Chapitre IX. Succès et déboires de l’année 1946
p. 179-200
Texte intégral
1Le départ du général de Gaulle de la tête du gouvernement français ne met pas fin à l’expérience gouvernementale de Tanguy Prigent qui conserve l’Agriculture, sans le Ravitaillement, dans le nouveau cabinet présidé par le socialiste Félix Gouin. Avec la disparition d’Adrien Tixier, il devient même le ministre socialiste avec la plus longue expérience gouvernementale dans les ministères qui se succèdent. Le Breton reste à la tête de la rue de Varenne dans les gouvernements Gouin, Bidault, Blum et Ramadier en 1946 et 1947, gouvernements dirigés par des socialistes sauf celui conduit par le démocrate populaire Georges Bidault (juin à décembre 1946), auparavant ministre des Affaires étrangères. Le paradoxe, c’est que Tanguy Prigent est rapidement partisan du départ de la SFIO du pouvoir mais qu’il assume ses responsabilités ministérielles en militant discipliné. Le paysan-ministre poursuit la politique de reconstruction économique, sociale et syndicale de l’agriculture française. Il fait voter le statut du fermage et du métayage, une réforme de structure à laquelle il tient beaucoup. Malgré un engagement permanent du ministre-militant, les déceptions vont se succéder en 1946 sur le plan politique et syndical. Les résultats électoraux ne correspondent pas aux espoirs de Tanguy Prigent qui est conduit à s’interroger sur la stratégie et la ligne politiques de son parti.
Les déceptions : la mise en place de la CGA
2Dans le gouvernement formé par Félix Gouin, investi par l’Assemblée constituante le 23 janvier 1946, Tanguy Prigent conserve le ministère de l’Agriculture. Le ministère du Ravitaillement est attribué à Henri Longchambon, un technicien qui n’appartient pas à un parti politique, afin de limiter les risques politiques et électoraux d’une responsabilité difficile à porter. La SFIO détient sept portefeuilles avec la présidence du Conseil, 179 le MRP six et le PCF six dont Francisque Gay (MRP) et Maurice Thorez (PCF), vice-présidents du Conseil. André Philip (SFIO) prend à regret le ministère de l’Économie et des Finances proposé au radical Pierre Mendès France qui l’a refusé sur les injonctions de son parti1. Il promet d’ailleurs d’appliquer la politique de rigueur prônée par Mendès France qui n’arrange guère le ministre de l’Agriculture. Le 24 janvier, une charte du tripartisme, sans programme ni engagement précis, est signée entre les trois partis qui se partagent le pouvoir.
3Tanguy Prigent poursuit donc son action ministérielle. Dès le premier conseil des ministres, le 30 janvier 1946, il entre en opposition avec ses collègues en défendant les intérêts des paysans sur une question technique aux implications financières, monétaires et sociales. Demandant que la prime de 20 francs sur le blé soit maintenue en février, pour encourager les agriculteurs à livrer leurs stocks sur un marché toujours déficient, l’intervention de Thorez et de Philip conduit à diminuer cette prime à 10 francs. Cette décision est approuvée à l’unanimité moins la voix de Tanguy Prigent2.
4À la veille d’élections décisives, les dirigeants de la CGA souhaitaient que les prix du blé soient fixés précocement et soient élevés afin d’encourager les producteurs à ensemencer. Le ministre se fait le défenseur de cette logique qui va à l’encontre de la politique économique de contrôle des prix voulue par le gouvernement et par André Philip. En effet, contrairement aux craintes et aux allégations des opposants de droite à la CGA, le calendrier des élections syndicales agricoles a été fixé : localement le 6 janvier 1946, du 1er au 10 février au niveau départemental et le 10 mars au plan national. L’organe de la CGA, La Résistance paysanne fait campagne pour « le triomphe de la démocratie syndicale de la Résistance » et le vote des paysans dans « le calme et l’ordre, pour l’Unité dans la Liberté3 ». À la fin du mois, le journal croit pouvoir annoncer un triomphe aux élections locales, avec une participation électorale de 85 % dans certains départements et des centaines de milliers d’adhésions. Mais ce triomphalisme est de courte durée car les élections n’ont pas été favorables aux militants de gauche de la CGA et plusieurs forces d’opposition se sont manifestées avec une vigueur inattendue. À la faveur de la liberté syndicale, « les évincés » de 1944 et de la Corporation paysanne reviennent en force. Au moins un tiers des syndics régionaux ou adjoints revient dans le jeu syndical4. De manière emblématique, René Blondelle, ancien syndic de l’Aisne de 1941 à 1944, est élu secrétaire général de la FNSEA en 1946 jusque 1950 puis président jusqu’en 19545. Le 6 janvier 1946, ce gros exploitant a été élu président de la FDSEA de son département qui compte dix anciens corporatistes à sa direction. Avant même de connaître les résultats nationaux, Tanguy Prigent a pu mesurer les 9 et 10 janvier 1946 l’influence de René Blondelle lors d’un voyage à Laon et à Soissons dans l’Aisne6. Prenant la parole à Laon devant 800 personnes, le ministre doit affronter les critiques de la politique gouvernementale de l’ancien syndic de l’Aisne qui est très applaudi. Le choix de ce voyage ministériel en période de « grève des bouchers », de crise du rétablissement de la carte de pain et d’élections professionnelles agricoles n’est sans doute pas anodin. Jusqu’au bout le ministre de l’Agriculture tente d’infléchir vers la gauche la FNSEA. De mars 1946 à 1950, c’est Eugène Forget, un modeste agriculteur (MRP) du Maine-et-Loire, formé par la Jeunesse agricole chrétienne (JAC), qui préside la FNSEA avant d’en devenir président d’honneur. Lors du premier congrès de la FNSEA en mars 1946, une certaine mystique unitaire existe encore. Le président Forget reçoit une délégation de la CGT et à l’issue du congrès il demande aux délégués de prêter le serment de fidélité à l’unité paysanne7. Mais cette conception de l’unité paysanne n’est pas la même à gauche qu’à droite : l’une ne craint pas la politisation quand l’autre s’abrite derrière l’apolitisme pour reprendre le contrôle du monde rural qui lui a brièvement échappé.
5De 1946 à 1947, sous le ministère de Tanguy Prigent qui tente d’appuyer une CGA dirigée par des syndicalistes de gauche (socialistes et communistes), la FNSEA, la principale branche de la CGA, passe aux mains des démocrates chrétiens et des indépendants paysans. Au nom de l’apolitisme, les cadres de la droite paysanne et corporatiste reprennent très rapidement les leviers de commande du syndicalisme agricole, en éliminant à la faveur des élections au suffrage universel les hommes de gauche. Tous les présidents et secrétaires généraux de la FNSEA jusqu’en 1961 auront été membres de la Corporation paysanne. Le combat inégal engagé en 1944, avec enthousiasme et détermination par le jeune ministre socialiste issu de la Résistance, était sans doute voué à l’échec. L’homme, « le romantique », le ressentira douloureusement.
Le retour des forces conservatrices dans le syndicalisme agricole
6Avec la mise en place définitive de la CGA en 1946-1947 et des fédérations départementales (FDSEA) de la FNSEA, on peut mesurer le bilan de l’engagement de Tanguy Prigent et de ses collaborateurs du ministère dans la mise en place d’un syndicalisme agricole unitair8. Force est de constater que globalement, en termes d’hommes et de forces politiques, la continuité l’emporte sur le changement9. Ou si l’on veut, la restauration est plus forte que la révolution. Le poids des anciens syndicalistes de droite passés logiquement par la Corporation de Vichy est important dans l’Ouest de la France (Sarthe, Eure, Mayenne, Calvados) et dans d’autres départements (Loiret, Cantal, Basses-Pyrénées). Des hommes qui ne reprennent pas de responsabilités syndicales de premier plan restent influents par le biais des chambres d’agriculture et des caisses régionales de crédit agricole. Dès 1945 et en 1946, la presse syndicale agricole critique ouvertement la CGA et ses « démolisseurs » ainsi que la politique ministérielle dans un département comme le Calvados où Jacques Le Roy Ladurie, ancien ministre de Pétain avant de rejoindre la Résistance, revient au premier plan en février 194710. Quand le ministre vient à Caen le 15 mars 1946 à l’invitation de la SFIO et d’agriculteurs du MRP, il est reçu par les dirigeants de la FDSEA majoritairement à droite. Moins que l’échec de la politique ministérielle, cette liste non exhaustive reflète la faiblesse des forces de gauche, et particulièrement des socialistes, dans le syndicalisme agricole et dans les FDSEA. En revanche, le nombre élevé de syndiqués dans les FDSEA, et donc dans la CGA, est à mettre à l’actif du volontarisme du ministère de l’Agriculture. En 1946, la FNSEA revendique 183 856 adhérents. Le problème, c’est que le contrôle politique de ce syndicalisme agricole rénové échappe à la SFIO et à la gauche. La déception de Tanguy Prigent et de ses camarades est à la mesure des espoirs nourris depuis un an et demi.
