ n’a pas été autant entendu que l’appel à changer de façon de vivre et de travailler. […] Si j’ai osé dire qu’à mon avis la place de la vie spirituelle, par exemple celle de la prière, était trop petite, c’est parce que j’ai ressenti qu’il manquait non la proposition, mais la profondeur de la réponse, et ceci une fois encore n’est pas imputable à la JAC des années cinquante et soixante. Ce sont les racines qui manquaient, car la nouvelle civilisation qui s’étendait sur le pays ne donnait la première place ni à la vie spirituelle, ni à la prière, et l’ancienne était à oublier, trop vieille et trop étroite pour un monde nouveau136. »
78Le remembrement agricole a défiguré les campagnes car « combien de fermes supplémentaires seraient encore bien vivantes aujourd’hui si l’on avait pas autorisé d’élevage de plus de 500 porcs dans chaque ferme137 ? » La campagne est à figer en tant qu’œuvre de la création, ses produits sont comme sanctifiés. Job an Irien rejoint paradoxalement la deep-ecology en affirmant : « Je ne sais pas si l’on met aujourd’hui encore des brins de buis dans les porcheries. Ce serait peut-être inconvenant, surtout quand celles-ci sont énormes, et puisque les cochons ne sont plus les amis de l’homme : un brin de buis dans une crèche signifie aussi le respect pour les animaux, de même qu’il signifie le respect pour la terre quand il est planté dans un champ138. » Les suites politiques d’une telle thèse paraissent évidemment se situer du côté de la conservation sociale et de la résistance à l’esprit des Lumières, du côté du message corporatif, intransigeant et réactionnaire du Barzaz Breiz139, alors même que l’abbé Irien ne cache pas ses préférences pour la gauche de l’échiquier politique, ni sa foi en Vatican II.
79Mais c’est la question de l’universalisme qui paraît faire hésiter l’abbé Irien, écartelé entre son appétence pour le particularisme breton et la tradition paulinienne. À ce titre, l’animateur du Minihi déplore souvent l’enfermement sur soi, l’égoïsme des cultures, préférant proposer une langue bretonne ouverte aux influences extérieures, au français en particulier. À propos de la manière souhaitable de saluer, Job an Irien avoue ne pas voir « pourquoi on n’emploierait pas aussi bien bonjour deoc’h, car cette façon de saluer quelqu’un vient directement du français, et notre langue a employé souvent des mots qui viennent du français pour ce qui provenait de cette culture. Ce ne serait pas un péché contre le breton pur, puisque la chanson dit Bonjour bonn’ femm, roit ho merc’h din (bonjour bonne femme, donnez-moi votre fille). Mais on dira que je ne sais pas défendre le breton contre le français140… ».
80Toutefois, cette ouverture cohabite avec des propos de teneur cette fois ethniciste, insistant sur la différence bretonne. Beaucoup de sociologues, d’historiens141 reconnaîtront aisément qu’en effet les Bretons cultivent « une manière particulière de voir le monde et la nature, des relations sans pareil avec sainte Anne et la Vierge Marie, le sentiment profondément ancré en nous que Dieu est tout proche de nous, les relations avec nos défunts et les saints, notre manière de regarder Jésus sur la croix et ressuscité142 ». Iraient-ils en revanche jusqu’à se réjouir d’un témoignage de cette teneur : « Il nous avait invité à déjeuner et avait parlé de la beauté de son pays, des collines, de l’agriculture et surtout de l’église paroissiale. Une lumière chaude brillait dans ses yeux quand il nous expliquait l’histoire de la région. Sur le pas de sa porte, quand nous lui disions au revoir, il nous déclara, le visage assombri : “Hélas, la race est en train de disparaître ! Jusqu’à présent, nos jeunes gars allaient chercher une fille dans les paroisses alentours, et nous continuions d’être des bretons. Mais maintenant, nos jeunes filles préfèrent se marier avec des gars de la ville. Bientôt, il n’y aura plus de bretons dans le pays143.” » Tout comme on peut se demander si le sens évangélique du prochain se trouve honoré lorsque l’un de ses serviteurs conseille, au moment de formuler les vœux de nouvelle année, de « commencer par nos plus proches, là où nous sommes144 » avant de dénoncer le colombarium, « une manière de faire des pays du sud qui n’a rien à voir avec notre civilisation145 ». Les kiwis aussi relèvent du parti de l’étranger et l’abbé Irien de se surprendre à rêver d’une campagne à nouveau authentique : « Voir, en Ille-et-Vilaine et en Morbihan, les pêches, les poires et les pommes mûrir joliment sous les rayons du soleil m’a donné l’occasion de penser que notre département pourrait, après les destructions des quarante dernières années, redevenir un pays de fruits. Il suffit de voir comment poussent les kiwis chez nous pour savoir que les fruits du pays y pousseraient encore mieux146. »
81Universalité de la Bonne Nouvelle, particularité de l’éternelle Bretagne… La porte est décidément étroite.
