Conflictuosité et sociétés conflictuelles : les campagnes dans la société française au xixe siècle (1830-1914)
p. 181-207
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Index géographique : France
Texte intégral
1Les violences collectives et les conflits ouverts sont le plus souvent présentés comme des manifestations désuètes d’une France d’Ancien Régime qui n’en finit pas de disparaître. À une échelle plus générale, c’est la thèse de l’historien Arno Mayer pour qui la société d’Ancien Régime subsiste bien au-delà de la Révolution française1. La France des notables ne change pas davantage en 1880. Elle s’efface véritablement après la Première Guerre mondiale. Pour d’autres observateurs du monde des campagnes, les conflits et les actions violentes seraient plutôt des protestations de type utopique. Les sociétés villageoises rêvent au retour d’un âge d’or qui n’a jamais existé. Il s’agit d’une représentation mythique et sociale qui n’est pas sans incidence puisqu’elle soude les membres d’une même collectivité et donne un sens aux aspirations politiques et sociales. À de nombreuses reprises, les agrariens sauront utiliser ces représentations et s’attacheront à promouvoir l’âme éternelle de la France terrienne. Guère éloignées de cette lecture sont les thèses sur l’irrédentisme paysan ou les travaux sur les « primitifs de la révolte2 ». Par « nature », les paysans seraient prédisposés à l’insubordination et à l’indocilité. Enfin, il est possible de donner une autre lecture encore : les violences contre les porte-parole de l’État – les gendarmes, les gardes, les percepteurs – et contre les représentants de la société marchande – les « profiteurs », les « gros », les citadins – peuvent aussi être interprétées comme des manifestations d’adaptation à la modernité3.
2À côté de ces conflits violents qui opposent les collectivités rurales à la « société englobante », existe une multitude de conflits collectifs et de comportements individuels, délictueux, criminels ou « déviants » qui forment la conflictuosité rurale. Tous ces conflits, à un titre ou à un autre, sont inscrits dans un contexte. Ils permettent de prendre la mesure de la place des campagnes dans la société française tout en étant les révélateurs des mutations en cours. Ils montrent que le « procès de civilisation », c’est-à-dire le polissage des mœurs décrit par Norbert Elias4, n’est pas achevé et que la France des campagnes, faite d’une multitude de collectivités rurales, n’est certainement pas unique. Enfin, il importe de souligner que la question des conflits s’avère au moins aussi complexe que celle de la politisation des campagnes. Ses formes et ses manifestations posent la question de l’articulation des sociétés locales à la société française. Pour évoquer les litiges, les juristes parlent de litigiosité. Pour traiter des conflits, sans doute est-il préférable de suivre une démarche identique, d’adopter un concept éloigné des effets de mode et de prendre le temps de définir ses contours. La conflictuosité serait donc l’ensemble des tensions, des différends, des disputes, des comportements tolérés par une communauté, mais sanctionnés par le législateur ou réprouvés par la société englobante5. La conflictuosité peut aller de la violence physique à l’injure, du harcèlement incessant au crime sanglant. Tous les conflits ne sont pourtant pas l’objet d’un traitement judiciaire et nombre de conduites jugées « déviantes » échappent pour diverses raisons à la répression.
Les conflits souterrains
3Dans les campagnes françaises, la communauté est une instance de régulation politique et sociale. Il ne s’agit ni d’en faire le procès en la transformant en observatoire de l’archaïsme paysan ni de l’encenser en la parant, avec nostalgie, de toutes les vertus de la « société traditionnelle ». La communauté est tantôt décrite comme villageoise, tantôt présentée comme paysanne ou tantôt encore dépeinte comme rurale, voire agraire. Or il n’existe pas une société paysanne éternelle, mais des collectivités qui peuvent se trouver désorientées face aux mutations et aux crises ou qui, au contraire, font preuve d’une capacité d’adaptation qui étonne les enquêteurs sociaux. Les communautés rurales sont des sociétés d’interconnaissance dans lesquelles tout le monde connaît tout le monde. Elles reposent en grande partie sur la terre, l’honneur et la réputation. De la sorte, les conflits au village ne s’effacent pas. Ils prennent place dans les souvenirs de chacun. Il existe bien une « mémoire longue6 » qui inscrit les tensions et les différends dans une histoire à la fois locale et générale.
Contrainte sociale et étouffement des conflits
4Sans doute, sur l’ensemble du xixe siècle, est-il possible de distinguer deux grands types de « pays » qui deviennent visibles sous la IIIe République. Le premier est formé par les « pays à démocratie », le second par les « pays à hiérarchie ». Cette typologie, proposée par Pierre Barral7, entend expliquer les comportements électoraux. Elle repose sur de multiples critères : la propriété, l’exploitation, les liens avec le clergé. Si ces deux France rurales sont assez nettement dessinées vers les années 1880, elles ne le sont pas cinquante ans plus tôt. Le système d’encadrement de la société est alors celui des notables. Dans nombre de « terroirs » existe une très forte hiérarchie sociale, parfois vécue comme une violence constante. Elle empêche les conflits de s’exprimer ou de se manifester. Le fermier ou le grand propriétaire, bourgeois de la campagne ou hobereau, ont mis en place un système rigide comme l’illustre la grande ferme picarde. Il s’agit d’un système qui impose un ordre social extrêmement contraignant. Jean-Pierre Jessenne a inventé la notion de « fermocratie » pour traduire, dans le cas de l’Artois, cette situation8. Les gros fermiers représentent environ 5 % de la population. Ceux du Nord de la France ou du Bassin parisien détiennent tous les pouvoirs dans la ferme comme dans la commune. Il s’avère impossible d’échapper à leur tutelle. Ils exercent une pression sociale et politique constante. En Beauce, qui sert de cadre au roman d’Émile Zola La terre, se rencontre aussi un système très fortement hiérarchisé : au bas de l’échelle sociale se trouvent les journaliers, puis les domestiques, les chefs d’exploitation et les propriétaires. Pour autant, il n’existe pas de conflits entre propriétaires et fermiers. Les premiers qui possèdent la terre demeurent dans les villes9. Contrairement aux exploitants d’autres régions, les fermiers ont obtenu une amélioration de leurs conditions de travail et d’existence : la durée des baux est allongée, ce qui offre une protection supplémentaire, et il est prévu que si se dessine une crise économique le taux de rente sera modifié. Les métayers, eux, sont placés sous la sujétion des grands propriétaires qui emploient des régisseurs pour régler directement les questions plus quotidiennes. Émile Guillaumin, écrivain-paysan, né à Ygrande dans une métairie de l’Allier, en est devenu la figure emblématique. Dans La vie d’un simple, publié en 1904, il montre comment le propriétaire vient rendre visite de manière impromptue, aux champs comme à la maison, à un couple de métayers, personnages clés du récit : « Il tutoyait tout le monde et comme il n’avait pas la mémoire des noms, ou à dessein peut-être il appliquait à chacun le qualificatif de “Chose”. Et bien Chose es-tu satisfait de ces temps-là10 ? » Malgré la législation héritée de l’Empire, les baux à un an comportent des clauses qui semblent appartenir à un autre temps et qui traduisent la dépendance presque totale des métayers. Ailleurs encore, en Bretagne, sans doute peut-on parler, à propos de la société finistérienne, de « théocratie » pour montrer de quelle manière elle est inféodée « à un pouvoir totalisant11 ».
