La justice sur les grands temporels de Lorraine du sud
De la justice instituée à la justice ressentie
p. 131-158
Texte intégral
« Que l’an […] 1430, le 13e jour dou moix de jung, environ hore de none, en la ville de Saint Diei on diocese de Toul, devant la maison messire Anthone Camus, près de l’eglise dondit lieu, acoustumée que les seignours de Saint Diei sçullent d’enciennetei lour plais bannaulx ; on quel lieu estoyent mesdis seignours de Saint Diei en jugement […], lesquelx seignours commendarent à lour doyen que il amenast par devant eulx Mongote, fille Girardin de Maizelay1. »
1On a déjà beaucoup écrit sur les pratiques judiciaires en Lorraine et ailleurs2. Toujours très courues dans les cercles universitaires en raison de l’abondance des archives disponibles, les études sont en passe d’avoir épuisé la question du fonctionnement institutionnel. Actuellement l’approche tend plutôt à prendre en compte les justiciables, cette masse de population, majoritairement rurale, qui subit plus qu’elle n’assume une justice venue d’ailleurs3. La Lorraine du Sud, où la plupart des seigneuries sont indivises entre les grands chapitres et un duc voué, semble pouvoir permettre d’aller un peu plus loin. La richesse de ses archives autorise à se rapprocher au plus près du justiciable, laissant la possibilité de comprendre comment celui-ci perçoit l’action de la justice. L’objectif de cette réflexion peut être formulé simplement : donner une épaisseur humaine à un sujet très technique, autrement dit le sortir du cadre juridique pour l’insérer dans un vécu historique. Il est servi par une approche duale, chronologiquement située à la charnière du Moyen Âge et de l’époque moderne, avant 1595 en tout cas. Par conséquent, les implications de la justice et leurs conséquences sont envisagées, à la fois, sous l’angle institutionnel et sous celui du justiciable. Bien entendu, le choix archivistique porte en priorité sur des documents qui dévoilent les réactions des communautés d’habitants, plutôt que sur des écrits institutionnels. Nous prenons ainsi le risque de livrer un travail anecdotique mais c’est sans doute un mal nécessaire pour parvenir au niveau de la justice ressentie et éclairer le point de vue du justiciable.
2Relever d’une justice, c’est d’abord avoir conceptualisé un certain nombre de pratiques, de lieux et de symboles significatifs, attachés à un espace contrôlé par le pouvoir banal. La maison franche, certes, fondement d’un pouvoir souvent éloigné et qui remplace l’ancien donjon seigneurial là où il n’est pas ou bien quand il n’est plus. Mais aussi les événements qui rythment le cycle annuel, montres, cris des fêtes et des marchés et, bien entendu, plaids et sièges de justice. Quoique leur fonction significative soit la même, ces manifestations s’adressent tantôt à l’individu, tantôt au groupe. Ainsi, alors que le plaid s’impose à tous les habitants, l’action judiciaire concerne plutôt l’individu en tant que tel, c’est-à-dire extrait des réseaux de la sociabilité villageoise. Pourtant ce serait aussi une erreur de trop les distinguer car le plaid banal n’a que les apparences d’une institution de groupe. Son fonctionnement est justement conçu pour isoler chaque sujet en le plaçant face à des obligations personnelles. Voilà pourquoi chacun est tenu d’y assister et que l’absence est punie d’une forte amende4. D’ailleurs, plaid et siège de justice sont deux implications du pouvoir banal aux objectifs identiques, souvent confondues et qui ont toujours été associées dans la mentalité communautaire. Elles utilisent les mêmes symboles comme le montre l’exemple de la justice de Marzelay en 1430. Les précisions de lieu et d’heure, données par le document, soulignent l’importance sociale d’une justice topique, attachée à une pierre ou à une maison qui garantissent sa reconnaissance par le groupe.
3Même si elle est reconnue, la justice du seigneur est redoutée puisqu’elle rompt les solidarités pour en recréer d’autres à son profit. Pour asseoir un pouvoir central sur un espace éclaté, elle cherche à diviser les communautés en dressant les individus ou les groupes familiaux les uns contre les autres5. La supplique, que Jean Charrier de Coincourt6adresse au duc Jean II, en 1464, montre la réaction d’un justiciable confronté à ce type de fonctionnement. Les circonstances sont les suivantes : Jean Charrier fabrique des roues et il est en train de travailler en présence de son petit-fils de cinq ans, quand l’accident arrive.
« Le huitiesme jour de ce present mois [mars], luy estant en son ouvroir et besongnant de son mestier de rouyer, advint que ung sien filz, filz de sa fille deffuncte et que pour l’amour de Dieu il norissoit, aaigié d’environ cinq ans, voulant recuillier des attalles, estoit derriere ledict Jehan Charrier, son pere, par quoy ne povoit veoir et aussy qu’il ne voit que d’un oeul et si est viel homme de plus de LX ans ; la hache de quoy il besoingnoit luy eschappa et attendit sondict filz en la teste et le blessa tellement que huit jours après, mort s’en est ensuyt ; pour quoy, doubtant la rigueur de justice, c’est absenté dudic lieu et fuy de desoub la seignorie de mondict seigneur ; en laquelle ne seroit retorner si sur ce ne luy estoit extendue notre grace et remission7. »
4Toutes les circonstances paraissent réunies pour que personne ne doute qu’il s’agisse d’un accident et pourtant Jean Charrier a peur des conséquences de sa maladresse. Ce qui ne laisse pas d’interroger : le vieil homme appréhende-t-il tellement « la rigueur de justice » qu’il quitte la seigneurie capitulaire pour celle du duc, encouragé en cela par la possibilité juridique de se contremander8 ? Les renseignements manquent sur les antécédents de cette affaire familiale. Il est possible que Jean Charrier redoute la rumeur publique qui, dans le système judiciaire déodatien, peut le faire condamner. Il est apparemment tuteur de l’enfant de sa fille. Dans cette hypothèse, connaît-il des difficultés particulières qui pourraient l’amener à vouloir se débarrasser d’une bouche supplémentaire ou craint-il que son entourage ne le pense ? La fréquence des infanticides dans les communautés d’habitants de la fin du moyen âge peut le laisser croire9. C’est surtout la réponse du justiciable à la menace institutionnelle qui pose question. La propension à fuir le risque d’une procédure montre que, dès cette époque, l’action judiciaire est bien ressentie comme une contrainte intolérable. Il semble que la mort suspecte d’un enfant laisse peu de chances à un prévenu, surtout s’il connaît des difficultés relationnelles dans sa communauté.
Le système judiciaire
La justice de base de la cour rurale
5Le principe de base veut ici que le prévenu soit jugé par ses pairs. Les débats ont donc lieu en présence de la communauté et des représentants du seigneur qui dispose des droits banaux. Ce peuvent être le prévôt ou le lieutenant capitulaires, selon qu’il s’agit du chapitre de Saint-Dié ou de celui de Remiremont, et le prévôt ducal, bien entendu :
« La coustume de Sainct Diey est quant un malfaicteur criminel, subget de l’église dudict lieu, est apprehendez au corp, qu’on le met au jugement des maires et subgetz de ladicte église ; et ne le jugent jamais autrement que an la grace ou à la volunté de nostre souverain seigneur, monseigneur le duc10. »
6On peut se faire une idée des articulations d’une procédure, à partir de l’affaire Mengeotte Girardin de Marzelay en 1430. L’exemple est d’autant plus intéressant que, largement antérieur à la répression systématique de la seconde partie du xvie siècle, il pourrait correspondre à un schéma originel.
7À ce premier niveau de la justice du village, la procédure est entièrement orale et se fait en l’absence de greffier. Aucune plainte n’est même déposée. Tout repose sur un « bruit » colporté que la justice prend en compte en s’enquérant, auprès des habitants, des « fame et renommée » de l’accusé, expression aussi traditionnelle que redoutable11. Accusée par la rumeur publique, Mengeotte Girardin est contrainte par le doyen de se présenter devant la maison du maire, faisant fonction de maison franche12. La personne qui comparaît ne sait jamais exactement de quoi elle est accusée ni qui l’accuse. C’est au groupe des habitants que revient la responsabilité collective de fonder ce que la rumeur colporte. Pour ce faire, la procédure exige qu’on appelle à comparaître trois fois à quinze jours d’intervalle, hautement et en présence du peuple, ceux qui ont à déposer contre le prévenu. Ce laps de temps laisse à l’accusation la possibilité de s’organiser pour donner corps aux reproches à opposer à l’accusé. Il est sans doute intéressant de rapprocher le nombre des appels de certains concepts ternaires qui caractérisent la procédure du contremand13. Il semblerait que le système juridique ne soit pas seulement chose humaine mais qu’il s’inscrive dans une mystique céleste où la divinité devient partie prenante.
8Dans le cas de Marzelay, le document précise que « nulz alencontre d’icelle Mougote ne c’est comparu et elle at demorei par devant ses dis seignours en jugement tant et si longuement comme il lour at plahu ». La plaidoirie du procureur montre qu’un tel système impose parfois une longue détention, ne serait-ce que pour respecter l’intervalle de temps requis entre les comparutions14 :
« At requis ledit Colin Chains pour et en nom de ladite Mougote en disant : mes seignours, voyey Mougote que vous avez tenue par l’espace de seix sepmaines ou plus en voz prisons et at comparu par devant vous par trois quinzeines en jugement pour preuve droit et pour faire droit à tour ceulx qui rien li voleoyent demender, aux quels nul ne c’est comparu pour aucune chose dire à l’encontre d’elle ; je vous requiert que voz li veullei donner congié pour alei faire sa besongne en telle maniere qu’elle vous puisse servir ainsi comme une preude feme doit servir. »
9Au premier abord, l’attente sans résultat semble prouver un dysfonctionnement de la justice. Ce serait ignorer qu’une communauté rurale cherchera d’abord à régler ses difficultés elle-même, en évitant de les laisser transparaître. La procédure est conçue pour lui en laisser le temps. En revanche, si le conflit menace de déchirer ouvertement le groupe des habitants, l’audience publique jouera le rôle d’exutoire de la violence. Ce sera systématiquement le cas, un siècle et demi plus tard, au moment de la grande répression de la sorcellerie. Par ailleurs, la pratique, qui permet à tout accusateur d’exprimer publiquement sa vindicte, est destinée à éviter que ne s’enveniment médisances ou calomnies. En contrepartie, il peut arriver, comme ici, que nul n’ose affirmer publiquement ce qu’il colportait dans l’intimité des conversations. La communauté fait ainsi l’économie d’affrontements que refuse, par définition, la socialité. Dans un tel cas, le non-lieu est immédiatement prononcé : « Lesdi seignours ont licenciée et delivrée ladite Mougote franchement et liberalement de touz cas dont elle peust avoir estée encusée ou suspeccinée on temps passée. » Une telle formule, concernant qui plus est une femme, laisse penser à une accusation de sorcellerie avortée.
