Vie religieuse et attentes familiales particulières dans les livres de raison limousins de la fin du Moyen Âge
p. 395-407
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Index géographique : France
Texte intégral
1Les livres de raison, mélanges à part variable, selon le cas, de livres de comptes et de livres de famille constituent, on l’a dit, une des originalités des sources médiévales limousines1. Les plus anciens – essentiellement écrits par les chefs des familles bourgeoises – y apparaissent précocement pour la France, dès la fin du xive siècle et le courant du xve2. Ils ont été souvent mis à contribution pour apporter un témoignage sur les aspects les plus divers de la vie familiale en Limousin à la fin du Moyen Âge3. N’ont-ils pas sur toutes les autres sources du temps – y compris les sources notariales – l’avantage de proposer le témoignage direct du pater familias, rédacteur du texte destiné à ses descendants et à la sauvegarde de la fortune familiale, voire à son accroissement ?
2Dans une société chrétienne, comment ne pas les questionner sur la vie religieuse des familles de notables à la grande ville, Limoges, dans les plus petites de la campagne limousine, ou encore dans un bourg comme Pierre-Buffière4 ?
3Si on fait ensuite le choix de regrouper ces divers témoignages en un tableau d’ensemble, on aboutira aisément à l’image d’une vie familiale et religieuse sans surprise ni éclat : ces notables disent leurs prières et vont à la messe, fréquentent l’église paroissiale pour s’y marier et faire baptiser leurs enfants, font oraison et dons pieux à la mémoire des leurs, transmettent à leurs descendants quelques gestes et quelques prières capables de combattre certains maux redoutables, placent la famille sous la protection de Dieu et de ses saints et cherchent les voies pour assurer leur salut et celui de leurs ancêtres avant de se faire enterrer au milieu de leurs morts dans la chapelle familiale5.
4Mais n’est-il pas discutable d’exploiter ainsi en bloc les divers témoignages sur la vie religieuse dispersés dans le texte de l’un ou de l’autre de ces livres ? N’est-il pas plus judicieux de confronter ces indices les uns aux autres pour mesurer l’originalité du témoignage de chacun d’eux et d’en tirer des traits qui caractérisent la vie religieuse et les attentes spirituelles des uns, qui ne sont pas obligatoirement identiques aux manques et aux aspirations des autres ? La religion des Benoist – une des premières dynasties bourgeoises de Limoges – ne diffère-t-elle pas, au miroir de leur livre de raison, de celle des Massiot, notables de la petite ville de Saint-Léonard, ou de celle des Quinhard, bourgeois de Brive ? Leurs soucis sont-ils les mêmes – en matière religieuse comme en bien d’autres – que ceux de Psaumet Péconnet, petit clerc venu d’Eymoutiers et de la montagne limousine pour faire son apprentissage notarial à Limoges, merveilleusement couronné par un beau mariage qui le fait entrer, tout ébloui de sa réussite, dans la propre famille des Benoist ? Comment, enfin, ne pas profiter du hasard heureux des sources pour comparer les caractéristiques de ces vies religieuses de bourgeois à celles de la vie d’un aristocrate marchois, Pierre de Sainte-Feyre, premier aristocrate connu à nous avoir laissé son « papier-journal » à la fin du xve siècle et au début du xvie6 ?
5Tentons de confronter d’abord les témoignages sur la vie religieuse de deux familles de la grande ville à travers le livre de raison d’Étienne Benoist d’une part, et celui de Psaumet Péconnet de l’autre – bien conscients que ces deux familles et ces deux livres n’ont pas la même envergure7.
6Le mémorial des Benoist s’ouvre précisément sur une succession de séquences d’ordre religieux, qui les valorise à coup sûr. Elles font de l’écriture du livre de raison un élément constitutif de la vie chrétienne de la famille à l’égal de tous les gestes familiaux solennels – la rédaction du testament par exemple.
7Le livre de raison d’Étienne Benoist débute – comme beaucoup de livres de raison français ou de ricordanze italiens – par l’invocation de la protection divine sur la famille suivie, non moins traditionnellement, par une méditation sur la mort et la fragilité de la vie humaine8. Vient, immédiatement après, le rappel d’un très vieux partage du patrimoine familial, sanctifié par son âge et sa date, la plus antique du livre, fondant une mémoire de cent cinquante ans : il est placé, comme tout acte notarial d’importance, sous l’invocation de Dieu, de la Vierge Marie « et de Monseigneur Saint-Martial et de tous les saints et de toutes les saintes du Paradis9 ». On remarque, sans surprise, la place particulière que tient Saint-Martial, réputé évangélisateur de toute l’Aquitaine, protecteur particulier du Limousin, considéré alors par tous comme un disciple direct du Christ et dont le tombeau dans son abbaye de Limoges fait l’objet d’un culte et d’un pèlerinage prestigieux10.
8Plus originale est la suite : comme en liaison avec la méditation initiale sur la mort et la vanité des richesses de ce monde, c’est la récitation d’un long poème sur le même thème chrétien, composé au xiiie siècle par le troubadour Falquet de Romans, de grande réputation dans les pays de langue d’oc11. Étienne Benoist semble le connaître par cœur – en témoignent les erreurs même qu’implique la récitation, mots remplacés, tournures limousines adoptées, vers sautés ou mal compris12. Il se termine par « Aussi je prie Dieu pour sa miséricorde de me garder d’embûche mortelle jusqu’à ce que j’aie fait son plaisir ». Et Étienne Benoist d’ajouter à la suite « Amen, Pater noster, tout [sic]13 ». Ne considère-t-il pas ce long poème qu’il connaît par cœur comme une véritable prière digne d’enrichir la culture religieuse de ses descendants ?
9Enfin – après un blanc au même folio – prolongeant encore sa méditation pieuse, l’auteur apporte un dernier indice de sa connaissance, de première ou seconde main, des textes saints lorsqu’il écrit « Vermis Eorum morietur et ignis Eorum non extinguetur et erunt usque ad societatem visionis omni carni in Ysagias profeta in lxvi capitulo in ultima capitulo14 ». Citation d’une remarquable exactitude, surtout chez un laïc dont on n’a aucune autre raison précise de croire qu’il connaît du latin. On aimerait savoir par quel truchement elle lui est parvenue dans toute sa précision : un clerc lettré de son entourage ou de sa riche paroisse, un sermon entendu et une formule du prédicateur exactement retenue15, la fréquentation d’un livre d’heures ou la connaissance d’une bible historiée – des hypothèses plus exigeantes les unes que les autres, on en a bien conscience. Il paraît plus sur, en revanche, qu’il souhaitait la transmettre à ses descendants. Au total, ces méditations sur la mort chrétienne demeurent uniques – au moins sous cette forme – dans les livres de raison limousins.