5Si l’enquête agricole de 1862 dénombre environ 400 000 fermiers et 200 000 métayers, il existe aussi d’autres situations, majoritaires, celle des petits exploitants en faire-valoir direct : ils sont environ 85 %, mais ne détiennent qu’un peu moins de 30 % des terres. Ils illustrent le « triomphe de la petite exploitation12 ». Dans certaines régions, en apparence égalitaires, les hiérarchies sociales peuvent être tout aussi pesantes. Il s’avère impossible de présenter un panorama exhaustif, en revanche, il convient de s’arrêter sur quelques situations. En Gevaudan ou dans le Rouergue, la maison ne désigne pas une simple habitation13. Elle se confond avec l’exploitation agricole. La maison, c’est l’« oustal » ou l’« ousta », c’est-à-dire l’unité sociale de base de la société. Chaque oustal repose sur une tradition qui perpétue un même lignage sur un même espace. La réunion de plusieurs « maisons » constitue une sorte de fédération qui préside aux destinées de la commune. Les grandes et moyennes oustals détiennent le pouvoir social et se partagent en général le pouvoir politique. Pour autant, il existe d’importantes différences dans la hiérarchie des propriétés et des troupeaux. Les biens communaux ne corrigent guère les inégalités, puisque leur utilisation ne dépend ni du niveau d’aisance ni du degré d’indigence, mais de la taille des troupeaux. Plus on possède de têtes de bétail et plus on peut en conduire sur les terres. À partir des années 1850, la crise du textile provoque une sombre misère ; pour autant, ce n’est que vers les années 1880 qu’une poignée de notables renoncent à la terre pour se tourner vers d’autres investissements, sans pour autant que la répartition de la propriété ne soit modifiée avant la Première Guerre mondiale. Ce système accepté repose sur l’exclusion des plus jeunes. En effet, seuls les aînés héritent de la totalité des biens : ils reçoivent la terre, la maison et le lignage. Les filles reçoivent une dot qui les écarte de l’héritage. Passant outre au Code civil qui ne reconnaît pas le droit d’aînesse – bien au contraire – les fils cadets ne bénéficient d’aucun bien. Malgré la législation officielle en vigueur, ils doivent renoncer à leur part d’héritage. Soit ils demeurent dans l’oustal, mais restent célibataires, soit ils quittent la « maison » pour se marier ou s’établir ailleurs, mais ils ne peuvent prétendre à autre chose qu’une soulte, qui est une sorte de dot qui leur est attribuée. Si l’oustal qui est l’unité d’exploitation est en équilibre fragile, l’espoir de recevoir son dû s’éloigne au fur et à mesure que la situation économique se dégrade. Certains départs de l’ousta se font très tôt. Des fillettes de 7 à 8 ans, des garçons du même âge sont placés comme bergère et vacher. À seize ans, plus expérimentés, ils sont travailleurs à la journée ou à la saison. Le père perçoit directement les gages qui pourront constituer la dot indispensable. On le voit, ce système social est extrêmement contraignant. La violence est sourde puisqu’elle contraint les filles et les cadets à abandonner toute prérogative sur l’oustal. S’il n’y a pas de garçon, la fille aînée le remplace. Le mariage permet ainsi de perpétuer le lignage et d’assurer la continuité de l’oustal. Le mari s’installe dans la maison : il n’a pas de terre et son statut de gendre le place alors sous la dépendance du père de sa femme et sous l’autorité de cette dernière. La hiérarchie à l’intérieur de la famille est strictement codifiée : les femmes sont inférieures aux hommes, les cadets inférieurs aux aînés, les brus inférieures aux belles-mères. Sous le même toit vivent ainsi deux ou trois générations : les parents, le fils marié et son épouse et leurs enfants. S’ajoutent les autres membres de la famille qui tant qu’ils demeurent dans l’oustal sont condamnés au célibat, surtout si on ne peut les doter. De la sorte, il arrive que des frères et sœurs décident de vivre ensemble pour assurer leur survie et forment une sorte d’association, à l’instar des frérèches auvergnats et bourguignons. Des « associations » aux combinaisons très diverses ont existé : des pères veufs gardent un enfant plus jeune en lui promettant de lui donner après sa mort l’ensemble de ses biens, ou plusieurs frères et une sœur. Avec les défrichements du xixe siècle, des fils cadets ont pu s’établir reproduisant le modèle de la « maison ». Cette violence familiale et sociale repose sur l’acceptation par tous du modèle proposé : les principaux laissés pour compte sont les cadets qui ne peuvent s’établir et les épouses qui placées dans une situation de dépendance deviennent les domestiques de leur belle-mère, qui est la seule à incarner l’autorité féminine. Les contestations et les remises en cause sont toujours individuelles. Les archives judiciaires témoignent des dysfonctionnements, des conflits et des tensions. Ainsi au mitant du xixe siècle, toujours en Gévaudan, tandis que les oustals se replient sur elles-mêmes, que les puînés sont de plus en plus nombreux à choisir le chemin de l’exil, des femmes dérobent dans leur propre maison des draps, des cuillères, de menus objets, parfois avec la complicité de leur sœur pour les vendre ou les échanger contre de la nourriture. Jusqu’en 1900, sans que l’on puisse mesurer l’importance et la fréquence de ces « vols » – pour le Code pénal il n’existe pas de vols entre époux – ils attestent et témoignent d’existences frugales et fragiles. Ici, se manifestent plus de déviances que de conflits ouverts. Pour autant, le parricide qui est conduit à l’échafaud, l’épouse qui s’empare des biens de la maisonnée, le vagabond ou le voisin qui violent une fillette relèvent bien de la conflictuosité14.
Les conflits sociaux ignorés
6Les campagnes sont souvent présentées comme un monde de « taiseux », dans lequel le silence domine et où il ne se passe rien, comme si les communautés rurales se reproduisaient à l’identique de génération en génération, sans connaître de troubles sociaux. Dans la Beauce, entre les exploitants agricoles et les artisans, qui peuvent aussi posséder, voire cultiver, quelques terres, on observe nombre de conflits mais qui sont de nature commerciale. De 1850 à 1904, ils passent de 46 % à près de 58 % et concernent l’argent prêté non rendu, des billets à ordre non remboursés, des marchandises ou des travaux non payés. Les conflits de propriété constituent le deuxième grand groupe qui va en diminuant, passant de près de 36 % à 21 %. Ce sont aussi bien des affaires de ratirage de terres et récoltes, des actions en bornage, des empiétements sur les terres que des conflits de voisinage. Reste les tensions les plus vives qui opposent la petite et la grande culture. Les petits cultivateurs, parfois appelés « aricandiers », correspondent à la petite exploitation familiale : un couple, leurs enfants et leurs parents ou beaux parents. Toutefois, si quelques affaires d’incendies attestent de l’existence d’animosité, les relations ne sont pas véritablement conflictuelles. Elles le sont en revanche à plusieurs reprises entre salariés de l’agriculture et fermiers. En 1853, 1855 et surtout en 1859, plusieurs grèves de moissonneurs éclatent. Elles sont déclenchées au début de la moisson qui nécessite, avant que la mécanisation ne se généralise, une abondante main-d’œuvre. Les grèves portent sur les conditions de travail ou sur le prix des journées. Mais à ces rares exceptions près, les actions collectives n’existent pas. Toutefois, les salariés agricoles peuvent avoir recours à d’autres formes d’action. En effet, le préfet de Châteaudun note en 1914 qu’ils ne « manquent pas de moyens pour faire aboutir leurs revendications ». Ajoutant : « La grève leur paraissant impossible, ils recourent au sabotage et les fermiers, avertis seulement par les pertes ou les accidents qui se produisent dans leurs exploitations, cèdent généralement ce qui évite la généralisation ou l’aggravation des conflits15. »
7Autre forme de conflits repérée en Beauce dès 1854, mais aussi en Picardie : la rupture de l’engagement. Il n’est pas du fait des fermiers, mais des salariés agricoles qui sont, pour toute la France, vers 1852 environ trois millions : deux millions de domestiques de ferme, loués en général pour une année, et près d’un million de journaliers, employés à la journée pour les moissons ou les vendanges. À partir de la grande crise amorcée en 1846, les départs des campagnes vers les villes s’accélèrent, environ 130 000 par an à partir du Second Empire. Les enquêtes agricoles commencent à enregistrer les doléances des fermiers qui se plaignent de ne pas trouver de bras à louer pour les travaux de la terre. Dans ce contexte, menacer le fermier de le quitter, surtout au moment des « gros labeurs » constitue un moyen de pression sans doute efficace. Les justices de paix, trop peu étudiées, renseignent sur ces conflits du travail sans qu’il soit possible d’en prendre véritablement la mesure en l’absence de travaux d’ensemble. Ces conflits représenteraient environ 10 % des jugements rendus.
8Enfin, il convient aussi de mentionner les conflits occultes difficiles à mesurer. Ils appartiennent au registre des violences de substitution. Lorsqu’il n’est pas possible de riposter ou de protester, il arrive que les animaux soient l’objet du ressentiment, un peu à la manière du luddisme, nom donné à l’action des ouvriers d’industrie qui brisaient les machines en guise de protestation. Mais au lieu qu’un métier à tisser ou une machine soit l’objet de représailles, dans les campagnes ce sont des moutons qui ont l’estomac perforé à l’aide d’une aiguille, des vaches qui ont des pis sectionnés, des cochons ou des volailles qui disparaissent. Le vol, peu étudié, est pourtant le contentieux le plus important au xixe siècle. À l’intérieur de cette catégorie générique, on rencontre « le vol domestique » très sévèrement réprimé. Les affaires parviennent à la justice à la suite d’une dénonciation, d’une plainte ou d’une arrestation. Si la qualification de vol domestique est retenue, l’affaire est portée en cour d’assises. Le vol d’un domestique de ferme peut être une forme de vengeance sociale. En effet, des domestiques considèrent qu’ils ne sont pas assez payés ou que leur maître, c’est-à-dire le fermier qui les a recrutés, ne leur a pas payé leurs gages, ou qu’il pratique depuis des années une retenue sur l’argent qu’il aurait dû leur verser. Les objets du vol peuvent être très variés : des mouchoirs, un morceau de lard, du pain, du cidre, du vin, des vêtements, des outils. Toutefois, il semble bien que le vol domestique soit majoritairement féminin. Ce type de comportement appartient au registre des « illégalismes populaires ».
9Reste une dernière grande catégorie : celle des exclus de la terre. Tandis que le rêve de posséder sa propre parcelle ou d’être maître chez soi, en étant à la tête d’une exploitation, domine l’imaginaire des campagnes, nombre de ruraux abandonnent les idéaux de leur communauté. Certains choisissent de partir. Dans un cas, il s’agit d’une migration de la promotion, à l’instar des maçons de la Creuse ou des Auvergnats de Paris. Dans l’autre, il s’agit de migrations de la misère. Des paysans et des artisans glissent de l’indigence à la mendicité, puis basculent dans le vagabondage. Or si le docteur Pagnier fait en 1910 du vagabond un « déchet social », Michelle Perrot a bien montré que le point culminant de la répression se situait en 1890 au moment de la grande crise économique16. En moyenne 2 500 arrestations par an en 1830, soixante ans plus tard, on en dénombre 50 000 par an. En 1905, la Société des agriculteurs de France indique qu’« il y aurait quatre cent mille vagabonds en campagne ». Celui qui n’a pas de « domicile certain » peut s’employer pour la moisson, rendre de menus services. Les chemineaux ou chemineux, du moins d’avant les années 1890, ont des trajets balisés qu’ils suivent d’année en année. Pour autant ils attisent l’angoisse sociale. On les soupçonne de vouloir mettre le feu ou de voler, aussi leur donne-t-on une place dans la grange et un bol de soupe pour éviter des actes de vengeance. Guy de Maupassant ou Jean Richepin se sont fait l’écho de cette peur que cristallisent à de nombreuses reprises les bohémiens.
Les « illégalismes »
10L’expression « illégalismes », inventée par Michel Foucault17, désigne des pratiques sociales illicites qui peuvent être plus ou moins acceptées et plus ou moins sanctionnées. Elles se situent au point de rencontre des sociétés locales et de la société globale. En effet, tandis que certaines formes de vols, les agressions verbales, les coups, voire le meurtre peuvent être tolérés par telle ou telle communauté, ils ne le seront pas pour la justice qui entend défendre l’ordre social au nom de la société tout entière en punissant les coupables.