10Le premier et le seul procès-verbal écrit émanant d’une cour rurale, que nous ayons trouvé, date de 1541. Il concerne une accusation de sorcellerie et appartient aux archives du chapitre de Remiremont15. Son intérêt est de bien différencier la justice qui peut être rendue lors du plaid banal de la haute justice relevant du buffet seigneurial. Les faits sont simples : une femme se plaint qu’un de ses voisins, Nicolas Parmentier, l’a traitée de sorcière en l’accusant d’avoir fait mourir son mari par la même occasion :
« Vray que ung jour passé ladicte Catherine, acteresse vint à maire de madame la secreste et feit ung plaintif d’aucune parolle que ledict Jehan Parmentier luy avoit dict en chosant [se disputant] et batassant ensembles ; ledict Nicolas, deffendeur, sen faire refreschir [rappeler] ledict plaintif en bencha l’amende16 en plait banny […], alleguant qu’il ne la tenoit teulle qu’il avoit dict les parolles ains la tient pour femme de bien17. »
11Des extraits sont placés dans les pièces justificatives en raison du double intérêt de ce document. Il permet de saisir le fonctionnement d’une justice de base arrivée à maturité et peut être considéré comme le point de départ de l’emballement judiciaire de la fin du siècle. L’oralité de la procédure apparaît bien, au même titre que son articulation en trois temps. Le premier, appelé conseil, veut que les parties se présentent devant la maison du maire où se tient la cour rurale, composée des élus annuels du plaid banal, le maire, son échevin et le doyen. Après avoir évoqué la matière du procès, chaque plaideur peut demander conseil et obtient à cette fin, l’ajournement de l’audience à huitaine. En cas de besoin, ces ajournements peuvent se répéter plusieurs fois pour permettre à d’éventuels témoins de formuler leurs griefs. La procédure, qui utilise l’effet de publication, encourage ainsi la rumeur à se préciser. Le second temps est celui de l’appointement en droit où les parties font valoir leurs arguments juridiques et peuvent se faire représenter. À ce stade, l’audience peut être conclue par un agrément, c’est-à-dire un compromis. Dans le cas contraire, on consulte les bonshommes ou les prud’hommes, formés de la meilleure et plus saine partie de la communauté. Dans la mesure où cette expression désigne le clan qui a les faveurs du pouvoir, l’appointement se résume en fait à un affrontement entre groupes rivaux. Le prononcé du jugement réunit finalement les semblants de l’échevin et des bonshommes18
L’échelon supérieur des tribunaux déodatiens
12Le semblant est une sentence locale qui est, par définition, susceptible d’être révisée en appel soit par le buffet seigneurial, soit par le tribunal ducal du Change19 à Nancy. Défendeur ou acteur atteignent l’instance supérieure avec le tribunal de la Pierre hardie à Saint-Dié. Ancrée dans un imaginaire ancestral20, cette institution est habilitée à rendre une justice à plusieurs niveaux. Elle est de première instance pour les habitants de la Saint-Dié capitulaire21 et pour les affaires criminelles de Coincourt, Moyemont22 et Verdenal23. C’est un tribunal d’appel pour toutes les autres affaires et communautés du temporel capitulaire.
13Le tribunal déodatien est présidé par le sonrier24, assisté du maire et du doyen et contrairement à ce qui se passe dans les cours villageoises, les débats sont toujours consignés par un greffier. Ils ont lieu tous les lundis plaidables, suivant une procédure qui rappelle beaucoup celle du plaid banal. Après que la cause a été démenée et suffisamment contestée, le maire fait élection d’un échevin chargé de rapporter fidèlement le semblant de tous les bourgeois présents ainsi que le sien25. Dans le cas d’une procédure en appel, les plaideurs font le déplacement à Saint-Dié avec l’échevin de leur mairie et quelques bonshommes de la communauté, aptes à témoigner du contenu de l’appointement. La rédaction de la coutume de Clefcy26, au xviiie siècle, est très précise sur le fonctionnement de la Pierre hardie. Si quelques difficultés et contradictions interviennent entre les parties sur l’interprétation de leurs droits, elles doivent être rapportées de mémoire par la justice du lieu et ses assistants ou par une partie de ceux qui étaient présents au moment où les droits de chacun ont été approuvés27.
14Le dernier niveau de la justice capitulaire est le buffet qui est présidé par le grand prévôt, assisté de l’ensemble des chanoines. À notre connaissance, aucune des archives de l’époque concernée ne le montre saisi pour des causes roturières, même possessoires. Pourtant il est, en principe, l’instance d’appel des jugements de la Pierre hardie pour les habitants de la Saint-Dié capitulaire. On sait cependant que, dès le milieu du xvie siècle, les sujets prennent l’habitude, en toute illégalité, d’adresser leurs appels à Nancy.
15Avant 1595, l’organisation de la justice ducale reproduit le système capitulaire, tout en insistant davantage sur le caractère collectif de l’audience28. L’accusé est conduit devant les maires et tous les sujets des communautés relevant du duc auxquels s’est joint le maire du chapitre. La présence de ce dernier rappelle que le duc est l’avoué des chanoines. Comme pour le plaid, les sujets sont tenus d’assister à l’audience seulement si on leur en a signifié le jour et l’heure. Le greffier fait une lecture publique de l’information à propos de laquelle les maires et les bourgeois donnent leur semblant qui est ensuite rapporté et lu à haute voix par un échevin29. La responsabilité de la procédure est du ressort du prévôt ducal et l’échevin est choisi, pour l’occasion, par son lieutenant parmi les sujets présents à l’audience. Ce schéma est aussi applicable à tous les procès de sorcellerie dont la connaissance appartient à la justice régalienne. Par conséquent, l’appel doit toujours être porté devant le tribunal nancéien du Change qui se spécialise dans les sentences criminelles au cours du xvie siècle.
Le jugement par contumace
16Cette forme de procédure s’entoure de multiples précautions qui assurent son efficacité dans une région d’entre-deux. La tentation est toujours grande pour un accusé de quitter les lieux avant d’être appréhendé, comme le montre l’affaire Jean Caspart en août 1559. Une information, rare pour l’époque, est ouverte contre ce dernier à la suite d’un meurtre. Bien que précipitée, elle respecte le schéma normal d’une instruction en seconde instance devant la justice du chapitre. C’est donc le maire de la Saint-Dié capitulaire qui doit s’en charger et non celui de la communauté d’origine. Des instructions très précises lui sont adressées par le procureur, preuve que le cas ne se présente pas souvent. Elles détaillent les obligations inhérentes à ce type de procédure. Seul un résumé des différents items est donné ici :
« Faire et parfaire son procès le plus tost que l’on pourra ainsy que en tel cas est accoustumé.
[Le maire de Saint-Dié doit s’en occuper], au lieu où il a accoustumé en semblable matiere et à ung jour de siège de justice, y convoquant les maires du Val de Sainct diey et adjournant le plus de gens qu’il pourra.
Publier que les enquestes sont estées faictes telles que par certains tesmoings ledict Caspart est grandement chargé d’avoir commys ledict meurtre et pourra faire lire la deposition des tesmoings.
[Le prévenu est déclaré absent au quatrième appel].
Sentencier (selon l’advys de sa justice et des bonshommes) ledict Caspart comme s’il estoit present ; il n’est besoing pour ce faire esfigie qui represente ledict Caspart.
[La sentence est envoyée aux échevins du Change pour prendre leur avis].
Il ne fault differer de vendre les bledz et avoines à qui plus et prendre instrument du tout.
Il ne fault vendre la confiscation jusques à la confection de tout le procès mais ce pendant se fault tenir saisy de tout son bien.
Le procès parfait et renvoyé par de çà, l’on pourra vendre plus asseurement et à plus de prosfict ladicte confiscation ; allors aussy l’on distinguera les biens de l’enfant de ceulx qui sont confisquez.
Cependant se fault enquerir par tous les tabellions tant de Sainct diey que d’ailleurs sy ledict Caspart s’a point faict approprier les biens de sa feue femme.
Il ne fauldra entrer en paye de debtes qu’elles ne soyent bien congnues et verifiées car en tel cas touttes simples cedules sont suspectes et toutes debtes doibvent estre examinées rigoureusement.
Après que la confiscation sera adjugée à messeigneurs fauldra faire admonester ez eglises sur peines d’excommunications tous ceulx et celles qui ont, tiennent et recellent aulcuns biens dudict Caspart qu’il les ayent à rendre et declarer à ceulx qu’il appartient30. »
17Les modalités de l’instruction poursuivent deux objectifs. Le premier est d’empêcher que l’accusé ne bénéficie des appuis de sa parentèle et surtout de lui interdire toute possibilité de réinsertion dans son clan. On demande, par exemple, à quelqu’un faisant partie de son réseau de relations « sy ledict Jehan Caspart luy a poinct prié ou fait prié de solliciter d’avoir sa grace et achepter sa confiscation31 ». Cette requête souligne également le second objectif qui est de permettre au chapitre l’acquisition des biens du condamné aux meilleures conditions. Ceux de Jean Caspart sont importants puisque la vente a rapporté mille francs, auxquels s’ajoute pour l’acheteur l’obligation de payer les dettes « en quelle sorte on les puisses dire, nommer et specifier aux servans et servantes et tous autres ouvriers dudict Jehan Caspart32 ».
18En cas d’absence du prévenu, les modalités de l’appel à comparaître sont définies par une formule intéressante à relever. Il doit se faire « par les carrés et rues plus frequentables [fréquentées] du villaige33 ». Le mot village, désignant un espace géographique, est ici préféré à celui de communauté dont la signification est juridique. Ce ne peut-être le fait du hasard mais plutôt celui d’une volonté d’emprise de la justice sur le ban. L’absence est juridiquement constatée à partir du quatrième cri et le seigneur obtient alors le droit de s’approprier les biens laissés vacants. On peut avancer une hypothèse sur la signification de ce qu’il faut bien appeler un rituel : le nombre des appels correspond aux quatre points cardinaux. La voix du sergent couvre symboliquement l’espace communautaire, rappelant, à la fois, le rôle privilégié de la communication orale et les fondements d’une procédure calquée sur l’imaginaire du verbe34. Par ailleurs, les formalités, qui utilisent la dénonciation, sont destinées à éviter que le prévenu ne puisse trouver refuge quelque part35. Il faut aussi empêcher que la justice du duc ne soit saisie en appel par sa famille ou ses amis. Ici que les intérêts économiques du chapitre ne soient affectés par les menées du clan Caspart. L’importance de la parole est une nouvelle fois soulignée. C’est de vive voix et publiquement, à l’occasion du prône dominical, que la parentèle est admonestée pour ne pas prêter son concours au condamné. C’est encore à haute voix que, quelque temps auparavant, Nicolas Parmentier a dû faire amende honorable des injures qu’il avait proférées contre Catherine Demenge. Toute cette symbolique judiciaire a pour but de marquer les esprits d’individus profondément imprégnés par une civilisation de l’oral.
