Chapitre VIII. Le paysan ministre du général de Gaulle (septembre 1944-janvier 1946)
p. 151-178
Texte intégral
1En débarquant à Paris dans les premiers jours de septembre 1944, Tanguy Prigent mesure sans doute mal l’ampleur de la tâche de reconstruction qui l’attend. Mais son optimisme et ses convictions sont fortes et le « jeune ministre » est prêt à renverser des montagnes. Il peut compter sur l’appui de ses camarades socialistes qui émergent comme lui de la lutte clandestine. Impressionné par la personnalité du général de Gaulle qu’il va servir avec loyauté, le paysan a tout à apprendre de son nouveau métier de ministre.
Une nomination surprenante
2En 1936 et 1937, Tanguy Prigent avait fréquenté le ministère de l’Agriculture, rue de Varenne quand son camarade Georges Monnet était ministre des gouvernements du Front populaire. Arrivant de Bretagne, il s’y présente le 8 septembre semble-t-il, pour prendre possession des locaux et assumer la transmission des pouvoirs avec le secrétaire général provisoire Jean Lefebvre-Butin, directeur de l’Institut national d’agronomie, qui occupe les fonctions de « ministre provisoire » depuis l’investissement du ministère par deux corps francs de la Résistance le 19 août 19441. L’arrivée de Tanguy Prigent au ministère traduit bien une certaine improvisation comme en témoigne Marcel Couvreur : « Tanguy Prigent n’ayant pas eu le temps de se préparer pour venir à Paris, c’est dans un certain accoutrement qu’il franchit les portes de son ministère et qu’il fut reçu par Jean Lefebvre. » Des hommes de Résistance paysanne, déjà en place, vont aider le Breton à composer son cabinet. Ses camarades Anthelme Lyonnet et Robin lui proposent des résistants de la mouvance socialiste dont Henri Mathonnet, inspecteur général de l’Agriculture comme directeur de cabinet et Libert Bou, un ingénieur de l’École nationale agronomique d’Alger rencontré les mois précédents à Paris dans la Résistance, comme chef de cabinet2. Deux chefs adjoints intègrent cette équipe : André Palleau, maître de requêtes au Conseil d’État et Michel Cépède, un ingénieur agronome de Résistance paysanne, chef de bureau au ministère qui avait secondé dans les années 1930 le député socialiste de l’Yonne Maxence Roldes, rapporteur du projet de loi sur l’Office du Blé en 1936. Gérard Vée, secrétaire des foyers paysans de la CNP avant-guerre et membre de la commission agricole du parti socialiste en 1938, devient le chef du secrétariat particulier du ministre. Un ministre qui n’a que son certificat d’études primaires mais qui s’entoure de professionnels compétents.
3Tout se fait dans l’urgence. Depuis son installation à Paris le 25 août, le général de Gaulle a engagé une course de vitesse pour mettre en place son gouvernement et affirmer la légitimité du GPRF face aux armées alliées3. Du 2 au 9 septembre, il élargit son gouvernement par étapes en un savant dosage entre Français libres de la première heure comme le Breton René Pleven qui reste provisoirement aux Colonies, hommes du gouvernement d’Alger et résistants de l’intérieur, sans oublier quelques anciens notables de la Quatrième République comme Jules Jeanneney, l’ancien président du Sénat nommé ministre d’État et des ministres techniciens. La presse de la Résistance va d’ailleurs critiquer la composition de ce premier gouvernement de la France libérée car il comprend deux sénateurs et six députés de la Troisième République4. Mais plusieurs d’entre eux ont surtout été choisis pour leur action combattante et résistante5. « Huit ministères sont confiés à des hommes qui viennent d’émerger de la lutte » écrira le général de Gaulle dans ses Mémoires de guerre6. Parmi eux, trois sont nommés le 4 septembre dont Tanguy Prigent et son camarade socialiste Robert Lacoste à la Production industrielle, tous deux de Libération-Nord, et Aimé Lepercq de l’OCM aux Finances. La liste complète de ce gouvernement « d’unanimité nationale » est publiée le 9 septembre et Tanguy Prigent y occupe le dixième rang dans l’ordre protocolaire des ministres. Ce gouvernement compte aussi treize anciens du GPRF d’Alger dont six ont changé d’attribution. Deux mouvements de Résistance sont surreprésentés : Combat (cinq) et Libération-Nord (trois) alors que l’OCM et le Front National (FN) et les FTP n’ont qu’un seul représentant. Le communiste breton Charles Tillon, chef national des FTP est nommé ministre de l’Air dans ce gouvernement car Pierre Villon, représentant du FN a décliné l’offre du général de Gaulle7.
4Politiquement, avec quatre portefeuilles, les socialistes sont très bien représentés alors que les communistes n’ont obtenu que deux ministères comme à Alger. Le PCF est sous-représenté eu égard à son rôle dans la Résistance intérieure. Les radicaux ont trois ministères ainsi que les démocrates chrétiens, résistants de l’intérieur à des postes sensibles : François de Menthon à la Justice, Georges Bidault aux Affaires Étrangères et Pierre-Henri Teitgen à l’Information8. Il n’y a qu’un seul modéré. Remarquons qu’excepté Adrien Tixier, commissaire au Travail à Alger qui passe au ministère de l’Intérieur – André Philip n’est plus ministre –, les socialistes occupent des postes économiques sensibles dans un pays où l’économie est ruinée par la guerre et quatre années de pillage organisé par l’occupant allemand. Le 14 novembre, la SFIO renforce son poids dans l’équipe gouvernementale avec la nomination du député de l’Aveyron Paul Ramadier, nommé au poste très exposé du Ravitaillement9. Le 9 septembre, le nouveau gouvernement tient sa réunion à l’hôtel Matignon sous la présidence du général de Gaulle qui écrit dans ses Mémoires : « Autour de moi 21 ministres se mettent à l’œuvre avec le sentiment que celle-ci n’a pas de limites10. »
5Le jeune ministre redécouvre Paris libéré et ses fastes de l’après-guerre. Pendant quelques jours, le fermier de Saint-Jean-du-Doigt est installé provisoirement par la République restaurée au Claridge, dans un palace des Champs-Élysées, car les appartements du ministère ne sont pas prêts pour le recevoir11. L’arrivée de son épouse et de ses deux jeunes enfants y fait sensation12. Puis, le gouverneur général de Paris donne aux Prigent le choix entre trois appartements réquisitionnés. Tanguy Prigent choisit le plus sévère dans le quartier de la plaine Monceau, celui occupé par Marcel Déat, l’ancien normalien socialiste, exclu de la SFIO en 1933, leader des néos socialistes devenu le chef du RNP sous l’Occupation, un parti collaborationniste pronazi. Déat, en fuite en 1944 trouvera refuge dans un couvent italien où il mourra en 1955, tandis que le ministre socialiste s’installe pour plusieurs années dans ses meubles, ses papiers et ses milliers de livres13.
Les premières décisions du « paysan-ministre » de l’Agriculture
6La question de savoir qui est à l’origine de la nomination de Tanguy Prigent au ministère de l’Agriculture se pose, en dehors de ses origines paysannes et de ses états de service dans la Résistance. En 1948, Tanguy Prigent déclarait qu’il ignorait à qui il devait cette promotion14. Quand il remercie de Gaulle lors de leur deuxième rencontre, le Général lui répond seulement : « Vos amis m’ont parlé de vous. Je sais ce que vous avez fait. » Selon lui, André Philip, André Le Troquer qu’il connaissait avant la guerre, tous les deux membres du GPRF d’Alger, et Daniel Mayer, ont sans doute parlé du militant finistérien au chef du gouvernement. Édouard Depreux pense que c’est Daniel Mayer, le secrétaire général de la SFIO clandestine, qui a suggéré à de Gaulle de nommer Tanguy Prigent à l’Agriculture15. Mais un autre élément a joué un rôle non négligeable : la mise à l’écart de Georges Monnet, le ministre de l’Agriculture du Front populaire, considéré un temps comme le dauphin de Léon Blum. Le 10 juillet 1940, Georges Monnet qui avait animé le journal Agir en 1939, s’est abstenu de voter les pleins pouvoirs au maréchal Pétain mais ensuite il s’est éloigné de ses camarades socialistes et n’a pas rejoint la Résistance. Il a même accepté un poste à la direction de la Corporation (au comité des jus de fruit). À la Libération, l’espoir de la SFIO d’avant-guerre est exclu du parti qui au nom d’une « éthique de la pureté démocratique » applique une sévère épuration interne16. Cette mort politique du député de l’Aisne a ouvert la voie à celui du Finistère qui s’était affirmé dans le parti comme un spécialiste des problèmes agricoles dans la deuxième moitié des années 1930 et surtout comme un grand résistant socialiste.
7Représentant du parti socialiste au sein du gouvernement, Tanguy Prigent va être chargé de répondre aux urgences de l’heure mais aussi de mettre en application le programme agraire de son parti avec une certaine continuité par rapport à l’avant-guerre. Mais le 14 septembre 1944, Le Populaire met en avant la jeunesse, l’enracinement rural et l’engagement résistant du nouveau ministre : « Tanguy Prigent, fermier, député, maquisard, fera passer un souffle nouveau dans l’administration de l’Agriculture […]. Dans ce poste particulièrement difficile, car tout reste à faire, Tanguy- Prigent saura donner toute sa mesure. Il assure la liberté des paysans opprimés par les hobereaux, il établira solidement l’économie agricole par la coopération, il animera d’un souffle nouveau toute l’administration. Paysan-ministre, il sera le ministre des paysans17. » Le 21 octobre, La Résistance paysanne enfonce le clou en affirmant qu’il n’y a jamais eu auparavant « de paysan authentique » mais « des agriculteurs : Gomot, Georges Monnet, J. Leroy-Ladurie [sic]18 ». « Un tel événement doit avoir des conséquences sur la politique économique de l’agriculture » car « le ministère de l’Agriculture n’est pas un ministère mineur ». L’enjeu est en effet de taille dans une France encore très largement rurale et agricole19. L’apprenti ministre se met au travail avec un cabinet relativement léger et assez technique qui sera remanié et élargi à la fin 194520.
8Mais comment cette nomination d’un paysan est-elle reçue par ses pairs les agriculteurs ? Même si on ne craint plus guère la « socialisation » des terres comme en 1936, après le passage de Georges Monnet, les inquiétudes persistent dans les milieux agricoles et elles seraient même plus fortes en 1936 qu’en 194421. Les réactions sont en réalité ambivalentes car Tanguy Prigent est à la fois fêté comme « paysan » et très critiqué car on lui reproche d’avoir « nommé » les membres du Comité national d’Action agricole (CNAA) et d’avoir fait nommer par les préfets ceux des comités départementaux (CDAA), c’est-à-dire de prolonger les pratiques autoritaires du régime de Vichy22. Tanguy Prigent doit s’en défendre en expliquant qu’il ne s’agit que d’organismes provisoires consultatifs mis rapidement en place pour remplacer les structures corporatives supprimées par les ordonnances du 26 juillet et du 12 octobre 1944.
