Chapitre XIII. Le temps de la rupture avec le socialisme traditionnel : de la SFIO au PSA (1959)
p. 285-300
Texte intégral
1Battu comme de nombreux socialistes aux élections législatives de novembre 1958, Tanguy Prigent va poursuivre le processus de remise en question politique entrepris lors de la crise du 13 mai 1958. Menant la combat contre la ligne majoritaire de Guy Mollet, l’ancien député va rompre avec la SFIO en octobre 1959 pour rejoindre le parti socialiste autonome (PSA) avant de participer à la naissance du parti socialiste unifié (PSU) en avril 1960. L’attitude face à la guerre d’Algérie est au cœur de cette rupture douloureuse avec la SFIO, le parti auquel l’ancien paysan a consacré toute son énergie depuis près de 35 ans. Dans un premier temps, Tanguy Prigent croit pouvoir changer les choses de l’intérieur par le combat politique mais il doit vite se rendre à l’évidence : Guy Mollet et l’appareil verrouillent le parti. Le congrès de la SFIO de l’été 1959 et l’adhésion de Pierre Mendès France au PSA précipitent le départ de l’ancien député de Morlaix. Mais par cette décision non préparée de rejoindre le PSA, il se coupe de ses camarades finistériens et se trouve isolé au sein de la nouvelle gauche socialiste en formation.
L’un des animateurs de l’opposition au sein de la SFIO
2Passé en mai-juin 1958 dans l’opposition à Guy Mollet, Tanguy Prigent n’a pas rejoint les minoritaires qui ont fondé le parti socialiste autonome en septembre 1958. Pourtant, l’ancien député de Morlaix se sent de plus en plus en porte-à-faux avec la majorité molletiste sur la question algérienne. Il s’aperçoit bientôt qu’il ne peut guère infléchir la ligne du parti de l’intérieur. Mais avant de prendre ses distances, il mène le combat au sein de la SFIO pendant près d’un an.
3L’ancien député du Finistère prend la parole au congrès d’Issy-les-Moulineaux de décembre 1958 pour critiquer la ligne majoritaire suivie par la SFIO depuis la crise du 13 mai : « L’une des causes de la défaite que viennent d’essuyer la démocratie et la République, c’est que, depuis le 13 mai, le parti socialiste a tourné le dos à ses devoirs et à sa mission et a fait – involontairement certes – la courte échelle à ceux qui sont très souvent des réactionnaires et dans leur majorité des fascistes1. » Guy Mollet répond à ce coup de boutoir de son ancien protégé en expliquant l’échec électoral par le changement du mode de scrutin ; il réitère son soutien au général de Gaulle qui n’a pas encore été élu à la Présidence de la République en affirmant : « Il est aussi attaché que nous à la Liberté, je le sais ! » Le secrétaire général répond directement et personnellement au fougueux Breton en le prenant à partie : « Tu as dit que le parti avait tourné le dos à son devoir, qu’il faisant la courte échelle au fascisme. Non Tanguy, pas toi ! Tu as fait campagne pour le “non” sur les tribunes communistes, tu as accepté le désistement en ta faveur du candidat communiste. Je te le dis avec émotion : c’est toi qui as agi contre le parti et contre sa volonté2 ! » L’anticommunisme fait toujours recette dans les congrès socialistes.
4Lors d’une conférence de presse tenue à Quimper, le 19 décembre suivant, évoquant le récent congrès de la SFIO, Tanguy Prigent dit partager le mécontentement qu’il sent monter dans les rangs du parti et dit avoir réclamé l’organisation d’un nouveau congrès dans des conditions moins précipitées3. Après l’élection du général de Gaulle à la Présidence de la République le 21 décembre 1958 par 78,5 % des grands électeurs et l’annonce du « plan de redressement », c’est-à-dire d’austérité Rueff-Pinay le 28 décembre (dévaluation du franc et création du nouveau franc, augmentation des impôts), la rupture est consommée entre le général de Gaulle et les socialistes qui n’acceptent pas d’endosser la politique économique et sociale du chef de l’État4. Le 7 janvier 1959, à l’unanimité le comité directeur se déclare hostile à la participation gouvernementale. Il n’y aura donc plus de ministres socialistes dans le gouvernement de Michel Debré, sauf André Boulloche, ministre de l’Éducation nationale qui démissionne du parti pour rester au gouvernement5. La SFIO entre dans une opposition modérée, distinguant le Général de son gouvernement.
5Cette évolution devrait aller dans le sens des vœux de la majorité de la fédération SFIO du Finistère qui réclamait lors du conseil fédéral de Morlaix du 4 janvier 1959, une opposition déterminée mais constructive au futur gouvernement et à sa majorité parlementaire ainsi « qu’une réunion du Comité national pour renouveler le comité directeur et le bureau de la SFIO6 ». Mais en même temps, la ligne adoptée sur la politique algérienne marque un tournant fondamental en sens opposé : la motion finale se prononce pour la négociation avec tous les intéressés, donc y compris avec le FLN, sans écarter le préalable de l’indépendance7. Cette motion « pour la paix en Algérie » est adoptée par 194 voix contre 26 et 28 abstentions8. Tanguy Prigent paraît tenir solidement en main sa fédération en lui imprimant sa marque et en l’ancrant solidement dans l’opposition au pouvoir gaulliste comme à la majorité de Guy Mollet.