82Les campagnes bretonnes furent décisivement marquées par les ramifications catholiques intransigeantes de l’Office central de Landerneau. L’intransigeance des origines, celle qui mobilisait avant la Seconde Guerre mondiale la quasi-totalité des militants, a implosé en trois chapelles désormais bien distinctes, tandis que l’orientation intégraliste se réfugiait dans l’une seulement : les défenseurs d’une Bretagne catholique parce que bretonnante ou… bretonnante parce que catholique. Même si ce courant n’est pas de nature à mobiliser un nombre vraiment considérable de militants, il demeure révélateur d’une entreprise présente de bien plus grande ampleur : la patrimonialisation des espaces ruraux, devenus les garants d’une identité collective en voie de délitement, un lieu de mémoire qui nous dit qui nous sommes en nous présentant ce que nous ne sommes plus147.
83Une fois encore, du vin nouveau est passé par de vieilles outres, ce gwinn ru148 qui, dit-on en Bretagne, fait rejoindre le monde ou au contraire met en sommeil du monde. Puisse alors gwinn ru se partager à la terrasse du « café des droits de l’homme149 » !
Notes de bas de page
1 Cité dans Pierre Manent, Histoire intellectuelle du libéralisme, Paris, Hachette, 1997, p. 193.
2 Émile Poulat, « L’Église romaine, le savoir et le pouvoir. Une philosophie à la mesure d’une politique », Archives des sciences sociales des religions, n° 37, 1974, p. 6.
3 Gilbert Mury, Essor ou déclin du catholicisme français ?, Paris, Éditions sociales, 1960, p. 27.
4 Une typologie plus raffinée chez Jean-Marie Donégani, La Liberté de choisir, Paris, PFNSP, 1993.
5 Gilbert Mury, op. cit., p. 214.
6 Léon L’Hour, Monseigneur Favé. Un siècle de vie bretonne, Bannalec, Imprimerie régionale, 2002, p. 50.
7 Cf. Émile Morin, Confession d’un prêtre du xxe siècle, Paris, Flammarion, 1991. Cf. aussi la contribution d’Yvon Tranvouez à ce colloque.
8 Marcel Gauchet, Le Désenchantement du monde, Paris, Gallimard, 1985.
9 Cf. René Rémond (dir.), Les grandes inventions du christianisme, Paris, Bayard, 1999.
10 Cf. Émile Poulat, Église contre bourgeoisie. Introduction au devenir du catholicisme actuel, Paris/Tournai, Casterman, 1977.
11 Umberto Ecco, Le Nom de la rose, Paris, Grasset, 1982.
12 Chanoine Boulard, Premiers itinéraires en sociologie religieuse, Paris, Éditions ouvrières, 1954.
13 Même si s’agissant de l’Ouest, la JAC interviendra sur un terreau encore chrétien, en plus des précisions de la note 37.
14 Sur l’histoire de la JAC, on consultera utilement Jean Concq et alii, JAC/MRJC. Origines et mutations, Lyon, Chronique sociale, 1996.
15 Sur cette modalité de l’engagement, on se reportera à Jacques Ion, La Fin des militants ?, Paris, Éditions de l’Atelier, 1997.