9En fait, la première tâche dont le ministre doit s’acquitter consiste à liquider la Corporation paysanne de Vichy et à réorganiser l’agriculture française sur des bases nouvelles. L’ordonnance du 12 octobre reprend et prolonge celle du 26 juillet en dressant un tableau de la situation agricole française et en mettant en place une organisation provisoire qui encadre ce secteur sensible de l’économie auquel il faut accorder « une attention et une urgence particulières23 ». D’autant plus que la presse résistante réclame des mesures d’épuration avec insistance alors que l’opinion publique s’impatiente face aux retards de la mise en place des cours de justice. Dans les journées de la Libération, des anciens ministres de l’Agriculture de Vichy et des dirigeants de la Corporation paysanne ont été arrêtés et internés, avant même l’entrée en fonction du ministre. C’est le cas d’Hervé Budes de Guébriant, arrêté à la sortie du cimetière lors de l’enterrement de son fils abattu par les Allemands et dont Tanguy Prigent revendique la responsabilité, ou de Dorgères, arrêté en août et emprisonné jusqu’au 2 mars 194624. Mais la presse résistante trouve que c’est insuffisant comme le journal La Libération paysanne qui remplace en octobre 1944 La Résistance paysanne et qui va devenir l’organe de la Confédération Générale de l’Agriculture, la CGA, en cours d’organisation. Le 7 novembre, dans un article « Il faut épurer », le journal s’en prend en les citant aux anciens dirigeants corporatistes qui « ne sont pas les derniers à bafouer le gouvernement et le ministre de l’agriculture en particulier ». Les socialistes eux-mêmes continuent d’exiger une vigoureuse épuration professionnelle et économique comme l’indique l’intervention de Maurice Montel, délégué de Haute-Garonne au Congrès extraordinaire du parti socialiste de novembre 194425. Le ministre partage ces sentiments mais il n’est guère facile de « tendre à l’expropriation des hobereaux et grands propriétaires fonciers pour qui la terre n’est qu’un placement du capital » quand l’heure est à la reconstruction du tissu national déchiré et à l’achèvement de la guerre sous la houlette du général de Gaulle. Ce discours aux accents révolutionnaires convient aux tribunes de congrès mais pas à la politique ministérielle de celui qui doit rassurer les petits et les gros producteurs et les inciter à livrer au Ravitaillement général.
10En effet, Tanguy Prigent doit s’efforcer de convaincre les agriculteurs de livrer leurs denrées pour les citadins dont les conditions de vie se dégradent à l’approche de l’hiver et de souscrire en masse à l’emprunt 3 % dit de la Libération ou emprunt Pleven car les caisses de l’État sont vides. Pendant plusieurs années, en arrière-plan des enjeux politiques, le monde paysan va être au cœur des affrontements sur le ravitaillement et le ministre, obsédé par la crainte de l’élargissement du fossé entre les villes et les campagnes, va avoir bien du mal à défendre ses collègues agriculteurs. Dès l’automne 1944, dans ses premiers déplacements en France, avec le général de Gaulle en Normandie du 7 au 9 octobre, ou seul à Chartres à la mi-octobre, le ministre de l’Agriculture s’efforce de désamorcer l’exaspération concernant le ravitaillement qu’il sent monter dans les villes en se présentant comme « le ministre de la réconciliation entre les citadins et les paysans26 ». En Normandie, de Gaulle, en présentant à la foule « M. Tanguy Prigent, ministre de l’Agriculture, que vous connaissez tous », s’adresse aux habitants d’une région sinistrée par les combats du débarquement, mais il salue aussi « toute la population agricole et tous les agriculteurs de France27 ». À Neubourg, son discours sur la rénovation française s’adresse spécialement aux agriculteurs. Le chef du gouvernement provisoire a bien conscience qu’il a besoin de l’appui du monde agricole pour reconstruire le pays. À Chartres, au coeur de la Beauce céréalière, et alors que les salaires viennent d’être fortement augmentés (40 % en septembre) pour compenser partiellement la très forte perte de pouvoir d’achat de la guerre, Tanguy Prigent préconise d’augmenter aussi les prix agricoles à la production sans toucher aux prix à la consommation. Il faut encourager les agriculteurs à produire et fixer des prix suffisamment rémunérateurs pour les dissuader de vendre au marché noir. Mais déjà l’inflation galope. Ce sont donc « les intermédiaires » qui ont fait de superprofits sous l’Occupation qui sont dans le collimateur : « Pour cela, il faut supprimer l’intermédiaire, anéantir les spéculateurs, travailler sur une base coopérative. » Telle est la politique économique préconisée dès l’automne 1944 et qu’il va avoir beaucoup de mal à mettre en œuvre pendant ses trois années rue de Varenne. Le 6 février 1945, le ministre doit se résoudre à accepter l’importation de blé des États-Unis et du Canada pour faire face aux besoins du pays28.
11Pour mieux faire passer ce message, Tanguy Prigent prononce deux allocutions radiodiffusées les 16 et 17 novembre 1944. Expliquant ce que doit être la CGA, il s’efforce de convaincre les paysans de souscrire à l’emprunt de la Libération auprès du Crédit Agricole dont « l’État a un besoin pressent ». Mais il menace aussi de « mesures sévères » ceux qui « auraient décidé de conserver des billets qu’à tort ils auraient cru insaisissables29 ». C’est bien là le signe que les « lessiveuses » ou plutôt les « boîtes de sucre de billets » pour reprendre un rapport des gendarmes des Côtes-du-Nord en 1944, ne s’ouvrent pas si spontanément que cela.
12Entre Noël et le jour de l’an 1945, de retour à Saint-Jean-du-Doigt, le ministre doit participer à plusieurs réunions politiques et agricoles dans le Finistère mais il est frappé par un nouveau deuil familial, la disparition de sa sœur, Soizic Silliau, qui a à peine 30 ans30. Les 6 et 7 janvier 1945, Tanguy Prigent inaugure néanmoins, comme René Pleven, « des prises de contacts avec des représentants qualifiés de la population », à Landerneau et à Morlaix. Le 14 janvier, il sera à Nantes pour la remise de la Croix de la Libération à la cité puis à Angers avec le général de Gaulle31. Mais la tâche prioritaire du ministre est la réorganisation du syndicalisme agricole et la fondation de la CGA. C’est d’ailleurs cet aspect de l’action de son ministre de l’Agriculture que le général de Gaulle retiendra dans ses Mémoires de guerre. Énumérant chacun de ses ministres, il évoque ceux qui « qui sont davantage soustraits aux saccades de l’opinion ». Parmi eux : « François Tanguy-Prigent, ministre et serviteur de l’Agriculture française qui s’efforce de l’organiser et de la confédérer32. »
À la peine pour créer la CGA
13Pour remplacer la Corporation de Vichy, Tanguy Prigent et ses camarades socialistes ont jeté les bases dans la clandestinité d’un syndicalisme agricole rénové dans la France libérée. Reprenant le dessein unitaire de Vichy, mais avec une conception radicalement différente, le projet de Tanguy Prigent est de créer la Confédération Générale de l’Agriculture, un grand syndicat sur le modèle de la CGT rassemblant tous les acteurs du monde agricole y compris les salariés agricoles, à l’exclusion des « propriétaires non exploitants » et « des notables non paysans qui avaient trop souvent dominé les anciennes organisations et qui s’étaient si souvent servis de la paysannerie pour des intérêts économiques et politiques extra-agricoles ». Il s’agit donc d’en exclure « tous les agriculteurs : négociants, hobereaux, grands propriétaires fonciers » comme l’expliquait le programme « d’unification de toutes les forces agricoles » au sein de la CGA, publié en février 1944 par La Résistance paysanne (n° 2). Dans cette nouvelle structure, la gauche paysanne si faible avant-guerre espère pouvoir faire valoir ses positions. Tanguy Prigent remet sur le métier la tentative de la CNP de Calvayrac de grand mouvement paysan de gauche.
14Les résistants socialistes et les syndicalistes agricoles ont en effet jeté les bases de la CGA dans la clandestinité et Tanguy Prigent y a beaucoup contribué. En février 1944, La Résistance paysanne (n° 2), bulletin clandestin de la CGA, a publié un programme en cinq points sans ambiguïté : la liberté est la première conquête à assurer ; l’unification de toutes les forces agricoles ; l’indépendance du mouvement syndical et coopératif agricole (à l’égard des partis et des groupements philosophiques et religieux) ; le développement de la coopération et de la mutualité agricoles ; la coopération étroite et permanente avec les mouvements syndicalistes des ouvriers, des employés, des techniciens et des fonctionnaires33. L’équipe dynamique qui entoure le nouveau ministre va donc chercher à imposer de nouvelles structures syndicales contre les critiques et les oppositions qui vont rapidement se manifester.
15Les corporatistes provisoirement hors-jeu, il faut d’abord convaincre les forces de gauche du monde rural de s’unifier. Avec les cadres de l’ex-CNP socialiste, il faut attirer les communistes de l’ex-CGPT qui ont créé dans la Résistance et à la Libération de nombreux comités de défense et d’action paysanne (CDAP) dans la France du centre et du sud-ouest ou dans les Côtes-du-Nord en Bretagne. Il faut aussi rassembler les syndicats agricoles républicains, d’obédience radicale-socialiste, et attirer les agriculteurs influencés par les forces de droite. Les 20 et 21 octobre, la CGA tient un premier petit congrès à Paris en réunissant cinq groupements prêts à construire une organisation unique34. Quelques jours plus tard, selon Isabel Boussard, les CDAP communistes la rejoignent malgré quelques réticences, ce qui permet à La Libération paysanne d’affirmer que « l’unité paysanne sera réalisée » tandis qu’Anthelme Lyonnet annonce « La résurrection du syndicalisme agricole35 ». Au moins quatre anciens syndics régionaux et départementaux sont présents à Paris, apportant à la CGA des régions importantes et l’appui du syndicalisme catholique36. Le 15 décembre 1944, un bureau confédéral provisoire est chargé de préparer le congrès d’unité de la CGA. Mais au-delà de l’accord au sommet des dirigeants syndicalistes, il faut réaliser l’unification des forces sur le terrain. Tanguy Prigent suit de près les progrès de l’unification, soit en envoyant un délégué officiel du ministère, soit en y participant personnellement.
