Introduction
p. 9-12
Entrées d’index
Index géographique : France
Texte intégral
1L’histoire du mouvement syndical français a fait l’objet de nombreux travaux. Ceux-ci ont porté non seulement sur les organisations interprofessionnelles que sont les différentes confédérations – CGT1, CFTC2, CGT-FO3, CFDT4, CGC –, mais aussi sur un certain nombre de catégories professionnelles et de secteurs d’activité. Nous pensons notamment aux ouvrages de Madeleine Rebérioux sur la Fédération du livre CGT5, de Jeanne Siwek-Pouydesseau sur le syndicalisme des fonctionnaires6, de Michel Pigenet sur les dockers7, de Michel Dreyfus sur les gaziers et électriciens8 et de Marie-Louise Goergen sur les cheminots9 pour n’en citer que quelques-uns. Lors de la réalisation d’un mémoire de maîtrise sur le syndicalisme maritime en Basse-Loire depuis 194510, nous nous sommes rendus compte de l’absence de travaux d’ampleur nationale sur les organisations syndicales des inscrits maritimes. Il n’existait en effet sur cette question que des études régionales, en particulier celle de Claude Geslin sur les syndicats de marins et de pêcheurs en Bretagne jusqu’à la Première Guerre mondiale11, ou sectorielles, comme le mémoire d’Emmanuel Charpin sur les travailleurs de la marine marchande12.
2Nous avons donc décidé d’entreprendre des recherches sur l’histoire du syndicalisme maritime français. Nous avons envisagé dans un premier temps de ne travailler que sur la Fédération nationale des syndicats maritimes CGT. Mais ce sujet nous est rapidement apparu trop réducteur car, si la FNSM est incontestablement l’organisation syndicale la plus représentative sur l’ensemble de la période, ce choix obligeait à ne traiter qu’à la marge les autres organisations syndicales ayant existé dans la marine marchande et les pêches. De plus, Claude Vauclare, qui avait entrepris une thèse sur le syndicalisme dans les pêches maritimes entre les deux guerres, a attiré notre attention sur l’expérience très intéressante de la Fédération française des syndicats professionnels de marins. Nous avons donc procédé à un élargissement de notre sujet à l’ensemble du syndicalisme maritime français de ses origines à 1950.
3Débuter notre travail à la naissance des syndicats d’inscrits s’est imposé naturellement, d’autant plus que les travaux sur les premières années de l’action syndicale dans la marine marchande et les pêches maritimes sont souvent contradictoires au sujet de la création de la première organisation nationale, la Fédération nationale des syndicats maritimes. Justifiée tout d’abord par l’ampleur des sources qu’il aurait fallu consulter pour couvrir tout le xxe siècle, la date de 1950 nous est également apparue pertinente car elle marque la fin de la reconstitution et de la réorganisation de la marine marchande fortement endommagée par la Deuxième Guerre mondiale et l’entrée dans une nouvelle période économique et politique, celles des années de forte croissance, de la décolonisation et de la concurrence grandissante de l’avion pour les transports de longue distance. Cette borne chronologique permettait également de traiter les institutions corporatives mises en place par le régime de Vichy.
4Concernant les professions étudiées, l’existence d’un statut commun à tous les navigants, celui d’inscrit maritime, a eu des conséquences sur la composition des premiers syndicats qui regroupent indifféremment capitaines, officiers, matelots, patrons de pêche et simples pêcheurs. Même si, très vite, chaque catégorie professionnelle se dote de ses propres organisations, le thème de l’unité des gens de mer revient tout au long de la période étudiée. Il nous a donc semblé intéressant d’aborder non seulement le syndicalisme des marins de commerce et des pêcheurs, mais aussi celui des officiers de la marine marchande. Enfin nous avons choisi d’englober dans le champ de nos recherches les personnels embarqués qui ne sont pas régis par le statut d’inscrit maritime, à savoir les navigateurs civils ou agents du service général à bord, numériquement très importants sur les paquebots.
5Pour mener à bien notre travail, nous avons consulté des sources variées. Les premières en terme d’importance sont les archives du ministère de l’Intérieur relatives à la surveillance de l’activité des syndicats et des fédérations des inscrits maritimes depuis leurs origines. Le dépouillement de celles-ci a été complété par la consultation des dossiers conservés dans les différents services d’archives départementales du littoral. Nous avons également eu accès à un certain nombre de fonds privés, ceux du Comité central des armateurs de France, de la Fédération française des syndicats professionnels de marins, du père Lebret, de Charles Brunellière et de Léon de Seilhac. Claude Vauclare a enfin mis à notre disposition des documents relatifs à la Corporation des pêches maritimes. L’absence d’archives de la Fédération nationale des syndicats maritimes antérieures à 1939 aurait pu être très préjudiciable à notre étude. Heureusement un certain nombre de premiers congrès nationaux de cette organisation a fait l’objet de comptes rendus édités et la presse syndicale maritime, très riche, nous a apporté de très nombreuses données.
6L’exploitation des sources nous a permis de dégager un certain nombre de thématiques : la structuration et les évolutions organisationnelles du syndicalisme maritime, la collaboration entre les différentes catégories de personnels et notamment la difficile unité des gens de mer dans la réalité, les revendications et les méthodes d’action, les relations avec les autres professions et les confédérations syndicales, les prises de position vis-à-vis des événements politiques et sociaux nationaux et internationaux de la période étudiée, les rapports des organisations syndicales maritimes avec l’État et les armateurs, les accords salariaux et sur les conditions d’engagement conclus aux niveaux local et national, les modifications de la législation encadrant la marine marchande et les pêches, la longévité des dirigeants des diverses fédérations.
