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Préface

p. 7-8


Texte intégral

1Le livre publié aujourd’hui par Hervé Piant constitue un apport très important pour l’histoire de la justice et de la criminalité dans la France d’Ancien Régime, notamment en ce qui concerne la dialectique complexe des rapports entre la justice et la société. Il renouvelle en effet, pour une bonne part, l’approche habituelle de ces problèmes.

2Hervé Piant a dépouillé une masse considérable d’archives, en l’occurrence celles de la prévôté de Vaucouleurs, petite enclave française en Lorraine, sur une longue période correspondant aux règnes des trois derniers Bourbons : 9 764 affaires ont été répertoriées, dont 1 700 ont été analysées de près. Ce corpus n’est pas seulement considérable, il est aussi complet, dans la mesure où Hervé Piant ne s’est pas contenté des seules affaires pénales, comme on le fait d’habitude : il a également pris en compte les affaires traitées au civil, qui constituent le plus gros du contentieux, mais qui sont presque toujours laissées pour compte par les autres chercheurs, moins courageux que lui. C’est cette approche globale de l’activité judiciaire qui constitue, à mon sens, l’originalité et l’apport essentiel de cette recherche, et qui lui donne sa pertinence et sa force. Elle permet à Hervé Piant de démontrer avec une argumentation imparable que la justice pénale et la justice civile étaient, de fait, compétentes pour les mêmes affaires, à l’exception des crimes considérés comme les plus graves, et que le choix de l’une ou de l’autre procédure dépendait, pour l’essentiel, des plaignants eux-mêmes, le passage étant presque toujours possible (et fréquent) de l’une à l’autre au cours de l’information ou de l’instruction, mais le plus souvent du pénal au civil (« civilisation » de la procédure). En outre, la solution judiciaire ne constituait qu’une des possibilités de règlement des conflits, en complémentarité avec les divers modes d’accommodement privé, notamment infrajudiciaires, sans parler de l’éventualité des vengeances.

3Le choix de l’étude d’une prévôté, juridiction de base dans la hiérarchie de la justice royale, permet aussi de privilégier l’analyse de la criminalité et des conflits « ordinaires », au détriment d’une criminalité plus spectaculaire, traitée par les juridictions d’appel, qui a fait l’objet de la plupart des travaux antérieurs, mais qui est beaucoup moins révélatrice de la réalité quotidienne vécue par les hommes et les femmes de la France d’Ancien Régime. Ce choix permet aussi, en l’occurrence, une véritable réhabilitation des justices royales subalternes, ce qui contredit bien des idées reçues. On est bien ici devant une « justice de proximité » : c’est cette proximité qui explique la confiance, certes relative, que lui portent les justiciables locaux, lesquels n’iraient pas porter en justice une partie (une partie seulement…) de leurs conflits s’ils ne bénéficiaient pas sur place de la présence d’une juridiction dont ils connaissent bien les magistrats et qu’ils peuvent utiliser à leur gré.

4Ces apports essentiels ne sont pas les seuls du livre d’Hervé Piant. De la présentation des institutions et des juges à celle de la répression, en passant par les justiciables, les plaideurs, la sociabilité du conflit, la violence ordinaire et les négociations (pour reprendre le plan du livre), on n’en finirait pas d’énumérer les analyses détaillées et stimulantes qui se succèdent au fil des pages. Certes, Vaucouleurs n’est pas la France : pour compléter le tableau, il faudrait des études du même type et de la même qualité portant sur d’autres régions du royaume. Mais dorénavant, après avoir lu le livre d’Hervé Piant, on ne pourra plus faire comme avant l’histoire de la justice et de la criminalité dans la France d’Ancien Régime.

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