Rome ville ouverte. Promotion sociale et ascension politique des étrangers dans la Rome archaïque de Tarquin l’Ancien à Appius Herdonius. L’exemple de Gnaeus Marcius Coriolan
p. 365-388
Texte intégral
Prologue : La loi des armes comme régulateur social, Rome ville ouverte
1Au-delà des nombreux anachronismes institutionnels qui imprègnent les histoires de la Rome archaïque, le récit des Anciens laisse malgré tout transparaître un climat politique et social particulièrement instable. Qu’il s’agisse de la succession violente des rois dits étrusques, de la situation de guerre civile qui suit l’éviction de Tarquin le Superbe ou du conflit patricio-plébéien avec ses multiples rebondissements, nous devons admettre que l’Urbs présente le visage d’une cité inachevée où des condottieri de diverses origines ethniques ou civiques s’efforcent avec plus ou moins de bonheur de s’imposer. En amont, Tarquin l’Ancien, transfuge de la cité étrusque de Tarquinia, réussit à devenir le second du roi Ancus Marcius en attendant de lui succéder. Les Modernes s’accordent pour voir en lui le véritable fondateur de la cité de Rome. Mais de quelle cité parle-t-on sachant qu’il faudra attendre encore un siècle et demi pour que Rome se dote de lois écrites ? S’il existe des formes de régulations sociales en ces temps archaïques si mal connus, nous devons admettre qu’elles émanent plus de groupes de guerriers — de sodales — prenant le contrôle de cités jusqu’à ce qu’un groupe adverse ne les chasse, que d’un cadre politico-institutionnel strictement défini. Nous nous proposons au travers du personnage de Gnaeus Marcius Coriolan, à la fois Romain, Latin et Volsque, d’analyser des comportements politiques et sociaux qui intriguaient suffisamment les Anciens pour qu’ils se résolvent à présenter ce personnage à la fois comme un paradigme du héros romain et un traître à sa patrie.
Introduction : Gnaeus Marcius Coriolan, un héros « shakespearien »
2En 1807, chez le prince Lobkowitz à Vienne, était jouée pour la première fois une ouverture de Ludwig van Beethoven pour un opéra qui ne vit jamais le jour et dont le sujet était la figure de Coriolan1. Le support de l’intrigue était une pièce de théâtre à succès d’Heinrich von Collin créée cinq ans plus tôt. L’auteur avait très largement modifié l’intrigue originelle pour l’adapter au propos polémique recherché. En effet, l’affrontement entre le héros romain et sa patrie se voulait le reflet du conflit entre l’Autriche représentée par Coriolan et le Premier consul Bonaparte représenté par Rome2. Deux siècles plus tôt, en 1608-1609, William Shakespeare avait été le premier écrivain à s’attaquer à l’histoire de Coriolan, un sujet somme toute assez peu repris par la suite tant dans la littérature que dans la musique3. L’homme de théâtre anglais se montra assez fidèle au texte de Plutarque à quelques arrangements près.
3Si William Shakespeare et Heinrich von Collin ont certainement été impressionnés par le dénouement tragique de l’histoire d’un homme pris entre son désir de vengeance vis-à-vis de son ingrate patrie et son attachement viscéral à Rome qu’incarnent les supplications ou objurgations de sa mère Véturie/Volumnie, on constate que cette scène est également celle que les Anciens ont le plus souvent retenue lorqu’ils font allusion à l’histoire de Coriolan4. Jean-Michel David considère à juste titre que ce passage doit être mis en relation avec les origines lointaines du culte de la Fortuna Muliebris qu’il contribuait à expliquer5. Il est en effet probable que ce culte situé aux confins de l’Ager Romanus antiquus, au quatrième mille de la Via Latina soit l’antique témoin des violents conflits qui mirent aux prises Romains et Volsques dans la première moitié du ve siècle av. J.-C.6. Dans ce contexte la fondation du sanctuaire de la Fortuna Muliebris conservait certainement la mémoire d’un moment particulièrement difficile de l’histoire de Rome au cours duquel a dû s’inscrire la figure de Gnaeus Marcius Coriolan pour peu que l’on accepte de lui accorder un minimum de consistance historique.
4Nous touchons là au cœur du problème que pose la figure héroïque de ce général romain. Comme la plupart des grandes figures de la haute époque républicaine de Publicola à Camille en passant par Cincinnatus, Coriolan ne nous est connu que par des récits tardifs et très largement reconstruits à diverses époques7. Nous ne reviendrons pas sur les débats qui dès le xixe siècle se sont efforcés de faire la part des choses entre le mythe et l’histoire8. Nous ne reprendrons pas non plus les études qui se sont concentrées sur l’arrière-plan religieux que comporte indéniablement l’ultime ambassade des matrones et la dédicace du sanctuaire de la Fortuna Muliebris9. Nous avons fait le choix de nous pencher sur la situation géopolitique qui sert de toile de fond à la geste de Coriolan et dans laquelle nous le trouvons impliqué de la victoire du lac Régille en 499 av. J.-C. à la levée du siège de Rome par les armées volsques en 488 av. J.-C. Après avoir présenté l’état de notre information sur Gnaeus Marcius Coriolan telle que nous la laissent entrevoir les sources littéraires dont nous disposons, nous tenterons de saisir à travers le destin de ce personnage ambigu, tour à tour latin, romain et volsque ce qui fut peut-être un tournant décisif dans l’histoire de Rome et par là même une évolution sensible quant à la réception des étrangers dans l’Urbs.
Coriolan en image
Portrait moral et familial
5Les Anciens étaient déjà sensibles aux contradictions du personnage de Coriolan, principal artisan de la victoire romaine de Corioles et traître à sa patrie, brillant guerrier et homme politique hautain. Si certains auteurs s’efforcent de justifier sa félonie en invoquant les excès de la Plèbe, d’autres comme Cicéron se montrent beaucoup plus sévères dans le jugement qu’ils portent sur l’exil volsque du héros romain10. Pour expliquer cette dissonance des sources présentant la figure de Coriolan nous pouvons évoquer tout d’abord l’existence pour ne pas dire la coexistence de diverses traditions apparues probablement dès après la mort de Coriolan. Ce substrat dont nous ignorons la teneur exacte fut, à partir du iiie siècle av. J.-C., adapté à l’histoire de Rome par les annalistes. Ce sont ces remaniements successifs qui expliquent les discontinuités voire les incohérences du récit tel qu’il nous est parvenu sous le calame de Tite-Live et de Denys d’Halicarnasse. La biographie de Coriolan recomposée par Plutarque pour servir de pendant à celle d’Alcibiade dans les Vies constitue le point d’orgue de la laborieuse élaboration d’une trame narrative plus fluide puisque l’historien et moraliste grec n’hésite pas à faire débuter l’histoire de Coriolan avec la bataille du lac Régille en 499 av. J.-C. et non comme le faisaient Denys d’Halicarnasse et Tite-Live avec la prise de Corioles en 493 av. J.-C.11. Les auteurs grecs ou latins ont également prêté au héros romain des traits de caractère archétypaux au service d’un propos philosophique et moralisateur12. À cela s’ajoutent de nombreux anachronismes qui ont été largement relevés par les Modernes : la Rome du temps de Coriolan renvoie soit à la brûlante actualité des réformes agriaires de la fin de la République, soit à des procédures politiques et judiciaires plus tardives, soit aux conflits opposant les imperatores du ier siècle av. J.-C.13.
6Si nous prenons le récit des trois auteurs les plus diserts — Denys d’Halicarnasse, Plutarque et Tite-Live — on pourrait dire que trois portraits de Coriolan nous sont brossés successivement : le soldat vertueux, l’aristocrate intransigeant et le général félon. Cependant ces trois facettes du héros romain imprègnent plus ou moins l’ensemble du schéma narratif. C’est ainsi que Plutarque, dans le tableau qu’il dresse de la situation familiale initiale et des traits de caractère les plus saillants du personnage, laisse entrevoir au lecteur le destin tragique de Coriolan. Au-delà du caractère exemplaire de la geste du héros, les trois actes qui nous mènent des premiers faits d’armes de Gnaeus Marcius à sa mort intègrent plus ou moins maladroitement une trame historique dont nous pensons qu’elle n’est pas totalement inventée, quels que soient les anachronismes la recouvrant14. Rappelons les faits politiques majeurs contemporains de la geste de Gnaeus Marcius Coriolan : la bataille du lac Régille en 499 av. J.-C., son pendant diplomatique le Foedus Cassianum de 493 av. J.-C., le conflit patricioplébéien apparu en 494 av. J.-C. et son rebondissement lors d’une crise frumentaire dans les années 492-491 av. J.-C., le déclenchement à partir de 495 av. J.-C. du long conflit qui opposera Rome et les peuples sabelliens parmi lesquels les Volsques. À chaque fois Coriolan se trouve placé, plus ou moins artificiellement, sur le devant de la scène, incarnant tour à tour la résistance héroïque et victorieuse des Romains, le combat réactionnaire d’un patriciat extrémiste « tribunophobe » et le péril volsque dont les armées conduites par ses soins vont ramener le territoire civique aux limites de l’Ager Romanus antiquus. Nous allons maintenant nous efforcer de cerner le personnage qui se cache derrière les préjugés moraux et autres manipulations narratives qui finirent par recouvrir d’une gangue épaisse la figure historique de Gnaeus Marcius Coriolan.