16Plusieurs voyages ministériels comme dans le Sud-Est de la France (19-23 janvier 1945) sont l’occasion de rencontrer des syndicalistes en marge des visites officielles37. Tanguy Prigent suit de très près l’évolution du Cher considéré comme un département pilote où il participe le 27 janvier à l’assemblée constitutive de la CGA du département qui rassemble 14 000 agriculteurs dans 282 syndicats constitués pour 290 communes. Lors de cette « journée historique », le ministre qui rappelle qu’il a dû se cacher dans le Cher sous un faux nom, expose lors d’une réunion publique à Bourges (1 200 personnes) sa politique économique et agricole. Son argumentation « pour abolir l’infériorité dont souffrent les paysans », développée ensuite dans de nombreuses villes de France, insiste sur la nécessité de s’organiser en s’appuyant sur quatre piliers : le syndicat, la mutuelle, la coopérative, la caisse de crédit agricole38. Le 3 mars suivant, le ministre, accompagné de membres de son cabinet, est à Orléans puis le 5 à Guéret dans la Creuse, ancien fief de la CNP, pour y présider l’assemblée générale constitutive de la FDSEA et de la CGA. Il est accueilli à Guéret par son camarade de la CNP Blanchet et par Ducher, président du comité d’union paysanne, qui l’a hébergé durant l’Occupation. Les réseaux socialistes et résistants servent de support à la mise en place de la CGA. À chaque réunion publique, sans cacher les difficultés, Tanguy Prigent explique inlassablement les difficultés du moment, le nécessaire contrôle des prix par l’État, la lutte contre le marché noir et les projets de modernisation de l’agriculture. En mars 1945, quelques jours avant le congrès de naissance de la CGA, le ministre multiplie les visites sur le terrain comme du 12 au 14 mars dans le Nord-Pas-de-Calais (à Bourbourg près de Calais, à Lille et à Arras) où les réticences d’une partie des agriculteurs sont fortes. Face aux interrogations parfois d’anciens corporatistes, il doit justifier la suppression de la Corporation et expliquer les objectifs de la CGA au nom de la démocratie syndicale. Pour l’heure l’enthousiasme du ministre, sa simplicité et sa franchise emportent l’adhésion et les applaudissements nourris des auditoires agricoles mais il a du mal à convaincre qu’il ne s’agit pas « d’une unité imposée mais librement consentie39 ».
Les socialistes et la question agricole et syndicale
17La SFIO veut pousser son avantage dans le monde rural en mobilisant ses militants face à la concurrence communiste, aux ambitions du MRP qui accueille aussi des résistants et une partie des syndicalistes de droite d’avant-guerre et contre la droite paysanne et corporatiste sur la réserve. Le 29 janvier, le PS organise une journée d’études agricoles à Montrouge dans laquelle Tanguy Prigent prend longuement la parole. Le militant syndicaliste de la CNP rappelle que les divisions politiques et syndicales d’avantguerre conduisaient à l’impuissance et à la misère paysanne. Changer une telle situation justifiait la création dans la clandestinité de la CGA. Répondant aux critiques voilées du dirigisme étatique, le ministre explique qu’il n’a « jamais songé à imposer la CGA » mais qu’il faut persuader les paysans et les syndicalistes de sa nécessité. La CGA est ouverte à tous, « aux hommes de toutes les tendances à l’exclusion de ceux qui ne sont pas agriculteurs ». Le ministre tient le même langage tant devant les militants socialistes que dans ses réunions publiques. Il donne comme exemple à suivre celui du Cher. En effet, deux jours plus tôt, il y a présidé le congrès d’unité, sans intervenir dans la nomination du bureau, élu à bulletin secret. La CGA créée démocratiquement au niveau départemental, le ministre a dissous le CDAA du Cher, le comité nommé par le préfet pour remplacer la Corporation. Il appelle donc ses camarades socialistes « à participer avec une sincérité totale » à la création d’une « CGA puissante, unie, saine40 ». Il s’agit de lever des réticences qui doivent persister ici ou là en fonction des rapports de force locaux.
18En même temps, répondant aux accusations de collectivisme, le ministre défend vigoureusement l’exploitation familiale. Il reprend néanmoins un projet du PS, réclamé par Montel au congrès socialiste de novembre 1944, de création d’un Office national foncier destiné à gérer les biens confisqués aux collaborateurs. Mais il doit aussi permettre de moderniser les structures agraires : aider « au remembrement de la petite propriété morcelée, au développement des exploitations coopératives et à la création de villages coopératifs ». Le spectre des kolkhozes soviétiques se profile à l’horizon en affolant les propriétaires fonciers. Même si ce texte est repris en annexe du programme socialiste d’action immédiate en agriculture, les dimensions expropriatrices des anciens chefs de la Corporation sont gommées afin « d’aménager au mieux de l’intérêt de la collectivité la répartition du sol41 ». Les adversaires politiques du centre et de droite présenteront cet office foncier comme un instrument d’une prise de contrôle par l’État de la terre des agriculteurs. La crainte des socialistes partageux fait toujours recette dans la France rurale des petits propriétaires exploitants et le SFIO en paiera bientôt le prix électoral.
19Dans une phase encore de relatif enthousiasme, la CGA voit le jour lors du congrès tenu à l’hôtel de ville de Paris les 16, 17 et 18 mars 1945. Soutenant son ministre, le général de Gaulle adresse le 18 mars « son salut et celui du gouvernement au congrès national d’Unité paysanne ». Philippe Lamour, du cabinet du ministre, y joue un rôle important. Du fait des longues interventions des communistes, il ne fut pas facile de se mettre d’accord sur la résolution finale. Pour voir le jour et être représentative, la CGA a dû accepter parmi ses cadres d’anciens dirigeants régionaux ou départementaux de la Corporation de Vichy. Il n’est pas possible d’écarter des responsables solidement implantés dans leur région qui ont occupé des fonctions à la Corporation paysanne sans pour autant adhérer à la politique de Collaboration de Vichy. Ils n’ont pas démérité et ont pu être résistants. D’ailleurs le choix du fonctionnement démocratique de la CGA ne peut jouer à terme qu’en faveur des forces politiques dominantes. Ainsi Frédéric Génevrey, ancien syndic régional de l’Ain, présent au congrès d’octobre 1944, partage la vice-présidence de la CGA avec le communiste Waldeck Rochet. Tanguy Prigent aurait lui-même « marchandé » ce poste avec Frédéric Génevrey qui voulait reconstituer sa Fédération du Sud-Est. Comme Waldeck Rochet, Tanguy Prigent exalte au congrès fondateur de la CGA, l’union de la grande famille paysanne : « C’est pour votre salut sur le plan matériel, sur le plan social et aussi sur le plan moral et intellectuel, que vous devez former cette grande unité paysanne42. » En mettant au rancart la lutte des classes dans les campagnes au profit d’in discours unitaire qui reprend la thématique des idéologues agrariens, la gauche marxiste pense pouvoir souder autour d’elle, au sein de la CGA, des agriculteurs dont elle connaît les craintes vis-à-vis du socialisme et du communisme. Les socialistes et les communistes comptent s’appuyer sur les cadres techniques qui dirigent souvent les organisations de service, les petits et moyens paysans de gauche, les ouvriers agricoles de la CGT. L’heure est aussi à l’union nationale retrouvée mais les adversaires de la CGA n’ont nullement désarmé.
20Avec la fin de la guerre, une certaine liberté de fonctionnement est rendue aux syndicats agricoles avec l’abrogation de l’article de l’ordonnance du 12 octobre 1944 qui permettait à l’État de nommer des organismes de contrôle. La CGA en cours d’organisation dans tous les départements est, comme l’avait indiqué Tanguy Prigent en janvier 1945, appelée à les remplacer. Des militants du MRP, parfois au sein de la CGA, et surtout la droite paysanne qui relève la tête réclament de plus en plus haut et fort le pluralisme syndical dans les campagnes. Les mêmes hommes défendaient pourtant l’unité des campagnes contre la ville dans l’entre-deux-guerres et ils avaient vu d’un bon œil la création de la Corporation paysanne par Vichy mais ils avaient critiqué la trop grande intervention de l’État. Au nom de la nécessaire liberté syndicale, la critique va désormais viser Tanguy Prigent.
21Le ministre de l’Agriculture est parvenu en six mois à faire naître d’en haut un syndicalisme agricole unifié qui a repris les schémas de la Corporation paysanne. Mais, en choisissant un fonctionnement démocratique, le seul possible dans une démocratie restaurée, il a donné à ses adversaires politiques les moyens d’en évincer rapidement la gauche paysanne, communiste et socialiste, plus faible dans le monde rural que le MRP dont plusieurs responsables ont intégré la CGA ou que les droites qui attendent leur heure. Les adversaires politiques les plus modérés de la CGA doivent d’ailleurs reconnaître que, dans son intervention au congrès, Tanguy Prigent a donné des garanties en tournant la page de Vichy et de l’exclusion des corporatistes. Foyer rural écrit : « Il a assuré le monde paysan de son désir de collaborer dans la tolérance et la loyauté avec toutes les bonnes volontés, y compris la grande masse des dirigeants corporatistes qui n’ont pas démérité, envers lesquels il n’admettait plus de rappel décourageant du passé43. » La gauche a marqué un point tout provisoire dans le monde rural.
