Chapitre VII. Le problème de l’ordre
p. 273-293
Texte intégral
1Que signifie l’ordre pour un Breton du xviie siècle ? Les élites dirigeantes ont toujours cherché à imposer leur conception de l’ordre, et pourtant elles-mêmes sont souvent en désaccord quant au type d’ordre qu’elles souhaitent imposer. La formulation traditionnelle, la société d’ordres, des trois ordres — ceux qui prient, ceux qui combattent et ceux qui travaillent – continue de déterminer le système juridique et politique, mais elle est de plus en plus fortement concurrencée par une nouvelle formulation politique, dont le roi, revêtu de l’onction divine, est le pivot. L’ordre implique une religion unique, le respect de la propriété, le maintien de la prééminence sociale et politique de la noblesse terrienne, ainsi qu’un contrôle accru des hommes sur les femmes (et, par extension, sur les familles). L’ordre est politique et social mais aussi moral. Les autorités et les autres forces garantes de l’ordre se doivent de restreindre l’activité politique du peuple. Parce que pour elles la dimension morale est inséparable du politique, elles pensent qu’il est de leur devoir de surveiller étroitement sa moralité, afin de préserver l’ordre politique (et social).
2Pour atteindre ce but, les autorités s’appuient sur une large coalition sociale, c’est-à-dire sur tous ceux qui ont des intérêts dans le système. Cette coalition inclut les nobles, les hommes de loi et les marchands, mais aussi une large gamme d’humbles citoyens, tels les membres des corporations, les boutiquiers des villes et les laboureurs des villages. Le seul élément qui unit tous les membres du parti de l’ordre est la propriété. Le but de la société, comme disait Locke en 1679, est de préserver la propriété, de protéger les vies humaines, les libertés et les états. Que nous regardions du côté des « fous » avec Foucault, ou de la « criminalisation » morale, puis légale, de certains comportements avec Muchembled, partout nous constatons une inquiétude intense quant aux liens qui unissent conduite immorale, dissolution sociale et politique et préservation de la propriété. Ainsi que l’écrit Sébastien de Guémadeuc, évêque de Saint-Malo, à Colbert, le 20 avril 1675, à propos des bourgeois de Saint-Malo : « Les bourgeois et principaux habitans sont très bien intentionnés tant pour le service du roy que pour la conservation de leurs biens. » Le bon évêque aime à leur rappeler que les deux vont de pair et que le roi est, selon la formule de Bossuet, « l’invincible défenseur de l’ordre », c’est-à-dire de la propriété.
3Presque cent ans plus tôt, le 8 août 1583, une réunion extraordinaire du conseil de ville de Saint-Malo avait ordonné aux capitaines de la milice urbaine de choisir sur le rôle des artisans, deux hommes pour garder les portes de la ville et empêcher les entrées non-autorisées. Neuf mois plus tard, une autre réunion s’efforce de lever de l’argent à cause du « nombre des pauvres et des vagabonds qui sont dans cette ville » ; les édiles veulent empêcher ces pauvres gens de « mendier dans l’église et dans les maisons1 ». En décembre 1584, ils décident d’embaucher des chasse-gueux pour qu’ils boutent hors de la cité les « mendiants pauvres et valides et empêchent les pauvres de passer près des églises ». Le greffier a sans doute reconsidéré cette formule car il a par la suite rayé le mot « valides ».
4Les pères et mères de famille charitables de Saint-Malo accordent aux pauvres une attention particulière durant les périodes de contagion, réelle ou possible, par la « peste » (comme en 1583-84). En 1645-46, ils tentent de trouver une solution permanente à ce problème : une « maison de charrité » comme celle de Lyon. Le conseil de ville reconnaît le zèle de plusieurs « âmes pieuses et charitables de cette ville », qui veulent mettre un terme à une mendicité très répandue et apporter un remède à la « présente nécessité des pauvres ». Leur but est de « les instruire dans la foi et la religion catholiques, la crainte de dieu et l’observation de ses saints commandements ». Ces âmes pieuses veulent aussi « trouver à ceux qui peuvent travailler des emplois appropriés et, à cette fin, leur donner des maîtres ou des maîtresses qui permettraient aux dits pauvres d’échapper à la paresse et à l’oisiveté, et les arracher au vice dans lequel ils sont tombés par manque d’occupation et d’instruction ». Le conseil reconnaît l’utilité d’un tel établissement, non seulement en raison de ses bénéfices pratiques immédiats, mais parce qu’il « attirerait du ciel… toutes sortes de bénédictions » sur la cité2.
5Le conseil de ville de Saint-Malo rassemble dans ses délibérations toutes les considérations fondamentales des gens de bien à propos de leur société. Il croit à l’utilité de maintenir l’ordre, ce qui implique que l’on donne aux pauvres tout à la fois une instruction religieuse, du travail et un maître (ou une maîtresse) défini, et qu’on leur impose aussi une sorte de discipline publique. La mendicité publique, notamment devant les églises, et le caractère turbulent de la population portuaire menacent cette discipline. En 1654, le conseil de ville explique ainsi pourquoi une police urbaine est une nécessité : dans une ville au commerce abondant, où il y a beaucoup de « gens de mer » et des personnes de nations et de professions très diverses, des différents nombreux peuvent éclater, qui conduisent à des désordres. D’où le recours à des « commis » qui portent toujours une canne à la main, à la fois comme insigne de leur autorité et parce qu’elle est parfois nécessaire pour rétablir l’ordre3.
6La différence entre émotion ordinaire et effondrement de l’ordre civil est floue. Les historiens ont généralement concentré leur attention sur les grandes révoltes, telles celles du Papier Timbré et des Bonnets Rouges de 1675, dans leurs analyses de l’ordre dans la France moderne, et pourtant les difficultés continuelles inhérentes au maintien d’un ordre civil stable constituent une préoccupation beaucoup plus sérieuse pour les autorités de l’époque. Pour se faire une idée plus précise du contexte des événements de 1675, tournons-nous d’abord vers les divers types de mécontentement social dans la Bretagne moderne. C’est seulement en examinant les troubles civils antérieurs et les éternels conflits entre la police et le peuple que nous pourrons comprendre les révoltes de 1675, compte tenu de la conviction des contemporains selon laquelle l’ordre moral constitue le rempart le plus solide contre le désordre social et politique.
Typologie des mécontentements sociaux
7Les séditieux et ivrognes gars de rennes dont parle Dubuisson-Aubenay, ainsi que les gens de leur acabit dans toute la province, menacent constamment les forces de l’ordre, bien que la Bretagne ait connu un niveau relativement bas de violence politique avant 1675. La forme la plus évidente de mécontentement social est la rébellion ouverte. Les plus grandes rébellions bretonnes, les révoltes du Papier Timbré et des Bonnets Rouges, éclatent en 1675, mais il y a d’autres révoltes, plus petites. Les plus notables sont les émeutes frumentaires de Morlaix (1631) et d’Hennebont (1642), et le soulèvement des paroisses du nord de la province contre l’armée royale en 16284. Il y a de petites émeutes à Saint-Pol-de-Léon, Guingamp, Saint-Brieuc, et ailleurs en 1631, lorsque des consommateurs locaux protestent contre des expéditions de grain vers Nantes5. La plus grande « émotion populaire » est celle de Rennes en 1636, à cause de laquelle la ville perd son droit de présider le Tiers aux Etats, et doit même supplier qu’on l’autorise à y siéger. On ne sait que peu de choses de cet épisode, et nos seules informations émanent de Dubuisson-Aubenay et de Valençay, et, en ce qui concerne ses conséquences, des archives des Etats6. Alain Croix a dénombré environ vingt émeutes frumentaires entre 1566 et 1662, dont onze datent de 1630-31 et de 1661-62. Ce petit nombre attire à nouveau notre attention sur la position relativement favorable de la province pour ce qui est du grain, qui vient rarement à manquer dans la province tout entière. Le Parlement et le roi interviennent généralement pour empêcher les exportations de grain les années de famine, comme en 1643, mais les marchands entreprenants trouvent les moyens de circonvenir le système des passeports et d’expédier du grain à l’étranger en dépit des restrictions7. Les événements d’Hennebont et de Morlaix sont peut-être typiques dans leur déroulement. Lors des premiers, on lit qu’il y a « plusieurs tumultes et séditions » et que des bandes d’Hennebontais menacent « de tuer, de piller et de brûler ». Les officiers locaux notent qu’ils ont agi promptement en vue d’assurer un approvisionnement en grain raisonnable et que « la mercuriale du grain a été dressée pour un coût très raisonnable ». Ils arrêtent trois meneurs – Louys Bahuc, Marie Malecoste et « petit Jan », un cordonnier – qui a crié des fenêtres de la prison qu’il fallait « briser la tête des officiers8 ».
