Chapitre V. La France et la crise de la détente dans l’espace-monde méditerranéen, 1976-1979
p. 209-256
Texte intégral
1À l’échelle de la France comme à celle des relations entre les blocs, l’année 1976 correspond à une série d’évolutions qui inaugurent une période marquée du sceau de l’incertitude. La démission de Jacques Chirac de son poste de Premier ministre et le basculement d’une large partie des gaullistes dans l’opposition vont de pair avec le refroidissement net des relations entre les deux Grands. Alors que le débat sur la détente et les droits de l’homme structure la campagne américaine en vue de l’élection de novembre, l’URSS entame le déploiement de ses missiles SS-20 et donne aux Occidentaux l’impression d’être omniprésente en Afrique et au Moyen-Orient, sous l’effet d’une conflictualité accrue, de l’Angola au Sahara, du Mozambique au Liban1. Si l’équilibre des années précédentes était déjà fragile, tous les voyants de la guerre froide passent au rouge entre le printemps et l’automne 1976, rendant inéluctable la « crise de la détente » qui caractérise la deuxième moitié des années 1970 et préfigure la « guerre fraîche » du début de la décennie 1980. Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, que cette période cruciale demeure l’objet de vifs débats entre historiens, sur la base d’une question essentielle : qui est responsable de cette situation ?
2Une première explication, qu’on peut qualifier d’orthodoxe, portée par les néoconservateurs américains puis par les premiers travaux consacrés à ce moment de la guerre froide sous la houlette de John Lewis Gaddis, fait de l’expansionnisme soviétique et de la stratégie agressive de l’URSS dans le Tiers Monde les principaux facteurs de l’effritement de la détente2. L’intervention de l’Armée rouge en Afghanistan en 1979 ne serait que l’aboutissement de cette logique, sciemment voulue par le Kremlin. La deuxième explication repose sur l’idée d’un choc des conceptions : les dirigeants américains et soviétiques avaient, vis-à-vis de la détente, des attentes contradictoires qui ne pouvaient que rendre inévitable le retour des tensions une fois ces attentes mises au jour. Raymond L. Garthoff a ainsi montré que, vue de Washington, la détente signifiait le relâchement des tensions avec l’URSS et le renoncement à la force, mais absolument pas la fin de la rivalité avec Moscou3. L’arms control et le linkage entre les affaires européennes, moyen-orientales et vietnamiennes auraient été pensés par Nixon et Kissinger comme des moyens plus subtils qu’une confrontation directe pour freiner les ambitions soviétiques dans le monde. Ils n’auraient ainsi pas compris que la lutte idéologique pour l’affirmation du socialisme restait le moteur de la politique étrangère du Kremlin, qui aurait saisi l’occasion offerte par la détente pour étendre sa sphère d’influence dans le Tiers Monde, profitant de la fragilité de ses rivaux pendant et après la guerre du Vietnam. La troisième explication se situe dans une perspective résolument révisionniste en ce qu’elle souligne la responsabilité des États-Unis dans la dégradation des rapports Est-Ouest, du fait de la montée en puissance du conservatisme américain, de l’érosion du consensus autour de la politique de détente et du volontarisme de l’Administration Carter à l’égard de l’URSS4.
3Le moins que l’on puisse dire est que ce débat, focalisé sur l’attitude des deux Grands, procède, quel que soit le courant envisagé, d’une vision strictement bipolaire des relations internationales. Bien entendu, la domination de Moscou et de Washington sur les rapports internationaux justifie pareille approche et il ne fait aucun doute que, dans le processus d’affaiblissement de la détente, les superpuissances jouent les premiers rôles. Mais s’il y a bien une chose que l’historiographie récente de la guerre froide a su démontrer, c’est que les années de détente ont permis à une multitude d’acteurs secondaires de s’affirmer grâce à de nouveaux instruments multilatéraux et en raison du besoin des États-Unis et de l’URSS de s’appuyer sur leurs alliés. Aussi la place de ces acteurs dans la crise de la détente mérite-t-elle d’être davantage éclairée que ce qu’elle ne l’est déjà.
4Pour la France en particulier, le défi est de taille : pour la première fois depuis 1962, la posture d’« autre Occident » est confrontée à une reprise globale des tensions Est-Ouest. L’enjeu n’est rien de moins que le maintien de l’équilibre que Giscard d’Estaing a su trouver depuis 1974 entre Alliance atlantique, détente, relations Nord-Sud et désidéologisation, et qui incarne l’aboutissement de la logique gaullienne initiée au cours de la décennie précédente. Or, comment préserver cet équilibre lorsqu’au même moment, le paysage politique français connaît une exceptionnelle recomposition qui semble remettre au premier plan les aspects idéologiques et affaiblir la marge de manœuvre présidentielle ? Si, dans la droite ligne des pères fondateurs de l’école française des relations internationales, les historiens ont pris l’habitude d’analyser les processus de décision à la lumière des « forces profondes », la période qui va de l’été 1976 à décembre 1979, où affrontements internes et difficultés extérieures sont inextricablement mêlés, se prête particulièrement bien à cet exercice. Ne faut-il pas voir, après tout, dans le regain d’antisoviétisme que connaît alors la France un corollaire des controverses américaines sur les droits de l’homme et les limites de la détente ? Le débat intellectuel et politique français quant à la nature du régime soviétique prouve que la critique de la détente est loin d’être le seul fait des faucons américains5. Tandis que Raymond Aron accuse l’URSS de renouer avec l’expansionnisme, la revue Commentaire, qu’il fonde en 1978 dans le sillage de Contrepoint, se fait l’écho des penseurs qui, à l’instar d’Alain Besançon, alertent sur la réactivation de l’idéologie communiste, accentuant l’impression d’échec de la politique de désidéologisation voulue par Giscard d’Estaing6. Toutefois, le jeu politique et l’organisation du pouvoir en France n’ayant rien à voir avec leurs pendants américains, la question de l’impact de ces débats sur la prise de décision française reste posée.
5À cet égard, l’historiographie des relations transatlantiques a mis en exergue le fossé entre une Amérique optant pour une moralpolitik offensive et une diplomatie giscardienne – et ouest-européenne – agrippée à la détente et soucieuse de ne rien faire qui puisse provoquer le puissant voisin soviétique7. Le caractère eurocentré de cette analyse, à propos d’une guerre froide qui ne l’est plus, mérite d’être dépassé, en premier lieu parce qu’il néglige le pivot méditerranéen de la politique extérieure française.
6La centralité de la Méditerranée dans la guerre froide est en effet plus que jamais affirmée dans la deuxième moitié des années 1970 : le soutien de l’URSS au dictateur éthiopien Mengistu Mariam, la hausse significative de la présence navale soviétique en mer Rouge et dans l’océan Indien, la guerre du Sahara occidental, les conflits de l’Afrique subsaharienne, la guerre civile libanaise, l’accroissement exponentiel des livraisons d’armes soviétiques aux « progressistes » arabes, ainsi que le déploiement des SS-20 en Russie européenne et sur les rives de la mer Noire en font un espace en constante dilatation, point de convergence de la triple logique européenne, africaine et moyen-orientale de confrontation Est-Ouest, si bien que, dans l’espace-monde méditerranéen, la politique régionale de la France a forcément une résonance globale. Dans ce cadre, comment la diplomatie giscardienne peut-elle continuer à s’accrocher à la détente en Europe alors que, de l’Afrique au Moyen-Orient, ses intérêts paraissent directement menacés par la montée en puissance de l’URSS et que la « crise de l’Occident » initiée en 1973 continue de s’aggraver ?
7Répondre à cette interrogation suppose de décliner au niveau français et d’inscrire dans le contexte euro-méditerranéen les questionnements sur la crise de la détente : quelles interprétations les acteurs de la décision française font-ils de l’évolution des rapports Est-Ouest ? Qui est responsable de la crise de la détente selon eux ? Étant donné la visibilité du débat français sur les droits de l’homme et sur les intentions soviétiques, et dans la mesure où elle s’est attribué, après la guerre du Kippour et la crise de Chypre, un rôle de pôle d’équilibre Est-Ouest et Nord-Sud en Méditerranée, la France n’a-t-elle pas sa part de responsabilité dans la dégradation du climat international ? Ou bien n’est-elle qu’une spectatrice qui doit s’adapter au nouveau contexte de tension ? À l’inverse, en quoi le regard français peut-il nourrir le débat sur l’une des périodes les plus controversées de l’histoire de la guerre froide, notamment en ce qui concerne les objectifs de Moscou et l’évaluation occidentale de la menace soviétique ?
8Ce chapitre entend répondre de trois manières à ce questionnement : en confrontant les paramètres méditerranéens de la crise de la détente au regard français, en proposant une approche de l’expertise française de la menace à l’heure des nouvelles incertitudes géopolitiques, en démontrant comment ces évaluations justifient les choix de la diplomatie giscardienne dans l’espace-monde méditerranéen. Il s’agira enfin de voir, sur la base de ces analyses, si, à la veille de l’entrée dans la « guerre fraîche », la France peut encore se targuer d’être un « autre Occident ».
Offensive globale soviétique ou négligence américaine ? La crise de la détente et la Méditerranée au prisme du regard français
9Que veut l’URSS ? Rarement la question n’aura été autant posée que dans la deuxième moitié des années 19708. Le débat, on l’a dit, est d’abord américain : il est au cœur de la campagne pour l’élection présidentielle de 1976 qui voit le président sortant Gerald Ford s’opposer à Ronald Reagan puis au candidat démocrate Jimmy Carter. Tandis que Ford défend maladroitement le bilan de son administration en matière de droits de l’homme, ses adversaires tant républicains que démocrates s’en prennent à la détente et au fait qu’elle n’a pas atteint l’objectif numéro un que lui assignaient ses promoteurs : affaiblir l’URSS et en adapter le système politico-économique au monde occidental9. Les Soviétiques auraient, tout au contraire, cherché à profiter de la détente pour se renforcer militairement. Pour mieux convaincre l’opinion de cette réalité et dans le but d’encourager le parti républicain à opter pour une attitude de défiance vis-à-vis de Moscou, le renseignement de la Défense américaine en vient même à gonfler les chiffres du potentiel militaire de l’URSS, engageant un véritable bras de fer avec la CIA sur ce sujet, si bien qu’au début de 1977, les États-Unis ne disposent plus d’évaluation objective de l’effort soviétique en matière d’armements10.
10Sortant de son cadre américain et touchant la plupart des pays de l’Alliance atlantique, le débat pourrait, en France, apparaître seulement comme le prolongement de la controverse issue de la publication de L’Archipel du Goulag, mais son omniprésence dans les centaines de documents de l’Élysée, du Quai d’Orsay et du ministère de la Défense reflète l’incertitude croissante quant à l’avenir des relations Est-Ouest : que se passe-t-il en URSS ? Celle-ci renoue-t-elle avec un expansionnisme débridé ou, comme l’estimaient jusqu’alors les experts du CAP, le Kremlin ne cherche-t-il qu’à protéger ses intérêts de puissance ? À travers ces interrogations, c’est toute la question de la capacité de Moscou à définir des objectifs globaux qui transparaît, une question qui divise profondément les historiens de la guerre froide. Face à l’interprétation orthodoxe et un peu vieillie d’une stratégie soviétique agressive, Jonathan Haslam, R. Craig Nation et surtout V. Zubok estiment que ni le cercle brejnévien ni l’armée et l’appareil militaro-industriel ne se montrent alors capables de développer une vision globale des relations internationales qui leur permettrait de mieux gérer leurs capacités de projection11. Il n’empêche que la concomitance du déploiement des SS-20 – engins nucléaires de théâtre d’une portée inférieure à 5 500 kilomètres donc n’entrant pas dans les SALT – et de l’accélération de la pénétration soviétique dans le Tiers Monde via les livraisons d’armes – en particulier à l’Algérie et à la Libye – donne l’apparence d’une offensive concertée visant à déstabiliser l’Europe occidentale et sa périphérie. Aussi le prisme méditerranéen est-il central dans l’approche française de ces évolutions, le bassin constituant un niveau scalaire représentatif des deux composantes de la politique soviétique qui inquiètent le plus les Occidentaux. Le croisement décompartimenté de ces deux entrées – SS-20 et exportations d’armes – est assez net dans les sources françaises, au niveau politique comme au niveau diplomatique et militaire.
11Cette perception de la Méditerranée comme clé de voûte des initiatives soviétiques se traduit par la poursuite du mouvement de « méditerranéisation » de la diplomatie Est-Ouest de la France, qui en dit long sur la volonté de Paris de mettre à profit son expertise du monde arabe pour peser dans la guerre froide globale. Giscard d’Estaing nomme ainsi en 1976 à Moscou Bruno de Leusse, ancien directeur des Affaires africaines et malgaches (1970-1971), qui était jusqu’alors ambassadeur de France en Égypte (1972-1976) après l’avoir été en Algérie (1967-1968). La nomination, auprès du Kremlin, de cet expert des questions arabes va de pair avec l’arrivée de Jean-Marie Soutou au secrétariat général du Quai d’Orsay, où B. de Leusse lui succède en 1979. Directeur d’Afrique-Levant dans les années 1960 puis ambassadeur à Alger, J.-M. Soutou, on l’a vu, nourrit depuis longtemps une indéfectible méfiance à l’égard de l’URSS. De 1976 à 1979, ses télégrammes alarmistes fondés sur des observations judicieuses et une solide argumentation ont une influence majeure sur Gabriel Robin, qui reprend nombre de ses analyses dans les notes de synthèse qu’il envoie au président12. Ce constat est d’autant moins à négliger que, soucieux d’avoir la pleine main sur la définition de la politique extérieure, Giscard d’Estaing confère un poids de plus en plus important à la cellule diplomatique de l’Élysée et donc à G. Robin13, dont l’intérêt pour la politique soviétique en Méditerranée confine presqu’à l’obsession. Ce souci de la prépondérance élyséenne se manifeste également à travers l’implication systématique dans les grands dossiers Est-Ouest en Méditerranée, en particulier celui sur les ventes d’armes, des conseillers techniques pour les questions économiques internationales, Jean-Pierre Dutet – lui-même né en Algérie – puis Guy de Panafieu à partir de 1978.
12Profitant de la démission du gouvernement Chirac à la fin d’août 1976, Giscard d’Estaing nomme, pour travailler avec son équipe resserrée, un familier des problématiques méditerranéennes au Quai d’Orsay, Louis de Guiringaud. Ancien directeur des Affaires marocaines et tunisiennes au ministère (1957-1961) puis adjoint de Jean-Marcel Jeanneney lorsque celui-ci fut le premier ambassadeur de France dans l’Algérie indépendante, Guiringaud a été représentant permanent auprès des Nations unies de 1972 à 1976. C’est à ce titre que Giscard d’Estaing en a fait l’artisan français du dialogue Nord-Sud en 1975, le chargeant de préparer la Conférence sur la coopération économique internationale. Le choix de lui confier les Affaires étrangères n’a donc rien d’anodin : il prouve la volonté du président de garder le cap des années 1974-1975 en dépit de la dégradation du climat international. L’expérience de Guiringaud est, de ce point de vue, d’autant plus utile que le nouveau ministre a développé à New York une bonne connaissance des représentants du bloc de l’Est et des pays non-alignés, auxquels il s’était déjà frotté en tant que président du Conseil de sécurité de l’ONU en octobre 1956, à l’occasion de la crise de Suez14. Son entrée au gouvernement à la fin de l’été 1976 coïncide avec le déploiement des missiles balistiques SS-20 dans la partie la plus occidentale de l’URSS, prélude à une nouvelle crise dont certains des enjeux refont monter à la surface le souvenir de 1956.
Les enjeux méditerranéens des euromissiles : une part de responsabilité française ?
13Selon l’historiographie récente, la diplomatie giscardienne fait preuve d’un certain détachement à l’égard de l’affaire des euromissiles durant les premières années de la crise15. Pour les Français, l’Armée rouge a depuis longtemps la capacité de détruire l’Europe occidentale ; qu’elle le fasse avec des SS-20 ou autre chose, cela ne change rien au résultat16. Par conséquent, Paris se montre sceptique devant la requête d’Helmut Schmidt, exprimée en octobre 1977, de voir l’accord SALT II prendre en compte non seulement les systèmes d’armement centraux des deux Grands mais également les armements conventionnels et nucléaires stationnés en Europe afin de parer à tout déséquilibre dont le bloc de l’Est serait bénéficiaire17. Pareille extension présenterait le grave inconvénient de menacer l’indépendance stratégique de la France si ses forces étaient comptabilisées.