11Les querelles et les disputes de voisinage occupent aussi une place significative. Un chemin, une borne déplacée, une haie taillée, une insulte relèvent des infractions de proximité. Il convient de respecter le territoire de chacun. Tout empiétement est perçu comme un signe d’hostilité. La multitude des conflits liés à l’espace ne saurait être ignorée. La Gazette des tribunaux, le plus important périodique judiciaire du xixe siècle, né en 1825, signale périodiquement l’existence de rixes ou de combats entre bergers, entre charretiers ou « rouliers » qui ne voulant pas céder le passage en viennent aux mains, s’injurient, se donnent des coups qui vont parfois jusqu’à la mort. Les haines familiales, les inimitiés de voisinage, les rivalités dans la ferme, les divisions politiques, les « dissentiments religieux », les jalousies de villages, les confrontations interpersonnelles sont autant de formes du conflit. Sans doute convient-il de rappeler une notion formulée par l’historiographie américaine qui oppose les sociétés conflictuelles et les sociétés consensuelles. Or dans nombre de sociétés, quelle que soit l’échelle retenue, de la communauté villageoise à la nation tout entière, « l’acceptation de l’existence de conflits constitue un élément essentiel de l’accord général ». De la sorte, le conflit est bien une des manifestations du lien social et la conflictuosité est aussi ce qui permet aux membres d’une société de vivre ensemble, même si les crimes les plus odieux peuvent être commis, à l’instar du parricide ou de l’infanticide18. Dans le cadre de crimes familiaux, la communauté peut, par le biais des proches, des alliés, des maires, des voisins, fixer les limites de l’admissible et de l’intolérable. Les violences conjugales ou les maltraitances à l’égard de ses enfants ou de ses parents l’illustrent : tant qu’un certain seuil n’a pas été dépassé, il importe de ne pas intervenir. Dans les affaires de parricide, les coupables non dénoncés ou non poursuivis par la justice officielle peuvent ne pas être inquiétés par l’opinion villageoise, sauf s’ils accèdent à certaines responsabilités ou si un événement les projette sur le devant de la scène publique. Ainsi en 1860, l’un d’eux devient maire de son village. Il est dénoncé comme l’auteur du meurtre de sa mère perpétré 9 ans plus tôt. Toutefois, comme pour d’autres conduites délictueuses et criminelles, la non-dénonciation ne signifie pas l’indifférence. De 1843 à 1913, les trois quarts des parricides sont bien des crimes ruraux. Pierre Rivière, le plus célèbre d’entre eux, a égorgé le 3 juin 1835, dans la commune d’Aunay, en Normandie, sa mère, enceinte, sa sœur Victoire et son frère Jules. Il s’enfuit puis, arrêté, rédige un mémoire où il explique son geste. Jugé par la cour d’assises du Calvados, il est condamné à mort, mais sa peine est commuée en réclusion perpétuelle. Il se justifie en évoquant ses souffrances et en disant qu’il voulait défendre son père, tourmenté par son épouse et sa fille. Sylvie Lapalus, étudiant à travers 771 dossiers le « crime des crimes » du xixe siècle, montre que 73 % sont perpétrés à l’intérieur même du domicile familial. Le parricide est, en général, un jeune homme d’une vingtaine d’années, le plus souvent un « paysan » qui s’est déjà fait connaître par un tempérament turbulent, des actions violentes et des menaces. Il révèle des conflits de génération qui « interfèrent » avec des différends relatifs à la gestion des biens. On assassine davantage dans les régions de petites exploitations et dans les pays de familles élargies pour des questions d’argent ou de succession. L’impatience conduit ainsi à provoquer le trépas. La carte du parricide montre de 1830 à 1914 une inégale répartition : se dessine une France du vide, la Bretagne, le Centre, les Pyrénées centrales et la région frontalière du Nord-Est. Les régions d’émigration sont les moins touchées par le parricide qui recule progressivement sur l’ensemble du territoire. Ce mouvement peut être interprété comme lié au « caractère moins oppressant du pouvoir patriarcal et la possibilité pour les enfants de se dégager des emprises familiales19 ». Le thème de la précarité du vieillard n’apparaîtra vraiment qu’à la fin du xixe siècle.
12Toutefois l’immense majorité des illégalismes est beaucoup plus ordinaire et concerne surtout les « soustractions » dans les bois, les champs ou les mares et les étangs. Ces illégalismes sont très fortement sanctionnés. Avant la loi de 1832, et dans une moindre mesure celle de 1863, qui correctionnalise un certain nombre d’infractions et amoindrit la sévérité des peines, une servante de ferme qui dérobe un linge sur une haie pouvait faire l’objet, si elle avait déjà volé une volaille ou un mouchoir, d’une peine extrêmement sévère, comme les travaux forcés à temps. Dans certaines régions frontalières, la « petite contrebande » est en fait un menu trafic qui porte sur des produits de consommation domestique comme le sel, l’huile, le tabac. Les produits « passés » clandestinement remplissent la même fonction que les petits délits des eaux-et-forêts, ils sont une manière de tenir à distance la misère en apportant des revenus complémentaires modestes. « Faire du bois » devient une nécessité absolue, dans les zones de montagne, mais aussi en Île-de-France, comme en 1840. Sous la monarchie de Juillet, la presse dénonce même l’accentuation de la répression qui frappe surtout les plus démunis : les vieillards, les femmes et les enfants.
13Le vol de bois, les délits des eaux-et-forêts, les infractions forestières au sens large constituent les écarts à la loi les plus nombreux. Par exemple la loi du 3 mai 1844 assujettit la pratique de la chasse à la détention d’un permis délivré sur les recommandations des maires et des sous-préfets. Les chasseurs, selon l’administration, étaient sans doute dix fois plus nombreux et deviennent alors, au regard de la loi, des braconniers. Les situations sont extrêmement diverses. Dans le Var, on assiste à la lutte des communautés villageoises contre les bois des particuliers ; en Alsace, les affrontements villageois se teintent d’antisémitisme ; en Sologne ou dans la forêt de Rambouillet, on s’en prend aux gardes-chasses. De 1825 à 1848, le nombre de procès-verbaux dressés est pratiquement multiplié par 100. Mais à partir de la Deuxième République s’amorce la décrue qui s’amplifie à partir de la loi du 18 juin 1859 qui stipule que « l’administration forestière est autorisée à transiger avant jugement définitif sur la poursuite des délits et contraventions en matière forestière ». En 1874, sur un total de 29 700 procès-verbaux dressés dans l’année, 28 808 font l’objet d’une transaction avant jugement. Ce traitement judiciaire qui ne concerne pas les délits de chasse s’intègre aux pratiques rurales qui privilégient pour régler un conflit le système de l’arrangement. Dans un registre proche, les conflits autour de la vaine pâture, qu’il ne faut pas confondre avec le pâturage, sont complexes. La vaine pâture est le pâturage commun aux bestiaux des habitants d’une même commune exercé sur les terres de la collectivité. Elle est autorisée sur tous les terrains non clos, c’est-à-dire les prairies naturelles et tous les autres terrains après l’enlèvement de la récolte. Elle repose sur la propriété des troupeaux. De la sorte, les gros et moyens fermiers, les marchands de bestiaux et les bouchers profitent réellement de l’existence de la vaine pâture. En principe celle-ci a été supprimée en 1889 (loi du 9 juillet) et pourtant on peut lire dans le répertoire Dalloz un texte du 17 juin 1936 : « Le droit de vaine pâture ne repose pas sur un principe absolu de réciprocité, mais sur un usage immémorial. » En fait, les communes ont pu le conserver si le conseil municipal a pris au bon moment une décision dans ce sens.
14Les comportements poursuivis sont pour l’essentiel des « illégalismes populaires », mais les escroqueries, les détournements de billet de change, les trafics d’argent – qu’il ne faut pas confondre avec le faux monnayage – appartiennent davantage au monde des élites et des villes et leurs auteurs sont eux très rarement sanctionnés.
« L’indocilité » des campagnes
15Pour le pouvoir central, il existe au sein des campagnes des sociétés « indociles », promptes à la révolte lors des grandes secousses sociales et politiques du siècle. Ces crises apparaissent comme des échos paysans aux révolutions parisiennes, plus particulièrement en 1830, en 1848, et en 1851, lors de la résistance au coup d’État. Au lendemain de la révolution des Trois Glorieuses, il n’est pas rare que l’on dénonce la Sainte-Barthélemy du gibier. Le succès de l’insurrection étant interprété comme une autorisation donnée de chasser comme on l’entendait. Cette indocilité se manifeste aussi par des révoltes anti-fiscales, des heurts et des affrontements avec les gendarmes, sans oublier tout ce qui relève des troubles forestiers. À l’inverse, d’autres sociétés « dociles » semblent vivre « à l’ombre du pouvoir », comme dans le Cantal, ou être l’une de ces terres où l’on rencontre les « société d’obéissance », comme dans le Finistère. Dans l’imaginaire collectif, les paysans, comme individus et comme groupe, sont brocardés, méprisés et discrédités. Les images du gueux, du croquant, du rongeur qui grignote le sol (Balzac), de la brute qui étrangle son aîné pour s’emparer de ses biens, du monstre qui éventre d’un coup de serpe une jeune femme enceinte (Zola), voire du trafiquant qui coupe le lait pour en tirer un plus grand profit sont les plus nombreuses. Elles traduisent l’antagonisme des villes et des campagnes.
