Débat. Vendredi 29 novembre, après-midi
p. 161-164
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Index géographique : France
Texte intégral
1Un prêtre de Dunkerque (au sujet de la communication de Jacques Longuet) : De fait, la réalisation de l’ensemble mairie-cathédrale à Évry a été entreprise vers la fin des années quatre-vingt. Mais je dois vous indiquer ici une petite précision : c’est suite au contact que j’ai eu avec le père Herbulot que nous avons décidé de réaliser la cathédrale, et je lui ai donné ce jour-là, début 1985, les moyens de constituer son dossier pour obtenir l’aide du ministre de la Culture de l’époque (M. Jack Lang). Le plan culturel et le plan cultuel étaient liés dans la structure. La création d’un comité de patronage notamment a permis dans les quelques mois de passer à la réalisation, parce que les fonds ont été obtenus. C’est quelques années plus tôt que ce que vous indiquiez.
2Jacques Longuet : Vous avez tout à fait raison, mais vous savez que, dans cette optique, les villes nouvelles devaient être dotées – c’était le projet Delouvrier – d’un édifice cultuel ce que l’Église, frileuse, avait systématiquement refusé. Mgr Herbulot a donc été dans ce domaine novateur. Dès 1985, en effet, il y a eu une volonté de faire quelque chose. Le projet a été, je crois, présenté au Saint-Père à la fin des années quatre-vingt ; l’ouverture de la cathédrale, la première nef, date de mars 1988.
3Philippe Meyer : Je suis tellement sous le choc que je me demande si je ne vais pas déménager. Non pas à cause de la beauté des images que vous nous avez montrées, ni de la ferveur avec laquelle la légende s’est propagée, mais parce que, pour quelqu’un qui de temps en temps est amené à prendre des décisions, j’aimerais avoir à faire à une population aussi docile que celle dont vous nous avez parlé, ou plus exactement dont vous ne nous avez pas parlé. Arriver à retracer vingt ans de l’histoire d’une ville en ne parlant de la population que comme d’un élément quasi décoratif, qui est venu mettre en valeur le génie et la bonté quasi métaphysique des concepteurs, est quelque chose qui me laisse à proprement parler sans voix. Cette totale absence de dialectique entre les concepteurs et la population me paraît relever d’une cité tellement idéale que cela ressemble un peu à L’Île des esclaves de Marivaux. Donc, je crois que la voie ferrée qui conduit à Évry me verra bientôt aller chercher par-là quelque endroit pour dire à cette population quel est son bien afin qu’elle me suive et que nous allions réaliser partout cette conception de l’humanité qui sortira tout droit de la tête de ces magnifiques démiurges, au nombre desquels j’espère être bientôt compté.
4Jacques Longuet : Sur votre intervention, juste un mot. Il est vrai en effet que la ville est peuplée pour 98 % de déracinés, qui n’ont donc pas été consultés pour la réalisation, mais qui ont ensuite été associés à son fonctionnement. Et c’est ce qu’on voit en particulier aujourd’hui – mais ce n’est pas une originalité spécifique à Évry – dans la mise en place de toute une série de conseils de quartier, qui permettent à chacun de s’approprier un peu mieux ces espaces qui, en effet, leur ont été imposés par des promoteurs, par des urbanistes, mais où chacun a essayé de trouver à peu près sa place.
5Philippe Meyer : Je ne conteste pas le fait que les nouvelles villes ont été faites comme elles ont été faites. Maintenant, croire que n’importe quel peuple, pauvre, déraciné ou non, se laisse imposer, c’est une chose ; que n’importe quelle ville, même neuve, puisse être autre chose que le fruit de rapports, tantôt conflictuels, tantôt de compromis, entre une population et ceux qui conçoivent la ville, c’est un conte pour enfants ! Cela n’existe pas ! Quant aux conseils de quartier, je ne sais pas comment ils sont à Évry – manifestement à Évry les gens ont un chromosome en plus, peut-être même un doigt en plus, comme dans Les Envahisseurs – mais des conseils de quartier, moi j’en ai étudié de près à Paris pour les besoins d’un livre que je commettais sur cette question ; c’est une plaisanterie ! C’est un lieu de manipulation pour les politiques, de la part de gens qui prétendent en représenter d’autres, ayant constitué des associations qui sont des moyens de promotion pour eux-mêmes et pour rien d’autre, ce sont des endroits dans lesquels on peut organiser quelques représentations dans des locaux inutilisés pendant l’été. Si la démocratie participative et le renouveau du civisme athénien doivent passer par les conseils de quartier, alors franchement, celui qui doit les raconter, ce n’est pas un urbaniste, c’est un humoriste !
