Réguler par soi-même ou s’en remettre aux juges ?
Des communautés et juridictions d’Ancien Régime aux municipalités et administrations de la France contemporaine
p. 53-96
Texte intégral
« Il seroit nécessaire pour prévenir ces abus […] que les privilèges accordés pour les prés au sujet des moutons, ne s’étendent point sur les prez reguesnables, vû qu’il n’y a que les particuliers qui les exploitent, qui profitent tant de la première herbe que de la seconde herbe, et qu’aujourd’hui non seulement les étagers marchands, mais encore les bouchers forains, affectent de prendre un grand nombre d’arpens d’herbages, dans lesquels ils mettent des bœufs à l’engrais pendant le cours de l’année, et sur les communes un grand nombre de moutons, se prétendant privilégiés au moyen de leurs herbages qui, comme on l’a dit ne servent qu’à leur profit. Il seroit plus à propos que ceux qui jouissent des prés communaux, dont ils n’ont que la première herbe, et les habitans la seconde, eussent seuls ce privilège… »
Extrait d’un procès-verbal d’assemblée de village destiné aux juges du comté de Beaufort, le 16 septembre 1770, Archives municipales de Beaufort, DD 11.
1Des sentences et règlements ont été édités, il y a quelques années, pour montrer comment des juges angevins régulaient l’usage des communaux et des prés « à seconde herbe1 ». Une soumission des usagers au pouvoir judiciaire pouvait alors être déduite de ces documents, bien que nous pensions à une réalité différente.
2Comme l’atteste le texte mis en exergue, l’action des gens de justice peut avoir été précédée par une ou plusieurs délibérations de village2. La norme serait plutôt définie dans un premier temps par les « habitants et biens tenant » puis dictée au juge qui a le pouvoir d’en faire une « loi » locale – et non l’inverse. De la même manière, la répression est déclenchée par les usagers, qu’ils soient habitants du village ou propriétaires résidants hors paroisse3. Ainsi, jamais un juge ne prend l’initiative d’une poursuite. Dans l’esprit du temps, et dans toute notre documentation, deux termes sont toujours associés : « police et justice ». Le recours à la justice est en effet vécu comme un constat d’échec car l’établissement d’une « bonne police » devrait éviter le recours à la répression. Dans un premier temps, la police régule et réglemente. Dans un deuxième temps, la justice intervient pour l’application de la norme et pour la comparaison des droits. Finalement, le juge décide et, si nécessaire, il punit. Mais cette coordination des communautés d’habitants et biens tenant avec la justice n’est pas toujours de rigueur et peut fonctionner dans un ordre différent. Si l’on prend l’exemple du « Règlement pour les droits d’herbage sur les communes du Comté de Beaufort » en 16234, l’affaire est partie d’une plainte et le document consiste en une sentence « dans la cause d’entre [des] habitans de la paroisse des Rosiers, saisissants d’une part » et plusieurs personnes accusées par eux. Le juge « fait droit » sur la plainte, puis, dans l’intérêt général, et en suivant les réquisitions du procureur, il énonce un règlement en quatorze articles qui doit prévenir de nouveaux conflits ou simplifier l’exercice de la justice, par le rétablissement d’une « bonne police » qui n’est d’ailleurs pas calquée sur les anciens règlements puisqu’elle prend en compte certaines évolutions, qu’il s’agisse d’« abus » inédits ou de nouvelles pratiques qu’il faut expressément autoriser. Dans ce cas, la plainte et un acte proprement judiciaire ont donc précédé l’acte « policier ».
Un exemple d’« usages sociaux » de la justice et de justice « de proximité »
3Les délits de pâture et leur répression relèvent d’une justice « civile » et non du « criminel » selon les qualifications données sous l’Ancien Régime – sauf conséquences extrêmes d’une altercation. Il arrivera même au xixe siècle que l’autorité politique et administrative intervienne à la place des juges. Mais il y a de multiples avantages à ignorer la criminalité pour s’occuper de petites choses – vues d’aujourd’hui – qui étaient pourtant de grands désordres pour les habitants des campagnes. Notre contribution représente ainsi l’aboutissement d’une recherche collective initiée par Antoine Follain, pour laquelle un premier bilan avait été dressé en 2001, à l’occasion de la journée d’études « Police champêtre et justice de proximité, 1500-18505 ». Les suites ont intéressé notamment Tony Guéry et le dossier appartient maintenant à Estelle Lemoine6. De telles situations correspondent aussi à la problématique des « usages sociaux de la justice » développée en 2003 et 2004 par l’équipe « Justice » du centre d’histoire des régulations sociales (HIRES) et sont dans le prolongement de l’orientation angevine dans la thématique « justice de proximité » qui a été étudiée à partir des exemples de la justice de paix7 puis de la justice seigneuriale8.
Des questions examinées dans la longue durée
4Dans ces deux opérations, il fut question d’écrire l’histoire d’une seule juridiction : quelle(s) origine(s) ? quelle(s) compétence(s) ? quels hommes ? quelle utilité sociale ? De telles extractions avaient quelque chose d’artificiel car la justice est un système complet, hiérarchisé et coordonné9 et 1790 n’est pas une coupure radicale dans tous les domaines. Les opérations, « justice de paix » et « justice seigneuriale », avaient chacune leur chronologie : à partir de 1790 pour la justice de paix et jusqu’en 1790 pour les justices seigneuriales. D’où l’intérêt d’un procédé différent pour traiter toujours de la justice « de proximité », mais autrement, c’est-à-dire par extraction d’un objet et sujet d’affrontements qui transcende 1790, car les mêmes difficultés se présentent avant, pendant et après la Révolution à propos des questions de pâture10. L’objet, ce sont les pâtures communes et les pâtures semi-privées et semi-communes, notamment lorsque, sur un fonds dont la propriété prête elle-même à discussion, pèsent des droits de « première » et de « seconde herbe ». Le sujet d’affrontement, ce sont les conditions d’accès à ces pâtures : qui ? quand ? où ? avec des droits de quelle étendue ? Les questions de pâture impliquent un éventail plus ou moins large d’intéressés : elles touchent les rapports entre voisins, ou impliquent toute une communauté (Soulaire par exemple), voire concernent un ensemble de « villages, paroisses et communautés » (le comté de Beaufort par exemple). Dès lors, elles permettent de parcourir une histoire qui va des communautés d’habitants de la fin du Moyen Âge jusqu’aux municipalités installées par la Révolution, et aussi des juridictions et administrations d’Ancien Régime à celles de la France contemporaine. Cependant, ces procès ne vont jamais très haut dans le système judiciaire. En effet, lorsqu’il est seulement question de l’usage que l’on fait des biens communaux et lorsqu’il est question d’usages collectifs de pâture, les procès ne sortent pas du cadre provincial et plus tard départemental. Seule la question de la possession et propriété des biens communaux peut entraîner une communauté devant le parlement de Paris ou jusqu’au Conseil d’État.
Une « police » qui n’a d’extension que locale
5Les questions de pâture relèvent d’une « police » composée d’usages locaux, de la coutume provinciale et de la production législative de l’État car, en la matière, il est impossible d’ignorer les édits de 1667 et 1669. Mais il s’agit avant tout d’un droit local, au point que, d’une seigneurie et d’une communauté à l’autre, cette police est changeante, non dans l’esprit, mais dans le détail. Elle n’est destinée qu’à la prévention et régulation des conflits dans un seul lieu et n’a aucune valeur dans un autre, ainsi que l’expriment clairement les habitants de Juigné-sur-Loire :
« Chaque parroisse a ses limittes et ses bornes l’usage des unes n’ont rien de commun avec les autres. Les communs de Saint Almand sont dans la parroisse de Saint Jean des Mauvrets et ne peuvent s’étendre au delà, chacun doit se contenir dans ses bornes, par la même raison les parroissiens de Juigné ne prétendent aucun droit de pacage dans la paroisse de Saint Jean, ses dernières n’ont pas plus de droits d’en avoir dans la parroisse de Juigné11. »
6Les règles propres à assurer la police rurale et la « paix du village » ont été codifiées d’ancienneté dans des coutumes locales et provinciales et dans des règlements, où l’on trouve les normes du bon voisinage, le respect de la propriété, du travail d’autrui, du statut des terres, la police des chemins, etc. Une partie des règles est orale12 et sera mise par écrit seulement dans les « Recueils d’usages locaux » – à savoir, pour le Maine-et-Loire, entre 1808 et 1859. Les articles de ces recueils traitent surtout des litiges entre des particuliers. Mais il existe aussi des règlements écrits concernant les questions qui intéressent des collectivités entières, donc les usages collectifs, la gestion des animaux dans l’espace rural et les questions de pâture. C’est donc sur cette base documentaire principale que nous nous appuyons pour cette recherche, auquelle nous ajoutons des liasses judiciaires des xvie-xviiie siècles. Les justiciables sont impliqués puisqu’ils sont eux-mêmes, en partie, à la source du droit. Ils disent par exemple quelle est la charge raisonnable de leur communal en nombre d’animaux de chaque espèce – d’où les seuils différents d’un village à l’autre. Ils laissent faire ou ils réagissent contre des abus et ils sollicitent telle ou telle juridiction ou administration pour extérioriser la résolution des conflits qui les opposent. Ils font appliquer la norme en déposant plainte pour « abus de pâture » et en faisant savoir à une juridiction qu’il y a contravention à tel article ou passage du règlement que cette même juridiction a validé.
Un droit moins figé qu’on ne le penserait
7Ce sont aussi les usagers qui, en participant à l’élaboration de la norme et en la faisant vivre, permettent son évolution et par conséquent la succession des règlements qui, du xvie au xviiie siècle, ne disent jamais tout à fait la même chose. Ce droit local n’est donc pas figé et son évolution traduit, avec un décalage, l’évolution des pratiques : les innovations acceptées deviennent les nouvelles normes locales. Ainsi, ni le ramassage des crottins sur les communaux, ni surtout l’interdiction de cette pratique, ne figurent dans les règlements rendus pour Soulaire en 1538, 1559, 1561, 1623 et 1674. Il est entendu que les fumures doivent demeurer sur place et permettre la croissance de l’herbe. Le délit apparaît au début du xviiie siècle sans que la situation paraisse être très tendue. Peut-être le ramassage est-il occasionnel et à usage personnel. Peut-être même est-il toléré par les habitants. Tout change en 1772 : l’enlèvement des fumures est dénoncé par les biens tenant et il est promu au rang d’« abus encore plus préjudiciable » que les délits de pâturage13. Pourtant, vers la fin des années 1780, lorsque les « commissaires » nommés pour les procès du village recherchent des moyens de financement, l’un d’eux propose d’y affecter « la ferme de la crotte que les animaux laissent sur lad[ite] commune » – ce qui fait penser que la pratique a été non seulement autorisée mais régularisée.
Le statut juridique des règlements de police rurale
8Les règlements angevins n’ont pas un statut juridique considérable, si on les compare à d’autres sortes de règlements : « lois » seigneuriales14, « statuts communaux » et autres « criées15 ». Or, ces documents posent tous les mêmes problèmes, en particulier ceux de la provenance de leur contenu et de la question de l’autorité intervenant dans leur validation. L’historiographie reconnaît une supériorité à certaines provinces, où le droit local a une extension très importante. Il s’agit des « statuts communaux » du Midi dont l’étude a été reprise récemment. Ces statuts ont été disqualifiés par les juristes au xixe siècle et considérés comme un droit « subsidiaire et secondaire ». Mais ce n’est là qu’un jugement de valeur prononcé après leur disparition et opposé à celui que les populations et les juges portaient sur de tels statuts sous l’Ancien Régime. Ils étaient alors considérés…
« […] comme le droit principal, le droit de proximité qui les concernait directement et constamment. En outre [écrit Madeleine Ferrières] c’était pour eux le type même de la bonne loi, celle qui n’est pas imposée du haut mais qui est fabriquée à la base par la communauté des habitants, mise en forme par ses soins avant d’être soumise à l’approbation […] des autorités supérieures16. »
9L’importance des « statuts municipaux » tient à deux caractères : l’implication des communautés d’habitants dans l’élaboration de la norme et l’exercice d’une certaine juridiction par les consuls. Ceux-ci ont en effet la capacité de juger en fonction des articles des statuts. Mais ce privilège découle du statut des « officiers de village » du Midi qui sont officiers seigneuriaux et mandataires de la communauté. C’est en qualité d’agents du seigneur qu’ils peuvent constater des faits, juger et mettre à l’amende17. En Anjou, les communautés n’ont jamais eu autant de droits délégués par la seigneurie. La situation, telle qu’elle apparaît vers la fin du xve siècle, mérite cependant que l’on s’y arrête…
Réflexions sur la collaboration des usagers aux plus anciens règlements
10La pièce la plus ancienne du corpus documentaire est dite « Charte de Jeanne de Laval » du 2 mai 147118. Elle décrit une situation conflictuelle puis énonce les résolutions prises par la comtesse de Beaufort pour y mettre fin. La charte prend donc la forme d’un règlement de pâture19 établi par le seigneur :
« Savoir faisons, a touz presens et a venir, nous avoir receue humble suplicacion de noz subgez, manans et habitans [lesquels] nous doivent et sont tenuz nous païer, par chascuns ans, grans devoirs annuelz et charges anciennes ; et mesmement qu’ilz nous font et sont tenuz faire certains charroiz, et païer [droits de] herbaiges, charnaiges, pasnages et plumaiges […] pour raison […] de nosd[its] herbaiges [sur lesquels ils ont] bestes de toutes especes jusques a tel nombre que bon leur sembloit, de leur creu et nourry [d’où une situation équilibrée et bonne pour tous] et du revenu des quelles leurs bestes, tant de lectaiges, beurres, fromaiges, que de la vente qu’ils faisoient [du croît] d’icelles leurs bestes, eulx et leursd[its] predecesseurs avoient, au temps passé, tres bien payé les devoirs et charges qu’ilz doivent […] et vivoient bien soubz nous et nosd[its] predecesseurs… »
11Tout est donc parti des ayants droit sur les communaux du comté. Le seigneur défaillant a été prié – sommé ? – de rétablir le bon ordre des choses. Mais qui, parmi les « étagers et usagers », s’est plaint au seigneur, et par quelle voie ? Aucun document ne fait mention d’assemblées d’une paroisse ou de plusieurs. Cependant, nous savons que les paroisses angevines étaient à cette époque dotées d’un système de gouvernement20. Nous savons aussi qu’aux xviie et xviiie siècles les communautés participent à des assemblées du comté, où elles sont représentées par des « députés » et par leurs « syndics de paroisse ». D’où nos interrogations sur la part des « manants et habitants » dans la gestion des espaces collectifs vers la fin du xve siècle. Les « procureurs de fabrice » et « du commun » des paroisses sont-ils venus porter les plaintes exprimées lors d’une assemblée de village ou à l’occasion d’un plaid seigneurial ? Les « étagers » (usagers de pleins droits) sont-ils déjà associés à la régulation des espaces collectifs ? Certaines dispositions concernent plutôt le seigneur, car la charte s’occupe de la question des ayants droit autorisés ou interdits par le seigneur : « étagers », « circonvoisins » (usagers ayant des droits restreints) et « forains » (interdits, sauf pour le droit de « rafraîchissement » des animaux de passage). Mais il y a aussi des dispositions qui intéressent l’usage des espaces collectifs. Les règlements postérieurs – ceux des xvie, xviie et xviiie siècles – seront encore plus déterminants pour la question des « usages sociaux » de la justice parce qu’ils portent sur des points particuliers, sur des dates, sur des quantités et sur des effets de seuil. Certes, il n’est pas forcément intéressant de savoir que tel règlement prévoit :
« […] que chacun d’iceux usagers ayant maison […] poura avoir et norir esdites communes douze chefs de bergail et […] deux chefs de bergail avecq leur suitte outre pour chacun journau de terre ou pasturage qu’il aura… »
12Mais il nous importe de savoir où, comment, et par qui, il a été décidé que la norme serait de tel nombre de « chefs de bergail ».
Réguler les questions qui fâchent
13Il s’agit pour les autorités, pour les communautés et pour les ayants droit, d’apporter des réponses à des questions conflictuelles. Ces réponses consistent en règlements « pour l’usage des pâtures ». Les questions de pâture sont d’autant plus intéressantes que les Coutumes du Pais et Duché d’Anjou… n’en disent presque rien. Les difficultés concernent le statut des terrains, la jouissance de la première puis de la « seconde herbe », la détermination des ayants droit et l’étendue de leurs droits en « quantités de bestiaux », donc les abus de pacage.
Les questions de propriété et de jouissance
14On distingue en Anjou des herbages appropriés (sans intérêt ici), des herbages semi-communaux et des herbages communaux. Le statut « moyen » est sans doute celui de terrains acquis sur d’anciens espaces collectifs par des particuliers, soit sous l’Ancien Régime, soit après la Révolution, sans que l’appropriation ait été complète. Même après 1790, et malgré le nouveau régime de la propriété, une telle appropriation est restée soumise à des usages collectifs qui vont mettre un demi siècle à disparaître. Quant à la catégorie des « communaux », elle voit son statut se compliquer au xviie siècle : terrains appartenant à des communautés ? ou appartenant conjointement à un seigneur et à une ou plusieurs communautés ? ou terrains déclarés relevant du domaine royal, mais où les communautés ont conservé des « usages » tellement étendus que la question de la « propriété » reste discutée entre le roi et les communautés21 ? D’ailleurs, après 1790, ces terrains litigieux deviendront simplement des « biens communaux » ou des « biens sectionaux » gérés par les municipalités.