La justice ressentie
L’accusé, sa communauté et sa famille
19L’organisation de la justice généralise le modèle du plaid banal. Ce constat ne permet pas de conclure que la procédure prend ainsi un caractère rassurant pour l’accusé, extrait de sa communauté. Le départ pour la cité capitulaire est toujours traumatisant pour le villageois qui quitte ses appuis communautaires. Les exemples ne manquent pas, où l’on accompagne de conseils les parents, surtout si leur cas relève d’une procédure criminelle et que se profile le spectre redoutable de la question sous la torture. C’est ainsi que Méline, une habitante de Moyemont, « émue de pitié », voit partir Barbon et Colas Willermin, au mois d’août 1570. Les deux amants sont accusés du meurtre de leur curé :
« Il est vray que les veantz partir, esmeue de pitié, veant ledict Colas, son porrent, elle leur cria : taisez vous, enffans, ne vous en soulciez point ; maintenez votre point et vous n’en pouvez mal, Dieu vous aiddera36. »
20L’instruction est menée à l’endroit où est détenu le prisonnier qui reste à la charge de sa communauté. En 1585, les interrogatoires de trois femmes de La Neuveville37 ont lieu à Raon-l’Étape où elles sont détenues. il est toujours prévu une indemnité pour le maire et le doyen de la communauté d’origine « qui les ont soulagez et portez à boire et manger durant ledict temps [du 24 avril au 8 juin, soit 42 jours] depuis ladicte Neufville audict Raon où elles estoient incarcerées38 ». L’obligation d’assistance de la part d’une communauté à l’un de ses membres en difficulté est transposée ici au système judiciaire. En prison, la contrainte alimentaire reste cependant importante, puisque le prix d’un repas est de « sept gros pour chacune bouche » pour les gens de justice, alors que pour les prisonnières il « est à raison de chacune deux gros par jour39 ».
21Lorsque la famille de l’accusé est aisée, il est admis et fréquent qu’elle apporte de la nourriture à son prisonnier, voire qu’elle le fasse transférer à ses frais du cachot au poêle40 du doyen. On arrive alors à trouver des comptes surprenants pour un regard moderne. C’est le cas de ce document intitulé « despences soustenues par Demenge Gravisse devant que Laurence, fille Jehan Colin Paris a estée detenue, tants à la prison que on pale du doyen » et qui date de 1558. Il constitue par ailleurs une référence économique intéressante :
« Entrée de la prison, 5 gros. Le palle du doyen, 5 gros. Droit de 32 journées qu’il a heu en charge ladicte Laurence à chacun 2 blans, 6 gros. Droit de 13 journées que ladicte Laurence durant qu’elle a estée en prison tant pour pain, vin, char, qu’autres viteilles [victuailles] à chacun 6 gros, 6 F. Plus oultre pour les despences de 19 journées de ladicte Laurence et la femme qui l’asistoit tant pour pain, vin, qu’autres viceilles à chacun jour 12 gros, 19F41. »
22L’aide du clan familial prend souvent des voies délictueuses, comme le montre la suite de l’affaire du curé de Moyemont. Une lettre du chapitre, datée de 1571, informe le pouvoir ducal du blocage du système judiciaire, provoqué par le refus du prévôt ducal d’exécuter la condamnée42 :
« Ce neantmoins estante depuys dix ou unze moys detenue en leurs prisons une paouvre fille chargée et convencue de meurdre commys en la personne du feu curé de Moyemont, son maitre et depuys quatre ou cinq moys condempnée à la mort par lesdis Srs eschevins [du tribunal central du Change] ; auroient lesdicts orateurs faict debvoir de la faire presenter au prevost dudict Saint Diey pour la recepvoir comme de coustume [pour l’exécuter], ayant esgard que par sa longue detention elle est tumbée en infirmité et desià par plusieurs fois en danger de perire es prisons43… »
23La durée exceptionnelle de la détention n’est pas seulement due aux atermoiements du prévôt. La jeune femme est enceinte au moment de son emprisonnement et la justice doit attendre l’accouchement pour pouvoir exécuter la sentence44. Malgré ses infirmités, Barbon parviendra pourtant à s’évader des culs-de-basse-fosse de la tour Mathiatte dans des circonstances rocambolesques. On ne peut résister à l’envie de citer le document qui témoigne de la richesse descriptive de certaines pièces d’archives. De même les conditions de détention sont parfaitement décrites :
« Barbon, jadis servante au feu curé de Moyemmont, estant detenue prisonniere ayant les fers aux deux pieds en ladicte tour, attachée à ung anneau de fer estant en la muraille, seroit eschappée, la nuicte precedante, desdictes prisons ; avec ung aultre malfaicteur nommé Colas Galwar, de Belmont en la prevosté de Bruyeres, estant au fond de fosse de ladicte tour, ayant les fers es deux pieds comme les susdicts officiers afferment ; seroit esté trouvé que ladicte Barbon aueroit rompus la serrure de ses fers et prins une vieille sarge et coustre [coutil sergé] qu’on luy avoit donné pour couverture, ad cause que par sa longue detention d’environ ung an prisonniere, elle seroit devenue enflée et malade, comme l’on dit ; lesquelles hardes serge et coustre estoyent dessirez [déchirées] et rompus par longues pieces et nouuées ensemble par plusieurs noudz ; sans aultres ruptures, ny fractions, ny ouverture de portes et serure, sinon une planche qu’estoit levée du sollier [plafond] et lieu où estoit ladicte garse sur le fond de fosse ; par où ledict Colas monta en hault avec elle et de là y avoit une piece de boix du marnaige [charpente] de ladicte tour en forme d’ung trab [en contre-fiche] pour monter sur le second estage de ladicte tour ; lequel boix estoit dressé à la muraille, puis estoyent lesdictes hardes ainsy nouuées, pendantes au dehors de ladicte tour, en bas vers les barbiscanes, parmy une petitte fenestre joingnante un toit et plus hault lieu de la muraille d’ycelle tour ; par où l’on estime de vraysemblable qu’ilz s’en allerent et en telle maniere eschaperent d’icelles prisons subtillement, sans aulcunes ruptures ou ouverture des portes, desquelles ledict Pety Richard, doyen auroit les clefz en garde45. »
24L’autre malfaiteur en question est Colas Willermin qui, contrairement à Barbon, n’a pas été repris après sa tentative de fuite46. Il semble difficile qu’une telle évasion puisse réussir sans la complicité de l’un ou l’autre des gardiens. La complexité du plan suivi laisse aussi supposer l’aide de la parentèle et la précision de la description, un alibi préparé d’avance. C’est pour cette raison que le rapport précise que les clés sont entre les mains d’une personne réputée sûre. Pourtant, lors des difficultés du plaid banal de Moyemont en 1560, la famille Richard s’était illustrée par son opposition au pouvoir capitulaire et ses préférences pour celui du duc47. C’est cette solidarité clanique, très perceptible ici, qui est l’un des moteurs de la répression de la sorcellerie.
L’individu confronté au procès de sorcellerie
25Dans une procédure criminelle – et la sorcellerie est un crime –, ce sont toujours les officiers de la mairie qui forment les gens de justice. Le sorcier est donc jugé par une cour rurale dont les membres, qui n’ont pas de connaissances précises en matière de droit, sont obligatoirement parties prenantes dans les faits reprochés. Pourtant ces gens ont la responsabilité d’une instruction qui dure, en général, de six à huit semaines. L’ordre des différentes phases de la procédure est toujours complexe à saisir, dans la mesure où les pièces ne sont pas classées chronologiquement car il s’agit d’abord de documents comptables. C’est, par exemple, toujours l’information qui se présente en premier car elle est la plus taxée. Élaboré avec rigueur, le document raonnais de 1585 précise parfaitement le déroulement d’un procès de sorcellerie.
26La coutume prévoit que le maire agisse de son propre chef, s’il y a flagrant délit ou dénonciation au sein de la communauté d’habitants. La plupart du temps, le déclenchement de l’action judiciaire est souvent le résultat d’une dénonciation lors d’un précédent procès, d’où l’effet de concaténation qui caractérise ce type d’affaire. La justice peut aussi être saisie par la constitution d’une partie formelle, pour laquelle un particulier ou une communauté envoient une plainte au procureur d’office. Cette procédure est très fréquente, bien qu’elle engage les moyens économiques de son utilisateur. L’engagement financier remplace l’effet de publication qui, à l’origine, garantissait des accusations fausses ou trop légèrement fondées. Un témoignage concernant une femme qui a voulu porter plainte contre une rivale confirme cette approche :
« Elle estoit quasy sur le poinct de la faire apprehender, fut neantmoings dissuadée de ce faire par ses voisines, habitans du Haillieule48, qui luy dirent qu’elle y exposeroit peult estre son bien49. »
27Le procureur requiert alors des gens de justice l’ouverture d’informations préparatoires. Il s’agit d’un aménagement de l’audience publique traditionnelle où les témoins sont entendus hors de la présence de l’accusé. Le secret du huis clos a pour but de favoriser les témoignages et d’éviter l’absence d’accusateurs, comme dans l’exemple de 1430. Ces informations peuvent nécessiter des déplacements où l’audition de témoins étrangers à la communauté. C’est le cas en 1585 où il « fut question envoyer à Magnieres50 où ladicte Catherine avoit faict aultreffois sa residance pour informer de ses conversations où le maire de ladicte Neufveville et clerc juré furent envoyez ».
28À partir des témoignages ainsi recueillis, le procureur décide la prise de corps dans ses requises, non sans avoir pris l’avis du Change : « Entendu l’advis de mesdictz sieurs du Change, lesdictz officiers, dès le 24e apvril 1585, font apprehender et emprisonner les dictes accusées pour les oyr et former leur procès. » De multiples considérations peuvent influencer ou précipiter la décision initiale du procureur d’office. La rumeur publique « qui ne pouvait plus supporter un si grand scandale », selon l’expression consacrée, est à mettre en bonne place. Une demande précise de la communauté invoquant la nécessité d’un ordre moral est aussi toujours prise en considération, puisqu’elle justifie la finalité de l’exécution publique.
