Le stéréotype du « collabo » à la Libération
p. 107-115
Texte intégral
1L’épuration est un miroir mais aussi bien souvent un prisme de la collaboration ordinaire. Le processus est le fruit d’une tension permanente entre une réalité objective et des représentations immédiates de cette même réalité. Dès lors, il importe de saisir, au-delà des faits avérés de collaboration, les types d’attitudes qui paraissent signifier la collaboration aux yeux de la population à la Libération. C’est cette somme de faits ou de comportements disjoints qui est constitutive du stéréotype du « collabo ». Celui-ci parasite l’image du coupable mais trouve dans la définition du suspect un champ d’expression beaucoup plus favorable, c’est pourquoi nous avons privilégié cet aspect dans notre étude1. À travers les mots qui suspectent et accusent le « collabo », à l’échelle des voisinages, apparaissent des images dominantes. Elles permettent de dégager un système de représentations articulé autour du rapport au plaisir, à la déviance et à l’identité individuelle et/ou collective.
LE RAPPORT AU PLAISIR
2La dénonciation du plaisir sous toutes ses formes, surtout lorsqu’il est partagé avec les Allemands, est assimilée à un manque de solidarité à l’égard d’une communauté unie dans la souffrance. Dès lors, tout débordement joyeux est perçu comme déplacé. Au mieux, il est considéré comme une forme d’inconscience face à la gravité de la situation et au pire comme une trahison. La joie développée nourrit alors un imaginaire sur lequel se greffent d’autres accusations. Le témoignage à charge contre une femme logeant des Allemands à son domicile est sur ce point éclairant :
Il s’est passé certainement beaucoup de choses dans cette maison car c’était une joie très ouverte, du samedi au lundi en particulier, la radio marchait jusqu’à cinq heures du matin […]. Je n’ai jamais vu malgré tout d’actes répréhensibles2.
3À partir de « l’ambiance » qui règne dans cette maison que des Allemands partagent avec une jeune femme de prisonnier (donc seule), une partie de la communauté villageoise se construit un imaginaire de ce qui pouvait s’y dérouler : elle est finalement accusée de relations intimes et de dénonciations. À ce titre, elle sera tondue et internée trois mois à la Libération.
4Au sortir d’une période de privations, de pénurie et de rationnement, l’aisance et l’abondance « étalées » au grand jour semblent particulièrement suspectes. Les mentions relatives « à un train de vie au-dessus de ses moyens3 » sont fréquentes et justifient toutes sortes de suppositions quant à l’origine de cette richesse hors norme. Les reproches à l’égard de femmes jugées « d’une élégance insolente4 » relèvent de la même mécanique mais assurément, ce sont les excès alimentaires réels ou supposés qui véhiculent le plus de récits fantasmatiques. Dans une affaire de croix gammées peintes sur des façades à Vihiers en septembre 1944, l’enquête de gendarmerie recueille entre autres témoignages :
Cette manifestation ne m’a guère surprise car à chaque fois qu’il y avait des Allemands à Vihiers, il fréquentait assidûment la maison X. et y faisait ripailles5.
5Dans le même ordre d’idées, au sujet du maire et d’un conseiller municipal de Juigné-sur-Loire révoqués à la Libération, le CDL note :
Le maire recevait fréquemment des Allemands chez lui et leur offrait force libations […]. Certaines personnes de Juigné ont pu aussi voir le maire de leur commune banqueter à l’hôtel X. avec des membres de l’armée d’occupation.
Quant à M. Y., conseiller municipal, on voit venir une voiture allemande chaque dimanche vers 11 heures aux provisions : les œufs, le beurre, le vin, l’eau-de-vie étaient réservés à ces messieurs et à ce moment c’était la fête à la maison : les meilleurs vins, les meilleurs crus, force libations6.
6On retrouve dans le dernier témoignage un grief classique contre les commerçants, restaurateurs et autres débitants accusés d’avoir « mieux servi les Allemands que les Français ». Réserver ses meilleurs produits à l’ennemi revient à exprimer une préférence et est invariablement considéré comme un manquement au devoir patriotique et un préjudice porté à la nation. Bénéficier par l’intermédiaire des Allemands de produits contingentés est tout autant condamné. Ainsi, ce professeur d’Angers, qui donnait des leçons de français à des officiers allemands et en tirait quelques avantages matériels, est-il dénoncé par ses collègues de la manière suivante :
Mme X. vivait dans l’abondance, sa table regorgeait de viande, vins, friandises et oranges, fruits défendus que réclamaient en vain des convalescents7.
