Réflexions sur les grands abus des Officiers des Seigneurs au xviiie siècle : l’exemple de Montreuil-Bellay et Longué en Anjou
p. 191-221
Texte intégral
« Le défaut de résidence des juges est encore un des plus grands abus des Justices subalternes ; & j’ai cru y reconnoître le principe de plusieurs autres. Si les Officiers des Seigneurs habitoient dans le chef-lieu de leur Jurisdiction, il leur seroit facile, étant ainsi rapprochés de leurs justiciables, de prévenir les procès entr’eux, & la prompte connoissance qu’ils auroient de la sources & des causes de leurs divisions, rendroient plus fréquentes les conciliations dont ils devroient essentiellement s’occuper. La police confiée à leurs soins, seroit plus exacte ; moins de détails en seroient négligés, la justice enfin, lors même qu’ils seroient obligés de la rendre, seroit plus expéditive […] mais comment exiger qu’un Juge fasse le sacrifice des diverses professions lucratives qu’il exerce dans les villes & villages circonvoisins, pour se réduire uniquement à l’emploi de Juge d’une Justice seigneuriale ; emploi dont les émolumens fourniroient à sa subsistance personnelle pendant une semaine : comment, d’un autre côté, exiger qu’un Seigneur attribue à la place de Juge de ses habitans, des appointemens assez considérables pour le faire vivre lui & sa famille, dans une aisance supérieure à la condition de ses Justiciables & le mettre à l’abri des dangers de la corruption. Cette multiplicité d’emplois et de professions qu’un Praticien de campagne est dans la nécessité de cumuler […] produit la rareté des audiences […] Si le Juge a un Lieutenant qui le remplace en cas d’absence, l’inconvénient n’est pas le même ; mais on n’a pas toujours apporté au choix de cet Officier secondaire, le même scrupule qu’à celui du premier, & les Justiciables sont quelquefois dans le cas d’accuser l’un d’inassiduité, & l’autre d’ignorance… »
Cahier d’un magistrat du Châtelet de Paris sur les justices seigneuriales et l’administration de la justice dans les campagnes… par André-Jean-Baptiste Boucher d’Argis, cité dans « 1789. Ultimes condamnations ou plans de sauvetage ? », Les Justices de village…, p. 390-392.
1La justice seigneuriale a mauvaise réputation, liée à celle de la seigneurie en général et aussi à celle de ses officiers dont la dignité est considérée inférieure à celle des officiers royaux. Les critiques contre les officiers seigneuriaux ont été nombreuses, à commencer par celles de Charles Loyzeau, dans le Discours de l’abus des Justices de village… Formulées au début du xviie siècle, elles peuvent paraître éloignées d’une étude sur le xviiie. Cependant le texte mis en exergue atteste que les accusations de Loyseau sont toujours présentes vers 1787-1789 sous la plume de certains publicistes et jurisconsultes1. Ainsi, Boucher d’Argis condamne les « vices inhérens à la constitution actuelle des Justices de village, & des moyens propres à y remédier » et analyse notamment les implications de la non-résidence. L’étude de deux juridictions seigneuriales va permettre de savoir si le jugement des successeurs de Loyseau est justifié.
2La baronnie de Montreuil-Bellay2 est très ancienne et fut puissante au Moyen Âge. Au xviiie siècle, sa justice s’étend sur 32 paroisses et la ville elle-même compte 1828 habitants en 1790. Elle est le siège d’une maîtrise particulière des Eaux et Forêts, d’une élection et d’une subdélégation de l’intendant de Tours. La baronnie tient des assises quatre fois par an et des plaids tous les huit jours. Les audiences sont tenues dans un lieu acheté à cet effet à la demande de la duchesse de La Meilleraye en 1679 et qui servit jusqu’au milieu du xixe siècle3. Il s’agit d’une maison de ville consistant en « deux chambres basses, trois pièces servant de cachots et de prison, trois chambres hautes, cabinet, cour, cave et jardin4 ». L’existence d’un palais de justice n’empêche pas l’itinérance des juges5.
3Cette pratique est d’autant plus marquée à Longué qu’il n’existe pas de lieu spécialisé pour tenir les audiences. Elles ont lieu parfois dans une pièce au-dessus des halles, où se déroulent aussi les assemblées d’habitants6. La châtellenie de Longué est encadrée par trois juridictions royales (Saumur, Baugé et Beaufort). Son ressort est aussi moins étendu que celui de Montreuil-Bellay. Il s’étend sans doute sur une dizaine de paroisses. En 1790, la population de la ville de Longué est de 3 089 habitants.
4Les deux justices ont la même fréquence pour les audiences mais le nombre des justiciables est sensiblement différent, ce que laissent voir les registres d’audiences : à Montreuil-Bellay, pour une année et demie, l’on trouve un registre in-folio de 100 feuilles ; à Longué, pour un ou parfois deux ans, le registre in-4° est généralement composé de 24 feuillets. Le volume d’activité doit influer sur le comportement des officiers seigneuriaux et sur leur engagement dans la juridiction seigneuriale.
Le parcours des officiers jusqu’à leur réception
5La date de naissance et de là le lieu n’est pratiquement jamais mentionnée dans les lettres de provision et les dossiers de réception des justices royales, c’est-à-dire pour les sénéchaux et les lieutenants (parfois pour les procureurs fiscaux) qui sont obligatoirement reçus dans la sénéchaussée de Saumur (aussi à Baugé pour les juges de Longué)7. Quant aux petits officiers, la réception ne se fait pas au siège royal dont dépend la justice seigneuriale. À Montreuil-Bellay, nous ne trouvons pas de lettres de provisions de sergents ou de notaires alors qu’à Longué les lettres sont enregistrées sur le registre du greffe, par une mention ou une transcription intégrale.
Provenance géographique des officiers seigneuriaux
6Quatre sénéchaux et trois lieutenants différents sont reçus au cours du xviiie siècle à Montreuil-Bellay. Le lieu de naissance est présent dans quatre cas. Pour trois d’entre eux, il s’agit de Montreuil-Bellay. Dans l’autre cas, il s’agit de Brissac8. En ce qui concerne les trois autres réceptions, d’autres informations contenues dans les lettres de provision nous renseignent sur la provenance supposée de deux juges. François Amirault est déjà lieutenant en l’élection de Montreuil-Bellay et son père, Pierre Amirault, est le procureur fiscal de la baronnie, ce qui laisse penser que la famille est implantée à Montreuil-Bellay9. Quant à François Charles Dovalle, un élément montre qu’il n’est sans doute pas né dans la baronnie : il a fait ses études de droit à Poitiers et non à Angers10. Pour Longué, huit sénéchaux, deux lieutenants et deux procureurs fiscaux sont reçus au xviiie siècle. Laurent Locheteau est né à Longué même, Charles Gallais dans les environs, à Vernoil11, et Charles Jean Delaage à Angers12. Pour les autres officiers, comme pour Montreuil-Bellay, leur origine angevine doit être supposée selon le lieu où ils exercent leur profession ou leur demeure. Par exemple, François Charles Bourcier est avocat à Beaufort13 et Étienne Lesaive du Plessis demeure paroisse Saint-Germain-de-Bourgueil14.
7Nous ne pouvons connaître la provenance géographique des petits officiers de Montreuil-Bellay. À Longué, les lettres de provision des sergents et des notaires de la châtellenie ne sont recopiées dans les plumitifs d’audience pour la première fois qu’en 1769. Douze sergents, notaires ou greffiers sont reçus entre 1760 et 1783. Pour six d’entre eux, nous n’avons pas de lettres de provision. Dans les autres cas, trois officiers demeurent à Longué ; pour les autres, nous n’avons pas d’indication.
8Les magistrats de Montreuil-Bellay sont donc, en majorité, originaires du lieu, contrairement à Longué, où un seul sénéchal y est né. Deuxième différence, constatée pour la châtellenie de Longué : si les juges viennent de l’extérieur, les petits officiers ont une origine locale.
Provenance sociale
9Les différences sociales sont moins liées à la justice seigneuriale qu’à l’office. Deux milieux sociaux se distinguent. Celui des sénéchaux, lieutenants et procureurs fiscaux est relativement élevé : ils font partie d’une moyenne « bourgeoisie » et, quand ils sont originaires du lieu, de l’élite locale. Sur les treize sénéchaux, la qualité du père est connue dans cinq cas : trois notaires royaux, un marchand et un bourgeois. Quant aux autres, nous savons qu’ils sont tous avocats. Les pères des lieutenants ont aussi un office, soit royal, soit seigneurial. Pour les procureurs fiscaux, nous n’avons pas d’information. Il y a peu de chance pour que leur origine sociale soit différente de celle des juges15. Il faut aussi remarquer l’absence de tout noble comme officier16.
10Le milieu des sergents est différent. Ils proviennent plutôt du monde de l’artisanat et aucun sergent n’a d’origine paysanne. Sur onze sergents reçus à Longué entre 1764 et 1789, deux sont cabaretiers, le père d’un autre est maréchal-ferrand, un est cordonnier et un tailleur d’habits. Les autres sergents, dont l’origine nous est inconnue, ne doivent pas être d’un milieu différent. En effet, l’office de sergent ne demande pas des connaissances très spécifiques, en dehors de la lecture et de l’écriture et, n’étant pas soumis à la vénalité, il n’exige pas de l’impétrant des moyens financiers importants17. Quant aux greffiers nous ne pouvons leur accorder un seul milieu social. À Montreuil-Bellay, il paraît être au niveau de celui des sénéchaux. À Longué, c’est plus contrasté. Gabriel Deschamps est notaire royal. Pour Étienne Gasnier, nous savons qu’avant d’être greffier il a été sergent de cour et a acheté une charge d’huissier royal. Quant à Louis Guy, d’après son dossier de réception en tant que huissier royal18, son père est maître sellier. Des origines relativement modestes, donc, mais légèrement plus élevées que celles des sergents. Le recrutement des officiers seigneuriaux est donc urbain et se fait dans la bourgeoisie et dans l’artisanat. Ajouté au fait que le recrutement est plutôt local à Montreuil-Bellay et plutôt extérieur à Longué, cela laisse penser que les élites locales participent à la justice seigneuriale à Montreuil-Bellay. Au contraire, à Longué, soit il n’y a pas d’élites locales suffisantes, soit les offices seigneuriaux sont moins attractifs dans un lieu entouré par trois justices royales.
La formation préalable
11Venant d’un milieu social relativement favorisé, les officiers seigneuriaux, tout au moins les plus importants, peuvent bénéficier d’une éducation plus poussée que celles des écoles paroissiales. À Montreuil-Bellay, il existe même un collège19.
12Pour être reçu sénéchal et lieutenant, des titres universitaires en droit sont nécessaires20. Sur les treize sénéchaux, dix sont licencié ès lois et les trois autres sont avocats en parlement, ce qui laisse penser qu’ils sont aussi licenciés ès lois. Les lieutenants, eux aussi, sont dans leur majorité licenciés (pour trois sur cinq). Quant aux deux autres, si rien n’est noté à ce sujet, rappelons qu’il y a une certaine exigence de la part des justices royales. L’enquête de vie et de mœurs tient compte aussi de la capacité des futurs officiers et des témoins sont appelés à confirmer cette capacité. Il arrive également que certains procureurs fiscaux soient détenteurs d’une licence ès lois. Nous pouvons penser qu’il s’agit là d’une volonté de faire carrière dans les offices de justice, mais qu’à défaut d’argent pour acheter une charge royale importante ou tout simplement d’emploi disponible, ils sont devenus procureurs fiscaux. Les autres ont probablement suivi des études poussées.