15Déjà très embrouillées sous l’Ancien Régime, les questions de propriété des terrains et de jouissance des usages de pâture ont été compliquées dans le Maine-et-Loire, à partir de la Révolution, par une re-qualification juridique fondée sur les droits de « vaine pâture » et de « parcours22 ». Or ces termes n’étaient pas utilisés dans la province d’Anjou avant la Révolution. La « vaine pâture » angevine ne concernait que les terres où l’on faisait pousser de l’herbe pour les foins – et non des terres à blé. Quant au « parcours », c’est-à-dire la pâture d’une communauté chez une autre, il ne s’applique pas non plus à la pâture angevine qui était un droit d’herbage exercé dans des seigneuries qui n’avaient pas la même définition territoriale que les communautés paroissiales, ni, par conséquent, la même définition que les communes de 1789. Les Angevins ne faisaient pas parcourir leurs bêtes chez d’autres car ils étaient ensemble, chez eux, dans la même seigneurie23. C’est le renforcement de la structure en « communautés paroissiales » puis la municipalisation de 1789-1790 qui, en effaçant les « détroits » des seigneuries, pour ne conserver que les limites des paroisses, devenues limites communales, a fait de ces droits d’herbage un droit de « parcours ». Ce droit porte sur des communaux désormais « indivis entre plusieurs communes », ou intéressant des sections de communes, ou intéressant seulement certains particuliers, qui relevaient auparavant d’une même seigneurie et qui se sont retrouvés dans des circonscriptions communales différentes.
16Ce « parcours » angevin ne concernait pas tout l’espace agraire mais seulement les terres semi-privées / semi-communales et les terres communes qui ne devaient pas être closes. Il s’agissait de landes et surtout de prairies inondables. Lorsque les terrains n’étaient pas entièrement communaux, ce parcours était limité à une période qui laissait la possibilité, dans la même année, de réaliser une coupe de foin sur la « première herbe » avant pacage collectif sur la « deuxième herbe ». Au xixe siècle, beaucoup de pâtures angevines sont dites à la fois « affermées » pour la « première herbe » et « livrées au parcours24 ». Nous avons des difficultés à comprendre cette situation car nous la regardons d’un mauvais point de vue. À partir de la Révolution et pendant tout le xixe siècle, jusqu’à disparition des droits de pâture, la situation est en effet décrite à partir de la propriété. Cette propriété serait grevée d’usages. Or le xixe siècle est trompeur. Vers la fin du Moyen Âge, la charte de Beaufort décrivait tout au contraire des pâtures collectives, qui ont été, par la suite, grevées de droits partiels de propriété. L’un des derniers textes promulgués pour le comté de Beaufort sous l’Ancien Régime réitère ce principe en considèrant que la normalité est la présence des bestiaux de tous les usagers sur les prairies25. C’est par rapport à cette situation que la « police » doit indiquer les temps de « vuidage » ou de retrait des bestiaux. De même, la municipalité de Brain-sur-Authion explique en 1791 que « les pacages sont suspendus à partir de [tel] jour jusqu’à [telle date]26 » et non que le pacage est autorisé à certaines dates seulement. Nous trouvons fort tard un dernier point de vue favorable aux anciens droits, à savoir en 1829. Le maire de Saint-Mathurin riposte à celui de Brain et s’efforce de retracer une évolution complexe :
« Pour juger la question d’une manière équitable nous pensons qu’il faut remonter à la source des droits respectifs, en connoître et en faire valoir la solidité. D’abord, l’usage de la seconde herbe […] n’est point une tolérance. La seconde herbe appartient aux communes comme la première appartient aux propriétaires du fonds et dans la vente qui a été faite de ces fonds, cette seconde herbe est réservée aux communes qui doivent en jouir depuis tel jour jusqu’à tel jour. Dans le principe, les comtes de Beaufort étoient propriétaires de tous les communaux de la vallée […]. Ils firent don […] de tous ces communaux à leurs communes et, s’en réservant la suzeraineté, ils en disposèrent à différents tems de quelques portions […] mais ils réservèrent spécialement la seconde herbe aux communes […]. La première herbe appartient donc aux uns et la seconde aux autres27. »
17On peut dès lors se demander, lorsqu’une commune vend des biens communaux au xixe siècle, si elle remet à l’acquéreur l’ensemble de la jouissance. C’est ce que l’on penserait a priori. Mais en 1846, par exemple, la municipalité de Brain vend deux terrains qui, jusqu’alors, étaient affermés. Selon les usages, le locataire n’avait pour lui que la première herbe et la seconde était commune. Qu’aura le propriétaire ? Dans la partie « description du bien » de l’acte notarié on relève :
« Art. 1. Les adjudicataires souffriront s’il y a lieu la continuation de l’usage que pratiquent divers individus […]. Ils s’en défendront s’ils le jugent à propos, à leurs risques et frais sans aucun recours contre l’administration [municipale]28. »
18Celle-ci se démarque donc des pratiques qu’elle qualifie d’individuelles. En 1854, nous retrouvons les deux acquéreurs soumettant à la municipalité des « demandes d’affranchissement du droit de parcours de la seconde herbe » en s’appuyant, écrivent-ils, sur les articles 5 et 8 de la loi du 28 septembre 1791 « déclarant le droit de vaine pâture rachetable à dire d’experts », et proposant de payer à la commune de Brain « la valeur du produit de la seconde herbe ». La commune-propriétaire avait donc vendu seulement, en 1846 : la propriété du terrain et seulement le premier produit, tandis que la commune-collectivité, issue de la communauté d’habitants d’Ancien Régime, avait pour elle le second produit du terrain. La vente par la commune-propriétaire et l’acquisition par deux particuliers n’a rien changé aux droits à la seconde herbe de la commune-collectivité. D’où la nécessité de racheter, dans une deuxième étape, les droits anciens. À cette condition seulement, la propriété des deux particuliers deviendra complète.
Les abus sur les quantités et l’espèce des bestiaux
19L’usage des pâtures comportant un gros risque de conflictualité, des règlements sont édictés29. Les disputes portent d’abord sur les ayants droit et l’étendue de leurs droits : qui peut mettre des bestiaux ? combien de têtes ? de quelle sorte ? Les règlements portent en leur contenu deux principes principaux : l’herbe commune est réservée aux bêtes « du nourri » et du « croît » des exploitations et elle ne doit pas trop servir aux spéculations ou « faits de marchandise » qui seraient « à l’avantage des particuliers ». L’usage « de nécessité » consiste au contraire à apporter, grâce à l’herbe commune, une aide à la « garniture » des exploitations agricoles en bestiaux. Mais, dans les basses vallées angevines, l’élevage n’est jamais limité aux animaux de trait et aux bêtes qui fournissent de quoi fabriquer le fumier. L’élevage prend aisément de l’extension grâce à l’étendue des espaces collectifs. Des nombres de bestiaux autorisés et des proportions sont établis par type d’exploitation – métairies et closeries – ou par unités de surface, ce qui n’empêche pourtant pas de nombreux « mésus », en particulier de bouchers ou de marchands qui utilisent le communal dans le seul but de faire engraisser leurs bestiaux.
Des droits enchevêtrés et successifs
20Les disputes portent ensuite sur la question des dates qui est impliquée, sur certains espaces, par le système des deux herbes. La difficulté consiste alors à gérer des herbages à la fois appropriés et communs. La « première herbe » donne toutes les réserves de foin pour l’hiver. Elle est obtenue en interdisant la pâture à partir d’une certaine date : le 1er mai, ou le 1er avril, ou le 1er mars, selon les localités et selon le siècle. Les bénéficiaires du foin ont intérêt à ce que la date de protection intervienne le plus tôt possible. Une fois protégée, la première herbe pousse. Elle doit obligatoirement être fauchée à partir d’une deuxième date et être ramassée dans certaines conditions, sinon elle prend sur le temps de pacage de la « deuxième herbe », qui est l’herbe (re)poussée après les foins et consommée sur pied. De l’une à l’autre, nous avons encore des problèmes de dates et des possibilités d’abus : pâturer avant que les uns aient pu faire la « cueillette » des foins ou faire durer le temps de protection des foins et décaler le temps de parcours vers l’automne. On voit ainsi apparaître des pressions sur les dates coutumières. Dans les années « de malheur » particulièrement, où l’eau tarde à se retirer, les propriétaires qui perdent leur temps de première herbe sont tentés de se rattraper sur les droits des autres en repoussant les dates. D’autre part, comme l’on met aussi les prés de fauche en « défense » dans les métairies, les propriétaires et les exploitants y ont coutume de retirer leurs bestiaux dès le 1er février. Les baux des métairies représentent, pour certains, un modèle de bonne exploitation qu’il faudrait transposer aux prairies communes. D’où la tentation de décaler la date de mise en défense de la première herbe vers le 1er mars quand elle est au 1er avril, et vers le 1er février quand elle est au 1er mars.
21Dans la région de Beaufort, des effets ont été obtenus en changeant les dates coutumières. Le système ancien était à trois temps pendant l’été : fauchaison, puis parcours contre acquittement au seigneur des « droits d’herbage », puis abandon des contrôles et, en général à partir du 8 septembre, parcours gratuit sur les restants d’herbe. Le temps médian était celui du seigneur. Ce temps, compris entre la date à laquelle le ramassage des foins devait être terminé, et la date du parcours gratuit, est de plus en plus accaparé par les propriétaires et locataires de la première herbe qui trouvent intérêt à laisser « mûrir » cette herbe et qui, autre avantage, font tout pour se réserver la pâture du regain jusqu’au 8 septembre. Les droits des propriétaires et des locataires de la première herbe finissent donc par être étendus à la fois en début d’année – la mise en défense intervenant de plus en plus tôt – et à la fin de l’été – l’ouverture du « parcours » se faisant de plus en plus tard. Au xixe siècle, les usagers et les maires des communes défavorisées dénoncent ces évolutions. Le maire de Brain-sur-Authion interdit par exemple aux habitants de Saint-Mathurin l’accès au « marais ». D’où la réaction de maire de Saint-Mathurin :
« J’ose demander à M. le maire de Brain [mais le courrier est adressé au préfet] si il est convenable, si il est nécessaire, si il est juste de demander une prolongation à un terme si reculé [du 8 au 22 septembre] ; je lui dirois avec franchise que toutes les herbes des marais de Brain étoient mûres et bonnes à faucher le premier août et que trente huit jours [jusqu’au 8 septembre] sont plus que suffisants pour faucher, sécher et enlever cette herbe30. »
Les règlements « pour l’usage des pâtures »
22Sous l’Ancien régime, nous avons des preuves simples de la contribution des communautés à l’écriture du droit local, à savoir des procès-verbaux d’assemblées de village, où la norme a été discutée, énoncée, puis transmise à la juridiction, acceptée telle qu’elle par le procureur fiscal ou le procureur du roi, et enfin promulguée par le juge. À Soulaire, les règlements sont datés du 27 juillet 1538, du 10 avril 1559, du 22 avril 1561, etc. Le second plus ancien règlement du xvie siècle concerne ensuite, en 1543, « les prairies communes de Champtocé » aux confins de l’Anjou et de la Bretagne31. À Villevêque est également édicté quelques années plus tard :
« […] le plus ancien titre que les paroissiens ayent de cette posésion est un règlemant pour le pacage des bestiaux sur les communes en datte du 20 mai 1551 […] suivi de beaucoup d’autres jusqu’en 173432. »
23On peut penser que la promulgation d’un nouveau règlement, quelque part en Anjou, inclut des éléments nouveaux, des pratiques discordantes avec la norme, ce qui entraîne ailleurs des discussions et la révision des textes. C’est ainsi que le règlement de 1543 pour « les communs de Champtocé » a été « requis et demandé […] estre fait […] ainsy que fait a esté pour raison des communes de Tiercé33 ». On peut aussi noter que des règlements sont changés, en divers lieux, de 1623 à 162634. Plus tard dans le xviie siècle, nous aurions pu penser que l’Ordonnance de 1669 impliquerait des remises à jour. Or elle n’a pas eu d’effet évident ou immédiat : sans doute l’Ordonnance suffisait-elle. Enfin, des règlements sont changés, en divers lieux, dans les années 1770 et 1780. Il existerait ainsi une sphère d’influence locale relativement à la question de l’usage des pâtures et notamment, des règlements « modèles » comme pourrait l’être celui de Soulaire du 30 avril 1674 qui est cité et copié dans plusieurs paroisses des vallées de la Mayenne et de la Sarthe35. Dans la première moitié du xviiie siècle, les archives attestent que les communautés font répéter les normes, notamment « aux grandes messes des mois de mars, juillet et aoust de chaque année » qui sont les moments délicats de la police des pâtures, répétitions ainsi révélatrices des abus qui continuent de sévir sur les terres communes… Des copies de règlements plus anciens sont à cet effet établies, qui sans cela n’auraient sans doute pas été conservés. D’où aussi une multiplication de règlements présentés comme nouveaux mais qui ne portent en définitive aucune innovation.
Les juridictions impliquées dans la police des pâtures sous l’Ancien Régime
24A priori la justice seigneuriale devrait réguler les questions de pâture, étant par excellence une justice de proximité dotée de juges bien assez savants pour régler des litiges dont les termes sont simples. L’intérêt bien compris des paysans suppose en effet un juge-arbitre accessible et ne coûtant ni trop de temps, ni trop d’argent. De fait, qu’en est-il ? À Soulaire, Noyant et Feneu, en juillet 1624, le sénéchal de la baronnie de Sautré et châtellenie de la Roche-Joullain est l’autorité qui délivre une « sentence en forme de règlement ». Mais dans les mêmes lieux, à partir de la seconde moitié du xviie siècle, on ne voit plus agir que des juges royaux. Cette situation semble confirmée ailleurs et la réponse à notre interrogation aurait donc un aspect chronologique. Au xviiie siècle, en Anjou, une soixantaine de juridictions seigneuriales sont pourvues de droits de « haute justice », pour près de quatre cents paroisses36. Elles sont plus ou moins actives et elles fonctionnent grâce à un personnel qui peut exercer des fonctions en plusieurs juridictions37. Nous n’avons pas enquêté à partir de leurs propres archives (sous-série 16 B), mais à partir des sources villageoises. Or ces documents montrent que les juridictions seigneuriales n’agissent guère dans la police des pâtures – ou n’agissent plus. Dans le cours du xviie siècle, la police des usages et biens communaux serait passée des juges des seigneurs aux juges royaux, lesquels seraient ensuite sollicités de préférence pour juger ce qu’ils avaient policé38. Ces juges pourraient être ceux des prévôtés royales – jusqu’à leur suppression vers 175039. Mais les sénéchaussées agissent plus souvent en matière de police rurale40. Quant au présidial d’Angers, il arrive qu’on le rencontre dans des procès relatifs à la propriété, mais il n’est pas dans ses attributions d’établir la police. Enfin, les juridictions royales « ordinaires » sont concurrencées, dès le xvie siècle, par les maîtrises des Eaux et forêts41 et les maîtrises prennent l’avantage dans le dernier tiers du xviie siècle. Sans doute est-ce la conséquence des édits de 1667 et 1669. Ainsi, au xviiie siècle, dans les archives villageoises, on ne rencontre plus guère d’actes réglementaires des justices seigneuriales, les sénéchaussées royales sont moins présentes qu’au xviie siècle, et l’on trouve donc surtout des actes qui émanent des juridictions des Eaux et forêts42.
Les juridictions et administrations impliquées à partir de la Révolution
25Selon Henrion de Pansey, trois pouvoirs concourent à la police rurale : celui qui fait les règlements, celui qui constate les délits et celui qui applique les peines43. Contrairement à ce qui était pratiqué sous l’Ancien Régime, les juges ne peuvent plus faire de règlements, ils ne sont plus institués que pour juger et pour terminer une contestation. Les « règlements de police » ne peuvent plus être ordonnés que par le maire ou par le préfet. Cependant, par certaines de leurs sentences, les juges prononcent nécessairement des « défenses » par lesquelles ils continuent de participer ponctuellement à la « police ».
26L’aspect le plus nouveau concerne les droits de police et justice municipale dont la Révolution a doté le maire et le conseil municipal, lesquels ont été chargés, dès le mois de décembre 1789, de faire jouir les habitants d’une « bonne police » afin de maintenir l’ordre et la tranquillité. Les choses vont rapidement se compliquer et le statut du maire, en tant que magistrat rendant la justice, va connaître des changements importants : compétence « absolue » en 1790, recul sous le régime de la Constitution de l’an III44, puis rétablissement partiel de la situation dans le Code d’instruction criminelle de 1808. Les maires retrouvent alors le droit de juger « les infractions les plus légères » et d’agir par eux-mêmes en cas de flagrant délit dans l’étendue de leur commune, comme magistrat présidant le « tribunal de simple police45 ». D’abord partagée avec l’ensemble de la municipalité, l’autorité supérieure du maire a été par la suite clairement établie46. Le conseil municipal n’a plus aucune autorité et ne peut que donner un avis… sauf sur une attribution qui a toujours été conservée aux conseillers municipaux : l’examen et agrément du garde-champêtre, nommé par le maire avec son conseil municipal47. À partir de 1837, le conseil municipal est de nouveau associé à l’autorité du maire. De plus, lorsque le maire exerce des fonctions répressives et judiciaires, son tribunal comporte un ministère public et c’est l’adjoint qui en fait la fonction. Le maire et la municipalité sont donc juges de leurs « administrés », sauf s’ils prennent le parti de laisser agir le juge de paix. Le maire a en même temps des fonctions de « commissaire de police ». Ses attributions comportent la « répression des délits ruraux » et la « conservation des fruits de la terre et des propriétés », qui est nécessairement articulée avec d’autres facettes de sa commission : « police intérieure », police de la chasse, des chemins, des cours d’eaux, etc., et police des biens communaux, pour lesquels les obligations du maire sont prudemment de « conserver l’ancien état des choses ». Le maire est aussi chargé d’un pouvoir réglementaire ou de « police administrative » qui « prévient les contraventions par des règlements et par des mesures » appropriées – ce qui est exactement la « police » de l’Ancien Régime. Au-delà de cette prévention, le maire est enfin chargé de « rechercher les crimes, délits et contraventions, rassembler les preuves et livrer les auteurs aux tribunaux48 ». Ainsi, le maire a la possibilité de faire beaucoup de choses mais il n’y est pas obligé.