7Une fois encore, en détournant ces produits à son profit, elle est pressentie comme portant préjudice à des Français qui eux en avaient réellement besoin et souffraient (convalescents, malades…). Dans l’esprit de ces accusateurs, elle commet une trahison caractérisée. Symptomatique aussi est l’image « du fruit défendu » qui assimile clairement son acte à un péché. Les mots utilisés pour dénoncer les excès alimentaires (ripailles, forces libations, banqueter, festoyer, orgies…) et leur association à la trahison renvoient à une fonction d’expiation de comportement hors norme. De fait, l’épuration est souvent réclamée pour sanctionner des dérèglements moraux ou sociaux.
LE RAPPORT À LA DÉVIANCE
8La demande d’épuration associe souvent la collaboration à une forme de dégénérescence morale ou sociale. Elle vise alors des individus accusés d’avoir transgressé des codes communément admis. Ainsi, les relations sexuelles avec l’occupant sont-elles quasi systématiquement présentées comme le fait de femmes « à la vie désordonnée » et « aux mœurs légères, dissolues ou dépravées ». Tolérées voire admises pour les femmes dont c’est « le métier », les prostituées officielles sont peu inquiétées à la Libération ; cette attitude est stigmatisée pour les autres et perçue comme le fruit de désordres conjugaux et moraux, comme en témoigne cette galerie de portraits :
De mœurs très légères se donnant aussi bien aux Allemands qu’à d’autres hommes sans pour cela s’occuper de politique. Son mari est prisonnier depuis 1940 mais elle a été condamnée pour avortement par le tribunal correctionnel de Saumur en 19428.
Elle a fait une noce épouvantable avec les Allemands et a fait des fausses couches autant qu’il a pu s’en présenter depuis le départ de son mari qui en rentrant de captivité l’a quittée9.
Femme qui vit maritalement avec un nommé M. Cette femme aux mœurs légères que l’on peut qualifier de « femme internationale » n’a jamais dénoncé qui que ce soit et ne s’occupe de personne. Ces relations avec un Allemand nommé F. n’ont été qu’un amour passager. Elle vit des faveurs de ses amants en particulier de certains notables d’Ancenis, lesquels sont généreux10.
9Ces trois femmes, par leur volonté de s’affirmer libres de disposer de leurs corps et de leur sexualité, transgressent la morale dominante et choquent la majorité de leurs concitoyens. C’est exclusivement à ce titre qu’elles sont inquiétées puisque chacun s’accorde à reconnaître qu’elles ne s’occupent pas de politique. En diabolisant « ces femmes perdues », on suggère que ce comportement est inconcevable de la part de « vraie française », l’une d’elles est d’ailleurs qualifiée de « femme internationale ». Chemin faisant, conformément aux représentations en vigueur, on exclut la possibilité de relations amoureuses franco-allemandes reposant sur des sentiments sains, profonds et sincères. Les autorités elles-mêmes participent pleinement à la construction de cette équation -relation avec un Allemand = comportement amoral et anormal- par un usage quasi systématique du terme « débauche » pour qualifier les relations « coupables ». Dans certains cas, le comportement de ces femmes est non seulement perçu comme un danger moral mais aussi une menace pour l’intégrité physique de la partie « saine » de la population.
10En février 1945, le maire de Doué-la-Fontaine alerte les autorités dans les termes suivants :
Mademoiselle L., 19 ans, célibataire, a eu les cheveux coupés à la libération. J’ai su par la rumeur publique que cette femme était atteinte de maladie vénérienne et devient dans ce sens un danger public. Il y aurait intérêt à statuer immédiatement sur son cas11.
11En brandissant le péril vénérien comme motif majeur à sa demande d’épuration, il lui attribue clairement une fonction de prophylaxie. Au-delà des questions de pureté physique et morale, la marginalité (voire la seule originalité) est un puissant vecteur de suspicion dans le cadre de l’épuration perçue au village. Les individus non intégrés aux sociabilités locales sont plus particulièrement désignés comme suspects par le reste de la communauté souvent au seul motif qu’ils se tiennent à l’écart du groupe. L’autre, celui qui est différent, est assimilé à un ennemi intérieur, particulièrement dans le cadre de la Libération où le mythe de la « cinquième colonne » est vivace. Il en est ainsi pour ses deux enquêtes visant des hommes accusés de sentiments pro-allemands.