7En Bretagne, l’action résistante de syndicalistes paysans socialistes et communistes, dans le Finistère et les Côtes-du-Nord, n’a guère été payée de retour. Dans le Finistère, au niveau départemental, la CGA s’est organisée en février 1945. La FDSEA a vu le jour le 7 mars 1945 avec 23 syndicats locaux seulement. En effet, l’Office central de Landerneau refuse de participer à la CGA et met sur pied une fédération rivale. Un mouvement identique touche les Côtes-du-Nord. La représentativité insuffisante de la FDSEA conduit à des négociations difficiles à la fin de 1945 et à un accord avec le syndicalisme landerniste au nom de l’unité paysanne. Les élections du début 1946 donnent la majorité aux hommes de Landerneau. Un modéré devient président de la FDSEA assisté d’un vice-président de la minorité de gauche de la CGA. Mais c’est Pierre Uchard qui est élu secrétaire général de la FDSEA et va détenir le pouvoir réel jusqu'en 1958.
8Membre du conseil régional de la Corporation paysanne, Pierre Uchard est surtout l’homme de Landerneau à la direction de la FDSEA. Candidat « dorgériste » en 1936, il avait défendu les couleurs de la droite dans la circonscription de Brest 2 et avait mis en ballottage le député PDP sortant Paul Simon. C’est donc un adversaire politique du ministre de l’Agriculture qui va diriger une FDSEA forte de 10 000 à 15 000 adhérents en 1946 et qui va végéter jusqu’au milieu des années 195011. Le rapport des forces politiques s’inverse rapidement. Libéré au bout de dix mois de détention, sous la pression de « ses » paysans, Hervé Budes de Guébriant reprend la tête de l’Office central de Landerneau. En Ille-et-Vilaine, après le bref passage de Jean Nobilet à la présidence de la FDSEA, résistant déporté décédé peu après son retour, c’est Jean Bohuon bras droit de Dorgères, élu syndic régional en 1943, qui prend la direction de la FDSEA (15 000 adhérents en 1946). Seule exception : les Côtes-du-Nord où un agriculteur sur deux se syndique (27 600 adhérents), la CGA-FDSEA est dirigée par Romain Boquen jusqu’à sa mort en 1949. Ce camarade de Tanguy Prigent, de la CNP et de la Résistance, est appuyé au bureau par des communistes venus des comités départementaux d’Action paysanne et par des radicaux.
9La situation est plus favorable aux forces de gauche dans d’autres régions où elles étaient mieux implantées avant-guerre (Indre, Limousin, Sud- Ouest, Languedoc, Alpes-Maritimes). Dans les premiers mois de 1946, Tanguy Prigent visite ces régions et y tient des meetings fort applaudis comme à Limoges le 28 février où il rend hommage à son camarade Adrien Tixier qui vient de disparaître et à l’action du général de Gaulle qui a démissionné un mois plus tôt12. Le 24 et le 25 mars, il est dans les Landes, département du député socialiste Pierre Lamarque-Cando, rapporteur du projet de loi sur le fermage et le métayage. Le 24 mars, le ministre de l’Agriculture a pris la parole dans un meeting socialiste dans les arènes de Mont-de-Marsan devant 7 000 personnes. Le 13 avril, il est dans l’Ariège à Tarascon, Pamiers et Saint-Girons (meeting socialiste de 1 800 personnes). Mais derrière les applaudissements d’une assistance acquise perce la déception des citadins à propos des difficultés du ravitaillement. En dépit de sa brève poussée dans la CGA à la Libération grâce au volontarisme de Tanguy Prigent, la SFIO et plus largement les forces de gauche ne résistent pas au retour des forces traditionnelles, de droite ou démocrates chrétiennes, qui structuraient le monde rural dans l’entre-deux-guerres.
Faiblesse et échec de l’implantation socialiste en milieu agricole
10Le ministre de l’Agriculture n’oublie pas qu’il est aussi un dirigeant socialiste. Les responsables agricoles de la SFIO dressent un constat d’échec de leur politique au cours de la journée d’études agricoles du 30 juin 1946.
11D’abord, le député des Landes Lamarque-Cando, rapporteur, tire les leçons « de l’expérience cruelle que nous venons de vivre », allusion directe au résultat des élections professionnelles et politiques du début juin 194613. Il souligne d’abord la faiblesse de la propagande agricole des socialistes. Le journal spécialisé La Moisson, soutenu par le ministère, est trop intellectuel et il ne peut pas rivaliser avec La Terre communiste beaucoup plus populaire et beaucoup plus efficace. La presse socialiste n’aurait pas assez exploité l’image de son ministre de l’Agriculture contrairement au PCF qui exalte sans cesse Waldeck Rochet. La SFIO doit donc réorganiser sa propagande dans les campagnes (presse, affiches, films), former des cadres agricoles, promouvoir de vrais paysans dans le parti y compris au Parlement. La faiblesse organisationnelle et les capacités de propagande sont montrées du doigt face à la puissance et au savoir faire du PCF dans ces domaines.
12De même, reprenant la critique de Tanguy Prigent au congrès socialiste tenu un an plus tôt, le député des Landes interpelle ses camarades : « Avez-vous fait tout ce qu’il fallait pour vous emparer de la CGA dans vos départements respectifs ? » Les résultats des élections syndicales ont déjà répondu à cette question. Gérard Vée, responsable des journaux agricoles de la SFIO qui a été au ministère, constate aussi que la stratégie unitaire des socialistes au sein de la CGA a joué contre la prise de contrôle de l’organisation. En outre, le parti a commis une erreur en cédant son journal issu de la clandestinité, La Libération paysanne à la CGA. Du coup, le journal socialiste La Moisson est paru avec retard et il n’a jamais pu trouver sa place. La faiblesse des socialistes, en se fondant dans la CGA, tient aussi à leur incapacité à mener une action autonome. C’était en fait la poursuite de la stratégie menée au sein des mouvements de Résistance qui ne permettait pas une réelle visibilité des positions socialistes.
13Au cours de cette journée, Tanguy Prigent explique que le retour à la démocratie professionnelle et aux élections était inévitable dans le cadre du retour à la légalité républicaine et qu’elle a joué inévitablement contre la gauche. De plus, comme l’épuration politique n’a pas été faite « comme elle aurait dû être faite », les anciens de la Corporation de Vichy ont pu revenir au premier plan : « Nos adversaires ont le dessus et nous retrouvons des hommes qu’on n’aurait pas dû retrouver. Nous n’avons pas la majorité partout ; il nous arrive d’être battus ; il faut être beau joueur comme dans le Finistère. » Aveu d’échec de la CGA telle que les socialistes l’ont conçue et constat lucide qui ne remet pas en question sa « conviction de l’unification » des paysans qui reprend les aspirations de la CNP. Évoquant son action militante dans la CNP, le ministre doit reconnaître qu’ils n’étaient que quelques-uns : « Nous ne représentions presque rien dans la paysannerie française, et cela explique beaucoup plus que tout le reste les causes de l’inquiétude qui existe maintenant14. » La continuité l’emporte sur les forces de changement qui ont voulu imposer d’en haut un rapport des forces que la Résistance et la Libération n’avaient guère modifié. Les militants socialistes pensent encore pouvoir redresser la situation en redonnant une identité forte et constructive au socialisme rural et en s’appuyant sur les réalisations gouvernementales. Pour ce faire, la SFIO lance le projet d’une amicale, « République paysanne », chargée de rassembler les militants et les sympathisants et d’agir dans la CGA et en dehors. Tanguy Prigent relate dans ses Carnets les premiers pas de ce nouveau mouvement qui reprend en fait la stratégie de la CNP : recruter prioritairement dans la SFIO tout en défendant le principe de l’indépendance pour faire pièce aux fractions communistes et des autres partis politiques dans la CGA et la FNSEA. Le ministre en précise la conception le 30 juin 1946 : « Il ne faut pas que cela apparaisse comme une organisation socialiste, mais comme une organisation d’études et de formation de cadres corporatifs et syndicalistes. Il s’agit de se grouper et de se reconnaître quand il y aura de grandes bagarres à livrer sur le plan professionnel. » Avec le vote de la loi sur le fermage et le métayage, une grande bataille législative vient d’ailleurs de s’achever.
