Chapitre VIII. Les Forges de Cette (Sète)
p. 285-320
Entrées d’index
Index géographique : France
Texte intégral
1Le redéploiement des activités sidérurgiques, au sein des établissements Schneider et Cie, fait apparaître un décalage chronologique significatif par rapport aux autres entreprises de ce type. Avec la qualité de ses conditions naturelles, Le Creusot offre la particularité de souvent subir, avec retard, les effets des transformations structurelles de la sidérurgie française. Il bénéficie aussi de ses positions acquises antérieurement pour les produits sidérurgiques faisant l’objet d’une cartellisation et d’une répartition des ventes en fonction du positionnement géographique. Aussi est-ce tardivement que le besoin de modifier l’implantation de certaines productions se manifeste.
2Fort de son réseau commercial important et des certitudes offertes par la création des comptoirs comme celui qui détermine les ventes de poutrelles, Henri Schneider est resté cantonné à une politique attentiste. Il s’est surtout intéressé à l’outillage des ateliers, laissant dépérir la sidérurgie. Les conséquences de ses choix se font sentir au niveau des bilans de l’entreprise. L’élaboration des demi-produits se fait à un coût souvent supérieur à celui obtenu sur le marché, ce qui est contraire aux principes de base de l’intégration.
3Dans le même temps, l’extension des ateliers confirme l’exiguïté du site creusotin et les difficultés de recrutement. En 1898, la succession entre Henri Schneider et son fils, Eugène II, implique, de la part de ce dernier, une politique volontariste de redéploiement d’une partie des services de son entreprise. Si la sidérurgie lourde fait figure de grand malade, Eugène II ne néglige pas, non plus, le développement d’autres activités plus dynamiques. Il se lance simultanément dans le rachat d’ateliers d’armement au Havre, dans la construction d’un établissement sidérurgique à Cette1 ainsi que d’une usine d’électromécanique, à Champagne-sur-Seine. Tous ces projets sont menés de concert, mais sont en fait assez disparates, associant la relance d’activités traditionnelles avec la prise en compte des domaines de compétences caractéristiques de la deuxième phase d’industrialisation.
4Les choix d’Eugène II sont assez éloignés de ceux de ses confrères. Il est scandalisé par la concentration de la sidérurgie française aux portes de l’Allemagne et entend s’implanter dans un lieu où son usine, destinée à alimenter en fontes et en aciers supérieurs les ateliers de marine et d’armements de son entreprise, serait à l’abri d’un coup de main ennemi.
5Parallèlement, Eugène II doit terminer la liquidation de certains sites, comme les mines d’Allevard, et mettre hors feu une partie des hauts fourneaux du Creusot, avant d’engager le transfert d’une partie des services.
Abandon de la production de fontes supérieures
6À la fin du xixe siècle, le modèle de concentration des établissements Schneider et Cie, l’intégration sur place, cesse d’être un facteur de réussite économique pour devenir une contrainte. Auparavant, Henri Schneider s’est toujours refusé à bouleverser l’organisation de ses ateliers et s’est limité à des modifications partielles. À sa mort, en 1898, l’état des activités sidérurgiques est des plus déplorable. L’usine du Creusot a irrémédiablement cédé sa primauté. Elle n’apparaît plus, en 1901, qu’au cinquième rang des producteurs français de fonte, devancée par Micheville, Longwy, Denain-Anzin et les usines françaises des Wendel2.
7Certes, par rapport aux autres usines du Centre, Le Creusot semble avoir plutôt mieux résisté à la Longue Dépression et aux bouleversements provoqués par l’apparition de l’acier Thomas. Mais la volonté de maintenir l’ensemble du processus de fabrication, sur le site du Creusot, a conduit Henri Schneider à repousser toutes les transformations majeures, préférant réduire les capacités de production, quitte à devenir client et non plus fournisseur de certains produits métallurgiques. À ce titre, le début des années 1890 constitue le moment fatidique dans la décision ou plutôt l’absence de décision concernant l’avenir de la sidérurgie creusotine.
8Schneider et Cie ont pu, jusqu’à présent, maintenir en catalogue la plus grande partie de la gamme des fontes. Seules les spiegels3, que l’usine ne consomme qu’en faible quantité, sont achetées à l’extérieur. Par contre, les campagnes de fontes d’affinage, de moulage, de déphosphoration et supérieures se succèdent dans les hauts fourneaux. C’est un des atouts du site creusotin que d’apporter une grande souplesse, grâce à l’élaboration, à partir d’un même haut fourneau, de différentes sortes de fonte dont la fabrication s’échelonne au cours d’une année ; les stocks accumulés pour plusieurs mois assurent la soudure jusqu’à la campagne suivante.
9Une telle politique se révèle particulièrement intéressante pour le Service commercial qui s’appuie sur un grand choix de produits. Mais tout en répondant aux attentes des ateliers de l’usine, elle influe défavorablement sur le prix de revient. Tant que la concurrence ne se manifeste pas avec trop de virulence, la position d’Henri Schneider est acceptable. Dès lors que les usines sidérurgiques se multiplient, tout en se spécialisant, elle est battue en brèche. Deux vagues successives provoquent une violente contraction de la production sidérurgique creusotine.
10Au milieu des années 1880, Henri Schneider ne réagit ni face à l’extinction de ses hauts fourneaux du Creusot, ni contre l’émergence de nouvelles usines sur les littoraux et dans le Nord-Pas-de-Calais. Il ne peut s’impliquer dans ce mouvement qui vise à rapprocher les établissements sidérurgiques des riches minerais d’Espagne et d’Afrique du Nord, engagé qu’il est dans la mise en valeur onéreuse des mines d’Allevard et dans l’édification de l’usine de Jœuf. Le Creusot est une des dernières usines du Centre de la France à conserver la production des fontes supérieures. C’est alors que, déjà fragilisé dans le secteur des fontes hématites, Le Creusot subit, en parallèle, les effets de la diffusion rapide du procédé Thomas.
11Successivement, en 1893 et 1894, les brevets qui protègent le procédé Thomas-Gilchrist tombent dans le domaine public. C’est le début de la multiplication des hauts fourneaux et des aciéries en Lorraine non annexée. L’interdiction faite aux différents partenaires de l’usine de Jœuf de fonder un nouvel établissement en Meurthe-et-Moselle et dans les départements limitrophes parvient à son terme. Fort de ses deux concessions de minerais de fer, Henri Schneider est en mesure d’entreprendre la construction d’une nouvelle usine sur le gisement de minerai de fer du bassin de Briey. Il ne le fait pas et subit le développement rapide de la déphosphoration sans y participer. La production de fonte creusotine, faute de pouvoir concurrencer les prix des usines plus modernes et mieux situées, s’en trouve réduite. Henri Schneider refuse de modifier la localisation de ses industries sidérurgiques. Pendant que de nombreux établissements entament une migration d’envergure pour se rapprocher des gisements de minerai de fer, le gérant des usines du Creusot persiste dans sa volonté de maintenir ses usines à proximité de ses exploitations charbonnières.
12Dès 1895, l’abandon de la production de fonte au Creusot est évoqué4. Cependant, proposition trop radicale pour ne pas remettre en cause l’indépendance de Schneider et Cie, elle est rapidement rejetée. Henri Schneider lui préfère une solution intermédiaire. Il se désengage de la production des fontes supérieures pour laquelle son usine est encore moins compétitive que pour le reste de la gamme. La production des autres types de fontes est maintenue alors que se généralise l’emploi de fontes et de demi-produits en acier de Lorraine. Schneider et Cie font appel aux usines de Meurthe-et-Moselle pour assurer une partie de leurs besoins en fontes de moulage, d’affinage et de déphosphoration ainsi qu’en acier Thomas. Ce mouvement met en exergue un autre phénomène.
13Pour contrer la pression de la concurrence, Le Creusot ne peut guère compter sur son Domaine minier dont les exploitations de minerais de fer constituent une source de pertes très lourdes. Les deux concessions en activité à Saint-Pierre-d’Allevard, La Taillat et La Croix-Reculet, ont particulièrement souffert de la crise métallurgique des années 1880. Une grande partie de la production est demeurée, pendant longtemps, inutilisable, s’entassant sur le carreau de la mine. Par conséquent, plutôt que d’accroître les ressources minérales par de nouveaux travaux exploratoires, la direction de la mine tente de valoriser ses déchets.
14Une conséquence négative apparaît alors. L’extraction diminue progressivement alors que pour éviter la détérioration de la situation financière de la mine, les recherches et la modernisation du matériel sont suspendues pendant plusieurs années. Les stocks de fonte et de minerai suffisent à alimenter Le Creusot. Il convient d’abord de les résorber.
15Après avoir accumulé un stock considérable d’un minerai dont l’intérêt est sérieusement entamé par le manque de compétitivité des productions de fontes supérieures du Creusot, Schneider et Cie décident de se défaire de cette exploitation où les conditions d’exploitation sont constamment restées exécrables. Bien que cette solution soit acceptée en avril 1895, avant la mort d’Henri Schneider, elle semble être le résultat de la réflexion de son fils, Eugène II, et annonce ses orientations futures.
16En 1895, le jeune co-gérant souhaite réviser les conditions du marché conclu avec les Forges d’Allevard, le 11 avril 1874 et modifié par l’acte sous seing privé de 18825. Eugène II annonce au gérant d’Allevard qu’il entend limiter la production aux seuls besoins de l’usine de ce dernier, moyennant une légère augmentation du prix du minerai. Pinat, le gérant d’Allevard, refuse cette prétention. Il estime que les dépenses engagées au cours des décennies 1870 et 1880 sont largement amorties et demande une réduction du prix du minerai6. Au terme de quatre années de conflit, Le Creusot accepte de céder l’exploitation de la Taillat à un prix très modéré au regard des sacrifices financiers consentis au cours des années 1870, puis au début des années 1890. Le 4 mars 1899, un accord est signé entre Eugène II et Charles Pinat.
17Pour 600 000 francs, Le Creusot abandonne l’ensemble de ses concessions situées à Saint-Pierre-d’Allevard, les ateliers de préparation de minerai ainsi que les voies et embranchements entre les exploitations et le réseau ferré du PLM7.
18Avant même le ralentissement de l’exploitation des mines d’Allevard et l’arrêt des expéditions de minerais spathiques alpins, les fontes hématites, indispensables pour les réalisations militaires, constituent le maillon faible des productions sidérurgiques creusotines. L’usine subit, à nouveau, pour ses productions sidérurgiques de qualité, la concurrence très forte des minerais et des fontes d’Espagne. Le maintien de la production de fontes supérieures aux hauts fourneaux du Creusot ne s’impose pas. Avec l’abandon préalable des fontes spiegels, la présence de l’ensemble des produits sidérurgiques fins est remise en cause, situation inadmissible au maintien de l’indépendance complète de Schneider et Cie.
19Pourtant, la relance de la production de fontes hématites au Creusot ne peut être envisagée, en raison du coût exorbitant du coke nécessaire à la fusion d’une quantité supplémentaire de fonte, faute de pouvoir obtenir, auprès des exploitations proches, des charbons cokéfiables et en raison du vieillissement rapide de la batterie de fours à coke du Creusot. Cette pression sur les approvisionnements en combustible atteint d’ailleurs son paroxysme en 1899. Elle frappe particulièrement Le Creusot. Les grèves de Montceau-les-Mines ne font qu’amplifier un phénomène déjà sensible, renforçant les réserves qu’Eugène II et Maurice Gény, son directeur général, émettent à propos de l’avenir de la sidérurgie creusotine.
20La séparation en deux sites de la production sidérurgique de base est désormais acquise. Au Creusot doivent être maintenues les coulées de fontes de déphosphoration et d’affinage, le nouvel établissement concentrant les fabrications de fontes supérieures. Un tel choix signifie, à moyen terme, la disparition complète de la sidérurgie de base creusotine, c’est-à-dire de toutes les activités situées en amont des aciéries. Malgré quelques soubresauts ascendants à la fin du siècle, l’échéance qui doit entraîner la disparition du fer et par conséquent de l’atelier de puddlage est proche. Quant à la fonte de déphosphoration utilisée dans les convertisseurs Thomas, le maintien de sa production s’imposait surtout avant que le brevet de la garniture basique ne tombe dans le domaine public. Depuis 1893, la concurrence est trop vive et s’appuie sur des conditions de production bien meilleures.
21Eugène Schneider ne peut accepter l’idée que son entreprise se désengage complètement de cette branche industrielle. Il cherche différentes solutions pour ériger une nouvelle usine. Comme la production de fonte hématite est déjà interrompue et qu’Eugène II répugne, à la différence de ses concurrents du Centre, à s’établir en Lorraine non annexée, il est confronté à des contraintes de localisation originales. Eugène II est favorable à la construction d’un complexe totalement sorti de terre, en restant fidèle à la tradition de croissance interne qui fait partie de la culture de l’entreprise. Fixer la région d’accueil du nouvel établissement passe par l’analyse des conditions d’approvisionnement imposées par le recours à des minerais d’une extrême pureté. Des ingénieurs civils des mines sont donc envoyés dans les Pyrénées et la péninsule Ibérique, afin d’étudier des gîtes susceptibles d’alimenter les nouveaux hauts fourneaux. Le rapprochement de l’usine par rapport aux sources d’approvisionnement débouche sur une création le long du littoral. Les gisements prospectés doivent être situés à proximité d’installations portuaires.
