Les modes de régulation des marchands mésopotamiens au premier millénaire avant J.-C.
p. 139-155
Texte intégral
1Le risque et l’incertitude font partie du quotidien des marchands, surtout lorsqu’ils sont spécialisés dans le commerce à longue distance. Pillage, chute des prix, tromperie sur la marchandise constituent autant d’aléas dont les effets déstabilisateurs peuvent rendre impossible leur activité. Alors que les marchands contemporains s’en remettent à des sociétés d’assurances pour se protéger contre la plupart des risques qu’ils encourent, les marchands antiques n’ont d’autre ressource que de mettre en place des modes de régulation adaptés aux différentes formes d’incertitude auxquelles ils sont confrontés. Certains de ces modes de régulation sont informels, ils conduisent par exemple à la mise en place d’associations professionnelles. D’autres sont coordonnés par l’État et donnent lieu à des dispositions juridiques ou diplomatiques. La grande variété des modes de régulation imaginés par les marchands de l’Antiquité répond à celle des risques pesant sur leur activité. L’objet de cet article est de rechercher, pour quelques exemples d’aléas caractéristiques du commerce à longue distance, quels sont les moyens mis en œuvre par les marchands antiques pour en limiter les effets.
2Il serait sans doute possible d’interroger, à partir de cette question simple, des sources relevant de toute l’Antiquité. Nous nous limiterons à un domaine plus étroit en nous intéressant aux marchands impliqués dans les échanges à longue distance en Mésopotamie au Ier millénaire. Cette région, comprise entre le Tigre et l’Euphrate1, a livré des documents particulièrement précieux pour l’historien des comportements économiques. Le support traditionnel des langues locales, le sumérien puis l’akkadien, est en effet une tablette d’argile sur laquelle sont imprimés, grâce à un calame, de petits signes en forme de clous qui ont donné à cette écriture son nom de « cunéiforme ». L’utilisation de ce support particulier représente une véritable chance pour l’historien puisque, contrairement aux matériaux souples comme la peau ou le papyrus, il a pu se conserver, sous certaines conditions, jusqu’à nos jours. Cette sauvegarde est d’autant plus précieuse que l’usage de l’écriture cunéiforme se répand, très tôt, dans différentes catégories de la population. Les sites archéologiques de Syrie et d’Irak ont ainsi livré, par milliers, des documents utilisés par les anciens Mésopotamiens dans leur vie quotidienne. Contrats de ventes de maisons, d’esclaves, actes de procès2, contrats de mariage, exercices scolaires, rituels, la liste est longue des types de textes parvenus jusqu’à nous.
3Les marchands apparaissent comme des utilisateurs privilégiés de l’écriture cunéiforme. Ils enregistrent leurs comptes quotidiens ou mensuels, écrivent leurs lettres à leurs associés, consignent leurs contrats de financement. Certaines de leurs archives ont été retrouvées et permettent d’apprécier leur activité pour des époques très anciennes. D’importants corpus 3 remontent au début du IIe millénaire av. J.-C., tandis que les derniers textes datent de l’époque perse. Cet article ne s’intéressera qu’à une petite partie de cette longue histoire, la première moitié du Ier millénaire av. J.-C., qui recouvre les époques dites néo-assyrienne (début du Ier millénaire) puis néo-babylonienne (626-539)4.
4Plusieurs types de sources datant de cette époque évoquent les activités de personnages liés au commerce à longue ou à moyenne distance5. Quelques tablettes, pour la plupart retrouvées à Aššur, ville du nord de la Mésopotamie6, proviennent d’archives privées. Certains des personnages auxquels appartiennent ces documents ou qui y sont cités semblent impliqués dans le commerce à longue ou moyenne distance. Ont ainsi été retrouvés à Aššur des textes interprétés comme les contrats de travail des personnes qui accompagnaient les caravanes marchandes7. Certains types de documents privés se retrouvent dans de nombreux sites. C’est le cas, notamment, d’une forme de contrat par lesquels plusieurs personnages mettent en commun un capital8 destiné à des usages variés. Ces contrats, sur lesquels nous reviendrons, servent parfois à financer des expéditions commerciales.
5Les vestiges des palais ont livré des lettres envoyées aux souverains néo-assyriens par différents hauts personnages, notamment des gouverneurs de province. Certaines évoquent le cas de marchands et apportent de précieux renseignements sur leurs relations avec l’État9. En Babylonie, la partie sud de la Mésopotamie, ont été retrouvées de très nombreuses tablettes datant de l’époque néo-babylonienne. La plupart de ces textes avaient été rédigés pour les besoins de l’administration des deux principaux temples de la région, celui de la ville de Sippar, l’Ebabbar10, et celui de la ville d’Uruk, l’Eanna11. On y trouve des reçus consignant l’entrée ou la sortie de produits alimentaires depuis les magasins des temples, des livraisons de matières premières aux différents artisans travaillant pour le sanctuaire, les contrats par lesquels celui-ci assure la gestion de ses domaines agricoles… Parmi ces milliers de textes, il est possible d’isoler un petit dossier concernant l’achat, par les temples, de produits que l’on sait issus du commerce à longue distance : métaux, tissus teints, pierres précieuses… Y apparaissent des personnages qui ne sont peut-être pas à proprement parler des marchands, mais exercent la fonction d’agents commerciaux 12 impliqués dans la fourniture au temple de produits d’origine lointaine.
6Un dernier groupe de textes, un peu plus ancien, est d’une grande importance pour notre sujet. Il date du début de la deuxième moitié du viiie siècle (754-732) et a été retrouvé à Nippur, ville située à 160 kilomètres au sud de Bagdad13. À cette époque, Nippur est sous la domination formelle des souverains néo-assyriens, mais les gouverneurs locaux, les Šandabakku, disposent d’une large autonomie. Ils ne limitent pas leurs activités aux domaines religieux et administratifs mais sont aussi des hommes d’affaires actifs dont les agents sont impliqués dans les échanges domestiques et à plus longue distance14. Leurs serviteurs sillonnent toute la région pour se procurer ou revendre des biens divers. Une partie de la correspondance échangée entre les Šandabakku et leurs agents a été conservée. Ces lettres fournissent un témoignage rare et précieux permettant d’apprécier la pratique quotidienne des échanges et les relations entre les différents personnages qui y sont impliqués15.