Une grande réforme de structure : le statut du fermage et du métayage
14Inscrit dans les grandes réformes de structure de la Libération, au même titre que les nationalisations, la création de la sécurité sociale ou le statut des fonctionnaires, le statut du fermage et du métayage est la mesure qui a fait entrer Tanguy Prigent dans les manuels d’histoire. Du fait du blocage du Sénat, le ministre socialiste de l’Agriculture du Front populaire n’avait pu faire aboutir en 1937 cette réforme du programme socialiste réclamée aussi par la CNP. Fort déçu de cet échec, Tanguy Prigent veut mener à bien cette réforme en deux temps une fois la guerre achevée. Le 17 octobre 1945, une ordonnance définit le statut du fermage complété par la loi du 13 avril 1946. Soutenu par Lamarque-Cando, député socialiste des Landes, rapporteur de la commission de l’Agriculture, le ministre parvient à faire adopter sa loi sur le statut du fermage et du métayage à l’unanimité en avril 1946. Ces textes sont l’aboutissement de nombreux projets de lois de la SFIO déposés depuis le début du siècle (à sept reprises de 1921 à 1937). Tanguy Prigent, appuyé par le général de Gaulle pour l’ordonnance de 1945, se situe dans la lignée de ses prédécesseurs15.
15Ces textes législatifs fixent les droits des exploitants agricoles, fermiers et métayers, soumis jusqu’alors à l’arbitraire des propriétaires du sol. L’un des objectifs est d’enrayer le départ des campagnes. Ainsi l’ordonnance d’octobre 1945 comporte la suppression des baux de courte durée (moins de neuf ans) et crée une indemnité de plus-value, attribuée au fermier lorsqu’il doit quitter la terre qu’il a mise en valeur. Par ces avancées législatives, le fermier se voit reconnaître le droit à la prorogation illimitée du bail pour lui-même et pour ses successeurs directs. Le renouvellement du bail est automatique sauf si le propriétaire ou ses enfants veulent devenir agriculteurs. Ces dispositions prolongent un texte promulgué en 1942 par Vichy en le complétant dans un sens favorable au fermier. Pour les agriculteurs, dix acquis fondamentaux sont instaurés dont l’obligation d’un contrat écrit avec les propriétaires et un état des lieux. En cas de mise en vente, le locataire obtient un droit de préemption (article 12). Par la loi de 1946, les métayers dont la situation est la plus défavorable pourront opter pour le fermage. En outre, en cas de litige, on crée des commissions consultatives, sortes de tribunaux paritaires des baux ruraux composés de propriétaires et de locataires (article 14). De même, afin d’enrayer l’exode rural prévisible du fait des conditions de vie difficiles, on prévoit un fonds de l’habitat rural qui sera géré par une Caisse d’amélioration de l’habitat (article 13). La discussion du projet de loi a donné lieu à de nombreux amendements, notamment du socialiste Gérard Vée. La loi a finalement été adoptée à l’unanimité sans que la droite paysanne au Parlement s’y soit opposée, ce qui est un beau succès pour Tanguy Prigent. En fait, en rééquilibrant les relations propriétaire-exploitant, l’objectif n’est nullement de léser les propriétaires du sol mais au contraire de favoriser la production à long terme dans une France secouée par les pénuries alimentaires en garantissant au fermier la sécurité de ses investissements. L’exposé des motifs de la loi précise d’ailleurs clairement les buts de la réforme. Il s’agit « de réunir entre les mêmes mains travail et propriété, ce qui est évidemment le meilleur mode d’exploitation16 ». Le modèle social du propriétaire exploitant mis en avant par la loi est bien loin des accusations de collectivisation marxiste et de risque de mise en place de « kolkhozes » dénoncés par une certaine presse agricole de droite.
16Quand le ministre vient annoncer ce résultat au congrès national extraordinaire de la SFIO à Montrouge le 31 mars 1946, il est très applaudi. Soulignant qu’il s’agit « d’une véritable révolution sur le plan économique et sur le plan humain », le ministre présente « ces différentes mesures, d’inspiration socialiste, qu’un ministre socialiste a fait adopter par l’Assemblée constituante ». Après les déboires de la mise en place de la CGA, c’est une consolation. Tanguy Prigent demande à ses camarades « de ne pas céder au scepticisme et de ne jamais oublier les réalisations que, par notre cohésion, notre dévouement, notre énergie, nous avons déjà arrachées à la bourgeoisie capitaliste17 ». Ce statut du fermage et du métayage obtenu de manière consensuelle par Tanguy Prigent est sans doute la seule grande réforme de structure dans le monde agricole réussie par les socialistes à la Libération. Elle va marquer pendant un demi-siècle l’agriculture française. Sans doute contribue-t-elle aussi à maintenir dans les campagnes la mémoire et un grand respect du ministre paysan, du moins parmi les hommes et les femmes de sa génération. D’autres aspects de sa politique de modernisation de l’agriculture sont aujourd’hui bien oubliés.
Positionnement à la gauche du parti
17Les résultats du 21 octobre 1945 à l’Assemblée constituante avaient provoqué un électrochoc chez les socialistes du Finistère qui se remobilisent lors d’un congrès fédéral de la fin novembre 1945 à Châteaulin. La fédération se veut « “résolument unitaire” [avec les communistes] mais avec de fermes garanties d’indépendance et de démocratie » ; elle s’affirme surtout « profondément laïque », la plus « laïque de tous les partis français » en réclamant « la nationalisation de l’enseignement à bref délai18 ». Le PS par la voix de son secrétaire fédéral Hippolyte Masson se fixe trois adversaires : le capitalisme, le militarisme et le cléricalisme. La défense de la laïcité redevient en Bretagne le principal cheval de bataille de la SFIO et un moyen de se distinguer de ses deux alliés du tripartisme, le PCF et surtout le MRP considéré comme un adversaire. Les deux députés socialistes ont d’ailleurs quitté un temps le congrès du parti pour ne pas laisser le champ libre au PCF lors du congrès laïque de Quimper19. Pour tenter de regagner le terrain perdu, Tanguy Prigent se positionne à l’aile gauche de son parti. Il explique la formule du tripartisme mise en place après les élections d’octobre et tient un discours de gauche qui n’est pas très éloigné de l’opposition de gauche qui s’est structurée dans la SFIO depuis le congrès de 1945 et qui se regroupe en février 1946 autour de la revue La Pensée socialiste animée notamment par Guy Mollet20. Pour se démarquer du PCF qui joue la carte de l’unité nationale, le ministre ne craint pas d’affirmer : « Nous serons les seuls à être des marxistes jusqu’au bout et à être des laïcs 100 %. » Mais ce n’est pas seulement un discours de tribune. Reprenant plusieurs interventions en faveur de « l’unité prolétarienne », il obtient un accord sur une motion « unitaire » précisant les « nécessités et les conditions de l’unité ouvrière », qu’il compte soumettre au comité directeur du parti. Au moment où le comité d’entente socialo-communiste moribond discute d’un d’accord des deux partis sur le projet de Constitution, Tanguy Prigent amène sa fédération à prendre position en faveur de « l’unité organique de la classe ouvrière et paysanne » pourtant rejetée à la quasi-unanimité par le 37e congrès national d’août 1945. Mais ce texte pose des conditions draconiennes à « une fusion des deux partis prolétariens en un seul et non [à] l’absorption d’un parti par l’autre ». Ce qui revient à rendre la fusion impossible.