27Quant aux juges, ils sont moins divers qu’avant la Révolution. Il n’est plus question de juridiction forestière et le tribunal civil juge les questions de propriété. Beaucoup de questions devraient donc reposer sur les justices de paix. Par nature, le juge de paix est impliqué dans toute « conciliation49 » et tout litige rural en est susceptible. La conciliation précède même la détermination de la compétence, car le juge de paix peut recevoir n’importe quelle « citation en conciliation », à la seule réserve que la contestation n’intéresse pas « l’ordre public ». Le juge de paix est compétent pour les dommages faits aux champs, fruits et récoltes50. Mais il y a des difficultés juridiques. Par exemple, dans une question de pâture, ou de dommages, la procédure de conciliation est possible entre des particuliers mais elle est impossible si la commune intervient. De plus, le juge de paix est compétent pour toutes les « actions possessoires » à quelque valeur que la demande puisse monter (il s’agit de savoir à qui appartient la possession d’une chose)51mais ne peut intervenir dans le questions de propriété qui relèvent d’une « action en pétitoire ». L’ordonnance royale de 1667, titre 18, article premier, a établi des distinctions qui sont toujours valables. Ainsi, les « complaintes » pour trouble à la possession ou à la jouissance sont juridiquement qualifiées par la mise en cause de droits dits « réels » :
« Droit qui existe sur une chose, abstraction faite de la personne qui peut la posséder […]. Un droit réel est une chose incorporelle qui n’est pas susceptible d’une possession proprement dite ; mais il est susceptible d’une quasi-possession, qui consiste dans la jouissance que nous avons […]. Un droit de secondes herbes, un droit de vaine pâture, un droit de passage […] sont des droits réels, pour la jouissance desquels on peut intenter l’action [possessoire] en complainte. »
28Or des actions judiciaires produites par le même incident peuvent lier les situations de propriété et de jouissance, alors qu’elles ne peuvent être exercées en même temps, ni devant le même juge. Se plaindre d’un obstacle mis à la jouissance de la seconde herbe peut aussi bien être une action possessoire, si l’opposition vient de surgir, qu’une action pétitoire si du temps s’est écoulé depuis l’opposition car le demandeur (individuel ou collectif ) n’est plus dans le cas d’une « possession annale » et veut cependant retrouver son droit. Il doit engager une action en propriété et non en possession, donc une action pétitoire qui sort de la compétence du juge de paix et concerne le tribunal civil. C’est au juge de paix de se rendre compte de son incompétence. Le droit à la « seconde herbe » pose aussi des problèmes en raison d’une sorte de supériorité donnée au droit de propriété depuis l’énoncé des principes fondateurs de la Révolution :
« […] il appartient au juge de mettre en balance les preuves et titres apportées par les parties [et] en combat de preuves […] de considérer les mieux circonstanciées, les plus anciennes, les faits les plus multipliés et les plus constants, etc. […] le juge de paix aura besoin d’une grande sagacité et un rare esprit de discernement52. »
29Un droit de faire pacager des bestiaux sur le fonds d’autrui ne peut être maintenu, s’il se trouve contesté, sauf s’il est fondé sur un titre : la possession, même « constante et non déniée », ne suffit plus53. Nous recoupons aussi le droit de clore sa propriété. La clôture libère en effet un héritage de la vaine pâture lorsque ces droits n’étaient fondés que sur l’usage, mais elle ne peut l’exempter d’un droit de pâturage fondé sur un titre, d’où la possibilité d’une action possessoire54. Un droit de vaine pâture pourra être prouvé par un acte constatant à un moment donné la jouissance de ce droit, cet acte formant lui-même un titre, sans qu’il soit besoin de recourir à un titre originel. Un historien du droit pourrait pousser cette étude et sans doute énoncer les normes les plus fortes. Il nous suffira de souligner que ces questions sont d’évidence des nids à contestations55.
Réguler entre soi et recourir aux juges sous l’Ancien Régime
30La régulation des conflits entre habitants et biens tenant permet d’éviter de recourir trop fréquemment à l’intervention auprès des juges. Une recherche systématique dans plusieurs fonds judiciaires n’a d’ailleurs pas livré autant de conflits que l’on pouvait le supposer, d’où l’hypothèse que des incidents nous échappent et qu’il doit exister des formes d’arbitrage et des « accommodements56 ». Un exemple permet de confirmer cette idée : c’est seulement parce que l’affaire est devenue grave, à cause d’un propriétaire hargneux57, que nous apprenons que dans les mois de mai et juin 1769 une action de force a été menée par plusieurs habitants de Soulaire contre d’autres, trouvés en délit de pacage dans les vignes. La mise en fourrière d’une vache – dans la cour du cabaret – est suivie de l’intervention du curé pour faire aussitôt libérer l’animal58. La saisie du bétail d’autrui est une modalité extra-judiciaire susceptible de dérapages car la première action de force, commise sur des animaux, en l’absence de leur propriétaire, peut finir en confrontation entre des personnes.
Les problèmes posés par le recours aux juges
31Recourir aux juges, c’est d’abord prendre le risque d’être pris dans des conflits de juridiction. En 1752 par exemple, le sénéchal de Beaufort autorise sur demande le pacage des bestiaux à la Sainte-Madeleine et le juge de la gruerie des Eaux et forêts de Beaufort à une autre date59. Celui-ci s’insurge contre une « entreprise sur les droits de sa juridiction » qui s’étend « sur les communes, landes, marais, pâtis, pâturages et usages ès prés communs après la première herbe » – et de citer ses références60. Judiciairement, le juge de la gruerie a peut-être raison. Il n’empêche que le sénéchal se conforme au droit le plus ancien, tandis que le juge des Eaux et forêts est dans l’innovation. Les justiciables se trouvent alors entraînés dans un conflit qui les dépasse.
32Les magistrats sont des propriétaires ruraux et souvent des bourgeois de la ville d’Angers. Ils sont donc à titre personnel intéressés aux droits de pâture et de parti-pris. Autrement dit, il y a un risque qu’ils interprètent le droit en leur faveur ou en faveur de leurs parents et alliés, qu’il s’agisse d’abus dans le nombre des bestiaux ou du piétinement des droits de seconde herbe. De plus, les magistrats d’Angers sont portés à infléchir le droit rural en s’appuyant sur le droit romain, sur la législation royale et les arrêts pris par le parlement de Paris et aussi sur les coutumes étrangères. Des questions de dates sont posées par exemple en 1751 à propos des vignes. Nous voyons la sénéchaussée intervenir « pour la conservation des vignes », signaler « les plaintes réitérées qu’ils reçoivent », constater « qu’on commet continuellement dans les vignes des dommages considérables », rappeler la législation angevine61 et royale et finalement « la disposition d’une infinité de coutumes qui doivent en cette partie servir de droit et être générallement observées » – coutumes qui sont toutes citées dans leurs titres et articles62. Les justiciables doivent le savoir : recourir aux juges, c’est prendre le risque d’amener au village autre chose que le droit local.
33Un bon exemple d’infléchissement d’une situation par des juges nous est donné à La Daguenière63, en 1750, lors de l’intervention du grand maître enquêteur et général réformateur des Eaux et forêts de France au département des provinces de Touraine, d’Anjou et du Maine. Juge supérieur et sans intérêts propres dans la Vallée d’Anjou, il est idéalement placé pour se mettre dans la position du redresseur de torts, n’ayant « rien d’avantage à coeur », assure-t-il, que « de garantir les plus foibles de l’oppression des plus puissans et de faire trouver aux plus necessiteux du soulagement ». Son action découle de « différentes plaintes qui nous ont étés faites par le nommé Jean Huard sindic de la paroisse de La Daguenière » appuyé sur les textes de 1471, 1623 et 1669. Il reprend ensuite les accusations portées contre des « hommes de loi et privilégiés prétendus », « plusieurs habitans des plus riches et opulans en biens » et aussi contre des bouchers d’Angers, tous coupables d’abus de pâturage. Tous se prétendent dans leur droit et répondent aux saisies de bestiaux par des demandes de dommages et intérêts. Contre tout cela, le grand maître donne les ordres nécessaires : 25 moutons par habitant ou par étranger autorisé à en mettre ; interdiction de prendre des bêtes des bouchers et autres ; interdiction aux bouchers de mettre des bêtes, même en louant des terres dans le comté, à moins de se faire « employer sur les rôles des tailles comme domiciliés » ; interdiction de percevoir des « droits d’herbage » autres que ceux du comté, à charge au juge de la gruerie de Beaufort d’enquêter sur les prétentions et titres de ceux qui les exigeaient ; autorisation donnée aux pauvres de prendre des bêtes « à louage soit à moitié, soit en garde », bien que le juge rappelle qu’il est « porté par lesdits règlemens qu’ils n’en pourront avoir que de leur crû et nourri » et aussi que cette permission « est contraire à l’art. 2e du titre 19 de l’ordonnance [de 1669] ».
De l’application de la police par les juges
34Une ordonnance de police n’est jamais que la mise à disposition du public des fondements nécessaires pour déposer une plainte. Les juges ne traquent pas eux-mêmes les délits. Seuls les sergents et gardes le font, stimulés par la part des amendes qu’ils touchent. Un document comptable nous a permis de mesurer l’intensité réelle des poursuites dans les dernières années de l’Ancien Régime, au moment où la gruerie de Beaufort applique le règlement de 1777 et prend un nouveau règlement, en 1785. Il s’agit d’un relevé des peines infligées de 1784 à 1788 et comptées à la fin de l’année 178964. Chaque compte annuel porte en « reprises » les amendes impayées et en « recettes » annuelles le produit des amendes, selon un tarif augmenté des 2 sols et 6 sols pour livre, ainsi que le produit des ventes de bestiaux saisis lorsqu’il s’agit de délits de pâture. Nous constatons d’abord que les bestiaux sont plus souvent rendus à leur propriétaire contre le paiement d’une « restitution », alors que seule la confiscation est prévue dans les règlements. Nous avons aussi la preuve que les amendes et les saisies sont rares : quinze amendes pour cinq années, quelques restitutions et aucune vente aux enchères des bestiaux saisis. Les amendes touchent davantage les voleurs de bois (un délit qui est hors de notre propos) que les contrevenants à la police des pâtures et la plupart des amendes passent en « reprises ». Ainsi, la communauté de Brain-sur-l’Authion qui a été punie de 210 livres – compris les sols pour livres – par une sentence du 18 janvier 1786, n’a toujours pas payé en décembre 1789. Entre énoncer un règlement et le faire appliquer, il y a décidément une différence…
Inscrire les droits de chacun dans l’espace
35Pour éviter de recourir aux juges, les communautés d’habitants doivent se conformer à la « bonne police » et réduire les occasions de conflits. C’est pourquoi les grandes prairies, sans être divisées par des fossés, talus, etc., sont suffisamment compartimentées. En 1786, dans un mémoire conservé dans le fonds des Eaux et forêts d’Angers, il est écrit à propos de la paroisse Saint-Laud d’Angers que la première herbe appartient à une infinité de particuliers « qui tous connoissent et sçavent distinguer la portion qui leur appartient65 ». L’explication tient à des bornes que l’intendant du Cluzel avait déjà signalées en 1769 :
« […] à voir ces prairies, on imaginerait qu’elles appartiennent à un seul propriétaire, parce qu’elles ne sont coupées ni de hais, ni de fossés. La propriété en est cependant divisée […] et distinguée par des bornes qu’on a soin de reconnaître dans le moment de la fauchaison […]. Celles qui appartiennent aux petits propriétaires sont d’un arpent, d’un demi arpent et d’un quartier d’arpent66… »
36L’absence de disputes relatives au foin des uns et des autres doit aussi tenir au fait que les « faucheries » sont faites en même temps et chacun sur son lot.
Organiser la garde des bestiaux
37Les autres raisons de s’opposer sont plus délicates, car elles mettent face à face des intérêts contraires. Revenons sur l’exemple d’un règlement sous forme d’une « ordonnance » prise le 30 avril 1674 par Jean Aubin, maître des Eaux et forêts d’Anjou à Angers, pour mettre fin aux « abus de quelques particuliers […] du droit qu’ils ont d’envoyer des bestiaux sur les communes » partagées entre les paroisses de Briollay, Tiercé et Soulaire67. Après avoir rappelé les anciens règlements « touchant l’usage desdites communes », l’officier donne ses ordres et le tarif des amendes. Il permet ensuite « aux habitants desdites paroisses de s’assembler, constituer procuration & en nommer d’entr’eux pour l’exécution d’icelles ». Or, nous retrouvons en avril 1755 les « paroissiens, manants, etc. » de Soulaire, assemblés et soumettant une délibération au maître des Eaux et forêts pour homologation. Ce faisant, ils nomment trois « procureurs » ayant « tout pouvoir de veiller à la conservation desdites communes et des droits des habitants », et deux gardiens des bestiaux. Ils sont autorisés par l’assemblée à « faire visite des bestiaux », « faire subir [aux contrevenants] les peines prévues » et « faire profiter les gardes au profit des amendes ou confiscation ». Les gardes sont nommés pour une année au terme de laquelle les procureurs peuvent nommer d’autres gardes, sans obligation de réunir une nouvelle assemblée. Comme « depuis plusieurs années on a négligé d’exécuter les règlements tant généraux que particuliers », les délibérants soulignent les difficultés récurrentes, auxquelles s’ajoute une nouvelle, à savoir la question du partage des herbes et des dates qui ne se posait pas vraiment au début du xviie siècle, et qui depuis est devenue cruciale – évolution que nous avons déjà notée à propos du règlement donné à Beaufort en 177768.
Réduire les droits des plus faibles
38Plus les tensions sont fortes et plus la communauté des habitants attaque les droits de ceux qui sont économiquement et politiquement les plus faibles, c’est-à-dire les pauvres auxquels on reproche de ne ne pas contribuer aux charges locales – d’où leur exclusion des privilèges locaux – et les habitants des paroisses voisines. Cette contraction figure notamment en août 1782 dans une sentence des Eaux et forêts rendue sur demande des usagers des communs des Ponts de Cé et de Sainte Gemmes afin d’établir ce que chaque habitant pourra y envoyer comme bestiaux :
« […] sur l’exposé de ce que quelques particuliers des sus dittes paroisses qui n’ont aucun bien ni exploitation et qui ne sont pas même imposé à la taille envoyent continuellement un nombre infini de bestiaux tels que moutons ou brebis et oyes paccager sur les dittes prairies, ce qui infecte l’herbe […]. Nous ordonnons […]. Secondement que ceux qui nont pas trois livres de tailles de principal ne pouront envoyer paccager ny moutons ou brebis ny oyes sur les dittes prairies et communs au moyen de quoy ils seront tenu de sen deffaire sous un mois à partir du jour de la publication de notre présente sentence […]. Neufviemement avons fait et faisons defenses à tous particuliers qui ne sont pas des dittes paroisses d’envoyer paître ny paccager aucuns bestiaux sur les dittes prairies et communs69… »
L’exemple de la police des pâtures à Champtocé aux xvie et xviie siècles
39Le plus ancien règlement connu pour les communaux de Champtocé, daté de 1543, émane de la « sénéchaussée d’Anjou au siège d’Angers70 ». Cette juridiction a rendu une sentence dans un précédent procès en 1537 – sentence confirmée par un arrêt du parlement de Paris. Mais les normes sont contestées en 1541 et une nouvelle sentence, rendue en 1543, apporte une solution inspirée, comme nous l’avons écrit plus haut, d’un règlement rendu « pour raison des communes de Tiercé ». La sentence de 1543 découle de la requête de onze usagers « et leurs consorts », auxquels se sont joints d’autres « demandeurs », parmi lesquels figurent le seigneur principal et des personnages de qualité, tandis que les « défendeurs » sont sept marchands qui revendiquent le droit de « rafraîchissement » octroyé aux bêtes de passage. Il est facile d’imaginer comment les uns peuvent abuser d’un tel droit et comment les autres peuvent le trouver insupportable.