7Il existe aujourd’hui un assez large consensus sur les origines probablement latines de Gnaeus Marcius Coriolan15. Les Anciens établissaient un lien de parenté avec le quatrième roi de Rome Ancus Marcius et avec la gens Marcia, famille plébéienne qui apparaît sur le devant de la scène politique romaine au milieu du ive siècle av. J.-C.16Ajoutons que l’on trouve des représentants de cette famille tout au long de la République, la plus remarquable étant celle des Marcii Reges sur laquelle Plutarque insiste lorsqu’il présente l’ascendance et la descendance de Coriolan17. Les Anciens rapportent par ailleurs que Coriolan avait une mère, Veturia/Volumnia, et une épouse, Volumnia/Vergilia, romaines dont il aurait eu deux enfants. La gens Veturia est bien attestée comme étant une famille patricienne qui a donné des consuls à Rome dans la première moitié du ve siècle av. J.-C. En outre une tribu romaine portait le nom de Veturia ou Voturia. La gens Volumnia était probablement une famille d’origine plébéienne, comme la gens Marcia, ce qui tend à invalider l’appartenance de Coriolan au patriciat romain à moins d’imaginer une ultérieure et plus qu’hypothétique transitio ad plebem18. Cependant, l’absence de Marcii au consulat avant le milieu du ive siècle av. J.-C., le fait qu’aucune précision sur son père n’apparaisse chez les Anciens, rend plus que suspect son statut de chef de file des patriciens extrémistes. S’il est bien entendu impossible de confirmer l’existence d’un lien de parenté entre Ancus Marcius et Coriolan, il est en revanche probable que la gens Marcia ait pu jouer un rôle non négligeable dans l’intégration de Coriolan à l’histoire de Rome19. Un faisceau d’informations semble rattacher Ancus Marcius, Coriolan et les Marcii aux confins septentrionaux de la plaine pontine. C’est ainsi que Denys d’Halicarnasse place au temps d’Ancus Marcius les premiers raids volsques20. De la même manière il existe peut-être un lien entre la localisation de la tribu Veturia, la plaine pontine où nous voyons intervenir Coriolan en 492 av. J.-C. face aux Volsques d’Antium et la supposée fondation d’Ostie par Ancus Marcius au nord de cette région21. Ces liens, qui semblent associer l’histoire des Marcii au nord-ouest du Latium, semblent confirmés, comme nous l’avons précédemment rappelé, par le cognomen Coriolanus qui renvoie, non pas à la prise de la cité de Corioles mais plus probablement à la véritable patrie de Gnaeus Marcius. Un tel constat ne saurait invalider le fait que Coriolan ait pu être à un moment donné au service de Rome. Le fait que son père et lui aient contracté des mariages avec d’éminentes familles romaines semble confirmer l’ancrage romain de notre personnage22. L’image d’un condottiere latin originaire de Corioles, passant successivement du service de Rome à celui d’Antium nous semble par conséquent recevable.
8Reste la question de l’âge de Coriolan. Les Anciens le présente généralement comme un jeune guerrier ce que semble confirmer son état d’adulescens au moment de la bataille du lac Régille en 499 av. J.-C. et le bas âge de ses enfants au moment de son exil23. Pourtant, sa candidature au consulat, son rôle de mentor auprès des jeunes patriciens, certaines allusions au règne de Tarquin le Superbe, qu’il semble avoir connu, enfin la mention par Plutarque de 17 ans de faits d’armes — ce qui place les débuts de sa carrière militaire vers 509 av. J.-C. — contribuent à créer une ambiguïté quant à son âge réel24. Il semble que pour les besoins de leur démontration, les Anciens aient dû présenter tour à tour Coriolan comme le symbole de la turbulante iuventus patricienne et comme un chef de gens autonome. Qu’il s’agisse du jeune patricien ou du sénateur d’âge mûr, ces deux images contribuaient à la définition d’un Romain au comportement assez peu républicain, explication nécessaire pour comprendre sinon justifier sa trahison.
Portrait politique et militaire
9Au-delà du portrait souvent contradictoire que les Anciens dressent de Gnaeus Marcius Coriolan, sa principale caractéristique, par ailleurs bien mise en valeur par Georges Dumézil, réside dans les vertus militaires du personnage25. Coriolan est présenté avant tout comme un guerrier particulièrement courageux et de surcroît désintéressé. La présence très suspecte du héros encore adolescent lors de la bataille du lac Régille mentionné par le seul Plutarque, la prise de Corioles et le combat gentilice de l’année 492 av. J.-C. contre les Volsques d’Antium, la ou les brillantes campagnes militaires qu’il conduit contre Rome et ses alliés sont autant de moments qui mettent en évidence ses éminents talents militaires. En comparaison son sens du politique voire sa piété — si l’on excepte le dénouement des Fossae Cluiliae — sont quasiment absents. Si le militaire est loué, le patricien est unanimement critiqué pour son comportement excessif vis-à-vis de la Plèbe. On peut comparer cette incapacité à diriger la cité avec celle que la tradition antique attribue à certains membres de la gens Claudia, patriciens intransigeants face aux revendications de la Plèbe. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si un sénateur Appius Claudius prend la défense de Coriolan dans la confrontation politique et judiciaire qui débouchera sur l’exil de notre condottiere26.
10Les Modernes ont déjà largement souligné l’improbabilité historique d’un Coriolan patricien, aspirant au consulat. Il s’agit là d’un artifice narratif ayant pour but d’intégrer le plus parfaitement possible Gnaeus Marcius au sein du conflit opposant la Plèbe et le Patriciat. Si l’on excepte le De Viris illustribus qui présente Coriolan comme consul — ce que les Fastes consulaires invalident totalement — les Anciens sont unanimes pour souligner son échec électoral aux élections consulaires ou prétoriennes27. Cela permettait d’une part d’expliquer voire de justifier l’attitude intransigeante et violente de Coriolan vis-à-vis d’une plèbe ingrate en regard de ses bons et loyaux services militaires, d’autre part de ne pas contredire les Fastes consulaires. De fait la carrière tant militaire que politique de Coriolan s’avère tout à fait singulière puisqu’elle échappe systématiquement aux cadres politico-institutionnels de la jeune République romaine. C’est ainsi que lors du siège de Corioles et de la bataille rangée qui suit, Coriolan n’est investi d’aucun commandement officiel. De même son supérieur hiérarchique immédiat, Titus Larcius, se trouve dans une situation institutionnellement équivoque28. On se rappellera à ce propos qu’un autre membre de la gens Larcia, Spurius Larcius, par ailleurs mentionné dans les Fastes consulaires, était censé avoir combattu en 508 av. J.-C. aux côtés d’un autre héros romain, Horatius Coclès, lors de la tentative de Porsenna pour s’emparer du pont Sublicius. C’est ainsi que le consul commandant l’armée romaine, Postumus Cominius Auruncus, se trouva réduit à un second rôle. On remarquera que ce magistrat avait été le collègue de Titus Larcius en 501 av. J.-C. Pour sauver les apparences, Denys d’Halicarnasse et Plutarque vont compenser cet état de fait par une mise en scène détaillée de l’éloge de Coriolan et des gratifications matérielles remises au héros pour son attitude courageuse29. Lorsqu’un an plus tard nous retrouvons Coriolan à la tête d’une « armée » romaine, il n’est toujours pas magistrat. Les Anciens nous le présentent alors comme le chef d’une armée composée de volontaires, de clients et d’amis, combattant sans véritable caution sénatoriale et encore moins plébéienne30. Nous ne reviendrons pas sur la vacuité de son curriculum uitae politique au sein de l’Urbs, son échec électoral étant par ailleurs un habile procédé des Anciens pour maintenir Coriolan dans cet état de perpétuelle marginalité au sein de sa cité. La seule procédure dans laquelle il se trouve engagé malgré lui, à savoir son jugement par la Plèbe assorti d’un vote tribute qui lui sera défavorable, est totalement anachronique pour le ve siècle av. J.-C.31. D’une certaine manière ce sont les Volsques qui, plus que les Romains, vont lui donner une vraie stature politique en lui conférant un imperium summum. Nous apprenons par ailleurs que toutes les cités de la coalition lui offrirent une place au sein de leurs sénats. Lors des deux négociations qui s’engagent avec Rome aux Fossae Cluiliae, Gnaeus Marcius dispose des pleins pouvoirs pour traiter avec le Sénat romain. Enfin lors de sa mise en jugement à l’instigation d’Attus Tullius, nos sources se montrent particulièrement précises dans le déroulement des procédures politiques et judiciaires dont le processus fut illégalement interrompu par son collègue volsque32.
11Comme nous avons pu en juger le parcours politique et militaire romain de Coriolan apparaît tout à fait hors norme. De fait, l’image qui nous est donnée de Coriolan est plutôt celle d’un aristocrate au comportement fortement gentilice. Sa présence lors de la bataille du lac Régille telle que la relate le seul Plutarque annonce bien le parcours militaire exceptionnel du héros. Lors des combats autour de Corioles, nos sources insistent sur la démarche individuelle du héros entouré de volontaires constituant une élite combattante. Un peu plus tard, lorsqu’il prend l’initiative en 492 av. J.-C. d’affronter les Volsques d’Antium, il s’entoure à nouveau de volontaires ainsi que d’amis et de clients. Le caractère gentilice de ces opérations de pillage lui sera par ailleurs reproché par la Plèbe à propos de l’incontournable problème de la répartition du butin33. Coriolan nous est par ailleurs présenté comme un homme dont l’action tant militaire que politique repose également sur des sodales et des clients. Nous relèverons à titre d’exemple le rôle des clients sollicités par ses amis pour retourner la Plèbe en sa faveur, ou encore ces amis et clients qui l’escortèrent chez lui après sa condamnation ou qui l’accompagnèrent sur le chemin de l’exil. Cette notion de fides apparaît également dans ses relations avec le monde volsque34. Le subterfuge utilisé par Attus Tullius pour faire condamner Coriolan s’explique par le soutien dont ce dernier disposait encore au sein de l’armée volsque du fait de l’immense prestige militaire qu’il avait conservé malgré l’abandon du siège de Rome. Ajoutons pour conclure que ce sont des motifs familiaux qui amènent Coriolan à renoncer à sa vengeance. Là où ses amis sénateurs et les prêtres de Rome ont échoué, sa mère réussit à faire renaître la fibre patriotique chez le héros devenu félon.