16 Gilbert Mury, op. cit., p. 61.
17 Fernand Boulard, Problèmes missionnaires de la France rurale, Paris, Cerf, 1945, p. 21.
18 Cf. Régis Debray, Dieu, un itinéraire, Paris, Odile Jacob, 2001.
19 Gilles Ferry, Lettre à un ami sur Jeunesse de l’Église, Paris, Seuil, 1950, p. 145-146.
20 Philippe Portier fait pertinemment remarquer que les actuels « catholiques d’affirmation » se posent « en rupture avec la théologie « métaphorisante » des années post-conciliaires, ils n’hésitent pas à rapporter la décadence du temps à l’œuvre même du Malin » (Philippe Portier, « Le mouvement catholique en France au xxe siècle », Jean Baudouin et Philippe Portier (dir.), Le Mouvement catholique français à l’épreuve de la pluralité. Enquête autour d’une militance éclatée, Rennes, PUR, 2002, p. 43).
21 Gilbert Mury, op. cit., p. 86.
22 À suivre Lucien Jaume, le comte de Montalembert signerait en 1863 ce passage du catholicisme libéral au libéralisme catholique, fidèle à une conception moderne des droits de l’homme en admettant que la Vérité naît de la confrontation des opinions : « Demander la liberté pour soi, en déclarant qu’on s’en servira pour la refuser aux autres, c’est perdre d’avance sa cause et la perdre en la déshonorant » (lettre de Montalembert au cardinal Antonelli citée par Lucien Jaume, L’Individu effacé ou les paradoxes du libéralisme français, Paris, Fayard, 1997, p. 230).
23 Émile Poulat, « Permanence et actualité du modernisme », introduction à Histoire, dogme et critique dans la crise moderniste, Paris, Albin-Michel, 1996.
24 Émile Poulat, « L’Église romaine, le savoir et le pouvoir. Une philosophie à la mesure d’une politique », Archives des sciences sociales des religions, n° 37, 1974, p. 12. Voir aussi Émile Poulat, « Métamorphoses du catholicisme intransigeant », Masses ouvrières, juillet-août 1983.
25 Cf. les enquêtes régulières d’Yves Lambert et Pierre Bréchon.
26 Étienne Fouilloux, « Intransigeance catholique et “monde moderne” (xixe-xxe siècles) », Revue d’histoire ecclésiastique, janvier-juin 2001.
27 Étienne Fouilloux, ibid., p. 77.
28 Étienne Fouilloux, « Du catholicisme selon Emile Poulat », Valentine Zuber (dir.), Un objet de science, le catholicisme, Paris, Bayard, 2001, p. 251.
29 Renaud Dulong, « Crise de l’Église et crise de l’État », Économie et humanisme, n° 244, décembre 1978.
30 Cf. la présente contribution d’Arnaud Ferron.
31 Umberto Ecco, Le Nom de la rose, Paris, Grasset, 1982, p. 91.
32 Pierre Manent, op. cit., p. 196. Ramenons encore sur ce point aux travaux d’Arnaud Ferron.
33 Yvon Tranvouez, Catholiques d’abord, Paris, Les Éditions ouvrières, 1988.
34 Cf. Pierre Thibault, Savoir et pouvoir. Philosophie thomiste et politique cléricale au xixe siècle, Québec, Les Presses de l’Université de Laval, 1972.
35 Les évêchés de Léon et de Quimper furent les meilleurs producteurs bretons de clergé constitutionnel (cf. René Kerviler, La Bretagne pendant la Révolution, Rennes, Simon, 1912).
36 Emmanuel Le Roy Ladurie, préface à Suzanne Berger, Les Paysans contre la politique, Paris, Seuil, 1975, p. 10.
37 La déchristianisation en Bretagne prendrait plutôt l’allure d’une sécularisation, car ce n’est pas tant l’abandon de la pratique religieuse que l’aristocratie terrienne craint que les conséquences de l’intensificatio et de l’extension des surfaces agricoles qui caractérisent la région depuis le milieu du xixe siècle. Les campagnes bretonnes connaissent une relative prospérité et se dégage une paysannerie aisée, acheteuse de terres et qui, si les hobereaux traditionnels n’y prennent garde, serait susceptible de rejoindre les rangs républicains modérés et libéraux. Le Léon en particulier se souvient des Juloded, ces paysans enrichis et « indépendantistes » sur le plan religieux (cf. Louis Élégoët, Les Juloded. Grandeur et décadence d’une caste paysanne en Basse-Bretagne, Rennes, PUR, 1996). La déchristianisation serait, en Bretagne, synonyme de rupture de l’ordre social naturel.
