Le chapitre Sainte-Radegonde de Poitiers et son quartier au xvie siècle
p. 189-196
Texte intégral
1Note portant sur l'auteur1
2Les archives départementales de la Vienne conservent une quinzaine de registres de délibérations du chapitre de Sainte-Radegonde pour le xvie siècle, soit plus de 5 400 pages2. Ces registres nous renseignent principalement sur le fonctionnement de la collégiale3, mais ils fournissent aussi des éclairages sur la vie du quartier.
3L’église Sainte-Radegonde, qui est collégiale et paroissiale, est le monument principal du quartier. Le chapitre de Sainte-Radegonde, qui a la garde du tombeau de la sainte reine et moniale, comprend vingt chanoines prébendés, dont les trois dignités de prieur, chantre et sous-chantre, quatre hebdomadiers, chanoines se partageant une prébende, dix-huit chapelains et bacheliers, un nombre variable de clercs dits « des draps » du chapitre, une maîtrise de chant de six enfants dirigés par un maître de psallette, des coutres pour les cloches, le cimetière, la surveillance de l’église. Une bulle de 1419 parle de quatre-vingts personnes. Depuis l’origine il dépend de l’abbesse de Sainte-Croix. Les nombreux conflits soulevés au Moyen Âge par les chanoines, offusqués de dépendre d’une femme, n’ont aucun écho au xvie siècle, mais il est vrai qu’alors la prééminence de l’abbesse se manifeste fort peu. La collégiale se targue d’être « la tierce en auctorité de la ville et cité de Poitiers et de fondation royale4 », venant après le chapitre cathédral et la collégiale Saint-Hilaire-le-Grand. Les chanoines apparaissent, au fil des registres, très soucieux de se régler sur ceux de « l’église matrice » pour la liturgie5, les vêtements6, les sonneries de cloches7, et lorsqu’ils font refaire leurs orgues en 1597 ils demandent au facteur d’orgues, Nicolas Caron, de faire onze jeux comme aux orgues de la cathédrale8. Le chapitre est sous le contrôle de l’évêque qui le visite chaque année. En fait, on ne trouve que deux visites de l’évêque en personne, Charles Peyrusse des Cars, en mars 1566 et mars 1567, mais le chapitre refuse de lui accorder le droit de nommer un chanoine à sa première entrée9. Ces visites sont ordinairement faites par les délégués de l’évêque, par exemple son official, et aussi, à diverses reprises, par Jean, évêque d’Hébron, et par Hilaire Chenu, évêque d’Hébron, dits « substitut » ou « suffragant » de l’évêque de Poitiers10. Ce sont les chanoines qui paient la totalité des frais d’entretien de l’église.
4Au sud de l’église se trouvait le cloître, en contrebas11, ainsi que le logis du prieur. Le cloître était affecté au prieur, sauf pour des processions et les distributions d’aumônes en carême12. En 1521 le prieur concède la salle des maisons priorales pour le banquet des meuniers et des fourniers de la ville le dimanche de la Trinité ; en 1576 il prête une des salles de son logis pour la tenue d’assises13. Toutes les autres maisons jusqu’à la rue des Carolus sont des maisons canoniales. La quasi-totalité des maisons devant l’église sont aussi canoniales14. Lacure, l’aumônerie du chapitre, un logis canonial, la chantrerie entourent le cimetière situé sur le flanc nord de l’église. La prison touchait le chœur, mais elle ne sert plus au xvie siècle, et la jouissance en sera donnée au ciergier chargé du luminaire de l’église15. Tirant vers l’abbaye Sainte-Croix, mais située paroisse Saint-Austregésile, l’aumônerie Saint- Jacques-de-la-Vergne relevait aussi du chapitre. Une maison des chapelains se trouvait en cette même paroisse16. La maison de la boucherie établie en 1421, changée de lieu en 1427, appartenait au chapitre qui la louait à un boucher17. Dans les années 1580 une boutique sera installée en une maison canoniale, en face da la grande porte de l’église mais elle sera supprimée au bout de trois ou quatre ans18. Bref toute la partie méridionale du quartier de Sainte-Radegonde est habitée par les chanoines ou autres membres du chapitre.