7Nous avons fait le choix d’un plan strictement chronologique, ce qui n’exclut pas des développements thématiques et le traitement des particularités professionnelles et régionales. La marine marchande et les pêches maritimes sont en effet deux secteurs économiques bien distincts. Si les navigants au commerce se rapprochent des travailleurs terriens salariés, les pêcheurs peuvent dans leur grande majorité être assimilés aux artisans. Mais tous sont régis par le même statut d’inscrit maritime. C’est au nom de celui-ci que les premiers responsables du syndicalisme maritime se fixent comme objectif de regrouper au sein d’une seule fédération l’ensemble des inscrits. Mais ils sont rapidement confrontés aux intérêts distincts et parfois opposés des états-majors et des personnels subalternes de la marine marchande. De plus, les orientations et les choix des dirigeants de la Fédération nationale des syndicats maritimes heurtent très vite les pêcheurs, dont les revendications sont rarement prises en compte. Tout au long de la période étudiée, le désir d’unité revient néanmoins de manière lancinante, se brisant sur des conditions de travail et de vie fort éloignés et sur le pluralisme syndical.
8Si notre travail porte principalement sur le niveau national, il n’oublie pas les spécificités régionales. Tant dans la marine marchande que dans les pêches, le niveau de base de l’organisation syndicale est celui du port. C’est d’ailleurs à cet échelon que se développent les premières organisations. Le port est également le lieu des assemblées générales, des manifestations et des grèves. Nous avons choisi de présenter les conflits locaux les plus représentatifs et d’aborder l’évolution des syndicats les plus importants. Ces développements permettent de rendre compte de l’existence de deux types de syndicalisation au sein de la communauté des « gens de mer ». D’une part, un modèle « breton » basé sur les pêcheurs avec un fort ancrage corporatiste. D’autre part, un modèle « marseillais » qui peut se retrouver dans d’autres grands ports et qui regroupe essentiellement les marins du commerce. Celui-ci peut s’appuyer sur un système beaucoup plus large, qui intègre de fortes relations de clientélisme social et politique, en particulier dans le cas marseillais.
9Avant d’entrer dans le vif du sujet, nous espérons que notre modeste travail contribuera à l’histoire du syndicalisme français, en retraçant les luttes pour de meilleures conditions de travail et de vie des professions maritimes à une « époque [qui] était en réalité trop rude et ses conditions de travail trop inégales, pour mériter des regrets » comme l’écrit à juste titre François Bellec dans son récent ouvrage abondamment illustré sur la France des gens de mer de 1900 à 195013.
Notes de bas de page
1 Michel Dreyfus, Histoire de la CGT. Cent ans de syndicalisme en France, Bruxelles, Complexe, 1995 et Guy Groux et René Mouriaux, La CGT. Crises et alternatives, Paris, Économica, 1992.
2 Michel Launay, La CFTC. Origines et développement, 1919-1940, Paris, Publications de la Sorbonne, 1987.
3 Alain Bergounioux, Force ouvrière, Paris, Seuil, 1975.
4 Michel Briancard, Histoire de la CFDT, 70 ans d’action syndicale, Paris, La Découverte, 1990.
5 Madeleine Rebérioux, Les ouvriers du livre et leur fédération, un centenaire, 1881-1991, Paris, Messidor, 1981.
6 Jeanne Siwek-Pouydesseau, Le syndicalisme des fonctionnaires jusqu’à la guerre froide, Lille, Presses universitaires de Lille, 1989.
7 Michel Pigenet, Le syndicalisme docker depuis 1945, Mont-Saint-Aignan, Presses universitaires de Rouen, CNRS, 1997.
8 Michel Dreyfus (dir.), Gaziers-électriciens. Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, Paris, Éditions de l’Atelier, 1996.
9 Marie-Louise Goergen (dir.), Cheminots et militants. Un siècle de syndicalisme ferroviaire, Paris, Éditions de l’Atelier, coll. « Jean Maitron », 2003.
10 Ronan Viaud, Le syndicalisme des marins de commerce, l’exemple de la Basse-Loire de 1945 à nos jours, mémoire de maîtrise, université Rennes 2, 1995.
11 Claude Geslin, Le syndicalisme ouvrier en Bretagne jusqu’à la Première Guerre mondiale, Espace-Écrits, 1990. Voir aussi les mémoires de maîtrise de Véronique Avellan, Le syndicat des marins à Marseille, 1919-1938, université d’Aix-en-Provence, 1978, de Caroline Le Clanche, Le syndicalisme des marins-pêcheurs du Morbihan pendant l’entre-deux-guerres, université Rennes 2, 1995, de Pascal Roger, Le syndicalisme chez les inscrits maritimes du quartier de Saint-Malo des origines à 1939, université Rennes 2, 1995 et l’article de Bruno Béthouart, « Les syndicats et la pêche de Fécamp à Dunkerque de 1914 aux années 1970 », Christian Pfister et Patrick Villiers (dir.), La pêche en Manche et mer du Nord, Boulogne-sur-Mer, université du Littoral, 1998, p. 159-184.
12 Emmanuel Charpin, Le syndicalisme des travailleurs dans la marine marchande française, Paris, Institut d’études politiques de Paris, 1965.
13 François Bellec, La France des gens de mer, 1900-1950, Paris, Éditions du Chêne, 2001.
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