18Les polémiques de la campagne électorale récente ne sont pas oubliées et elles reprennent rapidement. Dans Le Breton Socialiste le 22 décembre 1945, le ministre de l’Agriculture répond à un article de La Terre, largement relayé dans le Finistère, qui l’accuse d’autoriser la vente des chevaux bretons à l’Espagne de Franco. Il se plaint du « dénigrement systématique » des socialistes organisé par les dirigeants communistes alors que les relations militantes à la base sont correctes21. La réunification des deux partis ne semble plus à l’ordre du jour alors que le ministre du Ravitaillement subit de plein fouet les critiques liées au rétablissement de la carte de pain. Pourtant, le congrès fédéral de Quimper du 17 mars 1946 adopte une motion « d’unité ouvrière » votée à l’unanimité par la section de Morlaix qui pose neuf critères. Elle doit être présentée au congrès national pour faire aboutir les pourparlers avec le PCF22. Tanguy Prigent préside ce congrès qui semble porter sa marque. Faisant le point de la situation politique, économique et alimentaire du pays, le ministre annonce que dans le cadre de « la bataille du pain » il a engagé des négociations avec l’ambassadeur soviétique Bogomolov pour acheter des blés russes.
19Ce positionnement à la gauche du parti va bientôt peser lourd. À la fin mars 1946, la SFIO réunit un congrès extraordinaire à Montrouge qui adopte le programme, la tactique électorale et débat de la ratification de la Constitution. Guy Mollet s’y pose en leader de l’opposition à la direction de Daniel Mayer et Robert Verdier alors que Jules Moch réaffirme que le PS est bien un parti de gouvernement. Retenu à l’Assemblée, Tanguy Prigent ne participe pas à ces débats. Mais, le 31 mars, auréolé du vote unanime de la loi sur le fermage et le métayage, il croit pouvoir affirmer qu’il « existe une coïncidence historique entre les besoins de la société moderne et les solutions socialistes23 ».
Nouvelles déceptions électorales (mai-juin 1946)
20À l’approche du référendum du 5 mai 1946 sur le projet de Constitution défendu uniquement par le PCF et la SFIO, Tanguy Prigent sillonne une nouvelle fois les routes du Finistère. Dans le cadre d’une grande campagne de propagande de 53 meetings, le ministre doit prendre la parole dans une bonne quinzaine de localités de la région de Morlaix et de Carhaix (6 et 7 avril) ainsi qu’à Brest en compagnie d’Albert Gazier, sous-secrétaire d’État à l’Économie, et de Lamarque-Cando qui explique le statut du fermage24. Plusieurs parlementaires de la SFIO ont fait le déplacement pour défendre la politique de rigueur d’un ministre victime « d’odieuses campagnes de calomnies » à l’instar de Germaine Degrond à Morlaix. À Brest, devant 7 000 à 8 000 personnes, la palme laudatrice revient au député de l’Aude Guille qui souligne que le « jeune ministre de l’Agriculture » « est resté dans sa simplicité et avec sa foi d’apôtre, l’un des meilleurs propagandistes du parti25 ». Une nouvelle fois, les pénuries pèsent lourd sur la campagne électorale dans le Finistère. Le ministre assiste le 17 avril suivant, à Sizun, aux obsèques de son ancien adversaire radical-socialiste Mazé, aux côtés d’Henri Queuille et d’Édouard Daladier, les dirigeants du parti radical.
21Le ministre est très présent dans son département lors de la campagne référendaire. Appelant à voter oui à la Constitution, il défend inlassablement sa politique agricole, son bilan et ses projets (devant 4 000 personnes à Pont-Croix le 28 avril)26. Néanmoins, le 5 mai 1946, la majorité des électeurs et des électrices de France (53 %) rejette le texte défendu uniquement par le PCF et la SFIO27. La Bretagne a voté non à 61 %. Dans un éditorial très vif écrit au lendemain des résultats, Tanguy Prigent dénonce la trahison des chefs radicaux alliés « aux pires réactionnaires » et celle du MRP, « l’instrument de la réaction cléricale et capitaliste la plus sectaire et la plus hypocrite », ainsi que les mensonges au sujet de la propriété individuelle, de la magistrature et de la liberté de l’enseignement28. Même ministre, le militant socialiste qui n’a jamais cessé de l’être ne mâche pas ses mots et engage la campagne pour les élections à la nouvelle Assemblée constituante du 2 juin29. Tanguy Prigent, tête de liste de la SFIO devant Jean-Louis Rolland, se lance alors du 12 mai au 1er juin 1946 dans une campagne effrénée de réunions publiques dans le Finistère : 33 sont programmées en 17 jours avec parfois trois réunions par jour. Au conseil général, il répond vertement aux critiques sur la mauvaise qualité du pain. Le 15 mai, le ministre de l’Agriculture trouve néanmoins le temps de soumettre un projet de réforme des organismes et des méthodes de collecte et de distribution des denrées agricoles, étudié le 22 mai par un comité économique interministériel30. Les socialistes proposent alors la suppression de l’impopulaire ministère du Ravitaillement et une réforme sensible aux yeux de l’opinion publique pour tenter de pallier les pénuries, l’évasion des produits, le marché noir persistant. Mais le ministre reste partisan d’un contrôle qui serait plus celui des professionnels et d’offices comparables à l’Office du blé que celui des administrations d’État héritées de Vichy. Surtout, il s’oppose à toute liberté commerciale qui favorisait la spéculation au détriment des milieux populaires. Ce projet vient bien tard pour avoir un impact sur les résultats des élections.
22Dans leur presse et leurs réunions publiques, les socialistes et leur « locomotive » ministérielle mènent une bataille offensive « pour la République et le socialisme » mais une nouvelle fois les résultats ne sont pas à la hauteur des espérances et des auditoires31. Le 2 juin 1946, six listes sont en compétition dans le Finistère dont pour la première fois une liste trotskiste du PCI (4 151 voix)32. La poussée du MRP y est sensible (163 312 voix, + 28,8 % depuis octobre 1945, cinq députés sur neuf ) comme au niveau national (28,2 % des voix, 165 élus). Considérés comme le principal barrage contre le communisme, les républicains populaires ont bénéficié, en particulier en Bretagne (20 députés sur 38) de cette consultation. Du même coup, Jean Crouan, candidat du parti républicain de la Liberté (PRL, droite) n’est pas réélu dans le Finistère. Progressant fortement en voix (95 343, + 16,8 % sur octobre 1945), le PCF conserve ses deux députés sortants33. La SFIO progresse moins nettement en voix (84 614, + 7,6 %), ne recueillant qu’une partie de l’électorat qui s’était porté sur la liste UDSR de l’automne 194534. La SFIO conserve elle aussi ses deux députés finistériens et ses sept élus en Bretagne mais elle recule au niveau national avec une perte de 20 sièges (21,3 % des suffrages exprimés, 115 députés). Surtout, l’écart se creuse avec le PCF (5,1 % des voix, perte de deux sièges seulement). Le Breton Socialiste doit reconnaître que le parti a perdu une bataille tout en remarquant que le Finistère est l’un des rares départements où la SFIO a consolidé ses positions. Lot de consolation, le socialiste Manach soutenu par son camarade de Lanmeur succède au Dr Mazé à Sizun. Il devient le septième élu SFIO au conseil général.
23Hippolyte Masson voit dans ce recul des socialistes « l’heure des mécontents » tandis que Tanguy Prigent s’efforce de redonner confiance à ses camarades « pour la République, pour la France et pour la Paix35 ». Il constate que son parti paie au prix fort ses responsabilités gouvernementales (présidence du gouvernement provisoire, Finances, Agriculture sans le Ravitaillement). Il accuse les autres partis d’avoir choisi la politique Pleven favorisant l’inflation contre la rigueur mendésienne soutenue par les socialistes. Ce faisant, il oublie qu’il était lui-même favorable à cette solution. Avant le conseil national du PS, Tanguy Prigent estime que la France « ne veut ni d’un gouvernement clérical, ni d’un gouvernement communiste », ce qui revient à dire qu’un gouvernement tripartite reste la seule solution mais en refusant que son parti assume la présidence du Conseil, ce qui serait suicidaire électoralement. Suivent des considérations plus générales. Pour préserver la paix mondiale, la France doit donner « l’exemple d’une transformation du régime capitaliste en un régime coopératif et socialiste ». Il faut une victoire du PS aux prochaines élections pour éviter « de favoriser la politique impérialiste de la Russie, ou de nous entraîner dans une autre politique impérialiste systématiquement dirigée contre la Russie ». Le ministre de l’Agriculture qui ne se prononce pas sur son avenir ministériel appelle ses camarades à ne pas tomber « dans l’anticommunisme systématique et mesquin » tout en dénonçant « la méthode et la mentalité communiste », car ce serait favoriser la Réaction. Les socialistes doivent donc se ressaisir et défendre fermement leurs idées et leur programme.