38 Un « Monsieur ».
39 Le comte de Guébriant sera inquiété à la Libération, mais l’Office central fournira également des héros à la Résistance, Hervé Creff par exemple.
40 Emmanuel Le Roy Ladurie, préface à Suzanne Berger, op. cit., p. 13.
41 Sur les suites finalement contre productives de cette mentalité républicaine et, au contraire, les bénéfices que dans la seconde moitié du xxe siècle, les jeunes catholiques sauront retirer des antécédents associationnistes, on se reportera à Edgar Morin, La Métamorphose de Plozévet, commune en France, Paris, Fayard, 1967.
42 Cf. F. Leprieur, Jean Concq et alii, JAC/MRJC. Origines et mutations, op. cit., p. 34.
43 J. Vialatoux, conférence aux Semaines sociales de Rennes, 1924.
44 Cf. David Bensoussan, Les Droites en Bretagne dans l’entre deux-guerres. Tensions et déchirements dans un monde catholique rural, IEP de Paris, octobre 2002.
45 Bertrand Hervieu et Jean Viard, L’Archipel paysan. La fin de la république agricole, Paris, éditions de l’aube, 2001, p. 43. Edgar Morin éclaire cette politique radicale menée à Plozévet autour de Lucien Le Bail : « Le baillisme a fait office de réforme agraire. » Mais surtout, le sociologue met la lumière sur le désarroi de la frange rouge de la commune devant l’épuisement de ce modèle individualiste et, au contraire, l’enthousiasme des Blancs (Edgar Morin, La Métamorphose de Plozévet, commune en France, Paris, Fayard, 1967).
46 Sur cette riche histoire, cf. Francis Corvaisier, Les Abbés démocrates, Rennes, Apogée, 2003.
47 François Mévellec, Le Combat du paysan breton à son apogée, Rennes, Les Nouvelles, 1974, p. 101.
48 Cf. Vincent Rogard, Les Catholiques et la question sociale. Morlaix 1840-1914, l’avènement des militants, Rennes, PUR, 1997.
49 Marc Sangnier au congrès sillonniste de Quimper, 1906.
50 Diocèse de Quimper et Léon, plaquette commémorative, XXVe anniversaire de la JAC-JACF, 1954.
51 Cf. par analogie Edward P. Thompson, La Formation de la classe ouvrière anglaise, Paris, Gallimard, 1988.
52 Collectif, JAC/F-MRJC. 1929-1979, 50 ans de notre mémoire, Paris, Gamma, 1980.
53 Ibid.
54 Yvon Tranvouez, « Chevaux chrétiens qui m’écoutez ! », Bretagne magazine, été 2002.
55 Michel Lagrée, La Bénédiction de Prométhée, Paris, Fayard, 1999.
56 Collectif, JAC/F-MRJC. 1929-1979, 50 ans de notre mémoire, op. cit.
57 Ibid.
58 Ibid.
59 Gabriel de Poulpiquet, Ma Vérité, Quimper, Alain Bargain, 1997.
60 André Siegfried, Tableau politique de la France de l’Ouest sous la Troisième République, Paris, Armand-Colin, 1913.
61 Jean Renard, « Vote, pratique religieuse et école dans l’Ouest de la France », « L’Ouest politique, 75 ans après Siegfried », Géographie sociale, n° 6, 1987.
62 Jean Renard, « L’Ouest 75 ans après le Tableau politique », « L’Ouest politique, 75 ans après Siegfried », Géographie sociale, n° 6, 1987.
63 Jean Renard, « Vote, pratique religieuse et école dans l’Ouest de la France », « L’Ouest politique, 75 ans après Siegfried », Géographie sociale, n° 6, 1987.
64 Georges Macé, « L’Ouest politique d’hier à aujourd’hui », « L’Ouest politique, 75 ans après Siegfried », Géographie sociale, n° 6, 1987.
65 Paul Houée, « quelle Église demain en Bretagne ? », Bretagne Aujourd’hui – Les cahiers du Bleun-Brug, n° 18, 3e trimestre 1975, p. 16.