22Les projets ambitieux d’Eugène Schneider sont diversement accueillis. Les milieux financiers semblent assez enthousiastes. Lorsque la rumeur se répand sur les places financières, le cours des actions Schneider et Cie s’envole. À l’inverse, les confrères d’Eugène II sont plus circonspects, étonnés de voir Le Creusot se lancer dans un programme contraire aux grandes orientations de la sidérurgie nationale. Les considérations stratégiques qui le portent à rejeter la solution de facilité, particulièrement l’implantation en Lorraine, les surprennent. En effet, les produits sidérurgiques de Lorraine n’ont pas vocation à être destinés à l’industrie de l’armement, puisqu’il s’agit essentiellement de produits longs, en aciers communs.
23Pourtant, Eugène II affirme, a posteriori, « Considérant comme un péril national la concentration dans l’Est, aux portes de l’Allemagne, de la presque totalité de la grosse métallurgie française, nous n’avons pas voulu, en 1898, chercher dans cette région l’élasticité qui nous manque au Creusot. »
24Ce principe, affirmé à maintes reprises, rend impensable toute implantation directe des établissements Schneider en Lorraine, d’où l’orientation vers les rivages de la Méditerranée sur laquelle s’est portée l’attention des ingénieurs du Creusot. Mais pour qu’une solution aussi opposée à celle des confrères soit justifiée, elle doit correspondre à un marché potentiel. D’un point de vue géographique, l’éloignement par rapport à la Lorraine et au Nord de la France est recherché. Dans le cas de la distance entre Cette et Le Creusot, aucune étude spécifique n’est nécessaire puisque l’usine historique occupe une position centrale au sein du territoire national.
25En 1898, en raison de la différence du coût de transport, le littoral méditerranéen a peu à redouter de la concurrence des produits de Meurthe-et-Moselle. Les estimations de prix de revient laissent même entrevoir l’assurance de pouvoir concurrencer les usines lorraines pour la vente des productions courantes de la grosse métallurgie8. Eugène II a décidé d’affronter un marché sans doute moins concurrentiel que celui de la fonte de déphosphoration mais aussi moins porteur.
26En choisissant le pourtour méditerranéen et plus précisément le port de Cette, Schneider et Cie prennent le parti de ne pas rechercher la proximité de gisements de charbon. En fait, le principal avantage de Cette réside dans l’absence de concurrent d’envergure dans le Sud de la France.
27Si la décision d’implanter une usine sur le littoral méditerranéen survient en 1898, les enquêtes préliminaires remontent à octobre et novembre 1897. Carbonel9, mandataire de Schneider et Cie, demande au Service maritime de l’Hérault la concession d’une partie des étangs domaniaux situés sur les communes de Balaruc, de Frontignan et de Cette, pour y établir une usine sidérurgique. Les conditions d’édification sont assez originales. Le terrain mis à la disposition de l’entreprise ne se prête guère à l’accueil d’une usine sidérurgique. La préparation du site impose l’achat d’une drague. Dans le domaine des matériaux, les ingénieurs du Creusot se singularisent en faisant appel à François Hennebicque, le père du béton armé, pour lutter contre l’instabilité du terrain10.
28Le site retenu n’est pas propice à la création d’une usine. Les bâtiments doivent être élevés sur des remblais empilés de façon à former une presqu’île artificielle. En fait, c’est la situation de Cette qui a semblé particulièrement favorable. Son port se trouve au centre de vastes richesses minérales dont l’exploitation débute à peine. Cette a été retenue grâce à la politique volontariste menée par les acteurs sociopolitiques locaux. Mise en concurrence avec d’autres cités méditerranéennes, elle obtient les faveurs d’Eugène II grâce aux importants sacrifices financiers qu’elle consent. De son côté, Le Creusot se trouve prémuni contre la cherté des prix des terrains situés aux abords des autres ports méditerranéens11.
29À l’époque, l’économie portuaire cettoise est moribonde. Site de transit pour le commerce des vins, Cette décline sous l’effet conjugué des mesures protectionnistes engagées dans le secteur agricole et par le changement d’orientation des vins espagnols dont l’écoulement se fait désormais dans la région parisienne, via le port de Rouen. De la nécessité de renouveler les marchandises naît la volonté de créer un centre d’industries lourdes susceptibles de diversifier l’économie tout en fournissant au port un trafic assuré de matières pondéreuses12.
30Les plans de l’usine s’appuient sur les principes en vogue au sein de l’industrie américaine, notamment en ce qui concerne la gestion de l’espace et la capacité de production des hauts fourneaux. En aval, la forge est censée ne regrouper que quelques trains de laminage pour les produits courants. La clientèle est d’ailleurs mal définie puisque la Compagnie du Midi possède déjà localement, par le biais des usines du Boucau, un fournisseur privilégié13. L’apparition de doublons avec les activités creusotines est aussi visible.
31Par conséquent, c’est essentiellement vers la production de tôles fortes et moyennes pour la marine que doit être orientée l’usine de Cette. Il s’agit d’élargir le champ des compétences traditionnelles des établissements Schneider et Cie. Au sein de l’entreprise, la fabrication de bateaux n’est pas une nouveauté. Dès ses origines, l’histoire du Creusot et de ses chantiers de Chalon a été associée à l’essor de la batellerie à vapeur, sur la Saône et le Rhône. Cependant, si les établissements Schneider et Cie prennent une part de plus en plus active dans la fabrication de navires de guerre, ils ne sont pas capables d’assembler totalement un vaisseau d’un gros tonnage. Les moteurs, les plaques de blindages, le matériel d’artillerie sont autant de réalisations qui n’échappent pas au Creusot. Mais les chantiers de Chalon sont confrontés aux exigences de la Saône et ne peuvent construire que des navires d’un tonnage modeste. L’acquisition des ateliers du Havre auprès des Forges et Chantiers de la Méditerranée n’a fait que renforcer les capacités de production du Service d’Artillerie. Une lacune persiste parmi les domaines de compétences de l’entreprise, malgré une prise de participation, dès 1882, dans les Ateliers de la Gironde.
32La naissance de Cette marque un pas décisif en vue d’accéder au rang d’acteur incontournable des fabrications maritimes, sans que cela ne signifie la disparition des constructions navales à Chalon. Le site de Cette serait dévolu à la réalisation des grands navires. Les chantiers de Chalon conserveraient la fabrication des vaisseaux à faible tonnage, comme les torpilleurs et les submersibles. À cette époque, la Marine de guerre a peu d’interlocuteurs dans le domaine des constructions navales. La France ne possède que trois grands constructeurs de navires modernes : les Forges et Chantiers de la Méditerranée, les Ateliers de la Gironde et les Ateliers de la Loire. Ces projets de développement des activités maritimes ne sont pas sans rappeler l’influence de la sidérurgie britannique sur les orientations stratégiques du Creusot. Manifestement, Eugène II est impressionné par la vague de concentrations contemporaine de sa décision d’ériger une nouvelle usine. Il semble faire sienne la politique industrielle de la société Vickers and Co.
33Jusqu’en 1897, les productions de cette entreprise correspondent à celles qui entrent dans les compétences du Creusot avec la fabrication du matériel de chemins de fer, des aciers lourds moulés et forgés, des canons et des plaques de blindages. À cette époque, Vickers fusionne avec la Naval Construction and Armements Co et avec la Maxim-Nordenfelt Guns and Ammunition Co, sociétés spécialisées dans l’armement et la construction navale, afin d’être en mesure d’équiper et d’assembler intégralement les plus grands vaisseaux de ligne militaires14. Cet ensemble correspond à celui que veut créer Eugène II. Mais l’entreprise française entend réaliser son projet uniquement par voie de croissance interne, hormis les acquisitions d’exploitations minières destinées à approvisionner l’usine.
34La fabrication des tôles de marine nécessite l’utilisation de minerais purs, indispensables pour élaborer des fontes hématites. Pour ce faire, Schneider et Cie entament la plus intense campagne de prospection de minerai de fer de leur existence15. Entre 1897 et 1901, de nombreux minerais font l’objet de campagnes d’essais. Le contrôle direct d’exploitations importantes est devenu obligatoire, en raison de la hausse soutenue que subissent les cours du minerai de fer. Les différentes opportunités débouchent sur un programme d’acquisitions qui dépasse les seuls besoins de l’usine de Cette. Malgré l’effervescence provoquée par l’exploitation du minerai de Mokta à partir de 1865, le pourtour méditerranéen recèle d’importantes ressources minérales peu ou pas mises en valeur.
35Par leur proximité, les Pyrénées forment un centre d’intérêt non négligeable mais, malgré tout, secondaire. Les recherches du Creusot y demeurent limitées.
36La péninsule Ibérique et l’Afrique du Nord semblent être des terrains plus propices à des découvertes de grande ampleur. Les ingénieurs de Schneider et Cie s’attellent donc à leurs recherches, seuls ou de concert avec d’autres établissements métallurgiques. Schneider et Cie participent à la création d’un Syndicat minier, doté d’un capital de 200 000 francs. L’objet de cette association réside dans la mise en valeur de nouveaux gisements, avant d’entamer l’exploitation des minerais de fer reconnus et de créer les sociétés aptes à exploiter les affaires minières16. Les recherches sont conduites par Horace Busquet, le directeur de la mine de La Machine17. Personnage truculent, il a laissé de ses différentes explorations minières une correspondance et des carnets de voyage très pittoresques.
37Dans un premier temps, Busquet s’intéresse au minerai de fer reconnu à Moncorvo, dans le district de Bragance, au Portugal. Schneider et Cie se portent acquéreurs de 21 concessions et de deux demandes en concessions de minerai de fer, par acte sous seing privé, en date du 21 janvier 190018. Dans le Sud-Est de l’Espagne, des recherches importantes sont réalisées en 1899, avant d’être reprises au printemps de 190119. La région d’Alméria focalise l’attention des sidérurgistes creusotins. Elle connaît alors une augmentation rapide de la production de minerai de fer qui passe du chiffre encore symbolique de 127 330 tonnes en moyenne, entre 1891-1895, à 390 395 tonnes en moyenne, au cours des cinq années suivantes20.
38Le gisement de Conjuro retient plus particulièrement l’attention. Il regroupe les plus importantes ressources de minerai de fer dans le Sud-Est de l’Espagne et semble comparable aux plus grands amas métallifères d’Afrique du Nord. La teneur du minerai en matières utiles s’établit à près de 58 %, soit 51 % de fer et 7 % de manganèse.
39Le Creusot est prêt à engager des capitaux importants pour conserver l’indépendance de l’approvisionnement de l’usine de Cette. Quelques jours avant d’acquérir les mines de Conjuro, Horace Busquet signale d’ailleurs au directeur du Creusot que : « Il n’y aura personne qui prenne à ce prix, la classe des concurrents possibles étant réduites aux usiniers, les mineurs tels que la Mokta ne pourraient trouver à ce prix un bénéfice suffisant. Parmi les usiniers aucun ne voudra payer plus cher que nous puisque la mine ne vaut pas plus cher et aucun ne pourra payer comptant21. » Avant qu’Eugène II n’oriente les recherches de ses géologues vers d’autres contrées, les mines de Conjuro doivent fournir la majeure partie des minerais consommés par les Forges de Cette, avec une production annuelle estimée à 230 000 tonnes.
40En raison de sa proximité par rapport à Cette, l’Afrique du Nord constitue un autre champ d’exploration logique. Certes, la mine de Mokta-el-Hadid est sur le point de cesser toute activité, mais elle a été relayée par d’autres sites prometteurs comme Tafna. Si la compagnie anonyme des mines de Mokta-el-Hadid exerce toujours une influence prépondérante, elle est désormais confrontée à la présence de marchands de minerais qui lui disputent l’exploitation des gîtes de moindre envergure. Ces derniers sont d’ailleurs indirectement à l’origine de l’intérêt porté envers un gisement algérien appelé à devenir célèbre, celui de l’Ouenza.
41C’est sur ce gisement que les sidérurgistes creusotins focalisent leur attention. Connu de longue date, l’amas minéral de l’Ouenza se présente sous la forme d’une minière, facilement exploitable à ciel ouvert. L’Algérie fait alors l’objet, comme au début des années 1870, d’intenses campagnes de prospection, justifiées par la hausse des cours des minerais et l’abaissement des prix des frets. En juin 1901, alerté par les explorateurs du gisement qui n’ont pas les moyens nécessaires pour poursuivre l’étude du gisement de l’Ouenza, Carbonel, ingénieur qui s’est acquitté quelques mois auparavant d’études relatives à Cette, se rend sur le lieu des fouilles. En raison de l’ampleur prise par le projet, Eugène II choisit de s’impliquer pleinement. Pour ce faire, Carbonel constitue, en mars 1902, la Société d’Études de l’Ouenza dont il devient gérant, la présidence de la société incombant à Eugène II22.