5L’église Sainte-Radegonde est aussi paroissiale. Le curé est nommé par le chapitre. Laparoisse est dite de Notre-Dame-hors-les-murs19, ce qui est reprendre le patronage du temps de sa fondation par sainte Radegonde. L’autel de la paroisse est celui de la chapelle d’axe du déambulatoire, situation médiocre, imposant de surcroît une cohabitation malaisée des offices paroissiaux et canoniaux. La paroisse s’étend jusqu’à la Grand’Rue et à la rue des Herbaux, et déborde largement sur la rive droite du Clain et le haut du plateau : la Pilardière, la chapelle Saint-Éloi-de-la-Perche, et près du pont Joubert l’aumônerie de Sainte-Néomaye avec sa chapelle20, sans oublier la chapelle Notre-Dame-de-Bon-Aide21, qui doit être la chapelle située sur le pont Joubert. Il y a aussi, en haut de Montbernage, un second cimetière paroissial. En1577 il est demandé au curé d’établir les bornes et limites de sa paroisse et de dresser l’état de ses paroissiens22. À défaut d’avoir gardé cet état, s’il a été réalisé, on peut se reporter au rôle nominatif d’une contribution levée sur la ville en 1552. Y sont énumérés, pour la paroisse Sainte-Radegonde, 208 foyers soumis à cette levée, mais il manque un ou deux folios. Les 208 noms fournis paient 197 livres sur la somme de 250 livres prélevée sur toute la paroisse23. On doit donc avoir environ 250 « feux », ce qui représente de 1 000 à 1 250 habitants selon que l’on compte 4 ou 5 personnes par feu. Il s’agit d’une population de petites gens, avec 71 hommes de bras, et 57 % des gens qui ne paient que de 1 à 5 sous. L’activité principale dérive du Clain et de ses moulins : 2 tanneurs, 5 parchemineurs, 9 meuniers, 13 cardeurs, 11 tisserands en toile et 4 en draps, avec encore 5 couturiers, 5 aiguilletiers, 1 teinturier. Deux laboureurs à bras paient 3 et 5 sous, un laboureur 6 sous, deux laboureurs à bœufs 6 et 11 livres. Il n’y a qu’un seul marchand, Jean Guillon, qui paie 24 livres. Les autres métiers ne sont représentés que par peu de personnes : 3 maréchaux, 1 hôtelier, 1 barbier, 2 pâtissiers, 1boulanger, 1 huilier, 3 couvreurs, 3 carreleurs, 1 maçon, 2 charpentiers, etc. Dans un autre rôle de 1568, sans indication de métier, la paroisse est au 12e rang des 25 paroisses de la ville24.
6Ce que l’on peut saisir de la vie quotidienne dans le quartier est partiel, puisque ne venant que des registres de délibérations du chapitre. On peut dire que le rythme des journées est scandé, pour les habitants du quartier aussi, par les sonneries de cloches qui appellent chanoines et chapelains aux offices. La première sonnerie annonçant les matines a lieu à 5 heures, et même à 4 heures le dimanche25. En novembre 1568, le chapitre doit se résoudre à n’appeler aux matines qu’avec deux petites cloches et le plus court possible, parce que la sonnerie ordinaire empêche les sentinelles — installées sur les remparts — d’entendre l’ennemi approcher26. On dispensera de matines en novembre et décembre 1572 un chanoine logé près des murailles, en lieu dangereux27. On trouve une assemblée au palais épiscopal le dimanche28 juillet 1578 entre 5 et 6 heures du matin pour délibérer des affaires du clergé 27. À l’université les lectures ordinaires commencent à 5 heures. Si on se lève tôt, on se couche tôt aussi. En août 1539 un sacristain se voit reprocher de ne pas coucher en l’église pour empêcher les vols, comme il le doit, de fermer les portes le soir puis de sortir aussitôt : il promet de coucher en l’église à partir de 8 heures du soir29. Il faut aussi prendre en compte qu’il y a un « réveilleur » qui toutes les nuits va « ès quantons pour inciter un chacun à prier Dieu pour les trépassés », « réveiller les gens de bien à prier Dieu pour les trépassés30 ». L’horloge fixée sur l’église et entretenue par un maître horloger est également un repère pour les heures de la journée. Il est prescrit aux coutres de sonner les cloches quand il tonne et fait mauvais temps31, peut-être en raison de la croyance populaire à l’éloignement de l’orage par l’ébranlement de l’air déplaçant les masses électriques.