10La suite du mémorial d’Étienne Benoist aborde de façon beaucoup plus classique un certain nombre de thèmes de la vie familiale et chrétienne, que l’on retrouve aussi dans le reste du corpus.
11Tout commence, ici comme toujours, par l’évocation du mariage et de sa date. Mais à cette occasion, Étienne Benoist met avant tout l’accent sur les clauses du contrat devant notaire16 : la cérémonie religieuse va de soi, le passage à l’église paroissiale aussi17 ; le règlement financier est particulier et mérite seul une mention, on verra d’autres exemples de cette attitude.
12Puis naissent les enfants. L’auteur dresse soigneusement, et pour tous les siens, la liste des naissances et surtout le nom de celui qui « porta » l’enfant au baptême, mention étant faite d’un seul parrain. Ce sont en général des membres de la famille ou de proches alliés. Le nom de la marraine est beaucoup plus rarement précisé, pour les filles comme pour les garçons. Dans près des deux tiers des cas, l’enfant ne porte ni le prénom de son parrain ni celui de sa marraine. On est loin encore des dévolutions figées et des stratégies obligatoires au parrainage de l’époque moderne18. Le prénom adopté appartient souvent aux prénoms dominants de l’époque, Guillaume, Marie ou Jean. Ou encore à un saint particulièrement vénéré en Limousin, Étienne – saint patron de la cathédrale de Limoges – ou Martial pour les garçons ; pour les filles Valérie – la sainte martyre de Limoges, dont la popularité perdure au xve siècle et plus tard encore – ou Léonarde, en hommage à saint Léonard – vénéré à Saint-Léonard dès le haut Moyen Âge mais qui ne rejoint la cohorte des saints fournissant les prénoms dominants qu’à la fin19. Le nom du saint du jour n’est choisi qu’une fois et Étienne Benoist juge utile d’expliquer ce choix20. De même, il ne précise qu’une fois le lieu de baptême, « à [l’église] monseigneur Saint-Jean de devant monseigneur Saint-Étienne », parce qu’il est exceptionnel et obligatoire en période de Pentecôte21. Cette entorse à la tradition du baptême paroissial et ce privilège religieux ne doivent être ni ignorés ni mal compris à l’avenir.
13L’enregistrement de la mort se fait enfin, immédiatement après celle de la naissance, si l’enfant meurt après son baptême – aucune mention de mort avant la réception de ce sacrement – ou en bas âge, selon une procédure plus généalogique que chronologique. Pour chacun, l’accompagnement religieux se limite dans le livre de famille, à une courte oraison : l’enfant sauvé par son innocence et son baptême, « alla en Paradis22 ». Exceptionnellement, Étienne Benoist emploie la même prière pour ses deux premières femmes, mortes en couche ou de la « peste », et pour sa nièce, religieuse23. Pour les autres adultes, il accompagne la mention de la mort d’un « à qui Dieu pardonne » réservant à son père « à Dieu ait24 ». On se montrera plus explicite et, apparemment, plus ému dans d’autres livres de raison. Étienne Benoist se contente d’une simple comptabilité des morts, associée à un service minimal à leur mémoire et pour leur salut25.
14Le rédacteur devient plus prolixe – le sujet s’y prête peut-être davantage aussi – pour évoquer deux moments particuliers de la vie religieuse de la famille : l’entrée en religion d’une fille, la construction d’une chapelle familiale à Saint-Pierre du Queyroi. Pour cette dernière, Étienne Benoist retient le prix de la construction de la « voute » et de « l’exécution des vitraux, de la clôture, des armoires, garniture de l’autel où l’on chante la messe, courtines et bancs26 ». Quelques folios plus loin, il note que « nous fîmes entrer religieuse à la Drouille-Blanche ma nièce, la Catherine Benoist… Et lui fut promis chaque année de rente, seule et pour sa vie durant, tout ce qui s’en suit », six livres, six setiers de froment, cinq charges de vin, auxquels s’ajoute une rente de six setiers de seigle pour le monastère. En échange « ma dite nièce nous tint quittes de tous les biens paternels, maternels, d’ayeuls et d’ayeules et de tous autres droits et choses qui pouvaient lui appartenir ». Cette entrée en religion est donc essentiellement vue par le biais d’une dot et rente monastiques et du contrat notarial passé alors, dont la « grosse », précise Étienne Benoist est « ici avec les autres actes ». Il note à la suite « qu’elle [Catherine] partit de ce monde et alla en paradis le samedi 26 juin 141827 ». Rappel de la mort édifiante de la religieuse de la famille, peut-être, de la fin du versement de la rente personnelle, sûrement. C’est le devoir du chef de famille de faire entrer dans la mémoire familiale le souvenir de ces événements singuliers et à dimensions financières. C’est le bon moyen d’éviter les contestations ultérieures, venus de l’intérieur ou de l’extérieur de la parenté.
15En revanche, Étienne Benoist ne dit mot des éléments de la vie religieuse familiale qui vont de soi pour lui, et sans doute pour les siens. Ainsi de l’appartenance à une confrérie. Dans un monde où elles encadrent la vie spirituelle de chaque laïc et sont souvent la traduction de la réussite sociale, il est peu vraisemblable que les Benoist n’appartiennent pas à l’une d’entre elles, et parmi les plus huppées28. C’est dans l’ordre des choses et cela va sans dire. Cette discrétion et ces silences ne rejoignent-ils pas, aussi, en esprit, les conseils tout de prudence et de retenue donnés par l’ancêtre Étienne le Vieux, sans doute au début du xive siècle dans un « papier ancien », recopié ensuite pieusement dans les premières pages des livres successifs des Benoist, jusqu’à celui d’Étienne le Jeune – signe du respect des volontés du fondateur présumé de la dynastie et de l’adéquation entre son état d’esprit et celui de ses descendants. Les recommandations d’ordre religieux et moral y tiennent peu de place, même si elles viennent en tête du texte : « Tout premièrement, je les prie d’être honnêtes en toutes leurs actions et de se confesser souvent, de tenir leur testament fait et de le refaire chaque année. » À côté de l’indice d’une possible influence mendiante touchant la fréquente confession, des vœux minimaux que l’on retrouve souvent dans la littérature pieuse destinée aux laïcs. Dans la suite du « testament de l’ancêtre », plus rien sur la religion, sinon le conseil de faire « le moins d’affaires que vous pourrez… avec les gens d’église », comme « avec les nobles… et les grands seigneurs ». Trait de mentalité caractéristique dans une famille de la haute bourgeoisie qui ne rêve pas de nouvelle ascension sociale et qui est pleine de méfiance à l’égard d’élites facilement mauvaises payeuses – n’y voyons pas signe d’anticléricalisme. Et Étienne le Vieux de terminer sur le souhait qui vaut sans doute pour le domaine religieux comme pour les autres, « parlez aussi doucement que vous pourrez29 ». Un vœu apparemment respecté par son lointain descendant dans les temps et les choses ordinaires.