14De fait, s’il y a une crainte française vis-à-vis des euromissiles, elle n’est pas militaire mais politique : pour G. Robin, en obligeant les Occidentaux à engager une négociation sur le nucléaire tactique en échange d’un renoncement aux SS-20, l’URSS pourrait entraîner la dénucléarisation de l’OTAN et provoquer le découplage de l’Europe et des États-Unis du fait de la suppression du parapluie nucléaire américain18. Mais est-ce vraiment l’objectif conféré par Moscou à ces armes nucléaires de portée intermédiaire ?
15L’inscription des euromissiles à l’échelon méditerranéen conforte l’analyse sur les inquiétudes politiques de l’Élysée mais modifie quelque peu la perspective quant à l’implication française dans la crise et quant à l’interprétation des justifications soviétiques du déploiement. Ces dernières demeurent l’objet d’un débat historiographique, bien qu’un consensus se dégage sur le poids des militaires dans la mise en place du programme : les pressions du maréchal Gretchko, de son successeur au ministère de la Défense à partir d’avril 1976, le maréchal Oustinov, et du chef de la Commission militaro-industrielle Leonid Smirnov ont été essentielles dans la réussite d’un programme conçu pour neutraliser le dispositif de l’OTAN en Europe19. On sait en outre qu’à partir de 1974 et davantage encore en 1976, la santé de Brejnev décline fortement, ce qui permet à ces hommes de bénéficier d’une marge de manœuvre considérable.
16Il est difficile, pourtant, de dédouaner la direction politique du Kremlin de toute responsabilité dans l’installation des missiles. Gromyko se montre ainsi sensible aux critiques de l’armée sur les limites imposées par les SALT à la pleine expansion de la puissance soviétique, et ce alors que l’OTAN perfectionne son outil militaire pour rendre opérationnelle la doctrine de la riposte graduée20. Les verbatims des conversations de Brejnev avec les dirigeants occidentaux sur la période 1978-1979 prouvent que le secrétaire général du PCUS se range lui aussi à cet argumentaire, mais surtout qu’il ne raisonne pas à une échelle strictement européenne. En mai 1978, lors de sa visite à Bonn, Brejnev justifie le déploiement des SS-20 simplement par la volonté d’atteindre la parité militaire avec l’Ouest au niveau global : l’URSS fait entrer dans ses calculs les armements nucléaires avancés américains, à savoir les missiles de croisière SLCM (submarine-launched cruise missile) et ALCM (air-launched cruise missile) fraîchement déployés, d’une portée supérieure à 600 km mais qui ne sont pas inclus dans les SALT (ces dernières ne portent que sur les missiles balistiques)21. Dans la mesure où ces missiles équipent les sous-marins et les avions nucléaires basés sur les porte-avions de l’US Navy, on peut en conclure que la dimension maritime est essentielle dans l’esprit des promoteurs soviétiques des SS-20.
17Les Français semblent le comprendre très tôt. Dans les notes qu’ils adressent à Giscard d’Estaing et à Guiringaud, J.-M. Soutou et G. Robin confèrent à la problématique des SS-20 un ancrage géographique extra-européen qui d’une part témoigne de la propension française à saisir de mieux en mieux les enjeux globaux de la politique extérieure soviétique et d’autre part va dans le sens d’une vision de l’URSS guidée avant tout par le souci de se défendre contre l’étreinte navale exercée par les Occidentaux22. Soutou et Robin mettent en effet les SS-20 sur le même plan que les livraisons d’armes soviétiques aux pays d’Afrique du Nord : Moscou répond à l’encerclement de son territoire par les forces occidentales.
18Cette analyse renvoie aux travaux qui, à rebours du courant porté par J. L. Gaddis, distinguent dans le positionnement d’Oustinov et de Brejnev sur les euromissiles un « syndrome de Cuba » faisant de la situation en Méditerranée le point central du raisonnement soviétique : pointés sur l’URSS, les SLCM et ALCM des États-Unis, ainsi que leurs SLBM Poseidon à longue portée, sont installés sur des bâtiments qui croisent dans le Golfe persique, la mer d’Arabie, la mer Rouge et l’océan Indien23. Alors qu’à l’exception de l’épisode cubain de 1962, les États-Unis n’ont jamais été inquiétés par une quelconque pression soviétique sur leur territoire depuis la mer, tous ces espaces maritimes sont situés à moins de 1 500 km des frontières de l’URSS et laissent la Méditerranée au centre du jeu. Rashid Khalidi observe en outre que le sentiment de vulnérabilité et la décision du déploiement des SS-20 ne peuvent s’expliquer en dehors du fait qu’au même moment les États-Unis mobilisent leur formidable puissance économique pour sevrer l’Égypte de ses anciens protecteurs soviétiques, avec de généreuses promesses d’aide.
19Élargie à l’ensemble des forces occidentales, cette lecture décentrée des origines de la crise des euromissiles permet de réévaluer la responsabilité de la France dans le nouveau contexte stratégique Est-Ouest. Le déploiement des SS-20 se produit ainsi au moment où l’ambition française d’un partage des tâches transatlantiques sur la gestion des affaires méditerranéennes acquiert une dimension militaire qui ne passe pas inaperçue : en 1976, le projet de Giscard d’Estaing de moderniser et d’étoffer la flotte de Méditerranée devient effectif, la France se dote d’armes nucléaires tactiques et le général Méry présente la doctrine de la sanctuarisation élargie. Si le changement doctrinaire n’a finalement pas lieu en raison de l’affaiblissement de la CPE et donc de la possibilité de développer une défense européenne donnant toute sa crédibilité à cette approche24, ne peut-on pas en conclure, comme le fait G. Robin25, que les initiatives françaises ont joué un rôle dans la décision soviétique sur les SS-20 ?
20Certes le poids de la France ne doit pas être exagéré, mais il se produit bel et bien une reconnaissance, par l’URSS, de l’importance de son rôle de puissance otanienne en Méditerranée. Non seulement le souci des militaires soviétiques de prendre en compte les forces françaises dans le rééquilibrage stratégique Est-Ouest transparaît dans les documents auxquels V. Zubok a eu accès26, mais Brejnev, Gromyko et l’ambassadeur Tchervonenko ne sont pas dupes de la volonté française de se faire une place au soleil dans l’Alliance atlantique. En témoignent leurs piques régulières sur la sanctuarisation élargie, sur l’impression que la France revient dans l’OTAN et sur son refus d’intégrer les SALT et les MBFR – ce qui prouve que sa force de frappe est prise au sérieux27. Vu de Moscou, c’est bien « l’Occident » que la France représente, et non la version alternative dont elle se veut dépositaire.
21Le signe le plus ostensible de la détermination soviétique à impliquer les capacités méditerranéennes françaises dans des négociations sur l’équilibre global des forces est sans nul doute la reprise de l’offensive brejnévienne sur la dénucléarisation de la Méditerranée, couplée à une réduction mutuelle et équilibrée des forces dans cette mer et à l’extension des MDC de l’Acte final d’Helsinki à tout le bassin. Dès lors que se profile la première réunion sur les suites de la CSCE – qui se tient à Belgrade entre octobre 1977 et mars 1978 – chaque rencontre avec Giscard d’Estaing ou un représentant français est l’occasion pour Brejnev et la diplomatie soviétique de promouvoir la « méditerranéisation » d’un processus de détente que le secrétaire général veut désormais militaire et plus seulement politique28. Avec les Américains, les Français sont les Occidentaux les plus sollicités par Moscou sur ce sujet.
22Cette insistance de Brejnev sur les MBFR et les MDC en Méditerranée au moment où sont déployés les SS-20 en dit long sur le but à long terme de l’URSS et montre que l’aspect défensif se conjugue avec des objectifs politiques assumés, qui relativisent l’idée d’une incapacité de l’équipe au pouvoir au Kremlin à définir une politique globale.
23D’une part, grâce à ses propositions qui reprennent le vieux slogan de « la Méditerranée, lac de paix », Moscou envoie un message clair aux non-alignés de la région après que Sadate a décidé, en avril 1976, de mettre un terme définitif aux avantages de la Marine soviétique dans les ports égyptiens : l’URSS est prête à aider ces pays à desserrer l’étau de la guerre froide à condition qu’ils lui en donnent les moyens, à travers les facilités portuaires notamment. Elle tente, en d’autres termes, de récupérer à son profit le mouvement neutraliste. La CSCE de Belgrade en constitue une parfaite occasion : la conférence est le théâtre d’une formidable offensive des neutres et non-alignés sur la neutralisation du bassin. Malte y propose la création d’un comité permanent sur la Méditerranée, avec un secrétariat exécutif, qui aurait son siège à La Valette et aurait pour mission la résolution des conflits29. Même l’Espagne, alors sur la voie de la démocratisation et bien décidée à s’affirmer sur la scène régionale, se fait, avec la Syrie, le chantre de la dénucléarisation de la Méditerranée et relaie le message de Brejnev30. Plus globalement, les slogans neutralistes tels que « la Méditerranée lac de paix » et « la Méditerranée aux Méditerranéens », fruits de la propagande algérienne devenus thèmes d’une diplomatie contestataire à la fin des années 1960, acquièrent une dimension à la fois politique et identitaire sur les trois rives du bassin et se transforment en véritables objets culturels de masse dans la deuxième moitié de la décennie 1970, au point d’être le sujet central de l’un des films les plus populaires de l’année 1977, L’Espion qui m’aimait31.
24D’autre part, en mettant sur la table tous les outils de négociation susceptibles de mener à une neutralisation de la mer, les Soviétiques cherchent à obtenir une diminution significative des armes tactiques de l’OTAN en Méditerranée et dans les espaces maritimes adjacents (la question de la limitation des armements dans l’océan Indien fait l’objet de négociations spécifiques soviéto-américaines à partir de 1977) pour desserrer l’étau occidental et maintenir leur avance conventionnelle32. Si on suit le raisonnement jusqu’au bout, il est clair que l’objectif structurel de l’URSS est bel et bien de parvenir à un découplage euro-américain à partir du théâtre méditerranéen, d’abord en réitérant des propositions de désarmement dont on sait à Moscou qu’elles constituent le principal point de désaccord entre Français et Américains et peuvent remettre en question le partage des tâches qui prévaut depuis 1974, ensuite en testant la volonté de Washington de maintenir coûte que coûte ses SLCM, ALCM et SLBM dont l’usage en cas de guerre entraînerait forcément des représailles nucléaires sur le territoire des États-Unis.
25Dans ce contexte, et étant donné l’opposition française à toute forme de neutralisation de la Méditerranée, ne faut-il pas revoir à la hausse, en le décentrant vers le sud, le niveau d’implication de la diplomatie giscardienne dans la phase initiale de la crise des euromissiles ? La question se pose avec d’autant plus d’acuité qu’avec la CSCE de Belgrade et son prolongement, l’année suivante à La Valette, par la première réunion d’experts CSCE entièrement dédiée à la Méditerranée, la tentation du neutralisme manifestée par de nombreux pays donne un écho particulièrement favorable à l’idée de négociations régionalisées sur le conventionnel et le tactique, que Paris veut absolument éviter. On assiste donc bien en 1976 à un réexamen, par Giscard d’Estaing, des risques que font courir à l’Europe les bouleversements du flanc sud entamés dans les années précédentes et la pénétration soviétique au Maghreb et au Proche-Orient.
26Il est difficile cependant de reprendre le constat effectué régulièrement selon lequel, pour la France, l’URSS serait seule responsable de la dégradation de la détente33. Après tout, on l’a dit, Paris considère les SS-20 comme étant aussi inquiétants que les autres missiles du bloc de l’Est, et les livraisons d’armes soviétiques aux pays arabes ne sont pas un fait nouveau, tout comme le neutralisme en Méditerranée. Les nombreux documents de l’Élysée et du Quai d’Orsay aujourd’hui accessibles, en particulier ceux ayant trait aux relations avec l’Europe méridionale et le monde arabe, laissent à penser qu’en réalité, les craintes françaises – notamment celle du découplage – inspirées par l’effort d’armement soviétique auraient été bien moindres, voire inexistantes, sans la mutation de la politique extérieure américaine à partir de 1976, véritable catalyseur des choix français. Autrement dit, pour la France, les États-Unis auraient une responsabilité tout aussi grande que l’URSS dans la dégradation de la situation Est-Ouest. Ce constat, désormais partagé par une large partie de l’historiographie34, confère une valeur ajoutée considérable à une expertise française alors en plein essor.
Le fondement spatio-temporel des divergences franco-américaines
27Au regard de l’Élysée, l’importance du changement à l’œuvre à Washington dans la deuxième moitié de la décennie 1970 se mesure à l’aune des succès des années 1974-1976. Vue de Paris, cette période constitue l’étalon-or des relations franco-américaines et de la conduite alliée des affaires internationales : sous couvert du parapluie nucléaire américain et d’une participation accrue à la défense de l’Europe, la France joue un rôle de premier plan dans le règlement des crises régionales au nom de l’Alliance atlantique. Mais ce bel équilibre entre, d’une part, une Amérique soucieuse de contenir toute poussée communiste en Europe méridionale et d’avancer par « petits pas » au Proche-Orient et, d’autre part, une France optimiste qui, réaffirmant avec force sa présence en Méditerranée, voit dans la montée des classes moyennes l’instrument de la désidéologisation, devient difficilement tenable à partir du moment où Washington change de vision et de méthode.
28Le désenchantement français – et plus particulièrement de Giscard d’Estaing et de Robin, principaux promoteurs de l’équilibre franco-américain en Méditerranée et au sein de l’Alliance – se fait en trois étapes qui correspondent à l’évolution de la guerre au Liban, à la campagne électorale américaine et à l’installation de l’Administration Carter. Ces moments confortent, tout en la nuançant, l’idée, exprimée avec force par les historiens de la Cambridge History of the Cold War35, selon laquelle la dichotomie qui s’installe entre les États-Unis et leurs alliés en 1976-1977 s’explique par la divergence des objectifs que les uns et les autres assignent à la détente. Il convient toutefois d’insister sur le fondement spatio-temporel de cette divergence : contrairement aux Américains qui évaluent chaque situation régionale à l’aune de l’opposition globale et immédiate entre les deux blocs, les Européens, situés à courte portée de missiles de l’URSS, raisonnent, à l’inverse, en fonction de l’idée que le processus de détente, développé à partir de la région-centre qu’est l’Europe, non seulement réduit les risques de confrontation militaire, mais, en facilitant l’essor des échanges de part et d’autre du rideau de fer, permet le dépassement progressif de la confrontation globale de guerre froide. De manière plus prosaïque, cela signifie que la proximité géographique avec la superpuissance soviétique oblige les Européens à se montrer plus prudents et à éviter toute provocation inutile. Néanmoins, à la différence de la plupart de ses voisins d’Europe du Nord et du Centre, la France étend ce raisonnement au bassin méditerranéen, estimant qu’un effort maximal de sécurité est nécessaire dans les parties de cet espace régional où la détente n’est pas garantie. Si cette approche n’est pas nouvelle et dicte toute la politique française de guerre froide en Méditerranée au moins depuis de Gaulle, le défi que représente le retour des tensions dans la deuxième moitié des années 1970 permet de la conceptualiser.
29En l’occurrence, l’idée que l’URSS s’estime cernée par les forces occidentales et cherche à contrer cette situation en jouant la carte de la surenchère de l’encerclement via les SS-20 et les livraisons d’armes, conduit les experts diplomatiques et militaires français à mobiliser explicitement la théorie churchillienne des cercles d’influence dès lors qu’il s’agit de mesurer le niveau de vulnérabilité des intérêts nationaux en Méditerranée. Celle-ci se décline ainsi : le premier cercle, « d’intérêt immédiat », inclut la péninsule ibérique, l’Afrique du Nord, l’Italie, la Yougoslavie et la Grèce36 ; il correspond au rayon d’action que peuvent atteindre les forces aériennes depuis les bases corse et provençales, en particulier celle d’Istres, où Giscard d’Estaing crée un escadron de quinze Jaguar dotés de l’arme nucléaire37. Le second cercle s’étend de l’Égypte à la Turquie et traduit la mise à l’écart progressive de la France des négociations sur le Proche-Orient.