7Le chapitre célèbre de façon solennelle les fêtes religieuses de l’année et les grandes fêtes de sainte Radegonde32 : « Réversion » — mise à jour du tombeau le 28 février 1012 —, Apparition du Christ à Radegonde un an avant sa mort (3 août), et surtout anniversaire de la mort le 13 août, pour lequel on fait appel à des chantres de l’extérieur, notamment de Saint-Hilaire-le-Grand, et auquel participent les chanoines de la cathédrale33. Les processions sont fort nombreuses, on en compte 21 en 1494-1495, pour l’Avent, le Carême, les Rameaux, Pâques, les Rogations, etc.34, et parfois même elles sont quotidiennes, comme en 1574 « durant les guerres et troubles » ou en 1585 en temps de peste35. Nombre d’entre elles ont dû animer le quartier, comme celle qui mène les chanoines à Montierneuf le jour de la Saint-Marc (25 avril), qui passe en 1517 par la rue Saint-Michel et devant Saint-Denis, et au retour hors du mur de la ville et non sur le Pré-l’Abbesse comme il était accoutumé36. Une procession se fait autour de la paroisse le jour des octaves de la Fête-Dieu, à charge pour un des chanoines de porter le Saint-Sacrement (le « sacre »), dire la messe des paroissiens et assurer l’exhortation au prône37. Et puis il y a les processions générales qui mobilisent toute la ville. Le lundi de Pâques, pour commémorer le miracle des clés, c’est-à-dire le secours de Notre-Dame lors de la trahison d’un clerc qui voulait livrer la ville aux Anglais, les Poitevins font le tour de l’enceinte et entendent une pieuse harangue au Pré-l’Abbesse. Le 12 août 1450 la prise de Cherbourg avait marqué la fin de l’occupation anglaise en Normandie : à la fin de ce même mois Charles VII demandait des processions générales dans tout le royaume, et la procession de « la réduction de la Normandie » se fera dès lors chaque année, se confondant pour une part avec la fête de sainte Radegonde38 ; un texte de 1587 nous dit qu’elle se faisait ordinairement de Sainte-Radegonde à Notre-Dame-la- Grande39, un autre précise qu’on y portait la châsse de sainte Radegonde40. La levée du siège de Poitiers par les protestants de Coligny le 7 septembre 1569 sera commémorée à son tour, dès 1570 par une procession générale du clergé, du corps de ville, du commun peuple autour de la ville, où l’on portait le précieux corps du Christ de la cathédrale aux Jacobins, en présence de M. de Guise, du comte du Lude, gouverneur de Poitou, de M. de Montpezat, sénéchal de Poitou, et d’autres gentilshommes, en grande révérence, tête nue ; on y portait aussi la châsse de sainte Radegonde41.