29La « formation du procès » aboutit à la rédaction de l’information préparatoire. Le futur inculpé sait qu’il est victime d’une procédure car il subit les quolibets et les brimades d’une communauté à laquelle il n’appartient déjà plus : « Il voulut payer [son pain] audict deposant mais il ne le voulut recepvoir, l’appellant tousiours larron et puisque l’on ne l’avoit peu brusler, il le falloit pendre51. » S’il n’a pas d’appuis ultramontains qui lui permettent de fuir vers les seigneuries alsaciennes des Ribeaupierre, son angoisse ne cessera de grandir jusqu’au mardi qui est le jour habituel des arrestations. Il existe quelques témoignages terribles sur la détresse morale du futur inculpé :
« Dimanche dernier, sur le soir, ledict prevenu estoit avec luy, auquel il dit qu’il se doubtoit de son apprehension, n’en attendant que l’heure et s’en vouloit retourner au logis afin d’estre prest le matin sy on le devoit querir ; cependant il fit une question, sçavoir sy les sorciers non executés par justice estoient point dampnés ; ce qui luy fut confirmé pour veritable par luy deposant ; à quoy il replicqua qu’il failloit doncque faire penitence et endurer le supplice, dont et de quoy ledit deposant tira argument qu’iceluy n’estoit doncque pas trop net dudit crime52. »
30On comprendra que l’appréhension de l’arrestation ait un impact psychologique encore plus important s’il s’agit d’une seconde inculpation. Un mari confie à sa femme que s’il était pris une nouvelle fois et soumis à la question, il ne pourrait pas le supporter. Cet aveu montre que céder à la question constitue une grave menace pour le reste de la famille. L’épouse n’ignore pas que, sous la douleur de supplice, son mari peut avouer n’importe quoi, y compris une participation collective au sabbat. Il ne reste plus aux parents ou aux voisins qu’à persuader l’intéressé d’avouer ce dont on n’est jamais sûr qu’il ne soit pas :
« Dimenche et lundy dernier, ledit prevenu eut beaucoup de parolle avec elle touchant sa future apprehension ; sur laquelle la deposante le consoloit, l’exhortant de faire son salut en ce monde et que c’estoit peu d’endurer la mort qui n’estoit que comme un vent d’oiseau ; sur quoy il dit que le diable se mectoit en beaucoup de guise pour nuire aux personnes, qu’il endureroit beaucoup mais qu’il ne diroit pas qu’il soit sorcier d’aultant qu’il ne l’estoit pas, disant à Dieu au partir du logis ; dit que l’on veroit s’il retournoit et qu’il vailloit mieux faire penitence en ce monde et qu’il n’accuseroit personnes pour complices, d’aultant qu’il n’estoit sorcier53. »
31Difficile d’ajouter quelque chose à l’épaisseur humaine de ce témoignage, si ce ne sont les doutes que le système a fait entrer dans les esprits. Il ne reste plus qu’à tout quitter comme ces trois habitants de Pexonne54, « lesquelz se seroient rendus fugitifz, abandonnant tous leurs meubles meublant, pasturantz, grains fourages et immeubles et ne scayt on ce qu’ils sont devenus55 ». En revanche, le système judiciaire oblige l’accusé qui veut se défendre à entrer dans un engrenage sans fin. Cela se voit surtout en fin de période dans des régions, comme la principauté de Salm, où la répression a longtemps perduré :
« Ledit Claudin Le Clerc [l’un des trois fuyards] ayant feinct de vouloir se rendre partie formelle contre ledit Martin Lhoste aux fins (à ce qu’il disoit) qu’estant par iceluy accusé d’estre un de ses complices, ceste accusation ne puisse porter coup ; non plus que celle de Demenge, son fils à laquelle il a constamment persisté sans aucunes variations, contrainctes, ny inductions de qui ce soit, mesme par devant nous [gens de justice], y estant appellé à cest effect56. »
32Nous pressentons ici les dysfonctionnement d’une justice trop bien adaptée au donné social. La précaution, soulignée par la parenthèse, montre que les gens de justice ne sont pas dupes et qu’ils considèrent avec réticence l’enchaînement des accusations. L’expression sans aucunes variations en arrive même à fonder la preuve d’innocence dans un système juridique qui ne parvient plus à contrôler les effets d’une rumeur versatile.
33Quand ils n’ont pas les moyens de supporter les frais d’une procédure contradictoire, les accusés se résignent à l’idée de la souffrance rédemptrice. On finit par admettre qu’il faut faire pénitence et endurer le supplice. D’autres, lassés par les pressions de leur voisinage et les quolibets, se livrent d’eux-mêmes comme cette Jeannon George que toute sa communauté traite de sorcière, en 1599. Elle non plus n’a pas la possibilité de risquer sa fortune en demandant réparation à ses accusateurs par voie de justice. Elle se résout alors à l’impensable :
« Que mardy dernier, estant assistée dudict son marit, se seroit addressée ausdicts sieurs venerables en leur requis qu’ilz fassent faire information contre elle ; à cette fin qu’une fois pour touttes elle soit purgée d’une des façons ou de l’aultre57. »
34Quel désarroi dans la requête de cette femme, marquée par l’incompréhension de ce qui lui arrive ! Quelle détresse dans son acceptation d’une mort quasi certaine qui la délivrera ! C’est une décision de couple et comme dans tous les grands moments de son existence, elle se fait accompagner par son mari. Par ce moyen, le couple cherche à contourner les effets pervers du code de l’honneur. En effet ne pas engager de demande en réparation à la suite d’une accusation publique est une attitude qui peut influencer la décision du procureur. Une autre prévenue, Colette Bertrand, le sait aussi bien que Jeannon et elle tente de justifier son attitude par des amitiés inconstantes. Le prétexte montre bien la perturbation sociale, provoquée par un système judiciaire qui s’emballe :
« Sy elle fut advertie qu’il avoit lasché telles paroles contre elle et sy elle ne le poursuivit pour en avoir reparation ?
A dict qu’elle en fut assé advertie mais comme son marit et elle en penserent tirer la raison et l’en poursuivre à toutte rigueur, ayans faict devoir d’informer et s’enquerir sy la chose estoit vraye qu’il eut usé de tels propos contre elle, ceulx à qui elle l’avoit ouy dire la desnierent ; que fut cause qu’elle n’en peut avoir autre radresse et ainsy demeura le tout à son grand regret, dont elle en a plusieurs fois jecté des larmes58. »
35Le risque est donc bien réel de se retrouver soi-même accusé dans une information secrète, à la suite d’un simple témoignage sur un comportement jugé déshonorant par le groupe.
36L’avis du Change connu, les officiers font appréhender et emprisonner l’accusé pour l’entendre et mettre en forme son procès. C’est le quatrième stade de la procédure criminelle. L’instruction est conduite à partir de l’information préparatoire. Elle commence par l’interrogat qui est un moment pénible pour le prévenu. Celui-ci est interrogé sur des faits dont il ne connaît pas l’origine, qui n’ont jamais existé ou dont il n’a plus souvenance parce qu’ils ne l’ont pas frappé. Il connaît vaguement la teneur des questions qui lui seront posées car elle lui est parvenue par la rumeur. Cet interrogatoire est suivi du récolement des témoins et de leur confrontation avec l’accusé. Les juges mettent tout en œuvre pour obtenir des aveux, de la pression psychologique à la torture. La durée de l’instruction ne dépend que de la résistance de l’accusé.
37Les justiciables ne sont pas dupes d’une procédure qui ne leur laisse aucune chance de défense. Il existe même une sorte de solidarité entre ceux qui, appartenant au même groupe, ont échappé à une condamnation. On prodigue des conseils d’expérience à celle qui va être arrêtée : « Il ouyt iceluy dire à sadicte mere que quant on luy confronteroit quelque tesmoing qu’elle dise qu’ils n’estoient gens de bien aultrement que l’on adjousteroit foid et creance à leurs deppositions59. » Un avis de 1602, émanant du Conseil nancéien à la suite d’une mise en cause de témoins par un accusé, éclaire le sens donné à l’expression reprocher les témoins et sur les conditions de validité de l’opération60. L’opération est bien aléatoire et laisse peu de chance à celui qui veut la tenter. Ainsi un témoin ne peut être reproché parce « qu’il a eu autrefois son bon sens altéré », à partir du moment où il est reconnu sain d’esprit lors de la confrontation. Dans le même ordre d’idées, l’accusation peut aussi produire un témoin « qui a [seulement] des intervalles de lucidité ». Au contraire, en dehors du cas d’une accusation antérieure pour un crime semblable qui invaliderait automatiquement la déposition, un témoin peut être reproché s’il a la réputation d’être malhonnête ou voleur. Encore l’accusé doit-il être capable de le prouver, dans la mesure où pour cela il ne faut pas qu’il ait lui-même eu, un jour, maille à partir avec son accusateur. Ainsi le témoignage conservera sa validité même si l’inculpé confesse, par exemple, « qu’il était sujet à s’en plaindre parce qu’il avait abusé de sa femme » ou s’il a contraint le témoin à lui rembourser une dette pour laquelle « il s’était porté caution ». La justice considère qu’un différend personnel est de nature à invalider le reproche mais non pas le témoignage. On ne peut pas non plus reprocher un témoin qui a été banni « sans s’offrir de le vérifier et sans s’informer de la cause de son expulsion ». La conclusion donnée par le document montre qu’il n’existe, en réalité, aucune possibilité d’échapper au piège du procès criminel, dans la mesure où « une fois tous les témoins reprochés, il en restera suffisamment d’autres pour le condamner à subir la question ». L’impression dominante est bien celle d’une justice qui encourage la dissolution des liens de solidarité et qui cherche à isoler l’accusé en laissant la vindicte communautaire le charger. L’individu est plus que jamais seul quand on le présente au maire de la communauté.
Peur de la prison, crainte de la mort
38Malgré ce qui a pu être écrit sur l’insensibilité de ruraux habitués aux privations et à la douleur, la peur de la souffrance et de la mort est bien présente61. Elle accentue les angoisses nées des incertitudes de la procédure. Comment pourrait-il en être autrement ? Nous avons choisi deux exemples de ces angoisses qui concernent des personnes et des époques très différentes : celui de Noël des Aulx, un homme de quatre-vingts ans, qui s’est apparemment suicidé en prison, en octobre 1581 et celui de Barbon Demengeon, en 1615. Cette dernière appartient à une famille riche et elle est âgée de trente ans. Elle subit les conséquences d’une expérience accumulée par quarante ans de procédures pour crime de sorcellerie, alors que Noël des Aulx les inaugure.