30Apparue en 1976 dans les notes de la division Renseignement du Secrétariat général de la Défense nationale (SGDN) – rattaché aux services du Premier ministre – et également sous la plume de Jean-Marie Soutou, cette grille de lecture témoigne de l’essor toujours plus important de la géopolitique comme instrument d’analyse des relations Est-Ouest, en particulier dans leur dimension maritime38. On peut y voir l’influence, sur les militaires et les diplomates, des ouvrages à succès du géographe américain Saul Cohen, pour qui la Méditerranée se divise en deux : d’un côté, une aire euro-maghrébine appartenant à l’espace maritime mondial dominé par les Occidentaux ; de l’autre, un Proche-Orient faisant office de zone de contact entre cet espace maritime mondial et l’espace terrestre eurasiatique dominé par l’URSS39. Suivant cette logique, Giscard d’Estaing et la diplomatie française admettent que si la présence de l’URSS dans le premier cercle est vue comme une menace directe à l’encontre des intérêts alliés, le deuxième cercle est suffisamment proche de l’espace soviétique pour que Moscou s’inquiète de l’accroissement de la puissance navale occidentale et soit tenté de tourner cet encerclement par le sud40.
31C’est grâce à ce prisme conceptuel des cercles d’influence qu’il est possible d’interpréter l’évolution de la guerre au Liban en 1976 comme une étape décisive de l’affaiblissement du système franco-américain de guerre froide en Méditerranée. Certes l’impact de la guerre froide sur ce conflit complexe n’a pas toujours été facile à discerner en raison de la pluralité des belligérants et des multiples façons dont il a été compris : guerre civile avant tout pour les uns, le conflit est pour d’autres le résultat direct de l’intervention flagrante des acteurs extérieurs (l’OLP, Israël, la Syrie…)41. Toutefois, il est difficile de ne pas voir dans l’intervention syrienne de mai 1976 contre les milices de la gauche libanaise et les combattants palestiniens un moment clé de l’opposition Est-Ouest au Proche-Orient : Kissinger se réjouit ainsi de voir les clients de l’URSS se déchirer les uns les autres. Si, dans un premier temps, la France profite de la rupture syro-soviétique pour devenir le premier fournisseur d’armes du régime syrien, la diplomatie giscardienne comprend rapidement que l’humiliation vécue par Moscou affecte dangereusement les équilibres à l’intérieur de chaque cercle d’influence : d’une part, parce qu’ignorer les Palestiniens, comme le fait Kissinger, les pousse toujours plus dans les bras des Soviétiques et empêche toute stabilisation du Liban ; d’autre part, parce que le refus de Washington de s’engager sur la voie d’un règlement tenant compte de l’ensemble des acteurs impliqués convainc une partie du monde arabe, en particulier les pays du Maghreb, d’établir une relation plus solide avec l’URSS, avec laquelle les rapports étaient déjà en voie d’amélioration en 1975.
32Ainsi, les notes transmises par la direction d’Afrique-Levant renouent avec une tonalité alarmiste dès l’été 1976 : Oustinov, Ponomarev, Souslov et Andropov profitent de l’opposition des « progressistes » arabes à tout accord de paix séparé et de l’aura que leur confère leur soutien sans faille aux Palestiniens pour compenser la fin des facilités égyptiennes par de nouveaux points d’appui, notamment en Libye et en Algérie42. Le gouvernement algérien donne par exemple aux Soviétiques la possibilité de demander des autorisations pour des visites navales dans les ports algériens avec seulement quelques jours de préavis au lieu des deux mois normalement requis. Le port d’Annaba devient de la sorte l’un des plus fréquentés par l’Eskadra de Méditerranée43.
33Giscard d’Estaing tire de cette situation la conclusion que la stratégie des « petits pas » n’est pas viable à long terme et finit par porter atteinte à la sécurité de toute la région44. On ne peut donc laisser de côté la question libanaise et se focaliser sur la seule élection de Carter pour expliquer la dégradation des relations entre la France et les États-Unis. Car c’est un composant de taille de l’équilibre franco-américain en Méditerranée qui disparaît à l’été et à l’automne 1976, celui de la confiance française dans la stratégie kissingérienne au Proche-Orient. À l’instar de son prédécesseur, Giscard d’Estaing s’engage dans la promotion d’un règlement global qui, à ses yeux, ne doit laisser personne sur la touche, surtout pas les Soviétiques45. Pour les intérêts français en Méditerranée comme pour le rapport de forces Est-Ouest dans la région, ce tournant est fondamental : avec l’augmentation exponentielle des livraisons d’armes au Maghreb et l’obtention de facilités navales, la réponse soviétique à l’encerclement occidental s’étend désormais au cercle « d’intérêt immédiat » de la France et complète le dispositif des SS-20 en le rendant plus dangereux, ce qui accroît d’autant plus le besoin d’une bonne coordination avec les États-Unis.
34Or, la tournure que prend la campagne électorale américaine accroît, aux yeux de Giscard d’Estaing et de ses conseillers, la responsabilité de Washington dans le processus d’altération de la sécurité occidentale et doit être considérée comme un autre facteur essentiel du désenchantement français à l’égard des États-Unis. Tandis que ces derniers contribuent plus que n’importe quel autre pays à l’effort collectif de quantification du niveau d’armement du pacte de Varsovie, le dévoiement des chiffres des exportations soviétiques en Afrique du Nord et au Proche-Orient dans le but de renforcer ou d’infirmer l’idée d’un renouveau de la menace communiste en Méditerranée – notamment contre Israël – est vécu à Paris comme une catastrophe46.
35On peut en tirer la conclusion qu’en dépit de la similitude des controverses de part et d’autre de l’Atlantique sur les intentions de l’URSS, sur son effort d’armement et sur la question du respect des droits de l’homme, Giscard d’Estaing entend faire la part des choses entre les impératifs de la pratique diplomatique et ce qui relève du débat politique. Se dégage des documents français l’idée selon laquelle en mettant en relief les faiblesses occidentales, les États-Unis nuisent à la détente plus que ne le font les armements soviétiques eux-mêmes. Car en transformant ces questions en enjeux électoraux, les agences de renseignement et les responsables politiques américains encouragent les militaires soviétiques – déjà très critiques à l’égard des accords de limitation d’armements alors que toute leur carrière s’est construite autour du principe que la guerre froide se gagnerait grâce à la puissance de l’appareil militaro-industriel – à se prémunir contre toute nouvelle humiliation.
36Dans ce cadre, l’installation de Jimmy Carter à la Maison Blanche en janvier 1977 apparaît comme l’aboutissement d’un processus de désenchantement étalé sur huit mois : elle assoit durablement les divergences franco-américaines en matière de perception de la menace soviétique et d’appréciation spatio-temporelle de la sécurité euro-méditerranéenne. D’un point de vue historiographique, ces divergences ont cependant un avantage non négligeable : elles permettent à la politique extérieure giscardienne de révéler pleinement ses objectifs et ses ambitions dans le nouveau contexte de tensions ; inversement, le regard français sur les choix de Carter aide à éclairer un moment de la politique Est-Ouest des États-Unis considéré comme particulièrement confus en raison de ses tiraillements entre détente et moralpolitik, deux tendances respectueusement incarnées par le Secrétaire d’État Cyrus Vance et le conseiller à la sécurité nationale Zbigniew Brzezrinski.
Le syndrome de Suez
37Avec Carter disparaît un élément central de l’équilibre transatlantique des années 1974-1976 : le pessimisme de Washington sur l’avenir des relations internationales, que les crises en Europe méridionale ont largement nourri. Alors que Kissinger avait une vision fondée sur la conviction que la puissance de l’URSS était destinée à durer et même à grandir, Carter, qui n’a ni connaissance ni expérience de la politique étrangère, se veut porteur d’un optimisme ancré dans la certitude de la supériorité américaine : supériorité morale mais aussi économique, politique et militaire. Comme l’écrit Gabriel Robin dans une note aussi amère que clairvoyante :
« [Carter] a tendance à surestimer les faiblesses de l’URSS et la solidité de l’Occident. C’est pourquoi il adopte une attitude offensive dans le domaine idéologique (droits de l’homme), n’hésite pas à prendre au mot la propagande soviétique en matière de désarmement ou même à surenchérir (océan Indien, essais nucléaires, SALT), ne craint pas de cantonner Moscou dans le rôle de partenaire secondaire au Proche-Orient, ne s’inquiète pas outre-mesure de l’action soviétique en Afrique, envisage avec quelque sympathie le phénomène de l’eurocommunisme47. »
38L’image qui s’impose au sein de la diplomatie française dès la première année de la présidence Carter est celle d’un homme persuadé que son modèle de démocratie de marché va l’emporter à court terme, jugeant inutile de se préoccuper de la pénétration soviétique dans le Tiers Monde et de ménager le système soviétique48 – le régime doit évoluer immédiatement vers un schéma plus respectueux des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il convient simplement de supprimer à brève échéance les aspects les plus dangereux de la relation soviéto-américaine, à savoir les armes nucléaires intercontinentales qui peuvent directement menacer le territoire des États-Unis. C’est grâce à ces évolutions immédiates que la détente pourra se poursuivre.
39Cette perception des objectifs américains a, depuis, été validée par l’historiographie grâce à l’accès facilité des historiens aux archives de la Jimmy Carter Presidential Library49. Elle dénote la bonne connaissance de la culture diplomatique américaine que les diplomates français ont su acquérir à force de côtoyer leurs homologues d’outre-Atlantique, les télégrammes de l’ambassade à Washington témoignant de la profusion des entretiens entre les représentants des deux pays en dépit des désaccords. Pour autant, l’approche des rapports Est-Ouest défendue par Carter pose un double problème à la France et renforce la conviction de Giscard d’Estaing que « l’atmosphère de détente entre les États-Unis et l’URSS a été remise en question sur l’initiative américaine50 ».
40Premièrement, le président démocrate sape l’effort de désidéologisation des relations internationales en s’en prenant frontalement au régime soviétique. On considère ainsi à l’Élysée que Carter n’a rien compris à la CSCE et à son rôle d’instrument de la convergence progressive des systèmes capitaliste et communiste, qui doit permettre d’aborder collectivement la dimension Nord-Sud dont la Méditerranée est le pivot51. La réunion de Belgrade sur les Suites de la CSCE apparaît à cet égard symptomatique des divergences de points de vue entre Washington et Paris : en exigeant des Soviétiques qu’ils appliquent immédiatement toutes les dispositions de l’Acte final d’Helsinki, non seulement les Américains suscitent la colère des dirigeants du Kremlin et compromettent la réussite des négociations, mais ils encouragent un peu plus ces derniers à rechercher la faveur des non-alignés en jouant la carte de la neutralisation de la Méditerranée tant promue à Belgrade. De la sorte, et en pointant du doigt l’agressivité dont font preuve les États-Unis, les Soviétiques peuvent apparaître comme étant suffisamment dignes de confiance pour que Dom Mintoff, Khadafi, Boumediene ou d’autres accèdent à leur requête de bénéficier de facilités navales52.
41Deuxièmement, tandis que la vision pessimiste de Kissinger permettait à la France de se poser en défenseur de l’optimisme, de se présenter en complément crédible des États-Unis au sein de l’OTAN et de considérer de manière confiante l’avenir de la sécurité en Europe du Sud, ce schéma ne peut plus fonctionner si les Américains choisissent eux aussi la voie de l’optimisme et si les SALT et les SS-20 les conduisent à réduire leur garantie nucléaire à l’Europe. Une telle attitude amoindrit à ce point la marge de manœuvre française dans le règlement des crises régionales qu’elle favorise la réémergence d’un véritable « syndrome de Suez », particulièrement manifeste chez Giscard d’Estaing dès lors que les Américains donnent l’impression de se désolidariser de leurs alliés et de négliger les menaces à la périphérie du continent européen. Plus exactement, Giscard d’Estaing, Robin et Soutou reprochent à Carter sa stratégie du « benign neglect » dans les zones conflictuelles nord-africaines et proche-orientales53. En misant seulement sur l’équilibre des forces en Europe (MBFR) et entre les systèmes centraux des deux Grands (SALT), le démocrate donne l’illusion à Moscou d’un rapport de forces symétrique. Or, les raisons du déploiement des SS-20 de même que les livraisons d’armes au Maghreb sont la preuve que les Soviétiques raisonnent, eux, à l’échelle euro-méditerranéenne et qu’ils cherchent à éviter toute position d’infériorité en matière d’armement en profitant des possibilités que leur offre le pourtour méridional de l’Europe. On considère à Paris que les Occidentaux doivent raisonner à la même échelle pour préserver leur sécurité.
42L’une des principales manifestations de cette divergence d’appréciation de la menace périphérique est le conflit du Sahara occidental, qui oppose à partir de novembre 1975 le Maroc et la Mauritanie aux combattants indépendantistes sahraoui du Front Polisario et à leur soutien algérien. Le moins que l’on puisse dire est que le syndrome de Suez se manifeste avec éclat dans cette guerre54. Bien qu’officiellement neutre, la diplomatie giscardienne a bien du mal à cacher sa préférence pour le camp mauritano-marocain. Surtout, elle voit dans Boumediene un héritier de Nasser et craint de devoir intervenir sans que les États-Unis ne lui apportent leur soutien alors qu’Alger bénéficie de l’appui de Moscou. Lorsqu’en décembre 1977, Giscard d’Estaing décide de l’opération « Lamantin » visant à libérer les otages français détenus par le Polisario, l’attitude timorée de Carter à l’égard de « l’impérialisme algérien55 » est bel et bien vécue à Paris comme une rémanence de 1956 : Washington reste en retrait, alors que l’Algérie se met au service de l’objectif soviétique du découplage euro-américain, démultipliant les effets des SS-20 sur le cercle d’intérêt immédiat.
43L’effort français en matière d’expertise des intentions de Moscou dans cet espace en est alors décuplé. Il a pour corollaire de donner de la France l’image d’un pays en première ligne dans la nouvelle guerre froide, ce qui se traduit par un net refroidissement de ses relations avec le Kremlin jusqu’à la fin de l’année 1978.
44Certes, pareille attitude doit être comprise comme une manière de compenser les faiblesses américaines et de maintenir la stabilité du « pré-carré », et non comme une offensive à l’encontre de l’URSS et de ses clients. Mais ce souci de rééquilibrage ne va pas sans contradictions. Lorsque, le 20 mai 1976, Giscard d’Estaing annonce que la France est prête à envoyer une force d’interposition au Liban, il le fait sans consulter l’URSS, alors que le Liban se situe dans la zone de contact Est-Ouest en Méditerranée et non dans le premier cercle français. Cela vaut au président non seulement l’hostilité de toutes les forces en présence, en particulier de la gauche libanaise et de l’OLP, mais aussi des pays du pacte de Varsovie, qui l’accusent de pratiquer un « impérialisme qui internationalise le conflit56 ». La France se retrouve, de la sorte, mise sur un pied d’égalité avec les États-Unis et Israël, preuve que la politique giscardienne de partage des tâches avec les Américains en Méditerranée orientale a fonctionné jusque-là, mais qu’elle doit désormais se donner les moyens de contrebalancer leur vision globalisante et le « benign neglect » dont elle les accuse.
Fig. 2. – La guerre froide en Méditerranée dans la deuxième moitié des années 1970.

Source : N. Badalassi, Made with Khartis.
Une expertise de la menace toujours en construction
45On l’aura compris, la vision de la politique soviétique que développent Giscard d’Estaing et son entourage dans la deuxième moitié des années 1970 repose sur l’idée que c’est par la recherche immédiate de nouveaux points d’appui en Méditerranée que l’URSS pourra, à terme, affaiblir l’encerclement occidental et parvenir au découplage transatlantique. Cela ne signifie pas forcément une offensive généralisée des Soviétiques, bien que le doute demeure parfois.
46Ce doute, justement, est l’une des clés de compréhension de la quantité phénoménale de documents produits par les acteurs de la diplomatie et du renseignement occidentaux dans le bassin méditerranéen après 1975. Avec la dégradation du climat international, l’incertitude s’avère trop dangereuse pour être négligée. Après tout, l’activisme des responsables militaires soviétiques et les initiatives diplomatiques de Brejnev et Gromyko sur la neutralisation et le désarmement ne donnent-ils pas l’impression d’une politique concertée ? La richesse du débat historiographique actuel sur les intentions de Moscou prouve à quel point l’équivoque a pu être importante à l’époque des faits.