6Lors du Conseil national de Puteaux du 10 et du 11 janvier, Tanguy Prigent souhaite, comme il l’écrit dans une lettre à Guy Mollet, « créer “un choc” dans le parti et auprès de ceux qui pourraient y revenir, venir ou n’en point partir9 ». Dans son intervention au CN, il défend la motion finistérienne : urgence d’une solution négociée, regret que l’Algérie « n’ait pas pu faire l’économie du passage par l’indépendance et la souveraineté nationale totales avant d’entrer à égalité avec les autres pays adhérents dans une communauté qui reste à déterminer », échec du triptyque défendu depuis 1956 par Guy Mollet et la SFIO : « Cessez-le-feu, élections, négociations. » Le Finistérien appelle à « faire preuve de réalisme » si on veut en finir « avec une guerre de 100 ans », meurtrière des deux côtés. Il affirme que l’Algérie « n’acceptera de mettre bas les armes et ne demandera son entrée dans la communauté qu’à la condition que soit abandonné ce qu’on a appelé “le préalable” qui consiste à refuser l’indépendance ». Celui qui a fermement défendu la politique algérienne molletiste jusqu’au début 1958, reprend à son compte le combat des opposants de gauche qui ont quitté le parti pour le PSA quatre mois plus tôt. Il propose la mise en place d’une solution fédérale avec un Parlement et un gouvernement algériens10. Mais le secrétaire fédéral du Finistère n’est pas entendu par le Comité national, ni sur l’évolution des structures dirigeantes, ni sur l’Algérie. Plus, il est isolé et en souffre. C’est ce qu’il écrit à Guy Mollet dans sa lettre du 21 janvier en espérant encore pouvoir rénover le parti de l’intérieur : « Tirer à fond dans le sens de l’avenir, c’est mon choix. » D’accord sur le passage de la SFIO dans l’opposition au gouvernement Debré, les délégués du Finistère se sont abstenus le 11 janvier sur la motion de la direction à cause de la question algérienne11. Néanmoins, en dépit de ces graves désaccords, Guy Mollet a demandé « instamment » à Tanguy Prigent de rester à la tête de la commission nationale agricole de la SFIO au lendemain du conseil national de Puteaux12. Il est vrai que les agriculteurs, même si Tanguy Prigent ne l’est plus vraiment depuis longtemps, ne sont pas si nombreux dans l’appareil d’un parti composé surtout de fonctionnaires et de membres des classes moyennes. Cette responsabilité au sein du parti permet à l’ancien député de Morlaix d’avoir une secrétaire et un bureau à la cité Malesherbes, avantage matériel non négligeable pour un homme politique privé des supports de la vie parlementaire.
7Affirmant sa fidélité au parti, et quoique minoritaire, Tanguy Prigent condamne fermement la démission de l’ancien président de la République Vincent Auriol, membre de la SFIO depuis 1905. En janvier 1959, Vincent Auriol a rendu publique une lettre adressée à Guy Mollet le 15 décembre 1958, dans laquelle il dénonçait « l’opportunisme » de la direction du parti, les « déviations » de la doctrine, l’incapacité de Guy Mollet de « rassembler, en une seule grande organisation vraiment socialiste […] tous les travailleurs aujourd’hui divisés13 ». Certains dans les cercles socialistes, ont beau jeu de se gausser de cette intransigeance doctrinale soudain affirmée ! Mais, l’impact du départ d’Auriol pour le PSA, exploité par la grande presse et les journaux engagés dans le combat contre la torture et la guerre d’Algérie, est quasiment nul au sein de la SFIO. Attaqués, ses militants serrent les rangs autour de leur secrétaire général. Et c’est le minoritaire Tanguy Prigent qui monte au créneau pour condamner fermement ce départ. Dans une lettre à Vincent Auriol, il lui reproche de quitter le parti à un moment mal choisi. Au contraire lui a choisi de « se battre à l’intérieur, loyalement, pour remettre la SFIO dans la bonne voie, la “remuscler”, créer un blindage contre de nouvelles défaillances14 ». On peut se demander aussi si l’ancien ministre de l’Agriculture de 1947 ne règle pas quelques vieux comptes avec le président de la République d’alors qui l’avait quelque peu malmené ?
Vers la rupture avec la SFIO
8Au cours des mois suivants, Tanguy Prigent va évoluer. Le congrès fédéral du 15 février 1959 montre que les divisions qui traversent la fédération du Finistère tendent à s’aggraver. Les partisans du oui contestent la majorité fédérale et le sénateur Jean-Louis Rolland se plaint d’une « atmosphère empoisonnée15 ». L’ancien député Eugène Reeb déclare : « Je représente la majorité du parti. Nous voterons contre le rapport moral. » Mais Tanguy Prigent est très suivi dans sa fédération car son rapport moral obtient 203 voix contre 59 et deux abstentions. La situation se calme le temps des élections municipales de mars 1959 qui se traduisent au niveau national par une progression des communistes et une stabilité des autres partis alors que l’UNR n’est pas encore véritablement organisée sur le terrain. La stabilité l’emporte aussi dans le Finistère et Tanguy Prigent est réélu à Saint-Jeandu- Doigt et les huit communes de son canton de Lanmeur sont socialistes16. Mais, lors des élections sénatoriales d’avril 1959, Jean-Louis Rolland réélu maire de Landerneau perd son siège et la fédération SFIO du Finistère semble sur le point d’imploser17. Le secrétaire fédéral doit gérer une situation de plus en plus difficile.
9Guy Mollet, qui veut reprendre en main la fédération du Finistère, annonce sa participation au comité fédéral du 21 juin 1959 dans le cadre de la préparation du 51e congrès national de la SFIO. Initialement, le secrétaire général souhaitait venir présider le congrès fédéral mais Tanguy Prigent s’y est opposé avec vigueur craignant l’aggravation publique de la crise interne. Le secrétaire fédéral est prêt à l’affrontement avec Guy Mollet, écrivant à Louis Pichon, un militant brestois : « J’en ai assez de me faire cravacher par G. Mollet sans pouvoir répondre depuis septembre 1958, dans tous les congrès et CN18. » Lors de cette réunion, Guy Mollet insiste sur les déceptions de la SFIO vis-à-vis du gouvernement Debré et justifie une nouvelle fois les positions de la direction nationale depuis l’automne 1958. Il s’oppose à la demande de la fédération du Finistère en estimant que l’octroi de l’indépendance à l’Algérie susciterait la fureur des populations et « au moins 500 000 morts19 ». C’est un dialogue de sourds. À l’issue de ce comité fédéral, chacun reste sur ses positions. Tanguy Prigent veut revenir aux « sources du socialisme », seul moyen selon lui de redonner du souffle à un parti affaibli idéologiquement20.
10Au congrès fédéral de Châteaulin, le 5 juillet 1959, Tanguy Prigent et ses camarades rappellent leur opposition au nouveau régime « en complète contradiction avec la démocratie et les buts du socialisme international ». Un débat, entré dans l’opposition à la direction nationale sur le soutien à de Gaulle, s’instaure sur la motion Gazier. Il est pour l’autonomie de l’Algérie en conservant des liens étroits avec la France. Trouvant que la motion Gazier ne va pas assez loin, les Finistériens élaborent leur propre motion sur l’Algérie : la guerre a provoqué la crise du 13 mai et « elle risque d’engager la nation dans la voie du fascisme » ; la SFIO doit donc lancer une campagne nationale pour « des négociations sans retard avec les représentants des combattants algériens et que soit reconnu le principe du droit à l’indépendance de l’Algérie ». Tanguy Prigent met tout sont poids dans la balance pour que sa fédération adopte largement cette motion (114 voix contre 52 à la motion Gazier). Ce texte majoritaire des socialistes finistériens rejoint les positions du PSA, de l’UGS et du PC sur la « vocation » et le droit à l’indépendance du peuple algérien21. Le processus de rupture avec la SFIO paraît bel et bien entamé.
