Force ouvrière, un nouveau champ de recherches
p. 261-263
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Index géographique : France
Texte intégral
1Au terme de ce colloque, de nouvelles perspectives s’ouvrent. Les lacunes historiographiques relatives à Force ouvrière ayant été suffisamment soulignées, nous n’y reviendrons pas. En revanche, on doit se féliciter de la tenue de cette manifestation qui permet de rattraper une partie du retard. Il est donc maintenant nécessaire d’esquisser quelques pistes de recherches pour que l’entrée de la Confédération dans le champ de la recherche historique se continue et s’amplifie. Les quelques réflexions qui vont suivre n’ont pas d’autre but.
2Dans les prochaines années, l’approche biographique – qui sont les militants de Force ouvrière ? – bénéficiera de la publication de la nouvelle série du Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, qui poursuit l’aventure du Maitron. De 2004 à 2009, 12 volumes présenteront les principaux responsables de la Confédération, de sa création à 1968. Ce travail considérable, maintenant très avancé, concerne plus d’un millier de syndicalistes de Force ouvrière : dirigeants nationaux – Bureau national, Comité confédéral national, Commission exécutive –, responsables des Fédérations et des Unions départementales (secrétaires, trésoriers, etc.). Cette étude bénéficiera de la coordination des recherches menées dans le cadre d’une profession, d’une Fédération ou d’un département. Elle prendra également en compte le croisement des recherches avec celles effectuées dans d’autres corpus militants : ainsi, certains dirigeants de Force ouvrière ont été membres de la SFIO ou en ont été proches, d’autres militèrent dans des mouvements associatifs ou européens. Il conviendra d’approfondir cette piste et, à travers une meilleure connaissance des responsables de Force ouvrière, de dessiner le réseau relationnel et d’influence de la Confédération. Assez visibles dans les années de jeunesse de la Confédération, ces liens tendent ensuite à se distendre selon des modalités encore mal connues aujourd’hui.
3Par ailleurs, d’autres questions se posent sur les militants qui ont construit Force ouvrière : existe-t-il un modèle spécifique de militant ? Si tel est le cas, comment se caractérise-t-il ? Assiste-t-on à l’émergence de générations militantes diverses ? Quelle est la place des femmes ? Dans quelle mesure l’héritage historique des confédérés produit-il ses effets ?
4La géographie de l’implantation syndicale mérite également d’être scrutée. Quelles sont les origines géographiques des militants ? Sur un autre plan, comment s’organise l’implantation de Force ouvrière au sein de l’Hexagone et des colonies ? Sans doute, cette implantation est diversifiée, solide dans certains cas, plus faible ailleurs. Il conviendra de mesurer ces différences et d’en rechercher les causes. Ces disparités géographiques recoupent- elles les anciennes bases des confédérés ? La progression des unitaires à la Libération a-t-elle, au contraire, modifié cet ordonnancement et bouleversé la géographie nationale ?
5L’approche thématique est également fructueuse : qu’il s’agisse de la guerre froide, de la construction européenne ou de l’action syndicale durant les guerres d’Indochine et d’Algérie, on ne sait que peu de choses sur le rôle joué par Force ouvrière. Tout laisse à croire que la décolonisation fut l’objet de positions courageuses mais qu’elle a aussi entraîné des débats, parfois vifs, et même provoqué quelques départs retentissants. Plus précisément, que s’est-il passé au sein de la Confédération ? Comment ces événements ont-ils été vécus par les dirigeants et par les militants de base ?
6L’investissement de Force ouvrière au sein des comités d’entreprise et plus encore dans le domaine de la protection sociale constitue une autre piste. Comment s’est-elle manifestée durant les deux décennies qui ont précédé 1967 et le tournant dans l’histoire de la gestion syndicale de la Sécurité sociale que constituent les ordonnances Jeannenney ?
7Quels ont été les liens de Force ouvrière avec d’autres mouvements sociaux ? Pour ne prendre qu’un exemple, nous avons signalé le rôle considérable joué par Jack Senet, le président, de 1950 à 1967, de la Fédération nationale de la mutualité française (FNMF), la première organisation mutualiste du pays qui regroupe alors plus de 15 millions d’adhérents ; Jack Senet a été adhérent de Force ouvrière ou en a été proche. Il a joué un rôle considérable, encore mal connu, dans le rapprochement engagé alors entre le mouvement mutualiste et le monde du travail ainsi que ses organisations syndicales. L’action de ce dirigeant est-elle relayée sur ce terrain ? Si tel est le cas, comment, selon quelles modalités ?
8La recherche se consacre de plus en plus à l’histoire du temps présent. C’est dire que l’approche historique de Force ouvrière ne doit pas s’arrêter aux années d’après-guerre ; elle doit être poursuivie jusqu’à la période la plus récente. C’est pourquoi trois autres questions devront être abordées : les différents secrétaires généraux ont-ils infléchi la politique de la Confédération ? Si oui comment et dans quelle mesure ? Par ailleurs, quel rôle les événements politiques et économiques majeurs des deux dernières décennies ont-ils joué dans son évolution ?
9La façon dont Force ouvrière a vécu la grande crise affrontée par le syndicalisme depuis la fin des années 1970 mérite également examen. Force ouvrière a sans doute été moins touchée que la CGT, et ce pour deux raisons. L’influence de Force ouvrière repose assez largement sur les fonctionnaires et les employés : dans ces professions, le taux de syndicalisation a mieux résisté que dans d’autres secteurs particulièrement touchés par la crise – sidérurgie, mines, construction navale – sur lesquels s’était longtemps appuyée la CGT. Par ailleurs, la CGT a également souffert de la crise vécue par le communisme international et français : cette donnée n’a évidemment pas concerné directement Force ouvrière ! Toutefois, la crise du syndicalisme a frappé l’ensemble de ses composantes même si elles l’ont vécue de façon différente. On ne sait que peu de choses sur les effets qu’elle a eus sur Force ouvrière.
10Loin d’être exclusives, ces quelques pistes entrevues, ces quelques propositions esquissées devront être complétées et approfondies. Leur simple énoncé montre l’ampleur du travail à réaliser. Les chercheurs, comme cela a été fait lors de ce Colloque, auront tout intérêt à associer pleinement Force ouvrière à cette démarche. Si les deux journées consacrées à Robert Bothereau encouragent Confédération et historiens à s’investir encore davantage dans la mise à jour d’une histoire riche et tumultueuse, elles auront pleinement atteint leur objectif.
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