Redresser l’agriculture française
22Comme tous les ministres, Tanguy Prigent doit travailler à la remise en route de l’économie nationale. Après la période initiale d’enthousiasme de la Libération, « la dictature du quotidien » et les difficultés vont s’accumuler dans un pays en ruine. Le problème des pénuries alimentaires et du marché noir est obsédant, mais le gouvernement s’engage sur la voie d’une certaine libéralisation de l’économie qui aboutira à la suppression de la carte de pain à la fin de 1945. Au début mars 1945, le ministre fait adopter une série de mesures en faveur des agriculteurs en conseil des ministres44. Pour pallier la pénurie de main-d’œuvre dans les campagnes en attendant le retour des prisonniers de guerre, les jeunes agriculteurs bénéficient de sursis d’incorporation dans l’armée et des prisonniers allemands sont mis à la disposition des exploitants. En outre, une ordonnance signée de trois ministres (Agriculture, Finances, Ravitaillement) accorde une remise d’amendes aux producteurs de bonne foi qui n’ont pas livré leur production au Ravitaillement avant la Libération. Il s’agit sans doute de les inciter à le faire désormais sans coercition. L’objectif par une politique de prix et une politique de production est de jouer sur la confiance et la libre initiative des agriculteurs pour améliorer une situation désastreuse. La défense de l’exploitation familiale va dans le même sens : « Destructeurs de la propriété paysanne, dites-vous ! Nous avons vécu les heures tragiques et lourdes de la Résistance, nous avons mesuré, au poste où nous sommes, tout ce que représentait pour la renaissance de ce pays le redressement de notre agriculture, de ces millions d’exploitations familiales, entre lesquelles se répartit la culture du sol de France. Non, nous ne projetons pas de détruire ce capital de santé physique et de santé morale, ces conditions de vitalité et de stabilité que représente pour la France, une paysannerie nombreuse et forte45. »
23Du 13 au 15 mars 1945, Tanguy Prigent défend son premier budget devant l’Assemblée consultative provisoire. Le radical-socialiste Paul Anxionnaz, qui sera élu député de la Marne, se fait l’écho du profond malaise paysan (leur rôle dans la lutte patriotique n’est pas reconnu à sa juste valeur) et de l’insatisfaction vis-à-vis de la politique gouvernementale, en particulier la volonté d’unification au sein de la CGA46. Il met le doigt sur les contradictions de cette politique en se demandant si demain le gouvernement ne va pas imposer la fusion des syndicats ouvriers CFTC et CGT. Il pose la question du « mystère » Tanguy Prigent : « C’est le mystère d’un résistant dont on sait le rôle magnifique, […] car nous nous demandons quelquefois si vous ne reprenez pas la voie redoutable de la politique de Vichy et si, à votre insu, vous ne restaurez pas la Corporation qu’elle a instituée. » Avant même la naissance de la CGA, le ministre essuie les critiques d’une partie de la gauche et surtout celles du MRP. Deux délégués finistériens enfoncent le clou le 14 septembre, d’abord Pierre Trémintin (PDP) qui a refusé les pleins pouvoirs en 1940, ensuite André Colin qui s’affirme comme le leader du MRP en formation dans le Finistère. La question de la liberté syndicale et le refus du « syndicalisme d’État », sont au centre de l’intervention courtoise mais ferme d’André Colin. Il plaide pour le retour aux syndicats agricoles d’avant-guerre. Le 15 mars, Tanguy Prigent répond sur la question des prix et sur les difficultés financières. Aux critiques d’Anxionnaz, il rétorque en soulignant l’appui des paysans à la Résistance, rappelant discrètement : « Comme beaucoup d’entre vous, j’ai souffert profondément dans mes affections paysannes. Aussi n’ai-je de leçon à recevoir de qui que ce soit sur ce point. » Il évoque la mémoire de ses cousins morts en 1944. Et il défend naturellement son action pour fonder la CGA : « Car, je viens de faire pour l’unité paysanne […] un tour de France. Je l’ai accompli un peu au détriment de ma santé, mais en véritable pèlerin de l’unité paysanne. » C’est la première allusion à ses ennuis de santé qui vont bientôt s’aggraver. Il ajoute : « C’est avec une conviction profonde, une foi sincère que je m’attache à faire triompher ce principe et à amener à lui les paysans, tous les paysans47. »
24La question des prix agricoles et donc de la maîtrise du dérapage inflationniste est un aspect essentiel du débat budgétaire. Aussi le ministre explique-t-il qu’il s’est opposé au blocage des prix agricoles et qu’il a obtenu du gouvernement une hausse modérée et contrôlée, sans tomber dans des augmentations trop fortes à la veille des élections municipales. Il ne faut pas pénaliser les consommateurs ni affaiblir la monnaie déjà mal en point alors que le ministre des Finances René Pleven prépare l’échange des billets48.
25Or, depuis la fin de l’année 1944, pour reconstruire le pays, deux politiques économiques s’affrontent au sein du gouvernement : celle du ministre de l’Économie Pierre Mendès France et celle du ministre des Finances René Pleven. Pour assainir l’économie et casser une inflation galopante, Pierre Mendès France préconise au printemps 1945 une politique de rigueur financière avec une forte ponction monétaire, une planification centralisée et une politique industrielle diversifiée accompagnée de nombreuses nationalisations49. René Pleven est partisan d’une politique plus pragmatique et moins draconienne, estimant que l’économie française ne supporterait pas une nouvelle cure d’austérité après les cinq années de guerre. Les deux hommes sont d’accord sur l’échange des billets mais Pleven refuse le blocage des comptes qui auraient frappé les profits et fortunes illicites, pour ne pas effrayer les possédants. Soulignons que les communistes, hostiles au blocage des salaires, soutiennent la solution Pleven, ainsi que Tanguy Prigent pour la même raison concernant les prix agricoles et Robert Lacoste. Se sentant isolé et désavoué, Mendès France a proposé sa démission au général de Gaulle le 18 janvier 1945, puis le 2 avril ; elle est acceptée le 5. Le débat a été tranché en conseil des ministres le 29 mars lorsque de Gaulle a choisi Pleven contre Mendès France. À l’issue « d’une assez longue délibération » et en l’absence de René Pleven sorti, le conseil des ministres s’est prononcé à une très forte majorité pour le plan Pleven. Les ministres socialistes se sont divisés : deux d’entre eux, Adrien Tixier et Augustin Laurent ont été les seuls à soutenir Mendès France, tandis que Tanguy Prigent et Robert Lacoste ont appuyé Pleven. La politique de « facilité » dénoncée par Pierre Mendès France l’emporte et avec elle le choix d’un certain libéralisme économique et d’une inflation pour plusieurs années. Le clivage marxistes-non marxistes n’a pas joué dans ce débat. Et Tanguy Prigent a choisi de défendre ce qu’il croit être les intérêts des agriculteurs français50. Il faut dire aussi que lors du débat de la loi de finances des 29 et 30 mars, René Pleven a accepté de reprendre en les atténuant les propositions socialistes d’André Philip, rapporteur du budget à l’Assemblée consultative, en particulier la création d’un « impôt de solidarité nationale » sur quatre ans, sorte d’impôt sur le capital. Le ministre partage son temps entre ses fonctions parisiennes au conseil des ministres et au ministère et ses contacts sur le terrain.
Des voyages dans toute la France : un ministre populaire
26Tanguy Prigent effectue de nombreuses visites dans le pays à la fin 1944 et tout au long de l’année 1945, soit seul pour expliquer sa politique, soit avec le général de Gaulle, ce qui lui permet de connaître la situation réelle sur le terrain. Le scénario est toujours le même, quand le ministre de l’Agriculture se déplace seul51. Reçu par les autorités préfectorales et des villes, le ministre tient à visiter des caves, des coopératives et des exploitants. Il reçoit fréquemment des délégations d’agriculteurs, de ménagères et désamorce ainsi une manifestation prévue à Montpellier le 25 janvier 1945. Le ministre n’oublie jamais qu’il est socialiste et il se réserve presque toujours un moment pour rencontrer en privé les camarades de la section. Partout où il prend la parole, devant des auditoires fournis (2 000 personnes à Nîmes le 22 janvier, 1 200 à Bourges le 27, 1 200 à Orléans le 3 mars, 1 000 près de Calais le 12…) et composés essentiellement d’agriculteurs, ses talents oratoires font merveille. En une heure et demie d’un discours bien rodé, tout en expliquant les difficultés économiques et sa politique agricole, Tanguy Prigent retourne un auditoire parfois réservé, parfois critique en se faisant toujours très applaudir. Tous les rapports de police soulignent la simplicité (« le style simple et direct, pas politicien » à Montpellier) du discours de quelqu’un qui s’adresse à ses pairs dans leur langage, la compétence et la conviction d’un « ministre-paysan dévoué à leur cause52 ». Sans démagogie, même lorsqu’il défend la CGA et sa politique de réformes, Tanguy Prigent explique aux agriculteurs les sacrifices qu’ils devront encore consentir pour contribuer au redressement du pays.
27Après, la naissance de la CGA, le ministre reprend ses tournées dans le pays. Le 14 avril 1945, il est dans la Sarthe et le Maine-et-Loire (Angers, Saumur, Cholet) où Eugène Forget, maire MRP d’une petite commune angevine l’accueille53. Formé par la JAC, ancien de la Corporation, Forget est un des fondateurs de la CGA en Anjou et il deviendra bientôt président puis président d’honneur de la FNSEA, la fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, la principale des sept composantes de la CGA. Le 5 mai, il parcourt l’Aveyron puis le Cantal avec son camarade Paul Ramadier, ministre (Villefranche-de-Rouergue, Rodez, Millau) ; le 10 juin il visite des communes de la région parisienne et est le 12 juillet à Amiens. Avec René Pleven, Tanguy Prigent accompagne le général de Gaulle lors d’un voyage dans la plupart des villes de Bretagne (dont Morlaix) dans la troisième semaine de juillet. L’accueil de la population est exceptionnel en particulier dans les villes détruites de Brest et de Lorient. Avant la fin de l’année, le ministre de l’Agriculture visite encore le Tarn (début août), Boulogne-sur-Mer le 13 septembre où il intervient dans un meeting socialiste devant 2 000 personnes, et l’Est de la France dont Metz (3-4 octobre). À plusieurs reprises, il préside des réunions de la CGA ou de la FDSEA en formation. Cette intense activité qui tend à confondre vie ministérielle et militantisme commence à ruiner la santé du Breton.
Gérer une situation difficile
28Le ministre de l’Agriculture doit lutter sur plusieurs fronts à la fois notamment face à une droite agraire qui relève la tête avec la création par Paul Antier en juillet 1945 du parti paysan qui revendique l’héritage du parti agraire et paysan français de Fleurant Agricola54. Son journal, L’Unité paysanne, publié en octobre 1945, s’oppose ouvertement aux prétentions unitaires de la CGA et se veut le défenseur de « la classe paysanne ». Ce parti qui crée un groupe parlementaire à la première Assemblée constituante fait ouvertement campagne pour un « syndicalisme libre » contre la CGA qui risque de faire de la politique comme la CGT et contre ses dirigeants. Il combat surtout une décision importante de Tanguy Prigent : la suppression des syndicats-boutiques décidée par une ordonnance du 8 octobre 1945. C’est ce rôle de syndicats-boutiques permettant l’achat groupé d’engrais ou de machines qui faisait la force du syndicalisme conservateur depuis le début du siècle, en particulier de l’Office central de Landerneau. Afin de mettre sur pied un véritable syndicalisme de défense des intérêts des agriculteurs, l’ordonnance délimite le champ d’action des syndicats et des coopératives. Toute opération économique est interdite aux syndicats et réservée aux coopératives. Le ministre socialiste marque un point mais le rapport des forces dans les campagnes est déjà en train de s’inverser au profit des forces conservatrices. Emblématique est le cas de Camille Laurens, syndic national adjoint de la Corporation, désigné comme responsable de la CGA par les assemblées locales du Cantal. Sa nomination est refusée par Tanguy Prigent mais il est élu député par le suffrage universel le 21 octobre 194555.
29À l’approche des élections générales, le gouvernement et son ministre de l’Économie et des Finances René Pleven, candidat à Dinan (Côtes-du- Nord) ont lâché du lest, permettant au ministre de l’Agriculture d’obtenir quelques satisfactions. Des hausses de prix agricoles ont été consenties aux producteurs pour lutter contre le marché noir et le marché gris (discours Pleven du 4 juillet)56. Le 24 août, des hausses importantes concernent le blé, les produits laitiers et le vin dans le cadre de « la bataille de la production » chère au PCF et à la CGT. Mais ces mesures vont coûter 22,2 milliards de francs que l’État accepte de financer « pour stabiliser le prix des denrées fondamentales nécessaires à l’alimentation ». Choisissant une voie moyenne, le gouvernement a accepté cette subvention financière exceptionnelle pour ne pas répercuter l’ensemble des hausses de prix sur les consommateurs et ne pas trop alimenter la spirale inflationniste. Or, le ministre des finances se ralliait ainsi au principe des subventions qu’il avait combattu lors de la discussion du budget en mars. On peut penser que la combativité sur ce point de Tanguy Prigent a contribué à faire évoluer son pragmatique collègue. Les électeurs paysans n’en seront pas pour autant plus reconnaissants envers les socialistes. Avec la fin de la guerre, le combat politique a repris tous ses droits.