8La révolte de Morlaix est encore plus intéressante, car nous avons un rapport plus détaillé du sénéchal de Morlaix, Guy Le Levyer. Il affirme que 500 à 600 personnes, hommes et femmes, ont marché sur l’hôtel de ville pour protester contre l’expédition, illégale et nocturne, de 25 tonneaux de grain par un marchand gascon le 3 juin 1631. Les masses assemblées, « ne craignantz dieu le roy ny sa justice », menacent d’introduire dans la ville les pestiférés, alors regroupés dans le Parc au Duc, dans le faubourg de Saint-Melaine, « pour faire infecter et contaminer tout le général de la dicte ville9 ». Une troupe d’hommes aisés et bien armés protège le navire. Alain Croix voit dans cet incident un cas très net de haine de classes, avec les riches protégeant le bateau (et la « liberté » du commerce), et les pauvres (« un tas de quenaille » comme les appelle le marchand) défendant leur droit au grain. La suggestion selon laquelle les séditieux ne respectent ni Dieu, ni le roi, ni la justice, illustre en outre la manière dont les contemporains font le lien entre le moral et le politique, autant qu’entre le moral et l’économique10. Les autorités ne sont pas insensibles à l’indignation morale de la communauté. On voit le succès de la foule à Morlaix, qui a le soutien tacite de certains « bourgeois » de la ville ; on constate l’accent mis par les officiers royaux d’Hennebont sur le fait que le grain se vend à un prix raisonnable, ce qui sous-entend que si le grain avait été scandaleusement cher, les émeutiers auraient eu une raison légitime de se soulever. En fait, les officiers argumentent que l’émeute a été une ruse imaginée par ceux qui veulent profiter des désordres pour voler.
9Les émeutes et les rébellions, bien qu’intéressantes pour l’historien parce qu’elles manifestent une activité intense (et laissent de nombreuses traces écrites), ne sont pas la forme principale du mécontentement social. Le véritable mécontentement consiste en une sorte de ressentiment larvé vis-à-vis de l’autorité, représentée par les collecteurs d’impôts, par les policiers qui ferment les cabarets le dimanche matin, par les archers de la gabelle et les commis des devoirs sur les marchandises en transit et par l’élite qui gouverne la ville ou le village. Un des éléments les plus frappants de la rébellion paysanne de 1675 est son hostilité envers les villes, qui vise en particulier les officiers de justice, ainsi que son attitude antiseigneuriale. Les paysans savent fort bien qui gouverne les villes, et souvent ils dirigent directement leurs plaintes contre ces individus (dont bon nombre ont de lourds investissements à la campagne). Les paysans attaquent même certaines villes, s’emparent de Carhaix et de Châteaulin, mais ne parviennent pas à prendre Guingamp, Morlaix et Brest. Dans les articles bien connus des quatorze paroisses des environs de Douarnenez, l’article 11 déclare que les habitants de Quimper devront ratifier l’accord conclu entre paysans et seigneurs, sous peine d’être mis en quarantaine économique par les paysans11. D’autres paysans signent des traités de paix avec les petites villes dont ils se sont emparés et exigent des réductions de prix pour le vin et pour les « inventaires ». Cependant, leurs vrais adversaires sont le système judiciaire et les nobles, et le gouverneur note que « toute leur rage est présentement contre les gentilshommes dont ils ont receu des mauvais traitements »12.
10Les contemporains sont sans nul doute frappés par des récits comme celui concernant M. de Kersalaun, assassiné par ses « propres paroissiens » alors qu’il sort de la grand-messe le dimanche 23 juin, ou par le cas du marquis de La Coste, dont l’un des bras demeure paralysé après qu’un paysan l’a frappé avec un fléau. Les paysans n’oublient pas le système judiciaire, et ceux de la région de Concarneau, par exemple, prétendent qu’ils ont été victimes de toutes sortes d’exactions, et que pour cette raison « nous avons été obligés de nous défendre contre la justice [c’est-à-dire le système judiciaire] et contre la noblesse ». Ils débutent la liste de leurs griefs en déclarant que le roi a publié beaucoup de bonnes ordonnances, mais que les juges n’ont aucune considération « pour les pauvres, ny mineurs, ny pour la pauvre populace. Ils les accablent en toutes occasions, en tenant leur procez tant que leur bien dure, et les tenant toujours en angoisse ; c’est pourquoy nous crions miséricorde contre la justice13 ». La grande rébellion de 1675, ou même le soulèvement contre l’armée royale en 1628 (voir chapitre iii), ne représentent qu’une petite partie d’un vaste paysage. C’est dans les archives policières que le véritable mécontentement se manifeste de la façon la plus claire, et c’est là qu’on constate la hargne généralisée de la population, surtout des pauvres, envers les autorités. Si on se penche à nouveau sur les archives du prévôt de Nantes, cet antagonisme apparaît sous plusieurs aspects. Nous avons perçu (au chapitre ii) cette hostilité dans les tavernes de Bastard, Plessis et Marcan ; examinons de plus près ces cas et quelques autres, pour nous faire une idée plus juste du mécontentement social.
11Le prévôt n’est pas tendre avec certains des gens comme il faut, notamment les boulangers et les marchands de grain, mais la plupart de ses autres activités sont dirigées contre les pauvres. Il ordonne en plusieurs occasions à tous les vagabonds de quitter la ville, par exemple en juin 1633 et mai 1636 ; les officiers de ville prétendent souvent que les chasse-gueux ne sont pas assez zélés, par exemple en 163214. Pour punir les vagabonds, on les fouette et on leur rase la tête. Les autorités urbaines sont particulièrement préoccupées par les pauvres lorsque sévit la peste, comme en 1626, lorsqu’elles convoquent une réunion urgente de l’assemblée de ville pour traiter du problème de la « police extraordinaire des pauvres » ; le conseil veut qu’on l’autorise à « les tenir enclos15 ». L’assemblée veut confiner les pauvres pour les tenir à l’écart des « portes des maisons » et des églises. Cinq ans plus tard, lors d’une dispute sur la manière de financer l’aide aux indigents, Jean Charrette, le sous-maire, fait observer : « Il n’y avoit rien de plus agreable a dieu important au publicq favorable et celaire [salutaire] de soi que cette affaire quy concerne la nourriture des pauvres malades16. »
12Le prévôt cherche aussi à exercer un contrôle sur les laquais des riches, en leur interdisant de porter « espees, bestons et autres armes » dans la cité et ses faubourgs ; il tient leurs maîtres pour personnellement responsables de ces infractions17. La paix dans le monde du travail relève de la compétence du prévôt, comme dans le cas cité plus haut, où les portefaix exigent un salaire plus élevé ; le prévôt fixe ce dernier à 18 deniers pour 150 livres transportées à l’intérieur de la ville, et à 2 sous pour une charge transportée du port de La Fosse jusqu’à la cité18. Les peines encourues pour infraction sont la prison, le fouet, la marque au fer rouge et le bannissement. La première, en apparence la plus douce (3 jours au pain et à l’eau) peut tourner au cauchemar, ainsi qu’il advient à Ambroise Demeury, qui passe six mois en prison sans être inculpé. Il finit par obtenir sa libération, et fait remarquer qu’il n’a pas eu d’amis pour l’aider et qu’il a terriblement souffert, « mesme que la vermine la mangé par faulte qu’il ne change de linge19 ».
13Dans le second cas, celui des compagnons tailleurs qui se mettent en grève en 1644 et 1650, le prévôt s’oppose encore une fois avec vigueur aux grévistes. Ils ont fait circuler un tract demandant à leurs collègues de les retrouver à la taverne de la Croix Blanche, rue Saint-Léonard. Le prévôt arrête les meneurs mais nous ignorons quel sort leur est réservé20. En 1667, « plusieurs garcons tailleurs se sont levez [mot illisible] sur la boutique des Maitres lesquels ne voullent travailler et se sont assemblés chez une apellée La Fontenelle en la rue des Carmes ou ils font des debauches ». Les maîtres font cause commune et demandent qu’il soit fait « deffance ausd compagnons de s’atrouper, debaucher ny faire aulcunes assemblées » et qu’on leur enjoigne « d’aller travailler chez leurs maistres ». Les apprentis et les compagnons brandissent des épées en pleine rue, et le prévôt, qui est à la recherche d’armes à feu, perquisitionne dans leur lieu de rassemblement.
14L’affaire met particulièrement en cause le maître tailleur Henri Fumet, qui s’est déclaré en faillite, frustrant ainsi ses employés de leur paye. Fumet a rouvert son atelier, avec de nouveaux employés, lorsque quelques-uns de ses anciens ouvriers viennent lui rendre visite. Ils l’injurient, empoignent un des nouveaux compagnons par les cheveux et à la gorge, lui assènent des coups de poing et des coups de pied, et frappent à deux reprises l’épouse de Fumet, qui dirige la défense de l’échoppe. Les témoins indiquent que le groupe est composé de six à vingt assaillants ; le prévôt recueille les dépositions de dix ouvriers, de cinq témoins et du compagnon qui a été rossé, André Rohan. Chose curieuse, Antoine Bonnet, « carleur de souliers », le seul travailleur cité comme témoin, reste muet au sujet de l’incident, tandis que Catherine Rousseau, épouse de Philippe Cassouet, greffier à la prévôté, et maître Jean Le Figuer, escollier de 16 ans, font des dépositions détaillées qui accusent les ouvriers. Cette fois encore, on ignore comment se termine l’affaire21. Le prévôt intervient sans arrêt contre les pauvres et contre ceux qui ne font pas partie des classes moyennes de la société : vagabonds, portefaix, compagnons et apprentis tailleurs, travailleurs indépendants, étrangers. On note avec intérêt qu’en 1650 le rendez-vous des travailleurs est la taverne de la Croix Blanche, à Saint-Léonard. Dans cette paroisse, l’une des plus pauvres de la ville, plus de 60 % des foyers paient moins d’une livre de taxe en 1593. Cette paroisse ouvrière comporte une grande diversité de boutiquiers, ainsi qu’un nombre considérable d’indigents, parmi lesquels beaucoup de femmes pauvres22. En 1586 la ville taxe environ un foyer sur sept au titre de l’aide aux indigents, proportion très proche de celle du faubourg pauvre de Saint-Clément (12,5 %). Cette intervention dans un cabaret situé dans un quartier ouvrier de la ville, montre que le prévôt surveille la vie sociale des travailleurs, loisirs et distractions inclus. Bien que l’affaire des compagnons soit à l’évidence politique (et économique), la présence du prévôt à la Croix Blanche nous montre un incident parmi tant d’autres mettant en cause la police et les cabarets. On imagine sans difficulté l’animosité soulevée par le genre d’intrusion que représentent les visites aux tavernes de Bas-tard ou de Ménard. En janvier 1636, la femme de François Desvignes met à la porte les commis du devoir sur le vin « avec viollence » lorsqu’ils demandent à voir sa cave. Ils entrent par une porte latérale et y trouvent trois ou quatre pipes de vin non enregistré. Onze ans plus tard, Charles Contaret, commis aux impôts et billots, a son bras tailladé par un cabaretier en furie et doit garder le lit pendant six semaines. Il prétend avoir dépensé 1 000 livres en médecins et en médicaments, pour essayer vainement de recouvrer l’usage de son bras23.