11Réuni du 9 au 12 juillet 1959 à Issy-les Moulineaux, le 51e congrès national met fin aux espoirs de changement de Tanguy Prigent car les grosses fédérations se rallient aux thèses du secrétariat général22. Guy Mollet justifie la politique qu’il a menée de 1956 (au gouvernement) à 1959, soutenant la politique algérienne du général de Gaulle, affirmant qu’il « est le mieux placé pour faire prévaloir non pas sa politique en ce qui concerne l’Algérie, mais une politique très proche de la nôtre sur le plan humain et sur le plan libéral ». Or, après l’échec de « la paix des braves » (23 octobre 1958), de Gaulle a intensifié la guerre contre le FLN algérien et il n’a pas encore prononcé son discours sur l’autodétermination (16 septembre 1959). C’est donc une caution de la politique de guerre en Algérie que la direction de la SFIO donne à la politique gaullienne qu’elle critique sur le plan intérieur en se positionnant dans l’opposition depuis la mise en place du nouveau régime en janvier 1959.
12Le 12 juillet, plusieurs motions sont discutées. La SFIO décide d’une opposition de plus en plus vigoureuse à la politique économique, sociale, financière et surtout scolaire du gouvernement Debré car les socialistes craignent une remise en cause de la laïcité de l’État et de l’école, position qui ne peut que ravir l’ancien député de Morlaix. Sur la politique algérienne du parti, Tanguy Prigent et Robert Gravot se font les porte-parole d’une partie des minoritaires en déposant une motion demandant « la reconnaissance du droit à l’indépendance ». Mais l’opposition est hétérogène car la motion Gazier, favorable à l’autonomie, n’est pas prête à aller aussi loin. Le 12 juillet, Tanguy Prigent défend devant le congrès un amendement qui rappelle que la fédération du Finistère a soutenu le triptyque socialiste sur l’Algérie mais que « l’indépendance est inévitable » et qu’il faut donc que la « France reconnaisse une fois pour toute, le droit à l’indépendance du peuple algérien », seul moyen de faire la paix au plus vite23. Cet amendement, repoussé par la commission des résolutions, l’est aussi par les congressistes. La déception est forte pour Tanguy Prigent car il n’a recueilli que 7,2 % des suffrages24. Ce texte s’opposait à la motion de l’ancien ministre Max Lejeune (7 % aussi), très hostile à toute idée d’indépendance, et à une motion dite de synthèse qui obtient une très large majorité. Le texte majoritaire, très vague, propose la recherche d’une solution politique, la reconnaissance d’une « personnalité algérienne » et la mise en place d’institutions propres à l’Algérie, défendant les idées d’association et de fédération par « l’établissement de liens solides avec la métropole dans le cadre de la communauté » prévue par la nouvelle constitution. Surtout, il présente l’indépendance comme « une pseudo-solution […] extrémiste […] et illusoire ». Favorable à la direction molletiste, ce vote ferme en fait la porte à toute évolution dans le sens souhaité par Tanguy Prigent. Et le texte d’orientation générale est adopté par 2 518 mandats contre 1 134 et 44 abstentions, ce qui conforte la direction sortante de Guy Mollet. En fait, cette victoire masque un profond malaise au sein du parti socialiste et le fait que la ligne à adopter face au régime gaullien n’a pas été clairement tranchée entre une « opposition systématique » et une « opposition constructive ». Le jugement de L’année politique à chaud est sévère : « Congrès décevant aussi par suite du manque de discussion réelle d’idées : le PS se complaît dans des querelles de personnes et l’évocation politique d’un passé récent25. » Tanguy Prigent n’est sans doute pas loin de partager cet avis. Les résultats du congrès d’Issy-les-Moulineaux mettent fin à ses illusions de faire évoluer son parti de l’intérieur et cela va accélérer sa décision de quitter un parti auquel il était portant très attaché. Minoritaire et opposant, Tanguy Prigent n’en a pas moins été réélu au comité directeur, « de justesse » dit-il, dans sa lettre de démission adressée à Guy Mollet le 22 septembre. Et en juillet, au cours d’un comité directeur auquel il n’a pas assisté, le Breton a été réélu responsable de la commission nationale agricole mais le cœur n’y est plus26.
Un départ mal négocié de la « vieille maison »
13Un an après les fondateurs du PSA Tanguy Prigent doit se rendre à l’évidence : il n’est pas possible de transformer de l’intérieur un parti verrouillé rue Malesherbes par un Guy Mollet qui contrôle l’appareil. La question algérienne est au cœur de ses interrogations de socialiste. Le 13 septembre 1959, Tanguy Prigent publie un article dans Le Monde, en « Libres opinions », intitulé « Aider de Gaulle ? », quelques jours avant le grand discours du général du 16 septembre sur l’autodétermination. Il y réaffirme les raisons de son opposition à la manière dont de Gaulle est revenu au pouvoir et à la Constitution de 1958. Puis il affirme que la reconnaissance du droit des Algériens à l’autodétermination qui aurait été accueilli avec joie dix ans plus tôt et aurait évité « une guerre affreuse » est aujourd’hui « une formule insuffisante et inefficace », donc dépassée. L’ancien ministre du général de Gaulle reprend les positions développées devant le congrès de la SFIO de juillet 1959 : « pour redevenir fidèle à ses vraies traditions républicaines et révolutionnaires, la France a le devoir de reconnaître sans préalables ni restrictions le droit de l’Algérie à l’indépendance », seule solution pour sortir du conflit. Tanguy Prigent pense que la France doit prendre l’initiative et non se rallier à des positions déjà dépassées. Pour ce faire, tout en restant un opposant au régime gaullien, il rappelle ce qu’il avait dit le 1er juin 1958 à quelques amis : en cas de situation dramatique, on peut être amené à aider de Gaulle, notamment si les factieux le menaçaient demain. Il espère donc une prise de position audacieuse du chef de l’État sur la question algérienne et il va soutenir les ouvertures qui suivent les réactions positives des Algériens au discours de De Gaulle. De retour de Bruxelles, il réagit dans Libération du 23 novembre 1959 (rubrique Opinions républicaines) aux contacts entamés avec le Gouvernement Provisoire de la République Algérienne (GPRA). Par son titre « la paix immédiate « serait » possible », le Breton croît aux vertus d’une négociation franche engagée entre Paris et Ferhat Abbas et presse le gouvernement d’accepter la proposition algérienne de faire de Ben Bella, emprisonné en France depuis 1956, le chef des négociateurs27. Défendre de telles positions amène Tanguy Prigent à rompre avec la SFIO.
