Chapitre 3. Un savoir statistique en construction
p. 75-96
Texte intégral
1Les pratiques professionnelles des statisticiens des zemstva s’inscrivirent, de fait, dans un champ plus large que celui de la seule statistique administrative. L’exigence de leur démarche et toute la réflexion méthodologique qui lui fut liée étaient celles d’une communauté scientifique spécifique, structurée à l’échelle nationale autour de réseaux, de sociétés scientifiques et de congrès qui ont joué un rôle actif dans la construction et la diffusion de savoirs sur l’économie et la société russes. À la veille d’Octobre 1917, l’espace institutionnel de la statistique des zemstva avait des intersections avec d’autres espaces d’élaboration des connaissances.
Des sociétés de statistique actives
2Se superposant aux liens individuels entre les hommes, les sociétés de statistique jouèrent, dès les années 1880, un rôle central dans la formation du groupe professionnel des statisticiens des zemstva. À travers leurs débats, elles contribuèrent à construire et à diffuser les pratiques et les savoirs d’une profession. En premier lieu, elles stimulèrent l’élaboration de programmes d’enquêtes communs et de questionnaires uniformes dans les différentes provinces. Dans la tradition des sociétés scientifiques de l’époque, elles examinaient les travaux de leurs membres, leurs méthodes et leurs résultats, et élaboraient des programmes d’observation qui étaient suivis ensuite par leurs sociétaires dans les différentes provinces russes1.
3Si la Société russe de géographie joua un rôle essentiel dans la conception des travaux de la statistique d’État du Comité central de la statistique, de son côté, la Société juridique de Moscou, créée en 1863, contribua fortement à celle des programmes d’enquêtes des statisticiens des zemstva et à la diffusion de nouvelles méthodes d’observation à partir de 1882. Cette année-là, V. I. Orlov, A. I. Tchouprov et M. A. Sabline fondèrent une section de statistique en son sein. L’année suivante, celle-ci comptait déjà vingt-deux représentants de différentes provinces sur un total de cinquante-neuf membres2. Dès sa création, elle affirma sa volonté d’homogénéiser les programmes et les méthodes d’enquête statistique sur l’ensemble du territoire russe. Dans cet esprit, une commission fut désignée, en 1887, pour élaborer les principes sur lesquels pourrait reposer une unification des procédés de collecte des données dans les différentes régions. Le projet de la réalisation d’une enquête sur la situation économique des villages ruraux y fut discuté et adopté:
« 1. Une enquête exhaustive par foyer de toutes les exploitations paysannes est indispensable pour servir de base à tous les travaux statistiques et économiques des zemstva.
2. En complément à l’étude par foyer de la population paysanne doit figurer une description générale des conditions dont dépend la vie économique d’un village donné (formulaire du village)3. »
4L’objectif était d’effectuer des recensements par ménage dans l’ensemble des zemstva pour dresser un tableau d’ensemble de l’économie rurale et de la vie dans les campagnes. L’édition de recueils spéciaux consacrés à la publication des résultats et à leur analyse fut également envisagée. Si la nécessité de mener ces enquêtes en respectant des directives communes fit l’unanimité, dans la pratique, la diversité des conditions matérielles de leur réalisation d’un zemstvo à l’autre, notamment des sommes d’argent allouées à cette fin, fit abandonner le projet d’un formulaire d’enquête standardisé pour tous. L’idée en était lancée toutefois.
5Outre la diffusion des recensements par ménage dans tous les zemstva, la Société juridique stimula l’introduction de la pratique des enquêtes par sondage pour effectuer des études approfondies selon les différents types d’exploitations. Sous l’impulsion de sa section de statistique, l’enquête sur des villages types est apparue dans les bureaux de statistique des zemstva dans la seconde moitié des années 1880. Au cours de ses travaux des mois de janvier et de février 1887, la commission de statistique fixa la procédure d’organisation des enquêtes partielles et délimita leur usage par rapport à celui du recensement exhaustif:
« 5. Après avoir terminé la description exhaustive des exploitations paysannes privées, il est recommandé d’organiser sur cette base une enquête spéciale (enquet) sur l’agriculture, sur les productions et sur d’autres aspects de la vie de la population locale. Pour effectuer de telles enquêtes dans chaque aire homogène d’une province ou d’un district rural, il importe de choisir un ou quelques villages types et quelques propriétés agricoles privées types qu’il est possible de soumettre à une observation complète et approfondie4. »
6L’enquête partielle était donc préconisée comme complément, et non pas encore comme substitut, à l’étude exhaustive d’un district rural donné. Sa méthodologie devait reposer sur le choix de villages types. Conduite sur un échantillon sélectionné de manière raisonnée dans la population totale déjà recensée au cours d’une enquête exhaustive préalable, elle devait permettre de procéder à une analyse plus fine des caractéristiques économiques et sociales d’un territoire précis, le plus souvent dans une optique comparative. Pour les statisticiens des zemstva, l’objectif était d’étudier les différences économiques et sociales dans les campagnes. L’opération délicate consistait alors à constituer d’abord des aires types homogènes afin de pouvoir, ensuite, sélectionner les villages types sur la base desquels il serait possible de mettre en évidence les différences entre les aires. Le mode de détermination des aires types, les critères de classification et les conditions de passage des résultats partiels à la généralisation devinrent un sujet central de discussion de la communauté des statisticiens des zemstva.
7Les questions posées par l’organisation d’études sur des échantillons de budgets paysans furent examinées également au sein de la Société juridique. Autre innovation majeure, le principe de la réalisation d’un recensement tous les cinq ans fut décidé au cours d’une réunion de l’année 1893. Après son interdiction en 1898, d’autres sociétés, en particulier la Société libre d’économie et la Société des naturalistes et des médecins russes, jouèrent un rôle important dans la diffusion d’un savoir statistique construit au contact du terrain.
8La Société libre d’économie, d’existence beaucoup plus ancienne5, remplit un rôle scientifique non négligeable. En 1900, sa commission statistique convoqua une conférence de statisticiens dans laquelle le principe de la production de recensements à intervalles réguliers fut recommandé une nouvelle fois. Parmi les résolutions prises, les participants insistèrent sur le caractère indispensable de la réalisation d’enquêtes sur l’activité artisanale, les différenciations sociales dans les campagnes et la structure socio-économique des exploitations paysannes. Cette commission fut aussi très active dans son effort d’inventaire, de collecte et de conservation des publications statistiques des différents zemstva et dans son entreprise de diffusion du savoir statistique. Après avoir, en 1899, réalisé un inventaire des travaux de statistique courante des différents zemstva, un de ses membres, V. F. Karavaev, publia en 1911 un recueil bibliographique des travaux statistiques d’estimation et des études économiques édités dans tous les zemstva de l’Empire russe6. Plus de 8 000 ouvrages y étaient recensés. Il établit également un répertoire bibliographique des ouvrages statistiques édités par les zemstva de 1864 à 19037.
9De son côté, le rôle joué par la Société des naturalistes et des médecins russes s’exerça tout particulièrement, comme cela sera développé un peu plus loin, à la faveur de la convocation régulière de congrès, principalement à partir de 1888, après l’interdiction de réunion de ceux des statisticiens des zemstva. En fondant une section de statistique à l’intérieur des congrès de la Société des naturalistes, ceux-ci purent continuer à se rassembler.
10Les sociétés scientifiques ne possédaient pas toutes des sections en province. Leur influence dans les régions s’exerçait toutefois par la voix des statisticiens des zemstva qui en étaient membres et qui, au retour de chaque rassemblement national, faisaient un compte rendu des débats à leurs collègues. Quand la Société des naturalistes avait une section locale, les statisticiens y étaient très actifs. Ils y faisaient notamment des exposés sur des questions de méthodologie et d’organisation d’enquêtes.