15Contaret a eu plus de chance que certains ; en 1609, se produit un soulèvement généralisé à Nantes contre les commis des taxes sur le vin et au moins deux d’entre eux sont tués24. En 1668 et 1669, les quartiers ouvriers de la ville sont constamment en émoi contre les collecteurs du devoir sur le vin. Les registres du conseil de ville notent, au cours de l’été de 1669, que « les commis et huissiers ont este battue et excedez en diverses rencontres et aucuns d’eux blesses a mort ». Les fermiers d’impôts se plaignent des « rebellions quy estoient faites à leurs commis » et demandent que les autorités urbaines veillent à ce que « les habitans sousmissent l’exercise desd fermes sans troubler lesd commis, moins encore de les battre et exceder ». Ils se plaignent du fait que l’impunité d’une rébellion en engendre une autre, et ainsi de suite.
16Les fermiers sont à ce point submergés par la résistance populaire que, le 3 juillet 1669, ils abandonnent toute tentative de collecte des taxes sur le vin. Le 23 juillet, ils informent le maire qu’ils renoncent à la ferme elle-même « pour seureté de leurs personnes ». Ils obtiennent aussi un jugement royal enjoignant au maire et aux conseillers de faire payer par la ville le montant du bail. Le conseil de ville a beau publier une justification et soutenir que Legendre et Symon (les fermiers des devoirs) ont émis des déclarations « faulces et callomnieuses », les archives du prévôt et du sénéchal de Nantes confirment intégralement les réclamations des fermiers25.
17Celles-ci pourraient, au premier abord, donner l’impression de viser des individus isolés, des cabaretiers trop empressés à défendre leurs activités frauduleuses, mais il paraît invraisemblable que les taverniers aient à eux seuls pu bloquer le travail de la ferme d’impôts. De fait, les archives policières confirment cette interprétation. Le 7 juin 1668, par exemple, les commis des devoirs font irruption dans la taverne de Jean Priou et de sa femme, rue Saint-Léonard. Ils prétendent qu’il leur doit 119,65 livres en arriérés de taxes ; quand il refuse de payer, ils tentent de l’emmener en prison. Priou se saisit d’un couteau et s’en prend aux commis ; sa femme se précipite dans la rue, pour appeler les voisins. Elle rameute Le Bourguignon, un couvreur d’ardoise, plusieurs femmes du quartier : la Camille, la Pryou, la veuve Magente, la femme d’un marchand qui n’est pas nommé, ainsi que Deramie, maître charpentier, Pasquier, couvreur, Laurens Gallos, boulanger, Clément Lucas, savetier, Nicolas Lelieur, blanchisseur, Buissonière, maître maçon, Pierre, menuisier, compagnon de Doreceveur, maître charpentier, et Adrien, armurier, bref toute la population du quartier. Ils arrachent Priou, « par force et viollence », aux mains des commis. Ce dernier doit, plus tard (en mai 1669), acquitter une amende pour avoir vendu trois pipes de vin non taxé. En décembre 1668, à la taverne de Jean Minereau et de Julienne Gauchard, son épouse, également à Saint-Léonard, les commis s’enfuient à toutes jambes pour échapper à une foule qui « se voullent jeter sur nous pour nous maltretter ». En août 1669, Sébastien Contenu va en prison pour avoir causé une « émotion populaire » ; en fait, sa femme a poursuivi les commis dans la rue en les traitant de « volleurs de malthoteurs [maltôtiers] ». Contenu doit payer pour l’audace de son épouse.
18Dans un autre quartier populaire, la rue de la Boucherie, la situation est encore pire. Le 27 novembre 1668, à la taverne de la veuve Henriette Legallois, éclate un incident relaté dans les termes suivants : « Lesd personnes [des clients], avec les autres habitans dud lieu, se sont mis a crier a hault voix harrault harrault sur ces bougres de Maltosteurs avec plusieurs autres injures ce que voiant ce [et ?] que comme journellement il nous est commis insulte et rebellions par les bouchers de lad rue de la boucherie pour raison desquels y a plusieurs instances et proces civils et criminels […] aud lieu nous n’estions en sureté de nos personnes. » Les commis s’enfuient. Les conditions ne sont guère plus enviables dans le quartier des marins, où des commis sont pris à bras-le-corps et jetés hors de la taverne d’un certain Double et de sa femme en mars 1668. Les bateliers éprouvent peu de respect pour quiconque et, en mai 1668, en présence du sénéchal de Nantes lui-même, ils éjectent de force les commis du cabaret de Mathurin Vinet et de sa femme. Le coup de grâce est asséné en novembre 1669, quand une foule assassine Pierre Roussy alors qu’il inspecte une taverne proche de la tour Piremil, à la Fosse. Une foule nombreuse attaque deux commis, Roussy et Ragot, avec des épées et des bâtons ; « demi mort », Ragot s’éloigne en titubant, mais Roussy n’a pas cette chance. Le roi finit par faire de la résistance aux commis une infraction passible de la peine de mort26.
19On retrouve ces schémas types dans les affaires précédemment étudiées, qui ont pour cadres les tavernes d’Anne Plessis et de Claude Marcan et son épouse. Dans la première, à Saint-Nicolas (une fois encore dans le quartier portuaire), les commis sont injuriés par Mme Plessis et son voisin, Henri de La Haye, maître tailleur. Ce dernier est suivi de huit ou dix hommes qui, « jurant et blasphemant le St nom de dieu disent, voilla ses volleurs de malthoters et marqueurs de vin qu’ils faudrent [faudrait] assommer ». Au milieu des cris de « bougres de marqueurs » et des hurlements « tendant à esmouvoir le peuple a sedition […] il estoit desja suivy de nombre de personnes » qui reconduisent les commis « pour esviter a plus grand scandalle et ne perdre nos vies27 ». On constate une fois de plus le mélange du politique (la sédition) et de la morale (« blasphemant le St nom de dieu »).
20Chez Marcan, c’est le même scénario. Cette fois, les clients sont identifiés : cordonniers, portefaix, tisserands, couvreurs de tuile. Tous sont venus acheter du vin bon marché. Il s’ensuit une longue conversation, au cours de laquelle Marcan prétend que tous ces hommes sont des amis à qui il offre à boire gratuitement. Les quatre commis fouillent la taverne et y trouvent des tonneaux, de la viande, du pain, des assiettes, des tasses et autres ustensiles ; quand ils essaient d’en emporter une partie, comme pièces à conviction, la femme de Marcan, aidée de certains consommateurs, se rue sur eux et les attaque avec une épée. Les commis prennent la fuite28.
21Les travailleurs réagissent avec dédain aux tentatives de fermeture des cabarets pendant la grand-messe. Le dimanche 12 mars 1634, le prévôt trouve la taverne de Jean Maurat « quasiment pleine de monde » occupé à manger et à boire ; quant au cabaret de la veuve Mortain, l’affluence y est la même que celle d’un « jour ouvrable » ; chez Guillaume Bourjon (dans le port), il y a au moins vingt-cinq clients ; chez la veuve Sébastien Meneust, plus de trente personnes mènent grand train. La liste est interminable. En janvier de la même année, le prévôt trouve plus de quarante-quatre tavernes ouvertes entre 10 heures et 11 heures 30 un jour de fête religieuse29. Ces données ne constituent évidemment pas une preuve éloquente de pratique religieuse assidue de la part d’une partie non négligeable de la population et, plus précisément, de la population laborieuse.
22Nantes n’est nullement exceptionnelle en ce domaine. Le long de la Loire, en amont de Nantes, on trouve une femme non identifiée dirigeant une équipe d’hommes armés, qui fait franchir clandestinement la barrière des taxes royales d’Ingrandes à 4,25 tonneaux d’eau-de-vie30. On a des témoignages confirmant des émeutes un peu partout contre les taxes sur le vin. Cela vaut pour le diocèse de Nantes en 1564, année où la ville de Clisson refuse de fournir les chiffres des ventes de vin et où toute la région de Guérande, Le Croisic et Piriac compris, refuse de payer le devoir et menace de mettre à sac les bureaux des commis des devoirs et des officiers royaux de Guérande31. Cela vaut aussi pour l’ouest de la Bretagne dans les années 1720. En 1725, à Fouesnant, quatre commis des devoirs sur le vin – René Gourhael, Sébastien Corantin, Pierre Le Prendour et René Macé (ces trois derniers employés par la ferme depuis trente ans !) – sortent pour enquêter sur des fraudes et se heurtent à la résistance d’un forgeron qui vend de l’eau-de-vie clandestine. Ils battent promptement en retraite, en notant « que dans un pays ou peu de personnes sont en seuretez contre les irruptions d’une populace mutinée », prudence – en l’occurrence, le retour au bourg de Perguet – est mère de sûreté32.