40La sentence et le réglement de 1543 ne nous sont pas parvenus dans leur version originale, mais sous la forme d’une copie dressée en 1636. Le même règlement servait donc toujours, plus de quatre-vingt-dix ans après sa publication71. Un autre règlement, daté de 1684 et homologué cette fois par la maîtrise des Eaux et Forêts d’Angers, ne nous est parvenu qu’à travers sa mention dans un acte judiciaire dressé en 168872. Il s’agit d’une sentence prononcée le 29 mai en conséquence d’une saisie effectuée le jour précédent contre des bergers accusés d’abus de pâture. L’acte mentionne une action des « parroissiens manans et habittans » représentés par François Joubert, « procureur de la fabrique de Champtocé », fondé d’une « procuration spéciale […] pour l’effaict des p[rése]ntes ». Les délinquants sont dix garçons et une fille âgés de dix à quinze ans qui refusent de donner leurs noms. Les moutons sont « conduicts en la cour du chasteau dud[it] Champtocé ». Des propriétaires ou des parents se présentent alors, et les bêtes leur sont restituées. Le décompte par troupeau et propriétaire donne alors le nombre étonnant de 1 047 moutons et brebis ! La mention d’une « marque faicte sur iceux » permet de comprendre comment le millier de bêtes était gardé ensemble et comment chacun a pu reprendre son bien73. Le lendemain, lors de la comparution de plusieurs propriétaires, le premier cité calcule ses droits et donne une explication pour le surplus :
« […] led[it] Goussé qu’il a droit d’avoir le nombre de trante moutons comme marchand, plus douze comme usage[r] et habitant dud[it] Champtocé, plus quatre moutons pour deux journaux de terre qu’il y exploitte faisant en tout quarante six moutons au lieu de quoy il n’en a que quarante à luy auparavant, le surplus qui a esté trouvé apartenant à Georges Beau […] lequel a esté obligé de les laisser [audit Goussé] ne luy estant pas possible de les mener au bourg à cause que la boire74 du Champrayeé est plainne d’eau qui empesche le passage. »
41Les deux suivants calculent aussi leurs droits et déclarent :
« […] qu’ils sont prest de se régler aux anciens règlements pourveu que les autres le fassent aussy mais il est certain que chascun, mesme les extrangers, mettent des moutons au commun sans aucune règle et tout aussy que bon leur semble, ce qui cause le trouble… »
42Chacun promet « de se conformer au nouveau règlement qu’il est nessessaire de faire » : soit le règlement de 1684 ne donne plus satisfaction, soit il s’agit pour les délinquants de trouver une excuse. Notons aussi que l’un des propriétaires de moutons présente au juge une « coppie collationnée sur une autre coppie rapportée aussy collationnée » du règlement de 1543. La pièce est rejetée parce qu’« en l’estat qu’elle est », déclare le juge, il « ne peut pas adjouster foy à lad[ite] coppie », mais il ne l’attaque pas sur le fond. Nous pouvons donc émettre l’hypothèse que le règlement de 1684 ne différait pas, par son contenu, du règlement de 1543. Mais la juridiction étant différente, il fallait bien en rédiger un autre. Cependant, nous pourrions considérer qu’il s’agissait plutôt d’une sentence de revalidation du règlement du xvie siècle et non d’une sentence innovante. Comme le changement suivant intervient dans la seconde moitié du xviiie siècle, nous pouvons finalement conclure que le règlement de 1543 a tenu plus de deux siècles avant d’être sérieusement changé.
43Le processus d’établissement d’un règlement est clairement identifié dans la sentence de 1764 (retrouvée en série « O »), par un acte d’assemblée de 1763, par une requête et enfin par d’autres pièces (retrouvés en série « 8 B »)75. Ce processus part d’une requête présentée par les paroissiens et habitants de Champtocé pour obtenir une autorisation judiciaire (ou un ordre) pour convoquer une assemblée et procéder à une « délibération ». Les voisins de Saint-Germain-des-Prés76 sont associés parce qu’ils relèvent de la même seigneurie et accèdent aux mêmes espaces communaux. Il est probable que la structure en « communautés paroissiales » s’est tellement renforcée que, dans la seconde moitié du xviiie siècle, des difficultés inédites surgissent entre des usagers habitant une même seigneurie mais deux paroisses. Il faut donc convoquer, non les resséants de la seigneurie, mais le « commun » des deux paroisses. L’assemblée est autorisée le 12 février 1763 et se tient le dimanche 20 février suivant « sous le ballet de l’églize77 » où « étant assemblés à l’yssue des vespres à la manière accoutumée », ils ont établi « conformément aux anciens règlements » leur délibération « pour les communs de Champtocé78 ». Une requête est mise en forme le 18 mai 1764 seulement79. La comparaison entre la délibération et la sentence montre clairement d’où vient la police que l’on pourrait croire dictée par le juge :
« […] chacun des usagers de ladite paroisse de Champtocé pourra avoir et nourir sur les communes […] tel nombre et quantité de boeufs, vaches et leur suitte qu’il luy plaira pourvu qu’il soit de leur nourry sans fraude et que chacun des usagers ayant maison dans la chatellenie de Champtocé pourra avoir et nourir esdits communs seullement douze chefs de bergail… »
« […] chacun des usagers pourraient avoir et nourrir sur les communes […] tel nombre et quantité de boeufs, vaches et leur suite qu’il leur plairait pourvu qu’ils soient de leur nouri sans fraude et que chacun des usagers ayant maison dans la Chatellenie [de] Champtocé et de Saint Germain pourrait avoir et nourrir ès dites communes seulement douze chefs de bergail avec leur suite de l’année… »
44Le juge n’est donc pour rien dans le détail des choses. Seules quelques distinctions peuvent attester d’une perception différente de certains dangers ou, de la part des habitants et biens tenant, de la volonté de graduer la répression. C’est le cas à propos des porcs : la délibération prévoit quelles amendes devraient être infligées de la première fois jusqu’à la quatrième alors que le juge fait plus court, réservant peut-être « à justice » d’apprécier le montant de l’amende. Pour la plupart des dispositions, la délibération de 1763 ne fait que reprendre le règlement de 1543. En revanche, l’intervention des seigneurs, qui présentent « trois écrits sous signatures privées » pour approuver presque tout l’« acte d’assemblée », va infléchir certaines dispositions. Les trois lettres sont du 3 mars 1763 pour celles du seigneur de Lanerau et du comte de Serrant, principal seigneur de la châtellenie de Champtocé, et du 5 mars pour la veuve du seigneur du fief Dupin. Le règlement de 1764 comprend finalement quelques innovations voulues par les seigneurs et défavorables aux petites gens (notamment les éleveurs d’oies) ainsi qu’aux marchands de bestiaux et aux bouchers. Enfin, après 1543, 1684 et 1764, la « police » de Champtocé sera encore prolongée par un règlement établi en 1831.
La régulation des questions de pâture à partir de la Révolution
45Comme sous l’Ancien Régime, les communautés hésitent encore entre arranger les choses entre soi et extérioriser les conflits, donc recourir aux juges ou à l’autorité préfectorale. Dans la plupart des communes, la résolution définitive des conflits sur les espaces en partie ou totalement collectifs viendra surtout de leur disparition vers le milieu du xixe siècle. Mais là où tout n’a pas été approprié et mis en culture, des syndicats de propriétaires ont pris la suite des communautés d’Ancien Régime et des municipalités.
L’exemple de la police municipale de Chaudefonds en 1790
46Sitôt sa création, en février 1790, la « municipalité de la communauté de Chaudefonds » promulgue des règlements, sans toutefois aller jusqu’à exercer la justice donc sans réprimer les contraventions à sa propre « police ». Il y a beaucoup de continuité, tant dans la forme des assemblées générales « des habitants et paroissiens de la paroisse de Chaudefonds dûment assemblés à l’issue de leur grande messe paroissiale sous leur galerie dans la manière accoutumée », que dans les préoccupations. Les séances du mois d’avril sont consacrées à la rédaction d’un règlement puis à la nomination d’un commissaire et enfin à la nomination et confirmation d’un garde-champêtre qui est « l’ancien garde messier de cette communauté ». Il s’agit de « faire jouir tous nos cohabitans d’une bonne police » en prenant au pied de la lettre le 50e article des Lettres patentes […] contenant diverses dispositions relatives aux municipalités… données par le roi à Paris en janvier 1790 sur plusieurs décrets de l’Assemblée nationale des 29 et 30 décembre 1789 recopiées dans le registre municipal :
« Article L. Les fonctions propres au pouvoir municipal, sous la surveillance et l’inspection des assemblées administratives, sont : de régir les biens et revenus communs desdites villes, bourgs, paroisses et communautés ; de régler et d’acquitter celles des dépenses locales qui doivent être payées des deniers communs ; de diriger et de faire exécuter les travaux publics à la charge de la communauté ; d’administrer les établissements qui appartiennent à la commune qui sont entretenus de ses deniers et sont particulièrement destinés à l’usage des citoyens dont elle est composée ; de faire jouir les habitans des avantages d’une bonne police, notamment de la propreté, de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillité dans les rues, lieux et édifices publics. »
47D’où une « ordonnance de police » de la commune de Chaudefonds en onze articles dont trois relatifs à la police champêtre et aux questions de pâture80. L’ordonnance est complétée quelques jours plus tard par une « taxe » en six articles et en forme de règlement « relatif aux dommages et abus à quoi s’opposeront et réprimeront de tout leur pouvoir les commissaires de police » et les gardes. L’article 6 annonce la formation d’une « audiance de police » composée de « messieurs les officiers municipaux » qui se tiendra « tous les lundis de chaque semaine à neuf heures du matin ».
La police municipale au xixe siècle
48Les délibérations des municipalités angevines et les arrêtés de leur maire attestent d’interventions sur tel point sensible ou sur toutes les questions de pâture. À Rochefort-sur-Loire par exemple, on décide le 10 mai 1826 le principe de « l’établissement d’un droit à percevoir d’après un tarif pour chaque tête de bétail pacageant les communes » et le lendemain est adopté un règlement par articles qui est approuvé par le préfet le 8 juin suivant81. On y retrouve le principe de la taxe (art. 1), le nombre de bestiaux (art. 2), le tarif par animal de chaque espèce et les dates à partir desquelles les jeunes sont taxés (art. 3), la décision d’affermer ce droit (art. 4) et une mise en garde :
« Art. 5 […]. Ceux qui ne voudront jouir du droit ci-dessus […] sur les communs […] mais qui feront pacager la seconde herbe des [autres] prairies […] sont tenus à l’effet d’empêcher leurs animaux de divaguer sur les communs qui avoisinent les dites prairies… »
49De la même manière, dans le prolongement des textes établis sous l’Ancien Régime, la municipalité de Champtocé prend en 1831 un « Arrêté municipal en forme de règlement de pâture82 ». Ce texte confirme le transfert de l’ancien « droit de police » des juridictions aux municipalités. Dans son esprit, il ressemble d’ailleurs beaucoup aux anciens règlements. Il s’agit en effet de garantir la paix du village par l’équité et la légalité de l’accès aux espaces communaux. Par contre, le contexte est différent parce que la « petite quantité de communs qui restent à notre commune » rend le souci de préservation plus sensible. Le maire est aussi devenu attentif à la sécurité lors du déplacement des chevaux, au respect des haies ou aux conditions du ramassage des déjections. Il est possible que des choses qui n’avaient pas besoin d’êtres dites aux xvie et xviiie siècles doivent être formulées au xixe siècle. Nous pouvons donc dire que la police municipale est assumée, puisque des communes publient des réglements. Pour autant, les maires vont-ils jusqu’à juger ?
Une justice municipale qui semble inactive
50Nous avons signalé plus haut la création d’une « audience de police » à Chaudefonds en 1790 (art. 6) mais nous n’avons trouvé aucune trace d’une quelconque activité, alors que nous aurions voulu savoir quelle était la régularité des séances, le nombre des affaires évoquées, la gravité des affaires et les sanctions prises par l’autorité municipale. Le tribunal de Chaudefonds n’aurait-il jamais fonctionné ? Parmi tous les dépôts d’archives communales effectués auprès des Archives départementales de Maine-et-Loire, nous n’avons trouvé qu’une seule preuve d’activité pour la juridiction de Rochefort-sur-Loire83. Un registre est ouvert en février 1793 au cours d’une séance solennelle d’installation du « bureau de la police correctionnelle », composé du maire et des deux officiers municipaux de Rochefort, « en la chambre commune, lieu ordinaire de nos séances ». La solennité contraste avec la médiocrité de la première affaire : la saisie d’une livre et demie de beurre dont le commerce avait été réglementé par arrêté municipal pris en octobre 179284. Le bureau siège 21 fois dans l’année 1793, dont 9 fois dans le seul premier mois d’activité (en février). Sur 28 affaires, 16 consistent en délits de pâturage dans les prairies et dans les vignes, où des bestiaux « se trouvaient en dommage ». Les propriétaires des animaux sont toujours immédiatement identifiés. Mais le bureau ne fait rien d’autre qu’enregistrer les procès-verbaux des gardes et déclarer qu’il sera statué plus tard. Une seule fois est mentionnée une citation « à comparoir dimanche prochain à la maison commune » mais des éventuelles auditions et des éventuels jugements et amendes, nous n’avons qu’une seule preuve sur 28 cas et il s’agit du tout premier. Soit le tribunal n’a pas fonctionné en 1793, soit il l’a fait dans la plus grande discrétion et sans laisser de trace écrite sur le registre ouvert ad hoc. Après 1793, ce registre est utilisé de manière assez chaotique85 et l’on ne trouve plus de traces du tribunal municipal de simple police. Et pourtant, si le règlement de 1826 évoqué plus haut, pour cette même commune, prévoit que les contrevenants seront poursuivis « à la diligence de M. l’adjoint » (art. 6) c’est évidemment que celui-ci fait fonction de « ministère public » dans un tel tribunal. Croisé avec d’autres documents, ce registre unique donne un éclairage sur le fonctionnement de la justice municipale. Nous avons en effet l’impression que la municipalité dicte la police dans ses arrêtés mais le maire et le bureau n’exercent pas vraiment la justice, ni en 1793, ni après 1808. Comme le maire doit rendre compte au procureur du tribunal civil lorsqu’il forme un tribunal de simple police et prononce un jugement, cette obligation dérange peut-être. Les affaires ne seraient donc pas judiciarisées. Elles seraient, soit réglées immédiatement par une réprimande et une petite sanction, soit remises à plus tard et traitées de gré à gré. Cela pourrait expliquer pourquoi nous ne trouvons pas de preuves écrites d’un exercice des pouvoirs juridictionnels alors que des juges de paix reprochent aux maires d’agir et d’intervenir même quand ils n’en ont pas le droit, notamment en matière de « conciliation », domaine normalement exclusif au juge de paix. Les maires agissent sans laisser de traces : plutôt que juger de manière démonstrative, ils arbitrent86.
Du bon usage d’un garde-champêtre
51Le garde-champêtre contribue également à la régulation de la police municipale :
« L’an 1808, le deux mars avant midy, Moi René Manceau garde champêtre de la com[mu] ne de Rochefort sur Loire, en vertu de l’arrêté de Mrs les Maire et adjoint d’icelle commune relatif au règlement des bestiaux, je me suis transporté dans la maison des propr[iétair] es qui ont de ses bestiaux dont j’ai reconnu que les ci après en ont plus que ne porte le règlement, savoir […]. 3. chez François Leduc, tant bêtes à cornes qu’autres espèces : 11 […] qui sont tous les [six] particuliers chez lesquels j’ai trouvé de l’excédent du règlement dont il s’agit87… »
52Le garde rend ensuite compte des difficultés : « François Leduc a douze béliers, il prétend n’en mettre que dix sur les communs, les vaches ne vont que sur le château… » et le maire complète les consignes : « Veiller si les vaches du Sr Leduc vont sur les communs. » Mais plutôt que sanctionner par eux-mêmes, les maires délèguent aussi un pouvoir abusif au garde-champêtre. Celui-ci n’est pas souvent salarié. Il est par contre autorisé à se payer sur la bête ce qui apporte immédiatement une solution aux abus de pâture. Un règlement immédiat d’un litige consiste donc en une constatation du délit de pâture par le garde, une saisie des bêtes, une « information » ou enquête du bureau de police ou seulement du maire – avec ou sans procès-verbal, selon la distance qu’il est bon de prendre avec la loi –, et le tout est suivi, voire précédé, de la restitution des bestiaux. Au vu de certaines pièces, nous ferions l’hypothèse suivante : les contrevenants sont simplement sanctionnés par l’acquittement d’une somme que l’on hésite à qualifier. S’agit-il d’une amende ? Le garde saisit l’animal et le restitue contre argent. Soit il exécute presque immédiatement une sorte de « main levée », soit il ne libère les bestiaux que le lendemain. L’argent émanant de ces prises constitue alors l’essentiel de leurs revenus :
« […] le dit garde fera exactement ses rondes et tournées tant de jour que de nuit pour surveiller l’execution de la loi. Il sera armé d’une pique [et de son propre fusil] et portera une plaque sur laquelle sera inscrit “Obéissance à la loi, respect aux propriétés” […]. Le conseil général ayant fixé leur traitement à la somme de quinze sols par chaque bestial qu’ils prendront […] sans aucunes autres rétributions88. »
53Cette situation est un prolongement de l’Ancien Régime puisque les gardes ont toujours été intéressés aux saisies et rémunérés essentiellement par ces opérations. Dans la France révolutionnée, on a continué à se débarrasser de la question du salariat des gardes en leur promettant qu’ils se paieraient, littéralement, sur la bête. Seule différence avec l’Ancien Régime : les particuliers « délateurs » ne peuvent plus saisir eux-mêmes des bestiaux et toucher la part prévue pour les sergents : seul le garde assermenté peut saisir, ce qui, après tout, est bien meilleur pour la paix du village. Cependant, jusque vers 1830, les circulaires des ministères de l’Intérieur, de la Justice et des Finances sont contradictoires. Lorsque la régie des Domaines encaisse les amendes, elle rechigne à attribuer aux municipalités les sommes qui leur reviennent89. Des moyens détournés sont ainsi nécessaires pour rémunérer les gardes, comme supprimer les intermédiaires, ne plus officialiser les amendes et encaisser immédiatement leur produit. À Rochefort-sur-Loire, le système de rémunération directe par les amendes est mis en lumière et interrompu en 1844 lorsqu’un contrevenant refuse de payer et accuse le garde d’avoir « agi contre lui avec passion et haine ». Le juge de paix écrit au maire « Vos gardes n’ont aucun droit de se faire payer la rétribution que vous dites leur être due » et de préciser que « l’usage ne saurait les autoriser à cet effet » car ils peuvent seulement dresser procès-verbal. Les juges, l’administration préfectorale et le gouvernement se méfient des maires et des gardes90. Qu’il s’agisse d’actions, d’arrangements, d’amendes, ou de n’importe quelle facette de la fonction, on imagine mal comment un garde champêtre pourrait agir indépendamment du maire et du conseil municipal. C’est donc forcément la mairie qui donne les impulsions et les consignes, notamment sur la régulation des espaces collectifs et des usages anciens.