39Le 22 octobre 1581, les « veuve et petits enfants de feu Noël des Aulx » envoient une supplique « à monseigneur de Metz, lieutenant général pour Son Altesse pendant son absence de ses pays ». Ils acccusent le maire du chapitre d’avoir infligé une trop longue détention à leur mari et père, accusé de sorcellerie. La lettre caractérise tout à fait l’approche que la population du xvie siècle a de la question62 :
« Depuis deux ou trois mois encea, lequel Noel sans occasion ou poursuytte de partie formelle auroit esté apprehendé par le mayeur dedicts sieurs audict lieu et tout aussy tost reduict et mis en une tour et fond de fosse, le chargeant d’estre sorcier ; et pour venir aux fins de le convaincre de tel crime, après avoir ouys telz personnaiges que bon luy auroit semblé et detenu ledict paovre homme en une cruelle et estroicte detention de sa personne, luy auroient enfin faict donner par plusieurs et diverses fois la gehenne et torture par le maistre des haultes œuvres au propre jour de Nostre Dame derniere ; et avec telle inhumanité et vehemence que pour le jour d’icelle l’aiant soufferte et endurée constamment pour se sentir du tout innocent de telle et sy malheureuse charge et imposition, il seroit esté rendu mort et combien il ne fut par sa confession ny aultrement convaincu dudict crime ; furent encor de plus agités de douleurs, regretz et tourmentez de veoir, qu’au bout de quattre ou cinq jours après la mort dudict marit et père, le paovre corps d’iceluy fut ignominieusement par l’escorcheur de la ville mené et enterré en terre prophane ; et non moings que sy la peine de ladicte question, voire de la mort, n’avoit esté suffisante pour rendre conver tous indices que s’eussent peu presuposer contre luy, encor qu’il fusse esté accusé accuse [à cause] d’aultre sorcier ou detenu par l’instance de partys63. »
40Le document est un véritable réquisitoire contre les procédés de l’instruction criminelle, qui met en cause chacune des articulations de la procédure. La famille est particulièrement marquée par le fait que Noël des Aulx s’est trouvé en but à une opposition collective qui a provoqué l’ouverture d’une information spontanée de la part du maire. S’y ajoute l’enterrement en terre profane qui, à ses yeux, marque l’aboutissement de la volonté d’éviction d’un des membres du groupe, même si, comme ici, il vaut mieux attester un suicide qu’un décès sous la torture. La requête de la famille a provoqué une information sur les conditions de détention et les modalités de l’instruction, qui a obligé le chapitre à exposer les moyens employés pour amener l’accusé à avouer. Le sonrier et le maire sont même convoqués aux Assises pour faire entendre leurs justifications64. La déposition d’un bourgeois déodatien, témoin à la question, est particulièrement éclairante sur l’animosité du groupe et le phénomène de rejet que peut provoquer une accusation de sorcellerie :
« [Il a été emprisonné] par plusieurs plaintes et doleances à eulx [les chanoines] faictes continuellement tant par plusieurs de leurs subjectz des mauvais comportements, tortz et exces pretenduz commys par ledict des Aulx en leurs personnes et biens par venefice et sortilege ; ayant jà de longtemps esté ledict des Aulx diffamé et prevenu de telz actz inhumains et intolerables et la fame et renommée publicque estante toute certaine et constante que le dict des Aulx estoit sorcier tenu et reputé tel par tout le peuple qui en pouvoit plus supporter si gand scandal […] ; il n’y a rien plus convenable et nesessaire au bien publicque que de chasser les vices hors de la ville et punir les mauvais à l’exemple et terreur des aultres65. »
41Le témoin est tout à fait partie prenante de la décision de la justice. Il justifie l’enterrement en terre profane en rapportant que Noël des Aulx s’est « soy mesme precipité en la prison, qu’il n’estoit digne d’estre inhumé en terre saincte ains en terre prophane et que par telle mort precipitée les moyens estoyent ostés de le convaincre du tout et condamner ». La déclaration souligne un certain nombre de non-dits. Ainsi l’action de la justice est bien considérée comme un préalable au jugement divin. Purger les indices sur terre évite qu’ils ne le soient dans l’au-delà et la question peut être considérée comme l’antichambre du purgatoire. L’idée que les souffrances d’ici-bas purifient l’individu de ses fautes est toujours clairement affirmée, justifiant à la fois les supplices et l’exécution finale. Toutes ces données culturelles sont bien connues.
42En revanche, le témoignage du geôlier sur l’état du prisonnier est beaucoup plus intéressant. Parce qu’il n’est pas concerné par la justification de la procédure, il n’hésite pas à décrire la détresse morale de l’accusé. Son témoignage ne laisse aucun doute sur l’angoisse qu’a ressentie le prisonnier :
« Pendant telle detention, ledict deposant luy portant à boire et à manger, disoit souvent : je vous juere d’ung pied remué, aultres fois je vous juere d’ung tour ; ne sçaichant lhors ledict deposant à la verité ce que touchoient lesdicts motz, synon le soubson qu’il avoit ledict Noel estre homme pour se meffaire en soy mesme […] ; mourut le jour mesme qu’il eust la question en sa prison66. »
43La population connaît parfaitement les contraintes physiques et morales de l’instruction. Les expressions employées par Noël des Aulx peuvent être des formules conjuratoires. Il s’agit plus sûrement des signes exigés du patient soumis à la question pour interrompre le supplice quand il veut avouer. Quoi qu’il en soit, ces quelques mots donnent la mesure de la désespérance d’un prisonnier qui connaît les tortures qui l’attendent.
44Les gens de justice n’ignorent pas, bien entendu, les situations pénibles résultant de l’instruction. Ils mettent en œuvre un certain nombre de pratiques manifestant une certaine humanité. Noël des Aulx ne semble pas avoir pu en bénéficier. Un témoin explique les raisons pour lesquelles il n’a pas été réchauffé, comme on le fait habituellement pour des suppliciés qui restent de longues heures dévêtus : « Que tous ceulx qui ont torture en ladicte tour, peu souvent l’on les reschauffe pour la grand distance de maison propre qu’est de plus de deux cent passées et le peu de commodité du lieu. » Il est vrai aussi qu’un troisième témoin déclare que « ce n’estoit que simple presentation et question au près d’aultres qu’il a veu ». Tous sont prêts à justifier la mort suspecte du prévenu. Ici ce n’est pas un bourreau, dirigé par un inquisiteur, qui torture mais bien une communauté de laquelle toute compassion a disparu :
« [Il dit] que le dict maire est trop doux et croit ledict deposant que sy ledict Noël fut esté bien ferré qu’il eust bien chanté d’aultres choses car il commenceoit ; mais le maire appercevant ung vomissement qui luy survient dict : mesté le vistement bas67. »
45Dans un système judiciaire, où toute enquête matérielle68 est impossible et dans lequel la recherche de la preuve s’appuie uniquement sur le vieux syllogisme69, la torture est incontournable. Seul l’aveu de l’accusé permet de passer des hypothèses à la conclusion qui justifie le prononcé du jugement. Il est donc nécessaire que la procédure aboutisse à la reconnaissance des chefs d’inculpation, d’où son extrême rigueur. La question n’est jamais vraiment remise en cause, comme le montre la requête de 1581, qui met uniquement en parallèle l’absence d’aveu de Noël des Aulx et la décision de la justice. Par conséquent, les comportements des protagonistes de cette affaire s’expliquent par leur conception de la question, acte nécessaire sans doute mais surtout rédempteur. Ce serait un anachronisme total de parler de cruauté, quand il s’agit avant tout de faire œuvre divine.
46Des considérations identiques se retrouvent, en septembre 1615, chez les gens de la justice capitulaire de Destord70, quand ils se précipitent dans le cachot de Barbe Mengeon. Cette dernière a essayé de se suicider en s’étranglant avec un drap. Contrairement au cas de Noël des Aulx, les gardiens sont arrivés à temps pour l’empêcher d’aller jusqu’au bout de son geste71. Barbe est accusée de sorcellerie et elle sait parfaitement ce qu’elle risque puisqu’elle a assisté à l’exécution de son père peu auparavant. Elle est interrogée sur les raisons de son acte :
« C’estoit affin de se meffaire comme font autres que l’on dict qui se font mourir pour essayer s’il est vray qu’ilz ayent tant de mal mais qu’elle n’en avoit gueres.
S’il n’est pas vray qu’elle avoit jà noué ledict linge et le tellement serré à l’entour de sa gorge que ses gardes ont heu du mal assé de le denouer ?
Dict estre vray.
Sy pour ce faire, elle s’estoit pas affeubler de sa garderobbe affin de n’estre apperceue de ses gardes et faignoit vouloir dormir ?
[Elle l’a mise] pour empescher les mouches de la garder de dormir.
Qui l’a induit de ce faire si s’a vraiment esté le maitre qui l’a tanté affin d’evitter la honte en mourant publicquement ?
Dict que non et que c’estoit pour gouster sy elle n’auroit gueres de mal en mourant.
Sy elle a senti quelque douleur ?
Dict qu’elle n’avoit encore commencé que lier ou faire le clo ou nœud et estoit son desseing de continuer à le serer. »
47Les interlocuteurs de Barbe Mengeon poursuivent un argumentaire démonologique bien établi, voulant prouver une intervention du Diable. La période de répression est déjà bien avancée et il n’y a quasiment plus de condamnés qui sont brûlés vifs. La plupart du temps, ils sont étranglés « après avoir quelque peu senti l’ardeur du feu ». C’est cet étranglement que Barbe Mengeon dit vouloir tester. Reste que là aussi la détresse de cette condamnée est bien perceptible.
48Il ne servirait à rien de multiplier les exemples de ce type qui sont relativement fréquents dans les archives judiciaires du seizième siècle déodatien. Il est vrai que pour échapper aux conséquences d’une sentence, l’accusé n’a que les deux possibilités envisagées, s’il ne veut pas se donner la mort. Reprocher les témoins à charge ou maintenir son fait obligent à une grande résistance physique et morale. Peu y parviennent à l’exception de quelques femmes. Dans ces deux cas seulement, l’accusé est renvoyé jusqu’à rappel. Il s’agit d’un non-lieu conditionnel qui n’est souvent qu’une rémission de courte durée pour celui qui est poursuivi par la vindicte communautaire.
Conclusion
49Aux xve-xvie siècles, en Lorraine du sud, l’institution judiciaire, dont on vient d’explorer brièvement les arcanes, est un outil au service du pouvoir central. Les seigneurs ecclésiastiques, que sont les grands chapitres, ne manipulent plus qu’une apparence de justice. À l’origine, l’institution répondait aux exigences de la socialité en favorisant une procédure orale et participative, conforme aux règles du fonctionnement communautaire. À l’époque étudiée, au contraire, la justice cherche d’abord à désolidariser la société paysanne, puisqu’elle exploite sa structure clanique. C’est l’appui de certaines familles qui permet, en effet, au pouvoir ducal de s’imposer à celui des vieux buffets capitulaires.
50Au niveau de la justice ressentie, si la sociabilité perdure par la force des choses, la solidarité s’effrite, surtout à l’époque des grands procès criminels de la fin de la période. Les règles de procédure, en seconde instance, désorientent incontestablement les habitants dans leurs relations de voisinage. La détresse morale s’ajoute alors aux souffrances physiques imposées par la question, dont l’acceptation repose à la fois sur une nécessité juridique et sur la notion de rédemption.
51Il faudra apparemment se séparer aussi de l’idée qui veut que la dureté de l’existence rende les ruraux beaucoup moins sensibles, voire insensibles à la douleur. Il semble qu’elle provienne de l’absence d’archives suffisamment descriptives, particulièrement sensible au xviiie siècle qui voit s’ébaucher un contexte de rationalité. L’angoisse est également bien réelle mais elle est provoquée par la seule peur de souffrir. En revanche, la mort qui est « comme un vent d’oiseau » paraît certainement moins effrayante que maintenant. Faisant partie du quotidien, elle est apprivoisée par un au-delà incontesté.