66 Cf. Jean-Jacques Monnier, Le Comportement politique des Bretons, PUR, 1994.
67 François Furet, Jacques Julliard, Pierre Rosanvallon, La République du Centre, Paris, Calmann-Lévy, 1988.
68 Expression d’un dirigeant de l’Office central de Landerneau dans les années soixante.
69 Suzanne Berger, op. cit., p. 243.
70 L’ambition autarcique est si vraie que la JAC s’investira peu dans l’aviculture qui réclamait « une modernisation des exploitations qui à la fois les coupe des ressources végétales et des fournitures de la ferme et les rend directement dépendantes d’un pôle de décision extérieur » (Corentin Canevet, Le Modèle agricole breton, Rennes, PUR, 1992, p. 126-127).
71 Ibid., p. 40.
72 Ibid., p. 39. C’est nous qui soulignons.
73 On pense en particulier au Léon finistérien au sujet duquel Corentin Canevet note un renversement en terme de développement agricole. Parti d’une situation de sous-développement comparé au prospère Finistère-sud, le Léon rattrape, notamment grâce à la JAC, son retard économique pour finalement écraser une Cornouaille demeurée enchâssée dans des structures archaïques : « La tradition catholique de certaines régions et leur résistance aux initiatives de l’État républicain auraient-elles produit des sociétés locales à la fois plus entreprenantes et plus enracinées, davantage habituées à compter sur leurs propres forces, les pouvoirs publics ne leur étant pas acquis et leurs réalisations perçues de toutes façons comme suspectes ? À l’inverse, les régions républicaines, plus ouvertes à un progrès d’origine exogène, attendraient davantage de l’État tout en investissant proportionnellement plus dans la promotion par la scolarisation, celle-ci conduisant au départ d’un grand nombre hors de l’agriculture et éventuellement hors du pays ? » (Corentin Canevet, Le Modèle agricole breton, op. cit., p. 351)
74 Suzanne Berger, op. cit., p. 301. Corentin Canevet s’amuse que « cette révolution des valeurs affecte en particulier le Léon, vieille “terre de prêtres”, qui devint la région la plus nettement intégrée à l’économie marchande et où la course à la compétition économique est la plus sensible et, pour certains, érigée en “religion” » (Corentin Canevet, op. cit., p. 164).
75 Étienne Fouilloux propose, dans les pas de Jean-Marie Donegani, de procéder à l’étude du catholicisme contemporain en dissociant les notions d’intransigeance et d’intégralisme : « On peut aujourd’hui continuer à se dire catholique tout en transigeant avec le dogme ou la morale de l’Église romaine, sans pour autant larguer les amarres ni perdre tout espoir d’éclairer l’ensemble de la vie personnelle et communautaire d’une lueur puisée aux sources évangéliques » (Étienne Fouilloux, « Du catholicisme selon Émile Poulat », Valentine Zuber (dir.), op. cit., p. 251).
76 Ouest-France, 21 janvier 1957.
77 Collectif, JAC/F-MRJC. 1929-1979, 50 ans de notre mémoire, Paris, Gamma, 1980, p. 78.
78 Ibid., p. 101. Notons au passage combien ces stages d’éveil permettait d’aborder des questions traditionnellement taboues, en permettant par exemple l’expression autour de la sexualité, ce qui à l’époque était encore rarissime.
79 Témoignage de J. C., permanent national 1968-1972 et vivant en Maine-et-Loire, rapporté dans la plaquette souvenir pour le cinquantième anniversaire, op. cit., p. 201.
80 Ibid., p. 261.
81 Yves Lambert, « Limerzel », Tud ha Bro, n° 7.
82 JAC/F-MRJC, op. cit., p. 43.
83 Ibid., p. 175.
84 L’attachement des autorités diocésaines pour la JAC est grandement facilitée par la nomination, à la tête de Quimper et Léon, de Mgr Fauvel, avocat de la JAC au cours de sa jeunesse autour de Coutances. Son prédécesseur, Mgr Duparc, se méfiait de ce foisonnement désordonné d’initiatives irréfléchies.
85 « Qu’attendent les jeunes du prêtre aumônier d’Action catholique », La Semaine religieuse de Quimper et Léon, 1955, p. 139.