14C’est à l’occasion d’un comité directeur de la SFIO, le 4 octobre, que dix anciens parlementaires (neuf députés et un sénateur) annoncent leur démission du parti et leur adhésion au PSA dirigé par Édouard Depreux. Tanguy Prigent est assurément le plus connu d’entre eux28. Un texte explique les raisons de cette rupture douloureuse avec la « vieille maison », conservée et rebâtie par Léon Blum après le congrès de Tours : « Nous avions cru pouvoir, à l’intérieur du parti auquel nous appartenons depuis de nombreuses années et dont nous avons été les élus, remettre la SFIO dans la voie du socialisme. L’expérience des mois que nous venons de vivre nous a convaincus – particulièrement depuis le congrès de juillet dernier – de l’échec de nos espérances. […] Nous appelons les militants et tous les démocrates à rejoindre les rangs du parti socialiste autonome, comme nous le faisons nous-mêmes pour rester fidèles à notre passé et à notre idéal. » Commentant l’événement L’année politique précise que ce départ de Tanguy Prigent affecte Guy Mollet car il s’agit d’un homme qui « avait tenu – malgré son opposition aux thèses officielles du parti concernant en particulier le référendum et l’attitude envers le nouveau régime – à rester fidèle à la SFIO et qui jouissait d’une considération et d’une influence assez grandes auprès de tous les militants ». On peut en effet s’interroger sur l’impact de ce départ sur la SFIO. Si le PSA enregistre en septembre et octobre 1959, un flux d’adhésions non négligeable, tel n’est pas le cas dans le Finistère.
15Ce départ précipité, lourd de conséquences car Tanguy Prigent n’a pas pris le temps de convaincre ses camarades de la SFIO du Finistère, a été accéléré par l’annonce de l’adhésion de Pierre Mendès France et de certains de ses amis radicaux mendésistes du Centre d’action démocratique (CAD), le 22 septembre 195929. Alors qu’il était en pourparlers avec l’Union de la Gauche Socialiste (UGS) et le PSA, l’ancien président du Conseil choisit de rejoindre le parti socialiste autonome. La décision des cadistes a été prise à une large majorité les 19 et 20 septembre 1959 lors d’une réunion à Noisy-le Sec30.
16Tanguy Prigent suit le même cheminement. Le secrétaire fédéral adresse de Paris une lettre imprimée de deux pages, datée du 5 octobre, à ses camarades finistériens pour leur expliquer son départ pour le PSA31. Rappelant son long passé militant d’adhérent de la SFIO depuis avril 1925, il affirme : « Les 14 mois qui viennent de se passer ont été pour moi des jours et des nuits de torture morale, avec répercussion sur un état physique fragile » et retrace les phases de son combat au sein de la SFIO depuis le 13 mai 1958. Il considère que désormais (depuis le dernier congrès de juillet) « aucun espoir n’est plus permis. Nous avons été largement battus et, par la suite, le mal s’est aggravé. La SFIO est, hélas ! alibi et complice d’une politique réactionnaire qui finira très mal malgré les apparences ». La dénonciation de ce qu’est devenu son parti est terrible : « Notre pauvre parti n’est presque plus qu’un Comité de nantis et d’arrivistes » dont « trop de “cadres” sont matériellement tributaires ». « Aussi douloureux que cela soit pour moi, j’affirme que la SFIO est intégrée honteusement et définitivement au régime de l’injustice et du profit, mais que même cette trahison n’empêche pas qu’elle soit condamnée à une mort rapide ». La brutalité de la charge de celui qui depuis un an appelait à défendre vaille que vaille l’unité de la SFIO va fortement troubler ses nombreux partisans dans le Finistère d’autant plus qu’il les appelle à la scission pour rejoindre le PSA et construire « une vraie gauche », ouverte, y compris aux catholiques sociaux non cléricaux et aux communistes dissidents ou exclus, une gauche non sectaire. Appelant à la discussion, voire à la contestation de ses positions, Tanguy Prigent conclut : « Je suis sincère, convaincu, résolu et enthousiaste à nouveau, pour la première fois depuis des années. » L’ancien ministre socialiste se sent libéré d’un fardeau qu’il portait depuis des années et prêt à recommencer une vie militante.
17En fait, le maire de Saint-Jean-du-Doigt a déjà pris sa décision depuis quelque temps. Son isolement lors du congrès national de juillet 1959 l’a convaincu de son échec à transformer la SFIO. En août, des minoritaires socialistes nouent des contacts personnels et informels avec des responsables du PSA32. Et le 17 septembre, à Paris, Tanguy Prigent a rencontré Édouard Depreux et Robert Verdier. L’adhésion imminente de Pierre Mendès France l’a alors convaincu de franchir le pas. Le 22 septembre, jour de l’adhésion de Mendès France au PSA, il a adressé sa lettre de démission comme responsable aux membres de la commission nationale agricole de la SFIO en leur faisant part de celle déjà adressée à Guy Mollet. La réunion décisive pour le ralliement au PSA des dix anciens parlementaires de la SFIO se tient à la mairie d’Alfortville le 26 septembre où un texte commun qui doit être rendu public le 5 octobre est rédigé33. Le reproche de ses camarades socialistes finistériens d’avoir monté dans leur dos une opération « parisienne » de scission est bien fondé. Puis il a annoncé sa décision lors de la réunion du comité directeur du 30 septembre 1959 dans une ambiance tendue : non seulement il rejoint le PSA mais il compte y entraîner sa fédération34. Les réactions sont évidemment négatives, voire hostiles. L’ancien député de Morlaix a expliqué qu’il s’agissait d’une décision mûrement réfléchie : « Si j’avais cru à un travail de redressement au sein du parti, je serai resté35. » Dans une lettre adressée aux membres du comité directeur écrite dans le train, il regrette d’être venu s’expliquer devant eux mais il voulait assumer totalement son choix. Il souligne aussi son déchirement et sa détermination : « J’ai de la peine mais n’éprouve aucun remords. »
18Cette décision « parisienne » a bien été prise sans consultation des militants finistériens qui en seront d’autant plus choqués. Le secrétaire fédéral n’a annoncé son passage au PSA aux élus et aux responsables de la SFIO du Finistère que le 1er octobre ; il en a d’abord averti par lettre confidentielle et leur a d’ailleurs annoncé son intention de réunir sa fédération le dimanche suivant 4 octobre pour leur « demander de quitter la SFIO afin d’aider au grand rassemblement démocratique ». C’est la formule qu’il emploiera dans sa lettre datée du 5 octobre adressée à tous les militants socialistes. Décision mûrement réfléchie qui n’est donc pas individuelle car Tanguy Prigent compte bien organiser la scission dans le Finistère. Le 14 octobre 1959, il participera à un meeting de la gauche démocratique et socialiste à la Mutualité à Paris.