16Il faut, en effet, un drame familial et qui touche le père et le chef de famille d’au plus près pour que celui-ci sorte un peu de sa réserve et s’appuie dans son chagrin sur sa foi et les ressources de sa culture chrétienne : en 1411, son deuxième fils, Étienne, rompt brutalement avec lui en abandonnant l’oustal familial avec femme et enfants.
17Le pater familias écrit alors simplement dans son livre de raison, à mots couverts, « Mémoire soit qu’Étienne mon fils nous quitta, avec sa femme, le soir du samedi 4 novembre l’an 1411 ». Mais sur le feuillet opposé est noté, une nouvelle fois en latin – la langue de la religion, des clercs, des citations sacrées et de la méditation pieuse – « Melior est enim unus timens Deum quam mille filii impii. Et utile se mory [sic] sine filis quam relinquere filios impios Ecclesiasticus xvie capitulo. » Il ajoute à la ligne suivante : « Filii cum nutriti fuerint mortem patris desiderantes dicent : Quando morietur senex iste importunus ut bonis ipsius succedere possumus [sic]. » Sur la ligne après, « Heri sanus, hodie sepultus. » Plus bas enfin, « Dominus Deus memento mei, amen. » C’est par la méditation du texte de l’Ecclésiaste – on remarque, une nouvelle fois, la précision et l’exactitude des références – que se révèle et que passe l’expression de la douleur et l’aveu de la rupture, la recherche du réconfort chez Étienne Benoist, pour l’édification de ses descendants30.
18Cette discrétion chrétienne jusque dans la souffrance est bien à l’image de la religion des Benoist que donne leur livre de raison : une expression minimale du respect des sacrements de la vie familiale, mariage, baptême, mort chrétienne ; une attention particulière à des épisodes ponctuels, qui peuvent avoir des conséquences pour la fortune familiale ; la révélation discrète d’une culture et d’une méditation religieuses fondées sur la connaissance, de première ou de seconde main, de textes sacrés à l’occasion de moments particulièrement solennels et graves de la vie familiale.
19Cette vie religieuse que l’on devine dans le livre des Benoist ne se retrouve guère chez Psaumet Péconnet, l’autre rédacteur de livre de raison limougeaud à la fin du xve siècle. Il est vrai aussi que son petit « cahier memento » de quelques pages, parvenu jusqu’à nous mutilé de ses feuillets centraux, n’a pas la même envergure que le beau mémorial des Benoist. Les ambitions et le ton même changent. Psaumet ne se soucie même pas d’ouvrir son cahier en appelant sur les siens la protection divine. Comme s’il était pressé d’en arriver à son grand objet de gloire : ses fiançailles – liste des bijoux offerts à l’appui – et ses « nopces » avec la « Mathive Beyneche », une fille de la grande famille des Benoist31. Et d’en décrire les fastes et les frais, de dresser la liste des invités qui lui ont apporté une aide financière ce jour-là32. Le mariage religieux est bien évoqué d’un mot, avec le nom de l’église dans laquelle il s’est déroulé, Saint-Pierre du Queyroi – une mention jamais faite par E. Benoist. Mais n’est-ce pas autant par vanité sociale que par souci religieux ? Saint-Pierre du Queyroi est l’église paroissiale de la haute bourgeoisie de Limoges et des beaux quartiers du centre de la ville, dans lesquels, logé chez ses beaux-parents, il va vivre désormais33.
20La naissance de ses enfants, soigneusement mentionnée dans son « memento » comme dans la plupart des livres de raison est pour Psaumet Péconnet une nouvelle et double occasion de mettre un des moments majeurs de la vie religieuse familiale au service de ses ambitions d’ascension sociale et d’intégration au sein de sa prestigieuse belle-famille.
21Il choisit leur parrain ou leur marraine – lui n’oublie pas de la mentionner – en priorité parmi les Benoist, les appelant « frère » ou « sœur34 ». Ce qui ne va pas, à l’occasion, sans refus ni avanie, qu’il a noté de façon codée – signe des limites de son intégration à sa nouvelle famille35. À défaut, il prend parrains et marraines dans les premières dynasties de la ville, souvent alliées des Benoist36.
22Surtout, il exploite les « commérages » – il est le seul à en parler dans son livre de raison alors qu’il n’est peut-être pas le seul à les pratiquer. Cette coutume, ancienne en Limousin, a des aspects para-religieux dans la mesure où elle prend place entre l’accouchement et les relevailles de la jeune mère, avant que celle-ci ait fait sa première visite à l’église pour s’y purifier des souillures liées à l’enfantement. Auparavant, ses amies sont venues « commérer » avec elle, apportant victuailles, pâtés de poulet, viandes et vin pour un repas pris en commun. Les hommes, l’accouchée n’étant pas encore rentrée dans la société chrétienne, sont – en principe – exclus de ces « commérages » entre femmes. Psaumet Péconnet a soigneusement dressé la liste des « commères » venues rendre visite à sa jeune femme – avec les provisions qu’elles lui offrent – et indiqué combien de visites chacune lui a faites. Car ce sont les femmes des premiers notables de la ville, parmi elles des membres de la famille Benoist ; et il interprète ces « viages » comme autant de signes de l’ascension sociale de son couple. Il note même avec satisfaction la visite de quelques hommes, leur honorabilité faisant négliger les interdits. Le jeune père note même en tête de sa première liste – après la naissance de son premier enfant – le passage dans ce monde de femmes de « premièrement, maître Martin Balestier, licencié en médecine » – une visite sans doute plus mondaine que professionnelle en un temps où l’accouchement est affaire de sage-femme. Vient aussi « le seigneur François Saleys… après son souper », il appartient à une des premières familles bourgeoises de Limoges37. Psaumet Péconnet dresse une nouvelle liste de participants aux « commérages » après la naissance de son second enfant38. Ce sont des visites qui comblent le jeune ambitieux. Mais dans sa jubilation, celui-ci oublie, ou feint d’oublier, qu’il détourne le sens de ces visites à la jeune accouchée – tel qu’il a été défini à plusieurs reprises par les autorités laïques et religieuses de la ville. Les ordonnances consulaires du xiiie siècle les présentaient déjà comme de pieuses visites « en l’amour de Dieu… à la pauvre femme gisant », sans manger ni boire sinon frugalement. Les ordonnances somptuaires de la fin du Moyen Âge tonnent encore contre les abus que provoquent les « commérages » et veulent les interdire ou les réglementer sévèrement : plus d’hommes, plus de victuailles, plus de vin, sources de scandale, « mas per amor Dieu puremen39 ». On demeure loin de cet idéal chez Psaumet Péconnet, et peut-être chez d’autres car la répétition des ordonnances et de leurs interdictions laisse penser qu’elles sont peu respectées et les « commérages » toujours populaires. Psaumet Péronnet ne les évoque plus à partir de la naissance de son troisième enfant, moins peut-être par prudence ou scrupule tardifs que parce que sa position sociale est désormais mieux assise.