Des questions absentes des « recueils d’usages locaux » comme des audiences des juges de paix
54Dans les archives des justices de paix à la fin du xviiie siècle, nous avons trouvé un registre « des délibérations particulières du bureau de paix du district de Saumur et des certificats par luy donnés à ceux qui s’y adresseront, ensemble des actes de conciliation par lui arrestés » qui a été tenu à partir de janvier 179391. La juridiction se qualifie aussi de « justice de paix et de jurisprudence charitable » et si elle met en avant la qualité de « district » attachée à la ville de Saumur, elle n’a pas plus de ressort qu’un autre bureau de canton92. Les litiges ruraux portent surtout sur les contrats, les rentes, et quelques survivances « féodales ». Il n’y a pas un seul exemple de délits de pâture : soit il n’y a aucun délit de cette sorte (c’est improbable), soit les délits ne sont pas remontés des municipalités jusqu’au bureau de Saumur. À Beaufort, il ne s’agit plus de registres mais de cahiers et de pièces qui ont été classés selon leur qualification juridique93. Les papiers du « bureau de paix et de conciliation » montrent clairement que le juge de paix se fait assister de deux « prudhommes-assesseurs » représentant « la commune d’une municipalité94 ». De juin 1791 à l’été 1797, on relève seulement deux affaires de servitudes et droits de passage sur des prairies et encore une fois aucun délit de pâture. Quant aux actes de « police judiciaire », on n’y trouve que trois délits de pâture commis en 1795, 1797 et 1798, dont deux délits commis dans des pièces privées et un seul dans les « bois communs de Beaufort ».
55La situation pour le xixe siècle est semblable : il y a peu de délits relatifs aux droits collectifs de pâture. Les délits minimes peuvent toujours être traités au niveau municipal tandis que les litiges importants – par exemple sur la date d’ouverture du « parcours » – intéressent toute une population et nécessitent le recours à une autorité supérieure. Les juges de paix qui ignorent les questions de pâture collective dans leur pratique les ignorent aussi dans les « recueils d’usages locaux », dont nous avons réalisé une étude systématique95. Le travail d’une commission est toujours piloté par le juge de paix qui en est le président. Souvent, il propose un manuscrit tout prêt, que les juges de paix ont composé et complété depuis des dizaines d’années. Les recueils sont surtout consacrés aux propriétés. Ils s’intéressent aux contrats d’exploitations, aux propriétaires et aux fermiers sortants et entrants, aux exploitations constituées – métairies, closeries et borderies – et aux « terres volantes » mais fort peu aux communaux et aux usages collectifs. Un passage du recueil du canton de Tiercé l’exprime clairement :
« Usages divers […]. Pacage de secondes herbes. Il existe dans le canton plusieurs prairies communales ou privées sur lesquelles s’exerce le droit de pacage des secondes herbes, dites regains. L’exercice de ce droit est réglé administrativement ou par des commissions syndicales […]. Vaine pâture. Il existe dans le canton de Tiercé des prairies qui sont soumises au droit de vaine pâture. Elles appartiennent à la commune de Soulaire-et-Bourg et le conseil municipal de cette commune y règle l’exercice du droit de vaine pâture. »
56Les recueils sont donc conformes à ce que nous avons vu dans les registres d’audience des juges de paix : les questions de pâture sont des affaires municipales et administratives (d’où l’appel au préfet) ou qui se règlent entre propriétaires.
Le recours au préfet
57Des relations directes sont établies entre les maires et le préfet au xixe siècle. Une affaire qui intéresse une commune – voire plusieurs communes – est nécessairement « politique ». Comme dans les questions de pâture, il y a matière à de longs et compliqués procès entre des municipalités et entre les administrés d’une même commune, l’une des solutions pour éviter les difficultés est d’en appeler au préfet. Les archives confirment amplement que les questions de pâture, sitôt qu’elles opposent plusieurs municipalités, sont rapidement portées à la connaissance du préfet et traitées et arbitrées directement par son cabinet. Les conflits judiciairement insolubles sont pacifiés administrativement. Le préfet est aussi sollicité lorsque les propriétaires et le maire veulent reporter de beaucoup les dates de fermeture des prairies ou celles de réouverture des prairies au « parcours ». Un maire peut prendre un arrêté municipal, mais il est beaucoup moins conflictuel d’adresser un courrier au préfet, de lui dire ce que l’on attend de sa « haute autorité » et de communiquer ensuite aux habitants la teneur de l’arrêté préfectoral pris dans l’intérêt public. Dans un souci d’apaisement, le préfet peut aussi intervenir dès l’ouverture d’une procédure pour, par exemple, maintenir une commune dans la jouissance d’un droit jusqu’au jugement des tribunaux sur la question de propriété. La question n’étant plus « possessoire », le juge de paix est court-circuité par l’obligation pour la commune de passer à une « action pétitoire ». La supériorité du préfet ne signifie évidemment pas qu’il saura trouver la meilleure solution. En 1828, le maire de Soulaire-et-Bourg avertit le préfet, qui a été appelé par un groupe de particuliers à statuer sur d’anciens usages de pâture, qu’il vaudrait mieux « laisser les choses en l’état instatuquo (sic) » afin de « maintenir la bonne harmonie qui règne à Soulaire et l’intérêt général des habitants », ne pas « froisser violemment les habitudes et les convenances », ne pas risquer de « mettre aux prises les propriétaires avec les fermiers », ne pas « se jeter dans un dédale duquel on aurait peut-être peine à se retirer paisiblement » et, cependant, sur les dates d’ouverture et de fermeture des prairies, le maire recommande de laisser le conseil municipal « décider suivant les temps et les circonstances96 ».
Les « syndicats » de propriétaires
58Une autre voie de régulation est la (re)constitution par contrat d’une communauté d’égaux, entre lesquels les conflits n’auraient plus lieu d’être, d’une communauté de bons voisins et d’ayants droit seulement, à l’exclusion de tout forain97 et à l’écart de toute autorité administrative ou judiciaire. Cette expérience est tentée par exemple, en 1859, par l’établissement d’un « règlement de passage et de pacage invariable et pour toujours » établi entre cinquante propriétaires des communes de Briollay et de Soulaire-et-Bourg (communes réunies en 1791). Contrairement aux règlements pris par arrêtés municipaux et préfectoraux, celui-ci ne laisse rien au hasard, comme si les cinquante bénéficiaient de toutes les expériences passées. Ce règlement prolonge le « pacage pour la seconde herbe en commun » mais entre propriétaires égaux seulement. Cet accord implique le maire de Briollay, les conseillers municipaux et le percepteur et receveur municipal, mais seulement pour l’achat d’un terrain complémentaire :
« Tous les comparants et leurs mandants sont propriétaires de parcelles de pré sises dans les prairies situées commune de Briollay […]. Chacune de ces parcelles a pour toute [sortie d’] exploitation la rivière de la Sarthe mais aucun n’a sur cette rivière un accès facile. En sorte qu’il est très difficile pour les propriétaires de ces parcelles d’enlever leurs foins et de faire pacager leurs bestiaux […] le tout faute de port ou de droit de passage les uns sur les autres, sur M. Joseph Ragneau98 et sur les communes de Briollay et de Soulaire et Bourg pour arriver au port de Briollay. De plus, comme chacune de ces parcelles de pré n’est pas close à part, par des haies ou fossés, il faut que chacun garde ses bestiaux ou s’entende chaque année avec ses voisins pour les faire paître et garder99. »
59Mandat a donc été donné à cinq commissaires, élus parmi eux, pour trouver des solutions à l’ensemble des difficultés. Ce n’est pas vraiment une innovation puisqu’en avril 1674 le maître des Eaux et forêts d’Anjou à Angers avait rendu une ordonnance pour les paroisses de Briollay, Tiercé et Soulaire permettant « de constituer procuration & en nommer d’entr’eux pour l’exécution d’icelles100 ». Nous voici, en avril 1859, face à cinq procureurs chargés d’une mission comparable à ce qui existait sous l’Ancien Régime mais limitée à un syndicat de propriétaires. Les difficultés évoquées sont d’abord l’acquisition de terrains. Le reste relève de la police : endroits et conditions des passages, emplacement et entretien des barrières et « pontceaux », entretien des fossés, marquage, nomination d’un gardien du parcours, définition de ses attributions, tarif du pacage, tarif des amendes, remboursement des dommages, proportion entre les propriétés et le nombre de bêtes autorisées, constitution d’une « caisse commune des prairies » alimentée par les droits d’herbage, les amendes et les contributions nécessaires aux travaux importants, etc. Entre propriétaires ayant les mêmes intérêts et droits à la récolte des foins puis au pacage, on (re)trouve des solutions à tous les problèmes : plus de moutons ni de chevaux entiers ; protection précoce – à partir du 1er janvier de chaque année – et absolue des foins ; obligation de faucher dans les temps impartis. On fait cependant œuvre d’une certaine souplesse, notamment dans les années de « malheur » où les commissaires pourront reculer ce délai. On oublie aussi les dates coutumières pour s’en remettre aux décisions des commissaires : « L’entrée des bestiaux dans lesdites prairies devra être publiée à Briollay au moins huit jours à l’avance, soit qu’ils y entrent après la fauche, soit après une crue qui s’est retirée. » On peut s’étonner de certains articles qui paraissent maladroits. Un magistrat ou un notaire aurait mis tout cela en formules… mais celles-ci auraient pu rester obscures et seulement propres, comme sous l’Ancien Régime, à « donner de la pratique » aux juges. Les règles sont au contraire expliquées et ré-expliquées, comme si l’on voulait éviter toute discussion par une bonne « police » :
« Il sera perçu une somme de cinquante centimes par tête de gros bétail et une de vingt cinq centimes par tête de veau de lait ou de poulain de moins d’un an ne suivant pas leur mère […]. Soixante six ares de pré101 conféreront au propriétaire le droit de mettre à pacager deux gros bétail ou quatre veaux de lait, trente trois ares ne donneront droit à pacager qu’un gros bétail ou deux veaux de lait et seize ares cinquante centiares ne donneront droit à pacager qu’un seul veau de lait. Le propriétaire ne possédant que vingt deux ares pourra mettre un gros bétail ou deux veaux de lait en payant chaque année à la caisse commune desdits prés la somme de un franc. Le propriétaire ne possédant que huit ares vingt cinq centiares aura également le droit de mettre un veau de lait à pacager en payant soixante quinze centimes par an. Le propriétaire qui aura moins de huit ares n’aura pour cette contenance de pré, qu’elle soit unique ou au-dessus ou au-dessous ces contenances sus indiquées, aucun droit au pacage, mais aussi pour une pareille contenance il ne contribuera en rien à tous frais […]. Ainsi s’il a sept ares au-dessus de soixante dix ares il n’aura droit à pacager que deux gros bétails mais en revanche s’il a cinq ou sept ares de moins que soixante six ares, il aura néantmoins droit à deux grosses bêtes et ainsi de même pour les autres contenances sus indiquées. Ou encore en d’autres termes la contenance de moins de huit ares qui se trouverait en plus ou en moins des contenances ci-dessus indiquées ne donnera lieu pour le pacage à aucune augmentation ou diminution de tête de bétail. »
60Nous ne savons pas si le règlement du syndicat de Soulaire a mieux réussi que les précédents car trop de questions restent conflictuelles. Mais le dernier de nos textes est intéressant en ce qu’il évoque l’établissement d’une communauté d’habitants égaux, à l’exclusion des petits et de ceux qui ne partagent pas les mêmes intérêts (les biens tenant de la commune non-possessionnés dans la zone de pâture). Ce syndicat est peut-être plus proche de la « communauté d’habitants » d’Ancien Régime que ne l’est, au milieu du xixe siècle, la municipalité de Soulaire-et-Bourg.
Conclusions
61« Police » et « justice » ne posent pas les mêmes problèmes. Les juridictions d’État n’ont jamais pu répondre au vœu de proximité des communautés d’habitants. Si les commissaires des habitants et biens tenant peuvent aller au devant des juges pour leur faire valider les normes, ces juges sont trop éloignés pour veiller à leur application. À aucune époque on n’a vu de juge raisonnablement compétent et toujours disponible établi dans chaque village car aucune juridiction n’aurait pu y avoir suffisamment d’activité102. Ainsi, il n’y a jamais eu qu’une seule réponse possible à l’attente des populations en matière de justice de proximité : pourvoir d’une autorité de police et justice une institution dont l’existence ne tienne pas seulement à l’exercice de cette justice, et il n’y a jamais eu que deux candidatures possibles : soit la seigneurie, soit la communauté des habitants, prolongée après 1789 par la commune et dotée d’un magistrat municipal. La seigneurie ne peut donner entière satisfaction aux xviie et xviiie siècles comme Justice de village… car il y a trop peu de juridictions seigneuriales, elles sont court-circuitées par les juridictions royales dans les questions de pâtures et elles sont aussi trop tournées vers les propres problèmes de la seigneurie – surtout lorsque le seigneur, comme c’est souvent le cas en Anjou, veut faire réaliser un « triage » des espaces collectifs. La communauté des habitants, représentée par son procureur ou syndic, puis par son maire assisté du conseil municipal, est peut-être mieux placée pour réguler elle-même certaines difficultés. Sous l’Ancien Régime, elle est bridée par son « incapacité judiciaire » mais elle police par l’intermédiaire des juges. La situation est différente à partir de 17891790 et des municipalités ne se privent pas de publier une « ordonnance de police » (Chaudefonds en 1790) ou un « Arrêté municipal en forme de règlement de pâture » (Champtocé en 1831). Nous voyons dans les règlements qui se succèdent depuis le xvie siècle beaucoup plus de continuité que de ruptures. De même, il n’a jamais été question, sous l’Ancien Régime, de juger soi-même, et il n’y a pas de rupture en 1790 puisque les municipalités qui ont pu s’essayer à la justice après 1790 ont plutôt perpétué des pratiques d’accommodements. Il est certes difficile d’écrire beaucoup de choses sur les petits « tribunaux de police » et sur les arbitrages rendus par les maires, puisqu’ils n’ont pas voulu laisser de traces écrites de leur activité de régulation sociale. Mais puisque la conflictualité existe, sans être très présente dans les archives judiciaires, il faut bien que quelque part le maire et les assesseurs aient confronté les preuves et dit les droits de chacun. À partir des années 1830 et 1840, les Angevins suivent l’exemple national et liquident partout les usages et biens collectifs. Les raisons sont multiples. Les municipalités partagent et vendent pour sortir d’embarras financiers, pour s’adapter à diverses évolutions agraires, à la pression de la société et aux aspirations de chacun des biens tenant… Mais nous pensons aussi que les municipalités et les populations ont liquidé le passé pour pacifier les relations entre voisins en donnant une réponse définitive aux « questions qui fâchent » : mettre chacun chez lui…
Annexe
Annexe. La police des pâtures à Champtocé du xvie au xixe siècle
1543 : « Sentence de la sénéchaussée d’Anjou à Angers en forme de règlement concernant les prairies communes de Champtocé »
« Entre René Cestard, Pierre Challain, Michel Baudouin, Jean Jacquelin, Raphael Durau, Aubin Villeneufve, Jean Lefeuvre, Alain Barrat, Jean Brouard meusnier, Laurent de la Janniere Jouanniere, Alain Boilesve et leurs consorts usagers des communs de Champtocé demandeurs, le procureur du roy notre syre joint avec eux, et encore messire François de Bretaigne chevallier de l’ordre, conte de Vertu, barron d’Avangons sieur de la chastellenye terre et seigneurie dudit Champtocé, messire Guillaume Lerat docteur en droitz lieutenant general de Monsieur le senechal d’Anjou sieur de Lanerau, Anthoine Crissard escuyer, sieur Dupin, M[aît]re Jean de Brie chevallier seig[neu]r de Serrant, et René de la Roche escuyer, sieur Duverger jointz aussy avec lesd[its] demandeurs d’une part, et Jean Joubert le jeune, Estienne Menard, François Perrault, Jean Villeneuve, Estienne Ragot, Jean Durau, Pierre et Jean les Janetz marchands, deffendeurs d’autre [part], touchant le reglem[ent] requis et demandé par lesditz demandeurs et jointz, estre fait pour raison desd[itz] communes dudit Champtocé selon et ainsy que fait a esté pour raison des communes de Tiercé, impugné et débattu par lesd[itz] deffendeurs comme marchands pour raison de leurs marchandises de bestes, auquel procès tellement a esté proceddé que le vingt et quatriesme jour de may mil cinq cent quarante et ung aurions appointé qu’elles écriroient leurs faits et raisons par l’acte dudit jour, et produiroient, esquelles auroient fait, et le vingt et quatriesme jour d’avril mil cinq cent quarante deux aurions appointé que nous comparoisterions sur lesd[ites] communes dudit Champtocé, ce qu’aurions fait et aurions proceddé comme plus a plain appert et est contenu par notre procès verbal du quinziesme jour de may aud[it] an, et auroient aucuns desd[its] deffendeurs dit ne vouloir plus empescher led[it] reglement et qu’ils se raportent a nous d’en ordonner et par sentence de nous donnee entre lesd[ites] partyes le huitiesme jour d’aoust dernier passé, aurions appointé qu’avant [de] proceder au jugement deffinitif dudit proces principal, lesdites partyes autres que ceux qui s’estoient raporté a justice d’ordonner dudit reglem[ent] feront preuves de leurs faits pour ce que fait y auroit esté joint leur faire droit et par provision pendant ledit procez principal et jusques a ce que par justice autrem[ent] en fust ordonné, aurions appointé que les usagers desdites communes dud[it] Champtocé en jouiront ainsy que par sentence donnee en la cour de ceans le vingt septi[èm]e jour de juillet mil cinq cent trante sept confirmee par arrest touchant lesd[ites] communes de Tiercé, auroit esté ordonné [qu’]auroient icelles dites partyes fait faire leurs preuves et enquestes qu’ils auroient jointes a leur dit procez et auroient lesditz demandeurs et joints par leur jonction, jointz plusieurs lettres desquelles lesd[its] deffendeurs auroient demandé ecrit, et par notre sentance du dernier jour de fevrier dernier passé, aurions appointé que lesdites lettres jointes par lesditz demandeurs demeureroient jointes, que lesditz deffendeurs auroient esté encourus a les contredire, et aurions ordonné qu’ils fourniroient de contreditz contre icelles, et lesditz demandeurs de salvations et les ont joints, et lesdites partyes en portent jour pour ouyr droit, veu par nous les dites productions et jonctions desdites partyes, seront comunicqué aux advocats et p[rocureu]r du roy notre Syre et eux sur ce ouïs et sur ce conseil[és].