7Ce rapide panorama de la documentation mésopotamienne illustre à la fois la richesse des sources et leur grande hétérogénéité. L’image qu’elles donnent atteint parfois une précision extrême qui contraste avec le manque total d’informations pour d’autres aspects. Ainsi, certains personnages actifs à une certaine époque dans un certain lieu sont très bien connus, tandis que leurs collègues de la ville voisine ou du siècle suivant restent mystérieux. Il est difficile de donner une vision d’ensemble, puisque les statuts des acteurs impliqués dans les échanges sont très variés. Certains sont liés au temple ou au pouvoir local, d’autres semblent plus indépendants. Ils ne sont pas impliqués au même titre dans les échanges et ne sont pas tous soumis au même type d’incertitudes. Vouloir donner un modèle général des modes de régulation du risque mis en place par les marchands mésopotamiens serait donc illusoire et conduirait à sous-estimer la grande variété des pratiques antiques. Plus modestement, il nous faut nous contenter d’étudier, à partir de quelques exemples pour lesquels les sources sont suffisamment claires, de quelles manières les personnages impliqués dans les échanges se protègent contre certains des aléas associés à leur activité.
8Pour s’intéresser à ce problème, beaucoup d’approches sont possibles. Certaines s’appuient sur des aspects sociaux, culturels ou juridiques. Nous nous proposons de l’aborder sous un angle volontairement très limité, celui de l’économie. La science économique se veut en effet, en partie, la science des régulations, et propose toute une série de modèles à ce sujet. Ils sont certes élaborés dans un contexte très éloigné des préoccupations des historiens de l’antiquité, mais certains d’entre eux paraissent cependant, s’ils sont maniés avec suffisamment de précautions, pouvoir éclairer les sources historiques de manière fructueuse. Une telle démarche ne conduit pas, nous semble-t-il, à tomber dans l’ « économicisme », ce travers qui porte certains économistes s’intéressant à l’histoire à chercher à tous les phénomènes historiques des raisons économiques16. Elle ne prétend que proposer l’une des portes d’entrée possibles, parmi de nombreuses autres, pour contribuer à l’étude d’un phénomène, les modes de régulation du risque lié au commerce à longue distance, sur lequel les économistes ont souvent été conduits à s’interroger. Il ne s’agit donc dans ce cadre limité que de tirer profit des réflexions des économistes, tout en restant conscient qu’une étude historique complète des comportements des marchands devra prendre en compte bien d’autres facteurs.
9L’économie, notamment à travers les théories de l’assurance, a développé tout un ensemble de réflexions sur le risque et les moyens d’y remédier17. Toute activité économique est risquée. Elle subit deux types d’aléas. En premier lieu, viennent ceux liés à ce que les économistes appellent l’information imparfaite : les agents économiques, au moment où ils prennent leurs décisions, n’ont en général pas une connaissance complète de la situation. Ainsi, lorsqu’un marchand achète un âne pour transporter sa marchandise, il ne sait pas quel est l’état de santé réel de la bête. Les agents sont notamment vulnérables aux risques de trahison ou de mensonge par leur interlocuteur. Le vendeur de l’âne peut prétendre que la bête est en excellente santé, quand bien même il saurait très bien qu’il n’en n’est rien. La seconde catégorie de risques rassemble les aléas liés à l’incertitude des situations : le futur n’est pas prévisible, l’âne peut mourir foudroyé le lendemain de son achat. Dans le monde moderne, les assurances permettent aux agents économiques, réputés « risquophobes »18, de se garantir contre certains de ces aléas. Sans elles, le métier d’entrepreneur ou de marchand apparaîtrait souvent comme beaucoup trop risqué pour être rentable. En leur absence, dans le monde ancien, d’autres modes de régulation doivent être mis en place.
10Les marchands mésopotamiens sont confrontés à des risques relevant de ces différentes catégories. Ceux liés au transport sont les plus souvent cités dans les textes qui évoquent par exemple des attaques de caravanes19. Mais ils ne sont pas les seuls. Des variations inattendues de prix peuvent avoir des conséquences catastrophiques lorsque, après un long et coûteux voyage, une caravane arrive, chargée de biens précieux, de la lointaine Arabie du Sud, pour découvrir que les cours dans les marchés destinataires sont dépréciés par rapport aux attentes. Les fluctuations des prix sont réelles 20 et les marchands s’en inquiètent. Plusieurs textes montrent certains d’entre eux s’enquérir du niveau des prix dans différentes villes21. Des ruptures de stock peuvent rendre l’approvisionnement difficile. Ainsi, le gouverneur de Nippur affirme-t-il avoir sillonné toute la Chaldée, lui ou un agent, sans avoir réussi à se procurer la laine pourpre qu’il y cherchait22. De la catégorie des risques liés à l’information asymétrique relèvent les rapports parfois conflictuels entre les marchands et leurs commis ou collègues. Lorsqu’un marchand confie une forte somme à un partenaire pour mener en son nom des transactions, il n’a aucun moyen de s’assurer que celui-ci l’a utilisée au mieux de ses intérêts. On parle à ce sujet d’information asymétrique puisque le marchand doit faire confiance à son partenaire qui est maître de l’information qu’il lui fournit. Des lettres datant du IIe millénaire évoquent le cas de marchands gardant pour eux une partie des sommes qui leur avaient été confiées, et prétendant avoir fait de mauvaises affaires.
11Les textes mettent en évidence des réponses variées à ces différents facteurs d’incertitude. Le premier type de risque, celui lié au transport, est réduit au minimum par des régulations diplomatiques. Des textes datant de toute l’histoire mésopotamienne en attestent : les marchands font l’objet de mesures de protection particulières de la part des États. Même en temps de guerre, ils sont, dans la mesure du possible, protégés par des traités et sont souvent les derniers à circuler entre des pays hostiles23. Les inscriptions retrouvées à Sfiré 24 et rédigées en langue araméenne consignent le texte d’un accord conclu entre le roi assyrien et un vassal. La protection des routes constitue l’un des premiers devoirs de ce dernier25. Un traité conclu entre le roi néo-assyrien Assarhaddon et le roi Ba’al de Tyr vers 676 précise les droits des marchands dont les navires auraient fait naufrage26. Dans une lettre écrite au roi Sargon II (721-705) par l’un de ses serviteurs27, šulmu-Beli, celui-ci s’inquiète de marchands tués et retenus prisonniers. Dans ce cas, les règles mises en place ne sont pas suffisantes pour assurer l’absolue sécurité des marchands, mais l’administration royale s’en préoccupe. Il semblerait que quelqu’un, dont malheureusement le nom est cassé, ait enfreint une règle dont la teneur exacte nous reste inconnue : šulmu-Beli se plaint que « ses » marchands soient détenus par cet individu, alors que, lui, ne détient pas les siens. L’affaire est d’importance, puisqu’il faut en avertir le roi28.