L’échec du ralliement des socialistes finistériens au PSA
19Par sa précipitation à adhérer au PSA, Tanguy Prigent a commis la même erreur qu’Antoine Mazier à Saint-Brieuc en septembre 1958. À la différence près que Mazier est bientôt rejoint au PSA par des poids lourds de la fédération des Côtes-du-Nord comme Yves Le Foll, à l’automne 1958 et au début de 1959. Le comité directeur a évidemment organisé des contrefeux à partir de sa réunion du 30 septembre 1959. Guy Mollet a réagi en affirmant que la fédération du Finistère appartient à la SFIO et en demandant de désigner un représentant au comité fédéral du 4 octobre pour informer les militants. Ce sera Gérard Jaquet.
20Pour les dirigeants de la fédération du Finistère proches de Tanguy Prigent comme Robert Gravot ou Hervé Mao, ou les militants morlaisiens, cette annonce est un vrai coup de massue. A la surprise, à la stupeur et à l’incompréhension de l’attitude de celui qui s’était opposé à la précédente scission succèdent le reproche, l’amertume et le sentiment d’abandon notamment dans les sections de la région de Morlaix36. Les socialistes finistériens n’acceptent pas d’avoir été mis devant le fait accompli, sans discussion préalable. Certains sont déçus de l’apprendre par la presse régionale (Le Télégramme et Ouest-France) et même s’ils peuvent être d’accord sur le fond, ils récusent la manière. Les militants brestois lui reprochent son abandon du parti. Le mouvement de départ attendu par Tanguy Prigent ne se produit pas car beaucoup de sections restent indécises jusqu’au congrès fédéral extraordinaire du 25 octobre 1959 de Châteaulin. Le Breton Socialiste du 10 octobre a barré sa une d’un « Tanguy Prigent nous quitte ». Le texte de la première page rappelle que les divergences du leader finistérien avec la direction du parti remontent au 13 mai 1958 et ne fustige pas le partant : « Celui qui fut un des meilleurs parmi nous et auquel nous gardons intacte, notre cordiale affection. » Il reconnaît aussi que « ce départ risque de jeter le trouble dans l’esprit de nos camarades finistériens » et que l’existence de deux partis socialistes risque d’affaiblir le combat « dans ce département dominé par la réaction et le cléricalisme ». Chaque section est appelée à réfléchir et à envoyer des délégués au congrès fédéral. Le malaise des socialistes finistériens est profond vis-à-vis d’une décision, perçue comme individuelle, et qui va resserrer les liens autour du parti. De fait, une seule section, celle de Plougonven y annonce son départ.
21À Châteaulin, autour de Masson, Reeb et Linement, les dirigeants devenus minoritaires depuis l’été 1958, reprennent l’offensive. Mais leur motion qui demande que la fédération se plie à la ligne majoritaire au niveau national est rejetée, de même que celle des sections de la région de Morlaix qui défend la ligne suivie par la majorité finistérienne depuis le 13 mai 1958. La majorité des militants choisit un texte consensuel permettant de préserver l’unité du parti après le départ de Tanguy Prigent. Cette motion de synthèse défendue par Robert Gravot et Hervé Mao, élu nouveau secrétaire fédéral à l’unanimité, est adoptée à l’unanimité moins une voix et deux abstentions. Elle « enregistre avec satisfaction que malgré le trouble provoqué par ce départ [de Tanguy Prigent], la grande majorité de la Fédération reste fidèle à la SFIO », tout en regrettant le départ de son ancien leader. À l’unanimité moins une voix, le principe de l’autodétermination de l’Algérie annoncé par le général de Gaulle le 16 septembre 1959 est approuvé.
22Pris par l’urgence, employant la méthode du fait accompli et ayant sous-estimé l’attachement des militants à son parti et sans doute surestimé sa propre aura, Tanguy Prigent a échoué à faire passer au PSA la majorité de sa fédération. À l’issue de cet échec, il se retrouve isolé n’ayant entraîné à peu près personne derrière lui. L’enthousiasme du meeting de la Mutualité à Paris du 14 octobre n’a pas gagné les socialistes finistériens. C’est un nouveau tournant dans la vie de l’ancien ministre qui repart presque à zéro. L’ancien dirigeant de la SFIO a déjà tourné la page dans sa « Première réponse aux lettres concernant ma démission du Parti Socialiste SFIO et mon adhésion au PSA » datée du 24 octobre 195937. Il y fait part des réactions provoquées dans toute la France par son départ. Ayant reçu plus de 300 lettres et coups de téléphone, l’ancien député répond dans un texte de synthèse en précisant que dans 93 % des cas il s’agit de lettres de soutien « qui m’aident dans un moment pénible ». Seules quatre réactions ont été sévères dont une « a voulu, bassement, être méchante ». Il répond notamment sur l’accusation d’avoir été « influencé » en rappelant ses choix personnels du 10 juillet 1940, de la Résistance et du 13 mai 1958 et en précisant que sa famille, son entourage, ses collaborateurs et les militants du Finistère l’ont toujours incité à patienter et à se battre au sein du parti depuis plus d’un an. Il réfute aussi l’idée selon laquelle il doit tout au parti car il a, par son militantisme, beaucoup apporté à la SFIO. Au gouvernement, il pense avoir servi la France et son parti plutôt que sa carrière. C’est donc au nom des valeurs et de l’idéal socialiste qu’il faut rompre avec la vieille SFIO et rejoindre le PSA comme le font beaucoup de jeunes et de moins jeunes. Tanguy Prigent a manifestement été impressionné par l’enthousiasme du meeting parisien qui change des luttes d’appareil et des congrès d’une SFIO vieillissante et de plus en plus coupée de la société française en plein renouvellement.