23De Corentin Le Calvez, brisant un pot d’eau-de-vie et coupant la main du commis à Fouesnant, à Desvignes ou Bastard à Nantes, c’est toujours la même « insolence » et la même malveillance qui éclatent partout au cours de ces affrontements entre la police et le peuple. Le cabaret n’est pas seulement le lieu où on se retrouve entre amis ; c’est l’endroit où échapper aux contraintes imposées par la morale des classes supérieures. Comme cela doit paraître injuste de voir les tavernes fermées une grande partie du dimanche et les jours de fête, les seuls jours où les travailleurs peuvent se reposer. Cette police morale ne peut que les exaspérer, d’autant qu’elle est liée à un système judiciaire très explicitement fondé sur des critères de classe. Les vagabonds, les portefaix, les bouchers de la paroisse pauvre de Saint-Clément, les chefs de famille incapables de faire face à une amende de 500 livres, tous vivent sous la menace du fouet et des châtiments corporels. Rien d’étonnant, quand les autorités s’aventurent dans les quartiers pauvres des villes ou dans les secteurs isolés des campagnes, si les travailleurs les accueillent avec une hostilité non déguisée et une litanie constante de récriminations insolentes et irrespectueuses. Les visites des tavernes ont souvent lieu en temps de Carême, peut-être parce qu’elles ne font guère d’affaires pendant la semaine en cette saison, mais peut-être aussi parce qu’en cette période précédant Pâques, l’opinion des classes supérieures est plus facilement choquée par le mépris flagrant de ce qu’elles considèrent comme une conduite morale et respectable.
24Les élites modernes, en Bretagne comme ailleurs, cherchent délibérément à contrôler la moralité politique et sociale. Ceci signifie que c’est à l’élite politique qu’il revient d’administrer l’Eglise, l’hôpital et le gouvernement royal. Le sommet de l’élite dirigeante est composé quasi exclusivement de ceux qui possèdent un élément spécifique parmi les moyens de production – la terre – mais, dans une grande ville comme Nantes, le groupe constitué par les propriétaires et les hommes de loi est également tenu de prendre sérieusement en considération les besoins des marchands. Envisager ces deux groupes comme engagés dans une forme primitive de lutte des classes n’a guère de sens. Ils ont en commun un objectif primordial : la préservation de l’ordre. Tous ceux qui occupent une place dans la société d’ordres, y compris les petits exploitants, ont quelque intérêt dans le système et donc quelque sympathie vis-à-vis du maintien de l’ordre. Aussi longtemps que les dirigeants peuvent entretenir ce sentiment d’appartenance au sein de groupes importants qui ont un intérêt, même mince, dans le système, ils sont en mesure de préserver l’ordre. Lorsqu’ils perdent le soutien de gens comme les boutiquiers de Saint-Léonard, ce n’est plus le cas. En Bretagne, c’est au printemps de 1675 que les autorités perdent, de la manière la plus grave, ce soutien.
Les révoltes de 1675
25En avril 1675, la montée des tensions en Bretagne débouche sur les rébellions les plus graves et les plus soutenues de l’histoire de l’Ancien Régime. Le facteur déclenchant, aux yeux des contemporains, est la rumeur d’une révolte contre les nouvelles taxes à Bordeaux. Maître Morel, procureur au présidial de Rennes, nous dit que le directeur du bureau fiscal du papier timbré de Bordeaux a été « brûlé vif sur ce même papier qu’il souhaite si dédaigneusement distribuer33 ». A Rennes, des murmures s’élèvent contre les fermiers d’impôts le 3 avril ; le 18 avril la foule prend d’assaut les bureaux du fisc du Champ Jacquet. Le lendemain, le procureur déclare au Parlement :
Il est de notorieté publicq que le jour d’hyer après midy plusieurs vagabons, gens inconneuz et sans adveu dont la pluspart sont des provinces estrangeres qui se sont retirez dans cette ville et fauxbourgs s’estant tumultairement attroupez auroient en premier lieu pillé le bureau du tabac, celluy de la marque de l’estaing et ensuite les bureaux du controolle des exploicts, des insinua[ti]ons et du papier timbré et se preparoient de piller plusieurs maisons des par[ticuli]ers et commetre autres grandes desordres et violences34.
26En réalité, les épiciers ont largement contribué à fomenter la rébellion en annonçant qu’ils vendraient à nouveau du tabac, comme ils l’ont fait avant l’édit fiscal (publié en 1673 mais que le Parlement vient tout juste d’enregistrer) qui crée le monopole du tabac. Comme on pouvait s’y attendre, le public réagit en pillant les bureaux du monopole du tabac35.
27Plusieurs membres des classes privilégiées, qui sont témoins des événements d’avril, soulignent la rapacité des participants. René de La Monneraye (membre d’une famille d’officiers rennais qui comprend plusieurs secrétaires du roi) les qualifie de « canaille » et de « gens de la lie du peuple. » Il affirme qu’ils ont tout volé et pillé dans le bureau de la taxe sur le tabac, même les « utenciles36 ». Maître Toudoux, notaire à Rennes, pense que les émeutiers proviennent de la « menue populace » des faubourgs. Il prétend qu’ils ont causé pour 20 000 livres de dégâts au bureau du tabac. Quand leur témérité les conduit à attaquer les bureaux du « sieur Ferret, banquier, et des fermiers du grand devoir [des Etats]… dans la rue des Foulons », les forces de l’ordre, sous la conduite de Coëtlogon fils, tuent ou blessent douze d’entre eux37.
28De Rennes le désordre se propage à Saint-Malo où, habile, l’évêque demande aux détenteurs du monopole du tabac d’autoriser la vente libre jusqu’au départ des navires pour Terre-Neuve (moins d’une semaine plus tard), et à Nantes, où de sérieux troubles éclatent le 20. La foule pille les bureaux du tabac et de la marque de l’étain, mais les efforts combinés des principaux officiers royaux et de l’évêque la convainquent de ne pas s’attaquer aux bureaux du papier timbré et des taxes sur le vin38. L’arrestation des meneurs présumés du soulèvement – quatre artisans : deux femmes et deux hommes – entraîne la prise en otage de l’évêque. Le gouverneur relâche les quatre artisans, mais quand le roi promulgue une amnistie générale pour toutes les révoltes en février 1676, il précise que cette grâce ne s’applique pas à l’Eveillonne et à ses trois complices39.
29Lorsque arrive pour les Nantais l’heure du châtiment de leurs agissements, les autorités adoptent une mesure typique de l’époque : elles pendent un non-Nantais, Goulven Salaun, un pauvre garçon cabaretier originaire de Châteaulin. Durant l’exécution, le gouverneur entend la foule murmurer qu’on « avoit bien fait de s’attaquer à un Bas-Breton, que si l’on eut entrepris d’arrester des gars de la ville pour les mettre à mort, ainsy qu’on faisoit de ce valet, qu’ils auroient plustost esté tous pendus que de le souffrir et que pour cela ils se seroient tous sacrifiez40 ».
30C’est par ces événements que débutent les célèbres révoltes du Papier Timbré dans les villes bretonnes, et des Bonnets Rouges dans les campagnes. Ces rébellions durent jusqu’à la mi-septembre, quand le marquis de Montgaillard tue le chef des paysans de Cornouaille, Sébastien Le Balp. La Bretagne avait connu relativement peu d’exemples d’agitation politique et sociale pendant les trois premiers quarts du xviie siècle, aussi comment expliquer une rébellion aussi massive ?
31Les indices structurels de base ont changé d’orientation après 1650 environ. La population a augmenté rapidement entre la fin du xve et la fin du xviie siècle. Après 1660 ou 1680, selon les localités, la tendance se ralentit et souvent s’inverse. Au xviiie siècle, la population stagne et, en certaines périodes, amorce même un déclin41. L’économie, hormis celle de Nantes, stagne, elle aussi, après 1640-80. L’agriculture bretonne faiblit, particulièrement dans les secteurs du vin et de l’élevage. Le commerce intérieur breton connaît un ralentissement et, avec lui, les divers secteurs économiques liés à ce commerce : la pêche, la construction navale (à l’exception de la marine royale) et la viticulture42. A ce stade, la distinction entre le Léon et le Trégor, qui demeurent prospères dans les années 1670, et la Cornouaille, dont l’économie s’effondre après 1660, est tout à fait claire : les paysans cornouaillais se joignent à la rébellion, à l’inverse des Léonards et des Trégorrois.
32Au xviiie siècle, la province présente un cas exemplaire de développement à deux vitesses : un secteur moderne et florissant, tel le commerce colonial de Nantes ; un secteur traditionnel et en perte de vitesse en des endroits comme le Vannetais ou le Léon. La Bretagne, peut-être la province française la plus développée au milieu du xviie siècle, devient l’une des moins développées au milieu du xviiie. Une des raisons du déclin est la corrélation entre les structures sociales et politiques de la province et son économie.