12Cette lettre en témoigne cependant : le système de protection par l’État n’est pas infaillible, des marchands peuvent être tués ou détenus. D’après une autre lettre29, l’un d’entre eux, Aramiš-šar-ilani, a été tué, sans doute par ses propres serviteurs, alors qu’il voyageait en pays étranger, malgré une escorte de cinquante soldats. Ailleurs30, un serviteur du roi, Itti-Šamaš-Balatu, l’informe que le roi phénicien d’Arwad, pourtant son vassal, brave ses ordres et cherche à s’approprier le monopole du commerce maritime traditionnellement aux mains des Phéniciens en empêchant les autres bateaux d’accoster dans son port et en tuant les contrevenants. Certains dirigeants brigands ne respectent pas la règle traditionnelle de protection des marchands. On voit ainsi le gouverneur de Suhu, Ninurta-kudurri-uṣur, attaquer lui-même une caravane en provenance d’Arabie31. Il s’en vante dans l’une de ses inscriptions royales en justifiant son attaque par l’absence d’accords préalables conclus pour la traversée de son territoire.
13Le système de protection par l’État est limité. Il concerne les personnes des marchands, éventuellement leurs biens en limitant les pillages de caravanes, mais ne les protège en aucun cas contre une seconde catégorie de risques liés à l’incertitude du futur, les risques financiers. Réfléchissant sur la manière dont les marchands du IIe millénaire s’en protégeaient, Karl Polanyi32 a proposé 33 que les prix étaient en réalité à cette époque des systèmes d’équivalence fixés par les autorités afin d’en limiter les variations imprévisibles. Toute possibilité de gain ou de perte serait alors écartée et l’activité des marchands, devenus d’une certaine manière fonctionnaires d’État, serait débarrassée de toute incertitude. Depuis l’étude de Karl Polanyi, cette théorie a été fréquemment contestée 34 et ne semble en tous cas pas pouvoir s’appliquer au premier millénaire. La stabilité des prix ne peut d’ailleurs suffire à protéger les marchands, les fluctuations des cours ne sont pas les seules sources de risques financiers pour les expéditions commerciales. Les cargaisons peuvent s’abîmer pendant le voyage, les bateaux faire naufrage. Dès le IIe millénaire, des lettres de marchands mentionnent de telles catastrophes : dans le cadre d’un commerce terrestre à longue distance, si une épidémie décime en chemin les ânes transportant la marchandise, tout leur chargement doit être abandonné sur place. Dans tous ces cas, les investissements sont perdus.
14À cette deuxième catégorie de risques, l’une des réponses des marchands mésopotamiens est d’ordre juridique. Ils utilisent un contrat particulier, dit contrat harranu35, qui n’est pas, à l’origine, spécifiquement dédié au financement des opérations commerciales. Destiné à rassembler des capitaux quel qu’en soit l’usage, il semble particulièrement prisé par les marchands qui en détournent certaines particularités et s’en servent comme protection contre les pertes financières. Le texte fourni en annexe 3 en présente un exemple. Ce prêt d’argent consenti par Bel-Na’id à Kurbani présente une particularité remarquable qui se retrouve dans beaucoup de contrats de même nature : le prêt ne porte pas intérêt. Dans d’autres cas, un taux d’intérêt est prélevé, mais il est anormalement bas. Dans les textes de ce type retrouvés à Aššur36, sur vingt prêts, seuls onze portent intérêt, et dans cinq cas le taux est plus bas que l’intérêt habituel de 25 %. Ces particularités conduisent à interpréter ces contrats comme mettant en place une sorte de société en commandite. Un bailleur de fonds, Bel-Na’id dans le texte présenté en annexe, confie à un ou plusieurs gérants, ici Kurbani, un capital à faire fructifier et à rendre à une date plus ou moins fixée. Les bénéfices sont ensuite partagés en deux parts égales, ou en autant de parts qu’il y a de bailleurs, suivant la clause : « tout ce qu’il y a en plus, c’est leur part égale ».
15Ce type de contrat, utilisé par de nombreux Mésopotamiens pour rassembler des capitaux37, est particulièrement prisé des marchands à qui il permet, selon l’adage populaire, de « ne pas mettre tous leurs œufs dans le même panier ». De tels contrats sont en effet utilisés pour rassembler le financement nécessaire à la mise en place par des marchands d’expéditions commerciales que leur richesse leur permettrait aisément de financer seuls. Certains d’entre eux participent simultanément à plusieurs contrats harranu. Dans certains cas, le même personnage apparaît à la fois comme créancier et comme débiteur. Le choix du contrat harranu n’est alors nullement dicté par un manque de capitaux, il s’inscrit dans un mécanisme que les économistes qualifieraient de « mutualisation des risques ». Partager ainsi les investissements entre plusieurs sociétés en commandite permet à chaque marchand de ne pas être trop affecté si l’expédition est déficitaire. Les chocs ponctuels sont « lissés » et répartis sur les différents participants. Seuls subsistent de manière significative les aléas affectant l’ensemble de la communauté pour lesquels par définition les mécanismes de mutualisation des risques sont inefficaces.
16La protection contre les risques liés aux défaillances des partenaires est plus difficile à mettre en œuvre. L’une des réponses possible passe par la mise en place de structures informelles de type association de marchands.
17L’idée de départ est la suivante : dans le monde moderne, et a fortiori dans les mondes anciens, les lois et la justice étatique ne sont pas toujours à même de protéger les marchands. Dans le cas de relations locales, elles peuvent suffire. Le fraudeur peut être retrouvé par le client lésé qui lui intentera un procès. Mais les activités commerciales s’accommodent mal d’une procédure judiciaire, lente et incertaine. Ce manque d’efficacité du recours à la justice est aussi patent dans les relations entre partenaires. Celles-ci doivent reposer sur la confiance plus que sur la menace constante de la loi. Si un marchand confie un chargement précieux à un collègue et que celui-ci disparaît sans rendre de comptes, combien de temps faudra-t-il au premier marchand pour obtenir réparation ? Le temps en tous cas de faire plusieurs fois faillite. Dans le cas d’un commerce à plus longue distance, le recours à la loi est plus difficile encore38. En l’absence d’un droit international, toute personne concluant une affaire avec un étranger sait que celui-ci pourra facilement échapper à la justice en changeant de ville ou de pays. Même lorsque des réglementations internationales sont mises en place39, leur application est d’autant plus délicate que l’horizon géographique couvert par le commerce est étendu. La justice n’apporte qu’une réponse imparfaite aux litiges commerciaux, et les marchands mésopotamiens en sont bien conscients. Ainsi, dans un texte juridique40, deux personnages, Laqupu et Ahi-pada, vraisemblablement des partenaires commerciaux, recherchent un règlement à l’amiable, conclu devant leurs collègues, au lieu de recourir à la justice traditionnelle.