Coriolan en action
Coriolan, un condottiere latin au service de Rome
12Si l’on excepte Plutarque, la tradition littéraire est unanime au sujet du fait d’armes qui fit entrer dans l’histoire de Rome Gnaeus Marcius Coriolan. Il s’agit bien entendu de la prise de la cité volsque de Corioles en 493 av. J.-C., dénouement victorieux de ce qui constitue le premier acte du long conflit romano-volsque. Il s’en suivra une trêve qui sera rompue deux ans plus tard à l’instigation d’Attus Tullius et de Coriolan, après sa condamnation et son expulsion de Rome. S’il est indéniable que c’est durant ces années que la pression italique se fait véritablement sentir jusqu’aux portes de Rome, les premières migrations volsques sont très certainement antérieures35. Si on met de côté un premier contact au temps d’Ancus Marcius, la présence des Volsques est assurément attestée dès la fin du vie siècle av. J.-C. au sud du Latium. Nous avons vu par ailleurs que Tarquin le Superbe est à l’origine d’une alliance latino-hernico-volsque à laquelle semblent avoir adhéré les Volsques d’Antium et d’Ecetra. Nous pouvons donc en déduire que la paix a pu régner entre Rome et Antium jusque dans les années 490 av. J.-C. Cependant, l’insidieuse occupation de la plaine pontine par les Volsques va finir par poser de véritables problèmes d’approvisionnement à Rome. Au-delà des anachronismes qui ponctuent la présentation des crises frumentaires sur fond de conflit patricio-plébéien, on ne saurait écarter la réalité de problèmes agraires reflétant à la fois l’endettement de certains citoyens et les disettes qui frappent régulièrement la cité à cette époque. Celle de 492 av. J.-C., qui fut largement à l’origine de l’opposition entre Coriolan et les tribuns de la Plèbe, en offre un bon exemple36. Nous avons vu que le surnom de Coriolanus donné à Gnaeus Marcius signale plutôt son origine latine. Située entre Ardée et Aricie, nous pensons avec Pline l’Ancien37 que Corioles ne fut probablement jamais une cité, et encore moins cette métropole volsque dont parle Denys d’Halicarnasse38. Un épisode mettant aux prises Ardée, Aricie et Rome à propos de Corioles en 445 av. J.-C. fait état d’un territoire plutôt que d’une cité ou même une d’agglomération39. Il n’est pas impossible par conséquent que Corioles ait fait partie du territoire civique d’Ardée ou d’Aricie comme le laisse clairement entendre Tite-Live. La famille de Coriolan devait y posséder des biens. Dans ce cas de figure la « prise » de Corioles devient très improbable. Il ne faudrait alors retenir que la bataille en rase campagne qui semble s’être déroulée à proximité du site de Corioles. Si une telle hypothèse remet en cause le siège, elle n’invalide pas pour autant l’historicité d’un conflit opposant Rome et les Volsques d’Antium pour le contrôle de la plaine pontine ni la présence de Coriolan aux côtés des Romains. Face à la pression volsque Rome a pu certainement trouver des alliés au sein des antiques cités latines d’une plaine pontine en voie de « volscisation ». Gnaeus Marcius Coriolan fut probablement de ceux-là, du moins dans un premier temps.
13À ce stade de l’analyse, il convient de revenir sur la localisation de Corioles. Avant 509 av. J.-C., Rome avait réussi à étendre sa zone d’influence sur une partie du Latium par l’intermédiaire de ses fils et de son gendre tusculan Octauius Mamilius. L’élimination de Turnus Herdonius d’Aricie puis le siège d’Ardée fixent clairement les limites méridionales de cette zone sous influence romano-tusculane. Mais il convient d’étendre plus au sud cette zone d’influence. En effet nous avons rappelé les relations que Tarquin le Superbe avait établies avec des peuples installés alors plus au sud tels que les Herniques et les Volsques. Dans ce cas le territoire de Corioles se trouvait compris au cœur de la Grande Rome des Tarquins40. Quoi qu’il en soit, cet équilibre est rompu peu de temps après la chute du tyran avec l’irruption du roi étrusque Porsenna et de son fils Arruns41. Il s’ensuit une fracture politique au sein du Latium voire au sein même des cités latines, Rome incluse. La défaite d’Arruns à Aricie en 506 av.J.-C. face à l’ambitieux Aristodème de Cumes qui en profite pour s’emparer du pouvoir dans sa cité, révèle l’ampleur d’un conflit opposant la cité grecque à des cités étrusques de l’intérieur dont l’enjeu est certainement le contrôle du Latium. Il est certain que ce contexte troublé a dû favoriser la mobilité de groupes aristocratiques allant d’une cité à l’autre comme l’atteste le lapis Satricanus42 ou la tombe du guerrier de Lanuvium43.
14Qu’en a-t-il été des Marcii Coriolani de Corioles ? Originaires d’une région située au cœur même des affrontements mentionnés précédemment, le père de Coriolan, dont la tradition n’a pas conservé le nom, a probablement choisi le camp de Rome comme semble l’attester son mariage avec Veturia. Son fils suivra son exemple en épousant une Volumnia. Il est beaucoup plus hasardeux de fixer le moment exact de cette implantation romaine des Marcii de Corioles mais il semblerait qu’elle soit plutôt postérieure à la chute de Tarquin le Superbe. Il est par contre beaucoup plus difficile de saisir le statut juridique du condottiere latin à Rome. Coriolan était-il citoyen romain ou plus simplement l’hôte d’un notable de la cité ? Ce qui est certain c’est qu’en 493 av. J.-C. voire dès 499av.J.-C. Gnaeus Marcius Coriolan se situe encore du côté de Rome.
Coriolan, un condottiere latin au service d’Antium
15Le revirement ou la trahison de Coriolan en 491 av. J.-C. est présenté avec certaines circonstances atténuantes par les Anciens comme la conséquence de l’inexpiable affrontement qui avait opposé l’orgueilleux patricien et le tribun de la Plèbe Sicinius44. Condamné à s’exiler, Coriolan quitte Rome et après un court séjour dans une propriété située hors de Rome45, il décide de se venger en offrant ses services aux Volsques par l’intermédiaire de son ancien adversaire Attus Tullius dont il devient l’hôte. Il est bien entendu difficile de se satisfaire d’une telle explication pour justifier la trahison du condottiere latin. Rappelons que la prise de Corioles est contemporaine d’un événement autrement plus important à savoir l’établissement du Foedus Cassianum entre Rome et les Latins vaincus lors de la bataille du lac Régille en 499 av. J.-C. On constatera tout d’abord que ce traité favorable à Rome qui était censé rétablir la Ligue latine fortement ébranlée après l’exil de Tarquin le Superbe, n’est établi que six ans après la victoire. Le fait que des affrontements soient encore attestés entre 499 av.J.-C. et 493 av.J.-C. doit nous amener à nuancer le caractère décisif d’un combat dont on ne saurait cependant minimiser l’importance puisqu’il marque la fin des projets de rétablissement de Tarquin le Superbe et par la même ceux d’Aristodème de Cumes visant au contrôle de l’ensemble du Latium. Le prolongement des combats après 499 av. J.-C. et surtout l’irruption des peuples italiques dans les affaires du Latium vont poser de nouveaux problèmes à Rome et à ses alliés latins. Le Foedus Cassianum nous est présenté sans équivoque comme une solution diplomatique et militaire pour faire face à cette nouvelle situation géopolitique46.
16Les Anciens nous présentent deux crises politico-militaires distinctes, le conflit latino-romain qui s’achève avec l’établissement du Foedus Cassianum et la guerre romano-volsque qui s’ouvre véritablement avec la prise de Corioles. Pourtant nous savons que les Volsques sont soupçonnés d’avoir voulu intervenir aux côtés des Latins contre Rome lors de la bataille du lac Régille, menace qui se concrètise véritablement à partir de 495 av.J.-C. par un affrontement direct avec Rome dont le premier épisode saillant aura pour théâtre deux ans plus tard la région de Corioles47. Un tel constat nous amène à faire deux remarques. Tout d’abord le soutien possible des Volsques à la cause des Tarquins ne doit pas nous surprendre puisqu’il trouve son fondement dans l’alliance que l’ancien roi avait jadis proposée à ceux-ci ainsi qu’aux Herniques. Les Volsques étant installés sur d’anciens territoires latins, que devons-nous entendre par cité latine à cette époque ? S’agit-il de cités peuplées de Latins ou de cités sises dans le Latium48 ? En fait cette distinction peut elle-même apparaître discutable puisque c’est à la suite d’un lent processus que certaines cités membres de l’antique ligue latine sont devenues volsques. Ainsi nous devons admettre que les nombreux mouvements de populations qui irriguèrent le Latium ont pu se traduire soit par une intégration plus ou moins consentie des nouveaux venus soit par une « sabellisation » d’anciennes cités latines49. Un épisode appartenant à la geste de Coriolan semble confirmer l’existence d’une situation de crise au sein de l’Urbs elle-même. L’accroissement de la pression volsque dans la plaine pontine atteint à ce moment les limites de l’Ager Romanus et le territoire de Lavinium, une situation que traduira symboliquement l’avancée des armées volsques de Coriolan en 488 av. J.-C. Cette situation suscite des problèmes frumentaires et une agitation politique que traduit ce que l’on appelle la première sécession de la Plèbe. L’établissement du foedus Cassianum et l’état de guerre chronique de guerre entre, d’une part Rome et ses alliés latins, d’autre part Rome et les cités latino-volsques, sont les conséquences directes de ce nouveau rapport de forces dont Coriolan, condottiere latin possessionné aux confins du pays volsque, fut peut-être la victime50. Après son exil, Gnaeus Marcius avec l’aide d’Attus Tullius met au point un habile stratagème pour pousser les Volsques alors en paix avec Rome, à la révolte. Sur le témoignage mensonger d’Attus Tullius faisant état d’un complot des Volsques résidant à Rome, le Sénat fait expulser ces derniers de Rome. Nous apprenons à ce propos que ces Volsques étaient les hôtes de citoyens romains. Détail assez surprenant, Attus Tullius, considéré comme un personnage important dans sa cité d’Antium, mais qui surtout nous est présenté comme l’implacable adversaire des Romains, ne suscite aucune méfiance parmi les sénateurs. Ainsi on peut penser que, jus-qu’en 491 av.J.-C., une communauté volsque ou latino-volsque vivait pacifiquement au contact des Romains comme Coriolan. Après 491av.J.-C., une rupture sous la forme d’une réaction patriotique et peut-être en partie ethnique semble se produire, conduisant à la guerre. Nous apprenons par Denys d’Halicarnasse et Plutarque que les Volsques, chassés de la ville, furent rassemblés par Attus Tullius près de la source Férentine, haut lieu de la Ligue latine situé non loin du territoire de Corioles. On ne comprendrait guère ce que les Volsques viendraient faire dans le sanctuaire fédéral latin sauf à considérer qu’il s’agit de Latino-Volsques exclus d’un Foedus Cassianum probablement réduit à certaines cités latines du Latium septentrional partageant avec Rome une défiance grandissante devant la progression italique51.