Peut-être est-ce parce que M. X. ne fréquente personne à Pellouailles et que la mentalité de ce village aimant assez la critique n’a pu trouver d’autres reproches à formuler contre lui qu’ils ont profité de l’origine de Mme X. pour le taxer de collaboration.
Marié à une personne native de l’est, il vit en famille complètement en dehors des habitants de Pellouailles ce qui dit-on l’aurait rendu suspect12.
Le nommé Y. peu connu dans son quartier, de caractère renfermé, passe pour un piqué. En réalité, c’est un être très intelligent et cultivé. En un mot, c’est un original. À aucun moment, il m’a semblé s’intéresser à la politique, aucun fait ou parole pouvant l’attester n’a été relevé à son encontre13.
12Stigmatisés par la communauté pour leur anticonformisme, ils le sont bien davantage en tant qu’ »étrangers » à la cité. Le terme doit ici être entendu au sens large et à une échelle réduite. Ainsi, dans l’exemple de Pellouailles, le fait d’être marié à une femme extérieure à la commune est perçu comme un fait aggravant. Son cas est d’autant plus suspect qu’originaire de l’Est, elle peut facilement être assimilée à « une boche » selon une image fréquente à l’époque14. Ainsi, au Louroux-Béconnais, un commerçant est-il inquiété sur ce seul mobile. L’enquête de police le concernant conclut :
Beaucoup de on-dit mais aucune précision. En outre, son nom à consonance étrangère n’a pas été pour lui faire du bien en la matière, puisque certaines personnes du bourg se sont permises de le traiter d’Allemand15.
13Lorsqu’il s’agit de véritables étrangers, la défiance est beaucoup plus grande encore : en de nombreux points du département, des Luxembourgeois, Hollandais, Suisses ou Italiens sont suspectés de collaboration sur le seul critère de la nationalité. L’épuration est l’occasion de rappeler à certains qu’ils n’ont jamais été acceptés et encore moins intégrés à la commune. Ce refus de leur accorder le droit de cité éclate parfois de manière cruelle. Ainsi, face aux accusations de collaboration visant un ingénieur bulgare installé à Doué-la-Fontaine depuis 1934 :
14Le comité local de libération explique gêné :
C’est un étranger qui n’a jamais su se faire estimer dans la localité et je crois que là seul est l’origine de l’accusation portée contre lui.
15La conclusion de l’enquête de gendarmerie est encore plus nette :
Nous avons entendu verbalement plusieurs personnes et notabilités de Doué, aucune d’elle n’a pu nous déclarer que X. s’était fait remarquer par une propagande pro-allemande ou pour avoir tenu des propos antinationaux ; toutefois, l’opinion publique est unanime à déclarer qu’il est regrettable que la place d’ingénieur soit tenue par un étranger16.
16La non appartenance à la communauté « réelle » est suspecte : elle fait craindre un comportement déviant. Un Suédois, installé à Varrains, et vivant, sans profession apparente, de l’argent que son frère lui adresse par l’intermédiaire du consulat de Suède, est accusé de dénonciations et suspecté d’être un « agent au service de l’Allemagne ». Le garde-champêtre interrogé résume parfaitement la représentation dominante :
Je n’ai jamais vu d’Allemand chez lui. Cela ne l’empêche pas d’être considéré comme suspect par la population de Varrains. C’est un étranger qui vit de subsides de provenances douteuses17.
17Lucide, l’intéressé analyse bien la situation :
En définitive de tout ce que l’on m’accuse, je n’ai rien à me reprocher.
À mon avis, c’est du chauvinisme exagéré et borné d’un petit village où les gens ne peuvent pas comprendre pourquoi j’ai voyagé et que je parle plusieurs langues18.
18Dans les faits, la libération exacerbe un contrôle social jamais démenti à l’échelle de petites communautés, fermées et imprégnées de conservatisme.
19L’association déviance-marginalité-trahison n’est qu’un épisode supplémentaire d’une pression ordinaire exercée dans le but ultime de se débarrasser des éléments « indésirables ». Dans les représentations dominantes, la trahison étant assimilée à une déviance, elle ne peut être le fait que d’un être marginal. Au sortir d’une occupation vécue comme une humiliation et une souillure, l’unité du plus grand nombre se scelle autour de l’exclusion de quelques-uns qui ont failli, trahi, sali. Il est d’ailleurs frappant de constater combien l’épuration est perçue comme une œuvre de purification, d’assainissement, de nettoyage… Tous ces mots sont spontanément et fréquemment associés à l’épuration : elle est une mesure d’hygiène morale et sociale… qui doit participer au redressement, à la renaissance du pays.