8La « première entrée » d’un nouvel évêque de Poitiers animait la paroisse quand elle se présentait. Claude de Longwy, cardinal de Givry, fait son « entrée » le 24 mars 1542, Charles de Peyrusse des Cars le 26 août 1564, soit quatre ans après sa nomination… Le cérémonial est immuable, et nous est décrit en 1564 : l’évêque prend ses habits épiscopaux sur la rive droite du Clain, à l’aumônerie Saint-Mathurin, paroisse Saint-Saturnin ; messieurs de l’université et de la cour de justice, ainsi que les chanoines de Notre-Dame-la-Grande vont à sa rencontre jusqu’à l’aumônerie ; puis c’est le tour des chanoines de Sainte-Radegonde, en bon ordre, de le rencontrer à la porte du pont Joubert : les chantres chantent sans discontinuer, maître Jean Poitevin, chantre du chapitre, accompagné de trois chanoines en chapes, accueille l’évêque, lui fait baiser la croix, prononce une oraison en latin. L’évêque, accompagné de 2 à 300 personnes, gagne Notre-Dame-la-Grande, et il fait le lendemain son entrée en son église cathédrale, y prononce le serment accoutumé et y célèbre la messe42. On peut joindre à ces cérémonies exceptionnelles la célébration de la Saint-Jacques le 22 juillet 154143, ou les chants d’action de grâce pour la convalescence du roi en mai 157444. On note aussi, au fil des registres, la tenue de mystères, pour lesquels les mentions sont malheureusement peu explicites. Le 15 juillet 1519 Jean Guigneteau, prêtre, « des draps » de Sainte-Radegonde, demande congé, pour lui et sa compagnie, de représenter dans le cimetière le mystère dit Caro mondus demonia ; le congé lui est accordé ainsi qu’à un clergeon de la psallette et à autres45. Le dimanche avant la fête de la Toussaint on fait, à Sainte-Radegonde, « l’istoire appelée par l’Église Vidi Dominum », conformément à l’église de Poitiers et à tout le diocèse46. Peut-être s’agit-il ici d’une mise en scène de l’Apparition du Christ ressuscité à Marie- Madeleine, qui va dire aux apôtres : « J’ai vu le Seigneur » (Jean XX, 18). Enfin le vendredi 1er août 1586 les chanoines décident de reporter au lundi la fête de l’Apparition du Christ à Radegonde (3 août), car le dimanche « y a histoire », c’est-à-dire « mystère », et c’est sans doute pour permettre l’assistance populaire qu’on déplace une fête liturgique47.
9La date de représentation de ce dernier mystère montre que l’adoption du calendrier grégorien, décidée pour la France en décembre 1582, est bien effective. L’édit de Charles IX de janvier 1563-1564 avait prescrit de changer d’année au 1er janvier. Jusque-là en Poitou le changement se faisait le 25 mars, et on voit annoncer en 1519 au 25 mars : Mutatio anni48, mais l’édit n’a été enregistré par le parlement de Paris qu’en 1567, et le changement effectif, dans les registres de Sainte-Radegonde, ne se fait que le 1er janvier 156949. L’ordonnance de Villers-Cotterêts de juin 1539 imposait l’emploi du français dans toutes les juridictions royales. Les chanoines de Sainte-Radegonde décideront le 14 juillet 1564 que tous les actes capitulaires seront désormais en français, sauf les collations de prébendes et autres bénéfices50. On commence à employer les chiffres arabes en 154951.
10Les registres capitulaires de Sainte-Radegonde offrent surtout un éclairage sur les malheurs que connaît la cité au xvie siècle. Comme aux xive et xve siècles il faut toujours craindre la peste. Elle sévit fin octobre 1516, sans être très forte, elle est toujours active à la mi-décembre ; une demande d’absence à cause de la peste est encore présentée le 23 janvier 1517, mais elle est refusée, et au 6 février les chanoines sont revenus depuis peu52. La peste est beaucoup plus forte à l’été 1520 ; elle commence en août, les chanoines sont autorisé à s’absenter jusqu’au 30 septembre, délai prolongé jusqu’au 18 puis 31 octobre, et encore jusqu’au 11 novembre. Elle est « contagieuse, grande et mortelle ». Elle est signalée en la maison de la psallette, dans un logis canonial et dans une maison voisine de celle du chanoine Guillaume Rougier. En septembre il n’y a plus que deux chanoines présents53. En janvier-mai 1521 la ville se mobilise pour construire hors les murs une maison pour les pestiférés, le « Sanitat » ; les églises de Poitiers en discutent au couvent des Cordeliers, le chapitre de Sainte-Radegonde y participe financièrement54. Sans doute assoupie pendant la