18Avner Greif 41 s’est interrogé, à partir d’un raisonnement d’économiste appliqué à l’exemple du commerce médiéval, au problème des modes de régulation des litiges commerciaux. Il a proposé d’utiliser les outils conceptuels de la théorie des jeux. Cette branche de l’économie cherche à interpréter et à prédire les comportements d’agents économiques lorsqu’ils doivent prendre des décisions dont les conséquences peuvent se répercuter sur d’autres membres du groupe. Elle se demande notamment en fonction de quels critères chaque agent décide ou non de tromper ses partenaires lorsqu’une telle trahison paraît, à première vue, plus profitable. Cette présentation peut paraître caricaturale, et il est vrai que les hypothèses, qui sont celles de la théorie économique néo-classique traditionnelle, sont fort restrictives. Elles conduisent à une simplification extrême des modes de raisonnement des acteurs. Mais ces modèles n’ont pas comme objet d’apprécier le réel dans sa complexité. Ils n’ont d’autre but que de fournir des cadres généraux permettant de décrire certains comportements que d’autres types de discours permettront, ensuite, d’appréhender plus finement. Or, en première approximation, le cadre conceptuel de la théorie des jeux s’applique assez bien au problème qui nous intéresse. En termes de théoriciens des jeux, il se formulerait de la manière suivante : comment mettre en place un système incitant les marchands à collaborer entre eux lorsque les juridictions étatiques ne suffisent pas à les dissuader de tricher ?
19Avner Greif a montré que, dans les cas comme celui du commerce à longue distance, les marchands ont tout intérêt à mettre en place leurs propres règles de régulation et de contrôle, afin de se protéger contre la fraude sans avoir à recourir au système judiciaire42. Une partie de ces modes de régulations spécifiques repose sur des mécanismes de réputation. Les théoriciens des jeux le montrent en s’aidant d’un modèle simple dont les conclusions sont les suivantes : s’il y a bénéfice à tromper son partenaire et que la transaction est conçue comme unique, les acteurs choisiront ce qui est leur avantage immédiat, c’est-à-dire la tricherie. Mais, si les acteurs savent qu’ils s’inscrivent dans le cadre de jeux répétés, c’est-à-dire de relations destinées à s’inscrire dans la durée, il est plus efficace de choisir la collaboration. En effet, même s’il peut être plus rentable de tromper son partenaire dans le cadre de chaque relation considérée de manière isolée, cette tromperie hypothèque toute collaboration future. Le gain ponctuel apporté par la tricherie risque d’être largement compensé par la perte de tous les gains qu’auraient pu apporter l’ensemble des transactions futures.
20Les mécanismes de réputation mis en place par les associations de marchands ont comme objectif de transformer toute transaction ponctuelle en un maillon d’une chaîne de transactions répétées. Lorsque deux marchands concluent une affaire, il est possible qu’ils ne se rencontrent plus jamais de nouveau. Dans ce cas, qui est celui d’une relation unique, la tromperie apparaît, a priori, comme la meilleure solution. Mais la fonction des associations de marchands est de porter à la connaissance de l’ensemble de la profession les stratégies choisies par chacun de leurs membres. Si un marchand décide de tricher dans le cadre d’une relation unique avec un partenaire, cette attitude sera alors connue de tous ses collègues, et une tricherie au détriment d’un seul aura la même conséquence que s’il les avait tous trompés. D’après Avner Greif, les mécanismes de réputation ainsi mis en place par les associations de marchands auraient comme effet d’inciter à des comportements « honnêtes » puisque l’attitude adoptée lors de toute transaction sera prise en compte dans toutes les transactions ultérieures.
21L’ensemble du système repose sur l’efficacité de la circulation des informations puisque la connaissance d’un comportement honnête ou malhonnête d’un marchand ou d’un agent doit être répercutée de manière efficace auprès de tous les autres43. Or les associations de marchands, qu’elles soient institutionnelles ou informelles, favorisent la propagation de ce type d’information. Les lettres de Nippur en attestent : les marchands se connaissent entre eux et insistent sur l’honnêteté de leur attitude envers leurs partenaires. Si l’on en croit leurs lettres, ils passent une partie importante de leur temps à rendre des services ou à effectuer des transactions pour le compte de leurs collègues. Les plus petits manquements à la règle sont relevés et amèrement reprochés : « Que Nabû sache qu’avant que je reçoive ne serait-ce qu’une ou deux figues séchées de votre part, j’aurai eu à vous envoyer un messager44 ». Les agents ne manquent jamais une occasion de souligner leur bonne volonté, et d’affirmer l’importance des liens qui les lient à leurs partenaires : « Rappelle-toi ma bonne volonté45 ». Dans une autre lettre46, l’un d’entre eux, Dannea, déplore que son seigneur lui reproche d’avoir acheté de mauvais bœufs et mette ainsi sa loyauté en cause : « Tu dis : “ils ne sont pas même aussi bons que des bœufs d’esclaves”. (Pourtant), je t’ai personnellement juré par les dieux Nabû et mes-tak-ka que je n’en choisirai pas de mauvais. »
22La notion d’association de marchands est ici employée dans un sens très large. En effet, si les mécanismes de réputation fonctionnent parfois dans des cadres institutionnels spécifiques, semblables à ceux des guildes médiévales, en Mésopotamie les règles restent le plus souvent implicites47. Elles n’en sont pas moins bien connues et scrupuleusement respectées par les marchands. Ainsi, ils s’appellent mutuellement « frères », selon une tradition très répandue dans le monde sémitique qui insiste sur les liens personnels entre contractants48. Ils sont parfois réellement de la même famille. Ainsi, l’agent du temple de l’Eanna spécialisé dans l’approvisionnement en produits extérieurs, Bêl-Ibni, travaille-t-il avec son fils Hašdaia49. Il est possible que les collègues habitent dans des quartiers spécifiques qui renforcent l’aspect communautaire de la profession. Ainsi, à Aššur, les archives de plusieurs marchands ont-elles été retrouvées dans les restes de maisons mitoyennes50, comme si s’était constitué une sorte de quartier des marchands.
23Dans le cas étudié par Avner Greif, la cohésion du groupe est renforcée par l’appartenance de ses membres à une minorité ethnique. Il n’est pas impossible qu’un tel facteur joue, au moins en partie, en Mésopotamie. Il a ainsi souvent été affirmé que le commerce était, pendant la période qui nous occupe, principalement aux mains d’anciens nomades installés dans la région vers le début du premier millénaire, les Araméens51. Le nom phénicien du chef des marchands à la cour de l’un des rois néo-babyloniens52 semble confirmer cette implication de populations non originaires de Mésopotamie dans l’organisation des échanges à longue distance. En réalité, la situation est loin d’être tranchée, et si les Araméens jouent un rôle important dans le commerce mésopotamien, ils ne disposent pas d’un monopole, des marchands mésopotamiens sont attestés dans les sources. S’il y a constitution d’une identité marchande, celle-ci passe par de multiples mécanismes qui ne reposent pas sur la seule origine ethnique.