23La mort prématurée de certains de ses enfants lui offre une dernière opportunité de mettre en pratique sa stratégie de conquête du monde des Benoist. Ici pas de méditation sur la mort – la brièveté même du « cahier-memento » et de ses courtes notices ne s’y prête guère – une seule oraison40. En revanche, le rédacteur précise que ses enfants décédés ont été placés dans le tombeau de Paule Audier, femme d’un Benoist, qu’elle a fait construire en 1434 devant l’église Saint-Pierre du Queyroi. « Devant le grand portail », ne manque pas de préciser Psaumet Péconnet. Ce sont, effectivement, un tombeau et un emplacement de prestige et une source de promotion mortuaire pour les Péconnet41. On constate pourtant, du même coup, que ces derniers n’ont pas encore accès à la chapelle des Benoist, située dans l’église même. L’ascension familiale a ses limites et demande patience et temps.
24Le tout ne fait pas obligatoirement de Psaumet Péconnet le pire des chrétiens. Sans doute mène-t-il avec les siens une vie religieuse sans histoire. Mais les comportements acquis par tous n’ont guère – on l’a déjà dit – leur place dans un livre de raison. Les méthodes de conquête d’un nouveau milieu et le modèle du conquérant donné par Psaumet Péconnet à ses descendants, si. Son « cahier-memento » montra comment il faut exploiter les grands moments de la religion familiale pour faciliter l’intégration des hommes nouveaux à l’élite bourgeoise de la ville, comme on peut se servir d’une coutume religieuse populaire mais dévoyée et jugée dangereuse par les autorités urbaines pour servir les ambitions des siens. Étienne Benoist – parent par alliance de Psaumet Péconnet – n’avait pas de pareils soucis : apparemment satisfait de la première place tenue par sa dynastie dans la bourgeoisie de Limoges et peu soucieux, comme son ancêtre, de se rapprocher de l’aristocratie locale, il n’a pas ces comportements d’homme pressé d’arriver par tous les moyens, y compris religieux, n’évoque jamais les dangereux « commérages » – sont-ils encore observés dans une grande famille consulaire ? –, méprise d’exploiter les possibilités de sociabilité utile qu’ils ouvrent, témoigne d’attitudes religieuses plus réservées et, apparemment, moins intéressées.
25Les livres de raison que nous ont laissés les notables des petites villes et d’un bourg de la campagne limousine portent témoignage sur des situations, des sensibilités, des attentes et des comportements religieux souvent assez différents de ceux des bourgeois de Limoges.
26Le point sur lequel les uns et les autres se rejoignent encore est le rappel des mariages, des naissances et des décès – même si ces renseignements sont parfois fragmentaires ou n’ont plus toujours la belle ordonnance qu’avaient les listes limougeaudes. On y retrouve cependant toujours mention du prénom et du nom du parrain, plus rarement de la marraine. Leur choix peut être socialement prestigieux et protecteur de l’enfant et de sa famille. C’est le cas chez le notaire Pierre Tarneau de Pierre-Buffière42 mais non chez les Massiot de Saint-Léonard qui se contentent de prendre leur voisin, bourgeois comme eux43.
27Surtout se manifeste chez certains une attention particulière à un enfant, à la célébration pieuse de sa naissance ou de sa mort prématurée. Mathieu Quinhard, bourgeois de Brive, choisit d’écrire une belle prière à la naissance de sa fille Jeanne : « Je prie à Dieulx et à Nostre Dame que lui deyent bonne vye et longue et la fasse fame de bien par sa saincte grasse – Jehanne de Quinhard, Dieuls y heye part44. » On peut approcher son attitude envers un enfant choisi de celle du notaire de Pierre-Buffière : Gérald Tarneau note le baptême et la mort prématurée de chacun de ses enfants, accompagnée d’une oraison « requiescat in pace et parentum suum » ou « cujus animam et parentum suum parcat45 ». Mais il est plus prolixe à la disparition, à deux ans, de son fils Gérard. Il évoque avec émotion le souvenir de l’enfant tendrement aimé, « beau et intelligent » et forme le vœu d’être lui-même enterré auprès de l’enfant au monastère Saint-Croix et non, semble-t-il, dans le tombeau familial46. Son comportement se rapproche ici de celui du noble marchois Pierre de Sainte-Feyre, près d’un siècle plus tard. Dans son « papier-journal », celui-ci évoque avec un chagrin contenu la mémoire de trois de ses enfants disparus en chrétiens modèles : son benjamin le « Petit Jean… qui mourut en sorte d’aussy bon chrétien que fust un homme de vingt ans et si avoit dix ans47 » ; Jacques, mort à dix-sept ans et qui « eust esté un grand homme… le corps Dieu veuille sauver le demeurant48 » ; son fils François, surtout, tué à vingt ans dans une embuscade tendue par la famille ennemie des Chastres et dont la mort est celle d’un martyr chrétien : « Et sans leur avoir mesfait ne mesdit en leur cryant mercy et en se rendant à yceuls, le murtrirent inhumainement. Et morut après avoir eu confession… Et fust enterré le lendemain en nostre chapelle devant Monsieur Saint Anthoine » – le saint de la bonne mort49 ?
28Pour tous les autres thèmes de la vie religieuse et familiale rencontrés dans les livres de raison limousins, la plus parfaite variété règne, qui confirme la singularité de la démarche et des attentes de chaque famille.