13Les officiers seigneuriaux ne parviennent pas tous à ce niveau d’étude, loin s’en faut. La scolarité au collège coûte cher et d’après ce que nous savons du milieu social des sergents de cour, il est improbable qu’ils aient été plus loin dans leurs études que les petites écoles. Nous pouvons imaginer qu’après avoir appris quelques notions de calcul et à lire et écrire, ils ont quitté l’école et appris un métier. Pour les greffiers, les études poursuivies dépendent du milieu social dont ils proviennent. Pour ceux qui sont ou ont été notaires royaux, nous pouvons estimer qu’ils ne se sont pas arrêtés aux bases de l’enseignement et qu’ils ont eu quelques cours de droit. Il en va même pour les notaires seigneuriaux.
L’« expérience au fait de pratique »
14Il faut aussi que les magistrats aient une connaissance pratique du droit, de la coutume d’Anjou et des usages locaux. Les juges, titulaires d’une licence ès lois, doivent connaître le droit civil21. Reste la connaissance pratique du droit. Or tous les officiers reçus sont dits avoir une « expérience en fait de pratique », « expérience en fait de droit et pratique », et à Montreuil-Bellay une « expérience au fait de judicature ». Le mot « pratique » est assez vague, d’autant plus qu’il concerne les sergents comme les juges. Mais il s’oppose exactement à la connaissance du droit : « La pratique est la science de bien instruire un procès, & de faire les procédures convenables, soit en demandant, soit en défendant22. »
15Pour les sénéchaux et les lieutenants, cet « apprentissage » peut se faire de différentes façons. Nous savons qu’ils sont titulaires d’une licence ès lois entre 22 et 31 ans. Mais si certains sont sénéchaux dans les années qui suivent, ce n’est pas le cas pour tous. Sept sénéchaux ont commencé leurs carrières en étant avocat : ils se sont faits enregistrer au parlement de Paris, recevoir dans les sièges royaux de Baugé, Beaufort ou Saumur, ou encore dans la juridiction seigneuriale. D’autres passent par les offices royaux. Certains cumulent les deux, comme Louis Ledoyen à la fois avocat en parlement et aux sièges royaux de Saumur, conseiller du roi et grenetier au grenier à sel de Saumur au moment où il accède à son office de sénéchal. Cet « apprentissage » du métier de juge peut se faire par l’exercice de plusieurs offices seigneuriaux inférieurs avant d’accéder à la charge suprême. Ainsi, l’exercice pratique du droit avant d’être sénéchal ou lieutenant est chose commune à Longué comme à Montreuil-Bellay. L’entrée en fonction des officiers se fait ensuite plus ou moins longtemps après l’obtention du diplôme, de 3 ans à… 45 ans, à un âge qui traduit cette grande amplitude, de 25 à 67 ans. Les procureurs et avocats fiscaux et les notaires font le même genre d’apprentissage. Mais les procureurs fiscaux accèdent, en général, à un âge plus élevé que celui des juges à leurs fonctions (de 38 à 57 ans). Il semble que ce soit un poste de fin de carrière, au moins à Longué, seul lieu où nous avons des informations précises. En ce qui concerne les notaires, nous ne connaissons l’âge d’entrée en fonction que pour Claude Alexandre Gallais : 22 ans, ce qui est très jeune. Mais étant donné que son père, Charles Gallais, était notaire royal, nous pouvons penser qu’il a reçu les enseignements de son père et qu’il a dû l’aider avant de reprendre son étude.
16Pour les greffiers, la situation dépend, comme pour leur milieu social, de l’endroit d’où ils viennent. À Montreuil-Bellay, leur parcours est similaire à celui des juges et ils sont ou ont été, dans leur majorité, notaires royaux. La plupart sont aussi procureurs dans leur juridiction. À Longué, un seul est dans ce cas. Ses successeurs sont huissiers royaux et ont été reçus comme sergents de cour. Pour les sergents, étant donné leur origine locale, les usages locaux sont assurément connus d’eux, mais il est assez difficile de savoir en quoi peut consister leur « apprentissage ». Trois d’entre eux sont dits « praticien », mot qui comme celui de « pratique » est assez vague. Un praticien serait « un homme expert ès procédures & instructions des procès, qui fréquentent les Cours et Sièges des Juges, qui entend le stile & l’ordre judiciaire, qui sçait les usages, les formes prescrites par les Ordonnances & les Réglemens, & qui est capable de dresser toutes sortes d’actes, sommations, libelles & écritures23… » Il est peu probable qu’ils aient appris tout cela par eux-mêmes ou dans un lieu spécialisé. Mais les sergents postulants connaissent et côtoient certainement des sergents déjà en place et sont mis au fait des actes exécutés par les sergents et de leur méthode de travail. D’ailleurs, l’entrée en fonction se fait assez tardivement, entre 44 et 58 ans pour trois sergents sur les quatre dont nous avons la date de naissance. Le dernier, Laurent Aury, entre à 29 ans, mais son père est, lui aussi, sergent.
17Instruits, formés, les officiers seigneuriaux sont donc loin d’être les incultes et les incapables dénoncés. Les magistrats ont presque tous une licence ès lois et tous les officiers connaissent de plus ou moins loin leurs futures fonctions et ont une expérience pratique du droit : cette partie de leurs lettres de provision n’est assurément pas une simple expression stéréotypée.
Formes de réception des officiers selon leur fonction
18Une fois instruits, les officiers postulants doivent obtenir de leur seigneur des lettres de provision, puis se faire recevoir dans les sénéchaussées royales de Saumur et de Baugé et enfin dans la juridiction seigneuriale concernée, selon un rituel bien organisé. La forme générale des lettres de provision accordées par le seigneur est, dans son aspect général, la même pour tous les offices seigneuriaux et ressemble beaucoup à celle des lettres des offices royaux. Il s’agit d’un modèle très stéréotypé : seuls les noms et les offices changent. Cependant, pendant un moment à Longué, le formulaire change : nous avons affaire à une minute notariale. L’office n’est plus « donné et octroyé », mais l’officier est « nommé » à sa charge24. Cette différence est liée à la minorité du seigneur du lieu.
Sénéchaux, lieutenants et procureurs fiscaux
19Ces trois types d’offices sont les seuls qui donnent lieu à une réception dans les sièges royaux. Ce n’est pas toujours le cas pour les procureurs fiscaux : seulement deux d’entre eux à Longué et aucun à Montreuil-Bellay. Un contrôle extérieur à la seigneurie s’effectue donc et les officiers royaux ont toujours la possibilité de refuser de recevoir celui qui se présente ou d’émettre des réserves. Mais, en général, la réception se déroule sans problème et les lettres de provision sont enregistrées.
20Si celles-ci sont, dans leur forme, presque toutes identiques, c’est dans les points de détail que nous pouvons apprendre les modalités d’accord de l’office par le seigneur et si cela s’est fait à titre onéreux ou non. Toutes les lettres insistent sur les « bonnes vie et mœurs », sur la capacité et, bien sûr, la catholicité du candidat. À quelques mots près, la formule est immuable tout au long du xviiie siècle. À ces raisons invoquées par le seigneur, peuvent se rajouter quelques autres, que nous ne trouvons qu’à Montreuil-Bellay. Il s’agit, en général, de remerciements pour des services rendus. Ainsi, Antoine François Louis Hardouin reçoit son office en raison des « bons et agréables services que M. Antoine Hardouin, son père, notre procureur fiscal de notre baronnie de Montreuil a rendu à nos prédécesseurs et à nous depuis plusieurs années et en considération de ceux que nous a aussy rendu ledit Antoine Hardouin fils en la qualité de procureur25… » Présenté comme une récompense du seigneur à son vassal, l’accord de l’office se fait, en principe, à titre gratuit et lorsque l’officier achète sa charge, cela est mentionné dans sa lettre de provision26. Deux lettres mentionnent un accord en ce sens entre le seigneur et l’officier : celles des lieutenants de Montreuil-Bellay, François Amirault et Antoine François Louis Hardouin. Dans la lettre du premier, il est dit que sa fonction lui est donnée « conformément au traité fait entre nous27 ». La lettre de provision du deuxième est plus claire : son office lui est octroyé « gratis sans aucune finance dont l’avons dispensé28 ». Le baron a ici montré qu’il s’agit pour lui d’une faveur, ce qui laisse penser qu’ordinairement, l’office de lieutenant est payant. Mais pour son successeur, rien n’est noté. De plus, au regard des minutes notariales de Longué29 et du contrôle des actes à Montreuil-Bellay30, il ne semble pas qu’il y a ait de vénalité des offices : aucun contrat de vente d’office seigneurial n’a été trouvé. Gratuité de l’office, donc, en général. Enfin, un des derniers principes de l’octroi de l’office seigneurial est la possibilité, pour le seigneur, de destituer ses officiers. Toutes les lettres de provision rappellent ce principe par cette formule : « Tant et si longtemps qu’il nous plaira. » Toutes, sauf une, celle de Guillaume Rigault de Montrocher31 : son office de sénéchal lui est donné « pour en jouir […] pendant sa vie ». Cette formule reflète peut-être des liens rapprochés entre la baronne et le sénéchal ou un signe de reconnaissance très important. Une fois obtenu ce mandat de leur seigneur, les officiers se font recevoir dans les sénéchaussées royales dans des délais relativement courts : de trois jours à trois mois. La dernière étape est la réception au siège de la juridiction seigneuriale, visible dans les registres d’audience par une simple mention ou par la reproduction intégrale des lettres de provision.
Notaires et sergents
21Les notaires et les sergents reçoivent aussi des lettres de provisions de la part de leur seigneur, mais ne sont pas reçus dans les sièges royaux. Le seigneur est seul juge de leurs capacités à remplir correctement leurs fonctions, bien qu’ils soient obligés de se faire recevoir dans la juridiction seigneuriale. Mais il est tout à fait improbable que les officiers en place aillent contre la volonté de leur seigneur. Leurs lettres de provision ressemblent à celles des officiers supérieurs. Une des différences est l’attention portée à l’âge des notaires et sergents. En effet, une des conditions de réception est que l’officier postulant « ait atteint l’âge de 25 ans accomplis ». Il s’agit sans doute d’éviter les abus et de permettre aux officiers seigneuriaux de contrôler un tant soit peu ces nouveaux venus. Il y a une imitation des modalités de réception et notamment des dossiers de réception des sièges royaux à Montreuil-Bellay comme à Longué et, de ce fait, une imitation du contrôle exercé par les juges royaux. Le formulaire est identique, les témoins sont pris dans la localité et doivent attester, eux aussi, de la catholicité et de la bonne vie des futurs officiers. Dans ce cas, nous pouvons estimer que les témoins appelés en sont de meilleurs que ceux appelés dans les sénéchaussées royales, puisqu’ils doivent les connaître relativement bien et les côtoyer tous les jours. Nous ne pouvons dire que personne ne contrôle ces sergents. Le seigneur, directement s’il est présent dans sa seigneurie, ou les autres officiers, par les rapports qu’ils pourraient faire, peuvent exercer ce contrôle. Le seigneur a toujours le droit de reprendre ce qu’il a donné si l’officier se comporte d’une mauvaise façon. Nous avons d’ailleurs un cas de destitution d’un sergent à Longué. Malheureusement, nous n’en savons pas les raisons et nous ne connaissons ce cas qu’à travers la lettre de provision de son successeur32. Nous pouvons émettre une hypothèse sur les raisons de sa destitution. En effet, dans les années précédant et suivant son investiture, nous rencontrons à plusieurs reprises son nom dans des affaires criminelles. Une fois, comme victime de violences33. Une autre fois, un an après sa destitution, le procureur fiscal dépose une plainte contre lui, devenu cabaretier, pour avoir tiré un coup de fusil contre une femme34. Il est possible qu’il soit enclin à la violence ou qu’il ait abusé de ses fonctions.