17Peut-on pour autant réduire à un conflit à caractère ethnique la guerre romano-volsque qui s’ouvre en 491 av.J.-C. ? Ce n’est pas certain dans la mesure ou plane encore l’ombre du conflit qui avait divisé le Latium en 508 av. J.-C. Lors de la disette de 492 av. J.-C. Tite-Live nous rappelle clairement que le refus d’Aristodème de Cumes de fournir du blé à Rome est motivé par son indéfectible soutien à la cause des Tarquins dont quelques partisans devaient encore se trouver en exil dans la cité grecque alors que les Étrusques avec lesquels Rome est en bons termes ainsi que la Sicile, répondront à l’appel de Rome52. Nous voyons par ailleurs les Volsques s’associer au blocus cumain par des actes de piraterie. Nous pouvons en déduire par conséquent qu’il existait un front anti-romain rassemblant Cumes, les Volsques d’Antium ainsi que les cités latines passées sous influence volsque53.
18Si Coriolan n’est probablement pas à l’origine du conflit qui éclate en 491av.J.-C., notre condottiere en rupture de ban avec son ancien employeur ou son ancienne cité d’accueil, va rallier la vaste coalition qui se constitue contre Rome et les cités latines signataires du Foedus Cassianum54. Pour tenter de saisir le véritable motif de la trahison de Coriolan nous devons nous tourner vers les rapports de force politiques observables au sein de l’Urbs à cette époque. Nous laisserons de côté l’intervention de Gnaeus Marcius dans le conflit patricio-plébéien dont nous avons rappelé précédemment le caractère controuvé. Par contre nous avons relevé en filigrane un autre débat non moins important mettant en cause le consul Spurius Cassius, signataire du Foedus Cassianum l’année de la prise de Corioles et initiateur d’une réforme agraire très controversée, l’année de la dédicace du sanctuaire de la Fortuna Muliebris par son collègue et adversaire Proculus Verginius en 486 av. J.-C.55. Cette réforme prévoyait de distribuer les terres confisquées aux Herniques en les répartissant pour moitié entre les Latins et la Plèbe romaine. Il s’agit là, comme cela a déjà été dit, d’une anticipation sur les réformes et l’assassinat de Livius Drusus en 91av. J.-C. puisque Spurius Cassius accusé d’adfectatio regni sera au final exécuté par son propre père56. Parmi les reproches faits à Spurius Cassius figure celui d’avoir laissé aux Herniques un tiers de leur territoire dans le but d’en faire de futurs clients, une situation qui rapproche le consul démagogue de Coriolan comme le fait par ailleurs Tite-Live57. En effet, lors des négociations qui s’étaient tenues aux Fossae Cluiliae, Coriolan avait exigé une isopolitie entre Romains, Latins et Volsques, entendons par là Rome, cités latines signataires du Foedus Cassianum possédant déjà ce droit et cités latino-volsques réclamant ce droit. Si une telle demande peut paraître incongrue de la part du vainqueur, il n’est cependant pas impossible qu’elle révèle une évolution de Rome quant à son hospitium désormais plus limité, soit un processus de confiscation du pouvoir pour un groupe de gentes romaines au détriment d’autres qui se virent expulsées ou éliminées comme le furent respectivement Coriolan et Spurius Cassius58. Or c’est en 486av.J.-C. que l’on place traditionnellement la serrata del Patriziato, c’est pourquoi nous pensons que l’expulsion de familles latines ou italiques fraîchement intégrées comme celle à laquelle appartenait Coriolan a pu refléter la première étape d’une confiscation oligarchique du pouvoir par une partie de l’élite politique au nom de leur qualité patricienne érigée désormais en droit d’entrée pour le gouvernement de la cité. Ainsi la pression sabellienne nous semble être la cause première de l’émergence d’une nouvelle identité civique de Rome dont certaines familles latines plus ou moins intégrées à l’Urbs firent les frais. Il n’est pas impossible que des critères ethniques soient intervenus dans un processus politico-juridique qui constitue un véritable tournant dans la genèse de l’identité civique romaine. Alors qu’en 504 av.J.-C. le Sabin Atta Clausus avait rapidement trouvé sa place au sein de l’élite romaine, quarante-quatre années plus tard, un autre Sabin Appius Herdonius se verra refuser manu militari l’accès à l’Urbs59.
Conclusion : Gnaeus Marcius Coriolan, grandeur et misère d’un condottiere volsque
19Il n’est pas dans notre propos d’entrer ici dans les détails de la brillante campagne militaire conduite par Coriolan à travers le Latium jusqu’aux portes de Rome. Comme nous l’avons déjà souligné, ces deux à trois années d’opérations militaires sont tout à fait singulières60. Elles débutent tout d’abord par des opérations de pillage, menées à nouveau par des volontaires que commande personnellement Coriolan. Cette nouvelle coloration gentilice des pratiques militaires du héros romain se retrouve également dans les pillages sélectifs qu’il mène dans l’Ager Romanus puisqu’il épargne les terres patriciennes61. La présentation du conflit comme une suite d’opérations de pillage peut être considérée comme conforme à la réalité. Il est certain que les guerres romano-italiques revêtirent souvent l’aspect de razzias plutôt que de batailles rangées à l’image de l’épisode bien connu de l’expédition des Fabii sur la Crémère, dix ans plus tard. Aucune bataille rangée n’est mentionnée, l’offensive s’étend de cité en cité, quelques-unes opposant une résistance mais la plupart capitulant62. Dans leur présentation de la guerre éclair menée par Coriolan, Denys d’Halicarnasse et à sa suite Plutarque suivent un ordre particulier63. Après s’être emparé de la seule cité côtière, Circei, Coriolan va s’attacher à conquérir des cités situées le long de la Via Latina avant d’aller curieusement mettre le siège devant Lavinium64. Une première tentative de négociation est alors amorcée aux Fossae Cluiliae au cinquième mille de la Via Appia. Durant le délai de trente jours de réflexion accordé aux Romains, une seconde campagne va conquérir des cités situées autour de la Via Appia après quoi Coriolan engage une seconde négociation aux Fossae Cluiliae au quatrième mille de la Via Latina là ou s’élèvera le sanctuaire de la Fortuna Muliebris en hommage aux matrones romaines qui surent fléchir la détermination de Coriolan65.
20L’absence d’une vraie résistance militaire de la part de l’Urbs a pour but de mettre en évidence la paralysie civique créée par la discorde opposant une Plèbe versatile prête à rappeler Coriolan et un Patriciat digne et intransigeant face à la menace que constitue la présence des Volsques sous les murs de Rome. Cependant les territoires latins parcourus par la coalition italique font clairement apparaître deux espaces politiques voire ethniques distincts. Les villes conquises par Coriolan correspondent à l’avancée maximale des Volsques et des Èques dans le Latium. Par contre Lavinium et Rome de même que les cités latines septentrionales échapperont à une « volscisation » de leurs élites. Il est significatif que Tibur, Préneste, Tusculum, Gabies et Collatia n’apparaissent pas dans le palmarès guerrier du condottiere latin.
21Nous ne reviendrons pas sur les ressorts littéraires qui caractèrisent le dénouement tragique du siège de Rome par Coriolan et la retraite de ce dernier. Nous avons vu que les deux sites de la négociation entre Coriolan et Rome aux Fossae Cluiliae n’ont pas été choisis au hasard66. Il s’agit des deux principaux axes routiers, reliant Rome à la Campanie, ceux-là même qu’emprunteront les légions romaines lorsqu’elles soumettront le Latium un siècle plus tard. Derrière la geste de Coriolan et le conflit romanovolsque des années 490 av. J.-C. est préfigurée la future mainmise de Rome sur le Latium. L’antique limite des Fossae Cluiliae correspondant à l’Ager Romanus antiquus c’est à dire à la première étape de la mainmise romaine sur le Latium67. Au-delà de ce premier cercle symbolique où se joue à nouveau le sort de Rome, nous pensons que la région de Corioles constitue le point de repère d’un second cercle caractérisant l’Ager Romanus des 21tribus tel que Tite-Live le définit pour l’année 495 av. J.-C.68. Un passage de l’historien padouan déjà évoqué faisait état de la situation frontalière de la région de Corioles au croisement des territoires de Rome, Aricie et Ardée, semble confirmer que c’est autour de cette région que s’établit la limite du territoire romain après la retraite consentie du condottiere latin69. Pour complèter notre analyse il convient de rappeler la conclusion apportée par Plutarque à l’épopée de Coriolan. Après l’assassinat de ce dernier par les Volsques, la discorde s’intalle entre Volsques et Èques provoquant la mort d’Attus Tullius dont l’autorité est désormais contestée et la défaite des Volsques qui, nous dit l’auteur, devinrent des sujets de Rome70. Nous avons là un magnifique raccourci historique qui nous transporte déjà en 338av.J.-C., année de la défaite navale des Volsques à Antium et de la soumission du Latium par les Romains. Ce troisième cercle présenté par Plutarque se présente donc comme l’anticipation d’une conquête rendue inévitable par le geste fatal pour les Volsques que fut le meurtre de Coriolan. Cet acte malheureux fit passer la discorde de Rome à Antium assurant ainsi la future victoire romaine. Comme Camille lors de l’invasion gauloise, Gnaeus Marcius Coriolan se trouve investi d’un rôle de dux fatalis, dans un tout autre contexte et d’une toute autre manière il est vrai. Ainsi la mauvaise passe dans laquelle s’était trouvée Rome au temps de Coriolan était en partie effacée par un récit prémonitoire faisant entrevoir l’exceptionnel destin de l’Urbs.