47Du côté français, ces documents – centrés sur le cercle euro-maghrébin « d’intérêt immédiat » – et les interrogations qui les ont suscités s’avèrent des sources de premier plan dans la perspective d’une histoire affinée et décentrée de l’expertise de guerre froide et des circulations Est-Sud en contexte de crise. Leur apport principal vient du fait qu’ils mettent constamment en relief le processus de diversification des acteurs de la guerre froide dans l’espace méditerranéen, et en particulier le rôle nouveau des « démocraties populaires », jusqu’alors secondaire.
Les circulations Est-Sud au cœur de l’expertise française
48Dans le discours qu’il prononce lors de la revue des troupes qu’il effectue à Toulon en juillet 1976, Valéry Giscard d’Estaing fait de la Méditerranée « le centre de gravité » et « le point d’intersection » des axes Est-Ouest et Nord-Sud de la politique extérieure française57. L’idée de carrefour telle qu’elle est exprimée alors par le président est tout sauf abstraite. Il suffit de consulter les archives du Quai d’Orsay consacrées aux relations de la France avec les pays du pacte de Varsovie dans la deuxième moitié des années 1970 pour s’en convaincre. Plusieurs milliers de télégrammes, dépêches, notes et rapports sont produits par les ambassades de France du bloc de l’Est et du monde arabe à partir du milieu de la décennie, dans des proportions qu’on ne retrouve pas pour les périodes précédentes, en dépit d’une progression constante depuis les années 196058. Nombre de ces documents figurent également dans les archives de l’Élysée, prouvant qu’ils sont remontés jusqu’au président de la République, avec d’autres analyses émanant du SGDN. L’idée générale qui s’en dégage est que les relations entre l’Europe communiste et l’Afrique du Nord connaissent un essor exceptionnel dans le contexte de la reprise des tensions Est-Ouest, de la multiplication des conflits africains et du rapprochement israélo-égyptien. Cette période voit effectivement l’URSS s’appuyer davantage sur ses alliés centre-européens pour assurer la présence et le rayonnement du bloc soviétique dans le Tiers Monde, et en particulier dans le monde musulman59, si bien qu’on a pu parler de « marges impériales » pour traduire le phénomène d’amplification des relations entre les satellites de Moscou et le Maghreb60. Si l’expression n’est pas idéale – la politique extérieure de la France ne vise pas à affirmer une domination tous azimuts sur l’Afrique du Nord – elle a l’intérêt de mettre en exergue l’idée d’une interaction croissante entre les cercles d’influence français et soviétique qui pousserait Paris à conceptualiser sa façon d’appréhender la menace pour mieux s’en prémunir. Mais s’agit-il vraiment d’une menace ? La diversification des acteurs de la coopération Est-Sud au sein du pacte de Varsovie n’est-elle pas au contraire un signe de l’émancipation des pays satellites vis-à-vis de l’URSS ? Ou bien existe-t-il un partage des tâches, implicite ou explicite, entre les Soviétiques et leurs alliés ? Ces questions sont au cœur des préoccupations françaises à l’heure où le conflit du Sahara attise la demande en armes au Maghreb et où même les pays modérés comme le Maroc et la Tunisie adoptent une attitude critique à l’égard de l’Égypte et des États-Unis.
49Ces interrogations ont pour effet immédiat, au moment où elles sont posées, de susciter une remarquable évolution qualitative de la collecte et de la mise en forme des données ayant trait aux circulations entre les espaces centre-européen et nord-africain. La circulation des savoirs et des techniques, des experts (techniciens, enseignants, étudiants, militaires), des biens et des matières premières (armements, produits agricoles, industriels et miniers) est scrutée et présentée à l’aide d’outils scientifiques plus diversifiés. Certes les comptes rendus au jour le jour forment le gros des documents, mais s’y adjoignent désormais tableaux statistiques, diagrammes, schémas et cartes, qui témoignent tant de la nécessité de recourir à des données précises que de la modernisation progressive des instruments d’analyse mis à la disposition des postes diplomatiques français.
50Se forge ainsi une expertise des circulations euro-méditerranéennes susceptible de parer aux défaillances des Américains mais aussi de les aider à renouer avec des chiffres crédibles sur la pénétration soviétique dans le bassin. Cette expertise est d’abord le fait des chargés d’affaires et des attachés militaires, dont les observations quotidiennes des ports et aéroports, la lecture assidue de la presse, les échanges avec leurs homologues – de l’Est, de l’Ouest ou nord-africains –, les discussions avec les diplomates de leurs pays d’accueil et les rencontres avec les coopérants (français mais pas seulement) constituent les principales sources. Mais elle est aussi due, on l’a vu dans le chapitre précédent, au développement de liens plus structurés entre l’appareil de décision français et la recherche scientifique : en 1978, le directeur du CAP Thierry de Montbrial entame le processus de création, avec le soutien de J.-M. Soutou, de l’Institut français des relations internationales (IFRI), véritable « boîte à idées » du Quai d’Orsay61.
51La quantité pléthorique de ces documents invite à s’interroger sur l’effet d’optique que ce trop-plein de sources peut créer en laissant penser à une généralisation des échanges entre le bloc soviétique et le Maghreb et à leur spontanéité, comme si l’essor de la mondialisation dans les années 1970 rendait inéluctable n’importe quelle interconnexion spatiale. Le risque de tomber dans ce travers de l’histoire globale qui consiste à conférer une trop grande attention au moindre flux est d’autant plus grand pour cette époque que la concomitance avec la reprise de la guerre froide remet au centre du jeu toutes les composantes de la rivalité Est-Ouest, de la course aux territoires à la compétition scientifique et technologique. La question des transferts de connaissance et de la circulation des savoirs acquiert, dans ce cadre, une importance démultipliée. Ainsi, bien que les multiples descriptions détaillées et chiffrées de la vie quotidienne des conseillers militaires soviétiques, des ingénieurs hydrauliques hongrois, des enseignants roumains, des entraîneurs sportifs polonais et des médecins tchécoslovaques installés en Algérie et en Tunisie, de même que les nombreux rapports sur la formation des étudiants maghrébins à Moscou, Prague ou Budapest constituent des sources de premier plan pour cartographier les circulations Est-Sud, l’obsession française du cercle « d’intérêt immédiat » ne biaise-t-elle pas en partie le jugement des observateurs et ne tend-elle pas à en amplifier l’enjeu de guerre froide ?
52Sans surprise, la question se pose particulièrement en ce qui concerne l’Algérie, incarnation, s’il en est, de l’obsession du « pré-carré ». Durant la décennie 1990, les historiens de la politique extérieure française ont déjà pointé du doigt une certaine propension à exagérer la présence des ressortissants du bloc soviétique en Algérie et ont relativisé l’effet délétère que cela pouvait avoir sur les relations de Paris avec Moscou et Alger après la guerre des Six Jours62. Les recherches menées depuis les années 2000 vont dans le sens inverse, estimant que les diplomates et attachés militaires français n’auraient pas surestimé le poids de l’URSS et de ses alliés en Algérie et dans le reste du monde arabe durant la décennie 1970 : non seulement ce moment correspond au développement exponentiel des flux d’étudiants maghrébins vers l’Europe orientale et d’enseignants soviétiques au Maghreb63, mais on assiste à une réelle accélération de la coopération militaire algéro-soviétique après 197564.
53Il convient, pour dépasser ce débat, de faire la part des choses entre ce qui relève de la coopération économique classique et ce qui a trait aux enjeux de sécurité, mais aussi de distinguer les objectifs de l’URSS de ceux de ses satellites. En réalité, comme dans les années 1960, il n’y a pas de réelle inquiétude française vis-à-vis des échanges d’ingénieurs, d’étudiants, de médecins et de formateurs entre le bloc socialiste et le Maghreb : les difficultés linguistiques et les problèmes d’équivalences de salaires jouent largement en faveur de la France65. En outre, si l’on s’en tient aux chiffres de la période 1976-1980 et si l’on élargit à la Tunisie et au Maroc, on constate que ces circulations Est-Sud représentent certes des milliers de personnes et des millions de dollars66, mais qu’elles n’atteignent pas le niveau des échanges du Maghreb avec l’Europe occidentale et les États-Unis, notamment en matière d’aide au développement. Les tableaux de données sur les flux et types de marchandises échangées laissent à voir d’abord et avant tout une logique de complémentarité entre d’une part des économies maghrébines fondées sur l’agriculture et les exportations de matières premières et d’autre part des régimes centre et est-européens qui, pour la plupart, misent sur les produits manufacturés et les matériels industriels. Les choix des uns et des autres seraient avant tout guidés par un certain pragmatisme économique, les motivations politiques demeurant cantonnées à la marge.
54Surtout, la confrontation des rapports produits par les diplomates en poste en Afrique du Nord avec les analyses des ambassades françaises en Europe centrale et orientale laisse entrevoir une forme d’accomplissement d’un but à long terme de la politique gaullienne de détente : en optant pour une coopération active en Méditerranée, les satellites de l’URSS mettent en œuvre l’un des grands principes de l’Acte final d’Helsinki qui est que chaque pays européen a le droit de mener la politique étrangère qu’il souhaite, indépendamment des alliances militaires auxquelles il appartient. La dynamique des relations Est-Sud participerait de l’affaiblissement de la doctrine Brejnev et de la décomposition du mouvement communiste international. La direction d’Afrique du Nord-Levant se félicite ainsi de l’activisme déployé par Ceausescu pour tenter de résoudre la guerre au Sahara occidental et de son rôle d’intermédiaire entre Moscou et Le Caire à partir de 197767, tout comme elle apprécie le peu d’empressement des dirigeants polonais et hongrois à emboîter le pas à l’URSS dans sa condamnation des accords de Camp David68. Le Quai d’Orsay attribue donc une marge de manœuvre relative mais réelle aux pays satellites, que l’accès aux archives, notamment roumaines, permet désormais de confirmer, témoignant encore une fois de la montée en gamme de l’expertise française sur le fonctionnement du bloc soviétique69.
55De fait, si inquiétude française il y a, elle vient de la pression que le Kremlin pourrait exercer sur les « démocraties populaires » afin de les obliger à ne pas dévier de la ligne officielle du pacte de Varsovie70. De ce point de vue, la réunion des PC de Berlin-Est en juin 1976, durant laquelle Brejnev rappelle à l’ordre les dirigeants communistes et resserre la vis idéologique face à l’eurocommunisme, apparaît comme un signal assez net de la volonté soviétique de maintenir la cohésion de bloc. Symbole par excellence de l’action soviétique en faveur du statu quo en Europe, la Tchécoslovaquie concentre une bonne part des préoccupations françaises, non seulement parce qu’elle se montre – depuis l’avènement de Gustav Husak à la tête du parti communiste en 1969 – particulièrement loyale envers la politique étrangère du Kremlin mais surtout parce qu’elle reste l’un des principaux fournisseurs d’armes aux mouvements et régimes dits « révolutionnaires » en Afrique et au Moyen-Orient.
56Cette double logique de préservation du glacis et de poursuite des livraisons d’armements vers des espaces hautement conflictuels à la périphérie de l’Europe explique le haut degré d’expertise que la France tend à développer en matière d’analyse des flux de matériel militaire et des intentions qui les entourent.
Flux d’armements et évolution du non-alignement : les approches multiscalaires de la vulnérabilité en Méditerranée centrale
57Plus encore que pour les autres types de circulations, les livraisons d’armes du bloc de l’Est vers les pays arabes font l’objet, entre 1976 et 1979, d’une évaluation de plus en plus régulière et précise de la part du Renseignement militaire français. Les archives de l’Élysée, celles du Quai d’Orsay et, davantage encore, celles du Service historique de la Défense sont d’une telle richesse en la matière qu’on ne peut que se demander comment un tel niveau de précision peut être atteint en dépit du secret censé entourer un domaine aussi sensible : aux côtés des tableaux de données, classées en fonction du type de matériel et du pays de provenance, figurent des photographies – d’excellente qualité – de radars, de missiles, de navires de guerre, d’avions de chasse, ainsi que leurs manuels d’utilisation71 ! La répartition des rôles entre l’URSS, qui fournit essentiellement le matériel lourd et de précision, et les pays satellites, qui livrent des armements légers, des moyens de transport et des équipements techniques, y apparaît nettement72.
58L’essor que connaît l’espionnage technologique est pour beaucoup dans la constitution de cette mine d’informations. Mais c’est d’abord parce que les arrivées massives de matériel concernent un espace dont les Français sont particulièrement familiers que ces derniers peuvent affiner à ce point leur connaissance de la technologie de défense du bloc de l’Est. Outre le retour en force de sa Marine en Méditerranée, la France peut compter sur son importante représentation diplomatique à Alger et sur ses nombreux militaires en Libye, présents pour former les personnels locaux au maniement des matériels français. Tous sont aux premières loges pour assister au déchargement quotidien des navires soviétiques et constituent des acteurs de premier plan dans la collecte des renseignements.
59De façon peu surprenante, la question essentielle posée par les auteurs de ces documents est celle de l’utilisation de ces armes et des risques qu’elles représentent pour la stabilité du cercle français d’intérêt immédiat : certes elles permettent à l’URSS de bénéficier de points d’appui et de clientèles en Afrique du Nord, mais en quoi constituent-elles une menace réelle pour la France ? Répondre à cela nécessite de tenir compte de l’atmosphère d’insécurité grandissante qui caractérise la deuxième moitié des années 1970 et qui s’incarne dans la montée en puissance du terrorisme. En conférant une dimension inédite aux enjeux de guerre froide, ce climat rend plus dangereuses les exportations soviétiques dans cette partie de la Méditerranée, tout autant qu’il soulève le problème d’une quelconque emprise de Moscou sur ses clients. L’évaluation des intentions des uns et des autres reste donc une mission essentielle des services diplomatiques et de renseignement. De fait, l’enjeu pour l’historien est de sonder l’aptitude des experts français à prendre la mesure des logiques transnationales à l’œuvre et à appréhender la capacité des acteurs des relations internationales à s’émanciper du cadre traditionnel Est-Ouest.
60Dans cette dialectique, la Libye et l’Algérie jouent les premiers rôles : l’une et l’autre sont des plaques tournantes pour les armes soviétiques, qui transitent vers les combattants du Polisario, de l’Angola et du Tchad73. Si ces armes participent de la dilatation de l’espace méditerranéen de sécurité, il convient cependant, pour saisir leur poids dans la politique française de guerre froide, de se dégager du prisme « franco-arabe » adopté par la plupart des travaux francophones et d’inscrire l’analyse d’une part dans le cadre d’une approche transnationale des mouvements de contestation en Méditerranée et d’autre part dans le contexte de métamorphose du mouvement des non-alignés. Le croisement des deux montre à quel point la question des armes soviétiques touche la France beaucoup plus directement qu’il y paraît et accentue l’impression d’entremêlement des enjeux de politique intérieure et extérieure dans les années 1970.
61Ainsi, un accord est passé en novembre 1976 entre la Libye et l’Algérie pour armer, financer et entraîner les Bretons et, surtout, les Corses impliqués dans la lutte armée contre le gouvernement français74. Cette situation pose de nouveau la question des échelles de la guerre froide. On a ainsi affaire, avec la Corse, à un remarquable exemple de répercussion, à l’échelon local, du mouvement global et régional d’opposition Est-Ouest, un cas qui mérite d’être creusé au prisme de la mise en réseau des mouvements identitaires méditerranéens et du double contexte d’accélération de la mondialisation – qui accentue l’impression de dilution des identités – et de renouveau de la guerre froide, qui intensifie le climat de crise.