Par notre sentance et jugement diffinitif, disons et appointons que tel et pareil jugement qu’avons donné par provision entre lesdites partyes ledit huitieme jour d’aoust dernier passé sera et ordonnons estre gardé a perpetuitté par les usagers desdites communes de Champtocé. C’est a scavoir [1er] que chacun desditz usagers pour avoir et norir sur lesd[ites] communes tel nombre et quantité de bœufs vache et leur suitte qu’il luy plaira, pourveu qu’ils soient de leur noury sans fraude103 ; [2°] et que chacun d’iceux usagers ayant maison en ladite chastellenye dud[it] Champtocé poura avoir et norir esdites communes douze chefs de bergail, et outre pour chacun journau de terre ou pasturage qu’il aura en lad[ite] chastellenye deux chefs de bergail avecq leur suitte de l’année seullem[ent] ; [3°] et celluy qui a ou aura métayrie ou closerie de dix journaux de terre et audessus jusques a vingt journaux poura avoir outre ledit bestail ou bergail deux juments et leur suite de trois ans, si lad[ite] métairie ou closerie est moindre de dix journaux une jument et sa suite seullem[ent] comme dessus et celluy qui aura domaine ou métayrie excédant vingt journaux de terre, quatre juments et leur suitte comme dessus et de plus plus et des moings moings à la raison susdite ; [4°.] et quand aux porcqs chacun desditz usagers en poura avoir et norir esdites communes tant qu’il luy plaira pourveu que lesd[itz] porcqs ayent le bout du groing couppé ou cloué, et autrem[ent] ne les y mettront, sur peine de cinq solz tournois d’amande pour chacun porcq pour la premiere fois, et dix solz pour la seconde, de vingt solz pour la tierce et confisquation desditz porcqs, pour la quatrieme fois, lesdites peines applicquables moitié au delateur ou accusateur et poursuivant et l’autre moitié au Roy ou autre seigneur en la juridiction duquel sera faitte ladite poursuitte ; [5°] aussy poura chacun desditz usagers avoir et norir sur lesdites communes six oyes avec leur suitte de l’annee et celluy qui s’abstiendra d’y avoir autre bestail poura y avoir et norir douze oyes avec leur suitte de lad[ite] annee et non plus ; [6°] et en tant que touche lesdits usagers qui seront marchands de bestail sans fraude104, outre ce que dessus pora chacun d’eux avoir et norir esdites communes pour le fait de sad[ite] marchandise six boeufs, six vaches et trante chefs de bergail, pourveu que lesditz marchands vendent leur ditte marchandise de bestail aux bouchers, manants et habitants d’Angers pour la provision de la ville ou aux bouchers dudit Champtocé et des environs jusques a deux lieues dudit Champtocé pour la provision des gens du pays, et pourtant [ce] que touche les marchands forains passants par lesdites communes, pourront rafraîchir et faire reposer leurs bestes esdites communes et y sejourner par deux jours seulement a chaque fois qu’ils passeront ; [7°] et faisons inhibitions et deffences de par ledit sieur a touttes personnes autres qu’audit sieur de Champtocé de n’en mettre ne tenir esdites communes dudit Champtocé aucunes bestes qui ne leur appartiennent sans fraude a peine de cent solz tournois pour la premiere fois, dix livres pour la seconde, vingt livres pour la tierce et pour la quatrieme confiscation desdites bestes applicquables comme desus, et a tous fors aux dessuditz avons inhibé et inhibons de n’en mettre ne tenir autre bestail esdites communes comme dessus a pareilles peines applicquables comme dessus, despens de ces presentes comprises.
Donné [à] Angers et mis au greffe par nous François Challopin conseiller du Roy lieutenant particullier de Monsieur le sénéchal d’Anjou le huitieme jour de juillet l’an mil cinq cent quarante et trois, signé en la minutte des p[rése] ntes Challopin Deshayes Gohin, Oger, Le Jumeau et Lecamus105. »
1764 : « Sentence de la maîtrise des Eaux et forêts d’Angers en forme de règlements pour les communs de Champtocé »
« À tous ceux qui ces présentes lettres verront Ancelme René Bricher, seigneur de Chauvigné, conseiller du Roi, maître des Eaux et Forêts d’Anjou, en la maitrise d’Angers, salut.
Savoir faisons que vu la requête à nous présentée par les paroissiens manants et habitans de la paroisse de Champtocé sur Loire, poursuite et diligence du sieur Richard Mareau, maître en l’art de chirurgie l’un d’eux et leur procureur, et les manents et habitans de la paroisse de Saint Germain des Prés, poursuite et diligence de maitre René Bréault, notaire et procureur fiscal audit lieu l’un d’eux et leur procureur, se joignant aux dits habitans de Champtocé pour l’effet du règlement ci après connue ayant les mêmes droits sur les communes ci après référée suivant leurs titres et possession valablement reconnus par les dits habitans de Champtocé, à l’exception de ceux de la Varennes ; contenant que désirant suivre les anciens réglemens à l’occasion des bestiaux que chacuns des usagers pourra avoir et nourrir sur les communes ci après, ils nous auraient présenté requête qui aurait été répondue de notre ordonnance du douze février mil sept cent soixante trois, portant permission aux dits paroissiens de Champtocé de s’assembler pour délibérer entr’eux sur l’effet des dites communes, qu’en conséquence ils se seraient assemblés et par acte du vingt février mil sept cent soixante trois106 ; ils ont délibérés [1er] que chacun des usagers pourraient avoir et nourrir sur les communes de Charroyer, Les Rivettes, Les Breins, Basses-Vallées et Les Fourceaux du Tertre, tel nombre et quantité de bœufs, vaches et leur suite qu’il leur plairait pourvu qu’ils soient de leur nouri sans fraude ; [2°] et que chacun des usagers ayant maison dans la Chatellenie [de] Champtocé et de Saint Germain pourrait avoir et nourrir ès dites communes seulement douze chefs de bergail avec leur suite de l’année ; [3°] et celui qui aurait métairie de dix journeaux de terre et au dessus jusqu’à vingt journeaux, pourrait avoir outre le dit bestial et bergail deux juments avec leur suite et dans le cas où ladite métairie ou closerie serait moindre de dix journeaux, une jument et sa suite seulement de leur nourri sans fraude et de leur étage ; [4°] et chacun des usagers pourra avoir autant de porcs qu’il lui plaira, ayant le bout du groin coupé ou cloué, autrement ne les y mettront à peine d’amende ; [5°] et que lesdits étagers pourront avoir et nourrir sur les dites communes six oyes et leur suite de l’année et ceux qui s’obstiendront ou n’y mettront autre bestiaux, pourront avoir et nourrir douze oyes et leur suite de l’année107 ; [6°] à l’égard des bouchers desdites paroisses de Champtocé et de Saint Germain des Prés, ils pourront avoir et nourrir outre ce que dessus trente moutons pour la provision du pays108, à l’égard des marchands forains passants sur les dites communes, y pourront rafraîchir et reposer leurs bêtes pendant vingt quatre heures et non plus ; [7°] que défenses seront faites à toutes personnes autres que celles de Champtocé et Saint Germain de mettre et tenir ès dites communes aucunes bêtes à peine d’amende ; et ainsi que le tout est plus au long porté par ladite requête tendante à ce qu’il nous plut homologuer ledit acte du vingt février mil sept cent soixante trois, et que notre sentence à intervenir serait imprimée, lue et publiée aux messes paroissiales de Champtocé et de Saint Germain, et d’ailleurs où besoin serait, ladite requête signée Bréault, Prévost du Plessis, René Moreau avocat pour les suppliants, répondue de notre ordonnance de soit communiqué au procureur du roi du dix huit du présent mois, ledit acte d’assemblée et délibération, ledit acte d’assemblée et délibération des paroissiens habitants et biens tenants de ladite paroisse de Champtocé dudit jour vingt février mil sept cent soixante trois, passé par Julien Blanchet, notaire royal, fait en éxécution de notre ordonnance des mêmes mois.
[Vu109] trois écrits sous signatures privées portant qu’ils approuvent ledit acte d’assemblée concernant le règlement pour les dites communes de Champtocé, et qu’ils sont d’avis que le droit de marchand de trente moutons soit supprimé, comme abusif et qu’au lieu de douze oyes qu’il n’en soit accordé que six avec leur suite qui sera ôtée à la Madelaine ou de la saint Martin, en conséquence de quoi ils consentent et demandent que ledit règlement soit homologué, lesdits écrits privés étant en date des trois et cinq mars mil sept cent soixante trois, contrôlé au bureau de cette ville, par Faucheux, le sept du présent mois, le premier desquels écrits privés est de Messire François Walsh, Comte de Serrant seigneur de Chatellenie de Champtocé, signée J. Walsh, le second de Messire André-Edouard Pissonnet de Bellefonds, écuyer seigneur de l’Anerau, le troisième de dame Rose Chauvel, veuve de Messire Pierre Louis Claude de la Faucherie, chevalier seigneur du Pin, en la paroisse de Champtocé ; les conclusions du procureur du roi du dix huit du présent mois étant ensuite de notre ordonnance de soit à lui communiqué et lui ouï de depuis en notre dite chambre du Conseil, tout examiné et considéré par notre sentence et jugement, ayant aucunement égard à la requête des habitans des paroissiens de Champtocé, et Saint Germain des Prés et l’acte d’assemblée et délibération du 20 février 1763 et aux écrits privés des Sieurs Comte de Serrant, de Lanerau, dame veuve du Sieur Dupin, et faisant droit sur les conclusions du procureur du Roi, avons homologué ledit acte d’assemblée, la délibération dudit jour 20 février 1763 sous les modifications ci après référées, en conséquence disons que sur les communs de Charroyé, Les Rivettes, Les Biens, Basse Vallée et Les Fourceaux du Tertre, référée ès dit acte d’assemblée et délibération et des dits habitans des paroisses de Champtocé et Saint Germain des Prés sur Loire, à l’exception de ceux de La Vaarenne, les habitans des dites deux paroisses qui exploiteront soit en propriété ou par ferme auront la liberté d’y mettre paître et pâturer, savoir110 :
1°. Chaque usager pourra avoir et nourrir sur lesdites communes tel nombre de quantité de bœufs, vaches et leur suite qu’il lui plairapourvu qu’ils soient de son nourri, sans fraude ; 2°. Chacun des usagers ayant des maison dans les chatellenies de Champtocé, et de Saint Germain des Prés, pourra avoir et nourrir ès dites communes seulement douze chefs de bergail et en outre pour chaque journal de terre, deux autres chefs de Bergail avec leur suite de l’année seulement ; 3°. Celui qui aura métairie de dix journeaux de terre et au dessus jusqu’à vingt journeaux, pourra avoir et nourrir sur les dites communes outre ledit bétail et bergail, deux juments et leur suite ; et si la métairie ou closerie est de moindre quantité que dix journeaux, une jument et sa suite seulement, pourvu que ce soit de leur nourri et de leur étage sans fraude ; 4°. Quant aux porcs chacun des usagers pourra en avoir et nourrir ès dits communs autant qu’il lui plaira pourvu cependant qu’ils aient le bout du groin coupé et cloué, et autrement ne les mettront à peine de trois livres d’amende envers le Roi pour chaque porc, ou la première de six livres de pareille amende pour la seconde fois et pour la troisième de neuf livres d’amende et de confiscation ; 5°. Chacun des usagers et étagers pourra avoir et nourrir sur les dites communes, six oyes et leur suite de l’année qui sera otée à la madelaine ou à la fête de Saint Mathieu de chacune année ; 6°. Les marchands forains passant sur les dites communes pourraient y rafraichir et reposer leurs bêtes pendant vingt quatre heures et non plus ; 7°. Avons fait et fesons defenses aux dits usagers et étagers de tenir sur les communes autres et plus grand nombre de bêtes chevalines et bergail et oyes que celui ci-dessus réglés et de tous étrangers et des paroisses voisines non usagers d’envoyer paître et pacager dans les dites communes aucuns bestiaux de quelques peu que ce soit à peine d’amende et de confiscation d’iceux ; 8°. Avons fait et faisons défenses à tous particuliers et usagers des dites communes de prendre à garde et pour autruit aucuns bestiaux, moutons ou brebis pour les faire paccager ès dites communes à peine d’amende et confiscation d’iceux ; 9°. Ordonnons que ces présentes seront pour la première fois lues et publiées par trois dimanches ou fêtes à issus de messes paroissiales desdites paroisses de Champtocé et de Saint Germain, et une fois chaque année dans le courant du mois de mars ou d’avril, afin que chacun ait à s’y conformer, et ce à la diligence des dits sieurs procureurs et de ceux qui leur succéderont par la suite auxquels nous enjoignons de tenir la main à ces présentes qui seront éxécutées nonobstant opposition ou appellation quelconques sagissant de fait de police des communes et d’intérêt public ; sauf les droits dequi il appartiendra et sans y préjudicier en rendant au premier huissier ou sergent royal de faire tous actes requis et nécessaire sur ce requis, auquel donnons pouvoir.
Donné à Angers, au palais Royal dudit lieu en notre chambre du conseil par nous maitre des Eaux et Forêts en la susdite maitrise particulière d’Anjou, à Angers le samedi dix neuvième jour de mai mil sept cent soixante quatre. La minute est signée Bucher de Chauvigné et Gattineau111. »
1831 : « Arrêté municipal en forme de règlement de pâture »
« Du registre des délibérations du conseil municipal de la commune de Champtocé, a été extrait ce qui suit :
Aujourd’hui neuf mars mil huit cent trente un, nous maire de la Commune de Champtocé, canton de Saint Georges sur Loire, arrondissement d’Angers, département de Maine et Loire. Vu la petite quantité de communs qui restent à notre commune et désirant que tout habitant en jouisse le plus légalement possible ; Vû la lettre de Monsieur le Préfet en date du 28 février dernier, par laquelle il nous autorise à réunir extraordinairement notre conseil afin d’établir un règlement pour le pacage des communs de Chamraye et celui de sous la Rivière, nous avons arrêté ce qui suit : Art. 1er. Aucun individu ne pourra mettre dans les communs cy dessus dénommés qu’un grand bétail par feu, c’est à dire par ménage, soit vache et sa suite, pourvu qu’il n’y en ai pas de deux ans ; jument avec son poullain également en dessous de deux ans et si c’est un mâle il devra être affranchi à un an. Nule personne ne pourra affermer ni donner son droit à qui que ce soit. Art. 2. Tout individu qui n’aurait pas l’aisance d’avoir une vache ou un cheval pourra y mettre une chèvre, en la faisant garder afin qu’elle ne broutte pas les haies. Art. 3. Tous les bestiaux seront ramassés le soir au soleil couchant chez le propriétaire même du dit bétail, et ne pourront être reconduits dans le commun avant le soleil lever. Art.