22La fin de notre héros est très controversée. Pour les raisons que nous venons de présenter on ne saura pas surpris si la version la plus récurrente fut celle de l’assassinat de Coriolan par les Volsques à l’instigation de son collègue Attus Tullius71. Denys d’Halicarnasse et Plutarque évoquent, après que Coriolan ait été lapidé72, sa consécration héroïque par les Volsques et moins ostentatoirement par Rome73, ultime ambiguïté d’un personnage dont la mémoire après avoir été conservée en pays latin, trouva une place à Rome, probablement par l’intermédiaire de la gens Marcia. Les tenants de la mort naturelle sont moins nombreux mais nous y trouvons nos deux plus anciennes sources. Il s’agit probablement de la version développée par les Marcii, celle d’un Coriolan vivant dans la cité qui l’avait accueilli après son départ forcé de Rome. C’est certainement à ses succès contre Rome que Coriolan dut la conservation de sa mémoire en terre latino-volsque ; il est donc probable que la plus antique tradition présentait Coriolan comme un condottiere latin au service d’Antium contre Rome. La version du suicide ne se trouve que chez Cicéron74 ce qui la rend suspecte et ce d’autant plus que l’évocation de la fin de Coriolan est mise en parallèle avec celle de Thémistocle. L’Arpinate étant de tous nos auteurs le plus hostile à Coriolan, on comprendra qu’il ait choisi cette fin pathétique, conséquence de la honte éprouvée par notre héros à l’écoute des reproches maternels. C’est pourtant cette version isolée, jugée plus conforme au romantisme ambiant, que choisira Heinrich von Collin pour sa pièce de théâtre.
Épilogue : la loi de la cité comme régulateur social, Rome ville fermée
23L’exil/expulsion de Coriolan peut être interprété à la fois comme une affirmation de la cité romaine menacée de « volscisation » et une incapacité de l’Urbs à réguler les tensions à la fois politiques ethniques et sociales qui opposent les élites romaines. Cet épisode peut être mis en perspective avec deux faits similaires qui se déroulent respectivement en 504 et en 460av.J.-C. Il s’agit d’une part de l’installation réussie du Sabin Appius Claudius à Rome, d’autre part de l’échec d’un autre Sabin Appius Herdonius également à Rome. Dans les deux cas Tite-Live et surtout Denys d’Halicarnasse nous présentent les faits de manière caricaturale. C’est ainsi que l’arrivée des Claudii nous est présentée sous l’angle d’une intégration paisible et consentie, le chef de la gens recevant des terres à Rome et dans l’Ager Romanus sans oublier une place au sein du Patriciat avec rang de sénateur. L’intervention d’Appius Herdonius s’apparente quant à elle, à une révolte servile. Au-delà de ces présentations tendancieuses, nous pouvons saisir deux moments de l’histoire de Rome : celle d’une cité encore ouverte à la fin du vie siècle av. J.-C. en un temps où l’intégration ne dépend que de la capacité du groupe allogène à s’imposer manu militari et celle d’une communauté civique capable d’établir des règles juridiques susceptibles de filtrer les étrangers. Le fait qu’Appius Herdonius s’installe sur le Capitole, là où Romulus avait établi l’asylum de la nouvelle cité, lieu situé inter duos lucos pour favoriser l’accueil des nouveaux citoyens, symbolise bien cette avancée de l’identité civique romaine quelques années avant la rédaction de la Loi des XII Tables.
Tableau : les sources littéraires

Notes de bas de page
1 Cette œuvre porte le numéro d’opus 62. Elle est contemporaine de la cinquième symphonie op. 67.
2 Dans la pièce de von Collin, Rome incarne l’impérialisme de la France révolutionnaire et napoléonienne et Coriolan une Autriche qui préfère mourir plutôt que d’accepter cet état de fait d’où le choix par l’auteur d’un dénouement marqué par le suicide du héros romain.
3 Le caractère assez ambigu de Coriolan explique probablement le peu d’enthousiasme des artistes à reprendre un thème pourtant bien connu depuis la Renaissance et la traduction de la biographie que Plutarque lui consacre dans les Vies. Quelques peintres ont cependant représenté Coriolan avec une prédilection pour la scène finale de Véturie/Volumnie conjurant son fils de renoncer à sa vengeance. Citons par ex. Coriolan devant Rome de Giambattista Tiepolo (musée Martin von Wagner, Würzburg, Allemagne).
4 11 auteurs sur les 18 ayant traité d’une manière ou d’une autre l’histoire de Coriolan évoquent la rencontre du général félon et de sa mère aux Fossae Cluiliae.
5 J.-M. David, « Les étapes historiques de la construction de la figure de Coriolan », M. Coudry et Th. Späth (dir.), L’Invention des grands hommes de la Rome antique. Actes du Colloque du Collegium Beatus Rhenanus, Augst, 16-18 septembre 1999, Paris, 2001, p. 18-19.
6 À l’époque augustéenne on pratiquait encore un rite lustral autour de Rome lors de la fête des Ambarualia. Cette cérémonie commémorait les limites de l’Ager Romanus antiquus qui se situaient entre le quatrième et le sixième mille à partir de l’Urbs. Voir X. Lafon, « Le suburbium », La ville de Rome sous le Haut-Empire. Nouvelles connaissances, nouvelles réflexions. Colloqueorganisé par l’École Française de Rome et la Société des Professeurs d’Histoire ancienne de l’Université, Rome 5-8 mai 2001, Toulouse, 2001, p. 202-203 ; F. Coarelli, Dintorni di Roma, Guide archeologiche Laterza, Bari, 1981, p. 52-53, 144, 211-212 ; L. Quilici et S. Quilici Gigli, I Volsci. Testimonianze e leggende, Rome, 1997, p. 113-120.
7 Tite-Live, Denys d’Halicarnasse et Plutarque sont nos trois sources majeures. Elles ne sont donc pas antérieures au principat augustéen. Nous disposons en outre de trois notices anecdotiques de Cicéron écrites entre 49 et 44 av. J.-C. Par ailleurs trois auteurs contemporains ou antérieurs à ce dernier sont mentionnés : T. Pomponius Atticus par Cicéron, Caton l’Ancien et Quintus Fabius Pictor par Tite-Live. L’histoire de Coriolan était donc connue depuis la fin du iiie siècle av. J.-C. au moins. Voir tableau en annexe.
8 On trouvera une bonne mise au point ainsi que la bibliographie ad hoc dans J.-M. David, op.cit. n. 5, p. 17-25.
9 On pourra se reporter à la très astucieuse analyse de M. Bonjour, « Les personnages féminins et la terre natale dans l’épisode de Coriolan », REL, 53, 1975, p. 157-181. L’auteur reprend par ailleurs l’état de la question depuis les travaux pionniers de Jean Gagé.
10 Nos deux plus anciennes sources, Fabius Pictor et Caton l’Ancien semblent déjà incarner ces deux sensibilités, le premier en évoquant la mort paisible du héros, le second en condamnant sans appel l’attitude de Coriolan. Tite-Live par lequel nous sont parvenues ces deux occurrences place l’opinion de Fabius Pictor en perspective de la version plus répandue mais également plus défavorable de l’assassinat. Le témoignage de Caton n’est pas sans intérêt dans la mesure où il se situe dans un contexte politique bien particulier, celui de l’abrogation en 195 av. J.-C. de la Lex Oppia à laquelle s’oppose ce dernier. Cette loi votée en 215 av. J.-C. était une loi somptuaire limitant l’usage des parures féminines. Caton prenant des exemples historiques tirés de ses Origines évoque l’abnégation des matrones romaines à des moments cruciaux de l’histoire de l’Urbs. Il mentionne entre autres l’ambassade féminine qui eut raison de la détermination de Coriolan. Cicéron durcit encore le trait en insistant sur la traîtrise et le suicide du héros à la différence de son ami Atticus qui récuse cette version pour une mort paisible en exil. Tite-Live s’inscrira avec quelques nuances dans la continuité de Caton et de Cicéron tandis que Denys d’Halicarnasse et Plutarque au contraire opteront pour une version plus favorable. À la suite de Tite-Live, Frontin, Florus, Ampelius, Eutrope, le De Viris illustribus, Jordanès et dans une moindre mesure Valère Maxime se montrent hostiles à Coriolan alors qu’Aulu-Gelle, Appien, Dion Cassius, Zonaras et Tzetzès accordent à Coriolan des circonstances atténuantes.
11 Voir Plut., Cor. 2-3. Au mépris de toute vraisemblance historique, Plutarque nous présente Coriolan comme un adolescent. En outre cet épisode est précédé d’une brève évocation de sa formation militaire dès son jeune âge. C’est ainsi que la geste de Coriolan s’étend de sa naissance à sa mort comme toute biographie qui se respecte.