Pièces justificatives
De la justice du plaid banal à l’appel
52Source : Arch. dép. Vosges, G 1306, justice de la secrète du chapitre de Remiremont. Un document aussi typique qu’exceptionnel qui nous livre une procédure en plaid banal dans la première moitié du xvie siècle, mettant en scène les plaideurs. Le caractère oral de la justice et des réparations qu’elle exige apparaît bien, comme ce code de l’honneur qui constitue le mécanisme fondamental de la sociabilité communautaire.
pc. 115 du 15 septembre 1541
« Les bons et aggreement de Catheryne, vefve de Demange Jehan Raon de Sench, acteresse, contre Nicolas, filz Jehan Parmentier dudict lieu, deffendeur :
Vray que ung jour passé, ladicte Catherine, acteresse vint à maire de madame la secreste et feit ung plaintif d’aucune parolle que ledict Nicolas Jehan Parmentier luy avoit dict, en chosant et batassant ensembles ; ledict Nicolas, deffendeur […], sen faire refreschir ledict plaintif en bencha [bûcha] l’amende en plait banny […], alleguant qu’il ne la tenoit teulle qu’il avoit dict les parolles, ains la tient pour femme de bien.
Laquelle beuche ainsy presentée de la part dudict deffendeur, ladicte Catheryne en feit reffu mais responda disant : monsieur le maire, veu et entendu que Nicolas, icy, ait faict l’amende audict plaintif de main et de bouche, mondict plaintif et [est] congnu, lequel porte cas de crismes ; par quoy je dict qu’il ne suffit de ladicte amendise pour tel cas, consideré qu’il m’a dict que j’estoye une geneche et que j’avoye faict mourir mon marit ; mais le doibt bien desdire haultement, en plaine eglise devant le peuple, ayant un cierge en la main et la teste rassé, et de ce en prent droit.
Sur ce respond ledict deffendeur disant : monsieur le maire, quoy que Catheryne icy veulle dire et alleguer, veu qu’elle se plaint à la justice temporelle, duquel son plaintif icy ay faict l’amende et luy ay presenté une benche pour amendise, neantmoing maintenant qu’elle parle de la justice spirituelle ; je dis et prend droit qu’il suffit de ladicte benche que luy ay presenté et que je ne suis tenu en faire amendise plus avant, en tant que je la tient femme de bien.
Semblant du lieu a dict par la pluspart des preudhommes qu’il suffit de ladicte benche pour amendise, veu que le plaintif a esté faict par devant la justice temporelle, considéré que ledict Nicolas la tient femme de bien et qu’il en a faict l’amende. »
pc. 116 du 5 octobre 1541
« […] aggreement de entre Catherine, vefve de Demenge Jehan Raon de Sench, acteresse, et Nicolas Jehan Parmentier de Xenneval, deffendeur :
Sur ung droit rapporté par l’eschevin du maire de madame la secreste contenant en substance qu’il ne suffisoit d’une buche, ains que ledict Nicolas le debvoit bien amender, qu’il appartient à tel cas dont ladicte Catheryne remercya ledict droit.
A quoy respond ledict Nicolas disant : monsieur le maire, je veult faire sans que droit a dict ; et pour ce faire, vecy que je me presente, me paroffrant mettre à genoul devant vous en justice, au devant l’eglise, s’il plait à ladicte Catheryne, la teste nue, la criant mercy de l’injure que luy ay portée, et luy priant en l’honneur de la passion Notre Seigneur qu’elle me le veulle pardonner, consideré que je la tient femme de bien ; davantaige, monsieur le maire, s’il sembloit à ladicte Catheryne que j’en feisse peult, vecy notre curé qui a la charge de nos armes, j’en veult faire tout par luy.
Ce oyant, respond ladicte Catheryne : monsieur le maire, quoy que Nicolas icy veulle dire et alleguer, je dict qu’il ne suffit point de la presentation qu’il faict, veu le bon droit de Remiremont qui ait dict qu’il ne le doibt bien amender que à tel cas appartient ; car, consideré mes premiers approintes [appointements] qu’il m’a dict que j’avoye faict mourir mon marit, laquelle chose porte cas de crime, qu’il le doibt bien desdire, le bras nud, en plaine eglise et devant le peuple, le sierge en la main et la teste rasé ; et qu’il ne suffit de ladicte presentation syvant ledict bon droit et de ce en prend droit.
Et moy droit, ledict Nicolas, que consideré la presentation que le luy faict, que j’en faict assez et que j’en suis bien au droi.
L’eschevin luy esté conseillier [ayant pris conseil], at dict par son sem blant et le semblant de la pluspart des preudhommes que de la presentation que Nicolas Jean Parmentier se presente à faire, qu’il en faict assez.
Ladicte Catherine en a appellez en appel affiect. »
pc. 116 du 7 octobre 1541, jugement en appel
« Le septiesme jour d’octobre l’an 1541, l’esche vin de madame la secreste, luy estant conseiller par les jurez [les maires jurés], a dit et pris droit que Nicolas Jehan Parmentier doibt bien faire l’admendise à ladicet Catheryne, le dimenche à ladicte esglise parochiale, après l’eawe beniste ; faicte devant le crucifix, les deux genoulz à terre, et en presence du peuple, tenant ung cierge en la main, disant à ladicte Catheryne : des injures que je vous ay dites, elles ne sont pas vrayes ; je vous en crie mercy, vous priant, en l’honneur de la passion Notre Seigneur, me vouloir pardonner car je vous tiens femme de bien. »
Le plaid banal de Moyemont en juin 1560
53Source : Arch. dép. Vosges, G 617, justice du chapitre de Saint-Dié à Moyemont. Il s’agit d’un document qui n’a pas attiré l’attention des chercheurs car il a été archivé sous le titre « rapport de police ». Il est volumineux, par conséquent nous ne pouvons en citer que des extraits. En effet, le plaid de 1560 a provoqué une révolte de la communauté qui a perduré jusqu’à la Révolution72. Devant ces difficultés, le pouvoir seigneurial a réagi en obligeant à la tenue d’un plaid et d’un siège de justice mensuels jusqu’à la fin de l’année 1560, accompagnés d’un rapport écrit. Le fonctionnement interne d’une communauté, qui, normalement apparaît peu dans les archives, est particulièrement mis en évidence ici. Le document éclaire aussi un certain nombre de questions qui se posent à propos de la communauté rurale.
pc. 20, 3 juin 1560
« L’an mil cincq cens soixante, le troisieme jour du mois de juing73, ont estez faictz les rapportz qui s’ensuyvent à venerables personne, messire Jehan Geoffroy, prevost de Chaulmontoys74 et à messire Claude Geoffroy, son frere, chanoine à St Diey par honneste homme, le maire, Claudon Howal de Moyemont […].
[En cas de vol de fruits, l’amende est de un franc] : Didier Loillier a esté trouvé en escrollant ung poirier.
Plaintif de Jehan Colin allencontre de Nicolas Vincent, lequel n’a esté poursuy par ledict Jehan Colin jusques à present.
Differant estant entre Thiery et Nicolas Tiery, son filz, contre Mengin Colin, comme tuteur et mambour de Bastien, son filz.
Lesdicts Srs venerables ont deffendus aux manans et habitans dudict Moyemont, leurs subiectz, doresenavant de non plus wainpasturer le jour de feste Saincte Croix, troisiesme de may, on breul de leurs sieurs ou de ladicte moictresse dudict Moyemont, sans apparaince faicte prealablement de leur droit, soubz peine de desobeyssance.
Messieurs les Srs venerables ont interrogé ledict maire, Claudon Howal, pour le traict de la taille des desfourains ; sur ce a respondu ledict Howal : pour vous donner à entendre le fait, quiconcque est maire de Moyemont fait sergeanter ceulx qui detiennent les heritages des deffourains, disant que à l’esquipellant des heritages qu’ils y ont ilz, les font payer et que ledict trait se fait par toute la commune […].
[Le chapitre ordonne que] doresenavant a ledict maire de Moyement, present et advenir, de rediger par escript lesdicts desfourains, assavoir chacun comme qu’il debvra payer […] ; lesdicts Srs venerables ont relaté audict maire que messieurs les venerables, doyen et chapitre de Sainct Diey, ont donné trois pieces de boys à monsieur de Heddegney75 et que l’on en avoit encore donné trois davantage ; interrogé ledict maire s’il avoit faict cela de son auctorité ou autrement ; sur ce ledict maire a demandé conseil, disant ledict maire, après son conseil ehu, qu’il fist sergeanter la plus saine partie de la commune76 pour à la requeste dudict Sr de Heddegney et que pour certain respect ladicte commune luy ait accordé trois pieces de boys davantage ; lesquelles trois pieces ledict maire et doyen dudict lieu, avec d’autres habitans dudict Moyemont luy furent designer lesdictes pieces de boys […].
Lesdicts Srs venerables leur ont dict qu’ilz ne l’avoyent à faire. [La communauté doit payer une amende] dedans le lendemain de l’encheutte des dismes que se fera le diemenche après la Sainct Piere et Sainct Paul.
Le maire Claudon Howal rend son office.
L’eschevin Jehan Vincent a fait le sembable.
Le doyen Jehan Mathiatte pareillement.
Les Srs venerables ont fait demande audict Jehan Mathiatte, doyen, s’il avoit fait debvoir de convocquer et adjourner toute la commune dudict Moyemont ; lequel doyen a respondu que ouy, reserve à Claudon Salmer.
Sur ce faict, le maire Jehan Bailly dudict Moyemont, esleu de la commune, a nommé par election, c’est assavoir pour maire : ledict viel maire Claudon Howat, Jehan Vincent, Jehan Pierre, Mengin Colin, le maire Jehan Bailly, le maire Bastien, Jehan Jacquatte, Jehan Thomas et le maire Jehan Chosat77.
Lesdicts Srs venerables ont demandé audict maire Jehan Bailly si ledict maire Claudon Howat avoit fait debvoir envers ladicte commune pour l’acquit de son office, disant que quiconque sera maire soustiendra la despense de charges de son office.
Sur ce ait esté esleu et constitué pour maire Jehan Jacquatte, pour esche-vin Jehan Vincent.
Sur ce fait, ledict maire Jehan Bailly, esleu de ladicte commune, a nommez par election pour doyen : Jehan Mathiatte le viel doyen, Claude Demenge Mengin, Nicolas Morlat, Nicolas Thomas, Claude Boysuel [ ?], Mengin Collatte, Anthoine Maurice, Mengenat Brathelyme ; sur ce ait esté eslé derechief constitué, ledict Jehan Mathiatte, doyen.
Pour le forestier pareillement.
Le viel forestier Claudon Demenge Mengin, Nicolas Bonhomme et les dessusdicts.
Ledict Claudon Demenge Mengin a esté de rechief constitué forestier.