Les sauvages et les barbares
16Le premier niveau de l’indocilité proclamée des campagnes ne se situe pas au niveau des conflits contre l’État, mais au niveau d’actes de violence qui échappent au contrôle de l’administration, de la gendarmerie et de la justice, et qui peuvent, de la sorte, ne pas être sanctionnés. Dans les rapports des procureurs généraux, de l’administration préfectorale ou encore des gendarmes, les sauvages et les barbares sont épisodiquement dénoncés. Les conflits les plus visibles sont les bagarres entre conscrits, les manifestations de la jeunesse des villages, les rixes entre « pays ». Eugen Weber a parlé d’un âge d’or des bagarres entre villages et signalé que la Statistique du département du Lot parle de « guerres qui éclatent entre les différentes communes et donnent lieu à de véritables bagarres20 ». En effet, dans le Quercy, de 1830 à 1860, la violence des rapports sociaux apparaît extrême au point que se manifestent de véritables guerres entre communes, moins nombreuses toutefois et moins virulentes à partir de la monarchie de Juillet. Les autorités ont du mal à cacher leur désarroi et leur impuissance. Chaque semaine, dénoncent-elles, il faut malheureusement déplorer « une émeute impliquant des dizaines, voire des centaines de paysans ». Au cours de cette période, sans doute peut-on dénombrer près de 100 « mouvements insurrectionnels » et près de 400 rixes entre « groupes sociaux à base locale ». Ils sont le fait surtout de la jeunesse célibataire21. Les rixes villageoises, provoquées par le groupe des jeunes, faisaient la démonstration d’une violence inouïe au point que l’on relevait chaque année des morts et des blessés. En Bretagne aussi, en 1866, 300 jeunes s’affrontent. Si après la chute du Second Empire, ces rixes semblent beaucoup plus rares, il faut souligner que pendant près d’un demi-siècle, les pouvoirs publics apparaissent bien souvent impuissants.
17Quant à la justice, elle ne parvient que très difficilement à endiguer de tels éclats de violence, comme semble l’attester le faible nombre de condamnations. De même, une multitude de conflits interpersonnels et collectifs échappent à la justice. En effet, partout en France, avec des différences locales sans doute importantes, les communautés ont mis en place depuis fort longtemps des systèmes de régulation des conflits. Les vengeances privées sont une des formes les plus radicales. On peut incendier une maison, tendre une embuscade pour donner « le coup de la mort » à l’aide d’un fusil à son adversaire, noyer l’un des enfants de son rival, arracher des pieds de vigne, faire circuler des rumeurs, des lettres ou des placards anonymes. Si la vengeance peut conduire au désastre personnel, elle peut aussi être lue comme une façon de nier l’importance du pouvoir d’État. La vengeance comme la vendetta appartiennent pour les anthropologues aux sociétés caractérisées par l’absence d’un système judiciaire unifié et par l’absence ou la faiblesse d’un État national. La représentation d’un État jacobin et centralisé qui impose à tous ces directives trouve ici une limite impérieuse. D’autant que la volonté haineuse de prendre une revanche n’est pas toujours isolée : elle appartient à un cycle « vindicatoire », c’est-à-dire qu’elle appelle une riposte qui à son tour nécessite de réagir. Mais une deuxième technique de règlement des conflits peut être observée. Il s’agit des « accommodements » ou des « arrangements », parfois désignés par l’expression générique d’infrajudiciaire. Il s’agit le plus souvent d’un accord financier et oral entre deux parties. Il peut concerner tous les aspects de l’existence : des dettes non remboursées, des litiges relatifs à une bande de terre séparant deux propriétés, des promesses non tenues, des humiliations, des violences sexuelles. Dans le cas de viols de fillettes ou de jeunes filles, les parents peuvent décider de demander à l’auteur de l’agression une somme d’argent qui arrêtera l’affaire et fera en sorte de ne pas recourir à la vengeance. En Normandie, dans l’Orne, le village de François Pinagot, situé à la lisière de la forêt, voit les plaisirs de l’arrangement structurer les relations interpersonnelles et renforcer le lien social22. Or la justice de l’État va s’efforcer de s’imposer, mettant fin aux particularismes locaux, et faisant en sorte, même si elle est à son tour instrumentalisée, de s’imposer comme le seul recours, à la fois au pénal et au civil.
Les communautés villageoises contre l’État : insubordination et révoltes
18La « paysannerie, » nous l’avons vu, est présentée comme naturellement hostile aux ponctions fiscales, à la réglementation, aux agents du maintien de l’ordre. Maurice Agulhon a observé les « émotions politiques » dans les villages du Var en 1848 et scruté ce qui les a précédé : la vitalité folklorique et « les prédispositions à l’insubordination23 ». Ces dernières sont nourries de « griefs (de nature économique, sociale ou fiscale) ». Les conflits proprement dits se rapportent aux droits d’usage, aux forêts, aux subsistances. Les conflits qui « secouent sporadiquement les campagnes24 » forment donc trois grands ensembles : en premier lieu tout ce qui relève de la peur de la famine, de la circulation des grains et des farines. Ensuite les émotions plus directement politiques, et enfin tout ce qui relève des troubles forestiers.
19La disette qui est la peur de la famine est en recul depuis 1830. En France, les derniers grands troubles datent de 1868. À partir de 1845, une série de crises ramènent le spectre de la famine. La récolte du blé très médiocre à la suite d’une longue sécheresse, la crise de la pomme de terre attaquée par un champignon, la hausse des denrées agricoles et la progression du chômage ravivent les discours des « gros » qui affament les « petits » et attisent la peur du manque. Sans doute se met en place une exigence d’« économie morale », c’est-à-dire que les habitants des campagnes demandent à l’État ou à ses représentants d’assurer une « protection nourricière », ce que l’État libéral se refuse à faire25. Les tensions et conflits ne se situent pas entre producteurs et consommateurs, mais entre ces derniers et les intermédiaires, c’est-à-dire les marchands, accusés d’être responsables du surenchérissement des prix. Buzançais, gros bourg de 4 000 habitants dans l’Indre, au cœur d’une région d’agriculture capitaliste, devient le théâtre en janvier 1847 d’une émeute frumentaire classique, mais elle connaît l’affrontement entre les Blouses, désignant le vêtement des paysans, et les Habits, expression qui évoque le costume bourgeois. Les édiles vont se résoudre à taxer le blé, ce que le législateur défend expressément. Des visites domiciliaires sont organisées au cours desquels un piano est détruit, un secrétaire brisé, des livres arrachés de leur bibliothèque. L’un des notables de la ville tue le chef des émeutiers et lui-même, poursuivi, est frappé à mort à la manière « d’un bœuf ». En avril de la même année, trois émeutiers sont guillotinés sur la place du marché de Buzançais au milieu d’un grand nombre de blouses silencieuses venues apporter un dernier soutien. Le mouvement peut être lu de différentes manières, mais il est assurément une forme de résistance aux progrès de l’individualisme agraire et du capitalisme agricole et commercial incarné par la spéculation sur les grains26.
20En 1848, tandis que le Gouvernement provisoire découvre que les caisses du Trésor public sont vides, que l’on assiste à la chute des valeurs de l’État et que le recours à l’emprunt, après avoir été envisagé, est abandonné, les dirigeants de la Deuxième République décident de lever l’impôt républicain, ce qui se traduit très concrètement par une augmentation de 45 % de tous les impôts directs (soit 45 centimes pour chaque franc). Dans les campagnes, l’impôt provoque à la fois l’incompréhension et une hostilité funeste contre la République. Dans le canton de Guéret, dans la Creuse, le tocsin sonne en juin 1848 pour refuser l’impôt. Les conflits les plus importants s’y déroulent. La Creuse, c’est aussi le « pays » de Martin Nadaud, garçon maçon, qui deviendra député en 1849. Comme nombre de ses compatriotes, il fait partie des migrants saisonniers qui se dirigent à chaque saison vers la capitale, couchent dans des garnis sordides et reviennent au village avec l’argent recueilli. Sans cet apport nombre de familles ne pourraient vivre ou survivre. En juin 1848, le percepteur ne recueille que le silence hostile, très peu acceptent de verser l’argent demandé. Comme souvent, les rancœurs concernent le châtelain qui, lui, a répondu à l’appel du fisc et demande la protection des gendarmes. Dans le bourg d’Ajain qui comprenait un peu plus de deux mille habitants, des cris non équivoques se font entendre : « Le premier qui payera l’impôt forcé, voici la potence ! » Les gendarmes font des prisonniers amenés à Guéret, le chef-lieu du canton. Aux portes de la ville règne une grande confusion : paysans de plusieurs villages, gardes nationaux, gendarmes, édiles attendent et parlementent. Pourtant, des coups de fusils partent et on relève douze morts et une trentaine de blessés. L’hostilité à l’égard du fisc n’est pas nouvelle. Elle connaît de nombreux précédents, en particulier en 1841 lors de la révolte populaire de « l’été rouge27 ». La « désobéissance civile » des départements de l’Ariège et de la Lozère, parmi les plus « réfractaires », l’illustre. Le recensement des fortunes en 1841 est accueilli par des journées d’émeutes sanglantes. Le mouvement de 1848 prolonge ce mouvement anti-fiscal : par exemple à Gourdon, sous-préfecture du Lot, la ville est mise à sac, le tribunal est envahi et les juges, face à la pression, prononcent une relaxe générale.
21En 1851, la résistance au coup d’État de Louis Napoléon Bonaparte est essentiellement provinciale et son ampleur a surpris les contemporains. Trois grandes zones apparaissent sur la carte de France : le Centre (l’Allier, le Cher, la Nièvre, et une partie de la Saône-et-Loire et de l’Yonne), le Sud-Ouest (le Gers, le Lot et le Lot-et-Garonne) et un vaste Sud-Est (Basses-Alpes, Drôme, Var, Vaucluse, Ardèche, Gard, Hérault, Pyrénées-Orientales). Le mouvement essentiellement rural trouve ses principaux points d’ancrage dans les gros bourgs. Les logiques multiples qui président à l’action des campagnes relèvent en grande partie de l’« apprentissage » de la République et des processus de politisation abordés ailleurs dans le présent ouvrage. Contentons-nous de rappeler les principales lectures du plus important mouvement armé que la France des campagnes ait connu depuis 1789. La première interprétation, s’appuyant sur les excès fantasmés commis, comme le viol collectif de malheureuses, le massacre de tel défenseur de l’ordre attaché sur une planche et scié en deux, visent à renforcer la thèse de l’archaïsme de la révolte et de la barbarie des « Rouges », des « partageux » et des « Jacques » qui ne seraient pas si éloignés de leurs ancêtres de l’époque médiévale. Si la révolte est ici spontanée, elle est aussi encadrée par des républicains. Pour comprendre le mouvement de résistance, on a aussi évoqué, et c’est la deuxième lecture qui en est donnée, la défense de la Constitution et du droit. Il s’agirait donc d’une « insurrection légaliste ». Les paysans se sont soulevés pour défendre l’État de droit. Il faut souligner que la répression fut terrible, arbitraire et parfois « sanguinaire ». Dans les villages berrichons – l’exemple peut être généralisé – il fallait aussi, pour les partisans du prince-président, impressionner et marquer durablement les esprits. Les « scènes déchirantes » se multiplient : des « suspects menottés et hissés sur des charrettes pour une destination inconnue au milieu d’épouses et d’enfants ne seront pas oubliés de sitôt28 ». Par la suite, le pouvoir bonapartiste établit des « commissions mixtes » comprenant un magistrat, un préfet et un général. Si on prend le seul exemple des Pyrénées-Orientales, 692 insurgés sont condamnés. À partir de 1851, le repli des habitants de la campagne de la scène publique ne doit pas être interprété comme une « régression », mais comme une stratégie de contournement tant l’engagement massif de la population a été grand et la répression forte. Enfin, la résistance serait à la hauteur de la déception. C’est parce que certains paysans pouvaient caresser l’espoir de présenter l’un des leurs lors de la prochaine élection présidentielle qu’ils se seraient résolus à marcher pour défendre la République.