Un ministre qui ne souhaite plus rester ministre
24Analysant l’échec électoral de son parti, Tanguy Prigent en vient à s’interroger sur les conséquences de l’engagement gouvernemental. Dans une longue intervention au conseil national du parti le 9 juin 1946, il développe les arguments abordés dans son article paru la veille36. Le ministre constate d’abord le phénomène général en Europe de recul des partis socialistes et de poussée des communistes et des démocrates chrétiens. En France, les socialistes au pouvoir dans les postes économiques et politiques les plus exposés ont fait des réformes qui n’ont pas encore porté leurs fruits. Les autres partis ont repris les critiques des citadins contre les paysans considérés comme responsables des pénuries et de l’inflation et celles des agriculteurs contre le manque d’engrais et de machines et ces arguments ont davantage porté que les réformes accomplies (fermage). Même en n’ayant plus le Ravitaillement, l’impopularité des pénuries est retombée sur les ministres socialistes d’autant plus que les salariés les ont rendus responsables du blocage des salaires alors que celui des prix n’était pas respecté. Critiquant surtout le MRP, Tanguy Prigent se sent obligé de défendre et d’expliquer à ses camarades son statut du fermage, admettant qu’il a sans doute fait perdre les voix « de petits bourgeois » qui veulent vivre du travail des autres. Ce long plaidoyer reflète certainement les incompréhensions de cadres socialistes peu ancrés dans le monde rural et d’un parti qui recrute de plus en plus dans les classes moyennes urbaines et chez les fonctionnaires. Il répond aussi à des critiques vis-à-vis de la politique qu’il a menée, formulées par des dirigeants de la CGA et des députés socialistes37. Le ministre refuse de voir le parti socialiste se transformer en parti radical par crainte des retombées électorales des réformes sociales, de même qu’il refuse de faire du socialisme un capitalisme d’État. Les socialistes doivent donc affirmer leur personnalité pour s’imposer face à leurs adversaires et surtout revoir leur propagande et leur presse. Le Breton ne remet pas encore en question la participation gouvernementale, contrairement à Guy Mollet qui avait demandé le retrait des ministres en août 1945.
25À la fin juin 1946, Tanguy Prigent n’est pas encore dans l’opposition à Daniel Mayer car le comité directeur a adopté à l’unanimité le rapport moral du secrétaire général qui sera rejeté par plusieurs fédérations. Mais le ministre de l’Agriculture a évolué s’interrogeant sur le bien fondé de son maintien au gouvernement lors d’une réunion du groupe parlementaire le 21 juin. Évoquant sa propre intervention, il note en style télégraphique dans ses Carnets : « Garder Agriculture ; c’est la catastrophe – les patrons votent à droite, les ouvriers agricoles et les métayers votent communistes38. » Philipp (sic) va dans le même sens de même qu’Auriol. Le premier déclare : « Avons obtenu avantages de structures à l’Agriculture. Maintenant tout à perdre en restant à l’Agriculture, tout comme aux Finances et à l’Économie Nationale. » Lamarque-Cando se demande : « Pourquoi alors garder l’Intérieur ? Pour tirer sur les ouvriers. » Seul, Juvénal défend le maintien d’un socialiste à l’Agriculture : « Laisserez-vous la CGA au MRP ? Renions-nous les réformes socialistes ? » Cette discussion se termine sans conclusion nette sur la question de ce ministère et Tanguy- Prigent note : « Pas d’enthousiasme. » Durant cette période d’incertitude et d’interrogations, certains responsables socialistes – « un ancien ministre » – pensent qu’il est « souhaitable » de remplacer le maire de Saint- Jean-du-Doigt à l’Agriculture39.
26Lorsque le groupe parlementaire se prononce, avec quelques élus Tanguy Prigent vote contre le soutien de la SFIO à la candidature du MRP Georges Bidault à la présidence du gouvernement provisoire. L’homme qui depuis près de deux ans est en charge du ministère de l’Agriculture est donc prêt personnellement à quitter le gouvernement d’autant plus que la question divise son parti. Finalement, le parlementaire vote le 26 juin l’investiture du leader MRP et les tractations gouvernementales font que Tanguy Prigent conserve son ministère de la rue de Varenne40. Le militant discipliné s’incline mais on imagine que ses attaques récentes contre le MRP ne renforcent pas sa position déjà difficile au sein d’un gouvernement assez peu remanié. Les MRP Robert Schuman et François de Menthon prennent les Finances et l’Économie nationale tandis que « le technicien » Yves Farge est au Ravitaillement. Après Adrien Tixier et Le Troquer, le socialiste Édouard Depreux dirige le ministère de l’Intérieur. Il s’agit de toute façon d’un gouvernement de transition chargé de préparer les échéances électorales de l’automne.
27Tanguy Prigent reprend donc ses activités ministérielles et ses voyages à travers le pays qui lui permettent de rencontrer des délégations de la CGA, de la CGT et souvent de tenir des meetings avec ses camarades socialistes. Le 7 juillet, il est à Caen et à Lisieux ; le 19, il inaugure la foire commerciale de Lille où il prône la mise en place d’une économie dirigée appuyée sur la coopération41. Le 22 août, le ministre est en Alsace : à Strasbourg puis à Colmar où il inaugure la maison de l’Agriculture, préside un banquet, visite un cimetière militaire à Orbey puis une ferme modèle. L’accueil de la population semble être toujours aussi chaleureux. Un mois plus tard, Tanguy Prigent se rend dans le Jura (concours agricole à Dôle, Champagnole). Cette visite consacrée à la forêt de la Joux s’inscrit dans la création d’un fonds forestier national (loi du 30 septembre 1946), une innovation importante pour ce secteur d’activité dans une période où les pénuries de charbon ont mis à mal les réserves forestières du pays. Le ministre fait aussi campagne pour le projet de Constitution à Dôle et à Lons-le-Saunier. Mais lorsqu’il s’en prend au général de Gaulle qui le même jour à Épinal condamne nettement le projet constitutionnel en cours de discussion ainsi que le jeu des partis, une partie de l’auditoire de Lons-le- Saunier n’apprécie pas. Le 26 septembre, le ministre doit présider l’assemblée générale de la FDSEA des Ardennes à Charleville en présence de René Blondelle. Mais il est contraint de se faire remplacer par son chef de cabinet. Cette absence considérée comme une dérobade par les gens de droite est due en réalité à une grave maladie.
28Épuisé par son hyperactivité, les réunions ministérielles et politiques, les milliers de kilomètres parcourus (en voiture et en train), les dizaines de meetings, Tanguy Prigent est victime d’une jaunisse à la fin septembre 1946. Il lui faut deux mois pour se remettre42. À 37 ans, c’est le début d’ennuis de santé de plus en plus graves qui ne cesseront plus. C’est aussi durant cette période ministérielle que l’ancien paysan prend l’habitude de boire et de se doper aux amphétamines pour faire face aux trop nombreuses sollicitations comme il le reconnaît dans ses Mémoires à la fin de sa vie43.
29Toujours à l’aise sur les estrades, l’orateur Tanguy Prigent est plus isolé au sein du gouvernement Bidault où les affrontements sont souvent rudes. Le 26 juillet, le ministre de l’Agriculture qui a fait de la question du prix du blé un des objectifs de son maintien au gouvernement est mis en échec. Le ministre défend au conseil des ministres le prix du quintal de blé à 1 220 F qui a été réclamé par l’Office national interprofessionnel des céréales (ONIC) et approuvé unanimement par la Conférence économique nationale du 4 juillet. Cette politique correspondait aussi aux revendications des socialistes lors de leur journée d’études agricoles du 30 juin. Or, malgré la protestation véhémente du ministre qui considère cette décision comme « désastreuse », le prix du blé est fixé à 1 000 F net44. Georges Bidault refuse un vote du gouvernement sur la question et Tanguy Prigent s’oppose à l’ensemble du communiqué gouvernemental qui ne reprend aucune des propositions de la Conférence économique, en particulier la réforme des circuits de distribution que Tanguy Prigent voudrait engager. Aucun ministre ne l’a soutenu car l’inflation reste préoccupante.