86 Le Finistère fut particulièrement impliqué dans le Mouvement de Marc Sangnier, condamné en 1910 par Pie X. Le diocèse en conserve la mémoire. Le chef romain reprochait à Sangnier d’autonomiser l’action politique et aux Sillonnistes d’avoir comme théories « les doctrines des prétendus philosophes du xviiie siècle, celles de la Révolution et du libéralisme ». La philosophie politique du Sillon repose grandement sur la seule conscience de ses dirigeants. Ils tendent à refuser le rôle de traducteurs d’une théologie politique infailliblement décrite par la hiérarchie. Cela commence par le brouillage de la saine distinction des fonctions : « Par le plus étrange renversement des rôles, le prêtre, quand il entre dans ce mouvement, se fait élève, se met au niveau de ses jeunes amis et n’est plus qu’un camarade ».
87 Danièle Hervieu-Léger, « Les gens veulent se réaliser par leur foi », Autorité, numéro spécial de Témoignage chrétien et Réforme, janvier 2003.
88 En matière d’agriculture, il faudrait se demander si le programme modernisateur de la JAC fut bel et bien original ou seulement une reprise de projets élaborés ailleurs, notamment au sein des courants socialisants et de la haute-administration d’État. Corentin Canevet remarque que « sans remettre en cause les mérites de ce mouvement, il convient de rappeler qu’il a été vecteur de la modernisation, courroie de transmission, plus que creuset proprement dit » (Corentin Canevet, op. cit., p. 114).
89 François Dubet, Sociologie de l’expérience, Paris, Seuil, 1994, p. 15.
90 Ibid., p. 105. On pourra se reporter aussi utilement à l’ensemble de l’œuvre de Danièle Hervieu-Léger.
91 On mesurera l’évolution en comparant ces trois réponses possibles à celles très classiques que formulait en 1934 le théoricien de la corporation paysanne, Louis Salleron : le libéralisme, le socialisme et la solution corporative selon laquelle « les valeurs spirituelles et sociales incluses dans la paysannerie doivent être conservées, mais […] la technique scientifique de la production et de la transformation des produits doit être développée au maximum » (cité dans François Mévellec, Le Combat du paysan breton à son apogée, Rennes, Les Nouvelles, 1974, p. 371).
92 Luc Ferry, Le nouvel ordre écologique, Paris, Le Livre de poche, 2002, p. 18. Les géographes méditeront sûrement la lecture de la tribune commise par Bruno Latour dans Le Monde du 10 janvier 2003 et intitulée : « A nouveaux territoires, nouveau Sénat ».
93 Luc Ferry, op. cit., p. 23.
94 Danièle Hervieu-Léger, « Les tendances du religieux en Europe », Commissariat général du plan, Croyances religieuses, morales et éthiques dans le processus de construction européenne, Paris, La Documentation française, 2002.
95 Alain Baudoin, Louis-Roger Dautriat, Alexis Gourvennec, paysan directeur général, Paris, Fayard, 1977.
96 Gilbert Mury, citant largement le père Pin, s.j., op. cit., p. 211.
97 Luc Ferry, op. cit., p. 27.
98 En 1967, le jeune MRJC refusera d’accoler à son sigle une quelconque référence à l’Action catholique, préférant « Mouvement d’Église » afin de signifier l’autonomie des chrétiens le constituant et de se revendiquer d’une Église éclatée.
99 Cf. Denis Pelletier, La Crise catholique, Paris, Payot, 2001.
100 Philippe Portier, op. cit., p. 28.
101 Michel Lagrée distingue depuis les premiers temps de l’Église un courant technophobe et un courant technophile. Les technophobes ne croient pas que les sophistications dues à la main de l’homme puisse aider à l’expansion de la foi, au contraire, elle finirait par toujours la desservir en se transformer mécaniquement en nouvelle idole (Michel Lagrée, La Bénédiction de Prométhée, Paris, Fayard, 1999).
102 Témoignage sollicité par Eugène Calvez et reproduit dans Jean-Marc Abalain et Eugène Calvez, « Influence et pertinence d’une association d’Église en milieu rural : l’exemple du MRJC en Bretagne », ESO, mars 2001, p. 21.