20Si la fonction d’homogénéisation sociale est aussi présente, c’est parce que l’épuration est étroitement liée à l’identité du groupe.
LE RAPPORT À L’IDENTITÉ
21À la Libération, chacun comprend que des relations minimales avec l’occupant étaient inévitables mais toute proximité excessive réelle ou supposée est sévèrement jugée. Ainsi, le caractère ostentatoire des rapports personnels à l’occupant est-il considéré comme une propagande de fait en sa faveur. Face à la volonté de « s’afficher avec les Allemands », la chambre civique de Maine-et-Loire retient « une attitude injurieuse à l’égard de la population française ». Les relations amicales et/ou intimes sont particulièrement stigmatisées.
22Elles sont invariablement perçues comme un renoncement à sa propre identité. Des femmes tondues à Fontevrault sont accusées « de s’être données aux Allemands ». Une angevine, lorraine d’origine, travaillant comme interprète au service des Allemands et liée d’amitié avec un sous-officier, est internée pour ces motifs. Sur son dossier, on peut lire « on ne peut que blâmer la conduite privée de Mme X. qui a abdiqué sa dignité de française19 ». Telle autre femme est présentée par un témoin de la manière suivante :
Il est manifeste d’après ses propos et son attitude que cette femme était à la dévotion complète des Allemands et indigne de se dire française20.
23« Avoir des relations étroites et suivies avec les Allemands », « travailler à leur service », « les recevoir à sa table », « manger, boire, rire avec eux », « se promener en leur compagnie », « participer à des parties de chasse avec eux », « prôner leur qualité »… sont considérés comme autant de manifestations d’un processus de germanisation. Dès lors, l’image du « collabo » se brouille et se confond avec celle de ceux qu’il sert, admire, aime, favorise… « Le collabo », dans les représentations dominantes, se dénationalise, on lui dénie le caractère de français : il (ou elle) devient un (ou une) « sale boche ». Par son reniement initial et sa trahison, il est même pire que l’ennemi qui lui a l’excuse d’être étranger : il devient « plus boche que les boches » ou encore « plus boche qu’Hitler ». L’image mentale du « collabo » qui n’est plus français est tellement répandue qu’elle est même intégrée par les accusés notamment dans leur système de défense : ainsi, cette femme clôt son procès-verbal d’audition en réaffirmant son identité « je répète encore une fois que je suis française et non collaboratrice21 ». Forts de cette image, les collaborateurs jugés par la communauté sont la cible d’un ostracisme puissant et souvent violent.
24Durant les journées libératrices, la mise au ban de la communauté se traduit par le marquage des maisons22 : inscriptions et interdiction de pavoiser accompagnent alors l’exclusion des festivités organisées après le départ des Allemands. À Doué-la-Fontaine, le capitaine FFI, après avoir ordonné de peindre un « H » sur une vingtaine de maisons, fait proclamer l’avis suivant le 2 septembre au matin :
Il est formellement interdit aux habitants, dont les maisons ont été marquées d’un « H », première lettre d’un nom qu’ils admirent, de mettre chez eux la moindre décoration. Ils n’ont pas le droit de participer à nos réjouissances23.
25Dans la commune voisine de Soulanger, le garde-champêtre, agissant sur ordre d’un lieutenant du maquis, diffuse le 1er septembre à 22 heures le communiqué selon lequel :
Toutes les habitations ayant été marquées d’une croix gammée sont prévenues qu’elles ne doivent pas prendre part au défilé, ni pavoiser24.
26À l’image des tontes, le fait de dégrader ou de souiller le corps ou le domicile de collaborateurs est une façon de rappeler aux intéressés leur propre salissure. Mais sans doute s’agit-il aussi, aux yeux de la communauté, d’actes de nature à conjurer la faute ou le mal commis. Au-delà du fait que « le marquage » est souvent un signe tangible d’appropriation, il est difficile de ne pas y voir une volonté de purification25. L’interdiction de pavoiser démontre que les suspects sont exclus du champ social et national. Le fait de restreindre l’usage du drapeau tricolore est un véritable contrôle social de sa légitimité. Interdit d’usage, arraché ou parfois remplacé par « un drapeau nazi26 », le message est le même « Vous n’êtes pas (plus) français(e), vous n’avez pas le droit de mettre un drapeau ». Il arrive parfois que de telles scènes dégénèrent en actes plus graves et plus violents. À Jallais le 31 août, l’interdiction faite à deux femmes du bourg de pavoiser car « plus boches que françaises27 », débouche deux heures plus tard sur leurs tontes après effraction de leurs domiciles et s’achève par l’inscription de trois croix gammées sur la façade. Ici, tous les marqueurs sociaux qualificatifs du bannissement sont réunis (paroles, pavoisement, tonte, inscriptions).