11En 1912, la Société juridique de Moscou renaquit de ses cendres à l’initiative du département de statistique de l’université de Moscou et de N. A. Kabloukov. Sous le nouveau nom de Société Tchouprov, elle joua le même rôle de rassemblement des statisticiens russes que son aînée. Néanmoins, signe déjà d’un nouvel âge de la statistique dans ce pays, ses conférences et ses débats portèrent beaucoup plus sur des questions de théorie statistique que sur l’organisation concrète d’enquêtes8. L’expérience était désormais acquise dans ce domaine, une forme d’homogénéisation également, à défaut de standardisation.
Des espaces de discussion
12De la fin du xixe siècle à 1917, les congrès professionnels servirent de relais à l’action des sociétés scientifiques pour l’ensemble des professions en voie de constitution9. Ils étaient un moment fort de rassemblement et d’échanges entre les membres d’un groupe professionnel, qu’ils réunissaient à l’échelle d’une province ou d’un district rural tout autant qu’à l’échelon national. B. B. Vesselovski a dénombré 87 congrès d’agronomie et de statistique, 301 congrès de médecins et 158 congrès de vétérinaires organisés par les zemstva entre 1870 et 190510. Servant souvent d’arènes pour les discussions politiques11, ils n’en jouèrent pas moins un très grand rôle dans l’élaboration des normes, des valeurs et des repères identitaires de différentes professions et la formation de réels corps de professionnels. Tel fut le cas des statisticiens des zemstva.
Discussion et confrontation des méthodes
13De nombreux congrès suivirent leur première conférence nationale réunie, en 1887, à l’initiative de la Société juridique de Moscou. Tant sous l’impulsion de la Société des naturalistes et des médecins que de celle de la Société libre d’économie, ils offrirent un espace de confrontation de leurs méthodes aux statisticiens des différents bureaux des zemstva. On y rapportait et comparait les procédés et les résultats des enquêtes menées dans les différentes provinces dans l’objectif d’en généraliser les acquis. Le bilan des nouvelles méthodes d’observation et de traitement des données recommandées était fait lors des congrès suivants.
14L’organisation des recensements par ménage fut une de leurs premières préoccupations:
« Dans les exposés et les discussions de ces congrès on peut trouver l’écho de toutes les expériences effectuées dans les bureaux des zemstva pendant cette période, et, à leur tour, les travaux des congrès ne pouvaient pas ne pas exercer une influence sur l’organisation ultérieure de l’exploitation des données des recensements par ménage. Les “Travaux de la commission sur les questions posées par la statistique des zemstva” de la Société libre d’économie de 1900 ont eu une importance particulièrement grande pour l’étude des procédés de classification12. »
15Participant aussi bien à leurs propres congrès de spécialité qu’à ceux d’autres professions, notamment des médecins et des enseignants, les statisticiens bénéficièrent ainsi très tôt de nombreux espaces de discussion. Ces rassemblements réguliers contribuèrent à rompre leur isolement en province. Lieux de confrontation des pratiques, ils servaient de relais à l’action des sociétés de statistique.
16La manière de recenser la population d’un village fit partie, par exemple, des questions examinées. Compter la population se heurtait au problème posé par les individus enregistrés administrativement dans un village mais n’y vivant pas. Lors des premiers recensements par ménage, il était d’usage de ne prendre en compte que les paysans enregistrés administrativement dans un village, y compris ceux qui vivaient ailleurs, et de laisser de côté tous les autres. Au cours des années 1880, les statisticiens de certains zemstva commencèrent à procéder de manière différente, à ôter de la population enregistrée les individus absents au moment de l’enquête, et à ne recenser que la population vivant de manière sédentaire dans le village. Le congrès de 1887 examina les différentes méthodes et, après discussion, recommanda de recenser les individus non enregistrés dans une commune qui vivaient de manière « plus ou moins permanente dans le périmètre de l’installation sédentaire de la communauté paysanne13 ».
17Ce congrès préconisa également un usage plus grand de la construction de tableaux de classification par catégories d’une population14 et confirma les recommandations de sa commission statistique au sujet de l’introduction des enquêtes partielles. À cette fin, la notion de « caractère typique15 » fut précisée. Un village type était celui qui réunissait « les traits économiques les plus importants et les particularités de chaque aire différente16 ». Une résolution sur la méthode de sélection des villages types fut également édictée:
« Reconnaissant qu’une partie des données statistiques pouvait être collectée au moyen d’une enquête partielle, la conférence de 1887 a spécifié que ces informations partielles devaient être recueillies non pas en laissant faire le hasard, mais en suivant un procédé garantissant leur caractère typique, c’est-à-dire leur conformité avec le milieu local habituel; de manière générale, l’idée a été avancée d’une sélection des unités de l’enquête permettant de considérer les données obtenues comme moyennes pour leur aire17. »
De l’usage de la monographie…
18Les sections de statistique des divers congrès de la Société des naturalistes et des médecins jouèrent un grand rôle dans l’élaboration des méthodes d’enquête des statisticiens des zemstva. Leurs débats furent à l’origine de nombreuses innovations méthodologiques, en particulier dans le domaine de la diffusion des enquêtes par sondage18. De ce point de vue, le ixe congrès de cette société, en 1894, fut un événement majeur.
19La monographie y fut l’objet d’une très large discussion19. Dans une communication restée célèbre, A. I. Tchouprov s’efforça d’en préciser l’usage et la méthode20. Dans un congrès où les débats sur les qualités respectives des enquêtes exhaustives et des enquêtes partielles montraient un net attachement de la majorité de la centaine des statisticiens présents à la première forme d’investigation, il préconisa d’utiliser les enquêtes monographiques non plus en complément aux enquêtes exhaustives, mais en substitution à celles-ci. Dans le souci d’observer les changements dans l’agriculture de manière régulière, il insista notamment sur l’impossibilité de caractériser l’évolution des exploitations agricoles, qu’il jugeait rapide, à partir des données des recensements par ménage effectués dix ou onze ans auparavant. La seule issue était d’effectuer de nouvelles enquêtes. Toutefois, dans ce domaine, on se heurtait à la difficulté matérielle d’organiser à nouveau des enquêtes exhaustives lourdes à l’échelle de l’ensemble d’une province. La solution consistait alors à organiser des enquêtes à échelle plus réduite que l’on pourrait répéter à intervalles réguliers. Dans cette optique, A. I. Tchouprov présenta la réalisation de « monographies de villages types » comme une solution:
« Une étude monographique de quelques villages pourrait remplacer, même de manière réduite, une enquête exhaustive, si elle était conduite selon un plan conçu de manière rigoureuse et un dispositif stable21. »
20Pour le statisticien, à condition de choisir des villages présentant des caractéristiques correspondant à celles, définies à l’avance, de l’ensemble étudié, l’étude totale d’une partie du tout pouvait éclairer sur le tout:
« […] si nous connaissons une région tant soit peu, et, d’autant plus, si nous avons en main quelque enquête antérieure que ce soit, nous avons toujours la possibilité de choisir des villages conformes au type ordinaire22. En particulier, des enquêtes monographiques peuvent être réussies quand elles sont effectuées sur la base d’observations de masse déjà réalisées. À cette condition, le choix des cas à étudier peut être effectué avec la complète conviction que seront pris ceux qui sont le plus proches du type23. »
21L’idée de substituer des enquêtes partielles, réalisées sur des villages types, aux recensements exhaustifs d’une province ou d’un district rural était lancée.