62L’accointance corse avec la Libye et l’Algérie n’a en effet rien d’étonnant : transparaît dans ce soutien la volonté de Kadhafi et du régime algérien de donner un tour concret à « la Méditerranée aux Méditerranéens » en portant assistance aux mouvements terroristes régionaux – palestiniens, basques, sahraouis – engagés dans le combat contre les « impérialismes75 ». Or, le FLNC (Front de Libération nationale corse), né en 1975, est un fruit de la mouvance contestataire soixante-huitarde dont la rhétorique, mélange de nationalisme et de marxisme, rejoint la conception extrême de l’indépendantisme telle que la défendent Alger et Tripoli76. Le calendrier du rapprochement n’est en outre pas anodin : le discours prononcé par Giscard d’Estaing à Toulon en juillet 1976, qui consacre le retour en force de la Marine française en Méditerranée, est perçu à Alger comme une manifestation de l’alignement français sur les États-Unis et marque le début d’une virulente campagne contre le « néo-impérialisme » de la France77. Nationalistes corses et dirigeants algériens partagent enfin une même aversion pour les Français d’Algérie (les « Pieds-Noirs »), dont l’arrivée massive en Corse après 1962 – entre 12 000 et 17 000 personnes – a bouleversé l’organisation économique de l’île, notamment dans sa partie orientale78. Pareille solidarité conforte l’idée, mise en avant dans le chapitre précédent, que l’essor des mouvements politiques ou religieux contestataires des années 1970 est le syndrome d’un mal-être qui contribue à l’impression générale de crise régionale. La question corse incarne ainsi, pour la France, la transposition à l’échelle nationale du processus de radicalisation d’un mouvement méditerranéen dans lequel les armes soviétiques jouent un rôle clé.
63Ce jeu d’échelles est important en ce qu’il permet de nourrir le débat sur les intentions soviétiques en Méditerranée et donne une idée de la pertinence de l’expertise française sur le sujet. La connaissance du processus de décision en URSS et des hommes qui y prennent part est désormais suffisamment mûre pour être confrontée à celle qu’ont les Français des régimes et dirigeants nord-africains. On trouve ainsi dans les télégrammes des directions d’Europe et d’Afrique-Levant une ébauche de prosopographie des personnalités soviétiques impliquées dans les affaires maghrébines, à l’instar du portrait du maréchal Ogarkov, chef d’état-major des armées79. Mis au regard des attentes des dirigeants algériens et libyens, ces portraits visent à déterminer si, oui ou non, les livraisons d’armes sont sciemment pensées par Moscou pour déstabiliser le premier cercle français et y encourager les luttes armées80. En ressort l’idée que ce sont Boumediene et Kadhafi qui cherchent à entrainer Brejnev dans une logique d’opposition avec la France, et pas l’inverse81.
64Giscard d’Estaing et Robin en sont intimement persuadés à partir du moment où, fin 1977, après la rupture des relations entre Alger et Le Caire et l’enlèvement de techniciens français par le Polisario, Boumediene manifeste sa volonté de compenser la perte des coopérants égyptiens et français en se tournant davantage vers l’Est. Pour le président français, les dirigeants soviétiques sont avant tout pragmatiques : ils répondent quand ils sont appelés, ce qui leur offre la possibilité de travailler au desserrement de l’étau otanien et « d’assurer en Méditerranée occidentale la protection arrière de leur flotte de guerre, qui croise surtout en Méditerranée orientale82 ». Autrement dit, les perceptions françaises de la relation soviéto-algérienne restent très proches du schéma qui prévalait au sein de la diplomatie gaullienne à propos de l’influence du Kremlin sur l’Égypte nassérienne : l’URSS n’a pas de véritable emprise sur la politique extérieure des régimes socialistes arabes ; elle agit avant tout en appui politique et matériel au service d’une cause qui lui échappe. Après tout, le fait que ce soit Oustinov, l’homme des SS-20, qui insiste auprès du Politburo pour répondre aux demandes nord-africaines de livraisons d’armes n’est-il pas la preuve que Moscou ne fait qu’obéir à son objectif à long terme de découpler l’Europe des États-Unis à partir du théâtre méditerranéen ? Une fois encore, les sources soviétiques ont confirmé cette vision des choses83.
65Il convient toutefois de ne pas trop sous-estimer les intentions soviétiques. Si les rapports de G. Robin, de J.-M. Soutou et de la direction d’Afrique-Levant parlent bel et bien de « menace » directe qu’exercerait l’URSS sur les intérêts immédiats de la France en Méditerranée, c’est parce que la menace existe vraiment à la fin des années 1970. Elle n’est cependant perceptible qu’en élargissant la perspective à l’échelle de tout le « premier cercle » et en inscrivant les initiatives algéro-libyennes dans le processus de mutation que connaît le mouvement des non-alignés.
66En effet, le centre de gravité du non-alignement bascule, entre 1976 et 1979, de la Méditerranée et de l’Asie, où il est apparu, vers l’Amérique latine. L’interventionnisme et l’influence de Cuba en Afrique, le rapprochement égypto-américain et l’attitude de l’Algérie et de la Libye traduisent l’émergence d’une faction pro-soviétique menée par le régime castriste et pratiquant une surenchère anti-occidentale84. Cette transformation a un fort impact sur les équilibres globaux et régionaux de la guerre froide et sur les politiques étrangères des puissances, dont la France. Sa politique africaine et son activisme dans le système de défense occidental en Méditerranée en font l’une des principales cibles de la mouvance pro-soviétique. Ainsi, en août 1976, les pays africains font insérer dans le communiqué final de la rencontre des non-alignés qui se tient à Colombo un paragraphe réclamant la mise en place d’un embargo contre la France en raison de ses ventes de réacteurs nucléaires et d’armements au régime d’apartheid sud-africain85.
67Mais si l’effet de cette mutation du non-alignement est fondamental pour la compréhension des enjeux français de sécurité à la fin des années 1970, c’est d’abord parce que cette évolution accentue considérablement la vulnérabilité de la Méditerranée centrale. D’une part, la Yougoslavie se retrouve en porte-à-faux vis-à-vis du reste du mouvement : son rayonnement global s’érode au profit d’un recentrement sur son environnement régional (la CSCE de Belgrade est un symbole de ce changement), validant tout autant la certitude gaullo-pompidolienne que le non-alignement n’est en soi pas viable que la conviction giscardienne selon laquelle la Yougoslavie a vocation à être une puissance du Nord. D’autre part, l’influence démesurée de Khadafi sur le Premier ministre maltais Dom Mintoff fait peser une dangereuse hypothèque sur la neutralité de Malte à l’heure où les troupes britanniques quittent l’archipel et où l’URSS est obnubilée par la recherche de points d’appui – les installations des chantiers navals de Malte sont comparables à celles d’Alexandrie86.
68Il ressort par conséquent des notes produites dans l’entourage de Giscard d’Estaing la crainte très prononcée que l’URSS puisse profiter de cette situation pour s’installer à Malte par Libyens interposés et pour prendre enfin pied en Yougoslavie87. À la différence de la Syrie, de l’Algérie et de la Libye, les forces navales soviétiques pourraient, à partir de l’Adriatique ou de Malte, menacer directement le système de défense de l’OTAN et, dans les Balkans, disposer de ravitaillement et de renfort par voie terrestre88. Le fait que les 15 et 16 novembre 1976, soit six mois après le départ des navires soviétiques d’Alexandrie, le secrétaire général du PCUS vienne s’enquérir en personne auprès de Tito des possibilités d’accès aux ports de Croatie et du Monténégro, qu’il range publiquement la Yougoslavie parmi les « pays frères » et qu’il esquive les remarques du maréchal sur la mise en œuvre de la CSCE suscite un véritable mouvement de panique en Europe occidentale et à Washington, où Kissinger vit ses dernières semaines en tant que secrétaire d’État89.
69Le niveau d’inquiétude est par ailleurs démultiplié par le désir d’Andropov et Souslov de consolider le glacis européen et de réaffirmer leur emprise sur le mouvement communiste international face à l’attraction chinoise et à l’influence de l’eurocommunisme italien. Or, précisément, qu’il s’agisse de Malte ou de la Yougoslavie, on est, dans les deux cas, aux portes d’une Italie fragilisée par une situation politique de plus en plus violente et où le parti communiste, à une marche du pouvoir, défend le tiers-mondisme et les bienfaits du neutralisme90. De fait, la cartographie de la menace, telle qu’elle émerge de l’analyse des documents diplomatiques français, place désormais la péninsule à l’interface des risques que la crise de la détente fait courir au bassin méditerranéen.
Fig. 3. – La Méditerranée centrale en 1976-1978 : la vulnérabilité du cercle français d’« intérêt immédiat ».

Source : N. Badalassi, Made with Khartis.
70Mais l’URSS est-elle vraiment prête à une intervention directe, et donc à risquer une guerre au nom de la lutte contre l’encerclement occidental et de la consolidation du statu quo européen ? Le sort de la Yougoslavie est, semble-t-il, le seul sujet de tension de l’espace euro-méditerranéen à propos duquel la question est directement soulevée par les Français dans la deuxième moitié des années 1970, probablement en raison de l’inquiétude créée par les événements d’Italie. Cet élément est à ce point essentiel qu’il justifie à lui seul la nécessité de revoir à la hausse le degré d’implication de la France dans la crise de la détente. Car c’est d’abord et avant tout à partir de la situation de vulnérabilité de l’espace adriatique que les acteurs de la décision française en viennent à penser le rapport des Soviétiques à la guerre, et plus précisément la place qu’occupe l’idée de guerre dans les orientations militaro-diplomatiques de l’URSS.
L’URSS prête à la guerre ?
71La question de la prédisposition soviétique au conflit constitue l’un des enjeux géopolitiques de la fin des années 1970 comme de l’historiographie contemporaine de la guerre froide. Les travaux fondateurs d’Irving Janis sur la « pensée de groupe », de Robert Jervis sur les perceptions de l’Autre et d’Alan K. Henrikson sur les « cartes mentales » se révèlent à cet égard fondamentaux pour comprendre la façon dont, avec le renouveau des tensions, les experts français ont cherché à saisir le rapport à la guerre des décideurs du Kremlin et à définir des réponses adaptées à l’idée qu’on pouvait se faire des représentations soviétiques91.
72Deux types d’archives, en France, contiennent suffisamment de réflexions sur le sujet pour être soumises à examen : les documents diplomatiques dévolus à l’Europe du Sud et de l’Est, et ceux émanant du ministère de la Défense. Transparaît dans les deux cas le désir de dresser la « carte mentale » des Soviétiques, bien que diplomates et militaires aient depuis longtemps développé deux approches différentes de l’URSS et de la menace qu’elle est susceptible de constituer.
73Domine ainsi chez les diplomates l’idée que tant que Brejnev sera là, la guerre restera en dehors de l’horizon d’attente du Kremlin : le secrétaire général a largement prouvé son attachement à la paix pendant les négociations de la détente, et notamment durant le processus d’Helsinki. Toute intervention directe en Yougoslavie ou même à Malte, deux pays membres de la CSCE, signifierait une remise en cause totale des apports de la conférence et de tout ce qu’elle représente pour la diplomatie soviétique, à savoir des années d’efforts pour parvenir à la consécration tant espérée du statu quo européen. On constate ainsi, de la part de l’Élysée comme du Quai d’Orsay, une certaine confiance en Brejnev quand il affirme que l’URSS veut la paix. Son rappel incessant des vingt-cinq millions de morts soviétiques de la Seconde Guerre mondiale, souvent perçu comme un effet de propagande dans les années 1960, est jugé à Paris avec de moins en moins de circonspection au fur et à mesure que progresse la détente et que les Français apprennent à connaître le successeur de Khrouchtchev. Cette tendance est très nette chez Giscard d’Estaing.
74Faut-il y voir une forme de naïveté ou une vraie compréhension de la sensibilité du dirigeant soviétique ? L’invasion de l’Afghanistan par l’Armée rouge et la remarque médiatisée de François Mitterrand sur « le petit télégraphiste » ont altéré le débat pendant au moins deux décennies, tant du point de vue français qu’international, comme si la logique décisionnelle présidant aux événements de décembre 1979 s’était appliquée à l’ensemble de l’ère Brejnev. Or, les témoignages d’interlocuteurs réguliers du secrétaire général dont nous disposons désormais92, de même que les travaux d’historiens, permettent aujourd’hui de dresser le portrait d’un homme profondément marqué par la guerre et sincèrement désireux de préserver la paix93. De fait, si Brejnev souhaite effectivement que l’URSS reprenne pied en Yougoslavie dans la deuxième moitié des années 1970, il ne prévoit pas de le faire par la force, mais de façon plus subtile, via l’obtention progressive de facilités navales sur l’Adriatique94. En outre, même affaibli par les mutations internes du mouvement non-aligné, Tito possède encore suffisamment d’autorité et d’aura à travers la planète pour dissuader Moscou de commettre l’erreur irréparable de s’en prendre à l’un des chantres du tiers-mondisme.
75Sauf qu’aucun des deux maréchaux – Brejnev obtient ce titre en mai 1976 – n’est éternel. Et leurs ennuis de santé, observés à la loupe par les Occidentaux, pèsent lourdement dans la balance dès lors qu’il s’agit, pour l’entourage de Giscard d’Estaing, de juger de l’avenir des relations Est-Ouest et de la Méditerranée centrale : qu’adviendra-t-il dans les cercles de décision de Moscou et de Belgrade après la disparition de ces deux vénérables garants de la stabilité ? L’URSS ne serait-elle pas tentée d’intervenir, au nom de l’équilibre européen, si les peuples yougoslaves se déchiraient après la mort de Tito ? Et si l’Alliance atlantique, à cause du découplage ou d’un refus de solidarité des États-Unis, s’avérait incapable de répondre à une crise de cette ampleur, la sécurité de l’Europe occidentale n’en serait-elle pas durablement affectée ? L’Italie puis la France, où des partis communistes prêts aux compromis pour accéder au pouvoir sont en rupture avec l’orthodoxie soviétique (le PCF abandonne la dictature du prolétariat comme finalité du parti en février 1976), ne deviendraient-elles pas les nouveaux points de mire du Kremlin ?
76Pareils risques supposent d’élargir la carte mentale aux responsables militaires soviétiques – dont le poids dans le processus de décision ne passe pas inaperçu à Paris – et à leur vision de la Méditerranée comme théâtre d’un affrontement direct entre les blocs. Le gigantesque exercice naval organisé par l’Eskadra du 4 au 17 septembre 1977 dans la zone comprise entre les Baléares et la Crète constitue à cet égard un véritable choc pour l’état-major français, qui y voit la preuve de la centralité de l’espace italo-adriatique dans la conception soviétique de la guerre95. En outre, les plans de guerre élaborés dans le cadre de la « doctrine Oustinov », qui incluent l’usage des SS-20, prévoient qu’une première offensive conventionnelle contre le bloc occidental ait pour objectif la prise de l’Italie puis de la France, après une soumission immédiate de la Turquie et de ses détroits96.
77Certes, les militaires français ne se sont jamais départis de leur attitude de défiance à l’égard de l’URSS et ont même été formatés pour cela : depuis les années 1960, la plupart des exercices d’envergure effectués par la Marine en Méditerranée simulent une guerre contre l’URSS. Cependant, la concomitance du redéploiement massif des forces vers Toulon avec la reprise globale des tensions confère une dimension nouvelle au point de vue de l’armée française. Les archives de l’antenne toulonnaise du Service historique de la Défense se révèlent en l’occurrence une véritable mine d’or en termes d’expertise de la menace et d’évaluation des intentions soviétiques. Plus encore que chez les diplomates, la question de savoir si les Soviétiques sont prêts à la guerre dans la deuxième moitié des années 1970 y relève de l’obsession : il faut dire que, dans la « souricière » méditerranéenne, les bâtiments français et soviétiques se toisent en permanence, entretenant une atmosphère relativement lourde, accentuée par le ballet des navires qui déchargent leurs armements en Afrique du Nord et par l’étroitesse de la partie centrale du bassin, autour du détroit de Sicile.