27L’arrachage des drapeaux, les inscriptions sur des murs privés, les effractions répétées aux domiciles des suspects et bien évidemment les passages à l’acte plus graves contre leur personne (tonte) ou leurs biens (saccage) permettent de préciser la nouvelle condition de « ces bannis28 » de la Libération.
28Consciemment ou inconsciemment, une partie des populations locales perçoit « le collaborateur notoire » comme ayant rompu ses liens avec la communauté locale et nationale et donc comme s’étant placé « hors-la-loi ». Expulsé du groupe social, il l’est aussi du champ de la loi ou du droit qui s’y rattache : la loi et les règles communes de la société ne s’appliquent plus à lui. Cette perception explique certainement pour une part les infractions caractérisées à la loi, propres à une répression populaire attentatoire à l’intégrité physique des individus et à la propriété privée. À partir de là, il est clair que « les bons Français » ou encore « les vrais patriotes » peuvent s’arroger des droits auxquels ne peuvent prétendre « les mauvais Français » ou « les coupables29 ».
Notes de bas de page
1 Dans les sources multiples de l’épuration, nous avons privilégié celles qui se situent à mi-chemin entre l’épurable et l’épuré, entre la collaboration dénoncée et la collaboration sanctionnée, entre l’innocence et la culpabilité. Le corpus ainsi dégagé s’appuie sur les dossiers d’internements administratifs, les dossiers classés en cour de justice et chambre civique, les pétitions et demandes d’enquêtes des comités de Libération et les affaires de violences populaires contre les collaborateurs notoires. Recherche réalisée dans le cadre d’une thèse Épuration vécue et perçue à travers le cas du Maine-et-Loire. De la Libération au début des années 50, Rennes II, 2001, 814 p. À paraître aux PUR (octobre 2003) sous le titre Une société en épuration… La communication présentée au séminaire et cette version publiée ne constituent donc que les bases d’une réflexion plus approfondie et développée dans la thèse. À titre comparatif, il faut aussi signaler sur ce sujet les travaux pionniers de Luc Capdevila, Les Bretons au lendemain de l’Occupation : imaginaire et comportement d’une sortie de guerre 1944-1945, Rennes, PUR, 1999, 449 p.
2 ADML, 30W 182 à 189 : dossier d’enquête du comité de libération de l’arrondissement de Saumur, Mme D.
3 AN, F1716.731, dossier d’épuration administrative de Mme A., institutrice à Montreuil-Bellay.
4 AN, F1716.779, dossier d’épuration administrative de Mme D., professeur à Angers, formule relevée dans l’acte d’accusation dressée contre elle par le comité d’épuration de son collège.
5 ADML, 30W 182 à 186, dossier d’enquête du comité de libération de l’arrondissement de Saumur, affaire de Vihiers (plaintes pour détériorations et diffamations).
6 ADML, 417W 27, affaires communales : Juigné-sur-Loire, enquête du CDL, le 30 octobre 1944.
7 AN, F17/16779, dossier d’épuration administrative de Mme D., professeur à Angers, formule relevée dans l’acte d’accusation dressé contre elle par le comité d’épuration de son collège.
8 ADML, 7U4/18 : chambre civique de Maine-et-Loire, dossier classé sans suite, n° 1040, conclusion d’un PV de gendarmerie, 23 novembre 1944.
9 ADML, 30 W 182 à 189 : demande d’enquête du comité de libération de l’arrondissement de Saumur, Famille T., lettre d’accusation de 9 habitants du village contre la femme T.
10 ADML, 7U4/19, chambre civique de Maine-et-Loire, dossier classé sans suite, n° 1445, conclusion d’un PV de gendarmerie, 3 août 1945.
11 ADML, 7U4/16, chambre civique de Maine-et-Loire, dossier classé, n° 540. Dans son dossier, ces « dérèglements sexuels » avec l’occupant sont qualifiés « d’orgies ».