…à l’enquête par sondage
22La diffusion de la pratique de l’enquête par sondage fut ensuite jalonnée de différents essais successifs de construction d’échantillons dans plusieurs zemstva, qui firent l’objet de débats et de recommandations au sein des divers rassemblements de statisticiens à partir de la fin des années 1890. À la suite de cela, sur la base de l’évaluation des méthodes pratiquées à l’occasion de différentes enquêtes, la conférence des statisticiens organisée, en février 1898, par la section de statistique de la Société juridique de Moscou ne choisit pas, mais, au contraire, recommanda la mise en œuvre d’une combinaison des méthodes en fonction des objectifs poursuivis. Parmi les résolutions prises, elle précisa notamment les conditions dans lesquelles des enquêtes par sondage pouvaient être envisagées en complément aux recensements exhaustifs, qui, eux, devaient être organisés au moins tous les cinq ans:
« 6) En complément aux recensements exhaustifs à programme réduit, dans l’intérêt du travail, et sur avis de la section de statistique, des études par sondage de villages typiques peuvent être pratiquées dans le cadre d’une enquête locale, en suivant un questionnaire précis.
7) Deux conditions absolues doivent être respectées pour choisir les villages qui seront soumis à une étude détaillée; il est nécessaire:
- que le caractère typique d’un village soit établi sur la base d’indicateurs objectifs, déterminés d’après les données d’une enquête exhaustive antérieure, et
- que le nombre d’unités de chaque type, destinées à une étude détaillée, soit proportionnel24 à l’effectif total de ces unités sur un territoire donné.
8) En complément à l’étude par sondage de villages typiques, des études d’exploitations types peuvent être pratiquées dans ces villages, avec un intérêt non moindre, en utilisant les questionnaires d’enquêtes de budget les plus détaillés, semblables à ceux qui ont été utilisés par les statisticiens de Voronej et de Kalouga.
9) Le choix des exploitations types dans chaque village doit être effectué en observant les mêmes conditions que celles dans lesquelles a été fait le choix des villages eux-mêmes, conformément à ce qui a été énoncé plus haut25 »
23Ainsi, à la fin des années 1890, était réaffirmé le principe de la complémentarité entre enquête par sondage et recensement et, en particulier, de l’usage du sondage entre deux recensements. Était énoncée, en outre, la possibilité de combiner des monographies de budget avec une enquête sur des villages reposant sur le choix d’unités types. Fait nouveau en 1898, esquisse d’une formulation de l’idée de représentativité, le respect d’une forme de proportionnalité de la composition de l’échantillon par rapport à celle de la population-mère était énoncé au point 7 de ces résolutions. La statistique administrative des zemstva allait s’engager dans des essais successifs de techniques d’échantillonnage combinant le choix d’unités types et les premières formes de tirage au hasard. Ces expérimentations méthodologiques furent l’objet de nombreuses discussions dans les congrès suivants.
Compromis méthodologique et innovations
24Placée au cœur de la tension entre les contraintes de la commande administrative et les aspirations proprement scientifiques des statisticiens, la statistique des zemstva a laissé un héritage de techniques et de méthodes qui, dans certains cas, ont été le produit d’un compromis entre ces deux formes d’exigence. En fait, loin d’être stérilisante, la contrainte fut à l’origine de réelles innovations méthodologiques. La conception des recensements par ménage en est une illustration. Synthèse entre deux projets de connaissance à objectif différent, ils ont fait passer la statistique russe de la pratique de monographies descriptives à celle d’enquêtes effectuées à plus large échelle et reposant sur une première forme de questionnaires standardisés. Délaissant la simple description pour une analyse approfondie du système de production agricole et des conditions de vie des paysans, ils obligèrent les statisticiens à forger des outils de collecte et de traitement des données adéquats.
Un effort de généralisation statistique
25L’effort effectué par les statisticiens pour passer de la description à l’analyse, en particulier à des fins de comparabilité avec d’autres enquêtes régionales, a marqué le passage du particulier au tout, du local au global. Petit à petit, la monographie, commandée avant tout par les usages locaux d’information et d’action de l’administration d’un zemstvo, s’est échappée de ce cadre local pour atteindre le statut de l’analyse théorique d’un système économique et social global à partir de l’utilisation systématique de la comparaison26. Rien d’étonnant, dans ce cas, à ce que l’homogénéisation des questionnements des différentes enquêtes soit devenue une préoccupation primordiale dans les premiers congrès de statisticiens et les réunions de leurs sociétés. Condition indispensable à la comparabilité des données collectées aux différents coins du territoire russe, cet effort d’unification des outils statistiques fut aussi une manière de concilier les contraintes d’objet d’étude imposées par la commande administrative locale et les préoccupations scientifiques des statisticiens.
26On peut citer en exemple la construction, dès les années 1880, de catégories de classification27 permettant d’établir une typologie des exploitations familiales agricoles commune à l’ensemble des bureaux statistiques des zemstva dans un double objectif, fournir un outil pour l’estimation fiscale, mais aussi donner la possibilité, grâce à l’usage d’une même grille d’observation, de dresser un tableau d’ensemble de l’agriculture et de la paysannerie russes28. Pour leur part, les premiers « tableaux combinés29 » furent élaborés pour mettre en évidence les critères de différenciation entre types d’exploitations agricoles. Le croisement des variables était effectué pour rechercher facteurs et explications des phénomènes étudiés. À ce sujet, S. A. Kharizomenov, qui fut un des premiers à élaborer de tels tableaux au milieu des années 1880, expliquait:
« Avec les tableaux combinés s’ouvre la possibilité d’appliquer la méthode inductive aux faits statistiques […]. Lorsque l’on compare différents groupes, qui sont semblables selon plusieurs critères et qui diffèrent d’après un seul facteur, il est facile de déterminer le rôle et l’importance de ce dernier, de mettre en évidence la relation de causalité entre les phénomènes, même si, peut-être, ce n’est pas avec la précision obtenue dans le cas d’une expérience artificielle des sciences naturelles30. »
27L’essentiel était, comme l’écrivit plus tard A. A. Kaufman, « d’isoler au moins chacune des causes principales sous l’influence desquelles un phénomène se constitue31 ». La mise en évidence de liens de dépendance entre variables déboucha, à la fin des années 1890, sur les notions de concomitance, de correspondance, de dépendance réciproque entre des faits ou des phénomènes, ouvrant la voie à l’adoption plus tard, au début du xxe siècle, du concept de corrélation32.
28Face aux contraintes posées par l’enquête de terrain d’origine administrative, les statisticiens recherchèrent une issue dans l’innovation des méthodes. Ceci les amena aux premières expériences de construction d’échantillons tirés au hasard dans les enquêtes par sondage.
Les tâtonnements du sondage aléatoire
29La première enquête par sondage aléatoire non combinée à un choix d’aires et de villages types fut réalisée, en 1896, par A. V. Pechekhonov dans le district rural de Kozel de la province de Kalouga33. Tout juste nommé directeur du bureau statistique nouvellement créé de ce zemstvo, le statisticien eut la charge d’organiser ses premiers recensements par ménage. En raison de la préparation parallèlement des opérations du recensement général russe de la population de 1897, cela fut impossible. A. V. Pechekhonov décida alors d’effectuer un simple dénombrement des exploitations et, ensuite, une enquête approfondie incluant des études de budget sur un échantillon de 8 % des exploitations. Toutefois, faute de disposer des données d’un recensement exhaustif préalable permettant de délimiter des aires et des villages types, il fut contraint d’adopter une autre méthode pour choisir les exploitations. Il décida de construire un échantillon par tirage mécanique34 d’un foyer sur dix, constitué à partir de la liste des exploitations de chaque village détenue par chaque staroste35. La sélection de celles-ci était effectuée par tirage des rangs 1, 11, 21, 31, etc., en suivant l’ordre dans lequel les noms se présentaient sur chaque liste. Aucun recours au choix de cas typiques ne fut fait ici.
