Carrière et œuvre de R. Durand : jalons pour une « Vita Rotberti »
p. 15-17
Entrées d’index
Index géographique : France
Texte intégral
1« Sa bienveillance en vérité, qui consentit à accueillir mon humble personne dans son proche entourage, me donna, sans même y prendre garde, les moyens de relever chez lui des actes exemplaires, dont j'ai constaté bon nombre de mes yeux, tandis que j'en dois d'autres aux récits de témoins sincères et crédibles ; de ces actes il en est que j'aborde superficiellement, d'autres que je laisse sciemment de côté pour éviter d'être trop long ou taxé de flatterie, ou bien puisqu'il est encore en vie, de peur qu'on ne m'objecte le proverbe de Salomon : Ne fais pas l'éloge d'un homme durant sa vie1 ». Tout ceci irait bien au prologue d'une Vita Rotberti. Mais ce serait dommage de faire souffrir la si remarquable modestie de Robert. Et je doute de ma capacité à être fidèle au genre. Je me contenterai donc de remercier tous ceux qui se sont réunis dans le cadre splendide de la Fondation Gulbenkian pour dire à Robert leur amitié et leur admiration.
2Déjà la Fondation Gulbenkian a donné jadis aux Médiévistes et aux amateurs de l'histoire portugaise un grand bonheur en éditant un gros et beau « livre rouge » : Les campagnes portugaises entre Douro et Tage aux xiieet xiiie siècles. Il apportait sur le devant de la scène, non seulement le Portugal médiéval qu'il n'était alors pas facile de cultiver pour les lecteurs francophones, mais un ouvrage de référence à tout historien des campagnes de l'Europe méridionale, et au vrai, à tout historien quel qu'il soit.
3Dix ans plus tôt, la Fondation Gulbenkian nous avait donné le splendide cartulaire Baio-Ferrado du monastère de, dont la publication révélait en Robert un paléographe et un éditeur averti. Ce cartulaire où se lit le bel essor de l'établissement après la réforme canoniale, me valut une amère déception. Ayant trouvé sur les rayons d'une bibliothèque ce beau livre, j'avais imaginé des bâtiments conventuels à l'image du cartulaire et de ses glorieuses bulles pontificales ; il nous fallait y aller lors du prochain voyage au Portugal. Hélas ! C’était une triste ruine baroque dans une plaine sans grâce particulière ; ni l'activité des chanoines Augustins ni la fécondité du domaine ne s'y lisaient plus.
4Presque vingt ans après les Campagnes portugaises, la Fondation Gulbenkian continue à nous réunir dans un échange franco-lusitanien chaleureux et efficace. Entre temps, Robert a continué son parcours lusitanisant. Les dernières lignes de son Histoire du Portugal2 disent d'ailleurs, mieux que je ne pourrais le faire, son attachement à ce pays : « Car la grande richesse du Portugal, inépuisable, ce sont bien ses hommes. On ne risque rien à se laisser guider par eux, sauf à s'exposer au désir incoercible de revenir vers eux : on comprendra alors ce qu'est, peut-être la saudade. » Ce « peut-être » est tout à la mesure, discrète, de l'homme et de l'historien. Entre temps aussi, Robert a tissé avec ses collègues portugais des liens qui les ont amenés aujourd'hui à Paris et il a convaincu de jeunes chercheurs français de le suivre dans ses chemins lusitaniens : sur la route, certains de ses disciples se sont aventurés moins loin dans la péninsule Ibérique. Tous l'ont abordée, non pas comme une armée de la Reconquête, mais avec cette chaleur simple que Robert leur avait apprise.
5Avant nous, d'autres ont pensé à célébrer Robert : ses amis historiens et nantais lui ont consacré un volume intitulé Chemins d'historiens. Les auteurs et les sujets, les terres de l'Ouest européen, y réalisent ce fameux arc atlantique si souvent invoqué et si difficile à mettre en œuvre. Le Portugal et la Vendée s'y mêlent, terre d'adoption et terre natale, rencontrant à Nantes, venus d'au-delà de la Loire, quelques accents bretons.