[Différend entre Moyemont et Ortoncourt78 touchant le champâturage de certains prés] Il est vray qu’iceulx [de Moyemont] ont renoncé et quicté ledict droit de wainpasturage moyennant trois gros qu’ilz, lesdicts d’Ertoncourt, ont ehuz donnez applicables à la messe des Trespassez dudict Moyemont ; desquelz ilz ont servy par certaines années ce qu’ilz vueillent apparoir souffisamment ; ledict maire Claudon Howal a dict et rapporté qu’ilz ont faict ung statut sur les boys dudict Moyemont ; c’est assavoir que ung chacun puelt coupper quelques chermignes ou mort boys et si quelcun estoit trouvé mesusant qu’ilz soient chacun amendables de 15 gros.
Claudon Demenge Mengin, forestier ait rapporté Jehan Remey, Poirat Symon, Claudon Salmer par deux fois, Nicolas Perrin, Jehan Thierry et Jehan Plaict.
Le maire Claudon Howal demande à Jeahn Geoffroy, prevost de Chaulmontoy de leur servir de procureur contre la commune d’Ortoncourt pour le differant de wainpasturage de leurs prez d’Essoncourt.
22 septembre 1560 [Claudon Howat] avoit par cy devant buché l’amende comme officier79 es mains des venerables doyen et chappitre de Sainct Diey pour avoir distribuez et assignez trois pieces de boys du consentement de la commune dudict Moyemont, oultre trois pieces que mesdicts Srs venerables avoient accordé […].
[Le prévôt déclare] aux manans et habitans dudict Moyemont qu’ils n’ont puissance ny auctorité de pouvoir vendre, aliener, ne donner boys des boys dudict Moyemont sans autorité du chapitre […].
[Le prévôt ordonne et défend aux habitants] de non soustenir les sarazins, de non usurper sur usuaire de ville et haultz chemins et qu’ilz dus-siens dedans la quinzenne à les remectre à leur ancienneté et primitif estat, de non blasphamer le nom de Dieu et de non aller en tavernes, suyvant les ordonnances esmanées de Lorrenne80 […].
22 octobre 1560 [Le prévôt demande à Jehan Vincent, échevin de la justice de Moyemont] s’il estoit recors comme, depuis certains jours ença, il auroit esté ung sabmedy au chapitre de Sainct Diey presenté certaines requestes, de la part des manans et habitans de ledict village de Moyemont envoyez ; concernante la dicte requeste trois pieces de boys que lesdicts habitans ont ehuz donnez au Sr de Haddegney.
Dict que ouy, il y auroit esté [envoyé] par la meilleure et grand partie desdicts habitans appellé par le sergeant à cest effect par devant la maison du maire, Jehan Jacquatte dudict Moyemont.
[Après avoir fait lire la requête aux habitants, le prévôt leur a demandé] s’ilz vouloient advouer ou desadvouer le contenu de ladicte requeste ; sur quoy lesdicts habitans ont demandé conseil et ont repondu, par l’organe de Mengin Colin Ruy, lesdicts habitans que, d’autant qu’icelle requeste n’auroit esté leucte par devant lesdicts habitans, la pluspart de ladicte commune desadvouent ladicte requeste81 […].
[Le prévôt prend conseil au sujet de l’amende due par la communauté, avant de dire à Claudon Howal] qu’il ait à composer et payer l’amende ; surquoy le dict maire a respondu qu’il en avoit buché l’amende pour le faict de son office, sans prejudice de la commune dudict Moyemont.
[Le prévôt demande] à Jehan Mathiatte, doyen dudict Moyemont qu’il ait à faire l’amende des boys.
Jehan Mengin Colin disoit haultement au sieur prevost du Chaulmontoy que messieurs les venerables doyen et chappitre de Sainct Diey n’avoient rien es boys de Moyemont [en marge : estant ledict sieur prevost en siege de justice et en plaid banny].
Sur ce a esté faicte deffence par ledict sieur prevost au manans et habitans dudict Moyemont estant illecques present de non alliener, vendre, donner, coupper ou faire coupper boys paxonnalz desdicts boys de Moyemont, sans l’expres consentement et licence desdicts sieurs venerables doyen et chappitre de Sainct Diey.
[Les témoins pour l’affaire des bois sont le maire Gérard Goery, maire à Fauconcourt82, Nicolas Gérard Goery, son frère, échevin au dit lieu et jehan Bodenne demeurant à Moyemont. Les témoins pour l’affaire des pâturages sont le sieur Jehan de Metry, écuyer, sire de Fauconcourt, messire Grégoire Chaulson, curé de Romont83, messire Demenge Houllon, prêtre amodiataire du prieuré de Romont].
24 février 156084 Jehan Mengin de Moyemont a crié mercy audict sieur prevost de Chaulmontois pour ce qu’il avoit dict audict sieur prevost que messieurs les venerables de Sainct Diey n’avoient rien est boys dudict Moyemont. »
Notes de bas de page
1 Marzelay, un lieu-dit de l’agglomération de Saint-Dié. Arch. dép. Vosges, G 749, justice de Marzelay, pc. 1, 1430.
2 Charles Emmanuel Dumont, Justice criminelle des duchés de Lorraine, de Bar, du Bassigny et des Trois Évêchés, Nancy, Imprimerie de Dard, 1848, 2 tomes, 281-XCIV et 358-XXXVII p. Trois articles incontournables car très éclairants : Étienne Delcambre, « Les ducs et le noblesse lorraine : la compétence civile en première instance des anciennes juridictions bailliagères lorraines », Annales de l’Est, n° 1 [1952], p. 39-60 ; « La compétence en appel des Assises de la chevalerie », Annales de l’Est, n° 2 [1952], p. 103-119 ; « La compétence en matière criminelle de l’échevinage de Nancy », Annales de l’Est, n° 3 [1952], p. 191-209.
3 Par exemple : Les Justices de village, administration et justice locales du xve siècle à la Révolution, actes du colloque d’Angers « Justice seigneuriale et régulation sociale », édités par François Brizay, Antoine Follain, et Véronique Sarrazin, Rennes, PUR, 2002, 430 p.
4 Jean-Claude Diedler, « Justice seigneuriale et régulation sociale à Moyemont : le plaid et le contremand (1490-1790), Les justices de village…, op. cit., p. 75-91.
5 Jean-Claude Diedler, Démons et Sorcières en Lorraine. Le bien et le mal dans les communautés rurales de 1550 à 1660, Paris, Messene, 1996, 235 p. (p. 82-94). Cette volonté de division se manifeste aussi entre les différentes communautés : Jean-Claude Diedler, « Fiscalités et société rurales en Lorraine méridionale. L’exemple de la prévôté de Bruyères de René II à Stanislas (1473-1766), L’impôt des Campagnes, fragile fondement de l’État dit moderne (xve-xviiie siècle), actes du colloque des 2 et 3 décembre 2002, sous la direction d’Antoine Follain et Gilbert Larguier, Paris, CHEFF, 2005, p. 139-198.
6 Meurthe-et-Moselle, ar. Lunéville, c. Arracourt.
7 Arch. dép. Vosges, G 503, justice criminelle de Coincourt, pc. 1, 1464.
8 Changer de seigneurie : nous avons étudié ailleurs cette possibilité juridique, offerte, entre autres, aux sujets du temporel du chapitre de Saint-Dié. Jean-Claude Diedler, Démons et Sorcières…, op. cit., p. 104-107 ; « Justice seigneuriale et régulation sociale à Moyemont… », op. cit., p. 82-85.
9 Jean-Claude Diedler, Violence et Société. La haute vallée de la Meurthe vers 1550-vers 1660, thèse de l’université de Franche-Comté, Besançon 1993, 2 tomes, 589 p. (p. 388-423).
10 Arch. dép. Vosges, G 697, justice de Saint-Dié, pc. 10, 1545.
11 Charles-Edmond Dumont, Justice criminelle…, op. cit., tome I, p. 273 : « Cette faculté de justifier la diffamation en prouvant la réalité des faits reprochés caractérise cette époque dont la législation semble autoriser chacun en particulier à s’ériger en censeur des mœurs de tous, afin de les maintenir par la crainte d’une publicité déshonorante. »
12 Le village peut avoir une maison franche, réservée à l’exercice des droits seigneuriaux. Mais le plus souvent, c’est le propre domicile du maire qui remplit cette fonction pour une année.
13 Jean-Claude Diedler, « Justice seigneuriale et régulation sociale à Moyemont… », Les Justices de village…, op. cit., p. 364 ; Démons et sorcières…, op. cit., p. 104-107 : le sujet qui se contremande peut crier trois fois qu’on vienne l’aider ou rentrer chez lui trois fois pendant la nuit.
14 Arch. dép. Vosges, G 697, justice de Saint-Dié, pc. 10, 1545 : le document évoque l’état d’un prisonnier qui « pour maintenant fort debile, en tant qu’il eust les pieds engelez quant il fut prins et blessez, et pour la longue prison où il est, en fond de fosse, en grosse pitié ». Les prisonniers sont jetés sur une jonchée de paille, en chemise et très souvent pieds nus, dans des tours d’enceinte dont les pierres mal équarries et disjointes ne préservent pas du froid extérieur. Souvent trop serrés, liens et fers entravent la circulation sanguine et accentuent les effets du gel. On ne sort jamais indemne d’une prison déodatienne.
15 Arch. dép. Vosges, G 1306, justice de la secrète du chapitre de Remiremont, pc. 115, 15 septembre 1541. Il s’agit en réalité d’une affaire portée en appel, dont le procès-verbal rapporte le déroulement de la procédure de première instance.
16 Bûcher l’amende est un geste symbolique de compensation qui ne s’accompagnait pas obligatoirement, à l’origine, d’une sanction financière : l’accusé qui reconnaît les faits tend seulement un morceau de bois à sa victime. L’archaïsme de la procédure romarimontaine est d’un grand intérêt.
17 Arch. dép. Vosges, G 1306, justice de la secrète du chapitre de Remiremont, pc. 115, septembre 1541, f° 1r°.
18 À l’origine, les buffets jugeaient en dernier ressort, en application d’un privilège médiéval attaché à la qualité d’alleutier. Leurs arrêts constituaient un droit et non un semblant qui désigne un jugement révisable en appel. La notion de semblant, apparue au xve siècle, va progressivement s’appliquer à tous les jugements rendus par les juridictions inférieures et deviendra la règle au xviie siècle, imposant l’idée d’une possibilité d’appel pour tous auprès de la justice ducale.
19 L’appellation est significative du rôle dévolu à ce tribunal central. Institué en 1380, le tribunal nancéien du Change n’est d’abord qu’un conseil consultatif adjoint au bailli. Il devient au xvie siècle l’institution clé de la justice ducale, sur la noblesse d’abord puis sur les roturiers. On lui soumet, par exemple, les problèmes posés par les entreprises [abus] de juridiction du prévôt qui requièrent les compétences des juristes (comme la question qui se pose dans l’affaire Barbon de Moyemont). À partir de 1519, la justice du Change perd progressivement son rôle de conseil technique pour devenir une juridiction d’appel, interposée entre les sièges locaux du bailliage de Nancy et le tribunal des Assises. En 1530, le recours aux avis du Change devient la norme, avant que les justices locales ne puissent employer la torture, mettre à mort ou élargir un accusé. Cette consultation est un moyen de contrôle du pouvoir ducal dont les agents n’avaient auparavant aucun droit de regard sur les décisions des buffets. En 1561, la consultation du Change est rendue obligatoire pour « recognoissance de souveraineté ». À cette date, les avis du Change deviennent en réalité des sentences exécutoires, même s’ils conservent l’appellation de semblants. Pour aller plus loin sur l’organisation et l’évolution de la justice lorraine : Jean-Claude Diedler, Violence et société…, op. cit., tome I, p. 361-380.