30L’adoption de cette technique d’échantillonnage fut donc plus l’effet de la contrainte que d’une préférence. En fait, comme beaucoup d’autres statisticiens de son époque, A. V. Pechekhonov continuait à accorder une confiance plus grande à l’échantillon de petite taille d’unités types construit de manière raisonnée qu’à un échantillon plus grand sélectionné de manière aléatoire. La méthode d’échantillonnage qu’il avait pratiquée n’opérait pas de rupture avec celle des unités types puisqu’il la présentait comme pouvant « garantir le caractère typique » de exploitations sélectionnées. Le tirage mécanique fut pratiqué faute de mieux. Ce cas illustre fort bien combien le passage au sondage aléatoire en Russie, à cette époque, a été le fruit de tâtonnements successifs, de différentes expérimentations effectuées en réponse à l’obligation de résoudre les diverses difficultés posées, dans la pratique, pour construire les échantillons des enquêtes. Si cette première forme de sondage aléatoire fut, comme c’est souvent le cas pour une innovation méthodologique, le fruit d’une contrainte plus que d’une volonté réelle, elle n’en fut pas moins un réel pas en avant dans l’utilisation des enquêtes sur une partie du tout car elle coupa définitivement le lien entre celles-ci et le recensement exhaustif.
31Les contraintes financières imposées par l’administration des zemstva furent à l’origine d’autres expérimentations méthodologiques. Ainsi en fut-il, par exemple, de l’enquête menée dans la province de Viatka entre 1900 et 190236. Les statisticiens de ce zemstvo avaient décidé, dans le cadre des enquêtes d’estimation de la valeur des terres, d’organiser un recensement exhaustif des propriétés foncières et des exploitations paysannes. Le conseil du zemstvo refusa le projet proposé par le bureau de statistique et n’autorisa une enquête que sur un cinquième des villages. Selon son propre aveu, A. A. Gouriev, alors directeur de ce bureau, n’accepta d’abandonner l’idée d’un recensement que contraint et forcé37. Faute de mieux, il se résolut à organiser une enquête par sondage. Les statisticiens s’efforcèrent alors de construire un échantillon qui leur semblait pouvoir fournir une représentation fidèle du tout.
32Dans un premier temps, le territoire de la province fut divisé en 954 aires constituées de manière homogène en fonction des caractères naturels, historiques et économiques jugés les plus importants d’après le recensement exhaustif effectué dans les années 1880. Dans chaque aire, les villages furent répartis en différents groupes constitués selon le critère de la taille moyenne des exploitations agricoles. Ensuite, un cinquième des villages fut sélectionné dans ces différents groupes selon le principe du choix de villages typiques. Outre cela, une étude de budget fut menée sur des exploitations paysannes choisies pour leur caractère typique par rapport à un village donné, dans une proportion variant de 4 à 10 % selon les districts ruraux. Vingt ans plus tard, A. A. Gouriev justifiait le principe de construction de l’échantillon de cette enquête de la manière suivante:
« L’enquête partielle construite ainsi avait, premièrement, le caractère d’une enquête de masse car elle embrassait pas moins de 20 % des objets à étudier; deuxièmement, la régularité de la répartition des villages observés sur le territoire était garantie par le fait qu’ils étaient choisis dans des aires constituées de manière homogène d’après leurs caractères naturels, historiques et économiques; et, troisièmement, le choix des villages pour l’étude des budgets a été effectué de manière à ce que chaque village retenu fût le représentant38 d’un groupe particulier de villages constitué en fonction de caractères économiques communs39. »
33Cette enquête donna lieu à une réelle innovation. Les statisticiens du bureau de Viatka essayèrent de contrôler a posteriori la conformité de la structure de leur échantillon avec celle de la population du recensement exhaustif de 1880. En effet, bien que l’échantillon fût construit selon la méthode du choix d’unités types, ils jugèrent qu’il comprenait un nombre suffisamment grand d’unités observées pour permettre d’effectuer, à la fin du travail, une estimation de sa représentativité, ou plutôt, devrait-on dire, de sa capacité à « donner une représentation de l’ensemble étudié », car le terme statistique de représentativité (reprezentativnost) n’était pas encore utilisé. En fait, ce qu’ils s’efforçaient précisément d’évaluer était le caractère typique des villages et des exploitations de l’échantillon car, pour eux, l’idée de la capacité d’un échantillon à fournir une représentation fidèle d’un ensemble donné restait liée à son caractère typique. C’est cela qu’ils cherchèrent à vérifier avant tout. Ils le firent en comparant les valeurs moyennes et relatives obtenues au moyen de l’enquête par sondage avec les données du premier recensement exhaustif des années 1880.
34Ainsi, à la manière d’Anders N. Kiær, qui définissait une enquête représentative comme « une exploration partielle où l’observation se fait sur un grand nombre de localités éparses, distribuées sur toute l’étendue du territoire de telle manière que l’ensemble des localités observées forme une miniature du territoire total40 », les statisticiens de Viatka avaient effectué une sélection de villages répartis de manière régulière sur l’ensemble du territoire de la province. À leur yeux, cette caractéristique, associée à l’effectif élevé de l’échantillon, permettait de considérer que cette enquête pouvait « représenter » le tout. Un pas décisif vers la notion de représentativité venait d’être effectué en Russie.
Des enquêtes à plusieurs degrés
35Le protocole d’enquête présenté par Vladimir G. Groman, en 1910, au xiie congrès des naturalistes et des médecins illustre tout particulièrement la richesse de la réflexion menée par les statisticiens russes sur le perfectionnement des méthodes d’échantillonnage. Dans l’objectif d’étudier les transformations des exploitations agricoles et des conditions de vie dans les campagnes, V. G. Groman avait conçu un protocole à plusieurs degrés qui intégrait le sondage dans une combinaison des différentes méthodes d’enquête en usage à cette époque en Russie41. Dans son exposé, il s’efforça de justifier théoriquement son choix d’utiliser de manière combinée les méthodes du sondage, de la monographie et du dénombrement exhaustif dans une même procédure d’enquête:
« L’enquête par sondage et la monographie, prises chacune en soi, ne peuvent pas être appelées statistiques car elles ne permettent pas de calculer avec une certitude totale garantie le nombre de phénomènes caractérisés par tel trait ou tel autre. […] La combinaison des méthodes de l’enquête par sondage, de la description monographique et du dénombrement exhaustif, à condition de délimiter avec précision la sphère des phénomènes à étudier à l’aide de chacune de ces méthodes, offre l’entière possibilité de saisir la régularité de la vie sociale, aussi bien que de compter tous les phénomènes qui diffèrent les uns des autres par des caractères qui intéressent le chercheur42. »
36Ce choix était donc justifié par la préoccupation de saisir le tout. Pour V. G. Groman, la connaissance du tout était indissociable de celle des différences qui le découpaient, des relations de dépendance entre les phénomènes économiques et sociaux et des facteurs de variation de ceux-ci. Le choix de la méthode utilisée à chaque degré de l’enquête devait donc dépendre du type de facteurs étudié. À cette fin, trois niveaux de facteurs pouvaient être distingués dans l’analyse des phénomènes sociaux: les « facteurs principaux ou indicateurs-causes », les « indicateurs-causes de deuxième ordre » et les « indicateurs-conséquences »:
« La comparaison entre les facteurs du premier et du deuxième degré donne la possibilité de saisir la dépendance réciproque des facteurs de premier et de deuxième ordre; la comparaison entre les phénomènes du premier et du deuxième degré, d’un côté, et les phénomènes du troisième degré, d’un autre côté, donne la possibilité d’établir la dépendance réciproque des phénomènes-facteurs et des phénomènes-conséquences43. »
37L’organisation d’un protocole d’enquête à trois degrés avait pour objectif de mettre en évidence l’action de ces trois niveaux de facteurs. L’analyse des « facteurs principaux », facteurs de premier ordre, devait être le domaine de l’enquête exhaustive. Celle des facteurs de deuxième ordre ressortait plus spécifiquement de l’enquête par sondage. Enfin, l’étude des conséquences relevait de la monographie. Cet effort de définition de l’usage des différentes méthodes s’accompagnait d’indications sur le taux de sondage et sur la technique d’échantillonnage à utiliser dans l’enquête par sondage. Dans l’esprit de V. G. Groman, c’est la complexité même de l’analyse des phénomènes sociaux qui légitimait théoriquement cette procédure d’enquête à plusieurs degrés. Une application en a été donnée dans l’enquête que le statisticien a organisée, de 1911 à 1913, dans la province de Penza.