première moitié de l’année, la peste est à nouveau signalée comme présente en la ville le 26 juillet 1521, d’où le départ des membres du chapitre et de quelques uns des enfants de la psallette ; l’épidémie a encore cours à la fin d’octobre55. On sait que le corps de ville recruta en décembre un docteur en médecine pour lutter contre le fléau, que les habitants furent sommés de nettoyer les rues dans les trois jours, que les maisons contaminées furent marquées d’une croix rouge56. La peste repart vers Pâques 1530, tue vingt-cinq personnes en huit jours en 1531, est toujours présente en juillet 1532, en avril 153357, véritable pandémie. Les registres de Sainte-Radegonde reprennent en 1532, signalent beaucoup de morts en la ville le 14 juin, une grande sévérité en août, en octobre. Les chanoines, comme à l’accoutumée, se sont réfugiés à la campagne, les clergeons de la psallette se sont retirés à Vouillé, les processions des 1er et 13 août sont supprimées, les chapitres suspendus. Encore le 13 décembre la peste n’est pas bien terminée58. La peste est à nouveau signalée fin juin 1563, notamment autour de l’église Sainte-Radegonde et des logis du chapitre : les chanoines quittent la ville, les processions d’août sont supprimées, un dernier cas est mentionné en novembre59. Une autre grande épidémie sévit de 1585 à 1587, sans doute avec des temps de rémission en 1586. Le 3 mai 1585 quelques chanoines voudraient s’absenter à cause de la contagion ; on observe qu’elle n’est pas encore arrivée, mais on interdit de vendre du vin dans les maisons du chapitre, on décide que les grandes portes de l’église seront ouvertes pendant les offices et qu’on brûlera de l’encens dans le chœur. Le 10 mai la peste est là, congé est donné aux chanoines de « muer d’air ». Bientôt on ferme les portes de l’église, l’entrée se faisant par la porte des cloîtres. On processionne aux Carmes en juillet, on fait procession chaque mercredi pour que cesse la contagion, on va aux Jacobins entendre la messe de saint Roch, saint invoqué contre la peste. Les matines seront retardées de 6 à 7 heures le matin, on réduit le parcours des processions générales, les jeunes clergeons sont priés de ne pas sortir de la maison de la psallette60. Ces grandes épidémies ne cesseront qu’au cours du xviie siècle.
11Les récoltes sont très inégales, en fonction des conditions climatiques. Pour faire ses comptes un receveur a fait transcrire dans un des registres « l’appréciation des blés » de 1512 à 1535, fournie par le greffier de la cour ordinaire de la sénéchaussée. Les prix peuvent doubler d’une année sur l’autre (tableau 1). En 1530 et 1531, le froment est huit fois plus cher qu’en 1513, en 1531 l’avoine est plus de six fois plus chère qu’en 1513, en 1532 le seigle est huit fois plus cher qu’en 1513. Il n’est pas étonnant qu’en 1531-1532 les pauvres affluent en la ville61. On trouve des enfants abandonnés devant la porte de l’église en 1520, 1532, 1538, 157662. Le chapitre cherche à retrouver les parents ; en cas d’échec il paie une nourrice ; plus tard il se peut que l’enfant soit accueilli à la psallette. Le chapitre a trois aumôneries, où il reçoit les pauvres, les goutteux, les impotents, mais en principe pas les pèlerins63. Il participe à l’aumône générale pour les pauvres de la ville, et il dresse en 1536 une liste de 35 pauvres de la paroisse qui recevront chaque semaine un petit pécule de 10 d. à 2 s. 6 d. ; parmi ces pauvres il y a 27 femmes ; un des membres du chapitre fera supprimer de la liste les noms de quelques prostituées64. Dans le rôle de 1552 cinq contribuables sont qualifiés de pauvres et taxés 1, 2 ou 3 sous ; plus du quart des contribuables de la paroisse paient 3 sous ou moins. L’aumône générale s’appellera la « dominicale », car corps de ville et gens d’Église se réuniront à cet effet le dimanche. Le chapitre y délègue régulièrement deux chanoines ; en 1594 la dominicale sera gérée par un bureau qui se réunira deux fois par semaine, le chapitre y étant aussi représenté par deux chanoines. À l’exemple de sa sainte patronne Radegonde les chanoines assurent régulièrement chaque samedi de carême des distributions de fèves, de pain et d’argent à treize pauvres, dans le cloître. En 1573, les chanoines s’inquiètent de ce qu’il y a beaucoup trop de pauvres en la ville, et au moins deux fois autant que se monte l’aumône65.