Greffiers
22Les greffiers, eux aussi, sont choisis à la discrétion du seigneur du lieu. Ils ne reçoivent pas de lettres de provision car les greffes sont systématiquement pris à ferme, au moins à Montreuil-Bellay, étant donné qu’à Longué nous n’avons pas d’informations à ce sujet. L’accord de l’office se fait par un contrat passé entre le seigneur et le futur greffier devant un notaire. Il s’agit d’un bail à ferme ordinaire conclu pour neuf années en général et pour une somme que le greffier doit verser chaque année à la recette de la seigneurie. Nous n’avons retrouvé qu’un seul contrat et il est lacunaire. Le travail du greffier y est défini précisément. Cependant, des informations nous sont inconnues : si l’officier est destituable par le seigneur, si dans ce cas il y a un quelconque remboursement (le mot est employé dans l’acte, mais n’ayant pas la suite, nous ne savons à quoi il correspond). À Longué, nous n’avons aucun document qui précise les modalités de réception des greffiers, ni dans les registres d’audience, ni dans les minutes notariales. Nous avons seulement un enregistrement de sa réception dans un registre. Pourtant, il est probable que les greffiers de Longué soient, eux aussi, des fermiers, parce que c’est la règle dans la grande majorité des justices seigneuriales35.
Cas particulier des avocats procureurs à Longué
23Les avocats procureurs ne reçoivent pas du seigneur leur office, mais seulement une autorisation d’exercer leurs fonctions dans les justices seigneuriales. Cependant, à Longué, à partir de 1779, quatre d’entre eux obtiennent de leur seigneur des lettres de provision. Celles-ci ressemblent trait pour trait à celles des autres officiers. Il s’agit alors d’un vrai octroi de l’office. Une vraie procédure de réception se met alors en place. Cet état de fait est sans doute dû, comme pour la présence d’enquête de vie de mœurs pour les sergents et les notaires, à une imitation des modalités de réception royales. Sans doute, à Longué, la proximité des trois sièges royaux de Baugé, Beaufort et Saumur, a une influence sur la production des actes seigneuriaux.
Revenus, patrimoine et niveau de vie des officiers
24Si, dans la plupart des cas, l’office seigneurial est gratuit, il ne saurait être question pour l’officier de travailler gratuitement. C’est d’ailleurs leur rapacité qui est le plus grand reproche qui leur est fait, ainsi que leur tendance à la corruption. Cette réputation est difficilement vérifiable à Montreuil-Bellay comme à Longué, en l’absence de toute trace de l’opinion des habitants de ces lieux au sujet des officiers seigneuriaux36.
Les « émolumens […] de l’emploi »
25Les gages constituent une somme d’argent accordée à la discrétion du seigneur à ses officiers. Ils obtiennent leur office gratuitement généralement, c’est pourquoi les rémunérer ne serait pas à l’avantage des seigneurs et quand ils le font, il ne peut s’agir que d’une petite somme. Tous les officiers sont susceptibles de recevoir des gages. En observant les lettres de provisions, nous pouvons remarquer une grande différence entre Montreuil-Bellay et Longué. Dans la première juridiction, les gages sont extrêmement rares. Il n’en existe qu’un seul cas, celui d’Antoine François Louis Hardouin. Le baron lui octroie « 10 livres par chacune année ainsy qu’en ont jouy [ses] précédants lieutenants qui luy seront payer par [ses] fermiers37 ». Il ne s’agit que d’une somme symbolique, qui veut montrer avant tout la récompense, qui ne peut faire vivre quiconque. Une autre information est importante dans cette phrase : apparemment, les lieutenants précédents ont reçu aussi des gages. Pourtant, pour son prédécesseur, nous n’avons aucune mention à ce sujet et le dernier lieutenant de la baronnie ne semble pas avoir non plus de gages. Quant aux sénéchaux, aucun n’a droit à des gages tout au long du xviiie siècle. D’ailleurs, le seigneur du lieu tient à préciser dans les lettres de provision des quatre premiers sénéchaux qu’ils devront exercer leur office « sans néanmoins qu’il[s] puisse[nt] prétendre aucuns gages ». Nous pouvons penser que cette insistance est due à un état de fait antérieur, où les sénéchaux recevaient des gages. Nous trouvons, à ce sujet, dans les titres féodaux de la baronnie, des quittances anciennes données au receveur général des domaines par le sénéchal pour ses gages de l’année38. À Longué, la situation est inversée. Presque tous les officiers supérieurs ont des gages. Seuls deux n’y ont pas droit. Il s’agit peut-être d’une politique particulière au châtelain de l’époque, le même qui nomme ses sénéchaux. Nous n’avons pas d’indications sur la somme versée aux officiers.
Vacations et autres avantages liés à l’office
26Les vacations forment l’essentiel des revenus des officiers seigneuriaux, voire la totalité. Il s’agit d’une somme d’argent payable aux officiers en raison de l’acte qu’ils produisent. Cette somme peut être versée par les parties ou par le seigneur de la juridiction, si le procès a pour origine le procureur fiscal39. L’officier en question est payé à l’acte produit. En aucun cas, les vacations ne sont un salaire fixe. D’ailleurs, si l’officier est absent pour telle ou telle raison, c’est son remplaçant qui touche les vacations. Son intérêt est donc de ne pas s’absenter et de travailler beaucoup, s’il souhaite gagner un salaire correct. Le montant des vacations est variable, non seulement en fonction de l’acte produit, mais aussi en fonction de la personne qui les reçoit. Il est, en général, fixé à une certaine hauteur par type d’actes et n’excède pas une dizaine de livres. Un type particulier est soumis à un autre style de vacations : il s’agit de la sentence. Dans ce cas, des épices sont versées et le sont uniquement au juge. Le montant est alors beaucoup plus élevé qu’ordinairement. Si chaque type d’acte a son prix, chaque officier a un salaire particulier. Les proportions entre leurs salaires respectifs sont codifiés et se retrouvent dans les deux juridictions. En général, le sénéchal reçoit le montant total des vacations ; et le procureur fiscal et le greffier, chacun les deux tiers de ce montant. Par contre, l’état lacunaire des archives seigneuriales, à Montreuil-Bellay comme à Longué, ne nous permet que d’avoir une idée partielle et un montant minimum de ce qu’ils peuvent recevoir dans l’année. À Montreuil-Bellay, nous possédons un grand nombre d’actes de procédure de l’année 177340. Si l’on additionne les vacations et les épices de cette année, pour 48 actes (dont deux délivrés « gratis »), le sénéchal a reçu environ 300 livres et le procureur fiscal et le greffier environ 100 livres chacun pour les 30 actes où ils sont payés. C’est peu, surtout rapporté à ce que doit verser un greffier pour son office41, et reflète le peu d’actes qu’il nous reste. D’autres critères peuvent aussi faire varier le montant des vacations : la qualité des parties, par exemple. En effet, il arrive que les officiers seigneuriaux acceptent de produire leurs actes sans toucher aucun droit dessus, « gratis », pour certaines personnes qui viennent d’un milieu social relativement pauvre42 ou qui ont des liens avec les juges locaux. Nous trouvons aussi le cas inverse et la tendance à faire payer plus cher les vacations à des personnes plus riches. En ce qui concerne les vacations des sergents et des notaires, nous n’avons aucun renseignement à ce sujet. Il est certain que les sergents doivent être moins payés pour leur travail que les juges ou le greffier.
27En plus des vacations, et parfois des gages, les officiers seigneuriaux ont quelques avantages accordés par le seigneur dans leurs lettres de provision : « privilèges », « droits », « franchises ». Il s’agit de l’exonération de certains droits et taxes. Bien sûr, en aucun cas, ils ne sont exemptés des impôts royaux. Mais à une époque où les droits seigneuriaux sont encore bien présents et pèsent sur les finances de tous, cette exemption constitue un allègement de charges conséquent pour les officiers.
Les revenus du greffe
28Le greffier reçoit aussi des vacations. Il est présent sur chaque acte d’une affaire – sauf lorsqu’il s’agit du procès-verbal d’un sergent, rédigé par lui-même. Le greffier perçoit de ce fait pratiquement à chaque fois des droits. La particularité du greffier est qu’il prend à ferme son greffe et qu’il verse à ce titre une somme assez importante chaque année au seigneur du lieu. C’est pourquoi il doit nécessairement rentabiliser son office, non seulement pour pouvoir payer les termes du bail, mais aussi pour pouvoir vivre selon son état social. Il doit donc gagner beaucoup plus que ce qu’il a à verser chaque année, ce qui nous donne une idée de ses revenus annuels. Cette somme est variable tout au long du xviiie siècle. Il n’est possible de savoir si elle varie en fonction de la personne qui prend le greffe à ferme, en fonction de la variation des prix ou encore en fonction de l’intérêt porté à la charge de greffier. À Montreuil-Bellay, nous avons par quatre fois un renseignement sur le montant du bail, en 1711, 1734, 1768 et 1779. Les greffiers doivent verser, respectivement, 400, 600 et pour les deux derniers 300 livres par an (pour le même greffier). Il est probable que les greffiers « cherchent » à gagner au moins le double de ces sommes, voire beaucoup plus, ce qui représente déjà un salaire très honorable.
29Ainsi, les revenus des officiers seigneuriaux dépendent avant tout du travail qu’ils abattent. Ils ont alors tout intérêt à travailler régulièrement et très souvent et ne pas s’absenter. Mais de là découle aussi peut-être la tentation de faire traîner les choses en longueur, multiplier les actes et les déplacements afin de gagner plus d’argent. Pourtant, ne pouvant déterminer si tel ou tel acte est nécessaire et qui du juge ou du justiciable ralentit la procédure, il est difficile de savoir si ce reproche est justifié.
Biens patrimoniaux et personnels
30Les officiers supérieurs investissent principalement leur argent dans la terre. De plus, ils peuvent disposer, à plus ou moins long terme d’un héritage patrimonial. En effet, de nombreux officiers du xviiie proviennent de familles de l’élite locale et qui souvent ont acquis des terres importantes, des fiefs, voire des petites seigneuries, comme Antoine François Louis Hardouin. Son père travaille aussi pour la baronnie de Montreuil-Bellay. Il possède la terre de Chandeliveau, « une maison noble qui avait un four banal43 ». C’est une terre relativement importante qui doit foi et hommage au seigneur de Lenay et qui a un droit de basse justice44. Elle est d’ailleurs vendue, après la mort d’Antoine François Louis Hardouin, pour plus de 7 500 livres45. Cette seigneurie n’est pas la seule que possède cette famille : ils ont aussi celle de la Forest pour laquelle ils rendent foi et hommage au duc de Brissac46. Nous possédons un exemple de ce dont un héritage peut être constitué avec Étienne Normand47, avocat fiscal. Son père lui laisse à sa mort une maison composée de deux chambres avec des étables, des granges et une écurie, plus de 280 boisselées de terre labourable48, prés, pâtures et ceps de vigne et une rente hypothécaire. C’est un héritage important, surtout pour un homme de 22 ans. Parfois, c’est une maison qui forme l’héritage des officiers et, dans ce cas, il s’agit d’une maison de qualité. Il y a des exemples à Montreuil-Bellay comme à Longué. Dans cette première ville, l’une d’elles est connue, encore aujourd’hui, par le nom de la famille qui l’a habitée : les Dovalle. C’est une maison imposante, datant du xvie siècle, à deux niveaux avec un escalier en vis. À Longué, nous avons d’autres exemples de maison familiale. Il y a notamment La Braderie, où vraisemblablement habite toute la famille Gallais49, et qui, en tout cas, est le siège de son étude.