29On est ainsi surpris par le nombre très réduit des mentions de pèlerinages, même si le milieu des notables limousins est particulièrement casanier. On n’en trouve trace que dans le plus ancien livre de raison limousin connu, tenu par un juge de Saint-Junien, Pierre Espéron, à la fin du xive siècle. Ce sont sans doute des pèlerinages thérapeutiques et à courte distance, dont le rédacteur du livre a surtout retenu les dépenses. Il a envoyé son petit-fils en pèlerinage à Confolens, à une soixantaine de kilomètres de Saint-Junien, flanqué de sa nourrice et d’un serviteur et a surtout noté le prix des cierges et les gages des domestiques. L’autre pèlerinage est encore plus court – à Rochechouart – et a été effectué par un pèlerin professionnel au nom du gendre de Pierre Espéron50. On sera encore plus sensible à la modestie des déplacements vers des sanctuaires locaux à la réputation limitée si on les compare aux pèlerinages prestigieux réalisés par Pierre de Sainte-Feyre à Notre-Dame-de-Lorette à Loreto – il est le premier pèlerin français à évoquer le vol miraculeux de la maison de la Vierge jusqu’en Italie – puis à Rome pour la semaine sainte. Un moment exceptionnel dans sa vie de chrétien qui l’empêche de pousser jusqu’à Assise pour y vénérer les reliques de saint François et de sainte Claire – après celles de saint Nicolas « de l’ordre des Augustins » à Tolentino et de sainte Christine à Spolète51. Vieillesse et soucis familiaux venus, il continuera de péleriner encore à Hautefaye en Périgord52. Opposition des milieux, des modes et des temps ?
30Les indications sur la lutte contre les blessures ou la maladie par le remède de la foi sont aussi rares et ne se retrouvent, une fois encore, que chez Pierre Espéron : une traditionnelle prière à saint Sébastien contre « la peste », cas unique alors que les mentions d’épidémie sont fréquentes dans les livres de raison53 ; le traitement des blessures à l’arme blanche et l’extraction d’une flèche. On dira trois Pater et trois Ave dans le souvenir de la blessure au côté du Christ ; le blessé et celui qui le soigne doivent être alors « veri penitentes et confessi », la formule même des bulles d’octroi d’indulgences54. Ces deux recettes saintes sont, quantitativement, peu de choses par rapport aux quelque cinquante autres à base de plantes, de produits animaux et surtout d’eau-de-vie qu’a laissées aussi le juge de Saint-Junien55.
31La question même du salut, au-delà des courtes oraisons déjà citées, de quelques rares aumônes pour l’âme des vivants et des morts de la famille, d’une belle et unique prière pour l’intercession de la Vierge56, n’est évoquée en détail que par Gérald Massiot dans ces livres de raison ruraux. Et ce bourgeois de Saint-Léonard le fait à l’occasion d’un événement exceptionnel, dont il a voulu, du coup, garder témoignage écrit pour les siens. Il s’agit d’un sermon prononcé par un « bon frère » – probablement un prédicateur mendiant – de passage dans la petite ville57. Voilà qui traduit sans doute une sensibilité aux beaux et bons sermons. La copie de celui-ci dans le livre fourre-tout des Massiot – entre un compte de marchandises et un bail à cheptel – témoigne aussi de la rareté d’un tel discours, peut-être de l’impossibilité intellectuelle et culturelle dans laquelle se trouve le curé de la paroisse ou son vicaire d’offrir une telle aide et de tels conseils à ses ouailles, malgré leur attente. Le résumé du sermon que fait Gérald Massiot pose, à l’évidence, la question de la fidélité de l’auditeur et du rédacteur au discours entendu, pas obligatoirement retenu ni compris en son entier et sa complexité. En l’état, ce texte porte témoignage des choses enseignées à des laïcs de la France profonde, et parfois bien neuves, sans doute, pour eux. On y trouve en effet d’abord la proposition – apparemment retenue – d’une vie religieuse privée et plus personnelle. Le prédicateur recommande à celui qui veut assurer son salut et « aller en paradis » de mener une vie de prières dans sa maison et dès son lever58 : l’homme ou la femme doit se signer au réveil, s’agenouiller dans sa chambre et dire dévotement le Pater Noster, l’Ave Maria et le Credo59 – une information sur les prières qui doivent être connues de chaque laïc. La suite, telle que l’a notée Gérald Massiot, est plus traditionnelle mais non sans éléments critiques implicites sur les comportements des fidèles, à Saint-Léonard et ailleurs. Particulièrement pendant la messe : ils doivent l’entendre dévotement du début à la fin – on sait que c’était rarement le cas, particulièrement pour les hommes – respecter le célébrant, ne pas traiter alors d’affaires profanes – autres critiques récurrentes dans les statuts synodaux et les textes réformateurs. Le « bon frère » commande encore le respect du repos du dimanche, jour qui doit être entièrement consacré à la prière, la messe, aux vêpres, à complies et aux bonnes œuvres. Écho lointain de Latran iv et de son canon 21, il insiste, constante de la prédication mendiante, sur la fréquente confession et sur la communion, particulièrement à Pâques, au nom de « Notre Seigneur Jesus-Christ, nôtre Sauveur, qui prit mort et passion sur la Croix » – peut-être un indice de l’importance nouvelle de la dévotion à la Croix. Et conclut simplement le prédicateur – à moins que ce soit Gérald Massiot – « Si tu fais toutes ces choses, des aumônes aux pauvres, si tu fais des prières à Dieu pour les morts, si tu mènes vie honnête en buvant, mangeant et vis du tien sans rien prendre à autrui et en lui rendant ce qui lui appartient… tu entreras dans la gloire du Paradis. » Un discours moral élémentaire, une pratique réduite à l’essentiel, un parcours chrétien réalisable sans sacrifices exagérés, qui conduit au Paradis sans passage obligé ou rapide par le Purgatoire – le frère mendiant n’a-t-il pas parlé de son « invention » à son auditoire laïc et celui-ci en ignore-t-il encore l’existence ? Gérald Massiot a-t-il négligé de relever la mention d’un concept encore trop neuf pour lui et qui complique, dans son optique, l’accès au paradis60 ?
32Au total, dans ce sermon exceptionnel et précieux, un mélange assez équilibré de propositions neuves et d’idées traditionnelles propres à répondre aux attentes fondamentales d’un monde chrétien rural, souvent sevré de directives religieuses minimales et cependant soucieux de faire, à sa manière, son salut. Reste que les autres livres de raison tenus par les notables des petites agglomérations rurales du Limousin y répondent de façon encore plus sommaire, par quelques prières et quelques aumônes pour les vivants et les morts. Ces hommes ont-ils été privés du passage d’un prédicateur – Saint-Léonard est un lieu de pèlerinage populaire à la fin du Moyen Âge61 ? Ou ont-ils négligé son message, leurs exigences spirituelles étant encore plus limitées ?