30Le 28 décembre, les critiques sur la liberté syndicale reprennent à l’Assemblée nationale lors du débat budgétaire. Tanguy Prigent répond fermement aux députés MRP du Nord Émile Bocquet et à celui du Finistère Nord André Colin qui mettent en cause l’espèce de monopole de la CGA. Le ministre assume les critiques adressées à la CGA, « répondant moins en qualité de ministre que comme militant du syndicalisme et de la coopération agricole » et il annonce la suppression au 31 décembre des organismes nommés encore en place et le rétablissement de la liberté syndicale complète. Rappelant le rôle des la paysannerie pendant la guerre, il lui fait confiance pour utiliser cette liberté à bon escient. Et, dans une diatribe contre la Corporation et les vichyssois, il rappelle que ses camarades de la Résistance paysanne n’ont pas « à recevoir des leçons en matière de liberté républicaine et de liberté syndicale57 ». Les élections syndicales prévues au début de 1946 mettront fin à cette polémique. Tanguy Prigent considère que la production agricole française reste insuffisante, souligne les progrès de la fabrication et l’importation des engrais qui manquent cruellement et présente un projet d’Office ou de Service national des engrais. Mais le ministre n’oublie jamais qu’il est aussi un militant socialiste et qu’il doit soutenir ses camarades.
Dirigeant et militant socialiste
31Après la Libération, le ministre socialiste de l’Agriculture est intégré à la direction nationale de la SFIO. Lors du congrès extraordinaire de la SFIO à Paris, du 9 au 11 novembre 1944, il est élu au comité directeur. Son camarade Hippolyte Masson, délégué de la fédération du Finistère, rend le 9 novembre un vibrant hommage à l’action résistante du nouveau ministre ainsi qu’à celle de Jean-Louis Rolland58. Tanguy Prigent, se voulant toujours un militant paysan, a joué un rôle important dans la préparation de ce premier congrès socialiste d’après guerre. Comme le souligne, Maurice Montel au nom de la commission d’action agricole et paysanne du PS, le ministre de l’Agriculture a signalé les principales questions à discuter. Cela a donné lieu à un programme en treize points qui correspond à la politique agricole et aux réformes de structure que le ministre va s’efforcer d’appliquer dans les mois suivants59. Ce congrès épure sévèrement la vieille SFIO. La commission des parlementaires prononce 80 exclusions pour seulement douze réintégrations (avec suspension de tous les mandats électifs pendant la durée de la législature)60. Avec les cadres démissionnaires et les victimes de la guerre, la direction nationale sérieusement épurée, ouvre la voie à un important renouvellement des cadres socialistes. En 1944-1946, l’analyse du corpus des dirigeants socialistes montre que la totalité des membres du comité directeur, 90 % des parlementaires et au moins 80 % des secrétaires fédéraux sont considérés comme des résistants. Moins de 4 % des cadres socialistes maintenus (sur un total de 215) se sont « accommodés » de l’Occupation. En fait, sur les 40 % de nouveaux cadres, il n’y a que 6 % de nouveaux adhérents et 9 % de militants de base. Car les socialistes puisent dans leur vivier militant d’avant-guerre en promouvant de manière accélérée des militants pour répondre à la pénurie de cadres confirmés. La continuité l’emporte et Tanguy Prigent, député avant-guerre, promu au comité directeur en est un bel exemple. Ses fonctions ministérielles, son origine sociale face au PCF qui se veut prolétarien et sa popularité auprès des militants en font un dirigeant des plus charismatiques de la SFIO. Sa fédération ne veut bien sûr pas se priver d’un tel militant. En son absence, Tanguy Prigent est aussi élu lors du congrès fédéral du 24 mars 1945 au bureau de la fédération socialiste du Finistère ainsi qu’au bureau des jeunesses socialistes (JS).
32Lors des élections municipales d’avril-mai 1945, Tanguy Prigent n’a pas à faire campagne à Saint-Jean-du-Doigt où sa liste de douze membres est élue dès le 29 avril. Le maire sortant est réélu avec 85,35 % des voix des votants. Quelques jours auparavant, pour les congés de Pâques, le militant ministre a labouré son fief tenant une réunion des sections de la SFIO à Morlaix le samedi soir, une réunion des maires du canton le dimanche matin et un meeting l’après-midi à Lanmeur. On est venu de loin écouter le paysan-ministre expliquer sa politique et celle du parti socialiste61. La poussée électorale de la gauche socialiste et communiste est sensible dans le Finistère et le 8 juillet, une réunion des maires socialistes se tient à Morlaix sous la présidence de Tanguy Prigent qui s’efforce de garder le contact avec ses camarades. Le 10 août, à l’occasion du congrès fédéral de Châteaulin, se présentant en militant et non en ministre, il prononce un discours très applaudi.
33Lors du 37e congrès national de la SFIO réuni à Paris du 11 au 15 août 1945, le très populaire ministre de l’Agriculture, figure de proue du parti dans le gouvernement, est réélu sans difficulté au comité directeur. Pourtant, faisant le bilan de la politique agricole menée depuis un an, il est fort conscient des difficultés de la CGA et surtout de la faiblesse des socialistes dans la confédération. Celui qui voit son action ministérielle comme un moyen de renforcer l’implantation socialiste dans le monde rural critique sévèrement ses camarades en estimant que par modestie et surtout par manque d’engagement ils ont raté le coche. Déjà un peu amer, il déclare à la tribune : « Il y a aussi des secrétaires fédéraux – je m’excuse de le dire, mais je dirai toute ma pensée – qui n’accordent pas à la question agricole une attention assez grande, assez d’importance. Vous n’avez pas cru à la CGA pendant de longs mois, j’en suis sûr. Vous n’avez pas senti que, cela aussi, c’était une révolution, une réforme de structure. Vous n’avez pas su qu’il fallait, partout où c’était possible, prendre les leviers de commande de la CGA. Daniel Mayer vous l’a dit hier. Dans les régions où nous avons la majorité, les leviers de commande sont entre les mains des communistes. Il faut que nos militants perdent cette habitude, venant d’ailleurs souvent de leur modestie, de dire, quand on demande qui veut être président ou secrétaire du syndicat : « Ce n’est pas moi qui vais prendre cela. […] Il y a certains départements, comme la Seine-et-Marne, où la question agricole a été totalement ignorée pendant la campagne électorale. On n’a pas fait un effort, alors qu’il s’agit d’un département rural62… » Avec lucidité, l’ancien fermier constate que son action résistante n’a pas beaucoup fait progresser la question paysanne dans le parti et sur le terrain. Le PS se réclame bien du marxisme mais il n’a manifestement pas assimilé la stratégie léniniste de prise du pouvoir dans les organisations de masse et dans les syndicats face à un PCF très offensif et sûr de lui. Les résultats électoraux de septembre et octobre 1945 vont confirmer les difficultés de la SFIO et nourrir les déceptions des militants.
Les campagnes électorales de la fin 1945
34Poursuivant son action ministérielle, Tanguy Prigent s’investit à fond dans le Finistère lors des campagnes électorales de septembre et octobre 1945. D’abord, à la mi-septembre, le ministre fait campagne pour les 24 candidats (sur 43 sièges à pourvoir) présentés par la SFIO dans le Finistère. Le 15 et 16 septembre, il est à Douarnenez, un port administré avant guerre par le PCF avant l’exclusion de Daniel Le Flanchec, et repris par une délégation spéciale communiste en 194463. Il retourne une salle d’abord en partie hostile en plaidant pour le double oui au référendum du 21 octobre alors que le PC appelle à voter non à la deuxième question. Le choix étant « entre le fascisme et la démocratie », il défend un gouvernement d’union derrière de Gaulle tout en prônant l’unité d’action des forces de gauche (« cette unité est possible car désirable, indispensable, tout le monde est d’accord ») alors que les tentatives nationales de réunification du PCF et de la SFIO viennent d’échouer64. Le 16, il tient un meeting dans son Trégor à Plouigneau (1 500 personnes) et préside le congrès des cadres des jeunesses socialistes à Château-neuf-du-Faou.
35Le 23 septembre 1945, Tanguy Prigent est réélu conseiller général de Lanmeur dès le premier tour avec 77,5 % des suffrages exprimés contre un seul adversaire, le communiste Jean Coat65. C’est une formalité pour le ministre socialiste (90 % des voix dans sa commune et à Garlan). Le même jour Armand Prigent, jeune cultivateur (SFIO), est élu à Plouigneau et Hippolyte Masson, maire de Morlaix, l’emporte au second tour comme Pierre Postellec à Carhaix. Le petit Trégor reste attaché au socialisme comme les élections municipales l’ont déjà montré mais la montagne et le centre Bretagne connaissent une poussée du vote communiste avec l’élection du cultivateur Auguste Penven au Huelgoat, un canton gagné par la SFIO en 193766. Les communistes capitalisent dans l’ouest des Côtes-du-Nord (12 élus sur 48 dans ce département) leur action dans la Résistance et les FTP. Tanguy Prigent remercie ses électrices et ses électeurs pour « leur manifestation de confiance et d’affection » « au nom de [son] parti et du socialisme qui seul peut assurer dans l’ordre, dans l’harmonie, par la Loi, le remplacement désormais inévitable d’un régime capitaliste par un régime coopératif tant sur le plan national que sur le plan coopératif ». À l’instar des dirigeants socialistes, Tanguy Prigent croit encore aux possibilités de transformer le système économique et social par de grandes réformes de structure en appliquant le programme du CNR. Pourtant cette campagne électorale apparemment triomphale n’a pas été de tout repos. Le ministre dit avoir « beaucoup souffert de la campagne ignoble de mensonges, de bobards et de calomnies odieuses déchaînées contre moi par quelques méprisables individus » tout en précisant que cette attitude ne relève pas des responsables des partis politiques. Le ministre et son parti paient le tribut d’un mécontentement latent vis-à-vis du dérapage inflationniste et d’une hausse insuffisante des prix agricoles à la production.