30Deux mois plus tard, le 24 septembre 1946, le ministre de l’Agriculture est à nouveau mis en minorité malgré le soutien cette fois des ministres communistes Maurice Thorez et François Billoux45. Selon ses propres notes, « Tanguy Prigent : défend “vivement” assimilation salaires agricoles aux salaires du bâtiment » contre Georges Bidault et François de Menthon. Il y va de l’intérêt non seulement des ouvriers agricoles mais de l’agriculture et de l’économie. Le Breton ajoute : « Je ne crois pas au retour à la terre : mais le maintien à la terre de ceux qui s’y trouvent serait possible si on ne commettait pas trop d’erreurs dans le genre de celles que vous proposez aujourd’hui. » On touche là à un point sensible et à toute la politique d’amélioration des conditions de vie des agriculteurs mise en oeuvre depuis deux ans par l’équipe de Tanguy Prigent. C’est le meilleur moyen d’enrayer l’exode rural renaissant. Après cette déclaration suit un « très dur accrochage Bidault- T.P. ». Pour arbitrer le conflit, le président du Conseil, avec l’accord de Thorez, convoque Menthon et Prigent qui note : « C’est l’enterrement. » Il n’est pas parvenu à obtenir un vote de ses collègues. On le voit, le Breton n’hésite pas à défendre âprement ses positions en conseil des ministres même s’il est isolé. Face aux difficultés économiques et sociales persistantes dans un pays qui se relève lentement, l’enthousiasme de l’après-Libération s’émousse au fil des jours. Tout n’est pas possible contrairement à la formule de Marceau Pivert en 1936, mais Tanguy Prigent défend toujours les plus humbles.
Les raisons de l’appui à Guy Mollet
31Le 25 août 1946, le ministre participe au congrès fédéral de Landerneau préparatoire au 38e congrès de la SFIO qui s’ouvre le 29 août à la Mutualité à Paris. La « minorité » a déposé un texte, dont le premier signataire est Guy Mollet, qui est un véritable réquisitoire contre la direction sortante46. Au nom de la pureté idéologique marxiste du parti, c’est une critique en règle de la ligne d’ouverture et de médiation gouvernementale de Daniel Mayer, inspirée par Léon Blum qui tente de rénover sur le plan doctrinal « la vieille maison ». Lors d’un premier vote, la fédération du Finistère approuve à l’unanimité moins une abstention la motion Mollet sur le redressement du parti mais en retirant la phrase prévoyant le rejet du rapport moral de Daniel Mayer qui a été approuvé par le comité directeur47. Un second vote rejette le rapport moral du comité directeur par 296 voix contre 257. La fédération du Finistère passe donc dans l’opposition à la majorité sortante et Tanguy Prigent y a contribué en défendant la motion Mollet dans des réunions de section à Brest, Morlaix et Quimper et en faisant passer au second plan la question du rapprochement avec le PCF mise en avant par les minoritaires de sa fédération lors du congrès fédéral de mars 194648.
32Précisons qu’au sortir de la guerre, la fédération finistérienne a plus que doublé ses effectifs passant de 1 730 adhérents en 1938 à 3 900 en 1945. Elle se maintient à 4 000 adhérents en 1946 et 194749. Au 38e congrès de Paris, le 29 septembre, le rapport moral de Daniel Mayer est rejeté par 2 975 mandats contre 1 365 et 145 abstentions malgré l’intervention de Léon Blum. Mais le résultat était joué d’avance depuis le vote des fédérations. La cassure est moins nette dans le Finistère où le rapport de la direction sortante est rejeté par 27 mandats contre 2350. C’est le reflet des frustrations et des mécontentements qui s’accumulent depuis des mois dans le parti socialiste. Désavouée par les militants, la direction Mayer annonce son retrait. Pourtant, la synthèse obtenue en commission des résolutions dont Tanguy Prigent est membre est plutôt favorable aux thèses blumistes de même que la composition du comité directeur. Ainsi la participation au gouvernement n’est pas remise en question.
33En réalité, « la révolution de palais » se produit le 4 septembre 1946 lors de la réunion du nouveau comité directeur auquel Tanguy Prigent a été réélu en cinquième position51. Sur 31 membres, en principe 16 sont « blumistes » contre 15 « molletistes ». Le ministre de l’Agriculture qui tient depuis plusieurs mois un discours proche de celui des « minoritaires » est considéré comme un partisan de Guy Mollet. Or, il est absent lors de cette réunion décisive du 4 septembre. Théoriquement le candidat « blumiste » Augustin Laurent, dirigeant de la fédération du Nord, doit être élu au secrétariat général. Mais à la surprise générale, par 16 voix contre 14, c’est Guy Mollet, député-maire d’Arras (Pas-de-Calais), qui accède à la direction du parti socialiste. Deux membres du comité directeur considérés comme « blumistes » ont apporté leur voix à Guy Mollet, sans doute parce qu’il représente la majorité qui s’est dégagée au congrès52. Tanguy Prigent n’a pas participé à cette prise du pouvoir de Guy Mollet dont il va devenir un proche pendant douze ans. Il appartient désormais à la majorité du parti et va s’affirmer comme un « molletiste » convaincu jusqu’à la rupture douloureuse de 1958.
34On peut s’interroger sur les raisons qui font que le militant de Saint- Jean-du-Doigt, le résistant farouche, ait contribué au renversement de la direction du parti issue de la Résistance. La première raison tient certainement, selon Gilles Morin, à son opposition à la politique des gouvernements auxquels il appartenait53. Il n’a accepté de participer au gouvernement Bidault qu’à son corps défendant en militant discipliné, et il constate qu’à chaque conseil des ministres où les questions agricoles sont débattues, sa politique de hausse des prix agricoles, de progrès social, de réformes des circuits de distribution est rejetée. En 1946 on l’a vu, il récuse la politique économique libérale imputée aux choix de René Pleven au printemps 1945 pour prôner un dirigisme économique de l’État appuyé sur un système coopératif et syndical qui s’inspire du fonds saint-simonien du socialisme français. De plus en plus souvent, en 1946 et 1947, Tanguy Prigent se trouve en désaccord avec ses amis Daniel Mayer, Jules Moch, et même André Philip comme il le sera avec Paul Ramadier en 1947. À partir de l’été 1946, le Breton se trouve dans la situation paradoxale d’un ministre antiparticipationniste, ce qui le rapproche des positions défendues par Guy Mollet. Partant d’une convergence politique en 1946, la proximité des deux hommes ne va cesser de se renforcer dans les épreuves des mois suivants.
Les nouveaux déboires électoraux de la fin 1946
35Au comité directeur du 18 septembre, Tanguy Prigent approuve le projet de Constitution élaboré par les trois grands partis54. Le 25 septembre, il expose devant l’organisme dirigeant la situation de la politique agraire du parti. Il souligne les difficultés persistantes de La Moisson, propose de nommer Marcel Roels, journaliste au Populaire comme rédacteur en chef et réclame une aide financière urgente du parti pour compléter celle du ministère. Le comité directeur prévoit la mise en place d’un comité de propagande agricole et le ministre expose son projet de République paysanne envisagée à la journée d’études agricoles du 30 juin. Cette organisation amie formant des cadres pour la CGA devra « officieusement » « constituer un foyer de recrutement socialiste ». Le ministre demande la caution de son parti. République paysanne se mettra laborieusement en place en 1946- 1947, gestation suivie par le ministre de l’Agriculture55. Au lendemain de cette réunion du comité directeur qui a approuvé ses propositions, Tanguy Prigent tombe gravement malade, ce qui l’écarte pour la première fois de la campagne pour le oui au référendum du 13 octobre 1946 et surtout de la campagne pour les élections législatives du 10 novembre.
36Bien que soutenue par les trois grands partis au gouvernement mais combattue par le général de Gaulle, les radicaux et l’UDSR alliés dans le RGR et les indépendants de droite, la Constitution de la Quatrième République n’est approuvée que très difficilement. Le oui n’obtient que 36,1 % des inscrits contre 31,3 % de non mais 31,2 % d’abstentions (plus 1,4 % de vote blancs et nuls). Seulement 37,5 % des inscrits du Finistère approuvent la Constitution (31 % de non, 30,7 % d’abstentions) dans ce département qui avait donné 88,6 % de ses suffrages au tripartisme en juin 194656. La campagne pour les élections législatives est difficile pour la SFIO prise dans les remous du scandale du vin, habilement exploité par le ministre du Ravitaillement Yves Farge. Ce scandale qui éclate en octobre met en cause Gaston Defferre. Dans le Finistère, Tanguy Prigent conduit la liste socialiste devant Eugène Reeb, professeur de philosophie au Lycée de Quimper, résidant à Concarneau. La désignation de Reeb en seconde position, au détriment du sortant Jean-Louis Rolland, est d’ailleurs le résultat d’un conflit classique dans le Finistère entre le nord et le sud du département, un conflit qui traverse toutes les formations politiques. Les « nordistes » dominent la fédération de la SFIO, ce que n’acceptent plus les « sudistes » à la recherche d’un leader pour se développer face à un PCF puissant. Pour obtenir la seconde position déjà revendiquée en juin 1946, 197 la section de Concarneau, celle de Reeb, réclame l’arbitrage du comité directeur57. Et Eugène Reeb figure en deuxième position lors des élections législatives de novembre 1946.