L’adhésion de Tanguy Prigent au PSA
23L’arrivée de Tanguy Prigent au PSA a en effet commencé de belle manière avec le meeting de la Mutualité le 14 octobre 1959 à Paris. Sur les affiches et à la tribune, Tanguy Prigent siège aux côtés des dirigeants du PSA, Édouard Depreux et Mireille Osmin, de Pierre Mendès France et de Jean Poperen, le responsable de Tribune du communisme qui est parvenu à convaincre ses amis de participer au meeting alors que l’UGS, en pourparlers de fusion avec le PSA, s’est refusée à cautionner le « néo-radicalisme » incarné à ses yeux par Mendès France38. Ce jour-là le pari du PSA est gagné car, non seulement la grande salle est pleine, mais de nombreuses personnes ne peuvent entrer. Selon Marc Heurgon, 2 000 à 3 000 auditeurs doivent écouter les orateurs dans la rue et même affronter les bombes lacrymogènes d’un commando fasciste. Tanguy Prigent et Pierre Mendès France qui lance : « Nous voici devant les Bastilles ! » sont très applaudis par un public jeune et enthousiaste, y compris des militants de l’UGS de la région parisienne venus nombreux. Tanguy Prigent prononce un long discours dans lequel il rappelle son parcours militant et les raisons de son adhésion au PSA39. Il parie sur l’importance de « cette deuxième vague d’adhésions, mais non la dernière », pensant encore pouvoir entraîner derrière lui l’essentiel de la fédération SFIO du Finistère. Sentant un mouvement d’opinion s’enclencher, le PCF n’a guère apprécié l’initiative, et Guy Mollet inquiet a consacré à l’événement un long article dans Le Populaire. L’arrivée conjointe de Mendès France et de Tanguy Prigent au PSA semble avoir dynamisé le petit parti de la nouvelle gauche.
24Des relations se nouent entre Tanguy Prigent et Pierre Mendès France40.
25Sans doute s’agit-il d’effacer les aigreurs et les tensions de 1956 : aussi bien la mise à l’écart du Breton du ministère de l’Agriculture que la démission de Mendès France du gouvernement Mollet qualifiée en son temps par Tanguy Prigent de « fuite inqualifiable » ? Peu avant sa mort, à la fin 1969 et au début de 1970, Tanguy Prigent tente de tirer au clair ses relations ambivalentes avec Pierre Mendès France41. Tout oppose le paysan et le Breton qui a réussi par son intelligence et son militantisme socialiste et le grand bourgeois parisien, radical en train de se convertir au socialisme qui fréquente les cénacles économiques et financiers internationaux. Leur passage commun, mais à chaque fois bref pour Mendès France, dans le gouvernement provisoire du général de Gaulle en 1944-1945 puis dans le gouvernement de Guy Mollet en 1956, ne leur a pas permis de se connaître véritablement. Au lendemain du meeting du 14 octobre, Tanguy Prigent propose maladroitement à l’ancien président du Conseil d’engager la discussion et la réflexion et de jouer un rôle de leader au sein du PSA42. Dans les mois suivants, Tanguy Prigent organise quelques rencontres à Paris dans l’ancien appartement de Marcel Déat qu’il a laissé à ses enfants et à son gendre, le philosophe François Châtelet, qui vient du PCF et de Tribune du communisme43. Jean Poperen, Alain Savary, François Châtelet participent à ces rencontres informelles. À la fin de sa vie, Tanguy Prigent se reprochera d’être tombé sous le charme de Mendès France, personnalité à part dans le PSU, avec lequel il entretiendra de nouveau des relations épistolaires en 196644.
26Mais la ferveur de la Mutualité retombée – dans sa première réponse du 24 octobre, il écrit « Je n’avais pas vu cela depuis 1936 ! » – Tanguy Prigent se retrouve bien isolé. Pendant quelques mois, le temps de mettre sur pied le parti socialiste unifié (PSU) au printemps 1960, le maire de Saint-Jean-du-Doigt va militer au parti socialiste autonome en s’efforçant de développer la fédération du Finistère. C’est le noyau fondateur brestois du PSA, né à l’automne de 1958, qui est le plus agréablement surpris de l’arrivée de ce ténor de la vie politique bretonne. Dans une lettre du 9 octobre 1959, André Roulleau, le secrétaire fédéral du PSA accueille avec joie Tanguy Prigent en insistant sur la jeunesse et le dynamisme de ce nouveau parti face à une SFIO sclérosée et « vouée à une mort lente45 ». Le 11 octobre suivant, le congrès fédéral du PSA des Côtes-du-Nord, présidé par Édouard Depreux, salue le ralliement de l’ancien député de Morlaix. Antoine Mazier qui avait poussé Depreux à la scission en septembre 1958 se sent désormais moins seul en Bretagne. Mais si la fédération des Côtesdu- Nord s’est imposée parmi les socialistes depuis un an, tout est à faire dans le Finistère. En effet, le PSA ne compte qu’une seule section d’une vingtaine de membres à Brest, essentiellement des enseignants regroupés autour du lycée de la ville. Selon Roulleau, il y a bien quelques militants à Concarneau et à Quimper qui s’efforcent de lancer des sections mais pas de véritable organisation. Le responsable brestois compte beaucoup sur l’apport de Tanguy Prigent, dans la région de Morlaix et chez les paysans. Des contacts sont noués depuis plusieurs mois avec des militants ou des élus comme François Manach, maire de Commana et conseiller général de Sizun, mais ces militants d’accord politiquement avec le PSA n’auraient pas voulu franchir le pas de la scission par fidélité à Tanguy Prigent46. Le PSA finistérien espère bien profiter du charisme de l’homme du Trégor pour se développer. Paul Trémintin, le trésorier fédéral, fait parallèlement pression sur des enseignants socialistes lors du congrès départemental de la FEN le 15 octobre 1959, syndicat où un courant de sympathie pour le PSA semble se dessiner. Premier succès, des dissidents de la SFIO créent une section du PSA à Concarneau le 28 octobre (une vingtaine d’adhérents dans la région) mais une tentative similaire échoue à Quimperlé en novembre47. Les adhérents du PSA, peu nombreux, sont alors essentiellement des enseignants.