78Aussi ne doit-on pas s’étonner de voir à quel point les aspects psychologiques et humains sont présents dans les archives du Commandement pour la Méditerranée. À partir de 1976, de fascinants rapports sur le moral et les conditions de vie et de travail des marins soviétiques à bord des bâtiments de Méditerranée sont transmis aux officiers par le Deuxième Bureau de la Marine et donnent une idée très précise de l’état de l’Eskadra97. Tout est décrit avec force détails : les conditions de recrutement, la discipline, l’entraînement, les relations sociales, les divertissements, l’état de santé, la nourriture, les problèmes d’alcool, le rythme de travail, etc. Le tableau qui s’en dégage est celui d’une marine solide et puissante, où les hommes, habitués à un confort sommaire, sont tenus de manifester un patriotisme et un engagement de tous les instants, dans une atmosphère baignée de propagande marxiste-léniniste :
« Un circuit interne de radio diffuse de la musique populaire et classique, ainsi qu’une abondante propagande politique toute la journée et pour les anniversaires les voix enregistrées des parents souhaitant un prompt retour à leur marin chéri. […] Le bavardage, les jeux de cartes et autres activités frivoles sont mal considérés. […]
Les heures qui ne sont pas remplies par le travail de bord sont employées à l’étude de l’histoire soviétique et de la philosophie (de Lénine) ou à l’étude personnelle de spécialité. […]
Chaque année, en novembre, une compétition socialiste commence dans toute la Marine. Chacun, sur tous les navires, s’engage à atteindre un but politiquement avantageux durant l’année à venir. Par exemple, un marin peut promettre de lire trois cents pages de Lénine pour gagner son insigne de jeune socialiste. Quelle que soit la promesse, elle sera tenue, même si elle doit être bâclée. La pression politique ne s’affaiblit jamais. Les marins sont continuellement poussés à faire plus pour le parti98. »
79Il faut voir dans ces documents non seulement le résultat d’un travail minutieux d’observation et de collecte d’informations de la part des attachés de défense99, mais surtout le témoignage du sursaut psychologique qui accompagne le retour du risque de guerre. Si le but est clairement de cerner l’état d’esprit des marins et de mesurer leur degré de préparation à un conflit, la portée de ces rapports prend tout son sens lorsqu’on les met au regard de la crise que traverse alors l’armée française. René Girault et Robert Frank l’ont bien montré dans les années 1980 et 1990 : en période de crise internationale, la représentation de l’adversaire se fait au miroir de ses propres forces et faiblesses100. Or, dans un espace euro-méditerranéen où le neutralisme connaît son heure de gloire tout en penchant dangereusement vers l’Est, la multiplication des « comités militaires » dans l’armée française et la montée du « gauchisme » parmi les appelés créent au sein des états-majors français un profond sentiment de décadence que la diffusion régulière de rapports sur le haut degré de patriotisme des marins soviétiques ne fait qu’accentuer et qui décuple l’impression de puissance donnée par l’URSS.
80En résulte une propension, chez un certain nombre d’officiers des trois corps d’armée, à non seulement se plaindre du déclassement à l’œuvre auprès du gouvernement (ce que fait par exemple le général Jacques Mitterrand), mais aussi à agir directement auprès des représentants des États-Unis – militaires et diplomatiques – pour les convaincre de l’impérieuse nécessité de maintenir une défense occidentale de haut niveau en Méditerranée. Sur ce point, les archives du Département d’État américain sont éloquentes : la fin de la décennie 1970 est ponctuée de rencontres plus ou moins discrètes entre militaires français et diplomates américains, au cours desquelles les premiers regrettent le manque de fiabilité de leurs propres troupes, et ce alors qu’au même moment la diplomatie giscardienne déplore l’attitude changeante de Washington101. L’image de l’armée française dans les sources américaines en est d’autant plus détériorée que ces témoignages de gradés recèlent d’exemples de régiments où les hommes refusent de marcher au pas ou entonnent des chants antimilitaristes.
81Au total, en rendant possible une histoire des représentations et des mentalités au temps de la nouvelle guerre froide, l’exploitation approfondie de ces diverses sources permet de dégager le mécanisme perceptif qui instaure et entretient l’atmosphère de suspicion collective des relations Est-Ouest après 1976 et dont la France est partie prenante : celui-ci repose tant sur l’accusation mutuelle de défaillance que se lancent Français et Américains que sur le sentiment soviétique d’être cerné de toutes parts. Ainsi, comme l’a écrit Robert Frank, « la représentation de la réalité internationale, bonne ou erronée, crée elle-même de la réalité102 » : les cartes mentales qui découlent du cercle vicieux des misperceptions pèsent sur les décisions de politique étrangère tout autant que la réalité elle-même. En ce sens, malgré la conviction giscardienne que l’URSS n’est pas responsable de la crise de la détente, la « pensée de groupe » qui s’installe dans l’appareil militaro-diplomatique français à force de constats d’affaiblissement de la puissance américaine et de crise morale des troupes françaises nourrit la certitude que la force mentale des Soviétiques les rend disposés à se battre si nécessaire. En découle une ferme volonté d’imposer une autre réalité, fondée sur la nécessité de revenir à l’équilibre franco-américain initial sans pour autant endosser le costume de « cold warrior » en chef. La proposition de Giscard d’Estaing, à l’été 1976, « de faire entrer en action les adjoints militaires » dès lors que les Quatre du groupe de Bonn abordent la question yougoslave montre que la Méditerranée centrale est au cœur de ce paradigme103.
Le « moment Carter » de la diplomatie giscardienne et la réaffirmation de l’« autre Occident »
82L’attitude optimiste de Jimmy Carter, qui oblige la France à prendre les devants face à la percée soviétique dans son cercle d’intérêt immédiat, confère une dimension nouvelle à la posture d’« autre Occident » avec laquelle la diplomatie giscardienne cherche alors à renouer.
83Il convient de s’interroger sur le sens que revêt ce positionnement dans le contexte de crise de la détente. Initialement définie dans les années 1960 pour se démarquer des États-Unis et aborder les conflits de l’espace euro-méditerranéen autrement que par le prisme de la guerre froide, l’idée que la France puisse offrir une alternative crédible ne peut-elle pas être interprétée, dans la mesure où elle réémerge en réaction à la stratégie cartérienne du « benign neglect », comme un renversement de perspective, le signe d’un attachement à une lecture bipolaire des crises régionales qui, finalement, permettrait aux Français de justifier leur position diplomatique originale dans les rapports Est-Ouest ? Rien n’est moins sûr. Là encore, le raisonnement multiscalaire est essentiel à la bonne compréhension de la dialectique giscardienne des relations internationales : dans le droit fil des conceptions gaulliennes, celle-ci repose sur le principe que la détente globale n’est possible que si la sécurité régionale est assurée. Cela suppose le maintien d’un effort militaire occidental conséquent et la confiance dans les bienfaits de la négociation diplomatique pour résoudre les crises. Aussi, tandis que l’action extérieure de Valéry Giscard d’Estaing a souvent été taxée d’incohérence par les observateurs104, une certaine constance se fait jour dès lors qu’on examine, à la lueur de cette multiplicité d’échelons, les choix relatifs au pivot méditerranéen.
La diplomatie française entre tentation « kissingérienne » et renouveau de la démarche gaullienne
84Si en 1969 Henry Kissinger se définissait lui-même comme un « gaulliste américain », les grandes orientations de la diplomatie giscardienne à l’ère de la crise de la détente laissent transparaître, huit ans plus tard, une forme de « kissingérisation » de la posture française dans l’espace euro-méditerranéen, qui va de pair avec une tendance à renouer avec la pratique diplomatique gaullienne des origines de la Ve République. C’est en tout cas le sentiment qui se dégage d’une lecture décentrée des archives de l’Élysée et du Quai d’Orsay pour la période 1976-1979. En gardant à l’esprit que Giscard d’Estaing et son entourage ont cherché en permanence à compenser la fin de la realpolitik d’Henry Kissinger pour maintenir l’idéal de coopération transatlantique de 1974-1975, il est possible d’éclairer plusieurs des choix Est-Ouest de la France de la fin des années 1970 dans lesquels les observateurs puis certains historiens ont pu voir de l’improvisation ou, tout du moins, du pragmatisme. C’est principalement le cas en ce qui concerne la zone de haute vulnérabilité qu’est la Méditerranée centrale et en particulier l’Italie, à propos de laquelle on assiste à un spectaculaire changement de tonalité et qui constitue un point d’ancrage de l’engagement français dans le renouveau de la guerre froide.
85Si, à partir de la fin de 1975 déjà, Valéry Giscard d’Estaing se montre plus inquiet quant à la tournure prise par l’eurocommunisme, il entame à l’été 1976 une véritable offensive contre les communistes italiens, après que ceux-ci aient fait une nouvelle percée électorale aux législatives de juin (ils recueillent 34,4 % des suffrages contre 38,7 % pour la Démocratie chrétienne) : lors du sommet du G7 à Porto Rico en juin 1976, Giscard d’Estaing s’entend avec Gerald Ford, Helmut Schmidt et James Callaghan pour bloquer toute aide économique à l’Italie si des communistes devaient entrer au gouvernement105. Quelques semaines plus tard, le secrétaire général de l’Élysée, Claude-Pierre Brossolette, est missionné à Rome, auprès des dirigeants de la DC alors en pleine crise existentielle, pour les enjoindre de prendre des mesures susceptibles « de lutter et de battre le PCI106 ». La formation, le mois suivant, d’un « gouvernement de non-défiance » dirigé par Giulio Andreotti confirme cependant la faiblesse du parti centriste : composé uniquement de démocrates-chrétiens, le nouveau cabinet reçoit l’assentiment passif du PCI d’Enrico Berlinguer, qui s’engage à ne pas le faire tomber tant que ses décisions tiendront compte de l’avis des communistes107. Bien qu’il ne s’agisse pas tout à fait d’un « compromis historique », le PCI a désormais un droit de regard sur les affaires de l’État. Dans ce contexte et du fait de l’élection de Carter, la charge de Giscard d’Estaing contre le PCI atteint sa phase la plus virulente.
86Comme sur les autres problèmes du bassin méditerranéen, le président démocrate se montre en effet bien moins inquiet de l’avenir de l’Italie et de la portée de l’eurocommunisme que son prédécesseur ; il considère au contraire l’évolution idéologique des partis communistes ouest-européens comme un signe de l’irrésistible attraction exercée par le modèle démocratique occidental108. En mars 1977, Cyrus Vance annonce même que l’arrivée au pouvoir de l’union de la gauche en France ne poserait « aucun problème109 ».
87Ce positionnement gêne considérablement Valéry Giscard d’Estaing, soucieux avant tout de contrecarrer ses adversaires politiques et de les empêcher de recevoir un quelconque soutien des États-Unis110. En mai 1977, en marge du sommet quadripartite de Londres, le président français s’efforce ainsi de convaincre Carter de l’erreur que constituerait un appui, même passif, de Washington à l’union PS/PCF et du désastre que représenterait la participation des communistes à un gouvernement français : cela signifierait la victoire du neutralisme en Europe du Sud – car l’Italie et l’Espagne suivraient forcément le mouvement – et l’affaiblissement du système de défense atlantique111.
88L’argument d’une neutralisation possible du flanc méridional de l’Europe à partir de la France et de l’Italie n’est pas nouveau : il est celui que n’a cessé d’utiliser Kissinger pour dire tout le mal qu’il pensait de l’eurocommunisme. Aussi ne peut-on pas considérer le changement d’attitude de Giscard d’Estaing à l’égard de ce phénomène comme l’émanation de préoccupations électoralistes seulement. Certes les questions de politique intérieure occupent une place considérable dans la pensée giscardienne : l’offensive intervient après l’échec de la majorité présidentielle aux cantonales de mars 1976 et s’accélère avec le départ de Jacques Chirac de Matignon en septembre, avec la création du RPR en décembre et avec l’union du PS et du PCF dans la perspective des législatives de 1978, Giscard d’Estaing cherchant naturellement à ne pas laisser à son ancien Premier ministre le monopole de l’opposition à la gauche.
89Mais l’adoption d’une autre échelle d’analyse et la prise en compte de l’atmosphère d’incertitude et de neutralisme qui caractérise la période permettent une autre lecture de la mutation de la diplomatie giscardienne sur l’eurocommunisme. La crainte du découplage euro-américain à partir du théâtre méditerranéen pèse tout autant, sinon plus, que les questions électorales dans la réévaluation française. L’argumentaire sur le risque de neutralisation, replacé dans le contexte euro-méditerranéen des euromissiles, des SALT, de l’extension des MDC, de la vulnérabilité yougoslave et maltaise, et de l’ambition soviétique de parer à l’encerclement occidental et de reprendre la main au sein du mouvement communiste international, montre qu’il s’agit bien pour Paris de ramener Washington au schéma transatlantique de gestion des crises méditerranéennes qui prévalait en 1974-1975. Le président n’est ainsi pas le seul à vouloir convaincre les Américains d’être plus fermes envers le PCI et les dirigeants italiens : G. Robin et J.-M. Soutou, sans parler des militaires du SGDN, qu’on ne peut soupçonner de posture électoraliste, se montrent particulièrement inquiets à l’idée que le « compromis historique » se traduise par la formation d’un gouvernement de coalition DC/PCI à Rome112. Le Quai d’Orsay et le ministère de la Défense manifestent une réelle anxiété à l’idée que l’armée italienne, dont dépend une partie du système de défense aérienne français, soit affaiblie, et ce alors que les forces aériennes du pacte de Varsovie procèdent à un « très gros effort » dans le domaine de la guerre électronique, spécialement en ce qui concerne les systèmes de brouillage et de guidage laser, une technologie qui rend particulièrement vulnérable les forces navales occidentales113. Or, si le système de défense italien était fragilisé, les commandements OTAN stationnés dans la péninsule seraient retirés, le parapluie nucléaire américain s’affaiblirait. Dans ces conditions, la France ne bénéficierait plus de garanties sécuritaires suffisantes pour intervenir efficacement dans le règlement des crises régionales, surtout si le PCF accédait lui aussi au pouvoir.
90L’historiographie française des relations internationales a souligné combien ce moment de doute quant à la volonté des États-Unis de protéger l’Europe avait suscité de nombreux appels en faveur d’une défense européenne, surtout après les atermoiements de Carter au sujet de la fabrication de la bombe à neutrons114. Mais en se focalisant sur l’enjeu franco-allemand d’une possible entente nucléaire entre alliés du Vieux continent, elle a laissé de côté la dimension franco-italienne du problème. On a pourtant affaire à une tentative de transposition à cette échelle du schéma de sécurité régionale dont les fondamentaux avaient été définis par de Gaulle au début des années 1960. Comme le Général l’avait fait avec la RFA à la suite du refus d’Eisenhower et de Kennedy de mettre en œuvre son mémorandum sur la réforme de l’OTAN et après que McNamara ait envisagé la doctrine de la riposte graduée, la hantise du découplage et la vulnérabilité de l’espace italo-adriatique conduisent Giscard d’Estaing à vouloir ancrer fermement l’Italie à la France pour l’empêcher qu’elle ne dérive vers le neutralisme et afin de contrebalancer la fragilité de la dissuasion élargie américaine.
91Débute ainsi, dès le mois qui suit l’installation du gouvernement Andreotti, un cycle de consultations à haut niveau – qui sera poursuivi par François Mitterrand – visant à établir un front commun entre Paris et Rome sur les questions de sécurité en Europe et en Méditerranée115. La nomination au Palais Farnèse de François Puaux est à cet égard révélatrice de la démarche giscardienne. Homme de confiance de l’Élysée, celui-ci a joué, au cours des vingt années précédentes, un rôle clé dans la politique Est-Ouest de la France en tant que directeur d’Europe puis des Affaires politiques, mais aussi dans les questions méditerranéennes lorsqu’il était ambassadeur au Caire de 1968 à 1971. En s’appuyant sur ce diplomate chevronné, Giscard d’Estaing tente de compenser la difficulté à maintenir une direction multipartite de l’Alliance atlantique par un renforcement de la logique régionale sur la base d’un pilier bilatéral. Ce changement d’échelle est identique à celui qui, entre 1960 et 1963, avait permis de passer du projet de direction tripartite de l’OTAN au plan Fouchet et au traité de l’Élysée.
92Cependant, pour régionale qu’elle soit, la démarche franco-italienne obéit à un raisonnement méditerranéen plus encore qu’européen, tendant à prouver combien la seule logique continentale ne peut éclairer l’ensemble des choix de la France dans son environnement proche. En l’occurrence, Giscard d’Estaing se lance, avec Giulio Andreotti et son ministre des Affaires étrangères Arnaldo Forlani, dans une active politique à destination des neutres et non-alignés du bassin. On pourrait comprendre cette initiative comme une manière de répondre au débat d’idées qui traverse les opinions publiques française et italienne et en appelle à une « Méditerranée sans les Grands » : avec la reprise de la guerre froide, les idées du général Sallantin rencontrent un écho sans précédent et témoignent de la consolidation du courant neutraliste franco-italien dont les socialistes Jacques Huntzinger et Bettino Craxi deviennent deux autres figures de proue116.