37La campagne est d’autant plus rude que Tanguy Prigent n’est pas physiquement présent. Il se trouve réduit à lancer un appel dans Le Breton Socialiste du 2 novembre. Rumeurs et attaques personnelles circulent dans les campagnes, orchestrées semble-t-il, par les hommes de Landerneau de nouveau en position de force dans le monde agricole. On l’accuse d’être responsable des ennuis judiciaires de Budes de Guébriant. C’est sans doute ce qui explique la demande d’enquête du cabinet du ministre auprès d’Édouard Depreux, le ministre de l’Intérieur, le 26 octobre 194658. Il s’agit d’apporter la preuve que l’ancien leader de la Corporation de Vichy a réclamé l’internement de l’ancien résistant à la fin 1942, sans d’ailleurs parvenir à trouver d’éléments précis59.
38Le ministre socialiste est aussi mis en cause pour son projet d’Office foncier qui doit aider à restructurer et à moderniser les exploitations agricoles en permettant aux agriculteurs d’acheter en priorité les terres mises en vente ou pour mettre en valeur les terres en friche. C’est l’anticipation des SAFER, ces sociétés d’aménagement foncier qui seront mises en place dans les années 1960. Mais les adversaires politiques de la SFIO (MRP, radicaux, droite) préfèrent agiter la peur de l’expropriation de la première mouture du projet, celle de 1944 qui prévoyait de gérer les biens des « traîtres » épurés. Dans son article « Le socialisme peut sauver la propriété paysanne et l’exploitation familiale », publié dans La République Sociale, journal socialiste breton, Tanguy Prigent rassure les propriétaires et exploitants agricoles en leur expliquant qu’il s’agit d’un complément de son statut du fermage afin d’aider sans contrainte les exploitants qui veulent accéder à la propriété60 Mais à droite on l’accuse de vouloir nationaliser la terre. D’autres rumeurs qu’il imputera ensuite aux communistes laissent entendre qu’à la conférence de la FAO à Copenhague, à la mi-septembre, le ministre de l’Agriculture aurait accepté de supprimer la culture du blé dans certaines régions de France ; accusation absurde alors que le déficit céréalier de 1945- 1946 est très élevé obligeant le pays à importer des grains61.
39Six listes sont en présence dans le Finistère le 10 novembre 1946 dont une liste d’union gaulliste (5,6 %) qui retrouve à peu près l’électorat de droite du PRL absent. Les résultats ne sont pas bons pour la SFIO qui certes conserve ses deux élus sur dix sièges à pourvoir (un de plus). Avec 45,3 % des voix, le MRP conserve cinq sièges dont ses leaders André Colin et André Monteil. Le PCF, 27,8 %, gagne un siège grâce à un gain de plus de 10 000 voix depuis juin. Il compte désormais trois députés dont l’instituteur Alain Signor qui s’est fait remarquer par son antisocialisme contre la SFIO en 1945-194662. Avec 16,26 % des suffrages seulement, une perte de près de 23 000 voix, les socialistes sont les grands perdants comme le reconnaît Tanguy Prigent63. L’influence socialiste se réduit : le parti ne dépasse plus les 30 % des suffrages exprimés que dans quatre cantons (40,6 % à Lanmeur) contre onze en juin 194664. L’absence du ministre sur le terrain a sans doute compté mais les virulentes attaques contre la SFIO des adversaires-partenaires de la coalition gouvernementale ont aussi porté leurs fruits. Tanguy Prigent affirme que la politique des prix (hausse du prix du pain et du beurre) a été décidée par le gouvernement contre l’avis des ministres socialistes. Pourtant les résultats finistériens, le succès du MRP en plus, sont conformes aux évolutions nationales. Le PCF est devenu le premier parti de France (28,8 % des voix, 165 députés) devant le MRP (26,3 %, 158 sièges) et la SFIO (18,1 %, 91 députés). La SFIO a perdu un siège en Bretagne au profit du PCF qui en a gagné un dans le Finistère65. Ces résultats risquent de conforter Tanguy Prigent dans son souhait de voir les socialistes quitter le gouvernement.
40L’année 1946 s’achève sur un bilan mitigé pour le ministre de l’Agriculture. S’il peut légitimement être fier d’avoir fait voter à l’unanimité par l’Assemblée constituante le statut du fermage et du métayage, Tanguy Prigent n’est pas parvenu par son volontarisme et son activisme à mettre en place un syndicalisme agricole unifié et de gauche. Le rétablissement de la démocratie et du suffrage universel ont permis aux forces dominantes dans le monde rural, y compris aux anciens vichyssois, de reprendre en mains les leviers de commande. Le militant syndicaliste et le résistant ne peuvent que constater la permanence d’un rapport des forces syndicales défavorable aux partis de gauche et à la SFIO. De même, dans les élections politiques, les communistes confirment leur statut de premier parti de gauche au détriment d’un parti socialiste qui s’effrite. Dans le Finistère, Tanguy Prigent n’a pas été épargné par ses partenaires-adversaires du PCF et du MRP lors des campagnes électorales référendaires et législatives de l’année 1946. Dans les débats internes, le ministre de l’Agriculture se positionne nettement à la gauche de son parti. Et, au vu des résultats électoraux de juin 1946, il est partisan de remettre en question la formule tripartite qui dessert la SFIO, voire de quitter les responsabilités gouvernementales. Il poursuit néanmoins sa tâche dans le gouvernement de Georges Bidault, sans toujours parvenir à faire entendre sa voix.
Notes de bas de page
1 L’AP 1946, p. 11-13. Les socialistes ont aussi : l’Intérieur, André Le Troquer ; l’Éducation nationale, Marcel Naegelen ; les Travaux publics et les transports, Jules Moch ; la France d’Outre-Mer, Marius Moutet.
2 CHT de Nantes. Carnets de Tanguy Prigent. Cité par Édouard Lynch, « Les socialistes et l’action agricole à la Libération : espoirs et désillusions », Le parti socialiste entre Résistance et République, op. cit., p. 149.
3 La Résistance paysanne, 23 décembre 1945, 6 et 13 janvier 1946. Citée par Isabel Boussard, « Résistance et syndicalisme agricole », op. cit., p. 34.
4 Isabel Boussard, Vichy et la Corporation paysanne, op. cit., p. 362-368.
5 R. Blondelle a appartenu à la commission nationale d’organisation puis au conseil national corporatif. En 1952, il est élu président de la chambre d’agriculture de l’Aisne et sénateur en 1955. Il est membre du comité directeur des indépendants et paysans.
6 AN. F 7/15504. Rapports des RG.
7 Isabel Boussard, « Résistance et syndicalisme agricole », op. cit., p. 47. Eugène Forget estime avoir été porté à la présidence de la FNSEA du fait de la rivalité entre les gros agriculteurs du Bassin parisien et les viticulteurs du Midi.
8 AN F 7/15504. Direction des RG. En janvier 1946, le cabinet est modifié. Libert Bou en reste directeur avec R. Lyon comme adjoint. Le chef de cabinet est Jacques Pélissier, ingénieur agronome au ministère de 1938 à 1944, secrétaire général de la préfecture des Landes puis des Ardennes en 1944 et 1945.
9 Philippe Buton et Jean-Marie Guillon (dir.), Les pouvoirs en France à la Libération, Paris, Belin, 1994. Rapport de synthèse de Isabel Boussard « le monde paysan », p. 96-115 d’après les études départementales des correspondants de l’Institut d’histoire du temps présent (IHTP-CNRS).
10 Selon Jean Quellien, le comité professionnel formé le 3 décembre 1945 compte 14 anciens de la Corporation sur 17 membres.