31Si beaucoup d’officiers héritent de terres et de biens immobiliers, il arrive aussi qu’ils héritent d’un office, le plus souvent royal. Plus particulière est la passation de pouvoir entre Pierre et François Amirault, le père et le fils. Pierre Amirault est lieutenant de Montreuil-Bellay jusqu’à sa mort en 1715 et un an après, en 1716, son fils accède à la même charge. Nous pouvons penser qu’il y a eu un arrangement préalable pour que le fils puisse succéder au père. Cette succession n’est sans doute pas une coïncidence.
32Les officiers seigneuriaux ne se contentent pas d’attendre l’héritage de leurs parents. Ils investissent beaucoup leur argent dans les terres, les biens immobiliers et apparaissent comme d’assez grands propriétaires terriens au vu des nombreux baux à ferme qu’ils concluent tout au long de leur vie. Tous n’ont pas le même rythme d’achat et de location de terres, mais aucun n’échappe à cela. Nous pouvons remarquer une légère différence en terme d’investissement entre les officiers de Montreuil-Bellay et ceux de Longué : les premiers investissent plutôt dans la terre et les seconds plutôt dans les maisons et les closeries. Louis Maugeis est un bon exemple de cette volonté d’agrandissement de ses biens et aussi d’une gestion efficace de son patrimoine. Tout au long de sa vie, il n’a de cesse d’acheter des terrains pour ensuite les bailler à ferme. Il réussit si bien dans ses investissements qu’à sa mort, il laisse à ses enfants et petits-enfants des biens meubles, immeubles et actifs arrivant à la somme de plus de 100 000 livres50. Son fils, Louis Nicolas Maugeis est, lui aussi, un investisseur très actif. Ses terres lui rapportent au maximum plus de 550 livres et une centaine de boisseaux de blé froment par an. Son investissement le plus grand est l’achat des seigneuries du Bourgesdon, des Coleaux et du Punge pour 47 400 livres51. Elle appartenait avant aux seigneurs de Lenay qui avaient un droit de justice. Nous ne savons pas si Louis Nicolas Maugeis a conservé ce droit de justice. D’autres officiers préfèrent investir dans des offices royaux, souvent rémunérateurs : élu ou lieutenant en l’élection de Montreuil-Bellay, lieutenant de la connétablie et maréchaussée de France, ou encore, très souvent, notaire royal.
33Les sergents des deux juridictions et les greffiers de Longué forment une catégorie sociale relativement homogène. Venant d’un milieu social modeste, ils n’ont pas ou peu d’héritage à attendre de leurs parents. C’est donc la plupart du temps par leur propre travail qu’ils accumulent de l’argent pour construire leur « fortune » et investir dans différentes choses. C’est dans la terre que ces officiers inférieurs investissent le plus. Pierre Jacques Leloy, par exemple, n’apparaît que très rarement dans les minutes notariales et n’est même pas propriétaire de sa maison. Tout au contraire, Louis Guy est très présent et il ne cesse d’agrandir son patrimoine. Nous pouvons suivre son rythme d’achat pendant 16 ans. Il dépense alors plus de 4 000 livres et agrandit ses biens de plus de 200 boisselées52. Une fois achetées, il s’empresse d’ailleurs dans l’année qui suit de bailler à ferme ses nouvelles acquisitions et par là de les rentabiliser : elles lui ont rapporté au maximum près de 700 livres par an. Ce sont des sommes importantes qui sont en jeu ici. Nous pouvons même nous demander où il trouve l’argent nécessaire. Sans doute, sa charge de greffier le lui fournit et sinon, il doit peut-être emprunter. Certains choisissent d’investir dans les offices royaux. Ainsi un des sergents achète un office d’huissier en 1756 pour 1 648 livres53. Cela lui permet d’étendre le champ de son action et de percevoir des droits supplémentaires.
34Tous les officiers seigneuriaux cherchent à faire fructifier ce qu’ils ont reçu en héritage ou l’argent qu’ils gagnent grâce à leur office. La différence entre officiers supérieurs et officiers inférieurs tient seulement au prix des biens qu’ils sont amenés à acheter. Ces informations nous renseignent sur les revenus des juges en particulier, qui semblent être relativement importants au vu des biens qu’ils acquièrent.
35« Vivre lui & sa famille, dans une aisance supérieure à la condition de ses Justiciables… »
36Les officiers ont aussi un rang à tenir, celui de leur office, et ne peuvent se permettre d’être en dessous, à une époque où les vêtements que les gens portent définissent ce qu’ils sont. Évidemment, comme pour les biens, le niveau de vie des officiers inférieurs et celui des officiers supérieurs ne sont pas les mêmes. Mais en ce qui concerne les officiers inférieurs, nous ne possédons pas beaucoup d’informations à ce sujet. Nous pourrions seulement émettre des hypothèses liées au milieu social auquel ils ressemblent le plus.
37Pour apprécier le niveau de vie des officiers nous pouvons nous intéresser d’abord aux endroits où ils vivent. L’inventaire après décès du sénéchal Charles Gallais nous présente une de ces maisons. Elle a sept pièces habitables plus deux greniers, une chambre servant de boulangerie, une cave, une grange et une cour. Il semble qu’au maximum aient vécu dans cette maison onze personnes. Dans la « décoration » de l’espace intérieur, ces officiers montrent également de la recherche pour ce qui est luxueux, pour ce qui expose leur richesse. Encore une fois, c’est l’inventaire après décès de Charles Gallais qui nous sert de référence. Dans la pièce dite « salle » se trouvent les plus beaux objets de la maison. Elle abrite « une tenture de tapisserie », « un grand miroir à cadre doré et son chapiteau », deux tables à jouer, 16 chaises, deux fauteuils, un « tapis de laine et coton rayé ». Tout est fait ici pour recevoir et impressionner le visiteur, notamment avec ce grand miroir estimé quatre fois plus cher que la tenture. Il faut noter aussi la présence d’une armoire, sans doute la plus belle de la maison, puisqu’elle est estimée 50 livres, alors que les autres n’en valent qu’une dizaine. C’est bien un intérieur bourgeois que nous avons là. Mais il reste traditionnel. En effet, toutes ces pièces contiennent un lit, même dans la pièce appelée « principale chambre basse servant de cuisine », même dans la salle qui reçoit les invités. Pourtant, la plupart du temps, les officiers essaient de suivre les goûts de leur époque. Ainsi le sénéchal Étienne Lancelot, propriétaire du Vieux-Logis, le restaure complétement pour le mettre « à la mode » : il orne les plafonds de fresques et de décorations et fait disparaître la vieille cheminée « gothique ». Pour servir dans ces grandes maisons, les officiers supérieurs font appel à des domestiques qu’ils embauchent à plein temps. Par exemple, Louis Nicolas Maugeis en a au moins deux54. Les vêtements fournissent aussi de bons renseignements dans le domaine du paraître. Toujours dans le même inventaire est décrite la garde-robe complète de Charles Gallais. Il y a des vêtements pour tous les jours et ceux destinés à des occasions spéciales, quand il a besoin de montrer ses richesses avec une paire de bas de soie blancs par exemple. Cette garde-robe donne aussi des informations sur les habits des juges seigneuriaux. Il possède, en effet, une « robe de pallais d’étamine noire », d’une valeur de 30 livres. En outre, il a une vaisselle ordinaire d’étain et une autre d’argent faite, elle aussi, pour les grandes occasions.
38Leur rang dans les réunions d’habitants ou dans les processions doit sans doute être strictement défini et se trouver au niveau des élites locales. Les officiers supérieurs eux-mêmes recherchent à obtenir d’autres honneurs, avec notamment la concession de banc à l’église. Un héritage peut aussi échoir aux officiers seigneuriaux : un tombeau dans l’église paroissiale – grand privilège pour tout paroissien. Nous avons deux cas de ce genre. Le premier est celui de Jean Maugeis, avocat fiscal, qui, dans son testament, souhaite « son corps estre enterré dans l’esglise parroissialle Saint Pierre de Montreuil Bellay en la fosse de deffunt Me Louis Maugeis vivant procureur fiscal à cette baronnie son père55 ». Dans le deuxième cas, il s’agit pour celui qui rédige son testament, Pierre Amirault, de créer un tombeau familial56.
39Les officiers supérieurs ont donc un niveau et un mode de vie tout à fait comparable à ceux des bons bourgeois. Il est dommage cependant de n’avoir aucune information sur leur choix de lecture. En effet, l’inventaire après décès de Charles Gallais mentionne des tablettes à livres, mais ne dit pas quels sont ces livres.
Les familles d’officiers
40Génération après génération, les membres d’une même famille sont présents dans les offices et parfois se succèdent les uns aux autres. Ce phénomène ne concerne pas seulement les officiers supérieurs, mais aussi les sergents et les greffiers de Longué.
41Pour les officiers supérieurs, à Longué, une famille en particulier tient la juridiction : ce sont les Locheteau. Ils occupent les principales places de la justice seigneuriale pendant environ un demi-siècle. Laurent Locheteau est procureur fiscal en 1705 et, soit il reste jusqu’à la réception de Charles Jean Delaage en 1779, soit il est remplacé par un autre Locheteau57. Son fils, Laurent Locheteau, est d’abord reçu comme lieutenant en 1724, puis comme sénéchal en 1727 et reste en place jusqu’en 1766. Quant aux fils de ce sénéchal, au moins deux travaillent eux aussi pour la juridiction seigneuriale en tant qu’avocats procureurs. À Montreuil-Bellay, le phénomène est beaucoup plus accentué. La majorité des offices supérieurs sont occupés par des personnes dont le père ou le fils sont aussi titulaires de ce type de fonctions. Nous avons déjà évoqué plusieurs de ses familles, notamment les Amirault et les Hardouin. Mais la famille la plus remarquable à ce sujet est sans aucun doute celle des Maugeis : pendant au moins un siècle et demi elle occupe les principaux offices de la juridiction. Le premier Maugeis auquel nous pouvons remonter58 est Louis (1er) Maugeis, procureur fiscal, probablement aux alentours des années 1650. Son fils, Jean Maugeis, est avocat fiscal. Son deuxième fils, Louis (2e) Maugeis, est avocat procureur. Le fils de ce dernier, Nicolas Maugeis, devient sénéchal et son fils, Louis (3e), assez tardivement, à 65 ans, avocat fiscal. Quant au dernier Maugeis de l’Ancien Régime, Louis Nicolas, fils de Louis (3e), il est d’abord avocat fiscal, lieutenant, puis sénéchal. Nous avons avec les Maugeis un bel exemple de famille ancienne d’officiers de justice, dominant la ville et ses habitants par le pouvoir qu’elle détient grâce à ses charges et par le respect imposé par l’ancienneté de ce pouvoir.