33N’idéalisons pas le contenu des livres de raison limousins du xve siècle et ne leur demandons pas de nous fournir tous les éléments d’un tableau de la vie religieuse des familles de notables. D’importantes lacunes d’information apparaissent ici ou là, qui ne correspondent pas obligatoirement à des lacunes de la vie religieuse des élites laïques à la fin de l’époque médiévale. Dira-t-on, pour s’en tenir au contenu du plus riche des livres de raison, que les Benoist ne vont pas à la messe parce qu’Étienne Benoist n’en parle pas, pas plus que de ses aumônes traditionnelles ou de sa confrérie, en un temps où seuls les marginaux en sont exclus ? Qu’ils ne font pas une part à la religion des reliques sous prétexte qu’ils n’évoquent pas la richesse en la matière des églises de leur ville, en un règne où le roi de France lui-même vient à Limoges en pèlerin des « corps » de saint Martial ou de sainte Valérie62 ? Ce sont, sans doute, pour les chefs de famille, qui rédigent avant tout ces livres pour l’information de leurs descendants, des éléments de culture acquise dont l’évocation et la répétition sont inutiles. Il est, en revanche, primordial de leur faire savoir ce qui est nouveau et doit leur permettre d’assurer dans de meilleures conditions, l’avenir spirituel comme matériel de la parenté, le salut de l’âme des vivants et des morts de la famille. Ces informations et ces attentes peuvent varier d’un livre à l’autre, comme l’environnement même, et d’abord la qualité de l’encadrement religieux. À chaque famille ses questions et sa sensibilité religieuses particulières. Dans des contextes différents, avec une richesse de contenu inégale, les livres de raison limousins apportent avant tout des témoignages de l’intérieur sur la diversité et la singularité des vies religieuses familiales. Ce qui n’est déjà pas si fréquent dans l’historiographie médiévale.
Notes de bas de page
1 L’importance particulière des livres de raison dans les archives limousines a été fortement soulignée pour la première fois par les érudits qui les ont publiés à la fin du xixe siècle, soit in extenso soit, plus souvent, sous forme d’extraits : Guibert L. (éd.), Le livre de raison d’Etienne Benoist (1426), Limoges, 1882 ; ID. avec le concours de Leroux A., Cessac P. et J., Lecler (abbé) et Mouffle L., Livres de raison, registres de famille et journaux individuels limousins et marchois, Paris/Limoges, 1888 ; ID. avec le concours de Leroux A., Champeval J.-B., Lecler (abbé) et Mouffle L., Nouveau recueil des registres domestiques limousins et marchois, 2 t., Limoges/Paris, 1895 ; Leroux A. et Bosvieux A. (éd.), Chartes, chroniques et mémoriaux pour servir à l’histoire de la Marche et du Limousin, Tulle/Limoges, 1886.
2 Par ordre chronologique, et avec le titre choisi par les éditeurs du xixe siècle : « Le livre de raison de Pierre Espéron juge de Saint-Junien », Nouveau recueil, p. 25-81 (extraits) ; « La chronique et journal de Gérald Tarneau, notaire de Pierre-Buffière (1423-1438) », Chartes, chroniques et mémoriaux, p. 204-237 ; « Le registre des comptes ruraux, contrats et notes diverses des Massiot (1431-1490) », Livres de raison, p. 105-174 (extraits) ; « Le registre domestique de Guillaume et Hugues de Quinhard, bourgeois de Brive (1455-1509) », Nouveau recueil, p. 91-108 ; « Le mémorial de Jean et Pierre Roquet, frères, bourgeois de Beaulieu (1478-1525) », ibid., p. 118-153 (extraits) ; « Le cahier – memento de Psaumet Péconnet, notaire de Limoges, (1487-1502) », Livres de raison, p. 175-186.
3 Biget J.-L. et Tricard J., « Livres de raison et démographie familiale en Limousin au xve siècle », Annales de démographie historique, 1981, n° 1, p. 321-363 ; Guibert L., De l’importance du livre de raison au point de vue archéologique, Caen, 1880 ; ID., introduction, Livres de raison, p. 1-104 ; ID., introduction, Nouveau recueil, p. 1-25 ; ID., Le troisième mariage d’Etienne Benoist, Limoges, 1891 ; Louis S., La spiritualité des laïcs dans le diocèse de Limoges, principalement d’après les actes notariaux (1220-1550), thèse de 3e cycle dactylographiée, Poitiers, 1976 ; Tricard J., « La mémoire des Benoist, livre de raison et mémoire familiale au xve siècle », Actes du xiiie congrès de la Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public, Aix-en-Provence, 1983, p. 111-140 ; ID., « Le journal d’Étienne Benoist, bourgeois du Limousin », L’Histoire, n° 99, 1987, p. 64-69 ; ID., « Qu’est ce qu’un livre de raison limousin du xve siècle ? », Croyances, pouvoirs, société, Treignac, 1988, p. 128-142 ; ID., « Livres de raison et présence de la bourgeoisie dans les campagnes limousines (xive-xvie siècle) », Campagnes médiévales, l’homme et son espace, études offertes à Robert Fossier, Paris, 1995, p. 711-722 ; « Maladies et médecines en Limousin à la fin du Moyen Âge », Milieux naturels, milieux sociaux, études offertes à Robert Delort, Paris, 1997, p. 741-749 ; ID., « Bourgeois casaniers et noble voyageur au miroir de leur livre de raison », Cahiers de recherches médiévales, n° 3, 1997, p. 43-50 ; ID., « Voyages de la jeunesse et voyages de la maturité : le journal de Pierre de Sainte-Feyre (1498-1533) », Actes du xxvie congrès de la SHMESP, Aubazine-Limoges, Paris, 1996, p. 93-102 ; ID., « Livres de raison et naissance d’une culture familiale (xive-xvie siècle) », Renaissance d’un « Pauvre pays », p. 169-288, Tours, 1998 ; ID., « La mémoire des morts dans les livres de raisons limousins du xve siècle et ses limites », Autour des morts, mémoire et identité, publications de l’université de Rouen, n° 296, Rouen, 2001, p. 337-343.
4 Les livres de raison écrits à l’extérieur de Limoges l’ont été à Saint-Junien, Haute-Vienne, ar. Rochechouart, ch.-l.-c. ; à Pierre-Buffière, Haute-Vienne, ar. Limoges, ch.-l.-c. ; à Saint-Léonard-de-Noblat, Haute-Vienne, ar. Limoges, ch.-l.-c. ; Beaulieu-sur-Dordogne, Corrèze, ar. Brive, ch.-l.-c. ; Brive, Corrèze, ch.-l.-ar.
5 Le tableau a été réalisé à partir des renseignements glanés dans les six livres cités en note 2.
6 « Le livre de raison et registre de la famille de Pierre de Sainte-Feyre (1497-1533) », Nouveau recueil, p. 157-197 (extraits) ; le titre choisi par Louis Guibert, l’éditeur, ne correspond pas à l’incipit du livre « Cy commence le papier j[ournal] de la maison de Sainte-Feyre, commencé l’an Mil IIIIc IIIIxx XVII », p. 157 ; (Sainte-Feyre, Creuse, ar. Guéret, c. Guéret-sud-est).