6Nous connaissions tous Robert comme historien des solidarités ; nous savions sans doute moins qu'il est sans cesse passé de la théorie à la pratique, sa réflexion d'historien inspirant son action et vice versa. À l'association « Nantes-Histoire », notamment, qu'il a lancée avec Alain Croix, Christian Baudelot, Jean Dhombres, Jean Guiffan, Didier Guivarch et Jean Renard en 1987. Il y avait un public demandeur d'histoire, pour l'écouter et réfléchir ; Robert ne s'est pas soustrait à cette demande. Ce public est magnifiquement fidèle, témoignant de la réussite d'un cycle longuement exemplaire de conférences, dans un vieux cinéma plein à craquer où le débat est toujours animé, unissant l'histoire locale et les problèmes généraux. Les débuts en remontent aux lendemains de l'affaire Roques ; l'entreprise de Nantes-Histoire était une réponse claire à certaines compromissions.
7Et à Saint-Sébastien, bien connu des Nantais comme la partie vendéenne de l'agglomération, bien loin de cette Vendée folklorique, que d'aucuns promeuvent aujourd'hui avec un tapage parfois si agaçant, une histoire de cette ville-banlieue s'écrit autour de Robert et de Didier Guivarc'h : Du village à la cité-jardin, illustre le beau travail que donne le métissage de l'amateur et du professionnel en histoire. Scrupuleux dans ses analyses, rigoureux dans ses méthodes et ses conclusions, Robert n'est pas de ceux qui pensent que l'histoire ne vaut que dans l'enceinte universitaire. Il la fait et la fait faire largement et généreusement, toujours entre civisme et profession.
8Robert enseigna magnifiquement, aux moins jeunes, mais aussi aux étudiants. On m'a souvent dit l'admiration affectueuse que lui vouaient ses étudiants. Rien d'étonnant, si j'en juge par la manière dont lui-même rappelle ses études poitevines : le professeur n'a pas oublié qu'il a été étudiant. Entendre Robert Durand et Bernard Chevalier parler l'un de l'autre, le premier étudiant du jeune assistant qu'était le second, sont des moments qui donnent de la vie universitaire une image d'enthousiasme.
9Je n'ai guère parlé de l'enfance vendéenne, ni de la guerre d'Algérie, ni des vacances au Portugal dans la poussière des chartes, ni de la brillante soutenance de cette thèse dirigée par Yves Renouard, puis Michel Mollat. Ni même de la carrière nantaise. Car Robert a préféré Nantes à Tours où pourtant Bernard Chevalier aurait bien voulu attirer son ancien étudiant poitevin. À Nantes, il a exercé toutes les responsabilités, de celles de jeune assistant à celles, sans doute plus éprouvantes, de doyen. Certains l'évoqueraient bien mieux que moi.
10Égoïstement, je voudrais évoquer les souvenirs communs de la rédaction de notre Vivre au village au Moyen Âge, qui m'a définitivement conquise au travail collectif, tant j'ai gardé de cette collaboration l'impression d'un travail bien plus agréable et bien plus satisfaisant que celui accompli seul. Et évoquer aussi notre enquête sur l'anthroponymie médiévale : il y fut évidemment l'homme du Portugal, qui conserva plus longtemps que toutes les autres régions le système particulier du nomen paternum, ce système qui affirme si fortement les liens de la fratrie puisque tous les frères et sœurs portent en surnom le nom de leur père. Mais il fut surtout l'un de ces quelques amis constituant le noyau organisateur qui fit tout le plaisir de l'entreprise.
11Le plus étonnant chez Robert est le talent avec lequel il a concilié la fidélité aux origines et la capacité d'innovation. La fidélité aux origines s'incarne dans la maison de la Chagnais, où vous pouvez l'imaginer en grand'père sous un immense chêne, ou bien cultivant verger et légumes. L'innovation, c'est sans doute tout le reste, les sommets des Pyrénées, la découverte portugaise et plus récemment cet intérêt fécond qu'il a contribué à développer chez les médiévistes pour les études du monde animal. Qui, du fils vétérinaire ou du père, a engagé l'autre sur cette voie ? Nul doute en tout cas qu'un tel parcours, il faut une belle force d'âme pour l'accomplir, mais que Robert l'a trouvée, en lui mais aussi auprès d'Annette et de leurs enfants. Et qu'il l'a accompli comme le marathonien qu'il est, en courant avec sagesse.
Notes de bas de page
Auteur
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un constructeur de la France du xxe siècle
La Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) et la naissance de la grande entreprise française de bâtiment (1924-1974)
Pierre Jambard
2008
Ouvriers bretons
Conflits d'usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968
Vincent Porhel
2008
L'intrusion balnéaire
Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008