22La résistance des campagnes, quelles que soient les interprétations que l’on puisse en donner est un fait d’armes sans équivalent dans l’histoire de France.
Dissidence et « violences résiduelles »
23Les manifestations brutales sont désormais vécues par la « société englobante » comme une « rechute vers des temps que l’on commençait à juger révolus29 ». Les histoires de brigands, comme celui de Cavanac, aux portes de Carcassonne, présenté comme un bandit d’honneur, semblent figées dans un passé à jamais éloigné. Les violences et conflits ruraux appartiennent au répertoire communautaire « traditionnel » : charivari, carnavals, rixes diverses. À une échelle plus individuelle, les agressions sexuelles contre les fillettes, les veuves et les femmes isolées deviennent aussi de plus en plus insupportables comme l’atteste la montée des plaintes qui culminent autour des années 1880. Le phénomène ne traduit pas une augmentation des violences, mais le franchissement d’un seuil. Des conduites jadis acceptées sont désormais perçues comme intolérables.
24À un niveau plus global, les mouvements qui secouent l’Ouest au début des années 1830 sont analysés comme une chouannerie qui referait surface. Mais ce sont les Pyrénées étudiées par Jean-François Soulet et quelques autres historiens qui constituent une sorte de laboratoire de la dissidence30. La société pyrénéenne se caractérise par un ensemble de conduites de refus, de transgression et de révoltes. Elle pourrait incarner la problématique des « minorités périphériques : intégration et conflits31 », mais les Pyrénées sont d’abord une société en dissidence. Elle se manifeste de multiples façons, tout d’abord dans les mœurs : les Pyrénées sont l’un des plus grands pôles de l’illégitimité rurale française et les habitants rejettent fortement la culture extérieure. Il y a bien des zones de résistances aux modes nationales. Le « costume local » possède deux particularismes : le premier relève de la nature des tissus, le cadis étoffe de laine non cardé est particulièrement utilisé. La seconde caractéristique tient dans la domination de la couleur sombre. Le plus souvent, le costume avait une teinte terreuse ou fauve, « coulou de la bestio », c’est-à-dire couleur de la bête. Dans un premier temps, la population n’éprouve pas la nécessité de se singulariser par rapport à un « extérieur » perçu comme lointain. Mais « tout change lorsque la menace d’assimilation politique et socioculturelle se précise. Dès lors, le costume, comme la langue, n’est plus “neutre”, mais s’affirme comme un facteur d’identité villageoise ou valléenne, sinon pyrénéenne32 ».
25La délinquance fiscale, joint à la contrebande, petite et grande, l’insoumission à la conscription ou au service militaire contribuent aussi à donner à la société une identité extrêmement forte. Bien après les guerres napoléoniennes, les « comptes rendus du recrutement de l’armée » montrent que de 1841 à 1868, plus du tiers des insoumis français sont nés dans les Basses-Pyrénées, Hautes-Pyrénées, Pyrénées-Orientales et Ariège, soit les quatre départements pyrénéens. Pendant la guerre de 1870, le mouvement d’insoumission s’accroît encore. Plus de 400 condamnations auraient été prononcées par le tribunal de Lourdes en une seule semaine. Après la défaite de Sedan, tandis que l’on réfléchit à la mise en place d’une armée nouvelle, le mouvement ne tarit pas, bien au contraire : « De 1875 à 1882, encore, près du quart des insoumis français appartenaient au seul département des Basses-Pyrénées. » Mais les Pyrénées sont surtout connues pour la « guerre » des Demoiselles (1829-1872), nom qui vient du vêtement adopté par les paysans, une longue chemise et un bonnet afin que l’on ne puisse pas les reconnaître. Forme carnavalesque de révolte populaire, elle surgit contre le Code forestier de 1827. C’est aussi un mouvement qui se dresse contre les grands propriétaires, tout en étant bien un « maillon d’une longue chaîne de révolte ». C’est enfin un mouvement presque unanime contre l’autorité centrale et ceux qui seraient tentés de collaborer avec lui, d’où l’extrême réserve des autorités locales qui ne veulent pas se mettre au service de la politique gouvernementale, mais adoptent le point de vue des populations. Après 1851, en l’absence de perspective à court terme ou d’un dessein d’ensemble, on assiste à un repli sur soi, à une « vrai balkanisation » dans certaines vallées, voire dans certains villages. Tout se passe donc comme si, malgré les derniers soubresauts de la guerre des Demoiselles, que l’on peut enregistrer après la proclamation de la République de 1870, on assistait bien à un immense repli et à une accentuation des différences locales.
26Les historiens étrangers qui observent la France analysent aussi ses conflits à partir de solides exemples régionaux. Ils ont bien montré toute la complexité de l’emboîtement des conflits, entre horizon national, intérêts locaux, différends personnels et identités collectives. Sans en faire l’inventaire, signalons que P. M. Jones dans sa thèse non traduite s’intéresse aux relations conflictuelles et à leurs expressions. Il montre que lorsqu’un des villages qu’il étudie vote pour tel candidat ou exprime telle sensibilité politique, le village voisin porte ses suffrages sur le candidat totalement opposé. L’historien australien Peter McPhee s’inscrit délibérément dans la « lignée des études régionales33 ». En s’attachant aux « protestations indirectes », il montre que certains conflits ne peuvent plus après 1848 se régler de la même manière qu’avant la Deuxième République et qu’ils apparaissent même comme « démodés34 ». Or d’une certaine façon, le crime de Hautefaye qui eut un grand retentissement fut perçu de cette manière. On y vit, bonapartistes, républicains et monarchistes, l’expression d’un archaïsme paysan. Pour en prendre la mesure, sans doute faut-il revenir sur l’autopsie d’un massacre. Le 16 août 1870, à Hautefaye, dans le nord de la Dordogne, Alain de Monéys est pris à partie sur le foirail. Ce jeune noble discret, au physique disgracieux, est roué de coups par la foule. Le supplice, insupportable, lent et discontinu, dure deux heures jusqu’à la crémation finale. Les stations suivies par le cortège sanglant, la composition changeante de la foule massacreuse, la circulation des assaillants – qui après avoir porté un coup, se retirent, se rendent dans telle ou telle auberge où les affaires continuent à se régler, reviennent sur les lieux, regardent la scène ou interviennent directement – renseignent d’abord sur l’horreur. On mange et on boit, et pendant ce temps, le corps ensanglanté est traîné dans le village. Cette mise à mort, qui provoque la liesse étudiée par Alain Corbin, est méthodiquement perpétrée35. « Avant de faire périr le “Prussien”, il faut le faire souffrir », dit l’un des criminels. C’est un chiffonnier, habitant Nontronneau, un village voisin, qui, armé de son crochet, a porté un coup mortel. Plus tard, comme pour insister sur la sauvagerie du peuple des campagnes, un témoin rapportera que le maire de Hautefaye aurait déclaré le jour du drame : « Mangez-le si vous voulez ! » Le mythe du « village des cannibales » est bien né à ce moment-là. La violence commise dans cette petite commune apparaît comme une résurgence anachronique de l’horreur révolutionnaire. En effet, les mentalités collectives, les perceptions du monde social et les représentations de la vie politique font que ce qui se passe en août 1870 s’apparente à la répétition des événements de l’été 1792 : il s’agit de « déjouer le complot fomenté par la trilogie des ennemis de l’intérieur », c’est-à-dire les républicains, les nobles et les curés.
27Le drame de Hautefaye, situé dans l’arrondissement de Nontron, permet de saisir l’« équation victimaire », mais il faut aussi essayer de comprendre ce qui s’est passé pour ne pas se contenter de l’argument de la barbarie atavique des paysans qui sera utilisé lors du procès. Pour saisir la logique des gestes, il faut s’attacher au fonctionnement autonome de l’imaginaire de la paysannerie et des systèmes de représentations qui donnent aux sentiments toute leur cohérence. En premier lieu, il faut porter une grande attention à l’hostilité à l’égard de la noblesse. L’effondrement du régime en 1830 est l’occasion pour le maire de Marsac de déclarer que « le retour des dîmes et des rentes et de tous les droits que nos pères ont abolis », n’est plus à craindre. Désormais, l’effacement du pouvoir rend licite la violence verbale contre les gros et les châteaux. En juin 1848, tandis que l’insurrection parisienne se profile à l’horizon, le frère du maire de la commune de Saint-Cyprien déclare : « Nous irons chez les riches, nous les foulerons aux pieds ! » À la haine des nobles s’ajoute la haine des curés. Toujours en juin 1848, le peuple des campagnes, du moins certains de ses représentants, aurait « voulu couper le curé en morceaux ». Toutefois, à la fin du Second Empire, l’anticléricalisme tapageur n’est plus de mise. L’action du clergé et les mesures du maintien de l’ordre « refoulent les manifestations violentes de l’hostilité ». La rumeur contribue à faire réapparaître le « fantôme de la dîme ». Dès lors, ici ou là, des protestations paysannes s’enflamment. Un brigadier échappe de peu à la mort ; des émeutiers l’assaillent au cri de « Vive L’empereur ! ». Reste à comprendre le sentiment antirépublicain. En mai 1849, plus d’un an après la proclamation de la Deuxième République, le vote démocrate socialiste est majoritaire. Mais les républicains, on l’a vu précédemment, suscitent un peu partout le mécontentement à cause de l’impôt des quarante-cinq centimes. De la sorte, les perceptions de la République « gaspilleuse » finissent par l’emporter. Sans doute les « images sociales de la menace » expliquent en partie que les massacreurs périgourdins aient voulu « purifier la communauté, tout à la fois d’un noble, allié des curés, d’un républicain et d’un Prussien ». Le gouvernement impérial réagit vivement au grand étonnement des populations qui disent avoir agi au nom de l’Empereur. Les républicains y voient une conduite barbare. Les paysans sont bien désignés comme les primitifs de la révolte.