24Dans le système décrit par les théoriciens des jeux, l’information joue un rôle fondamental. Dans un monde où les coûts de transports et d’acquisition de l’information sont élevés, le réseau de services mutuels mis en place par les marchands revêt une valeur inestimable. Il sert à connaître les possibilités commerciales, mais constitue aussi l’un des éléments clé du système de réputation. Ainsi, il n’est pas étonnant que le terme mussû, « avoir des nouvelles », apparaisse vingt-cinq fois dans les lettres de Nippur. Dans la lettre cole n° 71, un correspondant du Šandabakku, Nabû-le’i, chargé dans d’autres lettres 53 d’opérations commerciales, se voit reproché d’être trop avare d’informations : « Dis à Nabû-le’i : “Ainsi parle Kudurru ton père : dis à mon fils pourquoi ne vois-je jamais ton messager et pourquoi ne m’écris-tu jamais ce que tu veux ?” Avec anxiété je t’ai écrit. Toutes ces tablettes que je t’ai écrites, les as-tu vues ? »
25Ces relations personnelles permettent de pratiquer ce que les économistes appellent des contrats incomplets54. Ces contrats souples, reposant sur la confiance placée en un partenaire, constituent une réponse efficace à la lenteur des communications. Dans un monde où les transports sont lents et difficiles, il est très coûteux d’établir un contrat qui spécifierait exactement la mission de l’agent envoyé au loin : tout prévoir est impossible, la situation qu’il découvrira au cours de son voyage est imprévisible. Les meilleures affaires ne seront conclues que s’il peut prendre des initiatives. Établir des contrats précis, à supposer qu’une autorité puisse s’assurer de leur respect, c’est retirer à l’agent la marge de manœuvre qui lui permettra de réaliser les meilleurs profits. Mais, pour pouvoir conclure de tels contrats incomplets, il faut être certain qu’il agira au mieux, et c’est cette assurance que sont censés apporter les mécanismes de réputation.
26Les marchands mésopotamiens mettent en place de tels contrats incomplets. Ainsi, dans Cole n° 4055, Marduk-ereš demande-t-il à Balassu de lui envoyer du centre régional d’Hindanu un chargement de produits du grand commerce pour une valeur d’une mine. Il ne précise pas quels produits doit lui envoyer son partenaire, mais lui fait confiance pour constituer au mieux le chargement en fonction des disponibilités et des cours du moment. De même, lorsque, dans un document appartenant aux archives de l’Eanna56, le temple confie quinze mines d’argent à deux agents, Iqiša et Labaši, pour qu’ils ramènent des biens de grand commerce d’une expédition qui les conduira au delà de l’Euphrate, le temple précise la liste des biens désirés, mais pas la quantité qu’ils doivent en ramener. Elle dépendra des prix pratiqués, de la disponibilité des produits, d’un ensemble de facteurs, impossibles à prévoir, mais dont l’Eanna considère que ses agents tireront le meilleur parti possible. Une telle pratique assure une plus grande simplicité et une bien meilleure efficacité par rapport à la méthode constituant à donner une liste fixe de produits à ramener, mais elle implique une grande confiance en son partenaire.
27Pour conclure sur une note plus pessimiste, il faut bien reconnaître que ces relations informelles connaissent des ratés. Une lettre montre les excuses outrées d’un agent du Šandabakku qui a eu le tort de vendre un chargement de fer alors que son maître voulait que lui soient envoyées toutes les réserves disponibles de ce matériau57. L’agent prétend ne pas avoir été au courant de la volonté de son maître et promet d’exaucer désormais son moindre désir. Ses excuses paraissent bien confuses et il n’est pas impossible que, parfaitement au courant de la volonté du Šandabakku, il ait feint de l’ignorer pour profiter d’une bonne affaire. Cette lettre souligne à quel point le contrôle et la divulgation rapide de l’information constituent des enjeux de premier plan pour le maintien de bons rapports entre partenaires.
28Enfin, les textes permettent d’apprécier les limites de ce type d’associations. Il ne semble pas qu’elles concernent l’ensemble des marchands actifs dans la région. Ainsi, dans une liste de personnages ayant vendu de l’or au temple de l’Eanna58, est cité un « Arabe » dont le nom est, semble-t-il, inconnu du scribe qui dresse la liste. Certains constituent leur cargaison au coup par coup, auprès de marchands qu’ils peuvent ne pas connaître. Un bon témoignage de cette pratique est le texte SAA IX 2659. Ce document se présente comme une liste de produits de luxe. Il est précisé à chaque fois leur quantité, leur prix en argent, le nom du vendeur lorsqu’il est connu, ainsi que le lieu où ils ont été achetés (dans la ville, aux portes de la ville, ou à l’extérieur de la ville). Cette liste a été interprétée comme le compte rendu d’un procès pendant lequel un marchand aurait dû, pour une raison ou une autre, justifier de la manière dont il avait constitué sa cargaison60. C’est malheureusement un document unique, mais très précieux pour comprendre la manière dont un négociant achète les biens qui l’intéressent, par petites quantités, auprès de fournisseurs d’origines diverses (un Araméen, un Kumméhen…). Parfois, il ne connaît pas le vendeur et est incapable d’en citer le nom61. Dans un tel cas, les modèles économiques de réputation sont impuissants à décrire les mécanismes qui assurent la protection des marchands.
Annexes
Annexe 1. Une lettre au roi
29[Au roi mon seigneur] ton serviteur, Šulmu-Beli.
30[Bonne san]té au [roi mon seigneur].
31[Un mess]ager [de… est arrivé dans no]tre pays. [Il envoie au roi ses saluta]tions. [Au su]jet des ma[rchands à pro]pos desquels le roi mon seigneur a [écrit] : deux marchands […] qui ont été tués quand […] un […] du roi mon seigneur… (deux lignes cassées)… qui dans… sur tous les pays… pour saluer le roi [mon seigneur]. Mes marchands il a détenu et… quant à moi, ses marchands, je n’ai pas [détenus]. Que dit le roi mon seigneur à ce sujet ?
32S. Parpola et G. B. Lanfranchi, The Correspondance of Sargon II. Part II : Letters from the Northwestern Provinces, State Archives of Assyria V, Helsinki, 1990, texte n° 143.
Annexe 2. Inscription de Ninurta-kudurri-usur, gouverneur de Suhu.