4. Tout cheval soit en allant soit en revenant du commun ne pourra être laissé libre, il devra être conduit par le licol ou la bride. Art. 5. Il est expressement défendu de courir les chevaux dans les sacs, n’importe sous quelque pretexte que ce soit. Art. 6. Les bouchers auront le droit de mettre sous le Bourg quatre moutons chaque, moyennant qu’ils fussent tués pour la commune, à cet effet chaque mouton sera marqué par le Garde Champêtre, lequel ne pourra être remplacé sans en prévenir ce dernier. Art. 7. La fiente des bestiaux dit la crotte dans les communs ne pourra être ramassée que le lundi, mercredi et vendredi de chaque semaine et seulement de jour ; encore faudra-t-il que les individus qui la ramasseront soient reconnus dans la misère et incapable de faire d’autre travail et ne pourront sous aucun pretexte courir les bestiaux. Art. 8. L’époque pour la mise des bestiaux dans les dits communs sera fixée par le maire et annoncée à l’issue de la messe. Art. 9. Le garde champêtre est chargé de l’exécution du présent arrêté.
Fait et arrêté en mairie de Champtocé les jours, mois et an que d’autre part, le présent arrêté est signé, Coupris René, Mahot Louis, Mahot Augustin, Juret, Jamin, Touin Angebault Crasnier et de nous maire le Sieur Thomas ayant déclaré ne savoir signer. Pour copie conforme au registre, Mareau, maire. Certifié conforme en tout à l’original par M. le maire de Saint Germain des Prés, qui pour garantie, et l’égalisation de sa signature a apposé le cachet de la mairie de Saint Germain. Pour absence de M. le maire, signé Huet, adjoint112. »
Notes de bas de page
1 Antoine Follain et Katia Pleinchêne, « Règlements pour les communaux du comté de Beaufort, du xve au xviiie siècle », Histoire et Sociétés Rurales, n° 14, 2e semestre 2000, p. 217-242. Beauforten-Vallée : Maine-et-Loire, ar. Angers, ch.-l. c.
2 Un nouveau règlement sera édicté en 1777 seulement. Ce délai ne doit pas étonner : les choses vont lentement. Les abus sont patiemment supportés, les plaintes formulées après des hésitations et les réactions judiciaires arrivent tard.
3 La structure économique et sociale angevine associe toujours des exploitants non-propriétaires à des propriétaires, dont beaucoup habitent la ville d’Angers. Les contrats de fermage sont rares, les baux sont donc « à part de fruits ». Dès lors, les non-habitants sont très impliqués dans les affaires locales.
4 Arch. dép. Maine-et-Loire, C 10.
5 Emmanuel Brouard, Saint-Mathurin-sur-Loire au xviiie siècle : un village de « bêcheurs » de la Vallée d’Anjou, mémoire de Maîtrise, Angers, 1998, 198 p. ; Katia Pleinchêne, Les communaux du Comté de Beaufort, 1471-1835, de la « Charte du Comté » au partage, Id., 1999, 155-72 p. ; Antoine Follain et Katia Pleinchêne, « Règlements… », op. cit., et « Les communaux en Anjou du xve au xixe siècle : de la commune pâture à la vaine pâture et au partage », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, n° 12001, p. 21-52. Antoine Follain, « Les questions de pâture en Anjou (xviie-xixe siècle) », dans « Police champêtre et justice de proximité, 1500-1850. Actes de la Journée d’études du 2 mai 2001, textes réunis par Madeleine Ferrières », Annales du Midi, juillet-septembre 2003, n° 243, p. 363-379.
6 Tony Guery, Le village de Soulaire en Anjou et ses communaux du xve au xixe siècle, mémoire de Maîtrise, Angers, 2003, 168-116 p. ; Estelle Lemoine, Les communaux de la Vallée d’Anjou, de Juignésur-Loire à Montjean-sur-Loire, du xve au xixe siècle, Id., 2004, 150-123 p., et Soulaire et ses procès, xviie-xviiie siècles, mémoire de DEA, Angers, 2005, 232 p. La communauté la plus étudiée compose aujourd’hui Soulaire-et-Bourg : Maine-et-Loire, ar. Angers, c. Tiercé. Comprenant environ 200 feux en 1789 et situé à une dizaine de kilomètres au nord d’Angers, entre les vallées de la Mayenne et de la Sarthe, Soulaire est un village ordinaire, jouissant de communaux et d’autres espaces collectifs : ce n’est pas un privilège exceptionnel pour la région. Mais ses habitants ont classé et conservé les archives des procès soutenus pendant plus de deux siècles contre différents seigneurs et contre l’État, afin d’être maintenus dans la propriété ou l’usage des biens collectifs menacés. Soit plus de neuf mille pages qui constituent la base du sujet de thèse d’Estelle Lemoine : Communaux et communautés d’habitants en Anjou : l’exemple de Soulaire et ses procès du xve au xixe siècle…
7 Une justice de proximité : la justice de paix (1790-1958), Paris, PUF, 2003, 283 p. Recherche effectuée sous la direction de Jacques-Guy Petit par le Centre d’histoire des régulations sociales de l’Université d’Angers pour la Mission de recherche Droit et justice.
8 Les Justices de village, administration et justice locales de la fin du Moyen Âge à la Révolution, actes du colloque d’Angers Justice seigneuriale et régulation sociale, édités par François Brizay, Antoine Follain, et Véronique Sarrazin, Rennes, PUR, 2002, 430 p.
9 D’ailleurs, lorsque nous avons traité de la justice seigneuriale, il a nécessairement été question de ce qui était au-dessous (lorsque la résolution des conflits évite le recours aux juges), à côté (lorsque les justiciables ont la possibilité de choisir devant quels juges aller : justice seigneuriale ? justice royale ordinaire ? ou justice royale d’attribution ?) ou au-dessus (lorsque les justiciables veulent atteindre directement une juridiction supérieure, comme une cour souveraine, ou une autorité judiciaire et administrative comme l’intendant).
10 Voir infra : Antoine Follain et David Potier, « Un juge de paix de la ville d’Angers face aux causes des gens des campagnes en 1852. Édition et analyse d’une procédure. »
11 Arch. dép. Maine-et-Loire, G 2084, « Défenses que fournissent les paroissiens de Juigné-sur-Loire devant le Maître de la Maîtrise particulière des Eaux et Forêts d’Angers, 13 avril 1737 ». Dans l’affaire en question, les habitants de Saint-Jean des Mauvrets réclament le droit d’envoyer des bestiaux sur le même « commun ». La contestation aurait pour origine l’assèchement d’un bras de la Loire qui séparait jadis deux communaux.
12 Mais les juges en prennent connaissance lors des procès, cf. l’exemple du Maine développé par Frédérique Pitou dans « Les magistrats et les causes des gens des campagnes », Histoire et Sociétés Rurales, n° 17, 2002, p. 91-122.
13 Nous avons étudié les conflits propres aux années 1770 et mis en évidence cette évolution générale : Antoine Follain et Tony Guery, « Crottes, crottins, fientes et mannis de l’Anjou », dans Hommage au professeur Jacques Maillard… (à paraître aux PUR).
14 Voir l’exemple des « Règlements de la Justice, Terre et seigneurie de Cerny-les-Bucy » dans la région de Saint-Quentin en 1780, dans Amédée Combier, Les Justices seigneuriales du bailliage de Vermandois sous l’Ancien Régime d’après les documents inédits conservés au greffe du Tribunal civil de Laon et aux Archives départementales de l’Aisne, Paris, A. Fontemoing, 1897, XV-160 p. « Seront les présents réglements, gardés et observés par tous les habitants des terres et segneurie, à quoi les officiers qui sont sur les lieux tiendront la main… » (56 articles).
15 « Les Statuts communaux, source d’histoire rurale. Textes présentés et réunis par Madeleine Ferrières », Études vauclusiennes, n° LXI-LXII, janvier-décembre 1999, p. 1-112, et Madeleine Ferrières, « Une enquête sur les statuts de Vaucluse. Les statuts de Gigondas (1592) », Histoire et Sociétés Rurales, n° 16, 2e semestre 2001, p. 177-204.
16 Madeleine Ferrières, « Présentation », dans « Les Statuts communaux… », p. 7.
17 Les communautés d’habitants tendent à s’émanciper de l’autorité seigneuriale. Dans cette évolution, elles ont été politiquement gagnantes et judiciairement perdantes, car plus le consulat s’est émancipé et moins il a participé du pouvoir seigneurial, donc moins il a pu policer et juger.
18 Un premier règlement fut peut-être rédigé encore plus tôt. La « charte » de 1471 mentionne en effet une « ordonnance que, huit ans ou environ, fut faicte », mais il n’en reste rien. Il est question au xviiie siècle d’un règlement promulgué « en 1463 ». Mais s’agit-il d’une date fondée sur un document ou d’une simple soustraction de huit années effectuée à partir de 1471 ? Par ailleurs, le Registre des droits d’herbage du comté de Beaufort, en 1771 évoque un « règlement concernant la police des-dits communs en date du 2 mai 1460 ». Là encore, est-ce une référence exacte ou une confusion avec la charte du 2 mai 1471 ? Il serait étonnant qu’un texte de 1460 ait été daté des mêmes jour et mois que celui de 1471. La charte de 1471 représente donc le plus ancien document conservé. Les Lettres patentes « sur l’application des usages du lieu [de Soulaire] sur les prés et communes de Noyan[t] » sont de 1480 et 1484.
19 Le texte est écrit en continu mais il est suffisamment construit et cohérent pour, que lors de son édition, nous ayons pu proposer un découpage en huit articles.
20 Notamment grâce aux comptabilités de village conservées à partir du milieu du xve siècle et systématiquement étudiées sous la direction de notre collègue Jean-Michel Matz.
21 Antoine Follain, « Une histoire passée inaperçue : la fiscalisation des communaux au prétexte des “amortissements, francs-fiefs et nouveaux acquêts” aux xvie-xviie s. », dans Espaces collectifs et d’utilisation collective du Moyen Âge à nos jours. Nouvelles approches. Actes du colloque de Clermont-Ferrand de mars 2004 édités par Pierre Charbonnier, Pierre Couturier, Antoine Follain et Patrick Fournier (à paraître aux PU de l’université Blaise Pascal).
22 Antoine Follain, « Les questions de pâture en Anjou… », op. cit.
23 Une distinction est faite entre « les estagers, subjets, et biainneurs dudit seigneur de Mœurs », « les autres estagers, non biainneurs » qui ont moins de droits, et bien sûr « deffenses estre faittes à touttes personnes quy ne sont estagers », dans un règlement du 4 mai 1684 sur les « communes et frous de Mœurs » (Mûrs-Erigné : ar. Angers, c. Les Ponts-de-Cé) Arch. dép. Maine-et-Loire, 8 B 3.
24 Arch. dép. Maine-et-Loire, 2 O 4 « tableaux des biens communaux ». Statistiques préfectorales établies à partir de réponses données par les receveurs des contributions. L’enquête a été lancée en juillet 1844 et tous les tableaux sont datés du mois d’octobre. Sur les 381 communes du département de Maine-et-Loire, 167 ont été inscrites comme possédant des biens communaux, d’une seule nature ou de plusieurs, la plus fréquente étant « en nature de pâturages ».
25 Arch. dép. Maine-et-Loire, 8 B 37, ordonnance « pour le vuidage des prairies » du 4 juin 1785.
26 Arch. dép. Maine-et-Loire, O 252, dossier « Construction d’abreuvoirs publics ». Brain-sur-Authion : Maine-et-Loire, ar. Angers, c. Angers-Trélazé.
27 Ibid., lettre du 20 octobre 1829. le maire commet quelques erreurs sur la situation ancienne. Nous les avons retirées de notre citation. Saint-Mathurin : id., c. Les Ponts-de-Cé.
28 Arch. dép. Maine-et-Loire, O 253.
29 Certains herbages communs sont livrés à une pâture permanente qui n’est régulée, avant 1790, que par les inondations. Mais le pacage sans limites, exercé toute l’année, n’est guère décrit dans la documentation policière parce que, la jouissance étant entière, il pose surtout des questions d’ayants droit, somme toute assez simples. Au milieu du XIXe siècle, il ne doit plus guère exister qu’un ou deux communaux utilisés « sans aucun règlement ».
30 Arch. dép. Maine-et-Loire, O 252.
31 Arch. dép. Maine-et-Loire, 8 B 3. Champtocé : ar. Angers, c. Saint-Georges-sur-Loire.
32 Arch. dép. Maine-et-Loire, G 2821, « Mémoire à consulter » daté du 19 juin 1786 qui récapitule dans le cours d’un procès les « titres à l’apui de leur possession ». Villevêque : c. Angers nord-est.
33 Maine-et-Loire, ar. Angers, ch.-l.c. La localité citée en exemple est donc située au nord d’Angers, sur la Sarthe, alors que Champtocé est dans la vallée de la Loire et proche d’Ingrandes, aux confins de l’Anjou et de la Bretagne.
34 Par exemple « […] règlement pour l’usage des communes de Soulaire », le 8 juillet 1624, Arch. dép. Maine-et-Loire, 40 AC DD 2, folios 175-178.
35 « Règlement pour les paroisses de Briollay, Tiercé et Soulaire qui règle le nombre de bestiaux que chaque habitant a droit de faire pacager », le 30 avril 1674, Arch. dép. Maine-et-Loire, 40 AC DD 7, folios 175-190 (doubles : folios 191-194 et 203-210).
36 Les autres seigneuries exercent irrégulièrement une juridiction qui participe du fonctionnement de la seigneurie (réception des « reconnaissances », litiges relatifs aux droits seigneuriaux, etc.) mais pas vraiment d’un service judiciaire, cf. Annie Antoine, « Justice foncière et contrôle social dans le Maine, l’Anjou et la Bretagne au xviiie siècle », et Brigitte Maillard, « Les hautes justices seigneuriales, agents actifs des régulations sociales dans les campagnes de la moyenne vallée de la Loire au xviiie siècle ? », dans Les justices de village…, op. cit., p. 269-284 et p. 285-296.
37 Voir infra : Émeline Dalsorg, « Réflexions sur les grands abus des Officiers des Seigneurs au xviiie siècle : l’exemple de Montreuil-Bellay et Longué en Anjou. »
38 Le règlement de 1543 pour Champtocé atteste cependant que le texte, une fois promulgué, est susceptible d’un jugement par une autre juridiction : « [4.] et quand aux porcqs […] lesdites peines applicquables moitié au delateur ou accusateur et poursuivant et l’autre moitié au Roy ou autre seigneur en la juridiction duquel sera faitte ladite poursuitte… »
39 En Anjou, l’action des prévôtés est limitée territorialement. Elles ont des ressorts très réduits. Celle d’Angers n’agit que sur une « quinte » d’une vingtaine de paroisses. Celle de Saumur n’a compétence que sur quelques paroisses composant la banlieue de la ville.
40 Les ordonnances de police sont prises soit par les unes, soit par les autres et toujours seulement « par provision » de ce que ferait le parlement de Paris car « s’agissant de faits de police », il en a seul la compétence (mais il ne l’exerce pas).
41 Ainsi, la communauté de Saint-Martin-d’Arcé (Maine-et-Loire, ar. Saumur, c. Baugé) a obtenu pour ses landes « un règlement du 23 mai 1564 fait par le maître particulier des Eaux et forêts sur la demande des manants et habitants ». Selon ce règlement, les landes étaient « livrées au parcours sans redevance » et « tous les habitants indivisement y menaient pacager leur bétail, y coupant brou-sailles et bruyères pour leur usage ». Arch. dép. Maine-et-Loire, 2 O 4, archives contemporaines (les archives communales anciennes ont été brûlées en l’an III par les Chouans).
42 Par contre, au xviiie siècle, de nombreux mésus commis dans les paroisses de la vallée de la Loire, en aval d’Angers, sont traités par les juridictions seigneuriales en appliquant un droit énoncé par d’autres juridictions.
43 Henrion de Pansey, Des biens communaux et de la police rurale et forestière, Paris, Librairie de Théophile Barrois père, 1825, 495 p. (p. 285). Les règlements sont redéfinis comme des « actes par lesquels le pouvoir administratif ou exécutif » (et lui seul) ordonne « des mesures complémentaires à la loi et sur un ordre de choses que la loi leur permet de régler ».
44 Cette évolution comprend le passage, à partir de la Constitution de l’an III, à des « administrations municipales de canton » pourvues d’un président et d’un « commissaire du pouvoir exécutif ». Cette période renforce la position des juges de paix – d’où l’incompétence absolue des municipalités à partir d’octobre 1795, par une loi réunissant toutes les matières au domaine du juge de paix (loi du 3 brumaire an IV). La Constitution de l’an VIII rend son maire à chaque commune, mais il est désormais nommé par le préfet.