12Sur la couverture du registre de délibérations capitulaires de 1562-1568 (G 1588) on a écrit : « Pillage de l’église par les Gascons », et le registre suivant est consacré à « ce qui est cassé en l’église Sainte-Radegonde ». Le saccage de l’église en 1562 est le fait le plus important de l’histoire du quartier au xvie siècle, et le mieux documenté. En 1536, le chapitre dispose d’une pièce d’artillerie, son scribe est prié de se munir de « bâtons de défense » et notamment d’une arquebuse66. Il s’agit alors de la guerre avec l’empereur. Mais avec les affrontements entre catholiques et protestants le danger est dans le pays même. Les « Gascons » entrent dans Poitiers les 26 et 27 mai 1562, la ville sera sous domination protestante jusqu’au début d’août. Le saccage est méthodique : crucifix, statues, autels défoncés à coups de marteaux ou de piques, peintures détériorées, pupitres brûlés, mobilier liturgique dérobé, sépulture de sainte Radegonde rompue et les ossements de la sainte brûlés en la nef avec force livres en parchemin, titres et contrats, vitraux brisés, orgues mis en pièces. Il faudra des années pour réparer les plus gros dégâts, et les quelques ossements de Radegonde sauvés ne seront remis dans son tombeau qu’en 1566. En 1567 on fait de la poudre à canon, des chanoines participent à la garde du pont Joubert, d’autres font des rondes la nuit avec les chapelains, le chapitre s’entend avec les collégiales de Saint-Pierre-le-Puellier et de Notre- Dame-la-Grande pour acheter des armes, une assemblée a lieu entre les membres du clergé en l’hôtel épiscopal pour la même cause67. Des soudards ont été recrutés du côté catholique. En 1568 les chanoines de Sainte-Radegonde participent à leur paiement, à leur logement68. Le siège de la ville par les protestants de Coligny du 24 juillet au 7 septembre 1569 est le second fait militaire capital pour la quartier de Sainte-Radegonde, soumis directement à la canonnade des protestants installés en face sur la hauteur. Les moulins sont détruits, l’église Saint-Austregésile jetée à terre, l’aumônerie Saint-Jacques-de-la-Vergne, plusieurs maisons canoniales atteintes par le canon. Des soudards italiens campent dans l’église Sainte- Radegonde, installent une plate-forme dans la chapelle d’axe, devant l’autel de la paroisse, et une autre dans la chapelle du Crucifix pour y placer leurs canons. Ils logent dans la maison de la psallette et la pillent. À nouveau les dégâts seront considérables. Passée cette chaude alerte il n’est plus question que d’armes, de garde-portes, de rondes pour le personnel du chapitre69.
13Dernier malheur de ce temps pour le chapitre, la fiscalité royale. En 1540 il n’y a déjà plus d’argent et le chapitre doit vendre deux bassins d’argent pour en tirer 100 livres70. En 1549 les chanoines contribuent au paiement offert au roi pour obtenir l’abolition de la gabelle71. En 1550 le roi demande un « don gratuit » de 40 000 livres, équivalent de quatre décimes, et renouvelle la même exigence en 155272. En mars 1563 les collégiales de Poitiers se groupent pour emprunter aux marchands les 1 000 écus que le roi exige de son clergé, et en juin de la même année c’est 3 000 écus de rente que le roi attend du clergé du diocèse73. Pour la guerre et le paiement des soudards le clergé de Poitiers doit payer 1 000 livres en 156874. En janvier 1573 le roi demande au clergé de payer 600 000 livres sur douze ans, outre les décimes75. Les exigences royales sont de plus en plus lourdes, le chapitre emprunte là où il peut, il faut vendre partie du temporel76. Pas question dès lors de répondre à la sollicitation des gens du roi et de la ville de faire venir des jésuites pour des prédications et pour ériger en la ville un collège77. Il faudra attendre le siècle suivant pour que se mette en oeuvre la « réforme catholique ».