Généralisation des acquis d’une profession
38À la lumière de tout cela, les zemstva apparaissent avoir joué le rôle de vastes terrains d’expérimentation d’une statistique en construction dans ses deux dimensions, théorique et pratique, les congrès de statisticiens remplissant la fonction de rendez-vous réguliers pour en faire le bilan, entériner, accumuler, généraliser et diffuser les acquis, pour abandonner les essais erronés et promouvoir de nouvelles méthodes ou problématiques à explorer. Espaces privilégiés de l’élaboration d’un savoir théorique et pratique par les représentants d’un corps de professionnels en formation, les congrès contribuèrent en retour à forger les représentations, les valeurs et les repères communs à l’ensemble du groupe. Ils furent des lieux de définition des principes communs du travail statistique, ainsi que des instances de discussion sur l’organisation de son cadre institutionnel. Ils affirmèrent chaque fois la nécessité d’unifier la conception des enquêtes des différents bureaux à des fins de comparabilité44.
39Cet effort d’unification des objets et des méthodes d’enquête a été renforcé par l’élargissement de ces congrès à d’autres statisticiens des administrations d’État ou des universités. Espaces de dialogue entre praticiens des zemstva et théoriciens universitaires, ces rassemblements permirent aux premiers de profiter des questionnements et des exposés des seconds pour perfectionner leurs méthodes d’enquêtes. Cela a été particulièrement vrai dans le cas du développement de la méthode des enquêtes par sondage. L’apport des interventions dans ces congrès d’Aleksandr A. Tchouprov45, professeur de statistique à l’Institut polytechnique de Saint-Pétersbourg dans les années 1900 et 1910, a maintes fois été souligné par des statisticiens des zemstva. Sa communication au xiie congrès des naturalistes et des médecins de 1910, par exemple, a fait faire une avancée rapide à l’échantillonnage aléatoire en Russie46. Le statisticien soutint, tout d’abord, l’idée qu’un sondage aléatoire construit sur des « critères » mathématiques était supérieur à l’usage d’un échantillon d’unités types constitué de manière empirique. Il préconisa ensuite l’utilisation de la méthode de Bowley pour estimer a posteriori la validité d’un échantillon aléatoire. Enfin, il présenta l’idée d’un échantillonnage par strates, idée qui était à cette époque, comme le remarquent Jean-Jacques Droesbeke et Philippe Tassi, « en contradiction avec l’idée de représentativité courante où l’échantillon était un “modèle réduit” de la population entière47 ». Il ouvrit ainsi la voie aux travaux novateurs d’Aleksandr G. Kovalevski, au début des années 1920, sur l’allocation optimale par strate48.
40La vitalité de la réflexion méthodologique sur l’usage et les techniques des enquêtes par sondage en Russie avant 1917 illustre le rôle joué par les congrès dans la construction du savoir statistique dans ce pays avant la Révolution d’Octobre. La participation conjointe de professeurs de statistique des universités et de praticiens de la statistique des zemstva a favorisé l’articulation d’une réflexion théorique avec les questions posées par la pratique même de ces enquêtes qui a abouti à de réelles innovations méthodologiques. Outre cela, le dialogue avec les professeurs d’université a poussé les statisticiens des zemstva vers une plus grande formalisation mathématique de leurs travaux. Celle-ci marqua l’évolution de l’ensemble de la statistique russe après 1900.
L’espace institutionnel de la statistique des zemstva
41Dès la fin des années 1880, un espace institutionnel de la statistique des zemstva commença à se dessiner, à l’échelle nationale, sous la forme d’un réseau tissé autour de quelques pôles. Le bureau du zemstvo de Moscou et les sociétés de statistique jouèrent un rôle d’animation scientifique. À la faveur de rendez-vous réguliers, les congrès de statisticiens le consolidèrent. Enfin, les liens avec les enseignants d’économie et de statistique de l’université de Moscou contribuèrent à la mise en forme théorique d’une réflexion méthodologique menée au contact du terrain.
Professeurs d’université et bureaux de statistique
42Des liens serrés ont toujours caractérisé les relations entre les enseignants de l’université de Moscou et les statisticiens du bureau du zemstvo. Noués autour de trois personnages centraux, A. I. Tchouprov, V. I. Orlov et N. A. Kabloukov, ils se sont étendus également, à partir de 1886, au bureau de statistique de la ville de Moscou, dirigé par V. N. Grigoriev, et ont joué un rôle actif dans la structuration de la communauté professionnelle des statisticiens des zemstva à l’échelle du pays49.
43Ces liens se sont caractérisés de différentes manières. Tout d’abord, il n’est pas négligeable de noter que les deux premiers directeurs du bureau du zemstvo de Moscou, V. I. Orlov, puis N. A. Kabloukov, étaient d’anciens étudiants de la faculté de droit de l’université de Moscou, formés par A.I. Tchouprov, et qu’ils y enseignèrent également, à leur tour. Tous deux menèrent donc une carrière parallèle dans la statistique administrative et dans la statistique académique, chaque activité nourrissant l’autre. V.I. Orlov enseignait à l’université en même temps qu’il dirigeait le bureau du zemstvo. À son décès, en 1885, il fut remplacé par N. A. Kabloukov à la tête du bureau, qui y resta jusqu’en 1907. Dès 1894, celui-ci commença également à enseigner à l’université de Moscou, d’abord l’économie agricole, puis la statistique à partir de 1899. En 1903, il fut nommé professeur à la tête de la chaire de statistique nouvellement créée dans cet établissement50. En même temps qu’elle institutionnalisait l’enseignement de la statistique comme discipline à part entière dans le champ universitaire, la nomination du directeur du bureau du zemstvo à ce poste offrait un ancrage académique à la statistique des zemstva.
44En fait, sous la double influence d’A. I. Tchouprov et de V. I. Orlov, les statisticiens du bureau du zemstvo de Moscou avaient travaillé, dès les années 1870, en collaboration avec des enseignants de l’université de leur ville. Un même projet les unissait: développer l’usage de la statistique dans la vie économique et sociale, mettre la production statistique au service de la vie publique et du progrès économique et social. Les anciens étudiants de l’université de Moscou qui devinrent statisticiens dans des bureaux de province contribuèrent à diffuser ce projet.