93Mais si ce souci de satisfaire les attentes d’une partie de l’opinion éclairée ne doit pas être négligé, le choix d’une action bilatérale centrée sur la question de la neutralité comporte une tonalité de guerre froide assez nette : Giscard d’Estaing et Andreotti ont pour double objectif d’« occidentaliser » la « Méditerranée aux Méditerranéens » et de désolidariser l’URSS de ses clients de Méditerranée centrale.
94Le Quai d’Orsay et la Farnesina sont ainsi à l’origine d’un format de négociation inédit qui, entre 1976 et 1979, réunit la France, l’Italie, l’Algérie, la Libye et Malte dans le but d’offrir une garantie multilatérale à la neutralité de l’archipel maltais après le départ des Britanniques. Ces discussions témoignent de l’engagement très concret de la France dans la nouvelle guerre froide. Leur inscription dans la durée est un moyen pour Paris et Rome non seulement de donner un contenu à la coopération entre Méditerranéens, mais surtout de se prémunir contre une éventuelle tentative des militaires soviétiques de prendre pied à La Valette117.
95Il en va de même concernant la Yougoslavie, autre objet de préoccupations quadripartites qui devient une pièce maîtresse du dispositif franco-italien. Dans celui-ci, le traitement de la question yougoslave repose sur une entente à trois niveaux. Le premier de ces niveaux est bilatéral : l’Italie signe avec Belgrade le traité d’Osimo, qui en résolvant la vieille et épineuse question de Trieste, consacre la détente entre les deux pays118 ; Giscard d’Estaing est, quant à lui, le premier chef d’État français à se rendre en visite officielle en Yougoslavie. Les armées des trois États procèdent en outre à des échanges mutuels d’observateurs dans le cadre des mesures de confiance d’Helsinki119. Le deuxième échelon est européen : sous l’impulsion de Paris et de Rome, un rapprochement avec la CEE est initié par une déclaration commune entre la Commission, le Conseil européen et le gouvernement yougoslave le 2 décembre 1976, aboutissant à la signature d’un accord de coopération le 2 avril 1980120. Le troisième niveau est paneuropéen : Français et Italiens sont pour beaucoup dans le fait que la première réunion sur les suites de la CSCE se tienne à Belgrade121.
96Nouvelle étape d’un processus qui n’a cessé de prendre de l’importance depuis 1968, cet activisme va de pair avec les bouleversements internes au mouvement non-aligné : la Yougoslavie, en perdant le leadership des non-alignés, renforce son rôle de pivot régional et devient un outil de la guerre froide globale de la France dont la Méditerranée est le centre de gravité.
97En effet, il ne s’agit pas pour Paris d’ancrer la Yougoslavie à l’Ouest – ce qu’aurait voulu le ministère de la Défense122 – mais de s’en servir comme clé de voûte de ses relations avec le bloc soviétique et la Méditerranée : d’une part, en privilégiant la sécurité coopérative (CSCE, avantages commerciaux…) et en évitant de donner une publicité aux discussions alliées sur le sort du pays, on retire à l’URSS tout prétexte d’intervenir directement au nom d’un quelconque encerclement et on protège ainsi l’Adriatique d’une percée soviétique ; d’autre part – et c’est le quatrième niveau du dispositif de coopération avec les Yougoslaves – l’appui ouvert à la vision titiste de « la Méditerranée aux Méditerranéens » facilite le dialogue avec les autres non-alignés de la région. Belgrade demeure notamment un marchepied vers l’Algérie, avec laquelle la France entretient des relations exécrables. Tito joue par exemple les intermédiaires entre Giscard d’Estaing et Boumediene au moment de l’enlèvement des techniciens français par le Polisario en 1977123 ; le maréchal s’engage également auprès du président français à parler à Sadate et Kadhafi pour qu’ils agissent en faveur d’une baisse des prix du pétrole124. Plus largement encore, le rapprochement entre Paris et Belgrade favorise le dialogue avec la Chine populaire, de plus en plus présente dans les Balkans et considérée par le SGDN comme « l’allié objectif » de l’Occident dans cette région125.
98Au total, entre renouveau du modèle gaullien de sécurité régionale et désir de compenser la fin du pessimisme américain, la gestion franco-italienne des cas maltais et yougoslave montre à quel point la diplomatie giscardienne tente de renouer avec sa posture d’« autre Occident » à partir de 1976. De la même manière que Kissinger s’était efforcé de le faire dans la partie orientale du bassin, la crainte du neutralisme et celle du découplage la poussent à élaborer une véritable stratégie de désolidarisation de l’URSS d’avec ses clients de Méditerranée centrale. Celle-ci s’appuie sur un souci explicite d’utiliser les contradictions internes du mouvement non-aligné et, paradoxalement, confère à la France une image de championne de la neutralité. La politique de Giscard d’Estaing en matière d’armement et de désarmement participe de cette stratégie.
Giscard d’Estaing, Carter et le désarmement. La logique multiscalaire de la politique française d’arms control
99Les historiens ont pour habitude d’étudier la politique française en matière d’armement et de désarmement selon une logique de compartimentation géographique, avec d’une part les travaux portant sur le poids de la France dans les circuits commerciaux Nord-Sud et d’autre part ceux consacrés aux équilibres stratégiques et militaires Est-Ouest. De fait, les exportations d’armes françaises vers le Proche-Orient pendant la guerre froide ont fait l’objet de fines analyses, mais ne tenant pas compte des enjeux de la course aux armements puis de l’arms control126. À l’inverse, les études consacrées au positionnement de la France sur les MBFR, les SALT ou les euromissiles ont généralement considéré cette question indépendamment de la politique française de livraisons d’armes au Tiers Monde. L’adoption d’une perspective méditerranéenne conduit, on l’aura compris, à s’interroger sur la pertinence d’un décloisonnement des approches dès lors qu’il s’agit d’appréhender les réponses de la diplomatie giscardienne à la stratégie soviétique de contournement des intérêts occidentaux en Méditerranée, via les SS-20, les fournitures d’armes aux pays arabes et la recherche des points d’appui. Autrement dit, en quoi les choix de la France en termes d’armement et de désarmement obéissent-ils à une logique globale dont l’espace-monde méditerranéen serait le pivot ?
100Les initiatives soviétiques dans le bassin, perçues à Paris comme relevant d’un même objectif, jouent bien entendu un rôle clé dans ce décloisonnement de perspective. Cependant, les pratiques de Moscou n’ayant rien de nouveau si ce n’est leur amplitude, il semblerait, là encore, que ce soit l’activisme idéaliste de Carter qui mène Giscard d’Estaing à adopter une posture à la fois axiale – Est-Ouest et Nord-Sud – et compensatoire sur ces questions. Le président démocrate met en effet les deux pieds dans le plat dès le moment où il s’installe à la Maison Blanche : à ses yeux, les armes, quelles qu’elles soient, participent de la déstabilisation des relations internationales et accroissent le risque de guerre ; il estime donc nécessaire, pour lutter contre les dangers du surarmement soviétique et l’essor du terrorisme, non seulement de prohiber les essais nucléaires et d’aller plus loin dans la limitation des armements stratégiques et conventionnels, mais également de limiter les ventes d’armes des pays du Nord à ceux du Sud. Dès janvier 1977, Carter suggère que, pour montrer l’exemple, Américains, Britanniques, Allemands et Français parviennent à un premier accord dans lequel ils s’engageraient à restreindre considérablement leurs exportations, en particulier vers le Moyen-Orient127. Il souhaite que le matériel militaire ne puisse être livré qu’aux pays ayant conclu des alliances en bonne et due forme avec leur fournisseur.
101Si, à Paris, le choc est considérable, ce n’est pas seulement parce que la France est devenue le troisième exportateur mondial d’armes et que le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord représentent plus de la moitié des exportations françaises128, c’est aussi et surtout parce que cette proposition creuse le fossé spatio-temporel qui oppose désormais les visions française et américaine de la sécurité. L’idéalisme cartérien éclaire, par contraste, une position française qui, depuis de Gaulle et Pompidou, est restée la même : les armes ne sont pas une cause de conflit, elles n’en sont qu’un instrument ; quelle que soit l’échelle considérée, la détente politique et le règlement de la paix doivent précéder le désarmement, au risque sinon de créer une dangereuse situation de neutralisation qui peut, à terme, être fatale à une ou plusieurs des parties prenantes. C’est au nom de ce principe que, depuis 1968, la France a refusé de prendre part aux SALT et aux MBFR.
102En 1977, avec la percée soviétique en matière d’armements et l’essor tous azimuts du neutralisme, les propositions de Washington sont reçues avec un certain dédain par Giscard d’Estaing et ses conseillers – G. Robin et le conseiller aux affaires économiques Jean-Pierre Dutet –, dans la mesure où elles correspondent à une forme d’acceptation américaine du découplage transatlantique à partir du flanc le plus fragile de l’Alliance. Le schéma de désarmement qu’elles laissent entrevoir affecte en effet les trois échelles – nationale, régionale et mondiale – de la politique française de sécurité. En obtenant un accord sur la limitation des exportations d’armes duquel l’URSS ne serait pas signataire, qui ne viserait que les livraisons aux pays neutres et non alignés et qui ne serait pas lié à un règlement global de la question du Proche-Orient, les États-Unis obligeraient les adeptes du non-alignement à se tourner vers Moscou pour leurs achats, ce qui lui donnerait une position d’arbitre dans les conflits des périphéries méridionales de l’Europe. Et même si, pour faire bonne figure, Brejnev acceptait de prendre part à des négociations sur les limitations, les solutions est-allemandes et tchécoslovaques de substitution lui permettraient malgré tout de bénéficier de nombreux points d’appui en Méditerranée129.
103Grâce à ces armes, l’Algérie et, surtout, la Libye pourraient continuer d’entretenir les mouvements armés du bassin et déstabiliser l’Occident. Du fait de l’élargissement progressif des SALT et en particulier de l’insistance des deux Grands auprès de Paris pour que les forces stratégiques françaises y soient prises en compte, et avec la multiplication des projets (soviétique, espagnol, syrien, égyptien) de dénucléarisation de la Méditerranée, à l’affaiblissement des forces conventionnelles et nucléaires américaines s’ajouterait l’incapacité de la France à faire valoir sa stratégie de dissuasion dans un espace dominé par le terrorisme et par les flux d’armements venus de l’Est. Il suffirait que Brejnev parvienne à faire entériner son projet d’extension des mesures de confiance de la CSCE à tout le bassin pour couronner le tout130. Dans la mesure où pareille extension ne couvrirait que les pays membres de la CSCE et exclurait ceux de la rive Sud, les forces soviétiques installées en Algérie, en Libye ou en Syrie auraient un droit de regard sur les armées des pays de l’OTAN sans que cela ne soit réciproque. Le pire des scenarii serait atteint : la Méditerranée serait neutralisée, les États-Unis seraient découplés de l’Europe, soumise à la pression de ses adversaires de tous poils.
104On en revient ici au vieux dilemme de la diplomatie gaullienne : comment éviter un tel scénario sans donner l’impression que la France refuse le désarmement et sans se mettre à dos les non-alignés ? Le recoupement des sources françaises et américaines ayant trait aux questions transatlantiques, au désarmement Est-Ouest et aux affaires du Proche-Orient et de l’Afrique du Nord suggère que la diplomatie giscardienne élabore en 1977 une véritable stratégie de linkage qui témoigne de la nécessité d’élargir le champ d’analyse géographique des initiatives françaises en matière de désarmement à la fin des années 1970.
105Cette stratégie, dont Gabriel Robin semble être l’un des principaux artisans131, repose sur le principe, affirmé par Giscard d’Estaing devant l’Assemblée spéciale des Nations unies sur le désarmement en mai 1978, selon lequel les facteurs régionaux et internationaux de la sécurité sont indissociables : le désarmement doit engager tous les États, ce qui implique de le lier systématiquement aux négociations en faveur du règlement des conflits, quels qu’ils soient. Ainsi, la France dit pouvoir accepter des négociations sur la limitation des livraisons d’armes à condition que celles-ci soient accompagnées de discussions sur un règlement d’ensemble des questions proche-orientales, que l’URSS y participe et que l’on se dirige vers un désarmement qui ne se cantonnerait pas à la seule Méditerranée mais soit global132. Ce positionnement a pour triple avantage de donner à la France les moyens de s’impliquer de nouveau dans le règlement du conflit israélo-arabe, de l’aider à éviter le découplage transatlantique en travaillant à la désolidarisation soviéto-nord-africaine et de poser les bases d’une possible politique de coopération régionale avec l’URSS.
106Il est clair que, pour y parvenir, la diplomatie giscardienne profite de la situation créée par le renoncement de Sadate, fin 1977, à un accord de paix global qui aurait inclus tous les acteurs du conflit israélo-arabe133. En faisant reconnaître aux Soviétiques la communauté de vues franco-soviétique quant au bien-fondé d’un règlement d’ensemble au Proche-Orient, Paris prend l’URSS à son propre piège : aucune situation de crise ne doit être réglée de manière isolée et sans être insérée dans le schéma global du désarmement ; ce qui s’applique au Proche-Orient est valable ailleurs. Aussi convient-il de réinterpréter le discours de Giscard d’Estaing de mai 1978 et le projet de Conférence sur le désarmement en Europe (CDE) qui en résulte en redonnant toute leur place aux questions méditerranéennes. En proposant d’étendre les MBFR et les MDC aux trente-cinq pays de la CSCE134, c’est-à-dire en y incluant le territoire soviétique jusqu’à l’Oural – ce qui n’était pas le cas jusqu’alors135 – Giscard d’Estaing retourne contre ses instigateurs le projet soviétique d’étendre les MDC à toute la Méditerranée : l’URSS doit accepter que le désarmement conventionnel ne soit pas zonal, qu’il s’applique à elle-même comme à l’ensemble de l’espace euro-méditerranéen et que les uns et les autres aient les moyens de vérifier qu’il est bel et bien effectif. Ce n’est qu’une fois cette étape franchie que l’on pourra passer à un désarmement nucléaire global, mené dans le cadre des instances onusiennes appropriées. En attendant, la France s’oppose catégoriquement à ce que l’élargissement des SALT à l’océan Indien – vu à Moscou comme un moyen supplémentaire de parer à l’encerclement par les forces navales occidentales – ne conduise les deux Grands à comptabiliser les forces françaises dans les limitations d’armements stratégiques136.
107Avec cette proposition de CDE, qui ne deviendra concrète qu’en 1984, Giscard d’Estaing crée une solidarité de fait entre la sécurité en Europe et la sécurité en Méditerranée : il s’agit de dissuader l’URSS d’aller trop loin dans ses tentatives de découpler l’Europe des États-Unis par le sud et d’ainsi compléter le dispositif des SS-20. En outre, transparaît à travers ce plan la conviction française que les armes conventionnelles sont plus dangereuses pour la sécurité de l’espace euro-méditerranéen que les armes nucléaires, soumises à négociation à la fin du processus seulement. Le message aux non-alignés est clair : il ne pourra pas y avoir de dénucléarisation de la Méditerranée tant que le Kremlin n’aura pas accepté un désarmement conventionnel. De la sorte, les Français renvoient les militaires soviétiques à leurs responsabilités et sauvent la face vis-à-vis des non-alignés tout en évitant une neutralisation.