12 Pour Denys d’Halicarnasse, Plutarque et Dion Cassius nous renvoyons à l’article de M.-L. Freyburger, « Coriolan, ou la construction littéraire d’un grand homme chez les historiens grecs de Rome », L’Invention des grands hommes de la Rome antique, p. 27-46 et pour Tite-Live à celui déjà cité, supra n. 9, de M. Bonjour, op.cit. n. 5. Nous avons vu que Caton l’Ancien s’était servi de l’histoire de Coriolan dans le débat sur l’abrogation de la Lex Oppia qui l’oppose aux tribuns de la Plèbe Marcus Fundanius et Lucius Valerius. Nos sources présentent trois autres usages moralisateurs de la trahison et du repentir de Coriolan. Lors de la sédition de la garnison romaine de Capoue en 342 av. J.-C. le dictateur Marcus Valerius Corvus s’adresse aux mutins conduits par Titus Quinctius en louant l’attitude de Coriolan qui refusa de prolonger une guerre impie puisque tournée contre sa patrie (voir Liv., VII, 40, 12). En 206 av. J.-C. à Sucro en Espagne, d’autres mutins sont sermonés par les Scipions qui rappellent que si Coriolan avait pris les armes contre Rome c’était à la suite d’une injuste condamnation, circonstance atténuante aux yeux des généraux romains dont ne pouvaient se prévaloir les légionnaires en rupture de ban (voir Liv., XXVIII, 29,1). À côté de ces deux exemples plutôt favorables à Coriolan nous en trouvons d’autres qui lui sont hostiles. Nous ne reviendrons pas sur l’exemple de la Lex Oppia dans Liv., XXXIV, 5, 9 (voir supra n. 10). L’autre exemple concerne la comparaison établie par Valère Maxime entre un Scipion l’Africain résigné et un Coriolan rebelle. L’auteur rend hommage à l’attitude du premier mort en exil loin de sa patrie en 183 av. J.-C. (voir Val.-Max., V, 3, 2b).
13 Sur la question de la procédure judiciaire plébéienne qui condamne Coriolan à l’exil, voir J.-M. David, « Coriolan, figure fondatrice du procès tribunicien. La construction de l’événement », dans L’Invention des grands hommes de la Rome antique, op. cit. n. 5, p. 249-269. Il est révélateur qu’Appien évoque au tout début des Guerres civiles la figure de Coriolan présentée comme le premier exemple d’un Romain combattant ses compatriotes et par conséquent comme la première véritable guerre civile. Cette appréciation montre bien toute l’ambiguïté du conflit romano-volsque de 491-488 av. J.-C. comparé ici aux affrontements suscités par les réformes de Tibérius Gracchus (voir App., Civ., I, 1-2). Appien et Cicéron font directement ou indirectement allusion à la guerre civile opposant César et Pompée. Un passage de l’historien grec est particulièrement intéressant. Il s’agit d’un discours de Calpurnius Pison visant à empêcher la condamnation d’Antoine que Cicéron cherchait à obtenir du Sénat : l’orateur cite en exemple les conséquences désastreuses des condamnations de Coriolan en 491 av. J.-C. et de César en 49 av. J.-C. (voir App., Civ., III, 60, 1).
14 Les derniers travaux sur la figure de Coriolan et plus particulièrement ceux de Jean-Michel David s’inscrivent avant tout dans une démarche herméneutique qui s’avère bien entendu primordiale lorsque l’historien s’attache à étudier la Rome archaïque (voir supra n. 8 et 13). S’il est difficile de saisir, à partir de la geste de Coriolan, l’histoire des premiers temps de la République, nous pensons que la prise en compte du contexte géopolitique peut permettre jusqu’à un certain point de donner une cohérence aux faits et gestes de Coriolan.
15 Les Modernes considèrent unanimement que le cognomen de Gnaeus Marcius ne saurait, en ces temps reculés, désigner un succès militaire mais bien plutôt le lieu de naissance de Coriolan, Corioles. Ce constat ne saurait cependant invalider la présence de ce personnage dans une cité très largement ouverte à des populations allogènes qu’elles soient latines, sabines ou étrusques voire sabelliennes comme semble l’indiquer le curieux surnom du consul de 493 av. J.-C., Postumius Cominius Auruncus (voir P.-Ch. Ranouil, Recherches sur le Patriciat (509-356 av. J.-C.), Paris, 1975, p. 81-84). La présence d’Aurunques, peuple localisé aux confins de la Campanie et du Latium, ne doit pas être nécessairement reçue comme anachronique au début du ve siècle av. J.-C. La politique extérieure de Tarquin le Superbe en direction de Latium méridional telle que Denys d’Halicarnasse nous la présente fait état d’une alliance avec les Volsques et les Herniques. La prise de la cité de Suessa Pometia/Apiola marque la plus grande avancée vers le sud de la coalition latine menée par Rome et Tusculum. Si Tite-Live considère, à tort, que ce conflit ouvre les hostilités qui opposeront Rome et les Volsques par la suite (voir Liv., I, 53, 2-3), on relèvera que le nom Suessa se retrouve également chez les Aurunques pour désigner une autre agglomération. La mention par Tite-Live d’un second affrontement en 503 av. J.-C., devant Pometia, tombée entre les mains des Aurunques semblent confirmer la présence de ce peuple dans la plaine pontine (Liv., II, 16, 8-9). À propos de cette guerre que l’on ne trouve pas chez Denys d’Halicarnasse, les modernes sont divisés. Pour Filippo Coarelli c’est un argument quant à l’antériorité des Aurunques sur les Volsques dans la région alors que pour Marijke Gnade il s’agit d’une confusion de l’historien padouan pour concilier le double nom latin et aurunque de la cité (voir F. Coarelli, « Roma, i Volsci e il Lazio antique », Crise et transformation des sociétés archaïques de l’Italie antique au ve siècle av. J.- C. Actes de la table ronde, Rome 19-21/11/1987, CÉFR 137, Rome, 1990, p. 140-141, et M. Gnade, Satricum in the post-archaic period. A case study of the interpretation of archeological remains as indicators of ethno-cultural identity, Louvain, 2002, p.140-142 et 150-151). Au-delà de la question des identités ethniques de Suessa Pometia, ces divergences tendent à montrer que les Anciens, dans un souci de simplification bien excusable compte tenu de la complexité des migrations dont le Latium est l’objet à partir de la fin du vie siècle av. J.-C., ont choisi de placer au premier plan les Volsques au détriment d’autres peuples comme les Aurunques géographiquement voisins de ceux-ci.
16 Voir Plut., Cor., 1. Signalons que le même auteur évoque en introduction à sa vie de Cicéron, un lien familial entre l’orateur arpinate et le collègue volsque de Coriolan, Attus Tullius. Il est difficile de savoir si ces liens gentilices sont réels ou fictifs sachant que les familles de l’aristocratie romaine étaient passées maître dans l’art de se donner des ancêtres prestigieux dont les imagines ornaient les atria (voir H. I. Flower, Ancestor Masks and Aristocratic Power in Roman Culture, Oxford et New-York, 1996, p. 185-222).
17 Sur la gens Marcia voir W. Schur, s.u. « Marcius », RE, XIV, 2, 1930, col. 1535-1608 et RE, S V, 1931, col. 653-660. La gens Marcia appartient au groupe étroit des premières familles plébéiennes bénéficiaires des Lois liciniennes-sextiennes. Caius Marcius Rutilus gère le consulat en 357, 352, 344 et 342 av. J.-C., reçoit la dictature en 356 av. J.-C. et la censure en 351av.J.-C. Il est le premier plébéien à exercer ces deux magistratures. Le cognomen Rutilus pourrait faire référence aux Rutules, peuple originaire d’Ardée, cité voisine de Corioles ce qui apporte un certain crédit sinon à une parenté lointaine avec Coriolan du moins à un ancrage de la gens plébéienne en terre latine, à proximité de la patrie supposée du héros romain (voir Liv., III, 71, 2). Alors que Plutarque mentionne plutôt les Marcii Reges famille dont l’arrivée sur le devant de la scène politique romaine est beaucoup plus tardive, il nous semble plus plausible de placer la naissance d’une tradition héroïque autour de Gnaeus Marcius Coriolan dès le milieu du ive siècle av. J.-C. Par contre le cognomen Rex à plus de chance d’avoir été forgé en même temps que la parenté fictive avec Ancus Marcius, petit-fils du très religieux Numa Pompilius. Les fils de ce Marcus Marcius, premier plébéien à exercer le grand pontificat à la fin du iiie siècle av. J.-C. — c’est-à-dire au moment où Fabius Pictor notre plus antique source sur Coriolan écrit ses Annales — établirent naturellement un lien entre ce titre et le second roi de Rome à travers la figure d’Ancus Marcius (voir Liv., XXVII, 6, 16).
18 Sur la question de l’appartenance à la Plèbe ou au Patriciat des grandes familles romaines avant la serrata del Patriziato, nous renvoyons aux travaux de P.-Ch. Ranouil, op.cit. n. 15, p. 94-95 et 145-147.
19 Sur la construction en deux temps d’une généalogie mythique des Marcii voir supra n. 17.
20 Voir DH, III, 41. Filippo Coarelli accorde un certain crédit à cette première incursion volsque dans le Latium qu’il situe du côté de la Sabine. L’origine osco-ombrienne de la langue volsque permet de mettre en évidence une origine septentrionale de ce peuple. Encore présent dans cette région à la fin du viie siècle av. J.-C., les Volsques auraient migré vers le sud avant de remonter vers le nord pour s’installer dans le Latium un siècle plus tard (voir F. Coarelli, op.cit. n. 15, p. 137-141).
21 La tribu Veturia ou Voturia, une des dix tribus à nom gentilice, est généralement localisée au sud de l’estuaire du Tibre. Concernant le raid gentilice de Coriolan de 492 av. J.-C. qui fait suite à la grève du dilectus suscitée par les tribuns de la Plèbe, Plutarque le situe sur le territoire d’Antium sans plus de précision. Nous observons simplement que la tribu Veturia jouxtait la plaine pontine en voie de « volscisation ». Le théâtre des opérations militaires au temps de Coriolan semble clairement s’inscrire dans un espace compris entre Lavinium, Corioles et Antium. Pour un dernier état des connaissances sur la présence romaine à Ostie dans les temps archaïques, voir F. Zevi, « Les débuts d’Ostie », Ostia, port et porte de la Rome antique. Catalogue de l’exposition, Genève, musée Rath, 23 février au 22 juillet 2001, Genève, 2001, p. 3-9.