45Cette proximité entre les statisticiens de l’université de Moscou et le monde de la statistique des zemstva ne se retrouvait pas à Saint-Pétersbourg. La conception de l’enseignement et des usages de la statistique était différente dans l’université de la capitale. En particulier, la formation aux mathématiques et à leur application à la théorie statistique y occupait une place centrale51. L’enseignement de la statistique portait la marque de l’influence de la tradition académique et de l’école mathématique de cette université, à laquelle reste associé le nom de Pafnouti L. Tchebychev52, qui y enseignait dans la seconde moitié du xixe siècle. Avec ses élèves, dont Andreï A. Markov et Aleksandr M. Liapounov53, celui-ci fonda l’école russe de la théorie des probabilités. Outre cela, la présence sur place du Comité central de la statistique et des ministères avait pour effet d’orienter les étudiants désireux de travailler dans la statistique administrative plutôt vers les services de l’administration d’État que vers ceux des zemstva.
46Aux yeux de nombre de statisticiens des zemstva, Iouli E. Ianson symbolisait cette statistique théorique et mathématique54. Attaché au statut de la statistique comme une science à part entière et à ses fondements mathématiques, il enseigna, de 1873 à 1893, à l’université de Saint-Pétersbourg, où il occupa la première chaire de professeur de statistique. Les préoccupations de la statistique administrative ne lui étaient pas étrangères pour autant puisqu’il accepta, en 1881, d’organiser le premier bureau de statistique de la ville de Saint-Pétersbourg55. Toutefois, l’esprit des travaux qu’il y développa se distinguait de ceux conduits, à partir de 1886, par V. N. Grigoriev, ancien statisticien des zemstva, dans le bureau de la ville de Moscou.
47La manière dont l’ancien adjoint de celui-ci, V. G. Mikhaïlovski, a résumé cette différence caractérise bien l’opposition plus générale entre la statistique administrative et la statistique universitaire de Saint-Pétersbourg et celles de Moscou à la fin du xixe et au début du xxe siècle:
« V. N. Grigoriev fut le fondateur de toute l’école de la statistique urbaine à laquelle l’on peut de plein droit attribuer la dénomination d’école de Moscou. À l’opposé de l’école de Saint-Pétersbourg du Professeur Iou. E. Ianson, qui s’est éloignée volontairement des questions relatives à la vie municipale et a fait en sorte de se calfeutrer dans les cadres étroits de la science académique, l’école de Moscou se caractérise précisément par son ambition de conjuguer les intérêts scientifiques et une soif de connaissance abstraite avec les nécessités brûlantes de la vie publique et politique, avec le fait d’être au service des besoins de la masse de la population. En abandonnant, peut-être, l’école de Pétersbourg dans les profondeurs de la recherche et, en particulier, de l’élaboration des conclusions scientifiques, l’école de Moscou excelle par l’étendue de sa conquête et l’unité de construction de ses travaux. Le Professeur Ianson me rappelle, par la rigueur des lignes et la pureté de l’ornement, une colonne dorique d’un Parfenov, tandis que V. N. Grigoriev ressemble plutôt à un ordre de Corinthe, avec son chapiteau somptueux imitant la nature56. »
48Toutefois, l’appréciation que Ianson portait, dans son manuel de 188757, sur les travaux des statisticiens des zemstva invite à nuancer une telle opposition:
« Le caractère incontestable des informations collectées par la statistique des zemstva auprès des chefs de ménage, à l’aide des procédés de questionnement qu’elle a élaborés elle-même, ne prête pas au moindre doute. […] Les matériaux collectés par la statistique du type de Moscou présentent une importance pratique extraordinaire58. »
49A. A. Kaufman, lui-même, offre un bon exemple de statisticien formé à Saint-Pétersbourg qui apportait une très grande attention aux questions concrètes posées par les méthodes d’enquête. Ses années passées dans la statistique administrative au service du ministère de l’Agriculture, de 1887 à 1905, l’avaient sensibilisé à ces questions. Il s’y intéressait encore beaucoup quand il devint, à partir de 1907, professeur de statistique dans l’établissement des Cours supérieurs de jeunes filles de Saint-Pétersbourg59. En fait, le principal clivage était plutôt celui-là: les statisticiens qui avaient été amenés à effectuer des enquêtes pour un service administratif quelconque étaient plus sensibilisés aux questions posées par la pratique de la collecte des données. Toutefois, ceux de Saint-Pétersbourg restèrent toujours un peu à distance du monde de la statistique des zemstva.
Une constellation d’établissements d’enseignement supérieur
50L’université de Moscou occupa une place centrale dans l’espace institutionnel de la statistique des zemstva. Son rôle ne se limita pas à la formation de futurs statisticiens. Sa faculté de droit abrita le siège de la Société juridique de Moscou et de sa section de statistique, à partir de 1882, mais aussi celui de la société Tchouprov, qui lui succéda en 1912. Toutefois, elle n’était pas le seul établissement d’enseignement supérieur de Moscou dont les enseignants de statistique étaient proches du bureau du zemstvo et, de manière plus générale, de l’ensemble du monde des zemstva.
51L’Académie d’agriculture Petrovski avait des relations anciennes avec le bureau du zemstvo de Moscou et avait fourni, on l’a vu, une forte proportion des premiers directeurs de bureaux de province. Jusqu’en 1900, l’histoire de la statistique agricole des zemstva est restée fortement liée à celle de cet établissement, fondé en 1865 par la Société d’agriculture de Moscou. Certains de ses professeurs, tels A. F. Fortounatov et K. A. Verner, ont soit participé à des enquêtes organisées par le bureau du zemstvo de Moscou, soit occupé un poste de statisticien en son sein. En souvenir de cette période, A. F. Fortounatov rappelait aux participants du congrès de statistique de novembre 1922:
« Votre humble serviteur n’est pas statisticien par profession: il ne peut prétendre qu’au titre d’amateur de la statistique, mais est heureux d’avoir été au cours de sa longue vie en contact permanent avec le cercle vaste des statisticiens russes des zemstva. Pour moi, la compagnie des statisticiens des zemstva est en seconde position, par préférence, après celle de mes étudiants dont je me considère membre jusqu’à ce jour60. »
52Après 1900, d’autres établissements d’enseignement supérieur de Moscou comptèrent d’anciens statisticiens des zemstva dans leur corps professoral et formèrent des jeunes. Ceci fut particulièrement le cas de l’Institut de commerce. Établissement privé ouvert en 1906, il était composé de deux facultés, celle d’économie et celle des études de commerce. La formation y durait cinq ans. L’enseignement de la statistique se caractérisait par une large place accordée à l’apprentissage des enquêtes parallèlement à l’acquisition d’un savoir théorique. Dans le cadre de ses deux dernières années de formation, le département d’économie prévoyait des stages pratiques soit dans des bureaux statistiques des zemstva, soit dans celui de la ville de Moscou, auprès de V. N. Grigoriev. Dès lors, il n’est guère étonnant de voir un nombre de plus en plus grand d’étudiants de cet institut embauchés par les bureaux des zemstva dans les années 1910. Son corps professoral comptait notamment A. F. Fortounatov, Nikolaï Ia. Kazimirov, statisticien du bureau du zemstvo de Moscou, et Viktor I. Anissimov, ancien statisticien des zemstva de Kharkov et de Vladimir et agronome de ceux de Koursk et de Voronej.