42Le principal obstacle à une exploitation intensive de l’amas minéral de l’Ouenza réside dans l’obligation de construire une nouvelle voie ferrée, dans une région désertique, au relief tourmenté. Entre le gisement et la mer se dressent deux barrières montagneuses23. La ligne relierait le gisement au port de Bône ou à celui de Bizerte, qui souffre de ne pouvoir adjoindre une fonction commerciale à son rôle militaire. L’autre difficulté provient de certaines imprécisions de la législation minière et de l’attitude de l’État face aux futurs exploitants. Puisque le gisement de l’Ouenza est exploitable à ciel ouvert, son classement dans la catégorie des minières s’impose. Le minerai appartient au propriétaire du sol.
43Le Djebel Ouenza fait partie intégrante d’une forêt domaniale. L’État en est donc le propriétaire. C’est auprès du Gouverneur général d’Algérie que Schneider se tourne pour poursuivre la mise en valeur du gisement. Mais ce n’est que tardivement et à contretemps que les menaces qui pèsent autour de l’ambiguïté juridique initiale sont pleinement appréhendées. Le 17 mars 1904, une convention d’amodiation est signée entre le Gouverneur général Jonnart d’une part, Eugène II, président de la société d’Études de l’Ouenza et Abel-Eugène Carbonel, gérant de la même société d’autre part24.
44Dans le même temps, le directeur des établissements Schneider et Cie, Maurice Gény, donne davantage de consistance aux démarches de Carbonel, en alertant ses principaux confrères européens. Il les engage à participer à la reconnaissance du gisement. Pour des sidérurgistes plus à même de supporter les variations des cours du minerai que les sociétés minières, l’Ouenza constitue une affaire intéressante, mais trop ambitieuse pour être conduite à son terme par les seuls établissements Schneider.
45L’Ouenza semble une source d’approvisionnement d’avenir, car face à un éventuel retournement des cours du minerai de fer, la présence de quantités significatives de cuivre permet, à partir d’une seule exploitation, de fonctionner sur deux marchés non connexes. Hématite très pure, le minerai de fer de l’Ouenza, se rapproche, par ses propriétés, de celui qui fut exploité auparavant à Mokta. Cependant, le gisement est d’une autre envergure puisque les études préliminaires évoquent un tonnage trois fois supérieur à celui qui fit, par le passé, la renommée du gîte de Mokta-el-Hadid. Ses qualités et sa teneur moyenne qui atteint 53 % font du minerai de l’Ouenza une matière première de choix pour les établissements ayant maintenu leur fabrication d’acier par la voie des convertisseurs Bessemer acide et pour ceux qui se sont spécialisés dans des productions sidérurgiques à haute valeur ajoutée25. Le projet, trop important pour être mené à bien sans le soutien d’autres maîtres de forges, impose la mise en œuvre d’une combinaison regroupant plusieurs groupes industriels, pour la plupart étrangers.
46Le contexte national ne se prête pas à une telle entente. Schneider est une des rares entreprises à croire en l’essor de la production de fonte hématite. Les grandes compagnies sidérurgiques françaises sont engagées dans la création ou l’achèvement d’établissements complets en Lorraine, s’appuyant sur des ressources en minerai de fer à faible teneur mais abondantes et peu onéreuses. Les établissements du Nord et du littoral Atlantique élaborent des fontes qui pourraient se satisfaire d’un tel minerai mais certains, comme Denain-Anzin, sont déjà impliqués dans le capital d’une des principales mines de fer de la Biscaye. Par conséquent, les partenaires français susceptibles d’être associés au projet d’Eugène II sont peu nombreux.
47Au sein des compagnies adhérentes apparaissent deux grandes sociétés françaises, Châtillon-Commentry et Marine-Homécourt, mais elles ne s’illustrent pas parmi les éléments les plus dynamiques du groupement créé par Schneider et Cie. Il leur faut, à la même époque, achever leur programme d’investissements en Lorraine, respectivement à Neuves-Maisons et Homécourt26. À l’inverse, les sidérurgistes anglais, belges et allemands focalisent leur attention sur l’Afrique du Nord et montrent un intérêt certain face aux propositions d’Eugène II. Les Anglais des entreprises Consett Iron Co, Guest Keen et Cammel Laird sont particulièrement désireux d’être associés à la mise en valeur du gisement de l’Ouenza. Toujours orientés vers les fabrications Bessemer, déjà partiellement délaissées sur le continent, ils conservent d’importants besoins en minerais particulièrement riches et purs. Ils voient, avec inquiétude, se rapprocher le jour de l’épuisement des gisements espagnols et surtout britanniques.
48La logique est différente chez les trois plus grandes entreprises métallurgiques allemandes Krupp, Thyssen, Gelsenkirchener Bergwerks Gesellschaft et pour la société belge Cockerill qui ne craignent pas une pénurie prochaine de ce type de minerai, notamment en raison de la proximité de la Suède. C’est un souci de diversification de leurs sources d’approvisionnement en minerai de fer qui les conduit à se pencher sur les minerais africains27. L’exploitation directe que leur propose Eugène II présente l’avantage de les placer à l’abri des prétentions des négociants en minerai. Les entreprises citées acceptent de consommer, chaque année, 120 000 tonnes de minerais de l’Ouenza, au minimum.
49Les pourparlers d’Eugène II et de son directeur dépassent le cercle des maîtres de forges. Les discussions entre Maurice Gény et ses confrères rencontrent un écho prononcé auprès d’un des plus importants courtiers en minerai du port de Rotterdam, la maison Muller. Celle-ci est effrayée de voir Schneider empiéter dangereusement sur son métier. Joseph Portalis, son représentant en France, s’est souvent entretenu du projet avec Gény. Il ne désire pas être associé à la Société d’Études de l’Ouenza.
50Au contraire, les dirigeants de son entreprise l’invitent à mettre en échec l’association entre Schneider et les autres grands établissements sidérurgiques européens. Il est vrai que les démarches d’Eugène Schneider et de Maurice Gény ont de quoi inquiéter la maison Muller.
51Celle-ci possède un rôle prépondérant dans le commerce de minerai de fer en Europe du Nord et vit principalement de la vente, en Westphalie, du minerai suédois. Parmi ses principaux clients figurent notamment les établissements Krupp et Thyssen. En dehors de la Suède avec laquelle ils possèdent un important contrat d’achats, Muller et Cie achètent aussi des minerais en Espagne et en Algérie et les revendent, moyennant une commission. Pour organiser son trafic de minerai, cette société s’appuie sur une puissante batellerie, depuis Rotterdam jusqu’aux usines consommatrices.
52La mission de Portalis est double. Il doit récupérer l’intégralité des droits d’exploitation du gisement afin de le laisser en sommeil et multiplier les initiatives, les entraves juridiques, pour ralentir la réalisation du projet. Afin de contrer, sur place, les accords entre le Gouverneur général et la Société d’Études de l’Ouenza, il dépose, le 30 avril 1903, les statuts de la Société concessionnaire des mines de l’Ouenza. Un mois plus tôt, deux contrats à option ont été signés entre le Gouverneur général et la Société Carbonel-Schneider, pour préparer l’amodiation de la minière de l’Ouenza et les concessions d’emplacements dans le port de Bône.
53En réponse et dans le but de rassurer les membres de son entente de sidérurgistes, Eugène II les convie à un voyage d’études afin que maîtres de forges et ingénieurs puissent se faire une idée précise de la richesse, mais aussi des difficultés de transport du site de l’Ouenza. Rigoureusement organisé, le séjour réunit la fine fleur de l’industrie sidérurgique européenne. Se mêlent au sérieux des reconnaissances géologiques, l’exotisme et l’agrément de la découverte de certains vestiges antiques, le chemin du retour s’achevant à Carthage. Chacun débarque en Algérie, au mois de juin 1903, pour faire concurremment des prélèvements d’échantillons. La caravane qui convoie directeurs et ingénieurs est d’importance28.
54C’est en train, puis à cheval, que l’équipée gagne le lieu de l’exploitation. Eugène II est entouré de Gény, son Directeur général, Busquet, son ingénieur en chef des mines et Carbonel, l’initiateur du projet et gérant de la société. Parmi les autres membres du convoi apparaissent notamment Greiner, directeur de Cockerill, Frielinghaus, directeur de Krupp et Fritz Thyssen. Revenus en Europe, les explorateurs se retrouvent dès la fin du mois de septembre 1903 afin de comparer les résultats de leurs prélèvements. Les analyses des membres de l’entente ne font que confirmer leur intérêt initial. Au préalable, pour éviter tout risque d’échec, Eugène II a pris soin de demander à Carbonel de rencontrer les principaux participants au projet. Tous sont favorablement impressionnés par la facilité d’exploitation et la quasi-absence de phosphore dans le minerai. Le programme d’explorations minières conduit par Eugène II se solde donc par une réussite indéniable, marquée par la certitude d’assurer pendant plusieurs dizaines d’années l’approvisionnement de l’usine de Cette, en minerais de fer hématites. La future usine dispose de ressources minérales abondantes, conditions essentielles à l’aboutissement du projet cettois.
Naissance d’un nouveau Creusot
55La transformation des usines du Creusot ne peut plus être retardé. Depuis deux décennies, le site a perdu toute initiative face à l’évolution de la sidérurgie mondiale, abandonnant peu à peu les avantages procurés par son degré élevé d’intégration. La concurrence est entrée dans la même voie et la centralisation des activités a cessé d’être une spécificité creusotine. Les tentatives pour retrouver le dynamisme passé ne se sont pas toutes soldées par des réussites industrielles. Les productions d’artillerie ont bien assuré la restructuration de l’entreprise, mais de nouvelles fabrications, les machines électriques notamment, n’ont pas réellement de raisons d’être. Elles ne sont qu’imparfaitement complémentaires des autres étapes du processus de production.
56Leur présence ne semble liée qu’à la volonté de développer les productions indépendantes du prix des matières premières. Le maintien de la plupart des activités des établissements Schneider et Cie fait donc apparaître une double distorsion. Ont été sauvegardées des activités qui ne sont plus viables, auxquelles ont été ajoutées d’autres branches comme l’électricité, éloignées des compétences techniques traditionnelles de l’entreprise29.
57En outre, les difficultés de recrutement que rencontrent les houillères sont aussi présentes dans l’ensemble des ateliers30. À la différence des établissements sidérurgiques de Lorraine, Le Creusot connaît un renouvellement limité de son personnel. Les ouvriers sont assez stables, mais ils sont rares. L’idée se dessine de décongestionner l’usine, en délocalisant sur d’autres parties du territoire les activités les moins en phase avec le site. Eugène II entame un important programme de constructions ou de transformations, mais n’entend ni diminuer l’importance des usines du Creusot, ni réduire leur personnel31. Au contraire, confiant dans la maîtrise technique et la docilité des Creusotins mais désireux de dépasser les rigidités que ces facteurs positifs impliquent, Eugène II compte réorienter ses ouvriers vers des productions à haute valeur ajoutée, adaptées aux traditions ouvrières du Creusot.
58Il obtient la confirmation de la pertinence de ses choix dès l’année qui suit la mise en place du plan de transformation, au-delà de ses espérances mais sous une forme qu’il n’avait pas imaginée. En 1899, la « docilité » de la population ouvrière du Creusot cède la place à une certaine tension sociale, marquée par un important mouvement de grève. Une telle situation est des plus périlleuses pour une usine aussi intégrée que Le Creusot puisque l’interruption du travail dans un service répercute ses effets sur l’ensemble du processus de fabrication. Si Eugène II n’a pas eu, à l’origine, l’intention de faire pression sur son personnel, par le biais du transfert d’une partie des activités sidérurgiques à Cette, il profite d’une reprise du conflit, le 20 septembre 1899, pour officialiser la naissance de ce complexe sidérurgique.
59Questionné sur les troubles sociaux que connaît Le Creusot, le gérant répond ainsi :
« Cela n’est point un secret et ce projet [Cette] n’est même plus à l’état d’étude, il est en voie de réalisation ; il y a longtemps que nous avons résolu de transporter à Cette certaines de nos fabrications et cela pour des raisons d’ordre purement économiques. La situation topographique du Creusot, loin de la mer, loin des grandes voies de communication, par lesquelles nous parviennent certaines matières premières telles que le fer et la houille, par exemple, nous met dans un état d’infériorité vis-à-vis des industries étrangères… La grève actuelle ne saurait donc en quoi que ce soit modifier nos résolutions, mais il est bien évident que si les hauts fourneaux du Creusot s’éteignaient, avant de les faire reconstruire, nous examinerions la question de savoir si nous n’aurions pas plus d’avantages à en reconstruire un ou deux à Cette32. »
60Car, de concert avec la prospection et l’achat de mines de fer, débute la construction d’un haut fourneau, premier équipement du complexe sidérurgique de Cette. Au cours de cette étape, l’usine reste dans une position critique. Durant le laps de temps qui s’écoule entre la mise en feu du premier haut fourneau et le début du laminage sur place des produits de l’aciérie, l’exploitation, limitée à la production de fonte, ne peut pas être rentable. Avec un unique haut fourneau et une cokerie de 36 fours dont il n’est pas encore possible de valoriser les excédents de gaz, l’usine se heurte à un mode de roulement irrégulier. Le prix de revient de la tonne de fonte rendue en gare de Cette ou sur bateau s’élève à 72,74 francs alors que le prix de vente oscille, suivant les clients, entre 73 et 77 francs33.