11 Yves Tavernier, Le syndicalisme paysan : FNSEA et CNJA, Paris, FNSP/A. Colin, 1969, p. 69.
12 AN. F 7/15540. Rapports de police.
13 Édouard Lynch, op. cit., p. 152-155.
14 « Journée d’études agricoles du 30 juin 1946 », Bulletin Intérieur du Parti Socialiste, n° 16, 10 août 1946, intervention de Tanguy Prigent, p. 12-13.
15 Le Breton Socialiste, 20 octobre 1945. Plusieurs propositions de loi de Compère-Morel ont été signées par les socialistes bretons Masson et Goude.
16 Histoire de la France rurale. T. 4, de 1914 à nos jours, s.d. de G. Duby et A. Wallon, op. cit., p. 576-577.
17 Le Breton Socialiste, « Le statut du Fermage et du Métayage a été voté par l’Assemblée » et « Tanguy- Prigent au congrès socialiste », 6 avril 1946. Le texte de cette intervention est repris dans Statut du fermage et du métayage, Éditions de la Liberté, 1946.
18 Ibidem, 1er décembre 1945.
19 Le 10 mars 1946, Tanguy Prigent participe à un meeting d’action laïque qui devait être présidé par le ministre de l’Éducation nationale, le socialiste Maurice Naegelen. Mais il se fait plus discret car pour participer au gouvernement Gouin, le leader du MRP Georges Bidault a posé comme condition le maintien du statu quo sur la liberté d’enseignement.
20 Denis Lefebvre, Guy Mollet. Le mal aimé, Paris, Plon, 1992, p. 103-106.
21 Le Breton Socialiste, « Non, les chevaux bretons ne vont pas en Espagne » ; « Nous ne sommes pas de la volaille à plumer » et « Frénésie anti-socialiste », 22 et 29 décembre 1945.
22 Ibidem, 23 mars 1946. Un militant trotskiste du PCI a été invité au congrès de la SFIO ainsi qu’une délégation du PCF. Soulignons que plusieurs points sont inacceptables pour le PCF comme « la fidélité à l’Internationale ouvrière unique et démocratique comprenant naturellement le PCI dit trotskiste » ou « l’indépendance absolue à l’égard de tout gouvernement étranger, quel qu’il soit, et à l’égard du syndicalisme ».
23 Ibid., Marcel Bidoux, « A la bataille ! à la victoire ! », 6 avril 1946.
24 Ibid.
25 Ibid., 13 avril 1946. Selon le journal socialiste, la mobilisation a été forte (plus de 6 000 personnes à Morlaix, 1 800 à Carhaix, 500 à Lanmeur). Germaine Degrond dénonce les lâches qui ont écrit « A mort Tanguy Prigent » à Brest.
26 Ibid., 4 mai. Le 27 avril, le journal a titré : « Socialistes, partisans d’une République vraiment prolétarienne, vous voterez Oui pour la Constitution le 5 mai. »
27 Dans le Finistère, il y a 209 773 non (55,8 %) pour 166 355 oui. Le 19 avril, à l’Assemblée, 14 députés bretons seulement avaient voté le texte constitutionnel, 23 l’avaient rejeté.
28 Le Breton Socialiste, « En avant pour la Victoire du 2 juin », 11 mai 1946. Le journal titre : « La République est en danger. Camarades, serrons les rangs ! »
29 Il va jusqu’à écrire : « Ceux qui ont voté NON constituent un mélange écoeurant de radicaux, de MRP, de PRL, de royalistes, d’hitlériens, de collaborateurs et de dupes. »
30 Le Breton Socialiste, « Supprimons le ministère du Ravitaillement », 25 mai 1946.
31 Le Breton Socialiste, 18 et 25 mai et 1er juin 1946.
32 Jean Pascal, Les députés bretons de 1789 à 1983, op. cit., p. 545-552.
33 Pour un nombre d’inscrits à peu près identique, il y a 16 428 votants supplémentaires (+ 4,4 %).
34 Les socialistes n’obtiennent plus de 30 % des voix que dans 11 cantons finistériens.
35 Le Breton Socialiste, 8 juin 1946.
36 OURS. Conseil national 1946, p. 140-147. Nous remercions Gilles Morin de nous avoir communiqué ce texte.
37 AN 7 F/15504. Rapport des RG du 15 juin 1946.
38 Cité par Édouard Lynch, op. cit., p. 150.
39 AN 7 F/15504. Rapport des RG du 15 juin 1946.
40 Lors du conseil national du 4 décembre 1946, il rappelle sa position et précise qu’il est intervenu auprès de quelques députés socialistes qui avaient voté contre Bidault pour les faire rectifier leur vote.
41 Ibidem.
42 Tanguy Prigent est absent des réunions du comité directeur du 2 octobre au 27 novembre 1946.
43 Tanguy Prigent, Les maîtres de la vanité, op. cit., p. 144 évoque son action ministérielle : « Grandement aidé par Maxiton, Orthédrine, Champagne, mes “coupables” d’hier devenus mes alliés. »
44 Carnets de Tanguy Prigent du 23 juillet 1946 cité par Édouard Lynch, op. cit., p. 150.
45 Ibidem, p. 151. Le même récit a été publié par Mireille Prigent, Ti Kaled, op. cit., p. 220 mais dans une transcription légèrement différente (il s’agit de notes prises en conseil des ministres) et à la date du 18 septembre.
46 Denis Lefebvre, Guy Mollet, op. cit., p. 116-117.
47 Le Breton Socialiste, 31 août 1946.
48 Pierre Brigant, thèse citée, p. 434-438.
49 « Les effectifs fédéraux 1935-1950 », Recherche socialiste, n° 4, septembre 1998, p. 101-103. En août 1946, le trésorier revendique plus de 4 000 adhérents. Selon les RG, la SFIO serait passée de 2 840 adhérents en août 1945 à 4 500 en mars 1946. Elle annonce la création de sa 120e section à Taulé.
50 Pierre Brigant, op. cit., p. 437.
51 CDT de Nantes. PRI 20. 38e congrès de la SFIO (29 août-1er septembre 1946). André Philip est le mieux élu (272 voix) ; Daniel Mayer est 3e (263 voix) ; Tanguy Prigent 5e (246 voix) et Guy Mollet 7e (240 voix).
52 Selon Roger Quilliot, c’est probablement Salomon Grumbach et Georges Brutelle mais on n’en a pas la certitude.
53 Gilles Morin, « Tanguy Prigent et la SFIO », Saint-Jean-du-Doigt des origines à Tanguy Prigent, Kreiz n° 14, Brest, CRBC, 2001, p. 412-413.
54 OURS. Réunions du comité directeur (4 septembre 1946-3 juillet 1947). Malade, il ne vote pas le projet à l’Assemblée constituante le 29 septembre.
55 CHT de Nantes. Carnets Tanguy Prigent. Réunion République paysanne, 26 septembre 1947.
56 Jean Pascal, op. cit., p. 551-552. En Bretagne, le oui a mobilisé 34,1 % des inscrits et 51,4 % des suffrages exprimés mais le non l’a nettement emporté en Loire-Inférieure.
57 Pierre Brigant, op. cit., p. 446-450.
58 AN. 7 F/15504.
59 La veille du scrutin, le 9 novembre, un militant publie un long article dans le Breton Socialiste : « Un peu de pudeur, M. de Guébriant. » Il avance trois témoignages oraux de cette intervention supposée mais aucune preuve venant des archives de police.
60 Article repris dans Le Breton Socialiste du 9 novembre 1946.
61 L’AP 1945. La récolte de blé n’est évaluée à la fin décembre 1945 qu’à 43 millions de quintaux de blé (un peu plus de la moitié de la moyenne d’avant-guerre). Le maintien de la vente libre du pain aurait alors nécessité l’importation de 30 millions de quintaux.
62 Pierre Hervé et Gabriel Paul sont réélus. Sur l’antisocialisme d’Alain Signor, voir Jean Vigreux, « le comité d’entente socialiste-communiste », Le Parti socialiste entre Résistance et République, op. cit., p. 192.
63 Le Breton Socialiste, « Il faut, tout de suite, remonter le courant pour la France, la Liberté et la Paix », 16 novembre 1946.
64 Pierre Brigant, op. cit., p. 442-445.
65 La SFIO avait eu deux élus dans les Côtes-du-Nord en juin 1946 au détriment de René Pleven. Seul, Antoine Mazier est réélu en novembre 1946.
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