103 Voir en particulier Yohann Abiven, « Vivre Ensemble l’Évangile Aujourd’hui, Mouvement d’Action catholique générale. De l’intégralisme à l’ethos démocratique », Jean Baudouin et Philippe Portier (dir.), Le Mouvement catholique français à l’épreuve de la pluralité, Rennes, PUR, 2002 ou Yohann Abiven, « Une paroisse sans frontière, Landerneau depuis 1950 », Marc Humbert (dir.), La Bretagne à l’heure de la mondialisation, Rennes, PUR, 2002.
104 Bien sûr une étude approfondie du MRJC aurait à discuter la qualification de militantisme pour considérer les modalités toutes subjectives de l’engagement avec pour fin la réalisation de soi selon des motivations relevant d’une démarche essentiellement émotionnelle (cf. Yohann Abiven, « La tentation du repli tribal », Vivre Ensemble, février 2003). Sur l’emprise de l’intériorité, on pourra se reporter à Serge Tisseron, L’Intimité surexposée, Paris, Hachette, 2001.
105 Même si l’on notait récemment une volonté de l’Église à faire en sorte que le MRJC retrouve les accents d’une foi publiquement confessée.
106 Témoignage rapporté par Eugène Calvez, op. cit., p. 27.
107 Le breton et la foi sont comme frère et sœur.
108 Ouest-France du 22 janvier 2003 nous apprend que l’Union Démocratique Bretonne va vers les régionales de 2004 selon une posture de « gauche écologique ».
109 Yvon Tranvouez, « les catholiques et la question bretonne (1940-1944) », in Vincent Rogard (dir.), Bretagne et identités régionales pendant la Seconde guerre mondiale, UBO, 2002, p. 295.
110 Pour qualifier par exemple le « politique d’abord » de l’Action française, à ce titre condamnée.
111 « Avec le baptême, la nation est née et son histoire a commencé » (Jean-Paul II à l’occasion du baptême de la Rus’ de Kiev). Sur cette question, Alain Renaut (dir.), Histoire de la philosophie politique, « Lumières et romantisme » (tome 3), Paris, Calmann-Lévy, 1999.
112 Dans son livre témoignage, Françoise Morvan insiste sur l’opération de fabrication d’une Bretagne d’opérette, « revue et corrigée » correspondant, selon elle, à une entreprise savante de falsification de l’histoire. Outre la querelle de l’orthographe, les aspects démiurgiques se révèlent en particulier dans le projet d’édifier Breizilia, cité issue ex-nihilo de l’imagination de James Bouillé, l’architecte des Seiz Breur. La ville nouvelle était appelée à devenir la capitale du jeune État breton. Cf. Françoise Morvan, Le Monde comme si. Nationalisme et dérive identitaire en Bretagne, Paris, Actes Sud, 2002.
113 Sur l’histoire du Bleun Brug, cf. Marc Simon, Bleun-Brug : expression d’un idéal breton. Pages d’histoire, Landévennec, Musée de l’abbaye, 1998.
114 Bleun-Brug Feiz ha Breiz, 2e trimestre 1976, p. 6.
115 Fondateur du quotidien La Bretagne en 1941, feuille tendre pour l’occupant et pour Vichy en attendant une réforme régionale qui aurait donné à la province son autonomie.
116 « Un homme de justice, un homme juste. Pour ses fermiers, M. de Guébriant était un maître large et libéral sous la loi duquel il faisait bon vivre génération après génération » (Bleun-Brug Feiz ha Breiz, août-septembre-octobre 1972, p. 10).
117 Sur cette lutte au sein du monde agricole breton, cf. Francis Corvaisier, Les Abbés démocrates, Rennes, Apogée, 2003.
118 François Mévellec, Le Combat du paysan breton à son apogée, Rennes, Les Nouvelles, 1974, p. 5.
119 Bleun-Brug Feiz ha Breiz, 2e trimestre 1976, p. 5.
120 Bleun-Brug Feiz ha Breiz, mars-avril-mai 1971.
121 On se souvient de l’appel de Compostelle : « Je lance vers toi, vieille Europe, un cri plein d’amour : retrouve-toi toi-même, sois toi-même. Découvre tes origines [chrétiennes, nda]. Avive tes racines. Revis ces valeurs authentiques qui ont rendu ton histoire glorieuse et bienfaisante ta présence sur les autres continents » (cf. René Luneau [dir.], Le Rêve de Compostelle. Vers la restauration d’une Europe chrétienne ?, Paris, Centurion, 1989).