61Pendant cette phase, les conditions sont encore aggravées par l’absence d’infrastructures portuaires adaptées aux besoins d’un complexe sidérurgique. Le port de Cette constitue pourtant la base du succès de l’usine. Par sa position, il est apte à recevoir les minerais de fer de la côte sud-est de l’Espagne, de Conjuro notamment. C’est pourquoi la construction de l’usine s’accompagne de l’exécution, par l’État, de travaux pour faciliter l’entrée, dans l’étang de Thau, de vapeurs d’une capacité de 3 000 tonnes.
62À terme, le port est aussi conduit à réceptionner le combustible nécessaire à l’usine. À proximité de Cette, trois gisements sont exploités avec intensité : Graissessac, dans l’Hérault, Alais, dans le Gard et Carmaux, dans le Tarn. Réunis, ces trois bassins disposent d’un potentiel d’extraction de trois millions de tonnes qu’ils peinent à placer, faute de pouvoir s’appuyer sur un tissu industriel dense. Cependant, ces ressources intéressent peu les sidérurgistes creusotins.
63Seules les mines de Carmaux sont essentielles avant l’achèvement des installations portuaires. Illustrant le fait que le recours au charbon de Carmaux est censé n’être que temporaire, les ingénieurs chargés de la construction de l’usine ont pris le parti de concentrer l’ensemble des approvisionnements dans un dépôt capable d’accueillir les bâtiments de haute mer34. Car, en définitive, le Royaume-Uni est amené à devenir le principal fournisseur de houille. En privilégiant la construction d’une usine littorale, Le Creusot a assuré la sécurité de l’alimentation charbonnière de Cette. Le combustible anglais supporte un fret plus lourd que le prix de transport des charbons allemands livrés aux usines de Meurthe-et-Moselle. En contrepartie, Schneider se place à l’abri des prétentions éventuelles des syndicats charbonniers allemands35. Les compagnies minières britanniques ne vendent pas le charbon à meilleur marché, mais elles sont nombreuses et ne s’appuient pas sur une organisation commerciale structurée36.
64Dans ces conditions, à l’exception de ceux du Pays de Galles, les charbons britanniques ne subissent pas l’élévation des prix qui touche les combustibles continentaux et connaissent des cycles beaucoup moins brutaux que les charbons français37. En tout état de cause, l’approvisionnement en charbon de la nouvelle usine soulève moins de difficultés que pour les matières premières. Avec le concours de minerais à haute teneur en fer, la consommation de coke des hauts fourneaux est beaucoup moins élevée, à production équivalente, que celle des établissements lorrains qui traitent des minerais d’une teneur inférieure à 40 %.
65La relation entre l’usine et son espace doit contribuer à sa réussite. L’insistance à s’orienter vers cette voie semble découler d’une double volonté : dépasser les difficultés de circulation des matières rencontrées à la plate-forme du Creusot et ne pas être confronté à un personnel trop important. La nouvelle usine sert de laboratoire à une organisation du travail et de l’espace qui se démarque radicalement des habitudes creusotines. Construites à partir d’études qui s’appuient sur les derniers progrès de la sidérurgie38, les Forges de Cette s’illustrent par leur modernité et leur très grande superficie. L’objectif consiste à réduire le prix de revient sans pour autant, faute de pouvoir s’appuyer sur un marché aussi important, ériger des hauts fourneaux aussi gigantesques que ceux des États-Unis et, dans une moindre mesure, du Royaume-Uni. Pour ce faire, une mission d’études est chargée de réunir une abondante documentation39 qui incite les ingénieurs creusotins à limiter la capacité de production de leur haut fourneau cettois à 200 tonnes, ce qui constitue déjà un objectif ambitieux pour la France. En raison de la particularité du site cettois, un terrain artificiel entouré d’une étendue d’eau, l’étang de Thau en l’occurrence, l’ingéniosité est de mise au moment d’ériger le premier haut fourneau et ses installations annexes. La fondation des quatre Cowper, d’un poids unitaire de 1 000 tonnes, la cheminée de 75 mètres et le haut fourneau sont construits sur pilotis. Le béton des fondations est armé avec des chaînages en fer40. Le rapport à l’espace offre un contraste saisissant avec l’exiguïté de l’emplacement des hauts fourneaux creusotins. La circulation des matières au sein de l’établissement focalise l’attention des concepteurs. De puissants appareils mécaniques sont censés faciliter le déchargement des navires, la manutention des matières premières et des produits fabriqués, afin de réduire autant que possible le nombre de manœuvres41.
66Depuis le dépôt des matières premières jusqu’à l’aire de stockage des produits finis, les matières circulent sans jamais revenir en arrière. Quant au chargement du haut fourneau, il est prévu pour limiter les reprises en stocks, ce qui conduit les concepteurs de l’usine à ne pas adopter le traditionnel monte-charges incliné des usines américaines, pour pouvoir supprimer le recours au skip. Les bennes de transport sont à fond mobile. Chargées dans les aires de stockage, elles sont tractées par une locomotive électrique, jusqu’au pied du haut fourneau. Elles sont ensuite hissées par une grue jusqu’au sommet du haut fourneau. Ainsi, le minerai et le coke ne sont jamais transvasés. Toutes les matières parviennent sous le monte-charges par deux voies, une pour le coke, l’autre pour le minerai. Les bennes sont alors accrochées au palonnier du treuil électrique du monte-charges. Elles sont élevées à la hauteur du gueulard, emmenées au-dessus de celui-ci où elles heurtent un butoir qui ouvre automatiquement leurs portes.
67La création des Forges de Cette illustre bien l’intérêt qu’Eugène II porte aux préoccupations sidérurgiques. Plus que son père, il entend redonner à son entreprise le lustre qu’elle a progressivement perdu depuis la fin des années 1870. Aussi ne se contente-t-il pas d’un projet visant uniquement à approvisionner en fonte les aciéries du Creusot. Il reprend la vente de demi-produits partiellement délaissés au milieu des années 1880. Eugène II décide en fait de relancer la production de fonte, d’acier et de produits sidérurgiques marchands.
68C’est essentiellement dans le sud de la France que Le Creusot espère placer ses fontes, puis ses demi-produits cettois. Le marché italien semble aussi particulièrement prometteur. La production de fonte y reste limitée à de faibles quantités. En 1898, il n’existe pas encore de haut fourneau au coke en Italie. La production de fonte est circonscrite à trois hauts fourneaux au bois qu’un quatrième est sur le point de compléter42. Au moment de décider d’implanter une usine à Cette, en 1898, les fontes hématites importées en Italie représentent annuellement 70 000 tonnes, en provenance du Royaume-Uni. Schneider espère conquérir plus de 40 % de ce marché. C’est aussi en Italie qu’il pense pouvoir placer, par la suite, une quantité importante de produits laminés. Les aciéries de Terni, partenaires traditionnels de l’entreprise en Italie, sont effectivement intéressées par les sollicitations du Creusot. Cependant, elles jugent trop élevées les prétentions tarifaires. Lorsque l’usine de Cette est mise en feu, aucun accord n’est encore intervenu entre les deux entreprises.

Figures 47 et 48 – Vues d’ensemble des usines de Cette (Fonds auteur)

Figure 49 – Système de déchargement et de stockage des matières premières à Cette
69D’un point de vue commercial, les balbutiements de l’usine de Cette ne sont pas sans entraîner des préjudices importants pour l’usine du Creusot. Le transfert de la production de fontes supérieures s’effectue alors que Le Creusot est engagé dans la fabrication d’importantes commandes de matériels d’artillerie destinées à la Russie qui impliquent le recours aux fontes hématites cettoises. Mais il ne s’agit que d’un besoin temporaire.
70Entre la prise de décision et les débuts de la réalisation du projet, les conditions commerciales connaissent une évolution négative qui bat en brèche l’optimisme des prévisions.
71Le marché italien s’avère peu porteur. Il se ferme rapidement, en raison de la protection que l’État italien accorde à son industrie sidérurgique naissante. C’est d’abord à la SA Alti Forni e Fonderia de Piombino d’être créée en 1897. Elle met en feu son premier haut fourneau au bois dès 1899. Quelques mois après que les Forges de Cette ont dépassé le stade de projet, la société métallurgique « Elba » est fondée. Le 2 août 1902, elle allume son premier au fourneau au coke43. Les conditions offertes à la société italienne sont beaucoup plus favorables que celles dont bénéficie Cette. Les exploitants des mines de fer de l’île d’Elbe sont tenus de lui livrer leur minerai hématite à un prix défiant toute concurrence. C’est sur un minerai proche, situé essentiellement sur la côte orientale de l’île d’Elbe, que peuvent compter les sidérurgistes italiens.
72Par conséquent, en l’espace de quelques années, les Forges de Cette ont perdu une de leurs principales justifications. Face à la perte du marché italien, Schneider et Cie se retrouvent en porte-à-faux. Ils ne peuvent empêcher la création de l’Elba et doivent même devenir, pour des raisons commerciales, des partenaires d’une société dont l’existence met en péril un de leurs établissements. Les établissements Schneider et Cie sont conduits à prendre 8 % du capital d’une entreprise qui vient briser leur propre tentative de redéploiement des activités sidérurgiques creusotines44.
73Autre perspective peu encourageante, pourtant perceptible avant même le choix d’édifier une usine à Cette, les fontes hématites voient leur champ d’application se contracter. Elles sont de plus en plus confinées à l’élaboration de produits spéciaux alors que les usages des fontes bon marché ne cessent de s’étendre45. En quelques années, les bandages de roues de locomotives et de wagons, les profilés et tôles pour constructions navales qui exigeaient autrefois l’emploi exclusif de fontes hématites dans les fours Martin peuvent être obtenus à partir d’un mélange des fontes hématites et de fontes phosphoreuses. Par conséquent, malgré la reprise de l’activité sidérurgique, la production de fontes hématites stagne. Leur utilisation devient de plus en plus limitée et ceci d’autant plus qu’outre l’extension des possibilités d’emploi des aciers courants, la sidérurgie électrique se développe. L’analyse du marché des fontes hématites a été particulièrement médiocre et la plupart des anticipations s’avèrent erronées.
74Parallèlement, les établissements sidérurgiques de l’Est profitent de l’abaissement des coûts de transport pour développer leur rayon de vente dans le Sud de la France. À l’époque de la mise en feu du haut fourneau cettois, Longwy établit un dépôt à Marseille46, en contradiction avec les accords conclus en 1896. Les Forges de Cette perdent encore un territoire protégé.
75Dans ces conditions, l’écoulement de la production de fonte hématite de Cette, en dehors des commandes de l’usine du Creusot, demeure particulièrement aléatoire. Pendant l’exercice 1903-1904, les ventes au commerce s’élèvent seulement à 9 300 tonnes, soit 3 075 tonnes vers l’aciérie italienne de Terni47et 6 073 tonnes en France, essentiellement vers le Nord. Le reliquat, négligeable, est expédié au Japon. Dans le même temps, les besoins de l’usine du Creusot pour ce type de fonte restent limités à 18 000 tonnes. Avec un débouché de 27 300 tonnes, soit une production journalière moyenne de 76 tonnes, l’écart par rapport à la capacité de production quotidienne de 200 tonnes, est considérable. Il était pourtant prévu que l’usine, au cours de la première période, produise 70 000 tonnes de fonte par an, dont 26 000 tonnes destinées à l’usine du Creusot, 15 000 tonnes au commerce français et 29 000 tonnes en Italie. L’écart entre les prévisions et les réalités commerciales immédiates soulève des interrogations quant à l’avenir des Forges de Cette48. En fait, il n’existe plus de courant commercial d’envergure pour les usines qui traitent seulement les fontes. Seul le marché des aciers est réellement porteur, situation logique puisque la plupart des usines associent hauts fourneaux et aciéries.
76Pour autant, les problèmes commerciaux restent secondaires par rapport à l’état de l’usine. Le fonctionnement des installations cettoises est particulièrement chaotique. Le haut fourneau devient une source de préoccupations récurrentes.

Figure 50 – Haut fourneau du Cette au moment de son inauguration (extrait du Génie civil)
À gauche, les quatre Cowper. Au centre, l’armature métallique du haut fourneau et à droite, la base du monte-charges.