42Quant aux sergents et greffiers, nous disposons de deux exemples de ces familles. La famille Aury, d’abord, montre le passage d’une famille d’artisans aux offices seigneuriaux. En effet, Pierre Aury commence par être maréchal-ferrant. Il fait des placements dans la terre, obtient quelques petites charges de finance. Puis il se dégage totalement du monde de l’artisanat quand il vend sa forge59. Il est alors dit marchand. Quelques années plus tard, il fait sa première apparition en tant que sergent de cour à 48 ans. Son fils, Laurent Aury, par contre, devient relativement tôt sergent de cour, à 29 ans. Mais, lui aussi, passe par l’artisanat. L’autre famille est composée de deux apports, celui d’Étienne Gasnier et celui de Louis Guy, qui succède au premier en tant que greffier. Le premier est sergent de cour avant d’être greffier. Le deuxième vient du monde de l’artisanat : son père est maître sellier. Il devient greffier à 27 ans : il a donc dû faire autre chose auparavant. Leurs liens se resserrent lorsque Louis Guy devient commis greffier et surtout quand il épouse Madeleine Marchand, la veuve d’Étienne Gasnier, et qu’il devient le tuteur de ses enfants. L’exemple de ses deux « pères » est suivi par Louis Gasnier qui devient à son tour sergent de cour. Il y a bien pour les sergents et les greffiers de Longué un embryon de familles d’officiers, mais c’est encore bien timide et relativement rare.
43Le phénomène de reproduction sociale est très présent dans les deux juridictions. En cela, les officiers seigneuriaux se rapprochent des officiers royaux. Mais l’office seigneurial étant dans la plupart des cas un don gratuit du seigneur, rien ne pousse un enfant d’officier seigneurial à suivre le même chemin que son père. Nous pouvons penser qu’ici le poids de la tradition familiale est très fort. Une autre remarque est à faire au sujet de ces familles d’officiers : c’est la différence entre Montreuil-Bellay et Longué. Il y a beaucoup moins de ces familles dans cette dernière. Cela est sans doute dû à ce que nous avons dit au sujet de la provenance géographique des officiers. À Longué, les officiers peuvent aussi venir de familles qui traditionnellement occupent des offices de judicature. Mais devenir officier dans cette ville n’est qu’un supplément de travail pour eux : leurs attaches sont ailleurs.
Stratégies familiales
44Si ces familles prennent tant de place dans les justices seigneuriales, c’est aussi qu’elles font tout pour garder cette place et pour que leurs successeurs puissent en profiter. Pour cela, ces familles usent de plusieurs méthodes.
45Constituer un patrimoine conséquent est une des premières stratégies qui permettent aux descendants de monter dans l’échelle sociale. Pour les parents, il s’agit de leur offrir l’éducation qu’ils n’ont pas eue. Ils peuvent ainsi envoyer leurs enfants au collège, puis à l’université pour qu’ils obtiennent une licence ès lois, sésame indispensable pour devenir juge. De plus, ils sont en mesure de donner à plusieurs autres de leurs enfants une bonne éducation. Nous avons l’exemple de Pierre Amirault, dont l’un des fils suit la voie tracée par son père et l’autre passe par le séminaire, pour devenir « prestre religieux de Saint François récollé, missionnaire appostolique en orrient, et président du Saint Sépulcre60 ». Par ailleurs, avec l’argent que les enfants peuvent récolter de leur succession, ils ont la possibilité d’investir dans d’autres terres, mais surtout plus fréquemment d’acheter des offices royaux. L’office royal reste, pour ces officiers seigneuriaux, un moyen sûr de gagner de l’argent et d’avancer vers de plus hautes perspectives que la seigneurie. De plus, il constituera un bien important pour la génération suivante, même si la valeur de l’office royal tend à diminuer tout au long du xviiie siècle. Rares sont ceux qui ne cèdent pas à cette tentation, comme les Maugeis pour la plupart d’entre eux.
46Mais les stratégies familiales les plus fréquentes et les plus réfléchies chez ces officiers seigneuriaux sont les stratégies matrimoniales. Faire un beau mariage aide les officiers à réaliser leurs ambitions personnelles. De plus, le mariage de leurs filles, généralement bien dotées (en tout cas, celles des officiers supérieurs), permet aussi de nouer des alliances locales et extérieures. Même chez les sergents ou les greffiers de Longué, la stratégie matrimoniale est importante : Louis Guy épouse la femme de son prédécesseur. Mais c’est surtout chez les officiers supérieurs que le phénomène prend toute son ampleur. Les Maugeis se distinguent tout particulièrement dans le domaine des combinaisons matrimoniales pouvant servir leurs intérêts. D’après ce que nous savons de deux mariages d’hommes de cette famille, nous pouvons dire que la tendance est à faire de beaux mariages avec des femmes qui ont de la fortune. Louis Maugeis, avocat fiscal, épouse en 1722 Marie Besnard61. Lui, apporte 3 000 livres. Quant à elle, ses droits – sans doute à la succession de ses parents – sont estimés à presque 11 000 livres. Son fils, Louis Nicolas, fait lui aussi un beau mariage avec Marie Modeste Tocqué. Nous ne savons quelle est sa dot, ni quels sont ses droits à la succession. Mais nous avons des informations sur son père : il est négociant à Cholet et a des affaires à Cadix et à Lisbonne et des intérêts dans des affaires maritimes et le commerce avec Saint-Domingue62. Le mariage des filles Maugeis est un enjeu tout aussi important pour nouer des alliances. Aussi sont-elles dotées très largement (environ une dizaine de milliers de livres). La plupart des liens matrimoniaux que créent les officiers seigneuriaux se font plutôt avec les élites du lieu pour resserrer l’influence qu’ils peuvent avoir sur la région et créer des « réseaux » de pouvoir et de soutien. L’exemple le plus significatif est encore celui des Maugeis et de leur réseau d’alliances que nous pouvons apercevoir lors d’un jugement de la baronnie de Montreuil-Bellay63. Les Maugeis sont alliés avec des officiers de l’élection (un procureur du roi honoraire et un élu) et un prévôt de la connétablie et maréchaussée de France, qui est appelé « écuyer ». Ils s’allient aussi avec des officiers seigneuriaux, sans doute pour renforcer leur emprise sur la justice.
47Par leurs revenus, leurs investissements et des stratégies matrimoniales, les officiers seigneuriaux assurent ainsi l’avenir de leurs descendants et rendent possible le phénomène d’ascension sociale, surtout pour les officiers supérieurs. Mais il leur faut pour cela sortir des offices seigneuriaux, sous peine de rester au même niveau social, comme Louis Nicolas Maugeis qui est au même point que son grand-père, Nicolas Maugeis, lui aussi sénéchal, avec seulement des terres supplémentaires et un titre de seigneur.
Des « abus » des officiers des justices seigneuriales
48Les justices seigneuriales en général ont très mauvaise réputation. Les officiers seigneuriaux en souffrent aussi, en particulier ceux qui sont le plus souvent en contact direct avec les justiciables, c’est-à-dire les sergents et les greffiers : en somme, les exécutants des décisions de justice et ceux qui en perçoivent les droits.
De la « multiplicité d’emplois et de professions qu’un Praticien de campagne est dans la nécessité de cumuler »
49Le cumul des charges est un reproche souvent fait aux officiers seigneuriaux. Il découle du principe selon lequel, si un office occupe plusieurs postes, il ne peut se concentrer sur aucun. Ainsi, la justice sera mal rendue, puisque le procès dans sa totalité aura été bâclé. En effet, presque tous les officiers, à un moment ou à un autre de leur carrière, cumulent les charges. Ce phénomène concerne les sergents comme les sénéchaux. Cependant il faut remarquer que s’il y a un cumul, il ne s’agit, en aucun cas, de charges qui sont « indignes » par rapport à leur office64.
50Rares sont les officiers supérieurs qui ne remplissent pas une autre fonction. De plus, il est tout à fait possible que lorsque nous constatons qu’un officier n’a pas d’autre travail, il ne s’agisse que d’une absence d’informations à ce sujet. Si les petits officiers gardent un métier différent du monde des offices, ce n’est pas le cas des magistrats de Montreuil-Bellay et de Longué. C’est avant tout l’office de notaire royal qui est prisé par ces officiers, plus à Longué qu’à Montreuil-Bellay d’ailleurs. En effet, dans la première ville, sept sénéchaux, lieutenants et procureurs fiscaux sont aussi notaires royaux sur quinze. À Montreuil-Bellay, il n’y en a que deux. Nous pouvons remarquer qu’en général ceux qui sont notaires royaux à Longué sont des personnes originaires du lieu ou qui exercent dans ce lieu. À Montreuil-Bellay, se trouvent de nombreuses autres offres beaucoup plus prestigieuses à leurs yeux : une subdélégation, une élection, un tribunal de la connétablie et maréchaussée de France ayant un lieutenant, un procureur du roi et un greffier en chef et une municipalité puissante et active. En somme, les officiers seigneuriaux ont un éventail de possibilités de charges autres que la leur très large et ils ne se privent pas de les exercer s’ils ont les moyens financiers ou les soutiens nécessaires. Quand les officiers supérieurs n’ont pas suffisamment d’argent pour acheter des offices royaux ou assez d’influence pour accéder à la municipalité, ils se font recevoir comme avocats dans les juridictions royales (choisies le plus souvent par les sénéchaux et les lieutenants) ou dans celle où ils travaillent (pour ceux qui n’y sont pas juges). À Longué, cinq juges sont avocats dans les sénéchaussées royales environnantes. Trois autres officiers sont aussi avocats procureurs dans leur propre juridiction. À Montreuil-Bellay, l’élection absorbe une partie des officiers qui se font aussi procureurs. Il y a encore un autre type de charges qu’aiment à occuper les officiers supérieurs, surtout les juges : c’est celui de sénéchal d’une autre justice seigneuriale. Il faut noter à ce sujet que nous n’avons pas repéré de procureur fiscal de Montreuil-Bellay ou de Longué qui soit aussi juge dans une autre seigneurie. Sur les dix-sept juges reçus au cours du xviiie siècle, huit en tout sont également reçus sénéchaux ailleurs. Par exemple, à Montreuil-Bellay, Antoine François Louis Hardouin cumule quatre charges de sénéchal en plus de son office de lieutenant à Launay Louresse65, Martigné, au Puy-Notre-Dame66 et à Flines67.
51À ce cumul, il peut y avoir plusieurs raisons : la rapacité des officiers pour leurs détracteurs, la nécessité de gagner suffisamment d’argent pour vivre (le nombre d’affaires jugées à Longué est limité), ou encore l’envie de satisfaire ses ambitions sociales avec des offices mieux considérés.
Des « Officiers des Seigneurs [qui n’] habitoient dans le chef-lieu de leur Jurisdiction… »
52Au vu de cet important cumul des charges, nous pouvons penser que les officiers seigneuriaux ne peuvent être aussi présents qu’ils pourraient l’être s’ils se concentraient sur un seul office, ni résider dans leur juridiction.
53Pour savoir cela, nous devons utiliser les registres d’audience des justices seigneuriales, qui, en principe, notent l’absence des juges. À Montreuil-Bellay, il ne reste qu’un seul registre pour tout le xviiie siècle avec une année et demie d’audience68. À Longué, au contraire, nous avons des registres d’audience continus pendant vingt ans, ce qui nous permet d’étudier la présence de cinq sénéchaux69. Les résultats sont plus que satisfaisants pour des juges qui ont plusieurs emplois. Laurent Locheteau est pratiquement toujours présent et, sur la fin de sa vie, ne manque aucune audience. Ses successeurs ne sont pas aussi vertueux. Mais, leur absence ne représente que 3 à 5 % des audiences qui se sont déroulées pendant leur mandat. Le moins présent est Jean Marie René Rocher dont le taux d’absentéisme est de 8 %, encore que ses absences se concentrent dans la dernière année de son exercice. D’ailleurs, il se désiste de son office, parce qu’il ne peut plus exercer correctement70.