53Les instituts d’enseignement supérieur réservés aux jeunes filles eurent également des enseignants de statistique proches des bureaux des zemstva, par exemple V. I Anissimov à Moscou, et A. A. Kaufman à Saint-Pétersbourg. Des statisticiens liés au bureau de Moscou enseignaient également à l’Institut technique supérieur et aux Cours d’agriculture pour jeunes filles Golitsyne, ouverts à Moscou en 1908.
54À ces différents établissements s’ajouta, à partir de 1908, l’université populaire Chaniavski. Placée sous la tutelle administrative de la municipalité de Moscou, elle devait être ouverte à un public mixte, masculin et féminin. Une des particularités de son enseignement résidait dans une grande ouverture aux problèmes contemporains, notamment aux questions relatives à la coopération et à l’auto-administration locale. Rien d’étonnant, dans ces conditions, à ce que l’on retrouvât dans son corps professoral beaucoup d’enseignants liés au monde des zemstva, notamment des statisticiens. N. A. Kabloukov, V. I. Anissimov et A. F. Fortounatov furent de ceux-là.
55Certains statisticiens enseignaient dans plusieurs établissements, contribuant ainsi à tisser un peu plus fortement tout un réseau de formation et de diffusion du savoir accumulé par la statistique des zemstva. Par exemple, pendant les années 1902-1910, A. F. Fortounatov professait dans cinq établissements de Moscou, l’Académie Petrovski, l’Institut technique supérieur, l’Institut de commerce, les cours Golitsyne et l’université Chaniavski. V. I. Anissimov était présent dans trois établissements, N. A. Kabloukov enseignait à l’université de Moscou et à l’université Chaniavski.
56L’attachement à un enseignement théorique articulé à une réflexion sur la pratique des enquêtes caractérisait l’ensemble de ces enseignements, à l’exemple des cours dispensés par A. F. Fortounatov:
« En conclusion, pour revenir à l’idée du lien entre les enquêtes des étudiants et l’activité des statisticiens des zemstva, nous noterons combien il est agréable au vieux professeur de se souvenir qu’une fois, en sa présence, les yeux de Vikhliaev, Anissimov, Arnold et autres agronomes en formation brillaient de la pensée statistique tandis qu’ils piochaient dans le champ de la statistique locale russe61. »
57Les liens entre les statisticiens des bureaux des zemstva et ceux de l’enseignement supérieur se concrétisaient également dans la conduite en commun de travaux d’expertise pour certains zemstva. Au début de l’année 1903, N. A. Kabloukov et A. F. Fortounatov furent sollicités par le conseil du zemstvo de Kostroma, en qualité de professeurs, en compagnie de N. F. Annenski, alors directeur du bureau de statistique de la ville de Saint-Pétersbourg, et d’A. A. Roussov, directeur du bureau du zemstvo de Tchernigov62. En fait, N. A. Kabloukov fut très souvent sollicité, seul ou avec d’autres63. Par exemple, il conduisit des expertises dans la province de Tauride, avec K. A. Verner, dans celle de Tchernigov, avec N. F. Annenski, A. V. Pechekhonov, N. M. Kisliakov, F. A. Chtcherbina, dans celle d’Olonets, avec F. A. Chtcherbina. Ces différents exemples suffisent pour montrer combien l’activité statistique des zemstva a été influencée non seulement par le rôle majeur joué par le bureau de Moscou, mais aussi par la personne même de son directeur qui, en étant professeur, assurait le lien avec l’université.
58Dans les villes de province qui possédaient une université, le bureau de statistique du zemstvo entretenait également des liens serrés avec les professeurs de statistique, d’économie et d’agronomie de l’enseignement supérieur. Ce fut, en particulier, le cas à Kazan, Kharkov et Saratov, après l’ouverture de son université en 1909. Ici aussi, des enseignants dirigèrent des enquêtes pour le zemstvo. Citons notamment Nikolaï P. Oganovski, qui enseigna l’agronomie à l’université dès 1909, et Aleksandr A. Rybnikov, ancien élève de N. A. Kabloukov, qui, à partir de 1914, enseigna l’économie à l’institut d’agriculture et à l’université64.
59Alimentées par les discussions des congrès et par les programmes de travail des sociétés de statistique, les enquêtes des zemstva ont participé au processus d’ensemble de construction des savoirs sur le social en Russie à cette époque. À la veille de 1900, l’espace institutionnel de la statistique des zemstva ne se limitait pas aux réseaux tissés autour de la statistique administrative et du monde de l’enseignement supérieur. Il avait également des intersections avec des réseaux réformateurs.
Annexe : Exemple de présentation d’un « tableau combiné »
Notes de bas de page
1 Cf. M. Mespoulet, « Statisticiens des zemstva… », art. cit.
2 Cf. Robert E. Johnson, « Liberal professionals and professional liberals : the zemstvo statisticians and their work », in T. Emmons and W. S. Vucinih, op. cit., p. 343-363.
3 In Aleksandr A. Gur’ev, «Proishoz&denie vyboroc&nogo issledovanija i pervye ego opyty v Rossii » (Origine de l’enquête par sondage et ses premiers essais en Russie), Vestnik statistiki, 1-4, 1921, p. 1-48.
4 Ibid., p. 15-16.
5 La Société impériale libre d’économie (IVEO) avait été créée en 1765. Cf. M. V. Ptuha, Oc&erki po istorii statistiki v SSSR (Essais sur l’histoire de la statistique en URSS), Tome 1, Moscou, Izd. Akademii nauk, 1955, p. 390-394. Voir aussi Michael Confino, « Les enquêtes économiques de la “Société libre d’économie de Saint-Pétersbourg” (1765-1820) », in M. Confino, Société et mentalités collectives en Russie sous l’Ancien Régime, Paris, Institut d’études slaves, 1991, p. 233-258. la fin du xixe siècle, cette société était d’orientation libérale.
6 V. F. Karavaev, Izdanija zemstv 34-h gubernij po obs&c&ej ekonomic&eskoj i ocenoc&noj statistike, vys&eds&ej za vremja s 1864 po 1-e janvarja 1911 g. (Publications des zemstva de 34 goubernii dans le domaine de la statistique économique et d’estimation, parues pendant la période allant de 1864 au 1er janvier 1911), Saint-Pétersbourg, 1911.
7 V. F. Karavaev, Bibliografic&eskij obzor…, op. cit.
8 Cf. R. E. Johnson, art. cit., p. 358-359.
9 À ce sujet, voir H. D. Balzer, op. cit. ; pour la période 1900-1917, voir V. Lejkina-Svirskaja, op. cit., chap. 2 et 3.
10 B. B. Veselovskij, Istorija zemstva za sorok let (40 ans d’histoire des zemstva), 4 tomes, Saint-Pétersbourg, 1909-1911, t. 2, p. 472.
11 Voir Natalija M. Pirumova, Zemskoe liberal’noe dviz& enie (Le mouvement libéral des zemstva), Moscou, Nauka, 1977.
12 N. A. Svavickij, « Kombinacionnye tablicy, kak priem izuc&enija tipov i faktorov krest’janskogo hozjajstva v zemskih podvornyh perepisjah » (Les tableaux combinés, comme instrument d’étude des types et des facteurs de l’exploitation paysanne dans les recensements par ménage des zemstva), Vestnik statistiki, 10-12, 1924, p. 99-164, p. 106.
13 Ibid., p. 72-73.
14 Il s’agit des kombinatsionnye tablitsy.
15 Tipitchnost
16 A. A. Gur’ev, art. cit., p. 16.
17 Ibid.
18 M. Mespoulet, « De la partie au tout… », art. cit.
19 Sur l’usage des premières enquêtes partielles et de la monographie dans les pays d’Europe de l’Ouest au xixe siècle, voir A. Desrosières, op. cit., chap. 7.