122 François Mévellec, Le Combat du paysan breton à travers les siècles, Rennes, Les Nouvelles, 1973, p. 154.
123 Ibid., p. 170. Dans son deuxième tome, François Mévellec avoue que la réforme des baux de ferme imaginée par Hervé de Guébriant n’a été inspirée que par la crainte de la popularité des propositions progressistes de la Ligue des paysans de l’Ouest de l’abbé Mancel (François Mévellec, Le Combat du paysan breton à son apogée, op. cit., p. 132).
124 Bleun-Brug Feiz ha Breiz, août-septembre-octobre 1972, p. 2.
125 Les textes de ces chroniques sont rassemblés dans une série d’ouvrages dont nous indiquerons les références au fur et à mesure.
126 Job an Irien, « Paour-kêz Troveni », Araog pouea butun, Tréflévénez, Minihi-Levenez, 1997, p. 66.
127 Job an Irien, « Idolennou », Etre deiz a noz, Tréflévénez, Minihi Levenez, 2002.
128 Job an Irien, « Al leor-overenn e brezoneg », Henchou nevez, Tréflévénez, Minihi-Levenez, 1999, p. 29.
129 Job an Irien, « Pedi », Henchou Nevez, op. cit., p. 23.
130 Job an Irien, « Ar wech kenta », Henchou Nevez, op. cit., p. 25.
131 Job an Irien, « Eur bed marellet », Etre deiz ha noz, op. cit., p. 46.
132 Job an Irien, « Piou om ? », Soubenn an tri zraig, Tréflévénez, Mnihi Levenez, 1995.
133 Job an Irien, « Kerzu », Henchou Nevez, op. cit., p. 85. Curieusement, Job an Irien rejoint paradoxalement la thèse de la Bretagne-spectacle due à la plume acide de Françoise Morvan selon laquelle « maïs hybride, orthographe unifiée, même combat » (Françoise Morvan, Le monde comme si…, op. cit., p. 322).
134 Job an Irien, « Idolennou », op. cit., p. 73.
135 Job an Irien, « Korventenn ? », Etre deiz ha noz, op. cit., p. 41.
136 Job an Irien, « Goude eun abadenn tele… », Henchou Nevez, op. cit., p. 79.
137 Job an Irien, « Bleizi ? », Soubenn an tri zraig, op. cit., p. 15.
138 Job an Irien, « Sul ar bleuniou », Soubenn an tri zraig, op. cit., p. 44.
139 Selon M. de la Villemarqué, « la religion seule embellit quelque peu leur vie de chaque jour…
Elle leur prêche le respect pour les gens d’Église, pour les propriétaires, pour toutes les personnes d’une condition supérieure » (cit. in Françoise Morvan, Le Monde comme si…, op. cit., p. 173).
140 Job an Irien, « Slud deoc’h ! », Etre deiz ha noz, op. cit., p. 78.
141 Cf. par exemple, Alain Croix, La Bretagne aux xvie et xviie siècles : la vie, la mort, la foi, Paris, Maloine, 1980.
142 Job an Irien, « Piou om ? », op. cit., p. 7.
143 Job an Irien, « Bretona », Gwenn ha du hag a beb liou, Tréflévénez, Minihi Levenez, 2001, p. 9.
144 Job an Irien, « Bloavez mad ! », Henchou Nevez, op. cit., p. 89.
145 Job an Irien, « Colombarium ? », Henchou Nevez, op. cit., p. 73.
146 Job an Irien, « Frouez », Araog pouza butun, Tréflévénez, op. cit., p. 83.
147 Cf. Pierre Nora (dir.), Les Lieux de mémoire, Paris, Gallimard, 1997.
148 Vin rouge.
149 Edgar Morin rappelle la place centrale de ce café dans Plozévet où se réconcilient ceux qui croient au ciel et ceux qui n’y croient pas (Cf. Edgar Morin, La Métamorphose de Plozévet, commune en France, Paris, Fayard, 1967).
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