33A la veille des grandes rébellions, on constate une stagnation démographique, un déclin économique et, comme on l’a vu avec les exemples nantais, une agitation sociale accrue43. Politiquement, les classes dirigeantes de la province – les seigneurs et les gens de loi – se sentent attaqués par la Couronne. La réforme du domaine royal de 1673 est ressentie comme une agression par tous les propriétaires terriens, et l’édit du papier timbré a un impact immédiat sur les intérêts professionnels de la classe juridique. La nouvelle taxe sur l’étain est probablement celle qui touche le plus durement les consommateurs des classes inférieures et les personnes travaillant dans les métiers de l’alimentation et de la boisson, tandis que le monopole du tabac élève sensiblement le prix d’une denrée de consommation universelle. Faut-il voir une coïncidence dans le fait que les rébellions éclatent aussitôt après la publication des édits qui s’en prennent aux deux classes dirigeantes de la province ? Leur colère contre le roi est d’autant plus grande qu’il vient de révoquer ces édits en échange d’un don de 2,6 millions de livres. La conduite du roi en cette affaire est injuste, de l’avis unanime des contemporains. Peut-on dire, en ce cas, que ceux qui sont chargés de faire respecter la justice royale jouent un rôle dans le déclenchement de la rébellion ?
34Le duc de Chaulnes, gouverneur, n’a aucune illusion sur ce point. Il écrit plusieurs fois à Colbert que c’est le Parlement qui dirige la révolte à Rennes. Le 15 juin 1675, il écrit : « Mais ce qui est de très vray est que le Parlement conduit toute cette révolte, le calme est a l’extérieur restably, mais l’on conseille au peuple de ne pas quitter les armes tout à fait, qu’il faut qu’il vienne au Parlement pour demander la revocation des Edits, et particulièrement du papier timbré, et depuis les procureurs jusques aux présidens à mortier, le plus grand nombre va à combattre l’autorité du roy, c’est la pure vérité et il ne faut pas estre icy fort éclairé pour la connoistre44 ».
35La comparaison des événements de 1675 à Rennes avec le peu que l’on sait de ceux de 1636 est éclairante. Comme on l’a vu, Dubuisson-Aubenay, qui accompagnait d’Etampes-Valençay, l’intendant, avait attribué les troubles aux « gars ivrognes et séditieux » du quartier pauvre situé de l’autre côté de la Vilaine par rapport au Parlement. Valençay écrit au chancelier Séguier qu’une « sédition furieuse » a duré trois jours (12 septembre 1636), durant lesquels il y a eu « assemblée de peuple jour et nuit avec armes et une fois avec tambour » ; ces attroupements ont réuni 100, puis même 400 à 500 personnes. Elles crient : « tuons le commissaire ! » et « Vive le roy et monsieur le duc de Brissac sans gabelle, nous aurons chacun un morceau du commissaire ! » Deux hommes sont arrêtés, mais relâchés sur le conseil de Brissac, afin de prévenir d’autres désordres. Valençay attribue à Brissac le mérite d’avoir sauvé la situation, à cause de « la créance que les peuples ont en lui ». Il suggère en outre qu’on punisse la ville de Rennes en y cantonnant 4 000 fantassins. Il demande à être nommé premier commissaire royal aux Etats, « pour la conservation de mon honneur en ceste province45 ». En apparence, le facteur déclenchant de cette révolte a été la demande faite au Parlement d’offrir au roi un « prest » substantiel. Valençay n’a aucun doute : il pense que le Parlement est à l’origine de la révolte de 1636 et suggère même qu’il soit temporairement éloigné de la ville. Les parallèles avec les événements de 1675 sont saisissants, surtout au vu du lien spécifiquement établi par Valençay entre la révolte et la présence d’un intendant (« commissaire extraordinaire ») dans la province.
36Revenons à la description originelle des événements des 18 et 19 avril 1675, faite par le procureur du roi ; ce qui alarme vraiment le Parlement c’est que la foule puisse se mettre à piller des maisons individuelles. En effet, une semaine après le premier pillage sur le Champ Jacquet, la foule, conduite semble-t-il par les élèves du collège des Jésuites, décharge sa colère sur la communauté protestante de Rennes en brûlant son temple dans le faubourg de Cleuné. A la tête d’une petite troupe de cavaliers, Coëtlogon, le fils du gouverneur, se porte au secours des protestants, mais la foule se disperse le long de chemins « inaccessibles à la cavalerie ». Coëtlogon parvient à arrêter deux individus : un élève (vite relâché parce qu’il n’a que 14 ans) et un boulanger. La foule marche ensuite sur la prison, en menaçant de l’incendier ; Coëtlogon réagit en faisant appel à la milice bourgeoise pour protéger la prison. Deux jours plus tard, le Parlement déclare au lieutenant général de la province, le marquis de Lavardin, que « l’on ne peut concevoir a quelle extremité la fureur eust porter cette canaille mutinée qui se preparoient rien moins qu’un pillage universel des particuliers de la ville les mieux accomodez et des bureaux ou ils croyaient y avoir de l’argent46 ».
37Devant cette menace de pillage généralisé des riches, le Parlement se doit de mettre le holà. Comme les dirigeants de Nîmes en 1645, ceux de Rennes en 1675 apprennent ceci : les élites locales qui encouragent les rébellions peuvent découvrir que les classes inférieures sont capables de se retourner contre leurs alliés des classes supérieures pour mettre en œuvre un programme propre. A Rennes, il y a une nette scission entre le Parlement, dont au moins une partie soutient les rébellions, et les « bons bourgeois », c’est-à-dire les marchands. La liste des personnes arrêtées et détenues en vue d’être jugées à Rennes, et la liste des individus exclus de l’amnistie de 1676, sont sur ce plan tout à fait révélatrices : parmi ces derniers (44 ou davantage) figurent 12 personnes qui font partie de l’appareil judiciaire (procureurs, greffiers, un notaire et un sergent), 13 artisans (dont 8 bouchers), 5 hôteliers, 2 femmes artisans et un nombre inconnu de poissonnières ; la liste des prisonniers détenus en 1675 comprend 9 procureurs, un sergent, un maçon et un forgeron47. Lorsque le Parlement rouvre ses portes au printemps de 1676, 13 conseillers ne se présentent pas aux séances et voient leurs gages retenus.
38Les classes inférieures ont leur propre programme d’action (même si le pillage généralisé n’en fait sans doute pas partie). Les rebelles sont rarement des inconnus, ainsi qu’on l’a vu d’après les professions de ceux qui ont été appréhendés ou inculpés de complicité avec la rébellion. Les meneurs sont exécutés en public. Le « chef des séditieux » est un certain Jean Rive, hôtelier ; parmi les autres individus mis à mort on trouve un orfèvre, Jacques Miguet, et sa femme, Perrine Dubois, et un fripier, Pierre Tréhol48. Pierre Daligault, violoniste, passe pour être le chef de file de la seconde sédition (celle du 17 juillet) ; ce pauvre hère est rompu, écartelé, et les différentes parties de son corps coupé en quartiers sont exposées aux quatre portes principales de la ville. On voit ici le roi et le duc de Chaulnes suivre le conseil de Sébastien de Guémadeuc, l’évêque de Saint-Malo, au dire duquel il est impératif « de faire icy quelque chastiment qui esclatte et qui imprime de la terreur dans l’esprit des peuples49 ».
39La liste des personnes impliquées dans les rébellions montre que les participants sont des gens qui ont un intérêt immédiat à l’abrogation des édits : des officiers de justice hostiles à la taxe du papier timbré, des gens qui travaillent dans l’alimentation et sont hostiles aux taxes sur l’étain et le papier timbré. La rébellion rennaise n’est pas le résultat d’un simple accès de fureur. Les attaques sont trop constantes, trop bien organisées, pour être l’œuvre d’infâmes « genz inconnus », et n’être qu’un cas de « libertinage de quelques vagabons et genz sans adveu ». Les « nobles bourgeois et habitans de rennes » ne sont pas dupes des séditieux. Jugeant que l’ » honneur » de leur cité a été terni par une action aussi éhontée, ils exigent que le Parlement punisse les auteurs de l’insurrection du 17 juillet :
Certains par[ticuli]ers armez se jetterent dans le Pallais y pillerent par une insolence hardie et temeraire le lieu ou se distribuoit le papier timbre que l’execution de cette entrepris se fist si promptement […] que la facilité que trouverent les malfaiteurs a executer en plein midy une violence de cette consequence et l’effronterie avec laquelle ils ozerent former le dessein fait presumer aux suppliants que c’estoit une chose formée, conceue et préparée de long temps n’estans pas apparant qu’il soit tombé dans l’esprit de quelques particuliers de former une entreprise aussy perilleuse sans avoir pris des devans pour l’execution50.
40Il ne fait guère de doute que certains parlementaires ont joué un rôle dans l’organisation de ce raid audacieux. Bien que « les bons habitans [soient] tellement dans la crainte de tumulteraires qu’ils n’osent sortir de leurs maisons, menacés comme ils sont par une cohorte seditieuse de populace vagabonde et libertine », les gens de loi ont nécessairement joué un rôle dans l’organisation et l’exécution des diverses rébellions. Le duc de Chaulnes déclare à Colbert le 30 juin 1675 que « ce sont les procureurs qui sont le plus à craindre. Ceux de cette ville […] aussy bien que ceux de nantes, ont esté les premiers autheurs de séditions. »51Le roi accepte cette théorie, désarme la milice bourgeoise de Rennes et exile le Parlement à Vannes pour quinze ans52.