45 Le « tribunal de simple police » peut aussi bien être municipal que cantonal, donc relever du maire ou d’un juge de paix, avec participation d’un ministère public et d’un greffier. Que décider en cas de prétention du maire et du juge de paix à juger la même contravention ? Le partage des attributions n’a pas été établi clairement en 1808. Les responsabilités du maire ont été résumées par exemple par un avocat et maire d’une commune rurale, auteur d’un ouvrage « destiné aux habitans de la campagne ». L’auteur écrit qu’à force de tâtonnements, en plus de la résidence des personnes, de la localisation du délit et de la gravité de la contravention, on s’est servi « comme boussole » de la quotité des dommages et intérêts réclamés en plus de l’amende. Le maire jugerait aussi « en dernier ressort » les infractions qui lui feraient infliger des contraventions dites « de 1re classe » pour cueillette ou consommation de fruits appartenant à autrui, dégradation aux fruits – dont les herbes et foins –, glanage, râtelage et grappillage non autorisés dans les champs. Cf. Victor Loiseau, De la juridiction des maires de village, ou traité des contraventions de police, d’après les codes pénal et d’instruction criminelle, avec des formules claires et faciles basées sur ces codes, Paris, Longchamps, 1812, et 2e éd. Revue, corrigée et augmentée, 1813, VIII-295 p. Voir aussi dans le présent livre : Jean-François Tanguy, « Pouvoir de police et pouvoir judiciaire des maires dans la seconde moitié du xixe siècle. L’exemple de l’Ille-et-Vilaine », section « Fondements des pouvoirs de police du maire ».
46 Cf. article 7 de l’arrêté des consuls du 2 pluviôse an IX : « Le maire est dans son village le dépositaire unique et exclusif de l’autorité administrative. Sous ce rapport, lui seul représente toute l’ancienne municipalité. »
47 Disposition figurant dans la loi des 28-29 septembre 1791 et confirmée dans celle du 9 floréal an XI. Les attributions du garde-champêtre sont précisées dans la loi du 6 octobre 1791. Aux premiers temps, nous voyons même les gardes être « élus » en conseil municipal, « à la pluralité des suffrages ». Selon le même principe, le garde-forestier ne peut être nommé qu’avec l’agrément du « conservateur » des forêts.
48 Code d’instruction criminelle…, article 8.
49 Code de procédure, art. 48 et 49. La « conciliation » est un traité ou arrangement conclu sur une contestation à naître. Elle a été instituée par la loi pour prévenir les procès.
50 Loi du 24 août 1790, titre 3, art. 10.
51 Mêmes titre et article, et Code de procédure, art. 3.
52 Cf. le Dictionnaire des justices de paix… de Longchampt, édité en 1832. Voir Antoine Follain, « Les questions de pâture en Anjou… », op. cit., p. 368-371.
53 Code civil, art. 688.
54 Loi du 6 octobre 1791, titre I, section 4, art. 2.
55 Notre étude est allée plus loin dans « Les questions de pâture en Anjou… », op. cit. Voir aussi « Un juge de paix de la ville d’Angers face aux causes des gens des campagnes… », op. cit.
56 Voir infra : Anne Bonzon, « Accorder selon Dieu et conscience : Le rôle des curés dans le règlement des conflits locaux sous l’Ancien Régime. »
57 Sur la « conflictualité » rurale, voir Arnauld Cappeau, « Les conflits de voisinage à la campagne (1800-1914). Propositions pour une histoire au ras du sol », Cahiers d’histoire, n° 1-2000, p. 4769, et infra « Justice de paix et justiciables dans les campagnes du Rhône au début du xixe siècle : regards croisés sur les conflits de voisinage ». Dans le premier article, l’auteur attire l’attention sur des individualités à problèmes, des « familles conflictuelles » et un « espace conflictuel » qu’il définit d’ailleurs comme « l’ensemble des habitants d’une commune, d’un canton, qui entrent à un moment de leur vie en conflit ».
58 Arch. dép. Maine-et-Loire, 1 B 249, ordonnance de police du 3 juin 1769. Le propriétaire de la vache est condamné à 10 livres de dommages et dépens et 20 livres d’amende envers les pauvres de la paroisse. Il est impossible de dire si les dépens et frais ont été payés et il est douteux qu’on lui ait réclamé les 20 livres. L’essentiel est sans doute d’avoir fait un exemple et averti que la prochaine amende serait de 100 livres ! Les juges angevins n’aiment pas du tout que l’on touche au vignoble…
59 Arch. dép. Maine-et-Loire, 8 B 37.
60 Arrêts de règlement du 19 avril 1611, 18 août 1612, 1er mars 1641, 24 mai 1707, et ordonnance de 1669, titre 1, art. 2 et titre 25, art. 2.
61 Sentences et règlements rendus en la sénéchaussée d’Angers les 20 septembre 1664, 23 juillet 1668, 16 novembre 1709, 31 août 1714, 13 avril 1717 ; en la sénéchaussée de Saumur le 24 mars 1734 et le 27 juin 1735 ; « ordonnance en forme de police et de règlement » rendue par la sénéchaussée d’Angers le 27 mars 1747.
62 « Nivernois ch. 15 art. 4, 10, 11, 12 et art. 527 ; Poitou, art. 81 et 194 ; et Berri, tome 10, art. 119 et lib. 5, art. 3 ; Orléans, art. 154, 133 et 159 ; Auvergnes, ch. 28, art. 7, 8, 13 et 18 ; Touraine, art. 206 et 207 ; Lodunois, ch. 10, art. 4, 5 et tit. 10, art. 5 ; Bourbonnois, art. 526, 527, 529 et 530 ; Blois, art. 222, 225 et 226 ; Melun, art. 306 ; Sens, art. 150 et 154 ; Auxerre, art. 264 ; Bretagne, art. 401, 405 et 636 ; Etampes, art. 182, 184 et 186 ; Dourdan, art. 60 ; Troyes, art. 172 ; Chaumont, art. 164 ; Xaintonge, art. 15 ». Arch. dép. Maine-et-Loire, 1 B 249.
63 Maine-et-Loire, ar. Angers, c. Les Ponts-de-Cé. Arch. dép., 8 B 37.
64 « Comptes des amendes et confiscations », Arch. dép. Maine-et-Loire, 8 B 37. Noter qu’il est possible que pour les petits délits les gardes se fassent payer quelque chose sur place et sur le moment sans dresser une plainte et en référer aux magistrats. C’est une pratique des gardes champêtres au xixe siècle.
65 Arch. dép. Maine-et-Loire, 8 B 21-22.
66 Arch. nat. H 1486-16, cité dans Roger Dion, Le Val de Loire. Étude de géographie régionale, Tours, Arrault, 1934, 752 p. (p. 571).
67 Arch. dép. Maine-et-Loire, G 2737.
68 Cf. Antoine Follain et Katia Pleinchêne, « Règlements pour les communaux… », op. cit. Les autres difficultés évoquées à Soulaire sont relatives au « trafic des bestiaux qui se fait au commencement du printemps et [la revente] à la fin de l’automne » (donc les abus sur les quantités de bestiaux) et relatives à l’enlèvement des « fientes et crottins pendant l’été » par des particuliers. Les délibérants rappellent enfin de quoi se compose leur droit : l’ordonnance du 30 avril 1674 « portant renouvellement des règlements de pâture », et des ordonnances prises les 7 juillet 1705, 23 mai 1717, 6 juin 1723 et 6 mai 1739.
69 Arch. dép. Maine-et-Loire, G 2172.
70 Arch. dép. Maine-et-Loire, 8 B 3. Infra section « annexe ».
71 À la fin du document figurent trois mentions datées de 1636 : « Leu et publié le contenu de l’autre part par moy soubz[igné] curé de S[ain] t Sigismond au prône de la grande messe paroissialle dudit lieu le douzième may mil six cent trante six » (signé Bellanger), « Leu […] par moy curé de Champtocé » le 14 mai (signé Racapé) et « Leu […] par moy soubzsigné vicquaire de Villemoisan » le 25 mai (signé Bellanger).
72 Arch. dép. Maine-et-Loire, 8 B 3.
73 Disposition figurant dans le règlement de 1782 pour les prairies des Ponts-de-Cé : « Onziesmement ordonnons que les dits moutons et brebis seront marqués au marc de leurs maitres sous paines d’estre saisis. » Cité supra.
74 Bras mort, zone inondée.
75 Arch. dép. Maine-et-Loire, 0 336 pour le règlement.
76 Maine-et-Loire, ar. Angers, c. Saint-Georges-sur-Loire.
77 « Ballet », « galerie » (terme le plus usité en Anjou), « caquetoir » ou simplement porche.
78 Arch. dép. Maine-et-Loire, 08 B 20.
79 La requête reprend mot pour mot l’acte d’assemblée. Le millésime du règlement étonne car une saison de pâture s’est écoulée entre l’assemblée (1763) et l’homologation, mais la date de 1764 est certaine : elle est répétée plusieurs fois.
80 Arch. dép. Maine-et-Loire, 66 AC / 1 D 1, f° 58 et 59. Voir Antoine Follain, « Les questions de pâture en Anjou… », p. 372-373.
81 Arch. dép. Maine-et-Loire, O 864, Rochefort-sur-Loire.
82 Arch. dép. Maine-et-Loire, O 336.
83 Arch. dép. Maine-et-Loire, 30 AC / 1 J 1, registre « sur lequel seront portés tous les jugements de police correctionnelle et sur lequel le garde messier et le commissaire de police enregistreront leurs déclarations et procès-verbaux ».
84 Il s’agissait d’interdire une salaison excessive que l’effondrement du prix du sel permettait depuis peu. Le marché devait trouver un nouvel équilibre.
85 On y trouve une condamnation au paiement des frais du commissaire de police en l’an IV, suite à la saisie de 2 vaches en délit de pâture ; des dépositions faites en 1829 et 1840 ; une série de déclarations d’armes ; les procès-verbaux des séances du Comité d’instruction publique en 1834 ; l’enregistrement des tournées du garde-champêtre de 1841 à 1844. Les procès-verbaux signalent quelques infractions, comme la plantation d’aubépines « empiétant sur la voie publique » en tel lieu, ou ils sont établis pour attester du temps d’activité du garde mais pas de ce qu’il a fait. Par exemple : « Le 19 9bre, [passé] la matinée en vallée. »
86 L’hypothèse angevine d’unc activité cachée recoupe ce qu’a écrit Xavier Rousseaux sur l’activité judiciaire des maires pendant la Révolution. Celui-ci parle en effet, pour la Saône-et-Loire, de « degré zéro de la poursuite », cf. Xavier Rousseaux, « Peines de police et contravention : la formation des infractions de simple police, de la Révolution à l’Empire (1790-1815) », dans La petite délinquance du Moyen Âge à l’époque contemporaine, Actes du colloque de Dijon des 9-10 octobre 1997, édités par Benoît Garnot, Dijon, EUD, 1998, p. 55-78. Fabien Gaveau, spécialiste de la police rurale, conclut sur une chronologie plus étendue : « les maires ne semblent pas avoir jugé beaucoup. En revanche, leur action en matière d’arrangement et de conciliation était développée », cf. Fabien Gaveau, « De la sûreté des campagnes. Police rurale et demandes d’ordre en France dans la première moitié du xixe siècle », Crime, Histoire & Sociétés, Crime, History & Societies, 2000, vol. 4, n° 2, p. 53-76.
87 Arch. dép. Maine-et-Loire, O 869.
88 Arch. dép. Maine-et-Loire, 30 AC / 3 J 1, correspondance municipale, et 1 J 1, registre.
89 Archives nationales F/2(I)130/1 : enquête de 1813 au sujet des amendes attribuées aux communes. La loi du 21 avril 1832 interdit encore (art. 19) la confection de rôles de répartition de l’engagement d’un garde (serait-ce la preuve qu’on le faisait toujours ?).
90 Ce n’est pas un hasard si la réaction du juge de paix de Rochefort se produit à ce moment. Dans ses travaux sur les gardes champêtres, Fabien Gaveau montre qu’à partir de 1840 les autorités recommencent à se soucier de ce « maillon faible d’une chaîne dont l’État souhaite qu’elle constitue une entrave à tous les fauteurs de trouble ». Des propositions de loi sont présentées pour réformer leur recrutement et couper le lien entre le garde et la mairie. En mai 1843, Félix de Saint-Priest dépose un projet qui transformerait les gardes en agents cantonaux et cantonnés. Il met d’ailleurs en cause le fonctionnement du pouvoir municipal qui se moque des lois ou les ignore – comprenons : qui administre en fonction d’impératifs locaux – et il pense utile de diminuer « ce droit d’administrer que les maires se sont arrogés » [sic]. Après consultations, le texte n’est pas soumis à la Chambre. En 1845, Félix de Saint-Priest dépose un projet qui attaque de biais les mêmes questions, en augmentant les effectifs de la gendarmerie : nouvel échec. L’embrigadement des gardes est encore évoqué en 1851. Selon Fabien Gaveau « l’administration interprète le faible nombre de procès-verbaux qu’ils dressent comme un signe de négligence voire de complaisance à l’égard des délinquants. En fait, ils facilitent le règlement des querelles et des délits entre les personnes concernées en leur évitant une action en justice ».
91 Arch. dép. Maine-et-Loire, ex. 7 L 216, en cours de reclassement.
92 Dissout le 14 brumaire an IV (octobre 1795), le bureau de paix dépose auprès du juge de paix, appelé à lui succéder en exerçant seul, un ensemble de 5 registres : « ce présent », plus 1 « servant de registre d’ordre » et surtout 3 registres « servant à nos procès-verbaux de séances », le 1er et le 2e de 285 et 239 pages « remplis à l’entier » et le 3e de 143 pages dont 106 remplies – d’où un total de 630 pages pour près de 3 années d’activité. Il ne subsiste que le 2e, utilisé de la mi-août 1793 à la mi-juin 1795. Arch. dép. Maine-et-Loire, 7 L 215, en cours de reclassement.
93 Arch. dép. Maine-et-Loire, 4 U 1/2 « Beaufort-extra-muros » et 2/2 « Beaufort-ville », (anciennement 94 L 8 et 9). Le classement utilise les qualifications : « actes gracieux », « conciliations », « actes amiables », « productions civiles », « police judiciaire », « police correctionnelle » et regroupe le restant en « actes pénaux non qualifiés ».
94 Comme chaque commune a ses jours d’audience, les assesseurs viennent tour à tour : Lemonnier et Potier quand il s’agit des affaires de Brion, Baillit et Chesnon pour celles intéressant Gée, Bourigault et Blandin pour celles intéressant Fontaine-Guérin, etc.
95 Arch. dép. Maine-et-Loire, 7 M 2 (ex : 54 M 20) « usages locaux du département, 1808-1859 » et « révision des usages locaux, 1859-1937 ». On y trouve sous forme manuscrite les plus anciens recueils. Les éditions imprimées sont, pour quelques cantons, de 1855-1856, mais pour la plupart, ils sont seulement de 1880-1930. Pour rédiger ces usages, des commissions ont été formées, soit sous la Révolution, soit sous l’Empire. Celles-ci n’ont pas rendu leur travail. Le gros du dossier « usages locaux » correspond à une circulaires du ministre de l’Agriculture du 15 février 1855 et une autre du parquet de la Cour impériale d’Angers du 17 avril 1855.
96 Arch. dép. Maine-et-Loire, O 1110.
97 N’est-ce pas l’une des définitions de la « communauté d’habitants » d’Ancien Régime ?
98 Il est le seul propriétaire dont les terrains sont assez commodément placés pour ne pas avoir besoin de s’entendre avec les autres, mais il est sollicité pour vendre des terrains indispensables au passage.
99 Arch. dép. Maine-et-Loire, O 1110, Soulaire. Règlement daté des 10-11 avril 1859, approuvé par le préfet le 19 avril et enregistré à Angers le 20.
100 Arch. dép. Maine-et-Loire, G 2737.
101 Derrière cette étrange unité on retrouve bien sûr l’ancien arpent d’Anjou de… 65,93 ares.
102 D’où des justices royales établies dans les villes et des justices seigneuriales fonctionnant certains jours, voire regroupées dans des bourgs. Le processus a été signalé dans Les justices de village… Des juges détenaient plusieurs offices et des seigneurs autorisaient l’association des juridictions en un même lieu. Le regroupement systématique des petites justices a été préconisé en 1789 comme une solution pour les « régénérer ». Chaque village a-t-il jamais eu sa juridiction permanente ? Peut-être dans l’espace germanique, où l’obligation d’avoir un juge professionnel a été imposée plus tard que dans le royaume, où la rationalisation juridique et économique de la justice seigneuriale a empêché assez tôt que chaque village ait sa juridiction. La tenue de registres différents et portant le titre « Justice de… » tel lieu peut faire illusion. Mais seul compte le lieu effectif où siégeait le juge.
103 Des numéros d’article figurent seulement dans le texte de 1831. Ils ont été ajoutés entre crochets pour faciliter la comparaison avec les textes de 1543 et 1764.
104 Le privilège des marchands locaux disparaît du règlement de 1764.
105 Arch. dép. Maine-et-Loire, 8 B 3.
106 Ici commence l’intégration de l’acte d’assemblée du 20 février 1763.
107 La quotité de six ou douze oies correspond à l’usage de 1543. Elle a été contestée par les seigneurs. Le juge a donc approuvé la limitation à six.
108 Les privilèges des marchands locaux est conforme à l’usage de 1543. Il est aussi contesté et va disparaître.
109 Ici commence l’intégration des demandes exprimées par lettre par trois personnes qui n’avaient pas à « délibérer » avec la communauté, dont le principal seigneur de Champtocé et deux autres personnes de qualité.
110 Ici commence le règlement définitif.
111 Arch. dép. Maine-et-Loire, 0336 pour le règlement.
112 Arch. dép. Maine-et-Loire, 0336.
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