20 A. I.c&Uprov, « O monografic&eskom opisanii otdel’nyh selenij, kak sposobe dopolnenija i podnovlenija osnovnyh zemsko-statistic&eskih issledovanij » (Au sujet de la description monographique de quelques villages comme moyen de compléter et de mettre à jour les enquêtes statistiques fondamentales des zemstva », in Trudy podsekcii statistiki IX s’’ezda russkih estestvoispytatelej i vrac&ej v Moskve 1894g. (Travaux de la sous-section de statistique du IXe congrès des naturalistes et médecins russes réuni à Moscou en 1894),C&ernigov, 1894.
21 A. A. Gur’ev, art. cit., p. 18.
22 obytchnyi tip
23 Ibid.
24 proportsionalno
25 N. A. Svavickij, op. cit., p. 57-58.
26 Pour un autre exemple d’effort de généralisation statistique effectué par des statisticiens d’institutions locales, à la même époque, voir B. Zimmermann, art. cit.
27 grouppirovki
28 À ce sujet, voir notamment A. A. Kaufman, Teorija i metody statistiki (Théorie et méthodes de la tatistique), Moscou, izd. Sytina, 1912, p. 514-522; N. A. Svavickij, « Kombinacionnye tablicy…», art. cit. Pour une réflexion sur la période 1900-1914, voir Anna I. Hrjas& c& Eva, « K voprosu o principah gruppirovki massovyh statistic&eskih materialov v celjah izuc&enija klassov v krest’janstve » (Contribution à la question des principes de classification des données statistiques de masse pour étudier les classes dans la paysannerie), Vestnik statistiki, 1-3, 1925, p. 47-80.
29 kombinatsionnye tablitsy. À ce sujet, voir notamment A. A. Kaufman, op. cit., p. 485-507.
30 S. A. Harizomenov, Svod…, op. cit., p. 39.
31 A. A. Kaufman, op. cit., p. 500.
32 Sur l’histoire de la corrélation, voir Michel Armatte, Histoire du modèle linéaire. Formes et usages en statistique et économétrie, thèse de doctorat, Paris, EHESS, 1995.
33 Au sujet de cette enquête, voir A. V. Pes& Ehonov, Statistic&eskoe opisanie Kaluz&skoj gubernii (Description statistique de la province de Kalouga), Kaluga, 1898.
34 Pour restituer le plus fidèlement possible les représentations des statisticiens russes à cette époque, j’ai choisi de traduire de manière littérale l’expression mekhanitcheskii otbor, ce qui donne « tirage mécanique ». Pour plus de précisions à ce sujet, je renvoie à mon article : M. Mespoulet, « Du tout à la partie… », art. cit.
35 Le staroste était le responsable élu pour trois ans par l’assemblée du village, une sorte de « maire » n quelque sorte.
36 A. A. Gur’ev, art. cit., p. 37-42.
37 Ibid., p. 38.
38 predstavitelem
39 A. A. Gur’ev, art. cit., p. 39.
40 Cité dans A. Desrosières, op. cit., p. 279. Au sujet de l’histoire des premières enquêtes d’Anders N. kiær, on pourra se reporter à Einar Lie, « The Rise and Fall of the Sampling Surveys in Norway, 1875-1906 », Max-Planck-Institut für Wissenschaftsgeschichte Preprint series, 166, 2001, p. 8-32.
41 Trudy podsekcii statistiki XX s’’ezda russkih estestvoispytatelej i vrac&ej v Moskve 29 dekabrja 1909g.
– 5 janvarja 1910g. (Travaux de la sous-section de statistique du xiie congrès des naturalistes et des médecins réuni à Moscou du 29 décembre 1909 au 5 janvier 1910), C& ernigov, 1912.
42 Ibid., p. 208-209.
43 Ibid., p. 210-211.
44 B. Zimmermann décrit un processus similaire, avec, bien sûr, des variantes, à propos des statisticiens des villes allemands à partir des années 1880. Voir B. Zimmermann, art. cit., p. 16-18.
45 Aleksandr A. Tchouprov (1874-1926) : fils d’A. I. Tchouprov, Aleksandr Aleksandrovitch fut professeur de statistique dans le département d’économie de l’Institut polytechnique de Saint-Pétersbourg jusqu’en 1917. Parti à l’étranger au cours de l’année 1917, il ne retourna pas en Russie après Octobre. Il mourut à Prague en 1926.
46 A. A.c& Uprov, « Vyboroc&noe issledovanie » (L’enquête par sondage), in CSU SSSR, Voprosy statistiki (Questions de statistique), Moscou, Gosstatizdat, 1960, p. 258-270.
47 J.-J. Droesbeke, P. Tassi, op. cit., Paris, Presses Universitaires de France, 1990, chap. IV.
48 Voir M. Mespoulet, « Du tout à la partie… », art. cit.
49 Sur les rapports entre l’université de Moscou et les statisticiens des zemstva, voir Z. M. Svavickaja, « Moskovskij universitet i zemskaja statistika » (L’université de Moscou et la statistique des zemstva), in Oc&erki po istorii statistiki SSSR (Essais d’histoire de la statistique de l’URSS), Moscou, Gosstatizdat, 1957, p. 61-77.
50 Ivan P. Poplavskij, « N. A. Kablukov. Nekrolog » (N. A. Kabloukov, Nécrologie), Vestnik statistiki, 8-12, 1919, p. III-VIII. Jusque-là la statistique était enseignée par des professeurs d’économie politique dans le cadre de la faculté de droit. Voir A. F. Fortunatov, « Iz vospominanij…», art. cit.
51 M. V. Ptuha, op. cit.
52 P. L. Tchebychev (1821-1894). La francisation de son nom dans les ouvrages de mathématiques s’est faite sous la forme de Tchebytcheff.
53 Au sujet d’Andreï A. Markov (1856-1922) et d’Aleksandr M. Liapounov (1857-1918), voir I. I. Eliseeva, B. G. Plos& Ko, op. cit., p. 114-115.
54 Iou. E. Ianson (1835-1893) était philologue de formation. Il fut membre de l’Institut international de statistique à partir de 1885. À la fin de sa vie, en 1892, il devint membre correspondant de l’Académie des sciences de Russie.
55 I. I. Eliseeva, « Formirovanie i razvitie Peterburgskoj statistiki » (La formation et le développement de la statistique pétersbourgeoise), Voprosy statistiki, 6, 1996, p. 53-57.
56 In V. G. Mihajlovskij, art. cit., p. XII.
57 Ju. E. Janson, Teorija statistiki (Théorie de la statistique), Saint-Pétersbourg, 1887.
58 Ibid., p. 165., cité par A. A. Kaufman, in Statistic&eskaja nauka…, op. cit., p. 59.
59 À cette époque, l’université de Saint-Pétersbourg n’était pas ouverte aux jeunes filles. Les Cours supérieurs étaient l’université pour jeunes filles.
60 A. F. Fortunatov, « K nekrologii russkih statistikov za 1919-1922 gody » (Nécrologie des statisticiens russes pour les années 1919-1922), Vestnik statistiki, 9-12, 1922, p. 5-12.
61 Ibid., p. 12.
62 V. F. Karavaev, Bibliografic&eskij obzor…, op. cit., p. 206.
63 Voir N. A. Kablukov, « Avtobiografija », art. cit., p. 10-11.
64 Voir M. Mespoulet, Personnel et production…, op. cit., p. 95-96.
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L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008