77Après une mise en feu réussie le 16 avril 1902, l’allure normale n’est jamais atteinte, en raison des arrêts qui se multiplient. La production reste médiocre même lorsqu’elle n’est pas subordonnée aux ventes. Initialement, il était prévu que six semaines seraient nécessaires avant de parvenir à un roulement à pleine charge. Lorsque cette échéance arrive à son terme, la production n’atteint encore que 60 à 70 tonnes de fonte par jour.
78Les propositions des différents cadres du Creusot qui viennent diagnostiquer les pathologies dont souffre le malade cettois n’entraînent aucune amélioration du fonctionnement de l’usine. Dès 1903, l’usine subit des réparations qui dépassent le simple entretien des installations existantes. Au terme de la première année de roulement, Divary signale que :
« Il est incroyable qu’une usine ait pu être mise en si piteux état après 8 mois de marche seulement ; mais il faut dire que l’installation péchait en général par des détails, ou trop faibles ou peu pratiques, et que les travaux, mal conduits et mal surveillés, avaient été exécutés en dépit du bon sens ; si nous ajoutons qu’à chaque accident de matériel qui se produisait, on n’apportait aucun remède immédiat, nous ne serons plus surpris du résultat atteint en si peu de temps49. »
79En 1903, onze réparations d’envergure nécessitent chacune au moins une semaine d’arrêt du haut fourneau. Les différentes déficiences qui se manifestent, conduisent, entre autres, à la réfection complète du creuset, de l’ensemble des Cowper, de l’armature du haut fourneau mal boulonné et insuffisamment arrosé. Quant à la réparation du gueulard, elle provoque trois semaines d’interruption des coulées. La remise en état ne se cantonne pas au haut fourneau. Elle gagne l’ensemble des constructions et notamment la batterie de 36 fours à coke. Entre-temps, l’installation s’est surtout signalée par des résultats catastrophiques.
80La durée de la cokéfaction s’éternise pendant 43 heures. À partir d’un charbon identique, l’opération ne dure que 21 heures au Creusot. En outre, le rendement des fours de Cette atteint à peine 60 %, pour un résultat théorique qui devrait se situer à près de 75 %. Un phénomène pour le moins original explique partiellement les difficultés rencontrées au cours du réglage de la batterie. Un vent violent souffle régulièrement sur l’étang de Thau. Il s’engouffre dans les fours à coke et fait se consumer une partie du coke en cours de fabrication50. À cela s’ajoutent les conséquences imprévues de ce vent qui fait descendre le niveau de l’étang de Thau, ce qui ne peut qu’affecter l’îlot artificiel qui vient à peine d’être achevé et sur lequel repose l’usine51. Un autre problème de taille qu’on pensait avoir résolu sans difficulté devient en fait insoluble. En raison de la rareté de l’eau douce, c’est à l’eau de mer qu’est effectué le refroidissement des tuyères. Rapidement, les algues participent aussi à la tentative pour repousser la présence du Creusot puisque, malgré les filtres, elles s’immiscent sans cesse dans les canalisations de l’usine.
81Le fonctionnement particulièrement médiocre des installations n’est qu’une des causes des difficultés que connaît l’usine. Le site, dans son ensemble, présente des carences importantes. Tant que le port n’est pas achevé, le système de transport et l’organisation des dépôts se transforment en un goulet d’étranglement. L’aménagement des voies de l’usine a aussi pris du retard par rapport aux constructions industrielles :
« Malheureusement le haut fourneau est trop difficilement et trop irrégulièrement débarrassé de sa production de fonte et de scories pour songer en l’état actuel des voies ferrées et des locomotives, à l’augmenter ne fut-ce que d’une tonne… Ce qu’il y a de plus urgent à faire maintenant, c’est de donner à l’usine de Cette les moyens de recevoir les marchandises qui lui viennent et d’expédier ses fontes au dépôt ou ailleurs. Vous n’avez pas une idée de l’encombrement des voies par des wagons pleins ou vides, j’ai vu des wagons du Midi [compagnie de chemins de fer] qui stationnent dans l’usine depuis 10 jours… si on avait affaire au PLM, il y a longtemps que la corde aurait cassé52 ! »
82Bassal, le chef de service des hauts fourneaux du Creusot, se montre très critique quand il décrit les premiers mois de fonctionnement de l’usine de Cette :
« Là où il y a beaucoup à faire, je crois, c’est dans l’organisation des manœuvrages ; les hommes ne sont pas très travailleurs et de plus ils sont souvent dérangés par des manœuvres de wagons nécessaires pour dégager les voies. Il faut employer des quantités d’hommes considérables pour faire en somme, peu d’ouvrages. Je crois qu’il sera assez long de sortir de cette situation à cause des stocks énormes de coke et de minerai53. »
83Cependant, la médiocrité de l’organisation de l’usine n’est pas uniquement liée au manque de pratique de la main-d’œuvre locale, idée que tentent de faire accréditer les établissements Schneider et Cie, au moment de la liquidation de l’usine. Divary signale, quelques mois après l’inauguration de l’usine :
« Organisation. Il y aurait ici beaucoup à dire. Sans doute il faut tenir compte des difficultés d’une mise en marche où tout est à créer mais maintenant il doit être possible d’améliorer le fonctionnement des rouages indispensables à la bonne marche de l’usine. Mon impression est qu’il y a trop de chefs, surtout trop de petits chefs où l’autorité s’égare et s’atrophie, qui croient se faire valoir en proposant à tout bout de champ des dépenses plus ou moins justifiées, souvent moins que plus, et qui se tirent les uns sur les autres au grand détriment du service… Pour le personnel ouvrier, tout le monde embauche… ; il y a donc dans toutes les parties de l’organisation, un manque d’unité et de coordination qu’il est indispensable d’obtenir le plus rapidement possible54. »
84À ce propos, Maurice Gény signale, quelques mois après l’inauguration de l’usine, que :
« Nous ne devons certes pas fermer les yeux sur les difficultés de la situation, une usine dont le succès dépend presque absolument de la réduction de la main-d’œuvre, pourvue d’une organisation mécanique très perfectionnée à mettre au point, dans un pays où les ouvriers sont rares et de qualité médiocre mais d’autre part, la collaboration constante et dévouée de tous les services du Creusot, l’aide morale et matérielle apportée par tous les agents de la maison, l’importance des sacrifices financiers consentis pour l’installation et la mise au point n’ont pas manqué pour contrebalancer les conditions défavorables du début55. »
85Le principal facteur de restauration de la paix sociale est lié à l’arrivée plus massive de la main-d’œuvre creusotine, afin de former le personnel local mais aussi et surtout pour constituer des exemples que sont censés imiter les Cettois. Cette politique était prévue, mais elle gagne des secteurs de l’usine dont l’importance avait échappé aux concepteurs. Même le déchargement et le rechargement des wagons sont organisés par les Creusotins qui forment un noyau d’ouvriers locaux pour organiser de manière plus efficace les manutentions.
86Une reprise en main est effectuée en 1903. Elle vise surtout à faire accepter la relation que les établissements Schneider et Cie entretiennent avec leur personnel :
« Toutes ces mesures ont rétabli l’ordre indispensable au bon fonctionnement de l’Usine et donné aux ouvriers la confiance qu’on ne cherchait pas à les exploiter ; d’autre part, l’assurance d’un travail journalier, régulièrement assuré, leur a fait accepter le travail à la tâche, de sorte que, à moins d’une influence extérieure toujours à redouter cependant, ce personnel est devenu aussi docile et malléable à CETTE qu’au CREUSOT56. »
87Cette note est en complète contradiction avec l’ensemble des informations qui remontent au Creusot depuis Cette.
88De son côté, le Contrôleur général Julliotte signale combien les Creusotins sont accueillis avec méfiance57. Malgré leurs efforts, les conditions d’exploitation de l’usine restent déplorables, ce qui signifie que la poursuite de la réalisation du programme de travaux primitifs expose l’entreprise à de très grands risques financiers.
Abandon et démantèlement de l’usine cettoise
89Bien que l’usine ne soit encore qu’en période d’essais, Eugène II et Maurice Gény décident de reporter les étapes ultérieures de la construction. Ils entendent se faire une idée plus précise des difficultés commerciales que rencontre l’usine et clarifier les problèmes liés au personnel local. Le programme de construction en quatre étapes qui a débuté en 1898 n’aurait pourtant dû s’achever qu’en 1910. Seule la première phase a déjà été menée à son terme. Au cours de la deuxième période, la construction d’un nouveau haut fourneau, en raison des travaux déjà réalisés, ne représente plus qu’une dépense de 2 500 000 francs, contre 6 700 000 francs pour le premier. Mais avec le deuxième haut fourneau, l’usine doit aborder la période du laminage, ce qui implique la construction de l’aciérie et de la forge, soit une dépense supplémentaire estimée à 10 500 000 francs.
90L’écart entre les prévisions et les travaux déjà réalisés fait craindre que les conditions d’exploitation des Forges de Cette ne se dégradent encore. Entre 1899-1900 et 1903-1904, les dépenses de constructions s’élèvent à plus de sept millions de francs, montant équivalent à celui des ateliers d’électricité de Champagne-sur-Seine et d’artillerie du Havre, les deux autres grands chantiers contemporains. Les coûts de construction et les pertes accumulées deviennent une source d’inquiétudes, au sein d’une entreprise lancée dans un important programme de transformations.
91Le maintien des Forges de Cette n’est pas envisageable si elles sont cantonnées à la production de fonte. L’usine porte un titre équivoque dès qu’il est acquis qu’aucun travail de transformation ne peut avoir lieu. En 1904, le Contrôleur général Julliotte signale :
« De quelque côté qu’on retourne la question, les Forges de Cette ne sont pas viables, ni aujourd’hui, ni plus tard, même en supposant que de temps en temps, une ou deux années de prospérité leur permettent de s’en tirer avec profit… Il faut immédiatement 1° abandonner Cette ; 2° négocier la résiliation totale de nos marchés à Carmaux ; 3° mettre en feu un 4e fourneau [au Creusot], à moins de trouver une combinaison nous permettant de réaliser notre programme général avec trois fourneaux58. »
92Les événements qui se succèdent à Cette au cours des mois suivants viennent apporter de nouveaux arguments en faveur de la fermeture de l’usine. En 1904, le roulement de l’usine se dégrade encore. Des problèmes de conception assez graves nuisent toujours au développement de la production. Au point de vue technique, le système de chargement mécanique des matières par la voie terrestre demeure la principale faiblesse de l’installation, en raison du retard pris dans l’achèvement des voies ferrées. Quant au transport maritime, il débute modestement, loin des espérances initiales. La marche avec un seul fourneau ne peut être que précaire. L’état du haut fourneau se dégrade toujours et laisse rapidement apparaître des faiblesses de structures préoccupantes. Une première alerte sérieuse survient en avril 1904. Le Creusot est obligé d’envoyer en hâte Édouard Saladin, ingénieur conseil de l’entreprise pour les questions minières et métallurgiques, afin de sortir l’usine d’une mauvaise posture. La conduite mal assurée du haut fourneau entraîne un engorgement du creuset. En posant une série de tuyères de secours, de l’air est insufflé au malade. L’accident est évité de justesse et le sauvetage du haut fourneau semble réussi59.
93Mais ce n’est qu’un répit pour la direction de l’usine désormais confrontée à une grève. Elle débouche sur l’interruption complète du travail, accompagnée de la mise hors feu précipitée du haut fourneau, dans des conditions peu compatibles avec sa remise en feu ultérieure. À la suite de la grève, le Contrôleur général Julliotte signale : « Nous subirons la loi de la main-d’œuvre indigène et c’est là une inconnue impossible à dégager60. »
94La crise sociale qui frappe les Forges de Cette s’étend au-delà de l’enceinte de l’usine. À peine résolu, le conflit trouve un relais dans le port. Les grévistes des Forges de Cette reçoivent le concours des dockers qui, par solidarité, décident la mise à l’index de l’usine Schneider. En pratique, les ouvriers portefaix refusent de manutentionner ses produits. Dans le même temps, ils autorisent les ouvriers non réintégrés à décharger quelques bateaux.
95La reprise des travaux fait ressortir une fragilité accrue des installations. Le redémarrage du haut fourneau, après le refroidissement dû à la grève, met à nouveau en exergue l’état calamiteux de l’ensemble de la structure. Les fissures se sont multipliées à la suite du sauvetage de mai et de la grève. Les percées de fontes se manifestent désormais à un rythme accéléré, presque quotidien, à travers la maçonnerie disloquée. Afin de ne pas accentuer la détérioration des conditions de sécurité et faute de pouvoir reprendre la procédure de sauvetage déjà employée, la décision est prise conjointement par Saladin et Bassal d’arrêter le haut fourneau sur-le-champ, sans avoir l’espoir de le remettre en feu61.
96L’abandon est suivi de la destruction rapide du haut fourneau. En septembre 1904, les ferrailleurs s’attellent au démantèlement de la charpente métallique. L’ensemble de la structure ainsi que les quatre Cowper sont démolis, avant la fin du mois de mars 1905.