33Quant à moi, Ninurta-kudurri-usur, gouverneur de Suhu et de Mari, des gens de Tayma’ et Saba dont le pays est lointain, dont les messagers ne sont pas venus devant moi et qui n’ont jamais voyagé jusqu’à moi, leur caravane s’est approchée de la fontaine martu et de la fontaine halatum. Ils ont continué et ils sont entrés dans la ville d’Hindanu. Dans la ville de Kar-Apladad, j’ai entendu un rapport à leur sujet au milieu du jour, je suis parti pendant la nuit, j’ai traversé le fleuve le même jour, je suis arrivé à la ville de Azlajanu avant le milieu du jour prochain. J’ai demeuré trois jours dans la ville de Azlajanu. Le troisième jour, ils sont arrivés. J’ai pris vivants mille d’entre eux ainsi que deux mille de leurs chameaux avec leur charge : j’ai pris de la laine teinte en pourpre, de la laine, du fer ( ?), de l’albâtre ( ?), toutes sortes de biens de commerce. J’ai pillé un butin impressionnant et je l’ai ramené dans le pays de Suhu. Ce rapport a été rassemblé en l’année 7 de Ninurtakudurri-usur, gouverneur de Suhu et de Mari.
34A. Cavigneaux et B. K. Ismail, « Die Statthalter von Suhu und Mari im 8. Jh. v. Chr. anhand neuer Texte aus den Irakischen Graben im Staugebiet des Qadissiya-Damms », Baghdader Mitteilungen, 21, 1990, p. 321 – 459.
Annexe 3. Un contrat harranu : GC II 84
35Sept sicles d’argent, financement que Bel-na’id serviteur de Nabuchodonosor a donné à Kurbani fils de Ielta pour une opération commerciale. Le jour où Kurbanni reviendra de la grande porte de ŠU-I ( ?), il rendra cet argent, c’est-à-dire sept sicles. Tout ce qu’il y a en plus c’est leur part égale. Témoins, date.
36M. San Nicolò et H. Petschow, Babylonische Rechtsurkunden aus dem 6. Jahrhundert v. Chr., Bayerische Akademie der Wissenschaften, philosophisch-historische Klasse Abhandlungen, Neue Folge, Heft 51, Munich, 1960, p. 119.
Annexe 4. Un contrat implicite
37Dis à Balassu, ainsi parle Markuk-ereš ton frère. Porte-toi bien. Dis à mon frère : « Au sujet des biens de commerce à propos desquels mon frère a écrit, disant « Achète et envoie des biens de commerce des gens d’Hindanu pour une valeur d’une mine d’argent. » Tout ce qui est ici, tout cela est des biens de commerce. Quelle sorte de biens de commerce mon frère désire-t-il ? Qu’il le mette par écrit et qu’il envoie une lettre à ce sujet. […] biens de commerce […] écris-moi, que je les achète et que je les envoie ».
38S. W. Cole, Nippur in Late Assyrian Times 755 – 612 BC, State Archives of Assyria Studies IV, Helsinki, 1996, texte n° 40.
Annexe 5. Un agent de mauvaise foi ?
39Ton serviteur Mušallim-Adad. Je mourrai volontiers pour mon seigneur. Que Nabû et Marduk bénissent mon seigneur. Dis à mon seigneur : au sujet du fer à propos duquel mon seigneur a écrit, Nabû-ereš, descendant de Šangû-Ea, a rassemblé dans la ville de Kalhu l’ensemble des vingt talents de fer que j’ai apportés. Ils ont vendu les biens de commerce qui ont été amenés d’Hindanu. Maintenant, j’ai écrit à Nabâšu, un des nôtres, la chose suivante : ne vends à personne le fer que tu transportes. Moi-même, je vais tout collecter, et quelque bien de commerce que tu désires, et (même) si c’est de l’argent en sicles, je te le donnerai.
40Maintenant, si (j’avais su que) mon seigneur désire le fer, je ne l’aurais pas vendu et pesé à n’importe qui. Mais mon seigneur n’a pas écrit assez tôt et il n’a rien dit après que Habil-Kanu est venu auprès de moi. Et j’ai vendu le fer devant lui. Maintenant que mon seigneur écrive pour tout le fer qu’il désire, et que je l’envoie à mon seigneur.
41Ibid., texte n° 41.
Annexe 6. Un document juridique
42…84 peaux tannées pour 2 mines 53 sicles d’argent de Kummuh. Je ne connais pas les noms des marchands. 8 boites de ? pour 2 mines 10 sicles d’argent à l’intérieur de la ville d’Harran. Je ne connais pas les marchands. 1 talent 6 mines de blocs de pierre […] non travaillée à 1 mine 10 sicles d’argent à Balassu, habitant de Babylone à l’intérieur de la ville d’Harran. Il dit « Il passait ». 2 vêtements de lin pour une mine 23 sicles à un Araméen dans la ville d’Harran. Il dit « Je ne le connais pas ». J’ai acheté 5 vêtements de lin pour 1/2 mine d’argent à un Kumméhen dans la ville d’Harran. Il dit « Je ne connais pas son nom ». 4 5/6 mines de laine 1/3 de laine rouge pour 1 mine…
43F. M. Fales et J. N. Postgate (eds), Imperial administrative records, State Archives of Assyria XI, Helsinki, 1995, texte n° 26.
Notes de bas de page
1 F. Joannès (dir.), Le Dictionnaire de la civilisation mésopotamienne, Paris, « Bouquins », 2001, offre une première introduction à la civilisation mésopotamienne.
2 Pour une présentation des textes liés à la pratique de la justice, voir F. Joannès (dir.), Rendre la justice en Mésopotamie, Temps et espaces, Saint-Denis, 2000.
3 D. Charpin, « Marchands du palais et marchands du temple à la fin de la 1re dynastie de Babylone », JA, 270, 1982, p. 25-65, C. Michel, Correspondance des marchands de Kaniš au début du IIe millénaire av. J.-C., Littératures anciennes du Proche-Orient 19, Paris, 2001.
4 Pour une présentation des échanges à partir des documents néo-babyloniens, voir A.L.Oppenheim, « Essay on Overland Trade in the First Millennium BC », Journal of Cuneiform Studies, 21, 1969, p. 236 – 254. Voir aussi F. Joannès, « Structures et opérations commerciales en Babylonie », J. G. Dercksen (ed.), Trade and Finance in Ancient Mesopotamia. Proceedings of the first MOS Symposium, Leiden 1997, Leyde, MOS Studies 1, 1999, p. 175-194.
5 Nous laisserons de côté les échanges à courte distance pour lesquels les sources mésopotamiennes sont beaucoup trop nombreuses pour pouvoir être prises en compte dans un court article. Les questions soulevées par la pratique des échanges locaux sont d’ailleurs très différentes de celles qui nous intéressent ici, les risques encourus étant d’une tout autre nature. Voir, pour l’exemple d’un homme d’affaires, Iddin-Marduk, spécialisé dans le commerce d’oignons à Babylone, C. Wunsch, Die Urkunden des babylonischen Geschäftsmannes Iddin-Marduk, Zum Handel mit Naturalien im 6. Jahrhundert v. Chr., Cuneiform Monograph III, Groningen, 1993.