14La richesse de ces registres de délibérations du chapitre de Sainte-Radegonde permettrait d’apporter bien d’autres détails et éclairages sur la vie du chapitre, de son quartier et de la cité en ces temps troublés du xvie siècle, une période passionnante pour laquelle il reste encore bien des sources à exploiter.
Notes de bas de page
2 Archives départementales de la Vienne, G 1583-1597. Seront cités sans rappeler le dépôt d’archives. On peut y joindre un registre de 1602 conservé à la médiathèque François-Mitterrand de Poitiers, ms. 429 (88).
3 Robert Favreau, « Histoire du chapitre et de la paroisse de Sainte-Radegonde », dans Robert Favreau (dir.), Poitiers. Sainte-Radegonde, Poitiers, 1999, p. 27-52.
4 Poitiers, médiathèque, Dom Fonteneau, t. 24, p. 217, 30 décembre 1503.
5 G 1583, fol. 136 (alleluia) ; G 1588, fol. 249 (psautiers), fol. 304 v° (place de prime et tierce) ; G 1590, fol. 26 (répons à chanter pour les prières de la paix).
6 G 1583, fol. 156 v° -157 ; G 1588, fol. 158 v°, 159 v°-160, 161, 311 v° ; G 1590, fol. 182 v° ; G 1591, fol. 57 ; G 1592, fol. 108.
7 G 1590, fol.31 et G 1591, fol.1 v°.
8 G 1597, fol. 153 v°-154.
9 G 1588, fol. 250 v°- 251 : l’évêque présentait maître Clément Vidard.
10 Martin de Orgis, évêque d’Hébron, en 1512-1513 est doyen de la faculté de théologie (Archives municipales de Poitiers (AMP), Reg. délibér. 11, p. 482). Jean, évêque d’Hébron, visite le chapitre en décembre 1538, 1539 et 1541. Hilaire Chenu est cité comme évêque d’Hébron de 1562 à 1571. Notice sur les évêques d’Hébron, auxiliaires des évêques de Poitiers, Amiens et Utrecht, cf. D. Stiernon, « Hébron », Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastiques, t. 23, Paris, 1990, c. 722-726.
11 G 1587, fol. 14, 12 août 1549 : in descensu graduum per quos itur ad claustrum.
12 G 1593, fol.43 v°, 26 octobre 1576 (« les cloîtres »).
13 G 1583, fol. 209 v° ; G 1593, fol. 46 v°.
14 Jacques Marcadé, Poitiers. Sainte-Radegonde (n° 2), p. 64.
15 G 1592, fol. 59 ; G 1595, fol. 142.
16 G 1584, fol. 8 ; G 1590, fol. 139.
17 G 1583, fol. 111 ; G 1585, fol. 53 v°.
18 G 1595, fol. 35 v°.
19 G 1588, fol. 92, 106 v°-107, 323 r°-v° ; G 1597, fol. 49 v° : Notre-Dame autrefois hors les murs ; G 1346.
20 ADV, G 9120 ; G 1586 fol. 81 v° ; G 1587, fol. 22.G
21 G 1539, fol. 87 v°.
22 G 1593, fol. 55.
23 AMP, casier 40, reg. 1 (p. 166 de l’Inventaire de Louis Redet publié en 1884).
24 Ibid., reg. 2 (p. 167 de l’Inventaire).
25 G 1593, fol. 108 ; G 1597, fol. 206 v°.
26 G 1590, fol. 31.
27 G 1590, fol. 345 v°.
28 G 1593, fol. 137.
29 G 1586, fol. 106 r°-v°.
30 G 1597, fol. 42 v°, 114, 145 v° : il reçoit une gratification du chapitre.
31 G 1590, fol. 266.
32 Robert Favreau, « Le culte de sainte Radegonde au Moyen Âge », dans Les Religieuses dans le cloître et dans le monde, Saint-Étienne, CERCOR Travaux et recherches, 1994, p. 98-102.