41Dans les campagnes, c’est une autre histoire. Là aussi, la rébellion débute dans les bureaux du papier timbré, du tabac et des taxes sur l’étain. Les nouvelles de Rennes rendent nerveux de nombreux commis du fisc, à Guingamp, à Quimper et à Lamballe, où le commis tire des coups de feu sur son propre bureau pour faire croire qu’il a été agressé. A Guingamp, les premiers troubles ont lieu le 24 mai ; la milice urbaine tient bon et arrête les meneurs, qu’elle pend quinze jours plus tard. Le 9 juin, un soulèvement plus sérieux a lieu à Châteaulin, en Cornouaille. Le lieutenant particulier de Basse-Bretagne, le marquis de La Coste, tue un sergent local insolent et est à son tour blessé à l’épaule d’un coup de feu tiré par une foule en colère. Celle-ci assiège la maison où La Coste et son entourage ont trouvé refuge, et menace d’y mettre le feu et de tuer tout le monde si La Coste n’abolit pas les récents édits. Il s’exécute53. Fin juillet, l’évêque de Saint-Malo déclare à Colbert que tous les bureaux du papier timbré des petites villes et des bourgs ont été fermés, les propriétaires des maisons craignant qu’elles ne soient incendiées, comme celles de Carhaix, et que les nobles se sont partout réfugiés dans les villes closes54.
42Les troubles en Basse-Bretagne débutent en réaction aux événements de Rennes et de Nantes, et à cause du mécontentement suscité par les nouvelles taxes, mais ils se transforment bientôt en un conflit qui ressemble à une guerre de classes opposant ceux qui travaillent le sol aux propriétaires terriens. Dans cette même lettre du 23 juillet, l’évêque de Saint-Malo informe Colbert que les paysans exercent leur cruauté sur des citadins et « encore plus sur la noblesse et sur l’Eglise mesme en qui il semble qu’ils n’ayent plus de croyance, ainsi qu’ils en avoient au passé, faisant signer à tous les gentilshommes et ecclésiastiques qu’ils ne prétendront plus désormais ny rentes ny dixmes sur eux55 ». Un mois plus tôt, le duc de Chaulnes avait écrit à Colbert :
Il n’y a qu’en l’Evesché de Quimper où les paisans s’attrouppent tous les jours, et toute leur rage est présentement contre les gentilshommes dont ils ont receu des mauvais traitemens. Il est certain que la noblesse a traité fort rudement les paisans, ils s’en vengent présentement et ont exercé desjà vers cinq ou six de très grandes barbaries, les ayant blessé, pillé leurs maisons, et mesme bruslé quelques-unes56.
43Allain Le Moign, un des meneurs de la mise à sac du château de la Bouëxière, aurait déclaré, en tirant un coup de feu à travers l’une des fenêtres « qu’il y voioit de la noblesse et qu’il les falloict tous bruller57 ».
44Chaulnes demeure cohérent dans toutes ses lettres à Colbert à propos des mauvais traitements que les paysans ont subis de la part des nobles. Au début de juillet, il est très précis concernant la nature de ces griefs, citant « les exactions que leurs seigneurs leur avoient faits et les mauvais traitemens qu’ils en avoient receus tant par l’argent qu’ils en avoient tiré que par le travail qu’ils leur faisoient faire continuellement à leurs terres, n’ayant eu pour eux non plus de consideration que pour des chevaux58 ».
45On constate ici, plus qu’une simple guerre de classes, une exigence de justice de la part du peuple. Les paysans s’en prennent au trio impie mentionné par le baron de Nevet : ils « demandent justice de la meschante noblesse, juges et maltotiers59 ». Nonobstant le témoignage de l’évêque de Saint-Malo, la plupart des paysans réclament l’abolition (ou l’atténuation) des obligations seigneuriales ; ils ne dénoncent ni les rentes ni les droits d’entrée60. Ils souhaitent aussi une réforme judiciaire, en particulier des frais de justice moins élevés (y compris l’abolition de l’usage du papier timbré), et des taxes indirectes réduites (sur le vin, le tabac, l’étain, le papier timbré). Les villes deviennent la cible des rébellions : la noblesse s’est réfugiée dans les villes closes, places fortes des hommes de loi et des notaires. Des bandes (on pourrait même dire des armées) de paysans pillent des bureaux du fisc et quelques maisons à Carhaix et à Pontivy (villes sans remparts) ; une autre bande assiège Concarneau. La plus nombreuse, conduite par Le Balp, envisage à trois reprises d’attaquer Morlaix, ville de plus de 10 000 habitants et un des ports les plus riches de France61.
46Une fois encore, les listes de personnes punies ou graciées pour leur participation aux révoltes montrent que celles-ci ont impliqué toutes les classes inférieures. La foule morlaisienne comprend beaucoup de femmes (poissonnières, servantes, femmes d’artisans), ainsi que des meuniers, des laboureurs, des métayers, des valets de ferme, des artisans de tout poil (forgerons, polisseurs, couturiers, boulangers, bouchers, tailleurs, bourreliers), des hôteliers et même un maquignon. Abstraction faite des classes sociales qui composent les foules, on trouve souvent des femmes au premier rang : l’Eveillonne à Nantes ; une femme anonyme à Guingamp, pendue pour avoir pris la tête de la rébellion ; les grandes foules de femmes qui assiègent le Palais du Parlement à Rennes en juin 1675. Les soldats répugnent à tirer sur des femmes : comme l’écrit le duc de Chaulnes dans son rapport à Colbert sur les événements de juin, « il n’y avoit pas de gloire à tuer des femmes et des enfans62 ».
47L’historien a beau souhaiter trouver une explication simple à ces événements, il n’y en a pas. On ne peut que constater l’antagonisme des classes, la distinction entre les sexes, les exigences de justice de la part du peuple, l’intérêt économique immédiat (des procureurs, des cabaretiers et des hôteliers), et les antagonismes entre états. Les événements de 1675 montrent précisément quel impact peut avoir cette coalition massive des classes inférieures, si redoutée des classes dirigeantes. Pratiquement tous les membres de ces dernières parlent de la perte de « l’autorité royale » et de la nécessité de maintenir l’intégrité de ce fondement essentiel de la société. C’est dans les campagnes que l’élément de guerre de classes paraît avoir été le plus fort, à travers certaines exigences imposant aux propriétaires d’obéir à une « loi » édictée par leurs paysans. Pourtant la majorité des accords conclus entre propriétaires et paysans n’abolit pas les rentes ou les redevances, et les paysans insistent généralement pour que le seigneur se contente des redevances et des services consacrés par la coutume. Les plus cruellement châtiés sont ceux qui abusent du système (spécialement les seigneurs qui ont exigé des corvées excessives)63. Plus on étudie les agissements des paysans, plus ils semblent avoir été motivés par une exigence de justice, définie par les perceptions paysannes de ce que doivent être les relations coutumières entre seigneurs et paysans.
48L’intérêt économique immédiat et égoïste d’individus spécifiques ne peut être ignoré comme cause possible des révoltes. L’édit du papier timbré a indigné les membres des professions juridiques ; les hôteliers et les propriétaires de cabarets ont accueilli avec hostilité les taxes sur le vin et la nouvelle taxe sur l’étain. Quant au tabac, tous s’accordent pour dire que les gens « ne peuvent s’en passer » et que la nouvelle taxe le met hors de leur portée64. Le rôle important des femmes dans les révoltes, surtout en ville, a des racines économiques autant que juridiques (comme, par exemple, un traitement moins rigoureux des femmes par la justice criminelle). Ce sont souvent des femmes qui tiennent les boutiques et les tavernes, et ce sont elles qui tiennent la comptabilité de maintes petites affaires65. On aurait sans doute bien du mal à trouver un document qui assigne explicitement aux femmes le rôle primordial de gardiennes de la justice morale dans la collectivité, et pourtant les témoignages émanant des révoltes montrent à l’évidence que les femmes ont joué ce rôle66.
49Quant au système des ordres, on y perçoit à la fois la solidarité et la division. Les vieilles familles nobles – Chaulnes, Guémadeuc, Lavardin – reprochent toutes à la noblesse de robe et aux gens de loi en général d’avoir été à l’origine des rébellions de 1675 et de les avoir soutenues. Cependant, avant de voir dans cet antagonisme un simple conflit entre deux ordres, force est d’admettre que ces accusations sonnent justes et sont confirmées par d’autres témoignages. Il faut aussi reconnaître que Chaulnes et les autres fustigent les seigneurs de Basse-Bretagne pour leur façon cruelle de traiter les paysans, et affirment que les injustices commises par les seigneurs ont été la cause principale de la rébellion rurale. Une fois de plus, d’autres témoignages émanant des paysans eux-mêmes viennent étayer leurs déclarations. A Rennes, Chaulnes est surtout soutenu par les marchands et par les « bons bourgeois67 », qui œuvrent à la fois pour appuyer l’autorité du roi et pour protéger leurs propres biens.
50La frustration des paysans a sans doute été exacerbée par l’impression que, de quelque côté qu’ils se tournent, ce sont les mêmes qu’il voient fondre sur eux. Les propriétaires sont les députés aux Etats : les évêques, les abbés et les chanoines sont ceux du Premier Ordre, les nobles ceux du Second, cependant que les hommes de loi représentent le Tiers. Les robins incluent les notaires qui prêtent de l’argent aux paysans et saisissent les biens hypothéqués, et ce sont les mêmes juristes ou leurs parents qui, en qualité de chanoines cathédraux, afferment les dîmes. Dans les années 1640, autour de Nantes, les fermiers des dîmes comptent des notaires (à La Chapelle-Basse-Mer, à Saint-Herblain, à Carquefou), des familles d’officiers de la Chambre des Comptes, des officiers subalternes de cette même Chambre (huissier compris) et des chanoines-recteurs appartenant aux grandes familles nantaises d’officiers (Fourché, Guischard, Robin). Un des cas les plus intéressants est celui d’Assérac, où le collecteur des dîmes est maître François Guillory, procureur au présidial de Nantes. Nous avons déjà rencontré Guillory, imposé pour trois parcelles différentes sur le rôle des fouages de 1620 : il est le deuxième plus gros contribuable du village68.