27Tanguy Prigent se lance dans la bataille après le congrès fédéral de la SFIO du 25 octobre qui a été un échec pour lui. Il s’adresse directement aux adhérents socialistes avec le texte de son discours de la Mutualité du 14 octobre ainsi que deux lettres d’explication. Sa « Troisième lettre aux Militants Socialistes du Finistère », datée du 10 novembre 1959, est adressée du siège du PSA à Paris. Une fois encore, il s’agit pour lui de répondre à l’abondant courrier reçu de militants finistériens. Ces lettres « même lorsqu’elles expriment un complet désaccord, sont toutes dignes, presque toujours amicales ». Il cite le cas du secrétaire d’une section du canton de Lanmeur, son fief, qui lui fait part de la décision de rester à la SFIO jusqu’au 1er janvier 1960, puis de se réunir et de voter pour choisir. Mais la quasi totalité des adhérents pencherait pour le PSA. Cet exemple reflète la demande d’explications et de perspectives de certains socialistes finistériens qui n’ont pas admis la manière dont leur ancien secrétaire fédéral s’était comporté depuis deux mois. Tanguy Prigent reconnaît donc et explicite sa précipitation « parisienne » par l’accélération des événements et affirme sa conviction de la nécessité d’un « grand parti socialiste et démocratique » qui doit bientôt naître du « grand congrès national d’unité ». Résidant essentiellement à Paris, l’ancien député de Morlaix rencontre pour la première fois les militants du PSA et de l’UGS à Brest, le 11 décembre 1959 et, en prévision de l’unification de ces deux organisations, il va labourer le terrain dans les premiers mois de 1960 comme membre du bureau du PSA.
28Le 1er janvier 1960, dans une lettre à ses « compatriotes finistériens » au nom du parti et à titre personnel, il présente les perspectives du PSA aux socialistes du département (unification en cours, conditions et tarifs d’adhésion). Une campagne de propagande est enclenchée avec comme point fort l’organisation d’une conférence interdépartementale d’information à Châteaulin le 24 janvier 1960 et le lancement d’un hebdomadaire départemental prévu pour mars 1960. Les discours des intervenants du meeting de la Mutualité sont largement diffusés auprès des responsables de la SFIO comme auprès des sympathisants du PSA48. L’orateur impénitent reprend son bâton de pèlerin du socialisme à Quimper et à Concarneau (les 7 et 8 janvier). Assurément, à 50 ans une nouvelle phase commence dans la vie militante du Breton qui ayant mis ses actes en conformité avec ses idées et ses aspirations se sent revivre. Il semble mettre beaucoup d’espoir dans ce parti socialiste à naître.
29Après le choc de la crise du 13 mai 1958, l’année 1959 est celle d’une nouvelle rupture radicale pour Tanguy Prigent. Pour rester fidèle aux idées qu’il croit justes et à la conception qu’il se fait du socialisme, celui qui a milité depuis près de 35 ans à la SFIO, rompt avec son parti et avec beaucoup d’amis, en particulier dans sa fédération. Déchirement douloureux même s’il retrouve au PSA essentiellement des socialistes qui ont rompu un an plus tôt. Sous le choc de la guerre d’Algérie, le paysage politique de la gauche finistérienne s’est décomposé en quelques mois. Sa recomposition entamée va s’accélérer sous l’impulsion du bouillant Tanguy Prigent qui veut contribuer à rebâtir une nouvelle gauche moderne et critique en dehors du PCF et de la SFIO.
Notes de bas de page
1 ADF. 31 W 422. Rapports des Renseignements généraux (RG) cités par Sébastien Poquet, Les élus du Finistère et la guerre d’Algérie (1958-1962), maîtrise d’histoire, UBO, Brest, 1997, p. 103-104.
2 Ouest France, 5 décembre 1958.
3 ADF. 31 W 422. Rapport des RG du 19 décembre 1958.
4 Dans le Finistère (1 043 grands électeurs), 76,8 % se sont prononcés pour de Gaulle, 15,7 % pour Georges Marrane le candidat du PCF et 7,5 % pour le doyen Châtelet qui représente l’Union des Forces démocratiques (UFD). Jean Pascal, op. cit., p. 614. Conseiller général, Tanguy Prigent a voté pour Albert Châtelet et il s’est opposé à la direction de son parti.
5 Denis Lefebvre, Guy Mollet. Le mal aimé, Paris, Plon, 1992, p. 353-354.
6 Une motion exigeant immédiatement « le renouvellement du comité directeur » a été adoptée à 87 % des voix. Le Breton Socialiste du 10 janvier 1959.
7 Marie Férec, L’impact de la guerre d’Algérie sur la vie politique à gauche dans le Finistère (1954- 1962), maîtrise d’histoire, UBO, Brest, 1999, p. 216-219. Nous nous appuyons largement sur cette excellente étude qui a dépouillé les fonds des archives départementales, des archives de l’OURS et du fonds Tanguy Prigent du Centre du Travail (CDT) de Nantes.
8 Idem. ADF 31 W 423. Note des RG du 8 janvier 1959 et Ouest France du 5 janvier.
9 Archives de l’OURS. Fonds Guy Mollet. Lettre de Tanguy Prigent à Guy Mollet du 22 janvier 1959 citée par Marie Férec.
10 CDT de Nantes. Fonds Tanguy Prigent. Pri 21, documents SFIO.
11 Le Breton Socialiste, « le sens d’une abstention », 17 janvier 1959.
12 Lettre de démission de ses responsabilités à la commission nationale agricole de la SFIO du 22 septembre 1959.
13 Denis Lefebvre, Guy Mollet, op. cit., p. 354.
14 OURS. Fonds Guy Mollet. Lettre de Tanguy Prigent à Vincent Auriol du 19 février 1959 citée par Marie Férec.
15 CDT de Nantes. Fonds Tanguy Prigent. Pri 21. Documents SFIO.
16 Pierre Brigant, La Fédération socialiste SFIO du Finistère, op. cit., p. 661-663. La SFIO est passée de 849 conseillers municipaux en 1953 à 821 en 1959. Du fait du nouveau mode de scrutin, elle n’a plus d’élus à Brest, Quimper et Morlaix.
17 Dans une lettre à Guy Mollet du 28 avril 1959, Jean-Louis Rolland indique que « Les camarades de Concarneau, de Camaret, de Landerneau et de bien d’autres sections importantes auraient déjà quitté le parti, si je ne m’étais pas interposé ». Mais les communistes ayant barré son nom car il avait appelé à voter oui au référendum, l’ancien sénateur accuse Tanguy Prigent d’avoir cautionné cette manœuvre et il demande à Guy Mollet de le sermonner. Voir Pierre Brigant, La Fédération socialiste SFIO du Finistère, op. cit., p. 658.
18 CDT de Nantes. Fonds Tanguy Prigent. Pri 26 (4), courrier de 1959. Partie de phrase soulignée par Tanguy Prigent qui précise que la présence de G. Mollet au congrès fédéral provoquerait un « accrochage très dur » et « plutôt des démissions que des adhésions ».