7 Le livre de raison d’Étienne Benoist est écrit par le chef d’une des premières dynasties bourgeoises de Limoges. Il compte 33 feuillets, écrits recto et verso et a été manifestement composé à loisir (Tricard J., La « mémoire des Benoist… ») Le « cahier-mémento » de Psaumet Péconnet a été écrit par un homme nouveau, peut-être immédiatement à la suite des événements familiaux majeurs, et d’abord ses fiançailles et son mariage. Il ne compte plus que six feuillets, ayant été amputé de ses feuillets centraux.
8 Livre de raison d’Étienne Benoist, p. 30. Le livre est écrit, quelques formules latines mises à part, en langue limousine. Pour faciliter la lecture, toutes les citations seront faites en français, selon la traduction proposée par Louis Guibert dans son édition.
9 Ibid., p. 34. À la suite du partage et au bas de la même page est écrite une courte méditation sur la « voye » tracée par Dieu et ses « Sainct dis ». Elle est, selon L. Guibert, « d’une écriture très postérieure » et donc peut-être pas de la main d’Étienne Benoist.
10 La plus récente mise au point sur le rayonnement de l’abbaye Saint-Martial de Limoges, la question de l’apostolicité de son saint patron et le rôle en la matière d’Adémar de Chabannes se trouve dans Barriere B., « Adémar polémiste ou Martialis apostolis Christi », Splendeurs de Saint-Martial au temps d’Adémar de Chabannes, Limoges, 1995, p. 65-77.
11 Arveiller R. et Guiran G. (éd.), L’oeuvre poétique de Falquet de Romans, troubadour, Aix-en-Provence, 1987, p. 112-115. L. Guibert l’appelle « Folquet », « comme dans beaucoup de chansonniers manuscrits ». Hasenorh G. et Zink M. (dir.), Dictionnaire des Lettres Françaises, Le Moyen Âge, Paris, 1964, p. 442.
12 Selon les notes critiques de Louis Guibert, Livre de raison d’Étienne Benoist, p. 35-37.
13 Ibid., p. 37.
14 Ibid., p. 37 ; la citation est exacte (Isaïe, LXVI, 24).
15 Dans le texte écrit de leurs sermons, les prédicateurs partaient souvent d’une formule biblique. La citaient-ils quand ils prêchaient, devant un auditoire laïc ? Comment un de leurs auditeurs pouvait-il la retenir exactement ? (BERIOU N., L’avènement des maîtres de la parole, la prédication à Paris au xiiie siècle, Paris, 1998, p. 122-130).
16 « Et reçut l’acte maître Gérard de Beaubiat de Rafilhou, clerc » (Livre de raison d’Étienne Benoist, p. 39). Le deuxième mariage est passé devant le même notaire (ibid., p. 39), le troisième devant maître Albiac de Fontgroleu (ibid., p. 50).
17 Étienne Benoist emploie la formule « Pris pour femme à l’église », quand il ne l’oublie pas.
18 Pérouas L., Barriere B., Bouttier J., Peyronnet J.-C. et Tricard J., Léonard, Marie, Jean et les autres, les prénoms en Limousin depuis un millénaire, Paris, 1974, p. 116-178.
19 Ibid., p. 92-115.
20 « Ce fut moi, Etienne Benoist, son grand-père qui le portai ; et je lui donnai le nom de Pierre, par la raison qu’il était né le jour [de la fête] de Monseigneur Saint Pierre le Martyr » (ibid., p. 59).
21 Livre de raison, p. 70. Louis Guibert écrit en note : « c’est la plus ancienne mention que nous connaissions du privilège dont était encore en possession en 1790 le curé de la petite église de Saint-Jean-en-Saint-Etienne et qui consistait à avoir seul le droit de baptiser les enfants nés dans les deux villes de Limoges et les faubourgs (infra cruces) durant les octaves de Pâques et de la Pentecôte. Ce privilège, reste des anciennes prérogatives épiscopales, avait autrefois appartenu à la chapelle Saint-Jean qui s’élevait près de la porte occidentale de la basilique Saint-Martial » (p. 70, note 1).
22 Il emploie d’abord la formule pour ses propres enfants morts en bas âge (ibid., p. 40-44) puis pour tous les enfants décédés de la famille.
23 « Et la dicte Peyronne Bonnebourse alla en paradis le dit jour même que sa fille naquit » (ibid., p. 39). Il emploie la même formule pour sa seconde femme, Valérie Dinematin (ibid., p. 44). Mais, revenant sur la mort de cette dernière, il écrit aussi « à qui Dieu pardonne, et s’en alla de ce monde le 10 du mois d’août 1426… son âme repose en paix ».
24 Il fait cependant suivre cette formule d’« alla en paradis », p. 49.
25 Cf. Chiffoleau J., La comptabilité de l’Au-Delà : les hommes, la mort et la religion dans la région d’Avignon à la fin du Moyen Âge, Rome, 1980, p. 179-190, 389-408.
26 Livre de raison d’Étienne Benoist, p. 68-69.
27 Ibid., p. 77-79.
28 Cf. Vincent C., Des charités bien ordonnées : les confréries normandes de la fin du xiiie siècle au début du xvie siècle, Paris, 1988 ; ID., Les confréries dans le royaume de France (xiiie-xve siècle), Paris, 1984 ; ID., « Structures et rituels de sociabilité à la fin du Moyen Âge : bilan et perspectives de recherche », Memoria y Civilisacion, 3, 2000, p. 11-25.
29 Livre de raison d’Étienne Benoist, p. 31-33.
30 Ibid., p. 94-95. Pour la seconde fois, la citation biblique est exacte (Ecclésiaste, XVI, 3). En revanche, les formules latines suivantes (après consultation de la concordance de la Vulgate) ne paraissent pas être des citations bibliques.
31 Le « cahier-memento » de Psaumet Péconnet commence par « En sec seu la memoria tochan mas nopsas » (Livres de raison, p. 175).
32 « Item pagiez per la despense de lad nopsas. Enseguen sur les presens que me furent donatz a mas nopsas » (ibid., p. 177-178). Ces « presens » sont de petits cadeaux en argent, qui peuvent aider à régler les frais des noces.
33 « La démourance en leur meygo » (ibid., p. 175).
34 Alors qu’il connaît le mot de « selorge », beau-frère. Remarquons aussi qu’il donne assez systématiquement à l’enfant le prénom de son parrain ou de sa marraine, contrairement à l’usage des Benoist. Encore une façon, sans doute, de faire honneur à ce parrain en renom ou à cette marraine prestigieuse, et Psaumet Péconnet n’oublie pas de l’écrire (« portat lou nom de son peyry »). Deux exceptions seulement : sa fille Valérie – peut-être en l’honneur de la sainte de Limoges, par excellence ; son fils Psaumet, peut-être un enfant posthume auquel on aurait donné le prénom de son père disparu (ibid., p. 180-183).