54La résidence des officiers dans leur juridiction est un impératif pour la plupart des critiques des justices seigneuriales. D’ailleurs, pour certains, la non-résidence est un des signes de l’indignité des officiers. La présence dans le cours de la justice seigneuriale semble liée à la résidence dans la juridiction. De ce fait, les sénéchaux de Longué sont sûrement des habitants de cette ville. À l’inverse, le cumul des charges serait lié à la non-résidence. Ainsi, les officiers de Longué, pratiquement tous cumulards, n’habitent pas dans la châtellenie. Une vraie contradiction se fait jour ici entre les préjugés véhiculés par les détracteurs des justices seigneuriales et par ses observateurs traditionnels et les faits qui nous imposent une réalité relativement différente.
55Les sergents, dont nous connaissons la résidence, habitent tous au siège de leur juridiction. Le seul notaire pour qui nous avons des informations, est lui aussi un résidant. Quant aux greffiers, leur résidence ordinaire se situe dans leur juridiction à Longué comme à Montreuil-Bellay, malgré leurs différences de statut social. Pour les procureurs fiscaux, la résidence semble de rigueur : ceux dont nous connaissons le domicile y habitent. Les choses se passent différemment pour les juges seigneuriaux. L’opposition est géographique, entre Montreuil-Bellay et Longué. Dans cette première ville, aucun sénéchal ou lieutenant n’est connu pour demeurer ailleurs qu’en cet endroit pendant la durée de son mandat. D’ailleurs est prévu pour le sénéchal un logement dans le palais de justice71. Pourtant, peu d’entre eux ne détiennent que l’office de juge. À Longué, nombreux sont les juges qui ne résident pas sur place. Sur les neuf lieutenants et juges, trois ont un domicile indéterminé, quatre résident ailleurs (Saumur ou Beaufort) et seulement deux y demeurent.
56La résidence des officiers dans leur juridiction est dans ces deux justices est une prescription qui, dans l’ensemble, est respectée. Et il faut noter que cela est plus facile à Montreuil-Bellay, où l’offre d’offices autres que seigneuriaux est relativement importante, qu’à Longué, où la seule alternative est le notariat royal.
Du « défaut de résidence » et de la « rareté des audiences »
57Cumulards, absents, non-résidents, les officiers seigneuriaux sont aussi accusés de ne pas effectuer leur travail correctement en ralentissant la procédure et en favorisant les parties qui payent le plus cher.
58Certes, l’idéal du bon juge serait qu’il ne soit attaché qu’à un seul siège. À Montreuil-Bellay comme à Longué, le cumul des charges est un fait établi. Mais nous pouvons nous demander si, pour autant, ils jugent plus mal, ou s’ils mettent plus de temps à juger. Il est difficile de se rendre compte de cela. En effet, comment juger si un procès est équitable ? s’il est bien ou mal jugé ? De plus, la sentence d’un juge n’étant jamais motivée, nous ne pouvons pas savoir si ses raisons sont valables. En outre, nous ne connaissons pas le contexte qui entoure une affaire et certaines réactions qui peuvent nous échapper. Tout cela forme autant de raisons d’être très prudent sur le jugement à porter sur la capacité et l’efficacité des juges seigneuriaux. Reste le problème du temps mis par les juges pour juger un procès. Les procès peuvent durer quelques mois ou s’étaler sur des années72. Il arrive aussi que dans les registres d’audience des noms n’apparaissent qu’une ou deux fois. Que penser de ces disparités ? Est-ce le juge qui prend son temps ou qui expédie une affaire, ou bien est-ce que ce sont les justiciables qui aiment la chicane ou qui n’intentent une action en justice que pour faire peur ? Démêler ceci est très complexe… À défaut de pouvoir juger du bien-fondé des sentences, nous pouvons essayer de savoir, à l’aide du graphique suivant si le cumul des charges et la non-résidence affecte ou non le cours de la justice. Il présente le nombre d’audiences ainsi que le nombre d’affaires traitées par an à Longué. Par affaires traitées, nous entendons le passage des parties d’une affaire à une audience, et non le nombre de procès par an.
59Au vu du graphique, il semble que le cumul des charges n’a pas ou presque pas d’influence sur le travail effectif des juges. En effet, pendant les périodes où Jean Marie René Rocher et Etienne Lesaive du Plessis sont sénéchaux (respectivement entre 1766 et 1775 et entre 1780 et 1790), alors que tous deux ont d’autres offices, le nombre des audiences et même des affaires traitées par an est le plus haut de toutes ces années. En ce qui concerne la non-résidence, l’analyse est plus complexe à faire. À la fin du mandat de Jean Marie René Rocher, le nombre d’audiences commence à baisser, sans doute en liaison avec ses absences et sa non-résidence. Mais son successeur, Charles Gallais, qui habite Longué, ne change pas la tendance à la baisse et le rythme des audiences et des affaires traitées ne sera jamais aussi lent. Enfin, lorsqu’il est remplacé par François Charles Bourcier, un non-résident, le rythme commence un peu à s’accélérer.
Audiences et affaires traitées à Longué de 1764 à 1785

60Pour les autres officiers seigneuriaux, nous n’avons que peu d’informations pour examiner leur efficacité. Sans doute les procureurs fiscaux ont-ils intérêt à être efficace, tout du moins en ce qui concerne les droits du seigneur, puisqu’ils ont des comptes à lui rendre. Nous pouvons constater aussi qu’ils assurent bien leur fonction de « ministère public » à en juger par les archives criminelles des deux justices73. Quant aux greffiers, les registres d’audience qui sont conservés sont bien tenus. Leur conservation a sans doute plus dépendu des aléas des archives seigneuriales sous la Révolution et au xixe siècle que du soin des greffiers. L’intervention de tel ou tel sergent dans le cours de la justice est certainement liée à son efficacité à exécuter les ordres des juges. Donc lui aussi a intérêt à bien travailler.
61L’efficacité des officiers seigneuriaux n’est donc pas nécessairement liée à leur résidence ou au fait qu’ils soient les officiers d’une seule justice. Elle est liée à des facteurs externes, comme la mentalité des justiciables, ou personnelles, comme leur compétence, leur caractère ambitieux et d’autres choses encore. Enfin, ces officiers doivent être efficaces, sous peine que les justiciables se tournent plutôt vers les justices royales très proches ou encore que leur seigneur ne les destitue, ce qui est loin d’être une vaine menace74.
Les officiers seigneuriaux font-ils carrière ?
62Le cumul des charges et la résidence des officiers seigneuriaux permettent de se faire une première idée de leur insertion dans leur juridiction. Il reste à savoir si le passage par un office seigneurial est une fin en soi ou si ce n’est qu’un début ouvrant vers de plus hautes perspectives. Il est intéressant aussi de se rendre compte de l’attention que portent les officiers à l’égard de la vie de leur juridiction et donc de leurs justiciables.
63Lorsqu’un officier entre en fonction, il arrive très souvent qu’il ait commencé déjà sa carrière ailleurs que dans la seigneurie. Il arrive aussi que lorsqu’il en sort, sa carrière soit loin d’être finie. Les parcours professionnels de ces officiers sont très variés et si certains ne restent que quelques années officiers seigneuriaux, d’autres y finissent leur vie. Les petits officiers sont dans ce cas. Ils entrent dans la justice seigneuriale à un âge plus ou moins avancé sans qu’il y ait pour eux de perspectives d’avancement en son sein. Au mieux, certains passent de l’office de sergent à celui de greffier, en tout cas à Longué. Mais ils ne peuvent espérer monter plus haut. Les offices supérieurs demandent un niveau social et une éducation poussée.
64Les choses sont beaucoup plus complexes pour les magistrats, qui ont à peu près tous le même niveau social et la même formation. Ils sont donc tous susceptibles d’accéder aux plus hautes charges de la justice seigneuriale. Trois types de parcours professionnel se rencontrent à Montreuil-Bellay et à Longué : ceux qui ne font que passer par un office seigneurial, ceux qui commencent par un office seigneurial et ceux qui font toute leur carrière dans les offices seigneuriaux. Nous trouvons les premiers essentiellement à Longué. Ce sont, en général, des officiers royaux ou des avocats des justices royales alentour qui prennent un office seigneurial en attendant de trouver une meilleure situation. Dans ce cas, la justice seigneuriale sert à absorber le trop grand nombre d’avocats des sénéchaussées royales. Ils ne restent dans la seigneurie pas plus d’une dizaine d’années avant de démissionner et de revenir vers les offices royaux. Dans la deuxième catégorie, nous trouvons le plus grand nombre d’officiers seigneuriaux, à Montreuil-Bellay comme à Longué. Leur carrière commence par un office seigneurial après des études de droit. Ayant suffisamment économisé pour acheter un office royal, ils démissionnent de leur charge75. Mais la plupart de ces officiers gardent leur office seigneurial. Quant à la dernière catégorie, ils sont peu nombreux ceux qui n’ont jamais exercé que dans les justices seigneuriales. L’exemple le plus typique est Louis Nicolas Maugeis. À peine sorti de l’université d’Angers où il a obtenu sa licence ès lois, il entre dans la baronnie de Montreuil-Bellay pour être avocat fiscal. Après quelques temps dans cet office, il accède à celui de lieutenant à un âge tout juste raisonnable : 25 ans. Enfin, à la mort de François Charles Dovalle, il devient sénéchal. Une carrière exemplaire, donc, au sein de la juridiction, dont il a gravi les échelons. Mais sait-on s’il a jamais été tenté par un office royal ?
65Les officiers seigneuriaux cherchent ainsi à faire carrière et à s’élever socialement. Mais ce n’est pas dans la seigneurie qu’ils trouvent matière à satisfaire leurs ambitions. Certes, l’office seigneurial n’est souvent pas qu’un seul passage dans la carrière. Cependant la volonté de la plupart des officiers est de ne pas y rester, malgré les nombreux décès en charge que nous constatons76.
Les « Officiers […] rapprochés de leurs justiciables »
66Il paraît évident que seuls les officiers résidants peuvent et veulent s’insérer dans la vie de leur juridiction. Cet intérêt pour leurs justiciables peut se faire chez les officiers de différentes manières. Par exemple, cela peut être tout à fait symbolique, comme se faire enterrer dans l’église paroissiale, ou s’y faire concéder un banc. Mais c’est dans le domaine de la représentation de la communauté d’habitants que les officiers excellent le plus, traduisant ainsi leur influence sociale et leur intégration dans cette communauté. C’est surtout à Montreuil-Bellay que cela est le plus net. Nous voyons d’abord Nicolas Maugeis, choisi pour être le subdélégué de l’intendant de Tours. Il le restera jusqu’à l’érection de cette charge en office. C’est un grand honneur pour lui d’être choisi, parce que les subdélégués sont recrutés ordinairement parmi les officiers des juridictions royales. Antoine Hardouin est choisi comme maire, tout comme le sera plus tard François Charles Dovalle. Plus tard encore, ce sont les nouvelles institutions créées à la veille de la Révolution qui reconnaissent leur représentativité. C’est le cas pour l’assemblée provinciale d’Anjou. Nous y trouvons, en effet, deux officiers seigneuriaux représentant du district de Montreuil-Bellay : Louis Nicolas Maugeis et Jean-Pierre Gain. Cette influence des officiers seigneuriaux sur leur juridiction se retrouve également lors de l’élection des représentants du Tiers-état de Montreuil-Bellay et de Longué à la sénéchaussée de Saumur en 1789. Dans les deux villes, ce sont les officiers seigneuriaux qui président les assemblées et les greffiers y remplissent le même office. À Montreuil-Bellay, Louis Nicolas Maugeis est élu député, tandis qu’à Longué, c’est Claude Alexandre Gallais parmi d’autres77.