19 ADF. 31 W 423. Note des RG du 27 juin 1959.
20 Le Breton Socialiste, « Retournons aux sources du socialisme », 4 juillet 1959.
21 ADF. 31 W 423. Note des RG et Ouest-France des 5 et 6 juillet 1959. Une motion du Pas-de-Calais qui soutient la politique algérienne de de Gaulle obtient cinq voix dont celles de Masson et de J.-L. Rolland et il y a 17 abstentions. Mao, Gravot et Marie Jacq, responsable fédérale des femmes socialistes appuient la motion Finistère. La fédération prône aussi un « front uni des socialistes », donc avec le PSA et la Nouvelle Gauche.
22 L’année politique 1959, p. 80-82.
23 Gilles Morin, De l’opposition socialiste à la guerre d’Algérie au PSA (1954-1960), op. cit., p. 542- 544 et Pierre Brigant, op. cit., p. 665-667.
24 Edmond Monange, « Tanguy Prigent de la SFIO au PSU », Cap Finistère. Supplément Tanguy Prigent, n° 12, 1996, p. 10-11.
25 L’année politique, op. cit., p. 83.
26 Lettre de démission de Tanguy Prigent de la commission nationale agricole du 22 septembre. Elle reprend de larges extraits de la lettre de démission adressée à Guy Mollet. Documents et textes reproduits en annexes dans Marie Férec, op. cit. Selon Tanguy Prigent, le 16 septembre, le secrétaire général-adjoint Cazelles lui a demandé s’il voulait conserver ce poste. La direction souhaitait son départ, mais c’est à Tanguy Prigent d’en prendre l’initiative, ce qu’il fait les jours suivants. Il perd son bureau cité Malesherbes et doit déménager ses archives (des centaines de dossiers).
27 CDT Nantes. PRI 19 bis. Coupures de presse.
28 L’année politique 1959, p. 112.
29 Selon le témoignage de Marie Jacq, responsable fédérale des femmes socialistes, recueilli par Marie Férec, cet événement a été déterminant. C’est aussi ce que Tanguy Prigent écrit à des camarades socialistes du Finistère en particulier dans une lettre du 10 novembre 1959. Il précise que sa double décision a été prise en une demi-journée « entre 8 heures et 15 heures », le 21 septembre après avoir appris l’adhésion de Pierre Mendès France au PSA. Mais il ne dit rien des contacts antérieurs avec les dirigeants du PSA.
30 Marc Heurgon, Histoire du PSU. 1. La fondation et la guerre d’Algérie (1958-1962), Paris, La Découverte, 1994, p. 71-74. La décision de saborder le CAD a été prise par 369 voix contre 23. Le CAD avait été créé en janvier 1959 après le départ des mendésistes du parti radical.
31 Ce texte est adressé de la capitale (1, rue Louis-Murat, Paris 8e) « aux Responsables, aux Élus, aux Militants de la Fédération Socialiste SFIO du Finistère ». Cette lettre est publiée dans le supplément à Tribune du socialisme, n° 23. Une seconde lettre imprimée du 9 octobre « aux militants SFIO du Finistère » reprend le cheminement politique depuis un an et explique la décision précipitée par l’adhésion de Mendès France au PSA, suivie par plusieurs anciens parlementaires socialistes : « Je n’ai pas voulu être un frein et affaiblir les chances d’un regroupement très rapide de toutes les tendances de la gauche démocratique et socialiste. »
32 Gilles Morin, thèse citée, p. 545-547.
33 Tanguy Prigent participe à cette réunion avec quatre socialistes minoritaires et cinq responsables du PSA.
34 OURS. Fonds Guy Mollet. Lettre de Tanguy Prigent au comité directeur du 30 septembre 1959 et PV des comités directeurs (1959-1960). Seul A. Gazier a demandé au CD que Tanguy Prigent puisse s’expliquer. Augustin Laurent dénonce son « travail de démolition » en ajoutant « Tu dois au Parti tout ce que tu es ; sans lui tu n’aurais rien été ».
35 Ibidem.
36 ADF. 31 W 423. Notes des RG d’octobre 1959 (une dizaine).
37 Marie Férec, op. cit., Annexes 2.
38 Marc Heurgon, op. cit., p. 73-74 et Jean Poperen, La gauche française. Le nouvel âge 1958-1965, Paris, Fayard, 1972, p. 143.
39 C’est un texte imprimé de 4 pages qui reprend et développe l’argumentaire du 5 octobre précédent.
40 Le 19 octobre, l’ancien président du Conseil répond à une lettre de Tanguy Prigent en acceptant une rencontre au début novembre et une invitation à venir dans le Finistère au début 1960. Il lui fait part aussi de son inquiétude du fait de l’admission très difficile de ses amis du CAD au sein du PSA notamment dans la Seine. Les socialistes sont en effet fort méfiants à l’égard de radicaux fraîchement convertis au socialisme. Voir Marc Heurgon, op. cit., p. 74-75.
41 Tanguy Prigent, Les maîtres de la vanité (publié par Mireille Prigent), op. cit., chap. VIII.
42 Ibidem, p. 165-166. La réponse de Mendès France figure dans les archives Prigent mais pas cette lettre. Tanguy Prigent écrivait : « Aidez-nous les “purs” du PSA, à permettre à ce parti d’être vraiment le catalyseur désintéressé de l’œuvre de réconciliation des êtres de bien […]. »
43 Voir le récit cocasse du premier déjeuner, p. 170-172.
44 Évoquant ces rencontres, il écrit : « J’étais amoureux. Si sereinement aveugle que j’allais tout avaler, la fine équipe [l’entourage de Mendès France], la collégialité, la planification, le socialisme concret, la rationalisation du réel, les maquignonnages, les doubles jeux. »
45 Marie Férec, op. cit., p. 223-225. CDT de Nantes. Fonds Tanguy Prigent, PRI 26 (4). Courrier 1959. André Roulleau a assisté au 1er congrès national du PSA à Montrouge en mai 1959. Plusieurs lettres de Roulleau à Tanguy Prigent permettent de connaître la situation du PSA à la fin de 1959.
46 Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français (1940-1968), Christian Bougeard, notice François Manach, à paraître.
47 L’initiateur en est Roland Batard, professeur au collège qui a quitté la SFIO en juin 1956, rejoint par Mme Bosser, une institutrice en retraite, ex-conseillère municipale, responsable départementale de la Ligue des droits de l’Homme.
48 ADF 31 W 424. Notes des RG des 5 et 18 janvier 1960.
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