20 La Pierre hardie, qui a encore une réalité matérielle à l’époque étudiée, est peut-être un élément d’un ancien poemerium. Jean-Claude Diedler, « Ló Vié Moté di Joey. Impressions de visite », Mémoire des Vosges, Revue de la Société philomatique vosgienne, n° 6 [2003], p. 27-30.
21 La ville de Saint-Dié est partagée en deux seigneuries. L’une appartient au chapitre et l’autre au duc de Lorraine, avec de multiples interférences possibles puisque le duc est le voué du chapitre. C’est à ces interférences que l’on doit la richesse et la précision des archives de la région.
22 Vosges, ar. Épinal, c. Rambervillers.
23 Meurthe-et-Moselle, ar. Lunéville, c. Blâmont.
24 À l’origine, le cellérier.
25 Arch. dép. Vosges, G 233, Recueil (paginé) des droits et privilèges de l’insigne Église de Saint-Dié, xviiie siècle (vers 1720), p. 31.
26 Vosges, ar. Saint-Dié, c. Fraize.
27 Ibid., p. 250.
28 La lettre patente du 1er juillet 1595, qui réforme la justice ducale à Saint-Dié, peut être considérée comme l’aboutissement de l’évolution du système judiciaire. Elle institue un tribunal local sur le modèle du Change nancéien. Il se compose d’un maître échevin et de deux échevins qui sont des juristes qualifiés, nommés à vie et payés par le duc. Cette justice sera inaugurée le 7 juillet 1596 par un discours du procureur général de Lorraine, Nicolas Remy. Après cette date, l’étude de la justice en Lorraine du sud perd tout intérêt pour la compréhension de la sociabilité villageoise. En effet, le fer de lance d’une justice centralisée, instituant les méthodes officielles de la violence répressive, est en place au détriment de communautés qui perdent leurs capacités régulatrices.
29 Sur l’organisation de la justice ducale : Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, B 8657, f°18-20.
30 Ibid., pc. 24, sd [1559].
31 Arch. dép. Vosges, G 761, justice de Sainte-Marguerite, pc. 20, sd [1559].
32 Ibid., pc. 25, octobre 1559.
33 Arch. dép. Vosges, G 617, justice de Moyemont, pc. 23 du 13 mars 1562 (avant Pâques).
34 Jean-Claude Diedler, Démons et sorcières…, op. cit., p. 107.
35 Son surnom permet de supposer de solides attaches ultramontaines. Il peut être rapproché du toponyme désignant la communauté de Carspach dans la région de Mulhouse.
36 Arch. dép. Vosges, G 617, 1571, pc. 37, f° 2v°.
37 Ancienne communauté installée sur la rive gauche de la Meurthe, maintenant confondue avec Raon-l’Étape.
38 Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, B 8660, pc. 1, 1585.
39 Ces sommes sont portées en non valeurs par le receveur ducal dans le compte de l’année 1585.
40 La pièce de vie chauffée de la maison.
41 Arch. dép. Vosges, G 659, justice de Remomeix, pc. 8, 1558.
42 Barbon devrait dépendre de la justice ducale et non de celle du chapitre car elle est considérée comme une vagabonde. C’est ce point de droit qui justifie le refus du prévôt. Arch. dép. Vosges, G 617, justice de Moyemont, pc. 24 du 5 février 1570 : « De quoy adverty ledict procureur [général de Lorraine] auroit faict arrester ledict procès et empescheroit que lesdicts de Sainct Diey eussent la cognoissance. [Ce sont des] enfans de famille, non mariez […] ; lesdicts deux prisonniers n’estoient subiectz desdicts du chapitre ains serviteurs tant seulement d’uns de leurs subiectz mais plustot comptez pour vagabonds. »
43 Arch. dép. Vosges, G 698, justice de Saint-Dié, pc. 14, 1571.
44 Arch. dép. Vosges, G 617, justice de Moyemont, pc. 32, mars 1571 : « Dès le mois d’aoust dernier, ilz auroient detenu prisonniere une nommée Barbon de Moyemont, de façon qu’ayant depuis ung mois ença enfanté le fruict duquel, auparavant sa detention, elle estoit enceinte, ne rest qu’à vaquer à l’exequution de mort à laquelle elle est condamnée. »
45 Arch. dép. Vosges, G 699, justice de Saint-Dié, pc. 13, juillet 1571.
46 Arch. dép. Vosges, justice de Moyemont, G 617, pc. 23, mal datée [mars 1572] : « Appel à comparaître par les carrés et rues plus frequentables du villaige de Nicolas Willermin de Moyemont (en fuite) à l’occasion des rompures, infractions et brisementz de prison que tu as faict illecque, lors estant detenu prisonnier, pour estre accusez et nottez complices et haderantz à meurtre commis et perpetrez sur la personne de feu messire Thirion Wirion, luy vivant curé audict Moyemont. »
47 Petit Richard est de la famille de Jean Mathiatte : Arch. dép. Vosges, G 617, justice de Moyemont, pc. 20 et suivantes, 1560. Sur les différents clans dans la communauté de Moyemont : Jean-Claude Diedler, « Justice seigneuriale et régulation sociale… », op. cit., p. 87-90.
48 Ancienne communauté de la rive gauche de la Meurthe, à présent devenue un quartier de Saint-Dié.
49 Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, B 8667, procès 3, 1592, information f° 2v°.
50 Magnières, Vosges, ar. Lunéville, c. Gerbéviller.
51 Arch. dép. Vosges, G 709, pc. 1, novembre 1610, f° 1v°.
52 Arch. dép. Vosges, G 709, pc. 8, octobre 1611, f° 2r° § v°.
53 Ibid., f° 3v°.
54 Meurthe-et-Moselle, ar. Lunéville, c. Badonviller.
55 Arch. dép. Vosges, 3C 239, principauté de Salm, acte d’accusation contre Martin Lhoste, août 1657, f°1 r°.
56 Ibid.
57 Arch. dép. Vosges, G 708, justice de Saint-Dié, pc. 2, août 1599.
58 Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, B 8700, procès 1, mai-juillet 1607, interrogatoire, f° 2r°.
59 Arch. dép. Vosges, G 709, justice de Saint-Dié, pc. 1, novembre 1610, f° 10r°.
60 Arch. dép. Vosges, G 708, justice de Saint-Dié, pc. 5, janvier 1602. L’avis du Conseil résulte de la tentative d’un accusé qui a cherche à échapper à la question.
61 Nicole Castan, Criminalité et subsistances dans le ressort du parlement de Toulouse, thèse de 3e cycle de l’université de Toulouse 2, 1966, p. 315. Abel Poitrineau, « Le paysan et l’adversité. Des calamités, des mentalités, des comportements », Le Paysan. Actes du 2e colloque d’Aurillac 2, 3 et 4 juin 1988, Paris, éd. Christian, 1989, 368 p. (p. 110-111). Au contraire : Philippe Aries, L’Homme devant la mort, Paris, Seuil, 1977, 642 p. (p. 598).
62 Son intérêt historique est évidemment de premier ordre. Sa teneur peut être rapprochée de l’analyse faite par le procureur de Lorraine, Nicolas Remy en 1595 : La démonolâtrie (texte établi et traduit à partir de l’édition de 1595 par Jean Boës), Nancy, PUN, 1997, 338 p. ; Livre III, chapitre XII, p. 321-336.
63 Arch. dép. Vosges, G 706, pc. 22, oct. 1581.
64 Le terme Assises désigne le tribunal, composé de nobles de l’ancienne chevalerie, chargé dans les trois anciens bailliages lorrains de Nancy, de Vôge et d’Allemagne de trancher, sous la présidence du bailli ducal mais hors de sa participation, les litiges dans lesquels se trouvent impliqués les vassaux du duc et de juger en dernier ressort les appels interjetés de toutes les juridictions inférieures ducales ou seigneuriales.
65 Ibid., pc. 23.
66 Ibid., pc. 24, information du 15 janvier 1582.
67 Ibid., pc. 24, f° 2r°.
68 Nous en avons tout de même rencontré une dans l’affaire Caspart.
69 Lucien Febvre, Le Problème de l’incroyance au xvie siècle. La religion de Rabelais, Paris, Albin Michel, 1942, 550 p. (p. 152).
70 Vosges, ar. Épinal, c. Bruyères.
71 Arch. dép. Vosges, G 532, justice criminelle de Destord, septembre 1615.
72 Moyemont est une communauté implantée dans une forêt ducale, ce qui explique la présence d’une verrerie. Les habitants prétendent, à juste titre, qu’ils peuvent disposer librement d’une partie de la forêt, ce que conteste le pouvoir capitulaire. On verra dans ce document que la communauté légifère, en concurrence avec le chapitre, à propos de la partie des bois contestée.
73 À Moyemont, le plaid se tient normalement, comme ici, le premier jeudi du mois de juin avant la fenaison.
74 Le Chaumontois est la partie occidentale, la plus excentrée, du temporel du chapitre de Saint-Dié.
75 Gentilhomme verrier. Affaire localisée à Hadigny-les-Verrières, Vosges, ar. Épinal, c. Châtel-sur-Moselle.
76 De la définition d’une communauté : Antoine Follain, « Les communautés rurales en France du xve au xixe siècle », Histoire et Sociétés rurales, 12 [2e semestre 1999], p. 11-62. Il est à noter qu’ici l’appellation de commune soit couramment employée.
77 Le surnom de maire est conservé à celui qui en a assuré la fonction, ne serait-ce qu’une année. Cela ne facilite pas la recherche historique.
78 Vosges, ar. Épinal, c. Rambervillers.
79 Le maire est condamné à verser une amende personnelle en plus de l’amende solidaire.
80 Une telle expression tend peut-être à montrer que le pouvoir ducal est bien ressenti comme une contrainte éloignée, par rapport à celui du chapitre.
81 Ici la justice seigneuriale cherche bien à rompre la solidarité communautaire en dressant les clans les uns contre les autres.
82 Vosges, ar. Épinal, c. Rambervillers.
83 Idem.
84 Avant Pâques.
Auteur
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un constructeur de la France du xxe siècle
La Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) et la naissance de la grande entreprise française de bâtiment (1924-1974)
Pierre Jambard
2008
Ouvriers bretons
Conflits d'usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968
Vincent Porhel
2008
L'intrusion balnéaire
Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008