De l’importance des officiers dans le travail judiciaire
67Insérés ou non dans leur juridiction, les officiers seigneuriaux doivent y faire leur travail. Tous n’ont pas la même importance dans le cours de la justice. Certains sont des exécutants et d’autres des décideurs.
Les lieutenants et sénéchaux
68Les lieutenants et les sénéchaux sont les juges des seigneurs et détiennent de ce fait la première place dans la justice seigneuriale. La différence entre les lieutenants et les sénéchaux est floue, comme celle entre les procureurs et les avocats fiscaux. Il n’y a pas toujours de lieutenant, mais il y a toujours un sénéchal. Le lieutenant n’est pas à proprement parler un remplaçant du sénéchal, puisqu’ils assistent tous les deux aux audiences78. C’est plutôt un aide pour le sénéchal. Mais ils jugent aussi seuls. Ils ont le droit de connaître toutes les causes qui peuvent faire naître des différends entre les justiciables sur toute l’étendue de la juridiction seigneuriale, tous les crimes commis et tous les différends entre le seigneur et ses sujets. Ils jugent les affaires civiles comme criminelles et sont responsables de toutes les affaires de police (débauche, vagabondage, prostitution, port d’armes). Au civil, ils ont la juridiction sur toutes les causes. Ils ont la possibilité de donner des tuteurs et des curateurs aux mineurs79 et de faire l’inventaire de leurs biens. Au criminel, ils connaissent également toutes les causes et peuvent aller jusqu’à la condamnation à mort80. Dans les affaires criminelles, l’ordonnance royale de 1670 a considérablement amputée leur droit. Il y a des causes que les juges seigneuriaux ne peuvent juger : les cas royaux, les procès où se jugent les intérêts personnels de leur seigneur, ceux qui concernent les nobles et les officiers royaux. Ce qu’ils jugent surtout dans les juridictions seigneuriales de Montreuil-Bellay et de Longué, ce sont des affaires de familles (successions, tutelles et curatelles) et des problèmes de la vie quotidienne (voisinage, bornage des terrains et autres). Ils semblent, au vu de tout cela, essentiels à la justice seigneuriale. Pourtant ils sont aisément remplaçables (et beaucoup plus facilement que n’importe quel autre officier seigneurial), surtout dans ces juridictions où les avocats procureurs possèdent eux aussi fréquemment une licence ès lois. Seul le procureur fiscal ne peut jamais le remplacer, parce qu’il risquerait d’être juge et partie. En général, c’est le plus ancien des avocats procureurs qui prend sa place le temps d’une journée, sans pour autant que cela bouscule le cours de la justice.
Les procureurs et avocats fiscaux
69Les procureurs fiscaux sont établis dans les justices seigneuriales pour défendre et soutenir les droits des seigneurs et ceux des justiciables. Ils ont les mêmes fonctions que les procureurs du roi dans les justices royales, ce sont eux qui composent le « parquet ». Ils sont censés poursuivre les droits et les profits pécuniaires qui appartiennent au seigneur de la justice. Ils s’occupent des causes qui sont entre le seigneur et ses sujets, pour ce qui concerne les domaines, les droits et les revenus ordinaires et casuels de la seigneurie, et même les baux concernant ces droits. Leur sont communiquées également toutes les affaires concernant l’intérêt public dans les limites du ressort de leur juridiction. Il s’agit par exemple de ce qui concerne les mineurs et de la poursuite des crimes. De plus, si les condamnés à des peines afflictives ne font pas appel de la sentence des juges seigneuriaux, ce sont les procureurs fiscaux qui font appel pour eux. À ce sujet, ils n’ont pas le monopole de la poursuite publique et la partage avec les juges seigneuriaux. La délimitation de leurs fonctions avec celles des avocats fiscaux est très subtile. Il semble qu’ils soient les lieutenants des procureurs fiscaux. Cet office n’est pas toujours pourvu. Il s’agit souvent d’un cadeau fait à une personne. Malgré leur fonction de service public, les procureurs fiscaux ont mauvaise réputation. En effet, ils représentent les intérêts du seigneur et sont souvent accusés d’être guidés par eux. Il est difficile de savoir si c’est vrai. Mais d’après les sources qui sont à notre disposition, il semble qu’ils exercent bien leur office et qu’ils assurent un rôle très important dans la justice seigneuriale en protégeant notamment l’ordre public.
Les greffiers
70Les greffiers forment l’axe central de la justice seigneuriale. Ils sont essentiels à son fonctionnement. Le bail de la ferme du greffe de Montreuil-Bellay accordé à Louis Bourgeois en 173481 nous donne une idée des fonctions qui sont celles d’un greffier. La fonction principale de greffier est de recevoir et d’écrire les ordonnances, appointements et jugements de la même manière que les juges les prononcent, sans en changer la substance. Ils font de même avec les requêtes des parties, leurs offres, affirmations, insinuations et présentations. Ils rédigent les expéditions et les délivrent aux parties. Ils sont également les dépositaires des registres et des expéditions de justice. Les greffiers seigneuriaux sont présents à tous les bouts de la chaîne du travail judiciaire. Ce sont eux qui reçoivent les plaintes et ce sont aussi eux qui vont signifier à l’accusé la sentence du juge. Ils représentent la mémoire vivante de la justice seigneuriale, mais aussi la mémoire passée par la tenue des registres d’audience. Le bail insiste sur ce point : les greffiers sont tenus de « remettre en bonne forme aux archives de laditte baronnie de Montreuil-Bellay tous les registres, minuttes et autres actes quy auront esté faits pendant le cours dud. bail, mesme les consignations ». En somme, les greffiers sont les archivistes de la justice seigneuriale.
Les notaires
71Les notaires seigneuriaux ressemblent à s’y méprendre aux notaires royaux, à ceci près que l’office de notaire seigneurial est gratuit. Ils sont crées pour recevoir tous les contrats, les actes entre vifs et les ordonnances de dernière volonté, dans l’étendue de la juridiction dans laquelle ils sont immatriculés, et entre les personnes qui y demeurent. Ils ont les mêmes fonctions que les notaires royaux. Mais, les contrats passés par les notaires seigneuriaux ne sont exécutoires que dans le ressort de leur juridiction, et non ailleurs. En outre, pour que leurs actes soient authentiques, il faut qu’ils soient passés entre des personnes qui sont justiciables et qui demeurent dans le territoire de la seigneurie. Leur place dans le travail judiciaire est minime par rapport aux sergents. Ils n’y sont pas nécessaires. Les juges les appellent assez peu souvent.
les sergents…
72Les sergents sont les agents exécuteurs des décisions des juges. Ils ne peuvent exercer leurs fonctions en dehors des limites de la juridiction seigneuriale et ne travaillent que pour elle. À l’inverse, les sergents royaux peuvent non seulement travailler dans le ressort de leur juridiction mais aussi dans l’étendue des terres seigneuriales comprises dans la juridiction royale où ils sont immatriculés. D’où l’intérêt des sergents seigneuriaux pour les charges d’huissiers royaux. La principale fonction des sergents de cour est de signifier les actes de procédure et de mettre à exécution les jugements qui sont rendus en conséquence. De là, vient la défense qui est faite de recevoir un sergent ne sachant lire et écrire. C’est également lui qui se charge d’arrêter et d’emprisonner les accusés. Il dresse aussi certains procès-verbaux, selon qu’ils en sont ou non autorisés par leurs lettres de provision. Ce sont des agents très importants de la justice seigneuriale. Sans eux, pas de témoins, donc pas de procès. Mais ils ne peuvent pas faire d’enquête, sauf s’ils ont été reçus aussi commissaire. Cependant, leur pouvoir est peu à peu entamé par les sergents royaux. De plus, les juges seigneuriaux ne font pas systématiquement appel à eux et choisissent parfois des huissiers royaux en leur lieu et place.
Conclusion
73Les officiers seigneuriaux de Montreuil-Bellay et de Longué se distinguent les uns des autres de deux manières différentes selon leur office (officiers inférieurs / magistrats) mais aussi, de façon moins marquée, selon le lieu où ils l’exercent. En ce qui concerne le niveau de vie des officiers, les différences s’atténuent entre les deux juridictions, mais restent vives entre les deux niveaux d’office. Elles le resteront pour toutes les parties de leur vie et de leur travail, même s’il s’agit plus d’une différence de moyens que de comportements sociaux et de mentalités. Les officiers seigneuriaux ont des revenus confortables, les inférieurs comme les supérieurs, chacun dans leur mesure, qui leur permettent d’investir pour agrandir leurs biens patrimoniaux et personnels, essentiellement des terres et des offices. Aucun ne semble se risquer vers d’autres voies comme le commerce, les opérations maritimes ou bancaires. Ainsi Louis Nicolas Maugeis, dix ans avant la Révolution, achète une seigneurie, peut-être dans l’espoir d’acquérir un titre d’écuyer. Nous retrouvons aussi cet aspect traditionnel dans les stratégies concoctées par les familles d’officiers seigneuriaux et dans les alliances et les liens de toute sorte qu’elles tissent entre elles. Ces officiers sont des bourgeois, ils en ont le même mode de vie et les mêmes valeurs. Cependant, leur volonté d’ascension sociale est très forte, du sergent au sénéchal. Cette volonté est peut-être si forte qu’elle pourrait justifier tous les reproches adressés aux officiers par rapport à leur travail : rapacité, cumul des charges, absentéisme, non-résidence, lenteur à juger. De toutes ces fautes, une seule est certaine et largement assumée par ces officiers, c’est le cumul des charges. Cependant, cela ne semble pas affecter le cours de la justice. Les juges sont facilement remplaçables et remplacés par des avocats procureurs compétents et qualifiés. Par ailleurs, si certains officiers réussissent à faire carrière dans leur juridiction, c’est qu’ils ne sont sans doute pas si mauvais que cela. De plus, intégrés dans la communauté d’habitants (au moins pour les résidants), ils en sont souvent les représentants avant, pendant et après la Révolution, puisque beaucoup d’entre eux deviennent les nouveaux maires des municipalités. Leurs compétences sont d’ailleurs à ce moment requises et les juges seigneuriaux se moulent sans difficulté dans le système de la justice de paix.
74En somme, soit la critique générale des officiers seigneuriaux n’est pas fondée, soit les officiers seigneuriaux de Montreuil-Bellay et de Longué sont des êtres à part vis-à-vis des critiques qui leur sont généralement adressées. Car ils sont instruits, présents, pour beaucoup résidants, travaillent avec des habits décents et dans des lieux construits à cet effet. Ni plus, ni moins indignes, ils ressemblent en fait beaucoup aux officiers royaux.
Notes de bas de page
1 Antoine Follain, « Justice royale, justice seigneuriale et régulation sociale. Rapport de synthèse », dans Les Justices de village, administration et justice locales de la fin du Moyen Âge à la Révolution, actes du colloque d’Angers Justice seigneuriale et régulation sociale, édités par François Brizay, Antoine Follain, et Véronique Sarrazin, Rennes, PUR, 2002, 430 p. (p. 9-58).
2 Maine-et-Loire, ar. Saumur, ch.-l. c. Même localisation pour Longué, ch.-l. c.
3 Arch. dép. Maine-et-Loire, E 901.
4 Jacques Sigot, Historique des mairies de Montreuil-Bellay, 1622-1989, Montreuil-Bellay, éd. de la Houdinière, 1989, p. 107.