36Surtout, le rapport des forces à gauche sort nettement bouleversé en faveur du PCF dont neuf candidats restent en lice au second tour contre quatre socialistes et trois radicaux socialistes. Le 30 septembre 1945, la poussée socialiste forte en France est très limitée dans le Finistère même si les quatre candidats présents sont élus. Ce sont tous des militants d’avant-guerre67. Au conseil général, la SFIO ne compte que six élus (tous du Finistère Nord), le PCF quatre, car le vote de barrage contre ce parti a favorisé le MRP. Les radicaux sortent affaiblis de la consultation. Il faut préciser que du fait de l’attitude des notables pendant la guerre, le taux de réélection de 70 % en 1945 est fort dans le Finistère alors que dans les Côtes-du-Nord le renouvellement a été de 89,6 %. Dans le Léon, plusieurs notables conservateurs et pétainistes ont été réélus dès le premier tour. Les résultats sont décevants pour les socialistes du Finistère qui estiment que leur engagement résistant n’a pas été évalué à sa juste valeur. En outre, lors de la première réunion du conseil général le 29 octobre, le MRP qui compte seize élus obtient la présidence avec 22 voix pour Yves Jaouen contre 20 à Hippolyte Masson, candidat des gauches68. Le conseil général du Finistère détenu par la gauche laïque et radicale avant guerre bascule en faveur des catholiques du MRP et des droites. Tanguy Prigent intervient à plusieurs reprises dans les débats pour expliquer sa politique de libéralisation contrôlée des prix (commerce de chevaux), pour critiquer les élus qui ont accepté des fonctions de Vichy dans les conseils municipaux et au conseil départemental et pour dénoncer la portion congrue réservée à la France dans les réparations allemandes. Sur ce dernier point, il obtient l’appui de l’assemblée départementale. Les fonctions ministérielles n’ont pas éloigné le maire de Saint-Jean-du-Doigt du militantisme sur le terrain où il s’efforce de jouer le rôle de locomotive de la SFIO.
37Tête de liste de la SFIO devant Jean-Louis Rolland pour les élections législatives du 21 octobre 1945, Tanguy Prigent mène une active campagne électorale en faveur du double oui au référendum, tenant au moins sept réunions publiques dans le Nord-Finistère. La SFIO compte sur « son ami » le ministre de l’Agriculture et sur l’adoption par le gouvernement à la dernière minute d’une ordonnance sur le statut du fermage pour remporter au moins trois des neuf sièges à l’Assemblée constituante69. La déception est une nouvelle fois au rendez-vous car la SFIO n’obtient que 78 590 voix, 21,48 %, et deux sièges seulement comme en 193670. Avec 34,52 %, le MRP a quatre députés dont André Colin et André Monteil. Mais le choc vient des résultats du PCF qui devance la SFIO de plus de 3 000 voix et obtient aussi deux sièges (22,31 %) pour Pierre Hervé et Gabriel Paul. À la tête d’une liste de droite, Jean Crouan (9,87 %), résistant et déporté, membre de l’Assemblée consultative, est réélu. Les résultats du Finistère sont conformes à la tendance nationale qui place le PCF avant la SFIO, sauf que la percée du MRP y est très forte comme dans l’ensemble de la Bretagne. Au niveau national, le PCF a obtenu 26,12 % des suffrages exprimés devant le MRP, 23,81 % et la SFIO 23,35 %. Le choc est rude pour les socialistes qui pensaient devenir le premier parti de France et engager autour d’eux une recomposition politique en attirant l’UDSR et l’aile gauche du MRP71. Le slogan de l’été 1945, « le socialisme maître de l’heure » ne s’est pas confirmé dans les urnes. La stratégie de Daniel Mayer, le secrétaire général soutenu par Léon Blum, va en être remise en question. À l’Assemblée constituante, la SFIO n’a que 135 députés (18 de moins qu’en 1936) alors qu’avec 148 élus le PCF a doublé sa représentation et que le nouveau MRP a obtenu 143 sièges. En Bretagne, avec sept députés, un de moins qu’en 1936, la SFIO fait jeu égal avec le PCF (six députés et un apparenté, Emmanuel d’Astier de La Vigerie)72.
38Les socialistes paient le prix de leur acceptation de ministères économiques sensibles et, selon eux, d’une campagne musclée, faite de promesses démagogiques, d’un PCF disposant de gros moyens militants (tracts, affiches) et qui a su capter à son profit le mécontentement général. L’anticommunisme latent dans la SFIO se réveille. La déception vient aussi du fait que l’annonce du statut du fermage, « cette révolution bienfaisante acquise par Tanguy Prigent » et devant profiter à plus de 40 000 fermiers du département, n’a pas provoqué « la reconnaissance des intéressés », surtout dans le Sud-Finistère. La faiblesse organisationnelle et militante de la SFIO par rapport au PCF explique aussi ces résultats électoraux médiocres que l’active campagne électorale de Tanguy Prigent n’est pas parvenue à compenser. Le ministre a pourtant la satisfaction personnelle d’avoir obtenu plus de 55 % des voix pour sa liste dans son canton de Lanmeur et près de 45 % dans celui de Plouigneau, confirmant le bastion socialiste du nord-est et du centre du Finistère73.
« M. Tanguy Prive Gens » et « la bataille du pain »
39Quelle est l’attitude du ministre de l’Agriculture vis-à-vis du chef du gouvernement provisoire ? Une longue note (8 pages) aux dirigeants du PS à usage purement interne à la veille d’une rencontre avec le général de Gaulle permet de se faire une idée de la façon dont il voit la participation au pouvoir en 1944 et 194574. Ce texte annoté « 1945 » sans précision de date a sans doute été rédigé dans les premiers mois de 1945, avant les grandes consultations électorales de l’automne. Il est bien dans la ligne du « gaullo-socialisme » tel qu’il a été défini par Daniel Mayer au congrès de novembre 1944 car Tanguy Prigent y plaide pour que son parti soit le meilleur au sein du gouvernement alors que le MRP se proclame le « parti de la fidélité au général75 ». Il écrit : « Nous devons apparaître comme le parti le plus honnête, le plus courageux, le plus attaché à la défense de l’intérêt général et du redressement économique et moral de la Nation française, le parti doit s’élever au-dessus de toutes les questions de tactiques, de soucis électoraux, de considération de concurrence entre partis et tout examiner sous l’angle supérieur de la Nation et de la Paix. » Mais de Gaulle s’est démarqué rapidement des réformes de structure voulue par les socialistes et, les Français et les Françaises n’ont sans doute pas perçu cette hauteur de vue. Tanguy Prigent est bien déçu des résultats électoraux du 21 octobre 1945 qui placent les socialistes en troisième position.
40Après les élections à l’Assemblée constituante, les trois partis sortis vainqueurs mènent de longues tractations pour former le nouveau gouvernement. Le MRP et la SFIO souhaitent que le général de Gaulle conserve la présidence du gouvernement alors que le PCF exige l’un des trois grands ministères (Intérieur, Affaires étrangères, Guerre) que leur refuse le Général provoquant une crise politique. Au bout de quelques jours, le PCF accepte un compromis. Le nouveau gouvernement essentiellement tripartite est formé le 21 novembre et investi le 23 à l’unanimité. Socialistes, communistes et MRP ont cinq ministères chacun ; l’UDSR trois pour des proches de De Gaulle (Pleven, Soustelle, Malraux) ; les radicaux-socialistes et les modérés un seul76. Tanguy Prigent y conserve son poste de ministre de l’Agriculture. Mais, il y ajoute un poste à hauts risques presque toujours occupé par les socialistes depuis novembre 1944, celui du Ravitaillement. Il va y rester deux mois dans une période difficile. La question du ravitaillement devient alors de plus en plus angoissante. Le 29 août 1945, à l’approche des campagnes électorales, Christian Pineau et le gouvernement ont annoncé la suppression de la carte de pain pour le 1er novembre. Depuis un an, la ration officielle était de 350 grammes par personne et par jour. Mais avec les mauvaises récoltes de blé et la vente libre, la situation dérape77. Le gouvernement est contraint de rétablir la carte de pain le 28 décembre, au lendemain de Noël, en abaissant la ration à 300 grammes pour les adultes. En charge du Ravitaillement, Tanguy Prigent en assume toute l’impopularité devant l’opinion. Succédant à ses collègues socialistes Paul Ramadier, vite affublé du surnom de « Ramadiète », et Christian Pineau, il devient M. « Tanguy Prive Gens ». C’est ce que rapporte la police lors d’une visite le 12 janvier 1946 pour inaugurer une foire agricole à Moulins dans l’Allier. En compagnie de son camarade Henri Ribière, député du département, le discours du ministre a pourtant été chaleureusement applaudi par 4 000 personnes78. C’est le plus souvent par la dérision que les milieux populaires répondent aux difficultés du temps mais aussi par des manifestations parfois violentes. Un autre conflit surgit le 1er janvier 1946, lorsque les bouchers parisiens, trouvant les prix de gros trop élevés (malgré une prime de l’État) compte tenu des prix de détail taxés, décident une sorte de grève des achats de viande79. Le gouvernement doit se porter acquéreur de la viande de bœuf aux Halles et à la Villette. Le mouvement s’étend au début janvier à plusieurs villes, notamment à Bordeaux. Comme pour le pain, la libéralisation du marché de la viande lancée par Christian Pineau à la fin septembre 1945 se traduit par un échec. Lors des discussions ministérielles, Tanguy Prigent et René Pleven s’opposent à une hausse des prix de détail qui remettrait en cause la politique de blocage des prix et des salaires. Le nouveau ministre du Ravitaillement doit prendre des mesures de fermeté pour rétablir la situation. Le 9 janvier 1946, à Laon (Aisne), devant des agriculteurs de la CGA, Tanguy Prigent annonce l’extension de la taxation à la vente en gros (supprimée en septembre) et la création de mutuelles d’achat comprenant des bouchers et des syndicalistes ouvriers et paysans. La crise est l’occasion de proposer des mesures allant dans le sens des projets socialistes. Au nom du gouvernement, le ministre engage l’épreuve de force avec les bouchers qui pratiquent depuis le 12 novembre un barême de prix non homologué par les pouvoirs publics mais toléré jusque-là. Dans son discours de Laon, Tanguy Prigent s’en prend publiquement à M. Drugbert, président du syndicat des bouchers. Comme son vice-président, il est interné administrativement et une information judiciaire est ouverte. La gestion du quotidien n’est pas facile en ce début d’année 1946 pour un ministre en première ligne qui doit assumer les conséquences des décisions désastreuses des mois précédents.
41Réellement sensible aux difficultés des classes populaires, Tanguy Prigent ne veut pas rester impuissant face aux spéculateurs. Le 4 janvier 1946, il s’est adressé au pays d’un ton ferme pour expliquer l’obligation de rétablir la carte de pain. En appelant au civisme les Français et les consommateurs, le ministre condamne l’indiscipline et les troubles qui se sont produits dans certains endroits. Il réclame la répression du vol et du trafic de tickets (fausses cartes) et le non respect du rationnement affirmant que « la lutte contre les mauvais Français et contre le gaspillage doit être menée collectivement par tous les honnêtes gens de ce pays80 ».