97L’avenir de Cette reste encore en suspend car les marchés en cours et les stocks représentent l’équivalent d’une production de 150 000 tonnes de fontes hématites, notamment en charbons et coke de Carmaux et en minerais de fer de Fillols (Pyrénées-Orientales). C’est l’équivalent de plus de deux ans de roulement à pleine charge, pour lesquels il est difficile d’obtenir une résiliation sans subir de lourdes pénalités.
98Avant l’arrêt du haut fourneau, les houillères de Carmaux ont consenti à d’importants sacrifices. Elles ont été amenées à consacrer de lourds investissements à l’édification d’une batterie de fours à coke destinée à l’alimentation des Forges de Cette. Au moment où la pérennité de l’usine sidérurgique est menacée, Carmaux accepte provisoirement un abaissement de 2,50 francs par tonne de coke, mesure qui n’est d’ailleurs pas sans présenter des effets pervers puisque, dans le même temps, la mine refuse d’abaisser le prix de ses houilles. Dans ces conditions, c’est la présence des fours à coke aux Forges de Cette qui n’est plus intéressante. La tonne produite à Carmaux revient, prête à être consommée, à 30,87 francs contre 35,80 francs pour la production sur place, sans qu’il n’y ait la moindre valorisation des gaz en excédent, ni aucune récupération des sous-produits.
99Le peu d’enthousiasme manifesté en vue de poursuivre l’expérience cet-toise tient aussi à l’évolution des conditions énergétiques, avec la possibilité de valoriser les gaz des hauts fourneaux. Il a fallu moins de deux ans pour comprendre que certaines orientations stratégiques définies en 1898 étaient erronées.
100En effet, à la dégradation des conditions économiques de l’usine de Cette s’ajoute un argument qui plaide en faveur du maintien voire de la relance de la production de fonte au Creusot. L’entreprise s’est constamment illustrée par sa politique énergétique économe en combustibles. Elle ne peut que suivre les progrès enregistrés auprès des autres sites sidérurgiques. Avec la multiplication des établissements situés sur le minerai, éloignés des houillères, les ingénieurs de la fin du xixe siècle se sont penchés sur la possibilité de réduire la quantité de charbon consommé. La valorisation des gaz de hauts fourneaux et de cokeries semble constituer une voie encourageante pour diminuer la quantité de coke brûlé et mettre en mouvement les laminoirs de la forge. Ainsi valorisés, les gaz des hauts fourneaux ne servent plus uniquement, comme par le passé, à chauffer l’air insufflé par les tuyères mais aussi à produire de la force motrice62. Cette technique connaît des progrès fulgurants au début du xxe siècle, à la suite d’études menées depuis 1894. La Société Cockerill rencontre une première réussite, de modeste envergure, en décembre 1895, avec la mise en marche d’un moteur à gaz d’une puissance limitée à huit chevaux. Elle poursuit ses recherches en vue d’apporter à l’invention une application industrielle. C’est chose faite dès 189863. Lors d’un congrès de l’Iron and Steel Institute qui se déroule en mai 1898, Greiner, Directeur général de la Société John Cockerill annonce aux participants qu’il est parvenu à faire fonctionner, sans dysfonctionnement majeur, deux moteurs à gaz d’une puissance respective de 200 et 600 chevaux. Entendant profiter de l’antériorité de leurs acquis, les usines de Seraing se font les promoteurs de leur innovation. Elles présentent d’ailleurs un de ces moteurs de 600 chevaux au cours de l’Exposition universelle de 1900. C’est une voie royale qui s’ouvre devant les ingénieurs européens64.
101À l’origine, les propos d’Adolphe Greiner ne rencontrent pas un écho particulier au sein des usines du Creusot. Pourtant, il est incontestable que, dans un avenir proche, l’utilisation des gaz de hauts fourneaux est amenée à devenir une source essentielle de production de force motrice65. L’invention du moteur à gaz de hauts fourneaux ne peut que fragiliser davantage l’usine de Cette, dans la mesure où celle-ci se trouve dans l’incapacité de valoriser les gaz de son haut fourneau, en dehors de la traditionnelle alimentation des appareils destinés à chauffer le vent.
102C’est une nouvelle conséquence de la marche avec un haut fourneau, incapable notamment d’être accompagné d’une production de gaz régulière. L’absence d’ateliers de transformation n’impose pas non plus la présence des moteurs à gaz. Dans le même temps, devant la lenteur des Forges de Cette à répondre aux attentes de la compagnie, les usines du Creusot sont contraintes d’envisager de nouvelles orientations pour préparer la reprise de la production de fonte, sans pour autant remettre en cause, comme ce fut le cas au cours des années précédentes, la régularité des approvisionnements. Perdus à Cette, les gaz de hauts fourneaux et de fours à coke sont utilisables au Creusot, pour fournir la force destinée à actionner les trains de laminage, sans qu’un appoint considérable de charbon ne soit nécessaire. L’installation d’une station avec moteurs à gaz est amenée à réduire progressivement la consommation de houille pour vapeur.
103Dans de telles conditions, il est avantageux de fabriquer sur place le métal qui doit être ensuite transformé au Creusot. Quelques années après les premières applications du moteur à gaz, l’économiste J. Lescure en précise les conséquences.
« Une découverte toute récente vient d’ajouter encore aux supériorités techniques de l’entreprise intégrée : c’est l’utilisation des gaz des hauts fourneaux comme force motrice. Ces gaz, il y a dix ans à peine, s’échappaient encore dans l’air libre, ou étaient utilisés simplement pour chauffer les chaudières à vapeur. De nos jours, ils sont soigneusement captés ; et ces nouveaux prisonniers de l’homme travaillent désormais à actionner des souffleries, des turbines électriques, des trains de laminoir. Ces combinaisons sont évidemment impraticables pour une entreprise non intégrée. Au point de vue technique, l’intégration présente donc de très notables supériorités66. »
104Autre facteur qui milite en faveur de l’appropriation de la technique des moteurs à gaz, les établissements Schneider et Cie engrangent rapidement les premières commandes pour l’assemblage de ces équipements destinés aux usines sidérurgiques. En raison de la participation de Schneider et Cie au capital de la société Wendel et Cie, l’usine de Jœuf reçoit les premiers moteurs à gaz fabriqués par les ateliers creusotins67. Ainsi, en l’espace de quelques années, la question charbonnière qui paralysait le développement de l’usine creusotine est partiellement résolue, ce qui modifie complètement l’attitude des dirigeants de l’entreprise. La valorisation des gaz de hauts fourneaux favorise leur maintien au Creusot et vient lever un obstacle à l’implantation en Lorraine. Les besoins charbonniers doivent se réduire aux seules fines à coke.
105En 1905, la décision d’abandonner définitivement le site cettois se trouve confortée. Divary, Ingénieur en chef du service des Hauts Fourneaux et Aciéries, rédige un rapport de voyage portant sur l’étude des matériels présentés lors du Congrès de la métallurgie de Liège. Il décrit notamment la diffusion rapide des moteurs à gaz. Après la question de leur fabrication est soulevée celle de leur utilisation au Creusot. L’intérêt d’une reprise d’activité des hauts fourneaux devient évident. Le recours à quatre hauts fourneaux remet moins en cause la sécurité des approvisionnements de combustibles. Les tensions restent fortes en 1906-1907. Mais, à plus long terme, les économies d’énergie engendrées par l’emploi des gaz de hauts fourneaux sont importantes. Les machines soufflantes nécessaires pour insuffler de l’air chaud dans les hauts fourneaux n’absorbent que 2 100 mètres cubes de gaz par heure, ce qui laisse un excédent de 24 400 mètres cubes. Les gaz des quatre hauts fourneaux représentent une force potentiellement disponible de 8 000 chevaux68. Dès juillet 1909, deux groupes alternateurs avec moteurs à gaz de 1 200 chevaux donnent pleine satisfaction69. De leur côté, Schneider et Cie s’appuient sur leur laboratoire et les compétences des sidérurgistes creusotins pour entamer des recherches originales et, dans une certaine mesure, couronnées de succès. Ils étudient un certain nombre de solutions pour réduire, au Creusot, la consommation de coke dans les hauts fourneaux.
106Depuis 1901, les ingénieurs du service des HFA obtiennent des résultats significatifs en se penchant sur l’état hygrométrique des vents des hauts fourneaux. En 1905, Divary fait, à ce propos, une intervention remarquée lors du Congrès de Liège70.
107Au Creusot, l’abandon momentané d’une partie de la production de fonte est venue aussi rappeler que la logique d’intégration sur place possédait toujours de nombreux atouts. L’usine littorale était née en raison de la pression qui s’est exercée à l’encontre des approvisionnements charbonniers. Mais produire la fonte à Cette, la convertir en acier au Creusot, cela impose un réchauffage supplémentaire et les dépenses de combustibles afférentes.
108L’interruption des travaux aux Forges de Cette entraîne une réaction immédiate de la direction de Schneider et Cie. Après l’arrêt de Cette, l’usine du Creusot perd son unique source d’approvisionnement en fonte hématite. Dans un marché où les capacités de production excèdent largement les possibilités de la consommation nationale, alors que de nombreux interlocuteurs disposent de capacités de production sous-utilisées, Schneider et Gény privilégient toujours le maintien de l’indépendance, au détriment des considérations économiques. Ils décident le retour, temporaire dans un premier temps, de la production de fonte hématite. La reconstruction d’un haut fourneau au Creusot est entamée dans les plus brefs délais. Elle est facilitée par l’expédition rapide des principaux organes du haut fourneau de Cette. Dès le mois de mai 1905, le nouvel édifice est en état de fonctionner grâce à deux machines soufflantes et à deux chaudières récupérées à Cette.
109D’un point de vue technique, cette solution est favorable à la bonne marche de l’ensemble des hauts fourneaux du Creusot puisqu’elle atténue les aléas de fabrication. En outre, avec une production unitaire de 75 tonnes de fonte, les hauts fourneaux du Creusot disposent d’une faible capacité par rapport aux appareils des entreprises concurrentes. Pour que la production soit adaptée aux besoins des usines, ils fonctionnent par séries de brèves campagnes pour l’élaboration de fontes spécifiques. Mis en activité, le haut fourneau n° 8 est destiné à la fabrication des fontes hématites et d’une petite quantité de fonte d’affinage. Les trois autres appareils roulent constamment en mode déphosphoration. La reconstruction d’un nouveau haut fourneau entraîne d’ailleurs l’adoption des dernières innovations qui préfigurent la modernisation de l’ensemble de la plate-forme71.
110Pour que l’allumage d’un nouveau haut fourneau puisse s’effectuer, une partie des matières premières stockées à Cette doit être transférée au Creusot. Dans le cas des minerais de fer, cette solution ne présente pas d’inconvénients majeurs dans la mesure où la production de fontes hématites est obtenue avec les mêmes matières. Les quantités à déplacer ou acquérir restent cependant assez importantes. Les marchés avec les mines de Fillols représentent encore un minimum de 67 500 tonnes de minerais de fer pour lesquelles Le Creusot parvient à négocier une diminution, en 1905, alors que la fermeture de l’usine est désormais irréversible72. À ce tonnage s’ajoute quelque 35 000 tonnes en dépôt à Cette et les résidus de pyrites stockés sur place73. Après l’accord avec les mines de Fillols, l’ensemble des minerais et résidus de pyrites encore présents sur le site cettois ne constitue plus qu’une masse totale de 171 000tonnes, l’équivalent de 90 000 tonnes de fonte, à transférer progressivement.
111Les matières premières sont expédiées au Creusot en 1906 et 1907 pour être additionnées progressivement dans les lits de fusion, afin de lisser leur impact sur le prix de revient. Une note de 1910 signale que l’enlèvement du minerai touche à sa fin. La faible valeur des pyrites n’autorise pas leur envoi au Creusot.
112Par contre, 93 000 tonnes de combustibles et 72 000 tonnes de coke restent encore à acquérir, au terme des engagements pris envers les mines de Carmaux. Leur réception n’est pas envisageable car elle fait ressortir un coût supplémentaire de près de 11 francs/tonne par rapport au coke de la Loire. Faute de pouvoir expédier ses produits au Creusot, Carmaux demande une importante indemnité. Le charbon et le coke de Carmaux destinés à Cette ne sont pas expédiés au Creusot. Cependant, par la suite, quelque 19 000 tonnes de coke métallurgique de Carmaux sont commandées par Le Creusot, au moment de l’allumage du nouveau haut fourneau ; les mines de la Loire ayant déjà engagé l’ensemble de leur production74.
113Pour Schneider et Cie, l’impact psychologique du revers cettois est lourd à surmonter. Les conséquences morales, au sein de l’entreprise, pèsent sur tous les Creusotins qui ont été des acteurs de l’édification et de la marche du haut fourneau. Dès le début du fonctionnement des installations, ouvriers et contremaîtres envoyés sur place n’ont pas caché leur dépit devant la paralysie des travaux.