12 ADML, 7U4/18, chambre civique de Maine-et-Loire, dossier classé, n° 1120. Témoignage de l’instituteur, membre du CLL (PV de gendarmerie 4 juillet 1945) et conclusions d’un premier rapport de police établi le 12 mai 1945. La répétition des enquêtes démontre, malgré l’absence de résultats, que la rumeur ne désarme pas.
13 ADML, 7U4/21, chambre civique de Maine-et-Loire, dossier classé n° 1851, conclusion d’un procès-verbal de police établi le 6 octobre 1945.
14 Les Alsaciens et les Lorrains semblent particulièrement tenus pour suspects par les populations qui les perçoivent comme plus germaniques que français.
15 ADML, 7U4/19, chambre civique de Maine-et-Loire, dossier classé, n° 1356. Procès-verbal de police le 21 juillet 1945. Son nom est à consonance germanique.
16 ADML, 30 W 182 à 189 : demande d’enquête du comité de libération de l’arrondissement de Saumur, procès-verbal de gendarmerie, le 18 janvier 1945.
17 ADML, 30 W 182 à 189 : demande d’enquête du comité de libération de l’arrondissement de Saumur. Enquête de gendarmerie le 15 décembre 1944.
18 Idem.
19 ADML, 22W 3, dossier d’internement de Mme B.
20 ADML, 22W 5, dossier d’internement de Mme K.
21 ADML, 7U4/17 : chambre civique, dossier classé sans suite, n° 892. Procès-verbal d’audition le 19 avril 1945.
22 Sans prétendre à l’exhaustivité, des faits de ce genre ont été relevés à Bécon, Brain-sur-Allonnes, Doué-la-Fontaine, Soulanger, Saint-Mathurin, Saint-Martin-de-la-Place, Jallais, Vihiers, Candé, Faye-d’Anjou, Cholet, Chemillé, Le Puy Notre-Dame.
23 ADML, 417W 25 : affaires communales, Doué-la-Fontaine.
24 ADML, 417W 38 : affaires communales, Soulanger.
25 D’autres rites de purifications accompagnent la violence populaire, ainsi à Angers et La Pommeraye, les femmes tondues sont plongées dans un bassin ou sous une fontaine. A. Brossat y voit une résurgence du « bain forcé » imposé aux femmes adultères au xvie dans le sud-ouest et notamment en Charente. A. Brossat, Les tondues, un carnaval moche, Paris, Hachette, 1994, p. 40. Sur le phénomène des tontes, se référer désormais à F. Virgili, La France « virile ». Des femmes tondues à la Libération, Paris, Payot, 2000, 392 p.
26 Comme à Brain-sur-Allonnes, le 30 août 1944. ADML, 417W 20, affaires communales.
27 ADML, 95W 82 : procès-verbal de la brigade de gendarmerie de Chemillé le 5 septembre 1944.
28 Sans chercher à établir un quelconque lien de causalité ni même une forme de résurgence, la similitude avec le statut du banni, tel qu’il est défini par R. Jacob pour le Moyen Âge, n’en demeure pas moins intéressante. « Du point de vue des textes normatifs, tous les bannissements se ressemblent. Tous reposent sur une série de traits constitutifs constants : l’interdiction de résidence dans un territoire déterminé, la confiscation des biens, l’immunisation totale ou partielle de l’attentat contre la personne du banni (coups et blessures ou homicide), l’annulation de toutes les obligations dont le banni était créancier, la déchéance du droit d’ester en justice ». R. Jacob, « Bannir au Moyen Âge. Du lien des lois et de sa rupture », Annales Histoire Sciences sociales, septembre-octobre 2000, n° 5, p. 1040.
29 « Il ne faut pas que les bons français paient pour les mauvais » titre d’une affiche apposée par l’amicale des FFI de Chemillé le 17 août 1945 pour dénoncer la condamnation par le tribunal militaire des FFI locaux jugés responsables de la mort d’un interné qu’ils venaient arrêter à son domicile à Chanzeaux le 13 septembre 1944. Suite à cette campagne d’affichage, une manifestation est organisée à Cholet le 8 octobre 1945 : « contre la peine inique prononcée contre des jeunes FFI qui ont abattu un collaborateur notoire », la manifestation rassemble 2 500 personnes, ADML, 95W 80. Parmi les FFI, deux bénéficieront d’une suspension de la peine d’emprisonnement (deux ans) prononcée. Les deux autres, comme repris de justice et « mauvais sujets », n’obtiendront pas l’indulgence des autorités.
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