42Le conseil des ministres du 14 janvier prend plusieurs décisions importantes : taxation de la viande de bœuf au détail, augmentation de la ration de pain de 300 à 350 grammes pour les travailleurs de force81. Dans la foulée, Tanguy Prigent va même jusqu’à réclamer la peine de mort « pour les accapareurs » en reprenant la terminologie révolutionnaire du temps de la Terreur. Cette solution extrême est écartée. C’était aussi une exigence du comité permanent du Ravitaillement, présidé par le communiste Racamond au nom de la CGT82. Dans le feu des débats du début janvier, le ministre de l’Agriculture et du Ravitaillement a dénoncé « une répression trop lente » du fait du mauvais fonctionnement de la justice. Son collègue à la Justice, le MRP Pierre-Henri Teitgen, député d’Ille-et-Vilaine, prend très mal cette déclaration. Il menace de démissionner si le bouillant Breton ne rectifie pas ses déclarations. Le 12 janvier à Moulins, lors d’une réunion privée avec ses camarades socialistes, Tanguy Prigent s’est dit lui aussi prêt à démissionner si rien n’était fait pour lutter contre les pénuries alimentaires83. Le 14 janvier, le conseil des ministres adopte un projet de loi de Pierre-Henri Teitgen tendant à transformer en délit la fermeture d’une entreprise pour échapper à la taxation des prix. Les bouchers doivent céder et rouvrir leurs boutiques tandis que les poursuites continuent. Mais, les prix taxés étant trop bas, les marchands de bestiaux cessent de vendre des bovins, diminuant la ration disponible pourtant fixée à 150 grammes par semaine alors que les prix au marché noir flambent. Il faut faire appel à de la viande en conserve ou congelée. Heureusement, la liberté du commerce en gros du porc et de la charcuterie permet de compenser la pénurie de bœuf.
43Durant cette crise, le ministre a heureusement le soutien de la presse socialiste. Le Populaire du 5 janvier 1946 commente ainsi son intervention à la radio : « Un appel de Tanguy-Prigent à la nation : civisme et discipline. Des mesures sévères seront prises contre les saboteurs. Producteurs, commerçants, consommateurs, doivent accomplir leur devoir84. » Mais au sein du parti socialiste, pour beaucoup, dans le contexte de pénuries persistantes, la défense des salariés et des consommateurs passe avant celle des agriculteurs. Cette situation place souvent le ministre de l’Agriculture et du Ravitaillement en porte-à-faux vis-à-vis de son milieu professionnel. Tout le gouvernement doit se mobiliser pour tenter d’améliorer une situation très déficitaire85.
44La tension est suffisamment vive dans l’opinion publique pour que les services de sécurité envisagent le 18 janvier 1946 de renforcer la protection personnelle du ministre qui s’y refuse. En effet, le 31 décembre, veille du rétablissement de la carte de pain, des manifestations ont lieu dans plusieurs villes ; des boulangeries sont pillées ; à Tours, la foule envahit la Préfecture et brûle des cartes de pain86. En dehors de ses voyages sur le terrain, Tanguy Prigent reçoit de nombreuses délégations au ministère. Après la période de relative improvisation de la Libération, le protocole et les services de sécurité de l’État reprennent leurs droits87. Durant cette période, le ministre est sous le feu croisé du PCF qui lui reproche de ne pas avoir prévu les pénuries et de la droite qui l’accuse d’entraver la liberté syndicale, voire de vouloir transformer les fermes en kolkhozes. On le voit, l’Agriculture plus le Ravitaillement ne sont pas des portefeuilles de tout repos pour celui qui s’implique totalement dans sa mission.
La démission du général de Gaulle (20 janvier 1946)
45En réalité, au même moment, une crise politique beaucoup plus grave se joue : celle du départ du gouvernement du général de Gaulle qui supporte de plus en plus mal les critiques parlementaires. Le 30 et 31 décembre, c’est un amendement socialiste défendu par André Philip et soutenu par le PCF qui déclenche cette crise en réclamant une réduction des crédits militaires de 20 %. Vincent Auriol (SFIO) et Charles Tillon (PCF) n’acceptent qu’une réduction de 5 %. De Gaulle qui veut rétablir le rang de la France n’accepte pas une telle diminution et met sa démission dans la balance. Un expédient permet de trouver un compromis. Mais, à l’issue de quelques jours de réflexion, le général de Gaulle adresse le 20 janvier 1946, sa lettre de démission de chef du gouvernement provisoire au socialiste Félix Gouin, président de l’Assemblée nationale. La semaine précédente, le général de Gaulle en a informé plusieurs proches dont son ministre Jules Moch venu l’attendre à sa descente du train de retour du Cap d’Antibes. Tanguy Prigent est certainement au courant de ce qui va se produire lorsqu’il est convoqué avec tous les ministres à la salle des Armures au ministère de la Guerre le 20 janvier à midi. Plusieurs versions de cette ultime réunion du conseil des ministres ont été données. Mais c’est celle que Tanguy Prigent a notée dans ses cahiers que Jean Lacouture, le biographe du général de Gaulle, a considéré comme la plus plausible88. La version donnée de la scène par le général de Gaulle dans ses Mémoires de guerre plusieurs années après les faits, dans laquelle il aurait évoqué l’éventualité d’une « dictature » du fait de la lutte entre les partis politiques a été mise en doute. Tanguy Prigent a noté les paroles du Général qui reprend précisément les arguments de sa lettre de démission. Il insiste bien sur les critiques des partis contre le gouvernement mais le mot de « dictature » n’y figure pas. Les paroles rapportées par le ministre de l’Agriculture sont les suivantes : « Les trois partis continuent à s’attaquer et sont préoccupés par les élections prochaines – je considère pour ma part que cela est un malheur pour la France – et que, moi, je ne veux pas me prononcer pour les uns ou pour les autres. » Le chef du gouvernement provisoire démissionnaire propose que Vincent Auriol assure son intérim et s’en va. Une discussion entre ministres s’ensuit. Maurice Thorez se prononce pour le maintien d’un gouvernement tripartite. Le récit à chaud de l’événement s’achève par un jugement sévère de Tanguy Prigent : « Le départ du général de Gaulle et son attitude semblent un abandon de poste étant donné l’état où se trouve la France et, d’autre part, c’est une manœuvre, peut-être à son corps défendant, antiparlementaire. C’est une manœuvre antidémocratique ». Le temps du « gaullo-socialisme » et de la fidélité au général de Gaulle s’achève sur une forte déception et sur une première rupture qui va marquer le ministre de l’Agriculture. La notion de « manœuvre antidémocratique » n’est pas particulièrement tendre pour l’homme du 18-Juin.
46Une nouvelle période politique et gouvernementale sans le général de Gaulle commence le 20 janvier 1946. Depuis 17 mois, Tanguy Prigent s’est dépensé sans compter pour reconstruire l’agriculture française et parer au plus pressé. Il est parvenu en un temps record et en payant de sa personne à mettre en place la CGA. Parcourant le pays dans tous les sens pour expliquer la politique gouvernementale et défendre le programme agraire et les positions du parti socialiste, le paysan ministre s’est fortement impliqué personnellement. De nombreux auditoires d’agriculteurs l’ont applaudi sans être toujours convaincus par ses thèses. Mais le militant, par son ardeur, sa simplicité et ses talents oratoires, a su se faire apprécier même si à la fin de l’année 1945, en prenant le ministère du Ravitaillement, il a rencontré les premières sérieuses difficultés. Sa relation affective avec le général de Gaulle a sans doute été très forte. Mais au moment où le gouvernement de Gaulle est démissionnaire, l’œuvre agricole entreprise est loin d’être achevée.
Notes de bas de page
1 OURS. Fonds Michel Cépède. Souvenirs de Marcel Couvreur, « Libération, investissements et occupation des ministères de l’Agriculture et du Ravitaillement (19 août 1944) », texte dactylographié. Marcel Couvreur a connu Tanguy Prigent dans la clandestinité. C’est un corps franc de Ceux de la Résistance (CDLR) qui a investi ce ministère à Paris le 19 août, appuyé par des syndicalistes de la CGT. Un groupe FTP aurait voulu installer le communiste Waldeck Rochet comme secrétaire général.
2 AN. 72 AJ 59. Témoignage de Tanguy Prigent au CHDGM et AN. F 7/15504. Notice biographique de Tanguy Prigent. Début 1946.
3 Jean Massot, « L’installation du gouvernement d’unanimité nationale du 9 septembre et de l’Assemblée consultative provisoire », Le rétablissement de la légalité républicaine. 1944, Bruxelles, Fondation Charles de Gaulle-Complexe, 1996, p. 389-417.
4 Il s’agit des sénateurs radicaux J. Jeanneney et P. Giacobbi (Ravitaillement), des députés communistes Fr. Billoux (Santé Publique) et Charles Tillon (Air), des socialistes Tanguy Prigent (Agriculture) et A. Laurent (PTT), du radical-socialiste P. Mendès-France (Économie nationale) et du modéré L. Jacquinot (Marine).
5 P. Mendès France, T. Prigent, A. Laurent, C. Tillon.
6 Charles De Gaulle, Mémoires de guerre, III. Le salut 1944-1946, Paris, Plon, rééd. Presses Pocket, 1980, p. 11.
7 Le démocrate chrétien Georges Bidault, président du CNR, a d’abord appartenu à Combat avant d’être au FN. Il devient le ministre des Affaires étrangères, poste d’abord proposé à René Pleven. Voir Christian Bougeard, René Pleven. Un Français libre en politique, Rennes, PUR, 1995, p. 137-140.
8 Dans un brouillon ébauchant ce gouvernement Charles de Gaulle considère aussi comme démocrates chrétiens R. Pleven et. R. Capitant (Éducation nationale). Lettres, notes et Carnets V, juin 1943- mai 1945, Paris, Plon, p. 308-312. Les deux hommes adhéreront à l’UDSR fondée en juin 1945.
9 C’est le résultat du décès accidentel de A. Lepercq. R. Pleven devient ministre des Finances ; Paul Giacobbi le remplace aux Colonies libérant le poste du Ravitaillement.
10 Charles de Gaulle, Mémoires III, op. cit., p. 12.
11 Tanguy Prigent, Les maîtres de la vanité, op. cit., p. 143-144. C’est aussi le cas de Charles Tillon, ministre de l’Air.
12 Forçant sans doute le trait, il écrit dans ses mémoires : « Nos enfants firent donc leur apparition au Claridge, minces à l’extrême certes [à cause des restrictions évoquées plus haut], ne parlant que breton, mais en quoi cela justifiait-il la gaieté qui secoua le palace de la réception aux mansardes : leurs sarraus étaient rapiécés mais propres, leurs sabots cloutés et cerclés de neuf. »
13 Ibidem, p. 146-151.
14 AN. 72 AJ 59. Témoignage au CHDGM.
15 Édouard Depreux, Souvenirs d’un militant, op. cit., p. 245-246. Mais de Gaulle n’a pas suivi le conseil de prendre Depreux à la Justice, attribuée au démocrate chrétien de Menthon.
16 Édouard Lynch, « Les socialistes et l’action agricole à la Libération : espoirs et désillusions », Le parti socialiste entre Résistance et République, s.d. de Serge Berstein, Frédéric Cépède, Gilles Morin, Antoine Prost, Paris, Publication de la Sorbonne, 2000, p. 139-155.
17 Ibidem, p. 143.
18 La Libération paysanne, Marc Lavergne, « Une politique économique paysanne. De Méline à Tanguy-Prigent », nouvelle série, n° 1, 21 octobre 1944. Marc Lavergne est le pseudonyme de Michel Cépède, chef-adjoint du cabinet du ministre.