51La concentration des rênes du pouvoir entre les mains d’un seul groupe rend moins probable la rébellion populaire en Bretagne, parce qu’il n’y a guère de divisions au sein de l’élite dirigeante. Le caractère exclusif du pouvoir explique aussi le haut niveau de mécontentement et de hargne manifesté par les classes inférieures. Les plaintes formulées en 1675 par les paysans sont tout à fait explicites quant aux abus du système existant, à savoir les exactions des nobles et le caractère injuste du système judiciaire. Les griefs envers les nobles sont conformes à la tradition : les paysans demandent qu’il soit mis un terme aux corvées, aux champarts, aux restrictions sur la chasse et au droit de chasse des nobles69. Ils dénoncent aussi des abus commis par les juges et les coûts élevés de la justice. Sur les douze articles rédigés par les paysans assemblés à Pont-l’Abbé, un vise les soldats, trois, les droits seigneuriaux (corvées et champarts, chasse, pigeons), un, les prêtres qui se font payer trop cher messes et enterrements, un, la taxe sur le vin et six, les frais de justice trop élevés.
52Les codes paysans expriment une forte réaction contre deux forces distinctes : les seigneurs et le système juridique de l’Etat. Bien sûr, dans le reste de la France, les rébellions paysannes se sont focalisées sur le système fiscal de l’Etat, lequel était beaucoup plus onéreux qu’en Bretagne70. Les griefs des paysans cornouaillais visent les vestiges, réels ou imaginaires, de la féodalité : les obligations seigneuriales. Les paysans ne combattent pas les obligations qui découlent de la propriété en tant que telle, c’est-à-dire les rentes. Ils s’opposent au système politique, c’est-à-dire judiciaire, même si sur ce point leurs cibles ne sont pas les cours seigneuriales mais les cours royales. A la lumière des réalités concrètes de la vie dans la région de Quimper, les deux revendications sont tout à fait sensées. Premièrement, la principale forme de tenure est le domaine congéable, qui entraîne partout des obligations seigneuriales en sus de la rente et des droits d’entrée. Deuxièmement, Quimper a une cour présidiale et un collège de jésuites ; Colbert de Croissy, qui visite la ville en 1665, fait observer que le déclin du commerce local tient au fait que les enfants des marchands fréquentent ce collège et entreprennent des carrières juridiques71. Les disputes juridictionnelles sont endémiques dans la région à cause d’importants chevauchements entre hauts justiciers et de la présence de deux cours royales et d’un tribunal ecclésiastique à Quimper même72.
53Les codes paysans constituent un indicateur intéressant du mécontentement pendant la période de déclin. Qui les a rédigés ? Les témoignages internes des documents semblent très clairs : les auteurs de ces codes sont sûrement de riches paysans et ce sont eux qui impulsent les rébellions de 1675. Pourquoi de pauvres paysans se seraient-ils sentis concernés par la taxe sur le vin importé et n’auraientils pas mentionné celle sur le cidre ? Quelles sont les inquiétudes des paysans riches ? Ils sont hostiles à la lourdeur des champarts et au principe de la corvée ; ils s’opposent aux ponctions sur leurs ressources financières ; ils s’élèvent contre les abus liés à la chasse et aux pigeons. La deuxième catégorie de griefs – les frais de justice – concerne essentiellement les paysans les plus riches, ceux qui sont obligés d’avoir recours aux tribunaux (pour des problèmes de baux, etc.)73. L’opinion traditionnelle selon laquelle la taxe du papier timbré n’affecte que les citadins ne tient guère debout à la lumière des codes paysans ; les riches paysans associent le papier timbré aux juristes honnis, à ces hommes qui sont déjà mêlés à tout : ils achètent les terres des paysans (lesquelles, dans le Vannetais, ont pratiquement disparu en 1690), prêtent à intérêt et pratiquent des saisies, afferment des dîmes à des taux bien plus élevés que ne le peuvent les paysans aisés (et réalisent probablement des collectes plus rigoureuses pour combler la différence), achètent des exemptions de taxes en 1638 et 1640 (faisant ainsi exploser les taux payés par les paysans riches), achètent des communaux au roi et à la haute noblesse, perçoivent des honoraires élevés pour des transactions juridiques, s’adjugent (à eux-mêmes et sans doute à leurs clients) des réductions sur les rôles fiscaux74.
54La rébellion rurale rencontre peu de soutien au sein de l’élite. Les correspondances du duc de Chaulnes, de Lavardin, de Guémadeuc, révèlent un certain mépris pour les paysans de Cornouaille qui, notent-ils souvent, ne comprennent même pas le français. Cette attitude est teintée d’un certain chauvinisme culturel : les paysans bretonnants sont, aux yeux de ceux qui gouvernent la province, une race inférieure de gens « brutaux et sauvages ». Le 26 juin, Chaulnes écrit à Colbert : « Il [le marquis de La Roche, gouverneur de Quimper] m’asseure que la misère est si grande parmi ces peuples que l’on doit beaucoup appréhender les suites de leur rage et de leur brutalité75. » Lavardin s’exprime de manière encore plus directe : « Peut estre ce regiment et ces mareschaussées seront elles plus nécessaires dans la Basse Bretaigne ; c’est un pais rude et farouche et qui produit des habitants qui luy ressemblent. Ils entendent médiocrement le français et guère mieux la raison76. » Les artisans des villes, bien que souvent traités de canaille, semblent présenter une menace plus sérieuse, parce qu’ils peuvent s’allier avec les classes immédiatement supérieures pour renverser l’autorité. C’était là le pire cauchemar du duc de Chaulnes et de ses assistants, un cauchemar qui se réalise à Rennes au mois de juin, quand la milice bourgeoise interdit aux troupes royales l’entrée de la ville.
55La coopération des élites est indispensable au roi pour mettre en œuvre sa politique, si bien que les limites de celle-ci sont – dans une certaine mesure– dictées par leurs besoins. En Bretagne, l’élite locale comprend les seigneurs et les gens de loi. Le mécanisme de cette coopération est relativement simple car la structure de l’élite bretonne n’est pas compliquée par la présence d’une bourgeoisie politiquement puissante ou de son excroissance financière et bureaucratique. Le roi obtient l’obéissance et une source régulière et fiable de revenus. Les élites reçoivent l’appui royal pour le maintien de leur position politique et économique, ainsi qu’une part considérable de l’argent levé au nom du roi. Les paysans, quant à eux, « bénéficient » d’un système seigneurial d’une grande dureté et d’un modèle d’exploitation qui les prive des ressources – notamment des liquidités– indispensables pour améliorer leur condition économique. Le résultat à long terme sera la désolation de la plus riche province française et l’avènement d’une Bretagne appauvrie et arriérée, celle des xviiie et xixe siècles.
Notes de bas de page
1 AM de Saint-Malo, BB 7.
2 Ibid., BB 12.
3 Ibid., FF 3, document 113.
4 Le soulèvement contre l’armée a été étudié au chap. iii.
5 Sur les difficultés des frères Sauvaget, qui concluent un accord avec la ville de Nantes en vue de lui fournir du grain pendant la famine de 1630-31, voir AM de Nantes, FF 176 et ADIV, 1 Bh 8.
6 Dubuisson-Aubenay, « Journal des Etats ». Cette révolte est examinée plus en détail ci-dessous.
7 ADIV, 1 Bh 8, papiers du Parlement, enquête de décembre 1643 qui montre les marchands bretons utilisant des passeports anglais pour introduire clandestinement du grain en Espagne.
8 ADM, B 2794.
9 ADF, 2 E 5 ; A. Croix, La Bretagne, p. 409.
10 ADIV, 1 F 692, papiers d’A. de La Borderie.
11 J. Tanguy, La Bretagne province, p. 108.
12 J. lemoine, document lxvi, « La révolte du Papier Timbré ou des Bonnets Rouges », Annales de Bretagne, t. xii-xiv, 1894-1897.
13 ADIV, 1 F 692, papiers d’A. de la Borderie ; J. lemoine, « La révolte », document lxiv (sur La Coste) et document lxxxix (sur Kersalaun).
14 ADLA, B 6655.
15 AM de Nantes, BB 31, réunion du 8 juin 1626.
16 AM de Nantes, BB 34, fol. 153v, réunion du 12 mai 1631.
17 ADLA, B 6655, 31 mars 1634 ; ceci n’est qu’un exemple de ces nombreuses interdictions.
18 ADLA, B 6649 (1615).
19 ADLA, B 6651, 18 juin 1627.
20 ADLA, B 6662.
21 ADLA, B 6671.
22 A. Croix, La Bretagne, p. 730-34 ; rôle aux AM de Nantes, CC 86.
23 ADLA, B 6652.
24 AM de Nantes, CC 2.
25 AM de Nantes, BB 46, fol. 31.
26 ADLA, B 6785, sur tous ces incidents.
27 ADLA, B 6784.
28 Une telle conduite n’a rien d’exceptionnel ; en 1663, on apprend que Pierre Caron, cabaretier, doit payer une amende de 200 livres pour avoir rossé un des commis des devoirs ; la même année, François de Bas menace un commis avec un mousquet et l’injurie, ce qui lui vaut une amende de deux écus (ADLA B 6782, pièce 2).