Les conflits d’intégration
28L’expression conflits d’intégration, guère usitée par l’historiographie, mérite quelques mots d’explication. Au tournant des années 1880, les enquêteurs sociaux, les administrateurs locaux et les pouvoirs publics notent que la violence s’est retirée. En même temps s’affirment une ou plutôt des idéologies agrariennes. Certes les comportements collectifs et les conduites individuelles peuvent être « rudes », mais désormais un nouveau cycle semble s’ouvrir. La paysannerie courtisée depuis 1848 pratique ce que d’aucuns n’appellent pas encore le vote sanction. L’État et ses représentants deviennent des interlocuteurs privilégiés. Soit parce qu’ils sont contestés, au besoin par la violence, soit parce qu’ils sont considérés comme les rouages indispensables d’une négociation qu’il faut mener. C’est surtout à partir des débuts de la IIIe République que cette stratégie est déployée. Le monde des campagnes, du moins dans le Nord et dans le Sud, aidé en cela par la loi de 1884, se couvre d’associations. Certaines sont d’une certaine manière les héritières des « Chambrées » qui dans le Var ont été le relais essentiel de la politisation des paysans, d’autres sont des créations qui ne reposent sur aucune tradition d’organisation. Au début du xxe siècle s’ouvre la Belle Époque du syndicalisme des campagnes, avec la création notamment de la Fédération nationale des syndicats de bûcherons (1902) et celle de la Fédération nationale horticole (1904). Si les antagonismes sociaux constituent les ressorts essentiels à la constitution de ces organisations, d’autres conflits prennent forme. Tandis que la crise économique et sociale aux multiples visages des années 1880-1896 secoue les campagnes, il n’est pas rare d’opposer le « Nord barbare » au « Sud persécuté » ou encore le « Sud violent » au Nord plus calme.
Pressions du droit et acculturation
29Contrairement à une idée reçue, l’idée d’une justice unique et centralisée, mise en place sous la Révolution et définitivement assise sous le Premier Empire est en partie inexacte. Partout, se sont manifestés des oppositions, des résistances, des comportements individuels et collectifs qui contredisaient l’affirmation péremptoire des pouvoirs publics. En 1836, Adolphe d’Angeville cartographie les éléments de la « statistique morale » qu’il vient de rassembler. Il a notamment utilisé les données fournies par la Chancellerie qui enregistre les infractions pénales depuis 1825. En 1836, chaque département est présenté en fonction du nombre de crimes jugés. Les plus foncés sont ceux où le plus grand nombre est commis, les plus clairs ceux qui en enregistrent le moins. Il y aurait donc davantage de crimes de sang dans le Sud que dans le Nord. L’immense surprise cependant n’est pas là. Les contemporains découvrent que la France n’est pas uniforme et que les comportements sont très différents d’un point à un autre. En 1882, le Compte général de la justice criminelle propose une synthèse des années 1831 à 1880 et donne à son tour des cartes de France. Celle des crimes contre les personnes – il s’agit d’un document établi selon le nombre moyen annuel – montre que les départements de la Seine et de la Corse arrivent très largement en tête, suivi par le Nord, la Seine-Inférieure, les Bouches-du-Rhône. La carte des crimes contre la propriété et celle des prévenus diffèrent grandement. À la même époque, des auteurs comme Émile Durkheim, Gabriel Tarde ou Alfred Fouillée affirment que plus une nation appartient au « stade moderne », plus les causes sociales y prédominent. Ils constatent aussi qu’il y a moins d’accusés « cultivateurs », environ 8 pour 10 000 habitants, que d’accusés citadins, de l’ordre de 15 pour 10 000. Les crimes commis dans les campagnes seraient donc moins nombreux que ceux sanctionnés dans les villes, mais en revanche on rencontre davantage de crimes de sang. Quelques criminologues franchissent le pas et considèrent que les espaces les plus ruraux sont des « conservatoires » de l’archaïsme.
30Le Compte général de l’Administration de la justice civile est un document officiel du ministère de la Justice qui rend compte depuis 1831 de l’activité annuelle de la justice civile. Il donne deux fois par an le nombre des affaires que les justices de paix et les tribunaux de première instance ont à régler. Les résultats donnés permettent de connaître « l’esprit processif » des campagnes, puisque l’on y trouve aussi bien des questions de loyers, de différends relatifs aux fermages que des litiges concernant le paiement des dettes. Les justices de paix jugent les affaires les plus minimes se rapportant aux injures, aux dommages causés par le bétail ou encore aux questions de bornage, c’est-à-dire de limites de propriété. Le tribunal civil connaît les litiges les plus graves. Bernard Schnapper a inventé la notion de « litigiosité » qui consiste à comptabiliser l’ensemble des procès jugés au cours d’une année pour mille habitants36. La litigiosité primaire désigne les affaires de la justice de paix et la litigiosité secondaire les affaires du tribunal civil d’arrondissement. Globalement, on assiste à un mouvement accidenté : la litigiosité diminue jusqu’en 1860, elle reprend à partir de cette date jusqu’en 1887 où elle connaît un nouveau fléchissement, pour reprendre à partir de 1910. Toutefois, le mouvement général masque des disparités régionales. Par exemple, le sud du Massif central connaît un mouvement interrompu à la baisse, d’abord très net puis progressif à partir de 1850. La Normandie connaît aussi un mouvement identique, mais moins marqué jusqu’en 1875 pour ensuite repartir à la hausse. La Bretagne offre une situation particulièrement intéressante. En 1831, elle connaît cinq fois moins d’affaires contentieuses que la Normandie, mais depuis, le volume des affaires jugées ne cesse de croître de façon presque continue. Aussi, en 1910 les jugements sont deux fois plus nombreux que quatre-vingts ans plus tôt, et représentent la moitié des procès enregistrés par les juridictions normandes. Plus généralement, il existe bien une France coupée en deux par une diagonale sud-ouest/nord-est. La partie méridionale de l’espace français se caractérise par un nombre particulièrement élevé de procès. La Corse connaît une situation où le taux de « litigiosité primaire bat tous les records ». À l’opposé, la France du Nord apparaît beaucoup moins processive. Il est toutefois possible d’aller plus loin dans la description et l’on peut distinguer plus particulièrement trois zones de « haute-litigiosité » se rapportant aux affaires portées devant les tribunaux civils : la première part de la Normandie et forme une sorte de bandeau qui se dirige vers le département du Doubs. Le Centre forme une deuxième zone comprenant la Lozère, le Cantal, le Puy-de-Dôme la Loire, la Haute-Loire, le Rhône et l’Ain. La dernière zone enfin correspond à une petite partie de la Gironde et aux trois arrondissements des Hautes-Pyrénées. Ni les sensibilités politiques, ni les appartenances religieuses, ni les structures sociales, ni l’alphabétisation ne permettent de comprendre ces différences. La seule explication réside dans l’existence de « mentalités judiciaires » qui reposent sur les héritages juridiques. La France litigieuse appartient pour l’essentiel aux anciens pays de droit écrit, tandis que la France moins processive est issue des pays de droit coutumier. Ces conflits civils montrent que l’uniformisation voulue du territoire et des comportements n’est pas achevée. Les particularismes anciens se greffent sur des conduites contemporaines.
31Enfin le partage des « biens communaux » illustre les transformations en cours. Les « offensives » dirigées contre eux ont commencé au milieu du xviiie siècle. De 1816 à 1851, on assiste davantage à une situation bloquée. Les représentants du pouvoir et ceux des communautés restent campés sur leurs positions et l’activité parlementaire ne débouche sur aucune loi nouvelle. Et pourtant, la surface des communaux laissés en pâture se rétrécit sans heurts visibles. En 1848 toutefois, nous l’avons vu, en Provence et en Languedoc, le mouvement dans les campagnes est particulièrement fort, mais il porte sur les espaces boisés. De fait, le partage et la vente des biens sont à la fois une question d’équilibre entre le pouvoir central et les municipalités, et « une question d’identité de la communauté rurale37 ». Vers 1870, la question des biens se dénoue. On assiste à un véritable renversement. La virulence des attaques cède devant la réhabilitation de la propriété et de la jouissance commune qui peut désormais côtoyer la propriété privée. Tout se passe aussi comme si, à l’échelle des communes, les peurs face aux transformations du monde contemporain s’étaient en grande partie dissipées.
La complexité des conflits
32Par commodité, les historiens distinguent les conflits politiques, les conflits sociaux, les conflits culturels… Pour avoir une vision précise, il ne faudrait ni les dissocier ni se contenter d’analyser une vaste région, mais étudier la diversité et la complexité au niveau de chaque village. Ronald Hubsher s’est demandé si les grandes options nationales « ne sont […] pas une couverture commode, le moyen d’exprimer en un langage clair des aspirations confuses et violentes, le reflet des antagonismes locaux ? » ajoutant qu’il faut tenir compte de la « concordance des événements locaux et nationaux », et que c’est particulièrement le cas pour « le problème de l’école et de l’Église, source de conflits potentiels et de luttes d’influence entre le maire et le curé38 ». La politisation des campagnes et l’anticléricalisme au village font l’objet dans le présent ouvrage de contributions spécifiques, on peut toutefois retenir un aspect pour illustrer la complexité et l’entrelacement des conflits.