6 Ces tablettes sont en cours de publication. Une partie d’entre elles ont été publiées dans la revue State Archive of Assyria Bulletin abrégée ci-dessous en SAAB : F. M. Fales et L. Jakob-Rost, Neo-assyrian Texts from Aššur. Private Archives in the vorderasiatisches Museum of Berlin, SAAB V 1-2, Padoue, 1991 ; K. Deller et al., Neo-assyrian Texts from Aššur. Private Archives in the Vorderasiatisches Museum of Berlin, SAAB IX 1-2, Helsinki, 1995. Pour les campagnes récentes, certains textes ont été publiés dans K. Hecker, « Zu den Keilschrittexten der Grabung Frühjahr 1990 in Assur », Mitteilungen der deutschen Orient-Gesellschaft, 123, 1991, p. 111-114, ou S. M. Maul, « Schriftfunde aus Assur 2000 », Mitteilungen der deutschen Orient-Gesellschaft, 132, 2000, p. 65-100.
7 SAAB V 46, 48, étudiées dans J. N. Postgate, « Some Latter-Day Merchants of Aššur », dans M. Dietrich et O. Loretz (eds), Vom alten Orient zum Alten Testament. Festschrift für W. von Soden, Alter Orient und Altes Testament 240, Neukirchen-Vluyn, 1995, p. 403-407.
8 Ces documents sont appelés contrats harranu. Voir, pour l’époque néo-babylonienne, H. Lanz, Die Neubabylonischen harrânu-Geschäftsunternehmen, Abhandlungen zur rechtswissenschaftlichen Grundlagenforschung 18, Berlin, 1976. Pour l’époque néo-assyrienne, voir K. Deller, « Drei Wiederentdeckte neuassyrische Rechtsurkunden aus Aššur », Baghdader Mitteilungen, 15, 1984, p. 225-251 et K. Radner, « Traders in the Neo-Assyrian Period », Trade and Finance in Ancient Mesopotamia, op. cit. n. 4, p. 101-127.
9 Une partie des lettres néo-assyriennes retrouvées à Ninive ont été publiées récemment dans la série State Archives of Assyria abrégée en SAA, celles retrouvées à Nimrud ont été publiées par H.W. F. Saggs, The Nimrud Letters 1952, Cuneiform Texts from Nimrud V, Trowbridge, 2001.
10 A. C. V. M. Bongenaar, The Neo-Babylonian Ebabbar Temple at Sippar : its Administration and its Prosopography, Uitgaven van het Nederlands historisch-archaeologisch Instituut te Istanbul 80, 1997.
11 Les tablettes de l’Eanna, retrouvées dans des fouilles clandestines, ont été dispersées dans différentes collections de part et d’autre de l’Atlantique. Beaucoup d’entre elles se trouvent à Yale, et leur copie a été publiée dans différents volumes de la série YOS (Yale Oriental Series). Certains des textes cités dans cet article appartiennent à la collection du Goucher College, ils ont été publiés sous forme de copie cunéiforme dans la série GC : R. P. Dougherty, Archives from Erech Time of Nebuchadrezzar and Nabonidus, Goucher College Cuneiform Inscriptions (GC) 1, New Haven, 1923.
12 En réalité, ces textes font intervenir des personnages aux statuts divers. Certains sont des agents du temple chargés de s’approvisionner, sur des marchés locaux, en biens issus du grand commerce. D’autres semblent plus indépendants du temple qui fait appel à leurs services pour se procurer les produits nécessaires à son fonctionnement. Enfin, une troisième catégorie de personnages semblent s’approvisionner directement dans les régions de production, dans le cadre de véritables expéditions commerciales.
13 S. W. Cole, Nippur in Late Assyrian Times 755-612 BC, State Archives of Assyria Studies IV, Helsinki, 1996. Les textes sont publiés dans S. W. Cole, The Early Neo-Babylonian Governor’s Archive from Nippur, Oriental Institute Publications 114, Chicago, 1996, dont nous reprenons la numérotation.
14 Le caractère exact de ces activités, privées ou publiques, reste à préciser.
15 Les agents du Šandabakku sont principalement impliqués dans les échanges de produits locaux ou régionaux concernant de l’orge, de la laine ou des dattes. Mais leur activité les conduit parfois jusqu’à des centres d’importations comme la ville d’Hindanu par où semble transiter une partie du commerce à longue distance de l’époque. Voir M. Liverani, « Early Caravan Trade between South-Arabia and Mesopotamia », M. Liverani (ed.), Studi archaeologici, storici e filologici sull’Arabia meridionale, Yemen 1, Rome, 1992, p. 110-115. Les biens qu’ils s’y procurent sont alors qualifiés de mereštu, terme souvent employé pour qualifier les produits importés. G. van Driel, « Neo-Babylonian Texts from the Louvre », BO, 43, 1986, p. 5-20, n. 40.
16 Voir, pour une réflexion sur l’utilisation des modèles économiques en assyriologie, L. Graslin, « La nature des échanges entre villes et campagnes dans l’Antiquité : une approche économique », BAGB, 2002, p. 324-351.
17 Pour une introduction aux théories économiques sur le risque et l’assurance, voir P. A. Chiappori, Risque et assurance, Paris, « Dominos », 1997.
18 C’est-à-dire qu’ils n’aiment pas le risque et sont prêts à payer une somme d’argent pour s’en protéger. Cette somme d’argent est la prime d’assurance.
19 Comme dans le texte présenté en annexe 2.
20 C’est un sujet bien connu. Voir, par exemple, F. M. Fales, « Prices in Neo-Assyrian Sources », SAAB, X 1, 1996, p. 11-35.
21 Par ex., dans une lettre de Nippur, Cole nº 53, l’un des agents du Šandabakku informe son interlocuteur du niveau des prix : « au sujet du prix de la ville ( ?) pour le sésame à propos duquel mon seigneur a écrit, ils vendent le sésame blanc pour un panu et deux sutu (par mine d’argent) à la porte de la ville ».
22 Cole nº 1 : « Quand j’ai sillonné toute la Chaldée, il n’y avait pas de bonne laine pourpre hyacinthe ni de belle laine pourpre rouge ».
23 À tel point qu’ils sont parfois soupçonnés d’espionnage.
24 Voir A. Lemaire et J.-M. Durand, Les Inscriptions araméennes de Sfiré et l’Assyrie de Shamsi-Ilu, Hautes études orientales 20, Paris, 1984.
25 Cette importance du commerce dans la diplomatie se retrouve, pour Israël voisin, dans la Bible. Ainsi, lors du traité de paix entre Achab roi d’Israël et Benhadad roi de Syrie sont échangés des « rues » ou « quartiers » commerçants situés dans les capitales des deux rois. Ce principe était semble-t-il déjà en vigueur pendant la génération précédente : « je restituerai les villes que mon père a prises à ton père et tu te constitueras un quartier à Damas, comme mon père en avait constitué à Samarie » déclare le roi de Syrie au roi d’Israël dans 1 R 20, 34.