22 L’existence d’alliances matrimoniales interciviques ou interethniques est largement attestée par la tradition. C’est ainsi qu’Octauius Mamilius, notable de Tusculum, s’était associé aux Tarquins de Rome, une alliance pour le meilleur — l’élimination de Turnus Herdonius d’Aricie — et pour le pire — les tentatives infructueuses pour rétablir Tarquin le Superbe sur son trône. De la même manière, la rapide intégration d’Atta Clausus au sein du Sénat ne pourrait se comprendre si cette famille originaire de la région de Curès en Sabine n’avait pas établi quelques liens étroits avec certaines familles romaines dont malheureusement nos sources ne nous soufflent mot.
23 Voir Plut., Cor., 3, 1 et DH, VII, 67.
24 Voir Plut., Cor., 15. Nous pensons qu’il s’agit d’une contradiction volontaire de Plutarque à un stade du récit où la figure de Coriolan prend une dimension nouvelle, celle d’un véritable chef de gens. L’auteur insiste par ailleurs sur le grand nombre de combats livrés par le héros, remarque qui là aussi est en totale contradiction avec la première partie de la biographie qui ne nous présente que trois participations guerrières de Coriolan : en 499 av. J.-C. au lac Régille, en 493 av. J.-C. à Corioles et en 492 av. J.-C. sur le territoire antiate.
25 Voir G. Dumézil, Mythe et épopée, III : Histoires romaines, Paris, 1973, p. 239-262. Comme le roi Tullus Hostilius, Coriolan incarne parfaitement la seconde fonction indo-européenne.
26 Sur la réputation à la fois réactionnaire et démagogique de la gens Claudia voir M. Humm, « La figure d’Appius Claudius Caecus chez Tite-Live », D. Briquel et J.-P. Thuillier (dir.), Le Censeur et les Samnites. Sur Tite-Live, livre IX, Paris, 2001, p. 65-96. Par son attitude hautaine confinant souvent à la violence, la figure de Coriolan s’apparente aux ténors politiques de la gens Claudia dont les discours fleuves ponctuaient chaque avancée politique de la Plèbe.
27 Ni Tite-Live, ni Denys d’Halicarnasse n’évoquent une candidature de Coriolan au consulat. Il s’agit donc certainement d’une invention de Plutarque reprise par Appien, Dion Cassius et Zonaras, ces deux derniers transformant l’élection consulaire en élection prétorienne en un temps où la préture n’existait pas.
28 À la différence de Coriolan, Titus Larcius est connu pour avoir géré des magistratures : le consulat mais également la première dictature de la République romaine en 501 av. J.-C. (voir P.-Ch. Ranouil, op.cit. n. 15, p. 208).
29 Il s’agit surtout d’un prétexte pour une digression sur les récompenses militaires dans l’armée romaine.
30 L’action belliqueuse menée par Coriolan sur le territoire antiate s’apparente à l’expédition que meneront une douzaine d’années plus tard les Fabii sur la Crémère contre la cité étrusque de Véies (voir J.-C. Richard, « Les Fabii à la Crémère : grandeur et décadence de l’organisation gentilice », Crise et transformation des sociétés archaïques de l’Italie antique au ve siècle av. J.-C., op.cit. n. 15, p. 245-262).
31 Voir supra n. 13.
32 Si Tite-Live donne à Coriolan le titre d’imperator des Volsques aux côtés d’Attus Tullius (Liv., II, 39, 1), Denys d’Halicarnasse et Plutarque parlent de stratégos autocrator (DH, VIII, 11 et Plut., Cor., 27, 1). C’est à Denys d’Halicarnasse que l’on doit la mention de son élection à toutes les Boulai des cités volsques (DH, VIII, 9-10). Il est bien évident que cette présentation des institutions volsques est totalement artificielle. Cependant l’épaisseur institutionnelle que va acquérir Coriolan une fois passé dans le camp des Volsques contraste avec sa situation marginale dans l’Urbs. Eutrope, I, 15, utilise l’expression dux Romanus pour désigner le preneur de Corioles, une expression qui conviendrait parfaitement à un condottiere latin au service de Rome.
33 Voir DH, VII, 64 et Plut., Cor., 20, 5.
34 Lors du partage du butin après les affrontements autour de Corioles, Denys d’Halicarnasse et Plutarque nous informent que le prisonnier qu’il accepte de recevoir était un de ses hôtes. Cette notion d’hospitium apparaît à nouveau, mais en sens inverse, lorqu’il se rend dans la demeure d’Attus Tullius, personnage éminent chez les Volsques d’Antium (DH, VI, 94 et VIII, 1 ; Plut., Cor., 10 et 22 ainsi que Liv., II, 35, 7).
35 Voir supra n. 15.
36 Si Tite-Live dissocie la famine de la présence des Volsques dans la plaine pontine, remarquons qu’il compare la situation de Rome à celle d’une ville assiégée. C’est probablement là le véritable problème que connaît Rome en ces temps de migrations italiques. Il permet d’expliquer les crises qui secouent alors la jeune République. Sur la famine de 492 av. J.-C. voir C. Virlouvet, Famines et émeutes à Rome des origines de la République à la mort de Néron, CÉFR 87, Rome, 1985, p.11-12, 20-21, 25, 50, 65, 69, 76, 104-105 et 120. L’épisode de l’expédition de Coriolan sur le territoire antiate montre que les pratiques de razzia ne sont pas l’apanage des Sabelliens.
37 Voir Pline, N.H., III, 9, 69.
38 Voir DH, VI, 92.
39 Voir Liv., III, 71.
40 Ce territoire correspond à la Grande Rome des Tarquins chère à Giorgio Pasquali inventeur en 1936 de cette expression plus révélatrice de l’impérialisme italien de Mussolini que des réalités de la Rome archaïque. S’il n’y a pas lieu de contester la montée en puissance de Rome durant le vie siècle av. J.-C., il convient de rappeler que d’autres cités comme Tusculum sont étroitement associées au renforcement de la Ligue latine. En outre, l’échec du siège d’Ardée et le renversement du dernier roi de Rome plaident en faveur d’une certaine instabilité politique dont les causes sont autant extérieures qu’intérieures.
41 Sur cette autre éminente figure de la Rome archaïque, voir notre article : T. Piel, « À propos de l’image royale des principes étrusques chez les auteurs grecs et latins : Porsenna Rex Etruriae », G. Lachenaud et D. Longrée (dir.), Grecs et Romains aux prises avec l’histoire. Représentations, récits et idéologie, II : Présence de l’histoire et pratiques des historiens. Actes du colloque, Nantes et Angers, 12 au 15 septembre 2001, Rennes, 2003, p. 527-537.
42 G. Colonna, « La nuova iscrizione di Satricum », Quaderni del Centro di studio per l’archeologia etrusco-italica, 8, 1984, p. 104-106. Cette inscription porte probablement le nom de Valerius Publicola, figure éminente des premières années de la République romaine.
43 F. Zevi, « La tomba del Guerriero di Lanuvio », La grande Roma dei Tarquini. Catalogue de l’exposition, Rome, Palazzo delle Esposizioni, 12 juin au 30 septembre1990, 1990, p. 264-269.
44 Dans Denys d’Halicarnasse, la présentation du conflit patricio-plébéien qui se cristallise autour de Coriolan oppose deux factions extrémistes et deux factions plus modérées : la patriciat extrémiste est incarné par Coriolan et Appius Claudius, la plèbe extrémiste par le tribun Sicinius tandis que le sénateur Manius Valérius représente un patriciat conciliant, dans un rôle traditionnellement dévolu à cette famille. Les tribuns Iunius Brutus et Décius tiennent une place équivalente du côté de la Plèbe. Le ton général demeure cependant favorable au Sénat.
45 Si Tite-Live se montre très laconique sur l’exil de Coriolan, présentant le proscrit quittant Rome précipitamment et seul (voir Liv., II, 35, 6), Plutarque propose une version plus développée selon laquelle tous les patriciens l’escortent jusqu’aux portes de Rome (voir Plut., Cor., 21, 4 et DH, VII, 67). Il ajoute que quelques clients l’accompagnent dans une de ses propriétés. Cette étape qui précède son départ pour Antium n’est pas sans rappeler la présentation que font les annalistes des migrations gentilices telles que celles de Tarquin l’Ancien ou d’Atta Clausus à cette différence près que pour une fois c’est Rome qui est la ville de départ. Ainsi plutôt qu’un condottiere girovague l’attitude de Coriolan passant d’une cité à l’autre nous apparaît conforme à des comportements socio-politiques que l’on observe par ailleurs dans le monde étrusco-latin à cette époque.
46 Le Foedus Cassianum doit être compris plus comme la réponse collective de quelques cités latines, parmi lesquelles Rome, à la « sabellisation » progressive du Latium. Si Rome se trouvait particulièrement exposée par la progression des Volsques on n’oubliera pas que Préneste, Tibur ou Gabies ont dû probablement devoir faire face aux Èques ce dont ne rendent pas compte nos sources romanocentrique.
47 Pour illustrer cet état de fait, nous citerons un passage de Tite-Live, équivoque mais révélateur, à propos des Volsques au moment des premiers affrontements (II, 22, 1) : Cum Volscorum gente Latino bello neque pax neque bellum fuerat : nam et Volsci comparauerant auxilia quae mitterent Latinis, ni maturatum ab dictatore Romano esset, et maturauit Romanus ne proelio uno cum Latino Volscoque contenderet. « Avec les Volsques, on n’avait été, pendant la Guerre latine, ni en guerre ni en paix. Les Volsques avaient bien préparé des renforts qu’ils allaient envoyer aux Latins sans la hâte du dictateur romain, et lui, de son côté, se hâtait pour n’avoir pas à combattre en même temps les forces réunies des Latins et des Volsques. » (trad. G. Baillet, Paris, CUF, 1941).