6Alain Cabantous (question adressée à Roland Baetens) : Il nous a très bien montré l’ambiguïté et la manipulation, l’instrumentalisation du passé anversois, qui à la fois s’opposait et était complémentaire avec la richesse du xixe siècle. Mais au cours de ces décennies de croissance urbaine et portuaire, que fait la ville de cette période de déclin, disons du milieu du dix-septième à 1815 ? Comment utilise-t-elle cette histoire ? Dans la construction même de son mythe, l’enfouit-elle ou la modifie-t-elle ?
7(Question adressée à Jacques Longuet) : Au terme de sa communication, a-t-il l’impression qu’il peut continuer à dire que le mythe tel qu’il l’avait élaboré, voire énoncé au début du projet constituait bien une erreur de vue, un mensonge, dans la mesure où ce qu’il appelait les ambitions des démiurges concepteurs, se sont avérées à la fois techniquement opératoires et peu opérationnelles, me semble-t-il, par rapport à l’évolution ultérieure et à la situation actuelle ? Autrement dit que font les habitants d’Évry aujourd’hui – pour satisfaire Philippe Meyer, on va parler des habitants – des rêves et projets des concepteurs d’hier ou cela ne les intéresse-t-il (pas) plus du tout ? Y a-t-il déjà l’idée des origines de la ville ?
8Roland Baetens : En ce qui concerne la décadence d’Anvers aux xviie-xviiie siècles, au xixe siècle on n’en parle pas. On l’oublie. Mais au xxe siècle on en parle à nouveau, parce qu’alors on ira en faire porter la faute à la Contre-Réforme et à l’État espagnol. D’un côté l’on oublie, d’un autre on désigne ce qui a causé la décadence.
9Jacques Longuet : Il y a encore des pionniers qui sont restés sur place, en particulier des urbanistes, des gens qui ont contribué à la conception de la ville. Et quand je parlais tout à l’heure de cette association qui s’est réunie l’autre jour, « Mémoire de la ville nouvelle », il y a quelque chose d’émouvant à les entendre, parce qu’ils y croyaient très sincèrement. C’est avec des gens comme cela que l’on peut continuer à parler. Pour ce qui est de l’ensemble de la population, j’ai parlé du turn-over, il est énorme, et donc on peut considérer qu’elle a du mal à s’approprier la ville, comme beaucoup de populations de banlieue, mais peut-être plus à Évry, parce que les gens ne restent guère en place plus de 4 ou 5 ans. Il y a donc des tentatives pour les intégrer, les assimiler dans une ville qu’ils n’ont pas souhaitée. Il s’agit vraiment d’une chance pour ceux qui – et c’est peut-être pourquoi ma vision est un peu optimiste – depuis trente ans ont pu y vivre et en connaître les étapes, à la manière dont on peut voir grandir un enfant. Chaque élément permet de le rapporter à ce qu’on a vécu, et lorsque quelque chose est sorti de terre, on sait dans quelles circonstances cela s’est fait. Mais sur la réflexion des gens, c’est souvent des constatations, par exemple « la dalle ne nous plaît plus, la dalle n’est pas ce que nous voulons, nous voulons maintenant des rues traditionnelles » – c’est ce que l’on entend souvent –, ou encore « le centre commercial va éclater » (ce qui n’est pas le cas). On entend des critiques importantes chez ces personnes qui essaient de trouver pendant quelques années un endroit pour vivre. Le but était de réaliser un équilibre avec l’emploi. C’est réussi à peu près à 50 %.
10Philippe Meyer : Je ne voulais pas dire que l’on ne peut pas bien vivre à Évry. Je n’en sais rien, je n’y ai jamais vécu. Je contestais seulement ce qui m’a semblé extrêmement monolithique dans la présentation que vous en avez faite. Si j’étais vous, je serais très heureux d’habiter à Évry, et quand on fait le métier d’étudier le comportement des autres, autant les avoir sous la main, et de préférence rassemblés au même endroit. Simplement, quand vous disiez tout à l’heure que l’on avait oublié dans ce projet humaniste l’idée qu’une ville avait besoin d’un centre, bon, c’est un oubli, et que quand on a voulu créer ce centre on s’est demandé avec quoi on pourrait le faire, la mairie, l’église et le bistrot, alors on a fait la mairie, l’église et l’hôtel Mercure. Et bien, allez donc boire un coup à l’hôtel Mercure !
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