33Les campagnes connaissent une multitude de tensions et de conflits liés aux cloches. La Révolution avait limité la sonnerie des cloches, car associé à la religion. Par la suite, les interdictions sont progressivement levées. Pour autant, le premier xixe siècle connaît de multiples escarmouches et affrontements pour que puissent résonner les cloches. Les « conflits campanaires » divisent les communautés villageoises et attisent les rivalités et les antagonismes au village. Les sonneries sont à la fois des éléments de l’identité collective et des marques qui donnent à chaque individu des repères dans l’espace et dans le temps. Les affaires liées aux « sonneries nationales » se situent « à une autre échelle ; elles signifient l’intégration à la vie de la nation39 ». À partir de la monarchie de Juillet, l’histoire campanaire connaît un changement radical. En effet, à partir de 1830, les fêtes de souveraineté deviennent des fêtes nationales. En nombre limité – les fêtes funèbres des 27-29 juillet 1830, la fête du roi du 1er mai, et dans une moindre mesure, l’anniversaire du serment de la charte – elles indisposent. Le curé ne peut alors avoir l’usage exclusif de la cloche et ne peut, en principe, refuser de sonner les cloches. À partir de 1831, les élections municipales donnent au pouvoir municipal une importance plus grande encore. Le maire s’oppose ainsi dans nombre de villages au curé, et il entend bien faire carillonner, quitte à envoyer son propre sonneur. La multitude des disputes, des conflits et des plaintes, font qu’il faut réglementer. À partir de 1833, seule la fête du roi doit être rendue solennelle par la sonnerie des cloches. En 1849, la Deuxième République ordonne de faire sonner les festivités car elle vient d’instituer deux fêtes nationales : le 24 février, début de la révolution victorieuse de 1848, et le 4 mai, date de la proclamation de la Deuxième République. Les conflits, s’ils sont moins nombreux et moins vifs, existent cependant, mais ils disparaissent dès le début du Second Empire. Ils ressurgissent après le 4 septembre 1870, pour autant les sonneries nationales ne retentissent plus, elles sont interrompues. Le 14 juillet 1880, on annonce le retour de la sonnerie des cloches civiques et nationales. La date retenue, qui célèbre la Révolution honnie par une partie de l’opinion, est considérée par les républicains « comme le signe de la laïcisation des cloches et surtout de la prise de possession du clocher par la communauté aux dépens de l’autorité cléricale ». Les conflits prennent des formes très différentes et sont, selon les régions, d’intensité variable. Dans le Maine-et-Loire, ils sont abondants. Les affrontements peuvent être tangibles, mais aussi symboliques. Le 14 juillet 1882, le maire de Blosville dans la Manche use d’une pédagogie de la démesure pour célébrer le jour national : les cloches sonnent toute la journée. Plus tard encore, en 1905, au moment de la loi de Séparation de l’Église et de l’État, le clergé dénonce dans le Tarn un « véritable charivari de cloches ». Ce dernier ne reste pas inactif et organise, à sa manière la riposte, c’est ainsi qu’en 1883 on entend dans le Gard des « volées protestatrices ». Malgré tout, au début du xxe siècle, les acteurs de ces joutes perdent de leur pugnacité. Il est vrai que le son des cloches s’est désacralisé et cet effacement progressif du paysage sonore et le « retrait » des conflits traduisent la modernisation des campagnes et l’articulation du local et du national. Les affaires de cloches relatives aux enterrements relèvent de la même perspective. Il s’agit en quelque sorte de s’assurer la « maîtrise de l’état civil sonore ». En effet, le silence des cloches est une marque de désapprobation ou de condamnation. Un enfant non baptisé, un suicidé ou un « mécreant » décédés n’ont pas le droit au carillon des cloches. Sous la IIIe République anticléricale, libres-penseurs et républicains athées se battent pour que les enterrements civils ne se fassent pas en silence. En effet, arguent-ils, la sonnerie de la cloche ne doit pas avoir de signification religieuse. La sonnerie mortuaire a malgré tout pour fonction de placer l’homme en dehors de l’animalité. Il ne s’agit donc plus de conflits communautaires, mais de conflits qui reflètent les grands débats nationaux qui traversent la IIIe République.
La « révolte du désespoir » (1907)
34Eugen Weber, auteur d’un fort volume sur La fin des terroirs qu’il décrypte entre 1870 et 1914, écrit que les « tensions sociales restent archaïques et ce qu’on a parfois considéré comme une preuve de la lutte des classes dans les campagnes était souvent le prolongement d’une hostilité compréhensible entre la ville et la paysannerie ». Philippe Gratton, pour sa part, considère que les « problèmes paysans » de la fin du xixe siècle sont ceux du prolétariat agricole, la violence observée est celle de la lutte des classes à la campagne40. Dans cette perspective, le Midi rouge occupe une place particulière. Cette région en effet a « manifesté à plusieurs reprises, un fort tempérament de protestation sociale à caractère égalitaire, volontiers anticlérical et opposé au renforcement du pouvoir central français41 ». Au lendemain de la grande crise du phylloxéra qui au tournant des années 1870 a secoué nombre de sociétés paysannes, on assiste à la montée d’une viticulture industrielle. Les premiers syndicats ouvriers agricoles apparaissent au début des années 1890. Dix ans plus tard, la crise viticole dans la plus grande région viticole de France provoque chômage et perte de salaire. Aussi, tandis que dans les villes, en particulier à Montpellier, les bourses du travail sont solidement implantées et jouent un rôle important, des fédérations départementales agricoles se constituent entre 1900 et 1902. Cette année-là, la CGT tient son congrès à Montpellier, mais surtout, en 1903 est créée la Fédération régionale des travailleurs agricoles du Midi (FTAM) constituée de 42 syndicats de l’Aude, du Gard, de l’Hérault et des Pyrénées-Orientales. L’organisation suit l’orientation révolutionnaire de la CGT née en 1895. Cette dernière se dotera un peu plus tard d’un organe : Le Travailleur de la Terre. Les grèves se succèdent pendant plusieurs années. Un tel mouvement apparaît neuf et surprend, au point de susciter la curiosité anxieuse des grands journaux, dont les tirages, pour chacun des « cinq grands », dépassent le million d’exemplaires. Le mouvement paysan est présenté comme une « jacquerie » et les reporters ne font guère de distinctions entre ouvriers agricoles et propriétaires et évoquent la « grève des cultivateurs ». En 1904, le Journal des Débats écrit, amplifiant l’importance du mouvement et la peur ressentie, que « pour la première fois depuis la Révolution, le pays a fait connaissance avec les troubles agraires ». Des chansons circulent :
« S’ils ne veulent pas nous augmenter
Nous pourrons les faire danser
Car nous sommes tous prêts
A vouloir protester. »
35À la fin de l’année 1904, l’appel à la grève générale retentit, fait frémir la presse parisienne, qui insiste sur le défilé incessant des « Jacques ». La Fédération générale fait le plein des militants. Elle peut afficher 15 000 adhérents, obtient une réduction du temps de travail, une augmentation de salaire et des contrats de travail qui remplacent les accords tacites et oraux qui prévalaient jusqu’alors. Malgré les succès, l’appel à la grève générale n’est pas suivi. L’année suivante connaît une nette désaffection : à partir de 1907 la Fédération plafonne en moyenne à 3 000 adhérents. Pour autant, son audience reste très importante et ne se mesure pas seulement selon les effectifs enregistrés. Dans les campagnes viticoles du Midi, les grèves se poursuivent en 1910, 1911 et 1912. Ailleurs, dans le Nord, c’est en 1897 qu’apparaît l’Union des syndicats agricoles du Pas-de-Calais. Si dans le Midi, le mouvement bénéficie de l’appui ou du moins du soutien des édiles et des députés, dans le Pas-de-Calais, on considère que l’action doit passer par la Chambre des députés et les commissions spécialisées. De 1880 à 1899, 39 % des amendements et 36 % des propositions de loi des députés du département sont adoptés42. Sans aucun doute on peut parler de « politique au coup par coup » qui s’avère être la seule réponse donnée à « une situation conflictuelle déterminée ». Finalement les porte-parole de la République radicale se contenteront d’arbitrer des « groupes de pressions antagonistes » comme l’illustre le duel vin-betterave ou la lutte du lobby du Nord contre celui du Midi. La crise de 1907 donne une autre dimension à la protestation des campagnes. Il s’agit d’abord d’un conflit ouvert contre la société englobante. Tandis que le prix du vin s’effondre, que la propagande s’en prend au « buveur d’eau », que le monde paysan dénonce la fraude et les fraudeurs, la révolte des vignerons atteint une ampleur inégalée. Il s’agit bien à l’origine d’une révolte de la misère. Les revenus chutent de près de 30 %. Les plus démunis sont jetés sur les chemins et brusquement relégués au rang d’indigents. En Languedoc, sous la conduite de Marcelin Albert, petit vigneron, surnommé le Rédempteur, qui entend mener une « croisade agricole », puis du docteur Ferroul, le mouvement court de manifestation en manifestation. Le 8 juin, à Montpellier, l’ampleur des manifestations impressionne : plus d’un demi-million de personnes défilent. Dans le cortège, on demande des indemnités, des allégements d’impôts, on se prononce pour la défense de la viticulture. Un certain nombre de personnalités, comme le maire socialiste de Narbonne, tentent de donner une dimension plus politique à la protestation. Les événements parfois qualifiés de « grande clameur » de 1907 sont durement réprimés. Clemenceau fait intervenir la troupe. À Béziers, un régiment d’infanterie, le 17e de ligne, refuse de participer à la répression et met « crosse en l’air ». À Narbonne, la troupe tire sur la foule et on relève neuf morts. La brutalité de la répression, la volonté d’obtenir rapidement une « paix des campagnes », une loi destinée à lutter contre le « sucrage du vin » promulguée dès la fin du mois, quelques mesures d’apaisement, comme la libération des viticulteurs emprisonnés, permettent de faire retomber le conflit. Pour autant l’événement ne saurait être minimisé. Si certains y ont vu le passage d’une révolte viticole à une révolte régionale, voire un épisode fondateur du mouvement occitan et du félibrige, d’autres, les plus nombreux, ont aussi perçu ce mouvement comme une victoire de l’agrarisme : en effet « proprios décavés », « ouvriers sans travail » et « commerçants dans la purée » se retrouvent unis dans un même élan de protestation.