114Afin d’éliminer le plus rapidement possible les traces de cet échec, outre la destruction rapide d’une partie des installations et le transfert au Creusot de tout ce qui peut être utilisable, une chape de plomb tombe sur les affaires qui concernent le site cettois. Les rapports annuels dans lesquels Eugène II dresse, aux actionnaires de sa société, le bilan du fonctionnement de son entreprise sont, par leur silence, éloquents.
115Dans le but d’atténuer l’impression désastreuse créée par l’abandon de Cette est évoquée, pour la première fois, la possibilité d’implanter une usine dans un lieu qui est resté tabou pour des considérations stratégiques. Il est désormais admis que la Lorraine non-annexée est amenée à devenir le centre unique de la production métallurgique lourde, en France. C’est ce que traduit un article paru en 1908 dans la presse financière :
« Il ne semble pas que la direction ait su du premier coup s’orienter du bon côté. Elle commença par rencontrer à Cette un insuccès complet… En un mot l’usine de Cette, qui ne resta allumée que quelques mois, fut une faute grave et coûta plusieurs millions à la société… Enfin, d’après ce que nous disions plus haut, la direction se préoccupe actuellement de créer une usine de sidérurgie proprement dite en Lorraine. C’est évidemment par là qu’il eut fallu commencer… Le Creusot disposait de ressources suffisantes pour suivre cette voie, il est regrettable qu’il en ait gaspillé une bonne part dans des créations d’un intérêt douteux. »
116Pour avoir eu la témérité de contrarier un processus qui semblait inéluctable, en tentant de fonder ailleurs qu’en Lorraine un nouvel établissement sidérurgique, Le Creusot a perdu beaucoup d’argent, mais a surtout retardé de plusieurs années la transformation indispensable de ses activités métallurgiques. Lors de son rapport aux actionnaires présenté à l’assemblée générale de novembre 1904 (exercice 1903-1904), le gérant de Schneider et Cie précise ses intentions quant à la recherche de solutions de rechange :
« Une telle situation ne saurait modifier notre programme général qui subsiste dans son intégralité : le déplacement de notre industrie lourde courante s’impose, en effet, de plus en plus. C’est une nécessité industrielle, due à la position géographique du Creusot et à l’épuisement prochain de ses gisements miniers. Les circonstances économiques générales et locales, qui nous avaient fait choisir Cette se sont modifiées, mais notre programme est resté le même75. »
117Dans l’immédiat, pour limiter les conséquences des années perdues sur le littoral méditerranéen, le décalage entre la fermeture de Cette et la réalisation d’une usine sidérurgique dans l’Est implique une réaction rapide afin de ne pas motiver une attitude opportuniste de la part des fournisseurs de fonte. La riposte et l’atténuation des critiques sont favorisées par le fait qu’Eugène Schneider parvient à faire coïncider l’annonce de la fermeture de Cette, à l’automne 1904, avec la signature d’un important contrat décennal avec Wendel et Cie, pour la fourniture de fontes de Jœuf76. Le gérant du Creusot peut donner l’impression qu’il conserve intactes ses possibilités d’action. Une note préparant la mise en valeur progressive de la concession de Droitaumont et la construction d’une usine sidérurgique est rédigée en mars 1905. C’est un nouveau signe tangible de la volonté manifestée par Eugène II de redéployer les activités sidérurgiques de son entreprise.
118L’implication accrue des établissements Schneider et Cie dans la construction maritime, si elle ne voit pas le jour immédiatement, n’est que reportée. Mais à la création complète d’une usine, Eugène II préfère désormais renforcer les liens qui unissent son entreprise aux Ateliers de la Gironde, spécialisés dans la fabrication de navires de guerre et qui se sont lancés dans l’installation d’un bassin de mise à flot pour les navires d’un tonnage de 20 000 tonnes, ce qui correspond aux cuirassés. Après l’abandon de Cette, en 1905, Eugène Schneider échafaude, en 1907 et 1908, différentes stratégies pour prendre le contrôle total des Ateliers de la Gironde, par le biais d’une fusion reposant sur un échange d’actions77.
119À l’impact psychologique causé par l’échec de l’implantation cettoise, s’ajoute celui ultérieur lié à une démarche qui n’avait plus aucun sens pour Schneider et Cie78. Les incidents occasionnés par l’affaire de l’Ouenza reprennent alors que le haut fourneau cettois a été mis hors roulement depuis plusieurs mois. Avec la décision de ne pas poursuivre l’exploitation de l’usine littorale, l’intérêt pour les opérations minières n’a plus de raison d’être et pourtant, avec l’Ouenza, Le Creusot se trouve engagé dans un débat parlementaire qui dégrade l’image de l’entreprise. En 1908, les deux sociétés en conflit sont sur le point de parvenir à un accord qui permettrait à Muller et Cie, la société de courtage en minerai, d’être associés au projet au moment même où cette entreprise connaît quelques difficultés pour se porter acquéreur de minerai suédois. Par contre, la presse s’acharne sur Eugène II. La publication d’articles incendiaires redouble. Deux noms, deux affaires, sont désormais associés. Dans l’esprit du public, Ouenza prend des accents de Panama. La maladresse de certaines interprétations administratives, notamment le fait que le gisement, situé sur les terres du Domaine, soit classé parmi les mines et non les minières, provoque un rejet par la Chambre des projets de lois relatifs à l’Ouenza que le gouvernement lui soumet.
120Avec l’Ouenza, Eugène II considérait que la présence des sociétés étrangères était indispensable pour mettre en valeur le gisement et ne devait soulever aucune difficulté puisque la quasi-totalité du minerai de fer exploité en Afrique du Nord est déjà exportée vers les usines du Royaume-Uni et d’Allemagne. Cependant, la présence, au côté de Schneider, de deux sociétés sidérurgiques spécialisées dans les fabrications militaires, Cammel pour l’Angleterre et surtout Krupp pour l’Allemagne, est très mal perçue : « L’on voit déjà les minerais algériens transformés en canons et en obus destinés à semer la mort dans nos bataillons79. » Devant le maintien de pareille hostilité, Eugène II s’efface progressivement, mais doit attendre la Première Guerre mondiale pour perdre, dans une partie de l’opinion française, son statut de porte-étendard du Trust international de l’acier. Dès décembre 1909, il prévient Carbonel et le ministre des Travaux publics qu’il abandonne la présidence de la Société d’Études de l’Ouenza, profitant d’une maladresse du gérant pour quitter partiellement un navire qui menace de l’entraîner dans ses dérives. À cette époque, l’exploitation du gisement de l’Ouenza n’a plus de raison d’être. Le démantèlement de Cette est en voie d’achèvement. Outre l’affaire de l’Ouenza, Schneider et Cie portent toujours le fardeau des campagnes minières de 1898 à 1902, dans la péninsule Ibérique.
121Après l’abandon de Cette, il n’est plus envisageable de poursuivre les onéreux aménagements ferroviaires devant desservir les gisements de Conjuro et Moncorvo. Les tentatives pour revendre ou amodier les deux gisements se soldent par un échec. Seules quelques concessions de l’ensemble du Domaine minier de Moncorvo intéressent les sociétés de Biscaye qui profitent de la teneur en phosphore de ce minerai pour obtenir des fontes de moulage80. Elles semblent toujours figurer au sein du Domaine minier de l’entreprise pendant la Première Guerre mondiale. Leur trace se perd ensuite sans qu’il ait été possible de savoir si le gisement de Moncorvo, principale ressource de minerai de fer du Portugal, participe à l’alimentation des usines de la Société Normande de Métallurgie, que Schneider fonde en 1916. Quant aux mines de Conjuro, dont les ressources sont parfaitement reconnues et pour lesquelles les projets d’exploitation sont achevés, Schneider et Cie tentent d’en céder l’exploitation à la compagnie de Mokta, après que celle-ci a entrepris, sur place, quelques recherches concluantes81. La sidérurgie mondiale est alors en pleine expansion et l’affaire semble d’autant plus intéressante pour la compagnie minière que les sidérurgistes britanniques subissent toujours la raréfaction simultanée des minerais nationaux et de Bilbao. Ils reportent donc leurs espoirs vers le sud de l’Espagne.
Conclusion
122L’échec de l’implantation cettoise ne doit pas occulter les conséquences positives qui en ont découlé. Les regards des dirigeants du Creusot se tournent désormais vers la Lorraine autrefois dédaignée, ne serait-ce que pour estomper rapidement les effets psychologiques de la première tentative de modification de la géographie de l’entreprise. En août 1904, Julliotte note d’ailleurs : « Tout conspire donc aujourd’hui à faire de la Lorraine, malgré le péril de sa position géographique, le centre unique de la production métallurgique à grand tonnage en France. Et tant que les conditions actuelles subsisteront, il serait téméraire de fonder ailleurs de nouveaux établissements sidérurgiques82. » Mais cette expérience qui a tourné au fiasco a durablement atteint Eugène II. Après les premières années d’une gérance marquée sous le sceau d’une politique volontariste, il semble frappé d’une certaine indécision qui l’empêche de déterminer les orientations futures de la sidérurgie au sein de son entreprise. L’appareil décisionnaire mis en place depuis les débuts de l’entreprise montre alors ses limites. Il devient évident que le gérant des établissements Schneider et Cie se retrouve confronté à une entreprise d’une dimension telle qui parvient difficilement à lui donner une orientation stratégique claire. Le contexte technique ne facilite d’ailleurs pas la tâche du gérant. Si le départ d’une partie des activités sidérurgiques est clairement évoqué depuis le retour au Creusot des productions abandonnées lors du démantèlement de Cette, l’ampleur du transfert vers la Lorraine tarde à être précisément déterminée. Seule certitude, les traditions de croissance interne et d’élévation d’une nouvelle usine sont maintenues. De la production de fontes de déphosphoration transformées sur place en lingots d’acier Thomas à la construction d’une usine complète, le choix est vaste. Doit-on se contenter de déplacer une partie de l’activité du Creusot ou redonner aux établissements Schneider leur position dominante au sein de la sidérurgie française ? Ne doit-on regarder les productions sidérurgiques que comme un moyen d’assurer la sécurité des approvisionnements des différentes usines Schneider ou bien faut-il reconquérir une place dans le commerce des fontes et des aciers, comme cela fut envisagé au moment de la naissance des Forges de Cette ? Eugène II peine d’autant plus à s’exprimer face à ces questions qu’au sein de son entreprise les opinions et les intérêts divergent entre les partisans d’un redéploiement massif et les tenants d’un maintien d’activités qui apportent une certaine souplesse dans le fonctionnement des différents ateliers établis en aval de l’activité sidérurgique.
Notes de bas de page
1 Nous avons décidé de conserver l’orthographe antérieure de la ville de Sète.
2 Écho des mines et de la métallurgie, le 28 mars 1901.
3 Fonte à forte teneur en manganèse, destinée notamment à la fabrication de l’acier Thomas.
4 AFB, 01G0030-5, Archives de M. Gény, Programme de 1895, Julliotte, Acier Bessemer, 4 septembre 1895.
5 AFB, ASSP n° 443.
6 J.-F. Belhoste, Histoire des forges d’Allevard, op. cit., p. 166.
7 AFB, Acte sous seing privé entre les soussignés MM. Schneider et Cie, maîtres de forges au Creusot d’une part et M. Charles Pinat, agissant en qualité de gérant de la société en commandite par actions Pinat et Cie, propriétaire des hauts-fourneaux et Forges d’Allevard : « MM Schneider et Cie vendent à M. Pinat qui accepte, avec les conditions ci-dessus indiquées, l’ensemble de leurs domaines d’Allevard. Cela comprend toutes leurs concessions de mines, leurs immeubles bâtis ou non, leurs plans inclinés, leur chemin de fer, le matériel, les approvisionnements, le stock de minerai extrait à ce jour, en un mot, sans aucune réserve, tout ce qui constitue la propriété de MM Schneider et Cie dans les cantons d’Allevard et de Goncelin » et AFB, 187 AQ 522, Vente d’Allevard, le 14 juin 1899.
8 AFB, 01G0568, Comparaison des conditions de production et de vente, 1898-1904, Le Creusot, le 31 août 1904.
9 Avant de devenir ingénieur au sein de Schneider et Cie, Carbonel, centralien de formation a fait une grande partie de sa carrière comme ingénieur, en Espagne et plus précisément au Pays basque. d’Angio, Schneider et Cie et la naissance de l’ingéniérie, op. cit.
10 A. d’Angio, Schneider et Cie et la naissance de l’ingéniérie, op. cit., p. 94.
11 Ch. Dantin, « Les forges de Cette », Le génie civil, le 11 octobre 1902, p. 373.
12 Archives municipales de Sète, Journal de Cette du 23 décembre 1899.
13 P. Mioche, « La compagnie de la Marine et Homécourt en Lorraine, 1912-1974 », Annales de l’Est, 5e série, 41e année, n° 1, 1989.
14 J. Lescure, « Aspects récents de la concentration industrielle : l’intégration dans la métallurgie », Revue économique internationale, 1909, p. 267.