33 G 1583, fol. 56 v°-57 et 98 ; G 1584, fol. 80 r° et v° ; G 1588, fol. 79.
34 G 1533, fol. 54 V°-62.
35 G 1591, fol. 86 v° ; G 1595, fol. 7.
36 G 1583, fol. 33.
37 G 1587, fol. 7 v° ; G 1588, fol. 60 v°.
38 Joseph Salvini, « Un demi-millénaire. La délivrance de la Normandie en 1450 et le culte de sainte Radegonde », Bulletins de la Société des Antiquaires de l’Ouest, 4e série, t. I, 1950, p. 489-493.
39 G 1595, fol. 160.
40 G 1596, fol. 111.
41 G 1590, fol. 79 et 339 v° ; G 1596, fol. 11 ; G 1684. La procession est dite « du siège » ou de Saint-Cloud (fêté le 7 septembre).
42 G 1588, fol. 149 v° ; Poitiers, Médiathèque, Dom Fonteneau, t. 24, p. 231-232.
43 G 1586, fol. 185.
44 G 1591, fol. 83 v°.
45 G 1583, fol. 129 v°.
46 G 1594, fol. 9 v° (1583) ; G 1597, fol. 90 v° (1596).
47 G 1595, fol. 61. On déplace aussi le service de l’Invention de saint Étienne (3 août normalement) au vendredi suivant.
48 G 1583, fol. 119 v°. On distribuait et demandait cependant au 1er janvier « étrennes », « aguilanneuf » (Ibidem, fol. 113).
49 G 1590, fol. 36.
50 G 1588, fol. 141 v°.
51 G 15877, fol. 4 v), 7.
52 G 1583, fol. 6 v° (aeris temperie et mortifera peste adhuc in civitate aliquantulum — « un petit peu » — vigentibus) ; fol. 13, 16 v°, 17, 18 v°-19.
53 G 1583, fol. 182, 183 v°-184, 185 r° et v°, 186, 187, 191 v°, 192 v°, 194 r° et v°.
54 G 1583, fol. 198 v°, 200, 203, 210.
55 G 1583, fol. 215, 215 v°, 217 v°, 218, 219 r° et v°, 220.
56 Bélisaire Ledain, « Les maires de Poitiers », dans Mémoires de la Société des Antiquaires de l’Ouest, 2e s., t. XX, 1897, p. 508-509. Lacune des registres capitulaires d’octobre 1521 à mars 1532.
57 Ibid., p. 519, 521, 523 et 524.
58 G 1584, fol. 40 v°, 51 v°, 59 r° et v°, 80, 89 v°-90 v°, 99, 102, 121, 123 v°, 131 v°, 132, 173 v°.
59 G 1588, fol. 66 v°-67, 79 r) et v°, 102 v).
60 G 1595, fol. 6 v°, 7 v°, 14 v°, 15, 16 v°, 17 v°, 18, 80 v°, 146, 160, 166.
61 Bélisaire Ledain, op. cit., p. 522.
62 G 1583, fol. 192 ; G 1584, fol. 123, 125 v° ; G 1586, fol. 33, 78 ; G 1593, fol. 33.
63 1588, fol. 366 r° et v° ; fol. 151 v° : réception de deux pauvres femmes impotentes.
64 G 1585, fol. 31 v°-40, 146 v°.
65 G 1590, fol. 48 v° ; G 1591, fol. 6 v°.
66 G 1585, fol. 31 v°-40, 146 v°.
67 G 1588, fol. 351 v°, 352 v°, 354, 356.
68 G 1590, fol.4 v°, 31, 32 v°, 33.
69 G 1590, passim.
70 G 1586, fol. 122.
71 G 1587, fol. 7 v°, 17 v°, 61 v°.
72 G 1587, fol. 31 v°, 91.
73 G 1588, fol. 35, 63 v°.
74 G 1590, fol. 4 v°.
75 G 1591, fol. 5 v°.
76 G 1592, fol. 33 v°, 36, 121 v° ; G 1593, fol. 18, 56 r° et v°.
77 G 1590, fol. 185, 187 v° (octobre 1570).
Notes de fin
1 Professeur émérite d’histoire médiévale, université de Poitiers – CESCM.
Auteur
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