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36Les travaux sur les conflits ont le plus souvent privilégié les grandes oppositions binaires, essentiellement politiques. Ainsi la vaste somme que représente Les lieux de mémoire dirigée par Pierre Nora traite des « catholiques et laïcs », des « rouges et des blancs », de la « droite et de la gauche43 ». En 1986, Maurice Agulhon soulignait que « l’unanimité, ou du moins le large consensus, fait un peu honte, c’est au conflit que l’on aspire », ajoutant que c’est une manière d’aborder « la guerre franco-française44 ». S’il importe bien sûr de tenir compte des grandes oppositions, il convient tout autant de ne pas délaisser le monde presque insondable et minuscule des conflits ordinaires qui renseignent tout autant sur l’intégration des campagnes dans la société française.
37Des travaux de plus en plus nombreux prennent ouvertement comme objet d’étude le conflit45, ses logiques, ses développements et ses modes de régulation. Ils permettent d’étudier les « sociétés villageoises » et leurs relations avec la « société englobante », pour reprendre la terminologie de la sociologie rurale. Mais il existe aussi à l’intérieur de groupes, parfois qualifiés de « sociétés immobiles », une multitude de conflits qu’il importe aussi de saisir. Les déviances, les frictions, les dissensions, les crimes, les violences sont des indicateurs de la « nature de l’édifice social » des campagnes. Leur étude constitue une approche privilégiée, à l’échelle d’un village ou d’une enquête nationale, pour rendre compte des rapports entre les communautés villageoises et la société dans son ensemble. Ils permettent de fixer des seuils, de cerner les identités, d’indiquer les mutations en cours et de préciser les temps de certaines ruptures.
Notes de bas de page
1 Les notes de la présente contribution ont été limitées pour laisser davantage de place au texte lui-même. A. Meyer, La persistance de l’Ancien Régime. L’Europe de 1848 à la Grande Guerre, Paris, Flammarion, 1983, 350 p.
2 E. J. Hobsbawm, Les primitifs de la révolte dans l’Europe moderne, Paris, Fayard, 1959, 222 p.
3 Se reporter à l’introduction du présent ouvrage.
4 N. Elias, La civilisation des mœurs, Paris, Calmann-Lévy, 1973, 448 p. ; La dynamique de l’Occident, Paris, Calmann-Lévy, 1975, 320 p.
5 Voir les travaux de la sociologie rurale, en particulier H. Mendras, Sociétés paysannes, Paris, Armand Colin, 1976, 238 p. et M. Jollivet et H. Mendras, Les collectivités rurales Françaises, Paris, Armand Colin, t. I, 224 p.
6 F. Zonabend, La mémoire longue. Temps et histoire au village, Paris, PUF, 1980.
7 P. Barral, Les agrariens français de Méline à Pisani, Paris, Armand Colin, 1968, 386 p.
8 J.-P. Jessenne, Pouvoir au village et Révolution. Artois, 1760-1848, Lille, PUL, 1987, 308 p.
9 J.-C. Farcy, Les paysans beaucerons au xixe siècle, Chartres, Société archéologique d’Eure-et-Loir, 2 tomes, 1236 p.
10 E. Guillaumin, La vie d’un simple. Mémoires d’un métayer, Paris, Stock, 1942 (1904), 314 p.
11 L. Le Gall dans coll., Comment meurt une République, Autour du 2 décembre 1851, Paris, Créaphis, 2004.
12 J.-L. Mayaud, La petite exploitation rurale triomphante. France, xixe siècle, Paris, Belin, 1999, 278 p.
13 E. Claverie et P. Lamaison, L’impossible mariage. Violence et parenté en Gévaudan, 17e, 18e et 19e siècles, Paris, Hachette 1982, 364 p. Voir aussi M. Jollivet et H. Mendras, Les collectivités rurales françaises, Paris, Armand Colin, 1971, 224 p.
14 La conflictuosité en histoire, Cahiers du Gerhico, n° 3, 2002, 120 p.
15 Cité par J.-C. Farcy, op. cit., t. II, p. 1044.
16 M. Perrot, « La fin des vagabonds », Les ombres de l’histoire, Paris, Flammarion, p. 317-336.
17 M. Foucault, Surveiller et punir. Naissance de la prison moderne, Paris, Gallimard, 1975, p. 261299.
18 F. Chauvaud, Les passions villageoises au xixe siècle, Paris, PUBLISUD, 1995, 272 p.
19 S. Lapalus, La mort du vieux. Une histoire du parricide au xixe siècle, Paris, Tallandier, 2004, 634 p.
20 E. Weber, La fin des terroirs, Paris, Fayard, 1983, 840 p.
21 F. Ploux, Guerrres paysannes en Quercy. Violences, conciliations et répression pénale dans les campagnes du Lot (1810-1860), Paris, La Boutique de l’Histoire, 2002, 376 p.
22 A. Corbin, Le monde retrouvé de Louis-François Pinagot. Sur les traces d’un inconnu, 1798-1876, Paris, Flammarion, 1998, 344 p.
23 M. Agulhon, La République au village : les populations du Var, de la Révolution à la Seconde République, Paris, Seuil, 1979, 544 p.
24 A. Moulin, Les paysans dans la société française. De la Révolution à nos jours, Paris, Seuil, 1988, p. 109.
25 N. Bourguinat, « L’État et les violences frumentaires en France sous la Restauration et la monarchie de Juillet », Ruralia, n° 1-1997, p. 11-33.
26 Ph. Vigier, 1848, les Français et la République, Paris, Hachette, 1998 (1982), 438 p.
27 J.-C. Caron, L’été rouge. Chronique de la révolte populaire en France (1841), Paris, Aubier, 2002, 348 p.
28 M. Pigenet, « Devoir de mémoire et fidélité militante. Les noyaux rouges des villages berrichons sous le Second Empire », S. April et alii, Comment meurt une République, Paris, Créaphis, 2004, p. 375-385.
29 M. Agulhon, « Attitudes politiques », Histoire de la France rurale, t. 3, op. cit., p. 144-175.
30 J.-F. Soulet, Les Pyrénées au xixe siècle, Toulouse, Éché, 1987, 2 vol. ; Ch. Thibon, Le Pays de Sault. Pyrénées audoises au xixe siècle : les villages et l’État, Paris, CNRS Éditions, 1988, 288 p.
31 E. Leroy-Ladurie, « Les minorités périphériques : intégration et conflits », A. Burguière et J. Revel (dir.), L’État et les conflits, Paris, Seuil, 1990, p. 457-627.
32 J.-F. Soulet, Les Pyrénées…, op. cit., p. 315.
33 Voir dans la bibliographie du présent volume les références aux principales grandes thèses d’histoire régionale.
34 P. McPhee, Les semailles de la République dans les Pyrénées-Orientales, 1846-1852 : classes sociales, culture et politique, Perpignan, Publications de l’Olivier, 1995, 510 p.
35 A. Corbin, Le village des cannibales, Paris, Aubier, 1990, 204 p.
36 B. Schnapper, « Pour une géographie des mentalités judiciaires. La litigiosité en France au xixe siècle », Annales ESC, 1979, 34, p. 399-419.
37 N. Vivier, Propriété collective et identité communale. Les Biens communaux en France, 1750-1914, Paris, Publications de la Sorbonne, 1998, p. 299.
38 R. Hubscher, « Les paysans et la société englobante », Y. Lequin (dir.), Histoire des Français. xixe-xxe siècles, Paris, Armand Colin, 1983, p. 59-110.
39 A. Corbin, Les cloches de la terre, Paris, Albin Michel, 1994, p. 239.
40 Ph. Gratton, La lutte des classes dans les campagnes, Paris, Anthropos, 1971, 484 p.
41 J. Sagnes, Le Midi Rouge. Mythe et réalité : études d’histoire occitane, Paris, Anthropos, 1982, 310 p. ; R. Pech, Entreprise viticole et capitalisme en Languedoc du phylloxéra aux crises de mévente, Toulouse, Association des publications de l’université de Toulouse-Le Mirail, 1975, 568 p.
42 R. Hubscher, L’agriculture et la société rurale dans le Pas-de-Calais, du milieu du xixe siècle à 1914, Arras, Mémoires de la commission départementales des monuments historiques du Pas-de-Calais, 1979 et 1980, 964 p.
43 J. Julliard qui dans L’État et les conflits, Paris, Seuil, 1990, revisite le très célèbre Les luttes de classes en France de Karl Marx, le spécifie : « Marx l’avait bien compris, qui s’émerveillait de son génie politique national : la France est ce pays où tout conflit, dès qu’il sort du domaine strictement privé, met en jeu et en mouvement les institutions politiques les plus hautes, tout à la fois pour les contester et réclamer leur arbitrage. Inversement, l’État lui-même a construit son pouvoir sur sa capacité à “évoquer” les conflits et à donner aux parties en présence la garantie de son impartialité. »
44 M. Agulhon, « Conflits et contradictions dans la France contemporaine », Annales ESC, mai-juin 1987, p. 595-610.
45 Voir par exemple la thèse d’A. Cappeau, Vivre son voisin au village. Les conflits de voisinage dans les campagnes du Rhône (1790-1958), sous la dir. de J.-L. Mayaud, université Lumière-Lyon II, 2004, dact., 2 vol., 624 et 246 f°.
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