26 SAA II 5. Cette protection est imparfaite puisque, si les personnes sont protégées, les marchandises qui se trouvaient dans le bateau naufragé deviennent propriétés du roi d’Assyrie.
27 SAA V 143. Annexe 1.
28 « Il a retenu mes marchands. Moi, je n’ai pas [détenu] ses marchands. Que dit mon seigneur à ce sujet ? »
29 M. Luukko et G. van Buylaere, The Political correspondence of Esarhaddon, SAA XVI, Helsinki, 2002, texte n° 105.
30 Ibid., texte n° 127.
31 A. Cavigneaux et B. K. Ismail, « Die Statthalter von Suhu und Mari im 8. Jh. v. Chr. anhand neuer Texte aus den Irakischen Graben im Staugebiet des Qadissiya-Damms », Baghdader Mitteilungen, 21, 1990, p. 321-459. Annexe 2.
32 K. Polanyi, « Marketless Trading in Hammurabi’s Time », K. Polanyi, C. M. Arensberg et H. W. Pearson (dir.), Trade and Market in the Early Empires. Economies in History and Theory, Glencoe, 1957, p. 12-26.
33 Dans une étude sur le commerce qui conduit, au xixe siècle av. J.-C., les marchands d’Aššur jusqu’en Cappadoce.
34 Pour une appréciation du modèle de Karl Polanyi à partir de l’exemple du commerce de Cappadoce, voir M. T. Larsen, The Old Assyrian City-State and its Colonies, Mesopotamia. Copenhagen Studies in Assyriology 4, Copenhague, 1976. Une présentation du modèle polanyien du commerce à longue distance et de son influence sur l’interprétation des échanges dans le monde sémitique ancien se trouve dans L. Graslin et J. Maucourant, « Le port de commerce : un concept en débat », Topoi (Lyon), 12-13, 2002-2003 [2005], p. 215-257.
35 D’autres mécanismes sont mis en place pour d’autres périodes. Ils sont connus par exemple pour le cas des marchands d’Ur qui pratiquent le dangereux commerce maritime. Voir A. L. Oppenheim, « The Seafaring Merchants of Ur », Journal of African and Oriental Studies, 74, 1954, p. 6-17.
36 Ils ont été rassemblés par K. Radner, art. cit. n. 8, p. 101-127.
37 Voir F. Joannès, « Compte rendu de H. Lanz, Die neubabylonischen harrânu-Geschäftsunternehmen, BO, 40, 1983, 1-2, p. 108-112.
38 Il est impraticable lorsque le marchand malhonnête se réfugie dans un pays n’ayant pas de véritables relations diplomatiques avec le pays dans lequel il a commis son méfait.
39 Ce qui est le cas, dès le IIe millénaire, au Proche-Orient. Ainsi, un dossier de lettres retrouvées dans la ville levantine d’Ougarit et datant du IIe millénaire illustre les embarras diplomatiques associés à l’activité des marchands, ainsi que les différentes réglementations mises en œuvre pour encadrer leur activité. Voir S. Lackenbacher, Textes akkadiens d’Ugarit, Littératures Anciennes du Proche-Orient 20, Paris, 2002, p. 153 sq
40 Texte nº 127 dans Rendre la justice en Mésopotamie, op. cit. n. 2.
41 A. Greif, « Contract Enforceability and Economic Institutions in Early Trade : the Maghribi Traders Coalition », The American Economic Review, 83, 1993, p. 525-548 ou A. Greif, « Théorie des jeux et analyse historique des institutions », Annales HSS, 53, 1998, 3, p. 597-633.
42 Nous avons présenté ailleurs un modèle s’inspirant de la théorie des jeux pour proposer un éclairage sur la mise en place du commerce phénicien en Afrique. Voir R. Ben Guiza et L. Graslin, « Les structures institutionnelles du commerce dans l’Antiquité : le cas de Carthage », AntAfr, 38-39, 2002-2003, p.345-354.
43 P. R. Milgrom, D. C. North, B. R. Wiengast, « The Role of Institutions in the Revival of Trade : The Law Merchant, Private Judges, and the Champagne Fairs », Economics and Politics, 2, 1990, 1, p. 1-23.
44 Cole nº 69.
45 Cole nº 2.
46 Cole nº 60.
47 L’existence d’associations formelles de marchands, attestée pour l’époque achéménide, est douteuse pour la période néo-babylonienne qui précède. Voir D. B. Weisberg, Guild Structure and Political Allegiance in Early Achaemenid Mesopotamia, Yale Near Eastern Researches 1, 1967.
48 Dès l’époque paléo-babylonienne, les marchands utilisent un vocabulaire familial pour décrire leurs relations d’affaires. Un associé est ainsi un frère, un patron un père, un enfant un employé, une maison une firme.
49 Les exemples de telles collaborations familiales parmi les personnages livrant des produits issus du grand commerce aux temples de l’Eanna et de l’Ebabbar pourraient être multipliés.
50 K. Deller, « Drei Wiederentdeckte neuassyrische Rechtsurkunden aus Aššur », Baghdader Mitteilungen, 15, 1984, p. 225-251.
51 Cet argument a été avancé par A. L. Oppenheim, « A Bird’s Eye View of Mesopotamian Economic History », Trade and Market in the Early Empires, op. cit. n. 32, p. 27-37 et souvent repris par la suite, par exemple dans P. Garelli et A. Lemaire, Le Proche-Orient asiatique. Les empires mésopotamiens, Israël, Paris, « Nouvelle Clio », 19973.
52 Le chef des marchands, rab tamkar, à la cour de Nabuchodonosor II (604-562) est nommé Hananu, transcription akkadienne du nom typiquement phénicien Hanno.
53 Par ex. Cole nº 37.
54 Cette théorie des contrats incomplets a été développée à partir de l’exemple des contrats de travail qui ne peuvent spécifier l’ensemble des obligations de l’employé.
55 Annexe 4.
56 Le texte 63 de A. Tremayne, Records from Erech : Time of Cyrus and Cambyses (558-521 BC), New Haven, 1925.
57 Annexe 5.
58 F. Joannès, Textes économiques de la Babylonie récente, Études assyriologiques, cahier nº 5, Paris, 1982, texte nº 59.
59 Annexe 6.
60 Cette interprétation, proposée par les éditeurs de SAA XI, F. M. Fales et J. N. Postgate, explique le passage, à plusieurs reprises, au discours direct : le scribe y consignerait la déposition du marchand. J. N. Postgate, art. cit. n. 7, p. 403-407.
61 « Je ne connais pas son nom » : šu-ma-šu ša LÚ-GÀR-MEŠ la ú-da.
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