35 Après la mention de la naissance de son aîné, Pierre, il a écrit cette formule, codée par prudence sans doute : « pt rpfpdpt gplppnp bpynpychp ». Louis Guibert propose, avec vraisemblance, de la traduire par : « Et lo refudet Galiane Beynesche ». Une de ses belles-soeurs Benoist aurait dont refusé d’être la marraine du premier fils du jeune couple. Elle accepte par la suite d’être la marraine du troisième, Étienne. Indice des progrès de l’intégration de Psaumet à sa belle famille ? Ce n’est qu’une hypothèse parmi d’autres : à l’évidence, il nous manque beaucoup de clés pour comprendre les comportements des uns et des autres (ibid., p. 180 et note 6).
36 Les Benoist fournissent aux enfants de Psaumet Péconnet sept parrains ou marraines contre trois seulement de sa propre famille. Il les associe souvent à un autre notable de Limoges, combinant gestes de sociabilité internes et externes ; ainsi son premier enfant, une fille, a pour « peyry » Mathieu Benoist et pour « comayr » Mariote Rogier, femme de son « maître », le notaire Étienne Parot. L’enfant porte le prénom de sa marraine (ibid., p. 180).
37 Ibid., p. 178-180.
38 Ibid., p. 180-181.
39 Chabanneau C. (éd.), « Mémorial du Consulat de Limoges », Revue des langues romanes, n° 8-12, août-décembre 1895.
40 « A qui Dieu absolve », à la mort de son fils Pierre, décédé dans sa première année (Livres de raison, p. 181). Plus d’oraison à l’annonce de la mort suivante, celle de son fils Étienne (ibid., p. 183).
41 Ibid., p. 181 et 183 : il indique que les deux enfants ont été enterrés dans la chapelle de Paule Audier.
42 Le notaire Gérald Tarneau choisit des parrains et des marraines prestigieux et utiles pour ses enfants comme pour lui : trois sont de haute famille noble : la marraine de sa deuxième fille est sa « maîtresse », Marie de Rochechouart, dame de Pierre-Buffière – apparentée à deux grandes familles du Limousin ; deux parrains sont d’importants ecclésiastiques, d’autres sont des hommes de loi (Charte, chroniques, p. 220).
43 Jean Alesme, bourgeois de Saint-Léonard (Livres de raison, p. 418).
44 Nouveau Recueil, p. 102.
45 Chartes, chroniques, p. 205 et 235.
46 Ibid., p. 236. Sainte-Croix de Pierre-Buffière est un prieuré bénédictin de Solignac, fondé vers 1061 (Don Cottineau L.-H., Répertoire topobibliographique des abbayes et prieurés, Macon, 1939). Ce choix n’est donc pas lié ici – comme souvent à la ville – à la présence d’un établissement mendiant.
47 Nouveau recueil, p. 187.
48 Ibid., p. 186.
49 Ibid., p. 190. Saint Antoine figure parmi les « nouveaux intercesseurs » (Chiffoleau J., op. cit., p. 381).
50 Nouveau recueil, p. 58 et 63 ; Rochechouart, Haute-Vienne, ch.-l. ar. ; Confolens, Charentes, ch.-l. ar.
51 Ibid., p. 167-169 ; Pierre de Sainte-Feyre est le premier voyageur et pèlerin français connu à avoir laissé un récit du vol miraculeux de la maison de la Vierge de la Terre sainte à Loreto, douze ans avant le marchand de Douai Jean le Saigne, soixante-quinze avant Montaigne et sa célèbre description du sanctuaire. Il n’a pu visiter, à son grand regret, « les courps sains de Sainct Francoys et de Saincte Clere » parce qu’il voulait être à Rome pour la semaine sainte et que « rien n’est plus beau à qui veut faire le sauvement de son âme que d’y estre la dicte semaine ». Il dit également sa dévotion pour le « courps de Mons. Sainct Nicholas de l’ordre des Augustins qui fait très beaux miracles… à Tholentin » et pour le « courps de Saincte Christine à Ypolite ».
52 Ibid., p. 180 ; Hautefaye, Dordogne, ar. et c. Nontron.
53 Ibid., p. 65-66 ; Étienne Benoist, qui note soigneusement les « pestes » qui ont emporté un ou plusieurs des siens ne propose aucun remède – prière ou autres – contre elles.
54 Ibid., p. 66.
55 Ibid., p. 70-73 ; Tricard J., Renaissance…, p. 266-267.
56 Livres de raison, p. 122-123. Cette « prière et cantique à la Vierge » se trouve dans le livre des Massiot, comme le sermon dont l’analyse suit.
57 Ibid., p. 113-114. Le texte est en langue limousine. À la suite on a écrit en latin « Pater noster Géraldus Massioth scripsit hec sua propria manu ». Une formule qui confirme l’importance particulière que les Massiot, génération après génération, accordent à ce sermon et à ses conseils (cf. MARTIN H., Les ordres mendiants en Bretagne [vers 1230-vers 1350], Paris, 1975, p. 137-145, 288-307, 349-373, 379-402 ; ID., Le métier de prédicateur en France septentrionale à la fin du Moyen Âge, 1350-1520, Paris, 1988, p. 295-349, 549-611).
58 Peut-on parler ici d’une possible influence de la « via moderna » sur l’enseignement du prédicateur ?
59 À la suite, un mot « illisible » selon Louis Guibert, pourtant excellent paléographe. S’agit-il d’une autre prière ou d’un autre comportement (Livres de raison, p. 113 et note 3) ?
60 Cf. LE GOFF J., La naissance du purgatoire, Paris, 1981, p. 325-443 ; Fournié M., Le ciel peut-il attendre ? Le culte du Purgatoire dans le Midi de la France (v. 1320-v. 1520), Paris, 1997.
61 Le culte de saint Léonard, dans la ville qui porte son nom, date du haut Moyen Âge. Son succès s’est encore accentué avec la crise de la guerre de Cent Ans : protecteur des gens en grande difficulté, les femmes en mal d’enfant comme les prisonniers, saint Léonard est aussi un saint « français », protecteur des rois depuis Clovis. Ses reliques attirent pèlerins et nouvelles (Beaune C., Naissance de la nation France, Paris, 1985, p. 175-179). Sans doute aussi les prédicateurs mendiants.
62 Tricard J., « Le consul, le moine et le roi : entrées royales et antagonismes urbains à Limoges au xve siècle », Religion et société urbaine au Moyen Âge, études offertes à Jean-Louis Biget, Paris, 2000, p. 403-414.
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