29 ADLA, B 6655-6656. Le 13 février 1633, 16 cabarets sont condamnés à une amende ; 7, le 1er janvier 1633 ; 6, le 18 mars 1636. Le 8 mars 1642, le prévôt publie une ordonnance interdisant la vente de vin et le jeu de boules pendant la messe, sous peine d’une amende de 100 livres. Les archives de la visite épiscopale de 1665 montrent que les paroisses rurales ne sont guère plus dociles pour ce qui concerne l’interdiction de boire pendant la grand-messe. A Cordemais, c’est le curé lui-même qui boit trop souvent (ADLA, G 49).
30 ADLA, B 6782. En 1659, les fermiers des devoirs dressent une liste de près de 50 taverniers qui leur refusent le droit de visiter leurs caves.
31 AM de Nantes, CC 479, pièce 2.
32 ADF, B 1289, 3 août 1725.
33 ADIV, 1 F 307, papiers d’A. de La Borderie, relation des événements de Rennes par maître Morel, procureur au présidial de Rennes ; copie de l’original faite au xviiie siècle.
34 BnF, Mss. Fr. 11 537, registres secrets du Parlement de Bretagne, fol. 460v-461v.
35 J. Lemoine, « La révolte », document iii, Coëtlogon (fils) à Louvois, 19 avril 1675. Coëtlogon signale qu’il a conduit un groupe de vingt à trente gentilshommes au Champ Jacquet et attaqué la foule, tuant douze personnes et en blessant 50.
36 ADIV, 1 F 691.
37 Ibid., journal de Toudoux.
38 J. Lemoine, document vi, Guémadeuc à Colbert, 20 avril 1675.
39 J. Lemoine, document vii, Jonville (commissaire des guerres en Bretagne) à Louvois, 20 avril 1675. Voir aussi documents ix (Morveaux, gouverneur du château de Nantes à Louvois, 23 avril) et x (Jonville à Louvois, 23 avril).
40 Ibid., document lxiv, Jonville, commissaire des guerres, à Louvois, 28 juin 1675.
41 A. Croix, La Bretagne, t. i, p. 183-222.
42 J. Tanguy, La Bretagne province, chap. xviii ; sur le commerce du vin, J. Collins, « Les impôts et le commerce du vin en Bretagne au xviie siècle, » Actes du 107e Congrès national des Sociétés Savantes, Brest, 1984, vol. i, p. 155-68. Sur le lien entre le déclin économique et les révoltes, voir J. Tanguy, « Les révoltes de 1675 et la conjoncture en Basse-Bretagne », MSHAB, 1975, volume consacré au 300e anniversaire des révoltes.
43 Bien que la résistance aux collecteurs des taxes sur le vin ait été endémique dans les années 1630 et 1640, le degré de violence est beaucoup plus élevé dans les années 1660.
44 J. Lemoine, « La révolte », document xli.
45 R. Mousnier, éd., Lettres et mémoires adressés au chancelier Séguier, Paris, 1964, tome i, p. 347-349. Valençay commence son mémoire avec une phrase qui montre avec exactitude l’attitude des gens du roi envers les assemblées représentatives : « Comme ceste province jouit de la liberté de ses Etats, elle est assez peu accoutumée au respect et à l’obéissance envers le roy et ceux qui luy son (sic) envoyé de sa part. »
46 BnF, Mss. Fr. 11 537, fol. 465-65v.
47 J. Lemoine, « La révolte », documents cxxxix-cxl. Liste des parlementaires absents des sessions en BnF, Mss. Fr. 11 537, fol. 515.
48 ADIV, 1 F 307, relation de Morel, p. 35.
49 J. Lemoine, « La révolte », document xciii, Guémadeuc à Colbert, 23 juillet 1675.
50 BnF, Mss. Fr. 11 537, fol. 481 et suiv.
51 J. lemoine, « La révolte », document lxvi.
52 ADIV, 1 F 307, relation de Morel. Le gouverneur désarme la milice par étapes : les 15 et 16 octobre, il désarme tous les miliciens sauf cinquante ; le 24 octobre, il désarme le reste.
53 J. lemoine, « La révolte », document lxiv, Jonville à Louvois, 29 juin 1675.
54 Ibid., document xciii, 23 juillet 1675.
55 Ibid.
56 Ibid., document lxvi.
57 Ibid., document cxlvii, témoignage de Jean Le Quéré, laboureur de Keraliez. Le Moign refuse de l’argent et déclare avec insistance vouloir qu’on lui livre les trois nobles (La Coste et deux autres) et autres « gabeleurs » ; puis il bat la gouvernante en charge de la maison. Un des coups tirés par le fusil de Le Moign met le feu aux écuries et l’incendie gagne la maison. Le Moign est publiquement rompu et étranglé à Carhaix, sa dépouille renvoyée dans la paroisse de Briec et placée sur un échafaud haut de huit pieds, face au château de la Bouëxière, où elle demeura jusqu’à décomposition complète (document cxlvii, sentence rendue contre Le Moign).
58 J. Lemoine, « La révolte », document lxxx, lettre du 13 juillet.
59 Ibid., document lxxxix, Nevet au duc de Chaulnes, 19 juillet.
60 Ibid., document lxxxiii, accord entre l’abbaye de Langonnet et ses « vassaux ».
61 Ibid., p. 523-530 et 544-550.
62 Ibid, document xli, 15 juin.
63 Par exemple, le marquis de Trévigny, dont le château de Kergoet a, dit-on, été entièrement construit par la main-d’œuvre des corvées : J.lemoine, « La révolte », document lxxii, duc de Chaulnes à Louvois, 13 juillet. Lemoine évoque les relations exécrables entre Trévigny et ses « vassaux », qui ont mené à une sédition en 1668 et même à une tentative de meurtre sur la personne du marquis, le 10 juin 1668, pour laquelle les autorités exécutent peu après, à Carhaix, un tailleur du pays.
64 ADIV, C 2785, 4e remontrance des Etats de Bretagne, 1675.
65 J. Collins, « The economic role of women ».
66 Dans la plupart des cas, c’est une femme – l’épouse du seigneur, une gouvernante, ou même une métayère – qui fournit la première ligne de défense du château attaqué.
67 L’expression est de la plume de Guémadeuc écrivant à Colbert : elle souligne l’attitude positive des bourgeois de Saint-Malo (J. Lemoine, « La révolte », document vi).
68 ADLA, G 244-45. Voir chap. vi sur Guillory.
69 Articles des paysans dans ADIV, 1 F 1640.
70 B. Porchnev, Les soulèvements populaires en France avant la Fronde, 1623-1648, Paris, 1963 ; Y.-M. Bercé, Histoire des Croquants, Paris, 1974 ; M. Foisil, La révolte des nu-pieds, Paris, 1970 ; R. Pillorget, Les mouvements insurrectionnels en Provence entre 1595 et 1715, Paris, 1975.
71 C. Colbert de Croissy, La Bretagne en 1665, p. 212-213. Bien qu’il soit difficile d’accepter cette explication du déclin économique local, elle met l’accent sur le nombre croissant des gens de loi dans la province (et donc sur la demande sans doute accrue pour leurs services).
72 Ibid., p. 204-210.
73 Dans la région du domaine congéable, le paysan qui intente une action pour faire expulser un tenuyer qui occupe les lieux doit acquitter les frais de justice. Le propriétaire ne règle pas ces honoraires.
74 P. Goubert, La vie quotidienne des paysans français au xviie siècle, chap. ix sur les activités de ces personnes dans toute la France. En Bourgogne, par exemple, pratiquement toutes les ventes foncières qui ont lieu dans la paroisse d’Alligny-en-Morvan de 1659 à 1666 visent au remboursement d’une dette envers un prêteur (souvent un notaire) de Saulieu (AD Côte d’Or, 4 E 49, fol. 12-15).
75 J. Lemoine, « La révolte », document lxxii.
76 Ibid., document lxxi. Guémadeuc (document xciii) écrit à Colbert : « Si, parmy ce peuple grossier et brutal, il y avoit quelqu’un capable d’entendre raison, il y auroit lieu d’espérer que l’heureux retour du roy à Paris les espouvanteroit et les feroit rentrer dans leur devoir, mais comme ils n’entendent pas seulement la langue française, je croy qu’il n’y aura que le chastiment et la punition de leurs crimes qui les puisse désormais empescher d’en commettre de nouveaux et qu’on en sera enfin obligé d’en faire des exemples rigoureux pour le bien du service du roy et le restablissement de son authorité en cette province. » Le gouvernement amnistie tous les rebelles, hormis « quelques-uns », et condamne à mort relativement peu de monde dans les grandes villes, mais plusieurs sources rapportent que le long des routes près de Quimper les arbres sont chargés de paysans, et nous avons vu le terrible châtiment réservé à Le Moign (voir supra note 57), assez typique des condamnés à mort pour rébellion. ADIV 1 F 1640 comporte la liste imprimée (contemporaine des événements) de ceux qui ne peuvent profiter de la grâce générale. Le duc de Chaulnes prend soin d’exclure explicitement de l’amnistie trois villages entiers près de Quimper (J. Lemoine, « La révolte », p. 188). Le 3 juillet, Chaulnes écrit à Colbert qu’il a fait « tout ce qui peut contribuer à remettre ces esprits non seulement brutaux mais cruels et inhumains ». Quelques jours plus tard, le 16 juillet, il parle d’une « revolution surprenante dans l’esprit des peuples ».
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