48 Strabon, lorqu’il décrit le Latium, précise bien que cette région compte des cité qui jadis n’étaient pas latines et il cite entre autres les Èques, les Volsques et les Herniques. Nous pensons que les annalistes ont parfois confondu l’adjectif géographique et le substantif ethnique.
49 Les fouilles menées à Satricum, une ancienne cité latine, ont permis de mettre en évidence de profondes ruptures urbanistiques entre la ville latine et l’agglomération volsque : voir M.Gnade, Satricum in the post-archaic period, op.cit. n. 15.
50 Nous avons déjà relevé que Coriolan avait des attaches en pays volsque. Nous ajouterons au dossier à charge que son attitude durant la crise frumentaire a eu comme résultat d’aggraver la situation lorsqu’il s’est prononcé pour la vente à un prix élevé du blé importé.
51 La bois sacré de Ferentina est situé sur le territoire d’Aricie, cité dont le temple principal dédié à Diane constituait un lieu de rassemblement majeur pour les membres de l’antique ligue latine. Ces deux sanctuaires avait constitué un enjeu politique important pour certaines cités désireuses de dominer la Ligue. Tarquin le Superbe avait ainsi éliminé Turnus Herdonius l’homme fort d’Aricie. Arruns avait assiègé la ville d’Aricie en 504 av. J.-C. Les combats de 493 av. J.-C. autour de Corioles s’étaient déroulés non loin du sanctuaire (voir C. Ampolo, « Boschi sacri e culti federali : l’esempio del Lazio », Les Bois sacrés. Actes du colloque international organisé parle centre Jean Bérard et l’École Pratique des Hautes Études (Ve section), Naples, 23 au 25 novembre 1989, Coll. du Centre Jean Bérard 10, Naples, 1993, p. 159-167. Cet épisode semble indiquer que le Foedus Cassianum loin d’établir une pax Romana dans le Latium consacra bien au contraire une nouvelle fracture régionale qui ne sera véritablement comblée qu’en 338av.J.-C.
52 Tite-Live précise que le blé étrusque vient du Tibre donc de l’Étrurie intérieure très probablement ce qui signifie qu’à cette époque, près de vingt après l’expédition du clusinien Porsenna, des rapports étroits sinon des alliances s’étaient perpétuées entre Rome et le Val di Chiana (voir Liv., II, 34, 5).
53 Nos sources ne font jamais directement état d’une connivence entre Cumes et les Volsques d’Antium. Cependant nous savons que ceux-ci avaient fait alliance avec Tarquin le Superbe ce qui a peut-être facilité leur installation dans le Latium. Nous savons également qu’ils s’apprêtaient à intervenir aux côtés des Latins donc des Tarquins au lac Régille. Enfin, en 492av. J.-C. ils tentent de bloquer les importations de céréales vers Rome alignant ainsi leur attitude sur celle d’Aristodème de Cumes. Par conséquent, bien que Tarquin le Superbe soit décédé entre temps, le conflit qui s’engage n’est pas sans lien avec la Guerre latine.
54 Il est bien évident que les annalistes présentent l’offensive conduite contre Rome par Coriolan d’une manière quelque peu théâtrale. Cette mise en scène dramatique est certainement plus ramassée que ne le fut cette guerre dans la réalité. Il ne fait cependant aucun doute que dans les années 491-488 av. J.-C. Rome et ses alliées se sont trouvées confrontées à un véritable danger dont témoigne justement l’habillage littéraire des annalistes.
55 Voir Liv., II, 41.
56 Voir M. Chassignet, « La « construction » des aspirants à la tyrannie : Sp. Cassius, Sp. Maelius et Manlius Capitolinus », L’Invention des grands hommes de la Rome antique, op. cit. n. 5, p.83-96. et P.-M. Martin, L’Idée de royauté à Rome. I : De la Rome royale au consensus républicain, Clermont-Ferrand, 1982, p. 339-349.
57 Voir Liv., II, 41, 6.
58 Janine Cels-Saint-Hilaire propose une interprétation du rôle politique de Coriolan comme étant celui d’un chef plébéien subissant comme Spurius Cassius l’ostracisme des gentes patriciennes. Nous estimons cependant que la ligne de partage au sein de l’Urbs ne se situe pas sur le plan d’un affrontement socio-politique trop anachronique à nos yeux mais plutôt sur un plan ethno-politique et géopolitique. Voir J. Cels-Saint-Hilaire, La République des tribus. Du droit de vote et de ses enjeux aux débuts de la République romaine, (495-300 av. J.-C.), Toulouse, 1995, p. 303-306.
59 Voir Liv., II, 16, 4-5 et III, 15-18.
60 Voir supra n. 54.
61 Voir Liv., II, 39, 5-6 ; DH, VIII, 12 ; Plut., Cor., 27, 5 ; Front., Strat., I, 8, 1 et Zon., Chr., 7, 16. Ce subterfuge sera également utilisé par Hannibal dans le but de discréditer le dictateur Fabius Maximus voir Plut., Fab., 7, 4). S’il s’agit là d’un lieu commun littéraire, il n’en demeure pas moins vrai que le conflit romano-volsque a pu se situer par moment entre guerre étrangère et guerre civile, une confusion qu’illustre bien la figure ambiguë de Coriolan. Il est significatif qu’Appien invoque la trahison de Coriolan en tant que guerre civile romaine anticipant celles de la fin de la République (voir App., Civ., I, 1-2).
62 Comme nous l’avons précédemment fait pour Corioles, nous sommes en droit de nous poser des questions sur le statut et l’aspect urbain des nombreuses « cités » conquises par Coriolan.
63 Voir DH, VIII, 17-21 et 36 ; Plut., Cor., 28-29 et 31. A contrario Tite-Live concentre le conflit en une seule offensive d’où le caractère confus de sa présentation des faits (voir Liv., II, 19, 2-4).
64 L’accent mis sur le siège de Lavinium s’explique bien entendu par l’importance idéologique que prendra cette cité à la fin du siècle suivant lorsque s’élaborera le mythe des origines troyennes de Rome (voir P. Sommella, « Heroon di Enea a Lavinium. Recenti scavi a Pratica di Mare », RPAA, 44, 1971-1972, p. 47-74).
65 Le point de rencontre des deux négociations entre Coriolan et Rome se situe sur les Fossae Cluiliae, limite consacrée de l’Ager Romanus antiquus. Le cinquième mille de la Via Appia correspond au lieu où combattirent les Horaces et les Curiaces tandis que le quatrième mille de la Via Latina correspond au sanctuaire de la Fortuna Muliebris (voir supra n. 6).
66 Voir supra n. 65.
67 Ce premier accroissement du territoire civique romain correspondait dans la tradition au synoecisme romano-albain qui avait suivi la victoire des Horaces au temps du roi Tullus Hostilius.
68 Voir Liv., II, 21, 7. Michel Humbert propose la date de 493 av. J.-C. qui correspond à un recensement mentionné par Denys d’Halicarnasse (voir DH, VI, 96, 4) et surtout au Foedus Cassianum qui fonde les nouvelles limites de l’Ager Romanus après la victoire du lac Régille (voir M. Humbert, Municipium et civitas sine suffragio. L’Organisation de la conquête jusqu’à la guerre sociale, CÉFR 36, Rome, 1978, p. 58-76, et J. Cels-Saint-Hilaire, La République des tribus, op. cit. n. 58, p. 101-128).
69 Voir supra n. 39.
70 Voir Plut., Cor., 39, 12-13.
71 Sur douze auteurs seul Cicéron choisit le suicide, 4 choisissent la mort naturelle (Fabius Pictor, Atticus, Zonaras et Tzetzès), 5 optent pour l’assassinat (Denys d’Halicarnasse, Plutarque, Appien, Ampélius et le De Viris illustribus), 2 hésitent entre mort naturelle et assassinat (Tite-Live et Dion Cassius).
72 La mort par lapidation contribue à renforcer l’image de Coriolan en dux fatalis. Ce supplice a, dans les mondes antiques, une dimension rituelle particulière dans la mesure ou les exécuteurs de la peine évitent tout contact physique avec le sacer. Pour rester dans le monde étrusco-latin, nous mentionnerons à titre d’exemple la lapidation des prisonniers phocéens par les Cérites à l’issue de la bataille de la mer de Sardaigne vers 540 av. J.-C. (voir Hérodote, I, 164-167).
73 Denys d’Halicarnasse évoque des funérailles héroïques de la part des Volsques avec aménagement d’un heroon tumulaire. Il ajoute que les Romains regrettèrent sa mort et que les femmes prirent le deuil une année entière (voir DH, VIII, 62). De son côté Plutarque mentionne un hérôon orné de trophées en pays volsque. À Rome, il n’y eut qu’un deuil facultatif de dix mois pour les femmes. L’hommage est donc beaucoup moins appuyé qu’à Antium (voir Plut., Cor., 39). Les autres auteurs n’évoquent aucune héroïsation. Cela traduit la difficulté pour Rome d’intégrer ce héros latin qui faillit interrompre le formidable destin de l’Urbs. Les Elogia Tarquiniensia étudiés par Mario Torelli tendent à prouver qu’à l’époque augustéenne, l’hommage rendu à des ancêtres qui avaient pris les armes contre Rome était parfaitement admis (voir M. Torelli [dir.], Elogia Tarquiniensia, Florence, 1975). Il n’en alla pas de même avec Coriolan, personnage intégré à la grande histoire de Rome. Il fallut donc faire la part des choses entre la pietas parfairement légitime des Marcii et le souvenir encore douloureux d’une action militaire qui avait mis Rome en péril.
74 Voir Cic., Brut., 41-43.
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