5 Arch. dép. Maine-et-Loire, 16 B 358 (pas d’indications) et 16 B 360, registres d’audiences (actes de procédure donnant les informations).
6 Chanoine Uzureau, « Pourquoi Longué demandait un tribunal (1790) », L’Anjou historique, juillet 1930, n° 159, p. 153-155.
7 Arch. dép. Maine-et-Loire, 2 B 51 à 2 B 53 pour la sénéchaussée de Baugé et 4 B 107 à 4 B 122 pour la sénéchaussée de Saumur.
8 Maine-et-Loire, ar. Angers, c. Thouarcé. À environ 35 kilomètres vers l’est.
9 Arch. dép. Maine-et-Loire, 4 B 107, acte du 2 décembre 1716.
10 Arch. dép. Maine-et-Loire, 4 B 120, acte du 3 septembre 1745.
11 Maine-et-Loire, ar. Saumur, c. Longué.
12 Arch. dép. Maine-et-Loire, 4 B 119, acte d’août 1724 (Locheteau), 4 B 120, acte du 17 septembre 1736 (Gallais) et 4 B 122, acte du 11 octobre 1777 (Delaage).
13 Arch. dép. Maine-et-Loire, 4 B 114, acte du 19 juin 1779.
14 Arch. dép. Maine-et-Loire, 4 B 122, acte du 16 mars 1771. Bourgeuil : Indre-et-Loire, ar. Chinon, ch.-l. c.
15 En ce qui concerne les notaires seigneuriaux, nous avons connaissance de deux réceptions. Pour l’un, le père est un ancien sénéchal de Longué. Pour l’autre nous ne savons rien.
16 En Bretagne, parmi les évolutions du xviiie siècle, la première est la raréfaction des nobles dans le personnel judiciaire seigneurial, alors que la petite noblesse locale était très bien représentée dans les charges de sénéchaux au xviie siècle, cf. Philippe Jarnoux, « Le personnel des justices seigneuriales en Basse Bretagne au xviiie siècle », Les justices de village…, op. cit., p. 297-310.
17 Voir Antoine Follain, « 1784. Procédure judiciaire et nomination d’un sergent en Anjou », ibid., p. 388-389.
18 Arch. dép. Maine-et-Loire, 2 B 53, dossier du 30 avril 1764.
19 Cf. Célestin Port, Dictionnaire historique, géographique et biographique du Maine-et-Loire, Angers, P. Petit, 1974, 3 volumes, article « Montreuil-Bellay », p. 469 (reprint).
20 Antoine Follain, « De l’ignorance à l’intégration. Déclarations, édits et ordonnances touchant la justice seigneuriale aux xvie et xviie siècles », Les justices de village…, op. cit., p. 123-143. Sur la formation des juges seigneuriaux : Frédérique Pitou, La Robe et la plume : René Pichot de la Graverie, avocat et magistrat à Laval au xviiie siècle, Rennes, PUR, 2003, 387 p.
21 François Charles Dovalle est même licencié ès droit civil et canonique, cf. Arch. dép. Maine-et-Loire, 4 B 120, dossier de réception du 3 septembre 1745.
22 Article « Pratique », dans Dictionnaire de droit et de pratique… par Claude-Joseph de Ferrière, Paris, V. Brunet, 1769, tome II, p. 334.
23 Ibid., article « Praticien », p. 334.
24 Étienne Normand, reçu en 1770 en tant qu’avocat fiscal, est, lui aussi, nommé à sa charge d’après sa lettre de provision.
25 Arch. dép. Maine-et-Loire, 4 B 108, lettre enregistrée le 24 juillet 1725.
26 Antoine Follain, « Justice seigneuriale […] rapport de synthèse », op. cit., p. 44-45.
27 Arch. dép. Maine-et-Loire, 4 B 107, lettre enregistrée le 2 décembre 1716.
28 Arch. dép. Maine-et-Loire, 4 B 108, lettre enregistrée le 24 juillet 1725.
29 Arch dép. Maine-et-Loire, 5 E 24/28 à 5 E 24/119.
30 Arch. dép. Maine-et-Loire, C 2333 à C 2375.
31 Arch. dép. Maine-et-Loire, 4 B 110, lettre enregistrée le 1er juillet 1740.
32 Arch. dép. Maine-et-Loire, 16 B 338, lettre enregistrée le 27 janvier 1780.
33 Arch. dép. Maine-et-Loire, 16 B 338, information du 25 juillet 1775.
34 Idem, plainte du 3 juin 1781.
35 Voir Philippe Jarnoux, « Le personnel des justices seigneuriales en Basse Bretagne au xviiie siècle », Les justices de village…, op. cit., p. 297-310 (p. 301).
36 Les cahiers de doléances de ces juridictions n’ont pas été conservés.
37 Arch. dép. Maine-et-Loire, 4 B 108, lettre enregistrée le 24 juillet 1725.
38 Arch. dép. Maine-et-Loire, E 816.
39 Les vacations se rajoutent les unes aux autres pour former un coût judiciaire qui peut paraître excessif à certains. Il est sûr que plus le procès est long et plus il coûte cher. En plus des frais dus aux avocats procureurs, il faut que les parties payent aussi une partie des frais du procès. Nous avons un exemple de ce que peut coûter un procès avec un « état et mémoire pour régler les frais », Arch. dép. Maine-et-Loire, 16 B 347, mémoire de 1748 (presque toutes les pièces du procès sont conservées sous cette cote). Il s’agit d’une affaire criminelle instruite par le procureur fiscal de Longué : presque tous les frais sont à la charge de la seigneurie. De plus, les sommes versées lors de ce procès ne sont pas toutes indiquées. Le montant total s’élève à environ 260 livres pour une procédure d’un peu plus d’un an. Il s’agit d’une somme considérable dans un procès qui n’est jugé qu’en premier ressort. Voir Justice et argent. Le coût de la justice et l’argent des juges du xive au xixe siècle, actes du colloque de Dijon des 8-9 octobre 2004 édités par Benoît Garnot, Dijon, EUD, 2005, 251 p.
40 Arch. dép. Maine-et-Loire, 16 B 360.
41 Voir infra.
42 Arch. dép. Maine-et-Loire, avis de parents du 18 janvier 1773.
43 Camille Charier, Montreuil-Bellay à travers les âges, Saumur, 1913, p. 437-438.
44 Arch. dép. Maine-et-Loire, C 2350, contrôle du 31 août 1734.
45 Arch. dép. Maine-et-Loire, C 2360, contrôle du 12 mai 1755.
46 Arch. dép. Maine-et-Loire, C 2348, contrôle du 29 novembre 1731.
47 Arch. dép. Maine-et-Loire, 5 E 24 / 64, partage en cinq lots des biens d’Étienne Normand du 28 juillet 1735.
48 Compter environ 550 m2 par boisselée.
49 La maison qui est décrite dans l’inventaire après décès de Charles Gallais (Arch. dép. Maine-et-Loire, 5 E 24 / 93, inventaire des 1er, 2, 4 et 5 juillet 1783) est sans doute La Braderie.
50 Arch. dép. Maine-et-Loire, C 2373, contrôle du 8 août 1786.
51 Arch. dép. Maine-et-Loire, C 2370, contrôle du 6 juillet 1779.
52 Soit 11 hectares.
53 Arch. dép. Maine-et-Loire, 5 E 24 / 1756, vente du 16 décembre 1756.
54 Arch. dép. Maine-et-Loire, C 2371, contrôle du 20 janvier 1781.
55 Arch. dép. Maine-et-Loire, G 2142, testament du 3 juin 1685.
56 Idem, acte du 31 août 1715.
57 Le doute est permis, puisque les sénéchaussées royales ne mentionnent pas la réception d’un procureur fiscal entre lui et Charles Jean Delaage. De plus, dans les registres d’audience, lorsqu’il intervient son prénom n’est jamais mentionné et sa signature reste identique pendant toute cette période.
58 Nous le connaissons grâce au testament de Jean Maugeis déjà cité.
59 Arch. dép. Maine-et-Loire, 5 E 24 / 74, contrat de vente du 16 juin 1753.
60 Arch. dép. Maine-et-Loire, G 2142, acte du 31 août 1715.
61 Arch. dép. Maine-et-Loire, C 2341, contrôle du 19 janvier 1722.
62 Arch. dép. Maine-et-Loire, 1 J 1137, mémoire de 1783.
63 Arch. dép. Maine-et-Loire, 16 B 360, avis de parents du 13 mai 1773.
64 Le cumul n’est pas très étendu chez les officiers inférieurs. Cinq greffiers et sergents sur les seize reçus exercent un autre métier que celui dont ils ont été pourvus : celui qu’ils exerçaient avant leur réception et les offices royaux, essentiellement celui d’huissier royal.
65 Maine-et-Loire, ar. Saumur, c. Doué-la-Fontaine. Même localisation pour Martigné.
66 Maine-et-Loire, ar. Saumur, c. Montreuil-Bellay.
67 Nom de seigneurie, localisation incertaine.
68 Ce n’est pas très représentatif puisque le juge qui exerce à ce moment peut être un très mauvais comme un très bon officier. De plus, le sénéchal en fonction meurt au cours de cette année et demie. Nous ne pouvons donner qu’un aperçu d’une année seulement. Sur 40 audiences, le sénéchal est absent quatre fois et le lieutenant une seule fois, c’est un résultat tout à fait honorable.
69 Nous n’avons pas d’information au sujet de la présence des procureurs fiscaux. Quant aux greffiers, leur absence est notée en début de registre si, le jour où il est entamé, il n’est pas là. Mais au cours de ces registres, rien n’est dit au sujet de son absence. En ce qui concerne les sergents de cour, nous ne pouvons pas savoir quel est leur degré d’absentéisme.
70 Arch. dép. Maine-et-Loire, 5 E 24 / 85, désistement du 29 juin 1775.
71 Camille Charier, op. cit., p. 390.
72 Arch. dép. Maine-et-Loire, 16 B 360, sentence du 24 mars 1773 d’un procès de plus de 30 ans.
73 Arch. dép. Maine-et-Loire, 16 B 347, assassinat de Pierre Marais (1746), plainte contre Pierre Leharibel du 3 juin 1781, et E 906, assassinat de François Chevalier (1738).
74 Voir Frédérique Pitou, « 1727. Destitution d’un juge de police opposé à son seigneur », Les Justices de village…, op. cit., p. 378-380.
75 Arch. dép. Maine-et-Loire, 5 E 24 / 85, désistement du 29 juin 1775.
76 Des systèmes judiciaires offrent d’autres perspectives de carrière. Ils comprennent des justices dispersées dans la campagne qui vont jusqu’à une justice seigneuriale « d’appeau ». C’est le cas du comté de Laval étudié par Frédérique Pitou (op. cit.) et celui des duchés-pairies, cf. Jean Duma, Les Bourbon-Penthièvre (1678-1793). Une nébuleuse aristocratique au xviiie siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 1995, 744 p. et « Aristocratie et justice seigneuriale au xviiie siècle », Journées régionales d’Histoire de la justice, Poitiers, 13-15 novembre 1997, Paris, PUF, 1999, p. 53-72.
77 Aucun des deux n’ira à Versailles.
78 Arch. dép. Maine-et-Loire, 16 B 358, registre d’audience de Montreuil-Bellay.
79 Arch. dép. Maine-et-Loire, 16 B 345 : cette côte contient une quantité considérable d’affaires de ce style.
80 Mises à exécution si elles ont été confirmées par des juges supérieurs.
81 Arch. dép. Maine-et-Loire, E 815, bail du 19 mai 1734.
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