15 Ch. Dantin, op. cit., p. 377.
16 AFB, Registre de copies de marchés, Volume 84, f° 109, Création d’un syndicat minier.
17 Directeur de la houillère de La Machine depuis le rachat de l’exploitation par Schneider et Cie, Horace Busquet devient en 1896, après le départ de son prédécesseur Raymond, ingénieur en chef des mines de l’entreprise. À ce titre, il coordonne l’ensemble de la politique minière, tout en conservant la direction de la houillère.
18 AFB, Registre de copies de marchés, volume 81, f° 109, Achat des mines de Moncorvo, 21 janvier 1900.
19 AFB, 01G0548, Lettre de Horace Busquet à Maurice Gény, Castaras, le 2 mai 1901.
20 J. Nadal, A. Carrreras (dir.), Pautas régionales de la industrializacion espanola (siglo xix y xx), Barcelona, Ariel, 1990, p. 256.
21 AFB, 01G0548, Lettre de Horace Busquet à Maurice Gény, Madrid, le 22 février 1899.
22 Nous utiliserons non la dénomination de la société mais le terme qui la désigne alors, dans l’esprit de l’opinion : la société Carbonel-Schneider.
23 Anonyme, « L’industrie métallurgique et l’Ouenza », Revue politique et parlementaire, 1909, tome 59, p. 50.
24 En fait deux contrats à option, non retrouvés, auraient été signés le 3 mars 1903.
25 Anonyme, « L’industrie métallurgique et l’Ouenza », op. cit., p. 49.
26 AFB, 187 AQ 85, Comptabilité et finances, Divers, 1877-1925.
27 Il semble, qu’à cette époque, les sidérurgistes allemands aient quelques craintes quant à la possibilité de maintenir le niveau de leurs acquisitions en minerais suédois. R. Poidevin, Les Relations économiques et financières entre la France et l’Allemagne de 1898 à 1914, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1998, (2e édition), p. 520.
28 Il semble qu’il n’y ait guère eu de publicité autour de ce voyage et concernant la présence simultanée des différents participants à la société d’études. R. Poidevin cite effectivement le voyage des industriels allemands mais sans mentionner la présence des industriels français, op. cit., p. 218.
29 D. Woronoff, Histoire de l’industrie en France, Paris, Seuil, 1994, p. 382.
30 R. Parize, « La naissance d’une section syndicale au Creusot : Les grèves du Creusot en 1899-1900 », Les Grèves, Écomusée du Creusot, 2000, p. 25-26.
31 AFB, Salon Schneider 0053, Haut fourneau de Cette, Inauguration du premier haut fourneau.
32 Compte rendu d’une conférence de presse d’Eugène Schneider, Écho de Paris, 26 septembre 1899. Il n’a sans doute pas oublié que l’étincelle du conflit est intervenue à la plate-forme des hauts fourneaux, au cours des journées de grève des 16 et 17 mai 1899. F. Bouchet, « Le Creusot-Montceau : concordances et décalages dans le mouvement ouvrier (1899-1901) », Les Grèves, op. cit., p. 13
33 AFB, 01G0568, Comparaison des conditions de production et de vente, Le Creusot, le 31 août 1904.
34 Ch. Dantin, op. cit., p. 374 et AFB, 01G0568, Historique de l’affaire de Cette.
35 AFB, 187 AQ 12, Rapport du gérant à l’assemblée générale du 30 novembre 1899, Exercice 1898-1899.
36 F. Maurette, Les grands marchés des matières premières, Paris, A. Colin, 1922, p. 10.
37 A. Aftalion, op. cit., p. 302-303.
38 AFB, 187 AQ 13, Rapport du gérant à l’assemblée générale du 30 novembre 1901, Exercice 1900-1901.
39 AFB, 01G0136, Bremond, Mission aux États-Unis, Hauts fourneaux américains, Les études ont été menées en 1898-1899, Rapport sur une quarantaine de hauts fourneaux et installations de fours à coke différents construits aux États-Unis et 01G0137, Bremond, Mission aux États-Unis, Aciéries et laminoirs.
40 Ch. Dantin, op. cit., p. 377.
41 AFB, 187 AQ 13, Rapport du gérant à l’assemblée générale du 30 novembre 1901, Exercice 1900-1901.
42 AFB, 01G0568, Comparaison des conditions de production et de vente, Le Creusot, le 31 août 1904.
43 R. Leboutte, Vie et mort des bassins industriels en Europe, Paris, L’Harmattan, 1997, p. 217.
44 T. de La Broise, F. Torrès, Schneider, l’histoire en force, Paris, Monza, 1996, p. 111. D’après C. Beaud, « Investissements et profits du groupe multinational Schneider », Histoire, économie et société, 1988, n° 1, p. 129, la participation dans l’« Elba » ne porterait que sur 2 000 actions représentant 3,3 % du capital de la société, soit quelque 500 000 francs.
45 AFB, 01G0568, Julliotte, Vente des fontes de Cette, Contrôle général, mai 1903.
46 AFB, 187 AQ 13, Rapport du gérant à l’assemblée générale du 29 novembre 1902, Exercice 1901-1902.
47 Les ventes en direction de l’Italie sont bien inférieures à ce qui était escompté. La clientèle de Terni est loin d’être aussi intéressante que prévue. Le haut fourneau de Cette est allumé sans qu’aucun marché n’ait été signé avec l’entreprise italienne. Celle-ci, forte des nombreuses offres qu’elle reçoit des usines britanniques, impose des conditions tarifaires que Le Creusot ne peut pas accepter. AFB, 01G0568, Julliotte, Vente des fontes de Cette, Contrôle général, Le Creusot, le 13 juin 1902.
48 AFB, 01G0569, Julliotte, Contrôle général, Étude sur la liquidation des Forges de Cette, 25 août 1904, Les Forges d’Hennebont et celles de Basse-Indre proposent des marchés de 18 000 tonnes au total, à des prix qui, au départ de l’usine, sont inférieurs au prix des ventes au Creusot.
49 AFB, 01G0569, Divary, Résumé des réparations, réfections et modifications exécutées pendant le cours de l’année 1903 aux Forges de Cette, Services métallurgiques, Schneider et Cie, 29 décembre 1903.
50 AFB, 01G0568, Julliotte, Forges de Cette, Rapport de voyage du 8 au 13 mai 1902.
51 A. d’Angio, Schneider et Cie et la naissance de l’ingéniérie…, op. cit., p. 94.
52 AFB, 01G0549, Saladin, Courrier à Maurice Gény, Cette, le 17 juin 1902.
53 AFB, 01G0568, Bassal, Rapport de voyage aux Forges de Cette, Le Creusot, le 14 août 1902.
54 AFB, 01G0832, Divary, Voyage aux Forges de Cette, 21-30 septembre 1902.
55 AFB, 01G0584-2, M. Gény, Note sur Cette adressée à Eugène Schneider, Le Creusot, le 3 octobre 1902.
56 AFB, 01G0569, Divary, Résumé des réparations, réfections et modifications exécutées pendant le cours de l’année 1903 aux Forges de Cette, Services métallurgiques, Schneider et Cie, le 29 décembre 1903.
57 AFB, 01G0568, Julliotte, Forges de Cette, Rapport de voyage, Le Creusot, le 22 août 1902.
58 AFB, 01G0832, Julliotte, Études sur la liquidation, Forges de Cette, Le Creusot, les 6 et 25 août 1904.
59 AFB, 01G0549, Saladin, Courrier à M. Gény, Le Creusot, le 16 mai 1904. Saladin note ensuite : « Je pense que comme cela nous arriverons bien à bout de l’accident ; malheureusement mon impression est qu’il est grave et que nous nous y prenons un peu tard et qu’il aurait mieux valu mettre les tuyères au ventre plus tôt. »
60 AFB, 01G0832, Julliotte, Études sur la liquidation, Forges de Cette, Le Creusot, les 6 et 25 août 1904.
61 AFB, Salon Schneider 0052-06, Divary, Courrier à MM. Schneider et Cie, à Paris, Cette, le 5 mai 1905.
62 M. Vignes, « Le bassin de Briey et la politique de ses entreprises sidérurgiques ou minières », Revue d’économie politique, 1912, p. 585.
63 « Alimentation d’un moteur à gaz par du gaz de haut fourneau à Seraing », Le Génie civil, le 17 septembre 1898.
64 Ch. Dantin, « Production économique de la force motrice au moyen des gaz métallurgiques », Le Génie civil, le 29 juin 1907.
65 Hubert, « L’utilisation directe des gaz de haut fourneau pour la production de la force motrice », Le Génie civil, le 4 août 1900.
66 J. Lescure, op. cit., p. 261.
67 En juillet 1899, Le Creusot reçoit la commande de trois moteurs à gaz, avec soufflerie et trois moteurs à gaz pour dynamos, de la part de Wendel et Cie. Ce sont les premières machines à gaz de hauts fourneaux construites par Schneider et Cie. AFB, Salon Schneider 521, Résumé des bulletins hebdomadaires de 1899-1900. H. Grandet, op. cit., p. 69 précise : « Les moteurs à gaz sont d’une invention récente et Jœuf a été une des premières usines à en avoir. » Le même processus apparaît à Hayange. D. Woronoff note : « Henri de Wendel, émerveillé par ces nouveaux moteurs, entrevus à l’Exposition universelle de Paris, en 1900, commence à en équiper Hayange. » François de Wendel, Paris, Presses de Sciences-Po, coll. « Références-Facettes », 2001, p. 189.
68 AFB, 01G0559, Julliotte, Note du Contrôle général, Avant-projet de création d’une station génératrice d’électricité, Utilisation des gaz de hauts fourneaux, Schneider et Cie, 20 juillet 1905.
69 AFB, Registre de copies de lettres de la direction de l’Exploitation, Station centrale de force motrice des hauts fourneaux, Paris, le 15 octobre 1909.
70 « Congrès de la métallurgie tenu à Liège du 24 juin au 1er juillet 1905 », Le Génie civil, le 5 août 1905.
71 AFB, 01G0634, Divary, Plan de transformation des Hauts Fourneaux et Aciéries, Prévision de construction, estimation des dépenses, Le Creusot, le 18 octobre 1910.
72 CAMT, 65 AQ L 809, Société des Mines de fer de Fillols, Assemblée générale ordinaire du 30 mai 1905.
73 Ces pyrites proviennent de l’usine proche de Cette, située à Balaruc.
74 AFB, Registres de copies de marchés de 1905 à 1907.
75 AFB, 187 AQ 14, Rapport du gérant à l’assemblée générale du 30 novembre 1904, Exercice 1903-1904.
76 En conclusion de sa note portant sur les conditions éventuelles de la liquidation des Forges de Cette, le Contrôleur général Julliotte écrit : « Si retardant l’événement de trois ou quatre ans, nous avions alors un établissement en cours de construction dans l’Est, il est probable que l’effet moral produit à ce moment serait fort atténué. Mais s’il n’en est pas ainsi, cet effet moral sera plus désastreux, car on ne manquera pas de dire qu’il était inutile de remettre en marche un fourneau pour trois ou quatre ans. En ce moment, si nous n’avons pas d’établissement en cours de construction en Lorraine, nous avons du moins un traité en négociation avec Jœuf. On peut le mettre au point de telle sorte que l’abandon de Cette coïncide avec la conclusion d’un traité de 5 ans avec Jœuf. » AFB, 01G0569, Julliotte, Contrôle général, Étude sur la liquidation des Forges de Cette, 25 août 1904 et 01G0568, Julliotte, Forges de Cette, Réunion de MM Schneider, Gény et Julliotte, Apremont, le 5 octobre 1904.
77 AFB, 187 AQ 517-3, Service général des filiales, Chantiers et Ateliers de la Gironde, 1908-1919.
78 Il semble cependant que Schneider et Cie aient eu à l’esprit de fonder un établissement sidérurgique à Bône. C’est ce qui ressort d’une discussion entre Eugène II, son directeur général et son contrôleur général. La note est très succincte. 01G0568, Julliotte, Réunion de MM. Schneider, Gény et Julliotte, Apremont, le 5 octobre 1904.
79 Anonyme, « L’industrie métallurgique et l’affaire de l’Ouenza », op. cit., p. 57.
80 AFB, Registre de notes de la direction de l’Exploitation, Julliotte, Mine de Moncorvo, 1er mai 1912.
81 AFB, Salon Schneider 0527, Delorieux, Note du Contrôle général, Examen des propositions d’amodiation, Mine de Conjuro, Le Creusot, le 5 janvier 1907.
82 AFB, 01G0568, Contrôle général, Comparaison des conditions de production et de vente, 1898-1904, Le Creusot, le 31 août 1904.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un constructeur de la France du xxe siècle
La Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) et la naissance de la grande entreprise française de bâtiment (1924-1974)
Pierre Jambard
2008
Ouvriers bretons
Conflits d'usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968
Vincent Porhel
2008
L'intrusion balnéaire
Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008