19 En 1936, la population rurale était de 48 % (20 millions) ; en 1931, la population active agricole représentait 36 % de la population active totale.
20 Au début de 1946, il compte une quinzaine de personnes nommées officiellement dont huit ingénieurs agronomes ou agricoles, deux conseillers d’État, un agrégé de Lettres et un attaché parlementaire, Ernest Cazelles chargé de faire le lien avec la SFIO.
21 Isabel Boussard, « L’agriculture française. Options et résultats ». Colloque FNSP, La France en voie de modernisation 1944-1952. Texte dactylographié, 40 p.
22 En 1942, on a aussi présenté Jacques Le Roy Ladurie comme « un paysan » mais il s’agissait d’un propriétaire foncier exploitant.
23 Isabel Boussard, Vichy et la Corporation paysanne, op. cit., texte intégral, p. 400-408.
24 Ibidem, p. 358-361. Accusé d’atteinte à la sûreté extérieure de l’État, de Guébriant est condamné à une interdiction de séjour dans le Finistère et le Morbihan et à la privation d’administrer des organisations agricoles pendant cinq ans. Au bout de trois ans, il est réintégré dans tous ses droits et en 1961, il sera décoré de « la cravate » de la Légion d’honneur au grand dam de Tanguy Prigent qui y voit une revanche de Vichy sous le « pouvoir gaulliste », Les maîtres de la vanité, op. cit., p. 145.
25 Édouard Lynch, op. cit., p. 146-147 et 144. Montel déclare encore : « Les mesures expropriant les biens des traîtres seront appliquées aux promoteurs de la Corporation paysanne […]. »
26 L’Année politique (1944-1945), (L’AP), p. 42 et Le Populaire du 17 octobre 1944 cité par E. Lynch.
27 Charles De Gaulle, Lettres, notes et Carnets V, op. cit., p. 328-333.
28 AN. F 7/15504.
29 Le Breton Socialiste, « Tanguy Prigent s’adresse aux paysans », 9 décembre 1944. L’hebdomadaire du PS du Finistère a reparu le 21 novembre 1944 (n° 569).
30 Ibidem, 20 janvier 1945.
31 L’AP 1944-1945, p. 91.
32 Charles De Gaulle, Mémoires de guerre III, op. cit., p. 152. De Gaulle n’accorde qu’une place limitée à ce ministère qui relève de « l’intendance ». Aucune note ou lettre au ministre n’a été publiée dans ses Lettres, notes et Carnets de la période.
33 André Hirschfeld, « Le mouvement coopératif agricole sous l’Occupation », Revue d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale, n° 57, janvier 1965, p. 82-83.
34 Il s’agit de la CNP (socialiste), de la Fédération nationale de la Mutualité et de la Coopération agricole (radicale), de la CGPT et des CDAP (communistes) et de la Fédération nationale des techniciens de l’agriculture (CGT).
35 La Libération paysanne, 7 novembre et 5 décembre 1944. Isabel Boussard, « Résistance et syndicalisme agricole », La France de 1945. Résistances, retours, renaissances, s.d. de Christiane Franck, Université de Caen, 1996, p. 27-48.
36 Isabel Boussard, Vichy et la Corporation paysanne, op. cit., p. 362. Martial Brousse, ancien syndic régional de la Meuse a été élu au scrutin secret par 509 voix sur 517 syndicats.
37 AN. F 7/15504. Rapports des RG.
38 Idem, Rapport des RG de Bourges. Le 2 décembre précédent il avait envoyé Robin présider une réunion du comité d’action agricole du Cher.
39 Id., Rapports des RG.
40 Tanguy Prigent, La démocratie à la terre, Paris, Éd. de la Liberté, 1945, p. 11-12. Cité par Isabel Boussard, « Résistance et syndicalisme agricole », op. cit., p. 30-33
41 La rénovation paysanne, Préface de Tanguy Prigent, Paris, Éd. de la Liberté, 1945. Cité par Édouard Lynch, op. cit., p. 144-145.
42 Histoire de la France rurale, t. 4, op. cit., p. 453.
43 Foyer rural, « Le congrès de la CGA », n° 66, avril 1945. Cité par Isabel Boussard, p. 34-35.
44 Le Breton Socialiste, 10 mars 1945.
45 Tanguy-Prigent, La terre aux paysans, Projet de loi pour la défense de la propriété paysanne, Paris, Éd. de la Liberté, 1946, p. 13.
46 Isabel Boussard, op. cit., p. 38-42.
47 Le Breton Socialiste, 31 mars 1945.
48 L’AP 1944-1945, p. 152-153.
49 Christian Bougeard, René Pleven, op. cit., p. 141-149.
50 Le jugement de E. Depreux, Souvenirs d’un militant, op. cit., p. 448 qui écrit que : « Tanguy Prigent n’avait pas résisté plus que lui [Lacoste] au prestige du général de Gaulle et à son arbitrage en faveur de Pleven » ne tient pas compte de cette position du ministre d’autant plus qu’il précise aussitôt que le Breton n’avait « aucune prédilection pour le laissez-faire et les événements n’ont cessé de le confirmer ».
51 AN. F 7/15504. Dossier important des rapports de police locaux et du chef du service des voyages officiels.
52 Le policier des RG de Montpellier semble avoir été subjugué par Tanguy Prigent. Mais c’est la tonalité générale qui se dégage de tous les rapports officiels.
53 Ibidem.
54 Isabel Boussard, op. cit., p. 35-37.
55 Édouard Lynch, article cité, p. 147. Le 20 décembre, son élection est validée lors de la vérification des mandats.
56 Christian Bougeard, René Pleven, op. cit., p. 152.
57 L’AP 1944-1945, op. cit., p. 405 et Isabel Boussard, op. cit., p. 42-43.
58 OURS. Congrès national extraordinaire des cadres des fédérations reconstituées dans la Résistance, sténotypie, p. 277.
59 Ibidem, p. 596.
60 Noëlline Castagnez-Ruiz et Gilles Morin, « le parti issu de la Résistance », Le parti socialiste entre Résistance et République, op. cit., p. 37-60.
61 Le Breton Socialiste, « Les vacances d’un ministre militant », 14 avril 1945.
62 Cité par Gilles Morin, « Tanguy Prigent et la SFIO », Saint-Jean-du-Doigt. Des origines à Tanguy Prigent, Brest, CRBC, Kreiz, n° 14, 2001, p. 414-415.
63 Le Breton Socialiste, 15 septembre 1945.
64 Jean Vigreux, « Le comité d’entente socialiste-communiste », Le parti socialiste entre Résistance et République, op. cit., p. 181-192.
65 ADF. 31 W 142. Élections cantonales de 1945 et Le Breton Socialiste, 29 septembre et 6 octobre 1945. On compte 22 élus dès le 1er tour dans le Finistère dont 1 PCF, 2 SFIO, 2 rad., 9 MRP et 6 URD.
66 Blanchard, le conseiller sortant, a été devancé au premier tour et s’est désisté.
67 J. Julien est réélu à Brest 3 ; H. Masson succède à G. Le Normand à Morlaix ; J.-L. Rolland, membre de l’Assemblée consultative enlève le siège de Landerneau.
68 Le Breton Socialiste, 3 et 10 novembre 1945. Une voix s’est portée sur le conseiller général radical-socialiste Mazé.
69 L’ordonnance est publiée le 17 octobre, quatre jours seulement avant le scrutin.
70 Le Breton Socialiste, 20 octobre et 27 octobre 1945. Les listes radicale-socialiste et résistants gaullistes de Jean Marin n’ont pas d’élus. La SFIO réalise ses meilleurs scores dans le fief de Tanguy Prigent (à Saint-Jean, Garlan et Plougasnou). Elle arrive en tête dans 33 communes de l’arrondissement de Morlaix, dans 14 de ceux de Brest et de Châteaulin, mais dans une seule de celui de Quimper où le PCF s’impose à gauche.
71 Nicolas Rousselier, op. cit., p. 71-73.
72 La SFIO a deux députés dans le Finistère et en Loire-Inférieure, un seul dans les trois autres départements bretons.
73 Pierre Brigant, La fédération socialiste SFIO du Finistère (1908-1969), thèse, Rennes 2, 2002, p. 409-411. La liste SFIO a dépassé 30 % des suffrages exprimés dans douze cantons tous situés dans cette zone.
74 OURS, « Note de Tanguy Prigent au Parti socialiste », citée par Gilles Morin, Kreiz n° 14, p. 411.
75 L’expression de « gaullo-socialisme » est de Nicolas Rousselier, « L’idée de la France selon les socialistes (été 1944-janvier 1946) », Le parti socialiste entre Résistance et République, op. cit., p. 69-71. Ce concept recouvre l’affirmation par Daniel Mayer de la reconnaissance en de Gaulle du seul chef légitime du gouvernement issu de la Résistance et celui sous l’égide duquel « le socialisme » pourra être instauré dans une France quasi-unanime.
76 L’AP 1944-1945, p. 346-355. Les quatre socialistes sont Vincent Auriol, ministre d’État comme Maurice Thorez (PCF), Adrien Tixier (Intérieur), Jules Moch (Travaux publics et Transports) et Eugène Thomas (PTT).
77 L’AP 1944-1945. La récolte de blé n’est évaluée qu’à 43 millions de quintaux, un peu plus de la moitié de la moyenne d’avant-guerre. Pour maintenir la vente libre, il aurait fallu importer 30 millions de quintaux, ce qui est impossible du fait des difficultés de transport et de change.
78 AN. F 7/15504. Rapports des RG de l’Allier.
79 L’AP 1946, p. 19-22.
80 Allocution radiodiffusée de Tanguy-Prigent, vendredi 4 janvier 1946, ministère de l’Information, Hors Série n° 80.
81 L’AP 1946, p. 20.
82 Le Breton Socialiste du 12 janvier 1946, « Une courageuse allocution de Tanguy Prigent », parle « d’affameurs ».
83 AN. F 7/15504.
84 Édouard Lynch, op. cit., p. 149. Un autre article du 10 janvier 1946 est titré « Pas de pitié pour les accapareurs ».
85 Dans sa déclaration ministérielle du 29 janvier 1946, le nouveau président du Conseil Félix Gouin estime que pour assurer la soudure, il faudra importer 17 millions de quintaux de blé, 2,5 millions par mois alors qu’on n’arrive pas à 1,5 million. La ration de vin devra être abaissée de 4 à 2 litres par mois ; il manque la moitié des besoins en pommes de terre ; il n’y aura pas de viande bovine fraîche avant 3 ou 4 mois.
86 L’AP 1944-1945, p. 397.
87 Un plan de contrôle des voitures est à l’étude ainsi que l’affectation de deux gardiens de la paix à l’entrée et d’un agent dans la salle d’attente. On prévoit aussi un agent pour interdire l’entrée des appartements privés, un huissier pour introduire les visiteurs et deux chauffeurs armés.
88 Jean Lacouture, De Gaulle. 2. Le politique, Paris, Seuil, 1985, p. 240-241.
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