108Quant aux Américains, le linkage à la française les met aussi au pied du mur : on considère à Paris qu’en avalisant l’approche bilatérale voulue par Sadate et en s’abstenant de faire pression sur le gouvernement de Begin pour qu’il négocie également avec la Syrie et l’OLP, Carter ne fait qu’encourager Assad et Arafat à se tourner vers Moscou et, de ce fait, nuit à l’idée même de désarmement conventionnel global. Ainsi, dès la fin de l’année 1977, les combats reprennent au Liban sur fond de formation du « front du refus » ; après qu’un commando palestinien ait fait trente-sept victimes israéliennes, l’État hébreu lance l’opération Litani en mars 1978 et occupe tout le sud du Liban, obligeant le Conseil de sécurité à créer, sur initiative française, la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL). Dans ces conditions, Giscard d’Estaing juge trop risqué de laisser les Soviétiques inonder leurs alliés d’armements sans que l’Occident ne réagisse137, et ce d’autant plus que la France est sous le feu des critiques des organes du bloc de l’Est, qui l’accusent d’utiliser la FINUL pour internationaliser le conflit et s’en prendre aux combattants palestiniens et à la gauche libanaise138. C’est donc une fois encore en s’appuyant sur l’argument de la guerre froide que la diplomatie française justifie auprès des Américains ses livraisons d’armes en Méditerranée, qui dépassent en 1978 le précédent record de 1974 en termes de chiffre d’affaires139. Les modérés du cercle d’intérêt immédiat passent alors au premier rang des acheteurs. Située à quelques encablures de la zone de vulnérabilité italo-maltaise et cernées par deux voisins remuants, la Tunisie devient, avec le Maroc, le principal point d’ancrage maghrébin de la stratégie française de désolidarisation soviéto-nord-africaine : les armes françaises dans la zone doivent permettre de faire contrepoids à la prépondérance des armements soviétiques et aux usages qu’en font Alger et Tripoli ; ils sont aussi l’occasion de permettre à la France de glaner de nouveaux points d’appui sur la rive sud, à l’instar de ce que font les Soviétiques. Ainsi, outre la présence d’officiers formateurs, ces exportations sont complétées par l’envoi de troupes sur le terrain pour marquer l’engagement français à garantir la stabilité du Maghreb. En 1978, à la demande de Bourguiba, Giscard d’Estaing dépêche en Tunisie une cinquantaine de conseillers militaires pour répondre aux tentatives de déstabilisation orchestrées par Kadhafi140. Les autres pays du bassin ne sont pas oubliés pour autant, y compris l’Algérie et la Libye, auxquelles l’armée française continue de proposer des stages de formation dans le but assumé de faire pièce à la concurrence soviétique.
109Jusqu’à quel point l’argument de guerre froide est-il sincère ? Sous l’effet des critiques émises par la gauche, la fin des années 1970 voit réémerger le débat sur cette politique de « marchands de canon ». Et, en effet, les archives du Quai d’Orsay, de l’Élysée et du SHD, extrêmement fournies sur le sujet – les quantités et types d’armes livrées, les stages de formation, leur évaluation par les pays récepteurs font l’objet de documents détaillés –, montrent qu’à l’exception de J.-P. Dutet141, personne dans l’appareil de décision français ne songe à dissimuler l’importance de la dimension économique de ces exportations. Il faut dire qu’en 1978, même la CIA suspecte la France d’être avant tout guidée par le « business142 ». Cet aspect, souvent présenté de manière caricaturale, ne doit pas en dissimuler un autre : la guerre froide reprend de la vigueur alors que les difficultés économiques persistent et rendent de plus en plus difficile l’application des lois de programmation militaire destinées à créer une défense française forte et indépendante. Les exportations sont donc le seul moyen à la fois de couvrir les coûts croissants des systèmes d’armes, que l’étroit marché national ne peut amortir, et de compenser le « benign neglect » américain. Dans la mesure où l’impératif de défense aurait été moins urgent dans un contexte de détente Est-Ouest, ou du moins dans une configuration où les États-Unis se seraient fermement engagés dans la périphérie de l’Europe, l’argument de la guerre froide justifie bel et bien l’essor des exportations françaises d’armement à la fin des années 1970.
110Au final, le linkage multiscalaire de la diplomatie giscardienne aboutit à renvoyer dos à dos les conceptions américaine et soviétique de l’arms control, l’une fondée sur la priorité donnée au désarmement conventionnel sans règlement politique préalable, l’autre basée sur la dénucléarisation comme première étape de la sécurité. En proposant un schéma alternatif qui d’une part élargit la perspective géographique du désarmement et d’autre part lie le global au régional dans un calendrier d’ensemble, la France peut se targuer de se poser de nouveau en troisième voie. Néanmoins, cette troisième voie n’est en rien un juste milieu : la ferme volonté française de contrebalancer l’optimisme cartérien l’ancre résolument dans une logique occidentale. Ses livraisons d’armes, sa forte présence navale, sa coopération poussée avec l’OTAN, sa lutte contre le neutralisme et le non-alignement prosoviétique, son activisme dans le conflit libanais et ses interventions en Afrique donnent de la France une image de « cold warrior » qui explique la détérioration constante de ses relations avec l’URSS en 1977-1978. On peut même considérer cette période comme la plus froide jamais enregistrée dans les rapports franco-soviétiques depuis 1962, comme en témoigne la nette réduction des échanges diplomatiques entre l’Élysée et le Kremlin. Dans ce cas, pourquoi l’histoire a-t-elle retenu la ferme volonté de Giscard d’Estaing de s’accrocher à la détente dans les dernières années de son mandat ? À cette question, l’année 1979 est une réponse en soi.
1979 ou l’équilibre gaullien en trompe-l’œil
111Une année peut-elle être à elle seule un objet d’histoire ? Les historiens savent mieux que quiconque que les changements historiques s’inscrivent dans la longue durée et ne se produisent pas en quelques mois. Néanmoins, il existe des chocs, des crises, voire, pour reprendre la sémantique bourdieusienne, des « moments critiques » qui font qu’une période courte peut apparaître comme un tournant143. Cela suppose d’interroger la notion d’événement et ce qu’elle dit des sociétés qui les vivent et des chercheurs qui l’utilisent : un événement existe-t-il s’il n’est pas perçu comme tel par les contemporains ? La construction a posteriori, par les historiens, d’un événement n’est-elle pas qu’un simple moyen téléologique de mettre en perspective les basculements historiques et faciliter la mise en récit d’un objet de recherche ? Dans l’histoire du temps présent, l’année 1979 constitue probablement l’un des moments qui ont le plus suscité ce type de questionnements chez les historiens des relations internationales144. Il faut dire que les grandes problématiques du xxie siècle que sont l’essor d’un islamisme protéiforme, la « guerre contre le terrorisme », la crise énergétique, la montée en puissance de la Chine, les crises migratoires ou encore le retour de la Russie au Moyen-Orient n’ont cessé de renvoyer les observateurs aux événements de 1979, de l’établissement de relations diplomatiques entre les États-Unis et la Chine au second choc pétrolier, en passant par la révolution iranienne, la guerre sino-vietnamienne, le traité de paix israélo-égyptien ou la signature de SALT II. Dans cette logique, l’intervention soviétique en Afghanistan apparaît comme le point d’orgue d’une année riche en tournants structurels, dans lequel les historiens s’accordent aujourd’hui pour voir l’un des éléments clés de la chute de l’URSS et de la fin de la guerre froide.
112Appliquée à la politique extérieure française, cette grille de lecture d’une année 1979 comme tournant majeur des relations internationales révèle une impression criante de césure chez les acteurs du processus français de décision, comme en témoignent les notes éclairantes de Gabriel Robin, de Bruno de Leusse et de son successeur à Moscou à partir de mars 1979, Henri Froment-Meurice. Mieux, les événements qui se succèdent nourrissent l’idée que 1979 apparaît comme une nouvelle forme d’aboutissement de la logique gaullienne. Ce sont bel et bien ces événements qui, directement ou indirectement, aident la France à renouer avec une posture d’« autre Occident » au sens originel du terme, à savoir celui qui prévalait en 1967, au temps où de Gaulle se posait en champion de la solution à quatre au Proche-Orient, où la répression du printemps de Prague n’avait pas encore ébranlé les relations Est-Ouest et où la coopération franco-américaine reprenait de la vigueur sur fond de désaccords bilatéraux. De fait, cette idée d’aboutissement n’émerge qu’à condition, encore une fois, d’inscrire l’analyse dans une perspective euro-méditerranéenne.
113La manifestation la plus éclatante en est la spectaculaire amélioration des rapports franco-soviétiques entre les derniers mois de 1978 et le début de 1979, au point qu’à la veille de son départ de Moscou Bruno de Leusse écrit à Jean François-Poncet – qui a succédé à Louis de Guiringaud en novembre 1978 – que les relations entre les deux pays « n’ont sans doute jamais été meilleures145 ». Comment expliquer pareil renversement de situation ? Trois événements quasi concomitants doivent être considérés : Camp David et le traité qui en découle, l’établissement des relations sino-américaines, l’installation du régime des ayatollahs. Tous trois ont un double point commun : ils sont des signes de l’effritement de l’influence soviétique – au Moyen-Orient, dans le mouvement communiste international et à l’intérieur des frontières de l’URSS (du fait de la forte augmentation des populations d’Asie centrale, majoritairement musulmanes, le vieux cercle brejnévien craint que la révolution iranienne ne ravive la question des nationalités146) ; aucun d’entre eux n’est réellement une surprise dans la mesure où ils s’inscrivent dans un processus à long terme que la diplomatie française – il est important de le souligner – avait déjà envisagé, y compris le développement de l’islamisme. Cela conduit à relativiser l’impression de choc et peut expliquer que leur impact sur la relation franco-soviétique soit passé relativement inaperçu.
114On ne peut cependant négliger le sentiment d’humiliation qu’éprouvent Brejnev et son entourage. Ces derniers n’ont alors que peu de moyens de contrer les États-Unis et la Chine, si ce n’est tenter de séduire l’Inde ou les Européens. Parmi eux, bien que la RFA ait fait jusqu’alors figure de favori – l’amorce du débat ouest-allemand sur l’installation des Pershing jette un froid sur la relation entre Bonn et Moscou – la France a pour elle sa tradition d’indépendance diplomatique et le fait d’être une puissance nucléaire euro-méditerranéenne qui défend une position similaire à celle de l’URSS sur l’un des principaux enjeux de l’espace de contact Est-Ouest. La question proche-orientale devient ainsi, comme dans la deuxième moitié des années 1960, le terrain privilégié du rapprochement entre Paris et Moscou. Certes, une exploitation approfondie des documents soviétiques reste encore nécessaire pour déconstruire le mécanisme précis qui conduit le Kremlin à tendre de nouveau la main à la France, mais les nombreux verbatim d’entretiens disponibles dans les archives de l’Élysée et du Quai d’Orsay permettent de dresser un premier bilan de ce renouveau.
115En effet, alors que très peu de sources de cette nature portent sur la période des relations franco-soviétiques qui s’étend de l’été 1976 à l’automne 1978, Camp David et l’intensification des combats au Liban qui s’ensuit marquent clairement une césure. Les contacts se multiplient à tous les niveaux et à un rythme soutenu, et donnent naissance à un véritable appareil négociatoire multilatéral – ou plutôt formé d’une pluralité de bilatéralismes – qui inclut les représentants des pays arabes. Outre le retour des rencontres à haut niveau, que Giscard d’Estaing et Brejnev décident d’institutionnaliser en avril 1979147, cet appareil repose sur une diversité de canaux dont les plus actifs relient : l’ambassadeur français à Moscou avec ses homologues égyptien et syrien sur place, ainsi qu’avec M. Sytenko, directeur de la section du Proche-Orient au MID ; le très prolifique ambassadeur français au Caire Jacques Senard avec son homologue soviétique Vladimir Poliakov ; Jacques Kosciusko-Morizet et Anatoly Dobrynine à Washington. On notera également l’activisme, dans ce schéma multilatéral, de l’ambassadeur français à Damas Fernand Rouillon (1975-1981), de celui d’URSS à Beyrouth Alexandre Soldatov et du chef du département politique de l’OLP, Farouk Qaddoumi, en contact quasi permanent avec les uns et les autres. La période est enfin marquée par le poids croissant d’Evgueni Primakov dans la définition de la politique moyen-orientale de l’URSS : directeur de l’Institut d’études orientales de l’Académie des sciences à partir de 1977, cet expert du monde arabe devient l’un des principaux interlocuteurs de l’ambassade de France en 1979. Les centaines de rapports produits par ces canaux – les Soviétiques, les Syriens et les Égyptiens rendent compte aux Français de tous leurs entretiens mutuels – laissent à voir une source majeure de l’histoire des négociations au Proche-Orient à la fin des années 1970, au moment où l’URSS fait des pieds et des mains pour renouer avec l’Égypte et ne pas rester à l’écart du processus de paix148.
116C’est cependant en se détachant de l’enjeu strictement proche-oriental de ces archives et en considérant le contexte général des relations Est-Ouest que l’on peut saisir toute la portée de ces documents. Au-delà de la nécessité de parvenir à un règlement global des problèmes du Proche-Orient et du Liban en particulier, l’intérêt pour Giscard d’Estaing de saisir la main soviétique en privilégiant une approche faite de plusieurs bilatéralités est double. C’est d’abord une façon de travailler au découplage soviéto-arabe en s’immisçant dans la relation de Moscou avec ses clients régionaux, syrien et palestinien certes, mais également algérien et libyen. On constate ainsi la propension des Français et des Soviétiques à raisonner à l’échelle de tout le bassin méditerranéen et à étendre l’idée de solution globale proche-orientale au conflit sahraoui. L’URSS, à travers la voix du responsable de la première section africaine du MID M. Chvedov, promeut en l’occurrence l’idée marocaine d’un « grand Maghreb149 », auquel Giscard d’Estaing apporte son plein soutien. Le dialogue est alors facilité par la disparition de Houari Boumediene et son remplacement par Chadli Bendjedid à la tête de l’État algérien en février 1979, mais aussi par la dépendance toujours plus grande des pays du pacte de Varsovie aux phosphates maghrébins, la situation calamiteuse de l’agriculture soviétique ne lui permettant déjà pas de nourrir la population d’URSS sans recourir aux importations. Un « grand Maghreb » pourrait aider à la mise en place d’un système d’exploitation algéro-marocain des phosphates qui garantirait la stabilité à long terme de l’approvisionnement de l’Europe orientale.
117Transparaît ici le deuxième avantage, pour la diplomatie giscardienne, de répondre favorablement au souci soviétique de dialogue : cela permet d’étendre les discussions à d’autres sujets et de promouvoir de la sorte la conception française des rapports Est-Ouest fondée sur la sécurité coopérative. En même temps que les échanges économiques entre le Maghreb et le bloc soviétique participent du rapprochement Nord-Sud, le retour au dialogue favorise la convergence Est-Ouest par le biais d’un travail en commun de mise en œuvre des principes d’Helsinki, le règlement de cas humanitaires ponctuels et un effort en matière de diplomatie environnementale150. Autrement dit, la France prend le contrepied de la méthode Carter et prouve à Brejnev qu’elle ne partage pas la vision frontale de la guerre froide défendue par Washington.
118Il convient néanmoins de ne pas trop idéaliser la relation franco-soviétique qui s’instaure alors. En dépit de la chaleur des échanges entre représentants des deux pays, les initiatives du cercle brejnévien à l’égard de la France montrent que l’objectif d’un découplage transatlantique reste d’actualité en 1979. Le fait de miser sur le Proche-Orient comme principal terrain d’entente avec Paris et de reconnaître ouvertement que les responsabilités de la France dans la région relèvent d’une logique historique n’est pas anodin : cela témoigne de la volonté soviétique de tirer parti de la mésentente entre les deux principales puissances militaires de l’OTAN en Méditerranée à propos de la gestion de ce flanc fragile de l’Alliance. Le dispositif négociatoire franco-soviéto-arabe peut ainsi être lu comme une manière, pour Moscou, de forger un front commun contre les États-Unis et Israël. L’insistance toujours plus grande de Brejnev sur la nécessité de dénucléariser la Méditerranée et d’y étendre les MDC151, de même que l’absence des responsables de l’appareil militaro-industriel soviétique dans les discussions avec les Français constituent d’autres indices de taille quant aux réelles intentions de Moscou.
119Mis au regard des buts français, ce constat laisse donc à voir une tentative croisée de désolidarisation dont la Méditerranée serait le centre de gravité, ce qui conforte une fois de plus la thèse sur une URSS désireuse de desserrer l’étau naval occidental. Preuve que Brejnev est déterminé à aller dans ce sens : il donne son accord à un examen de la proposition française d’appliquer les MDC à tout l’espace européen, y compris au territoire soviétique152. Surpris par l’audace du secrétaire général, Giscard d’Estaing accepte d’introduire le « désarmement nucléaire » parmi les objectifs finaux du désarmement dans un communiqué commun avec l’URSS – ce qu’il se refusait à faire auparavant pour ne pas être pris au piège d’un désarmement bilatéral.
120Le risque de découplage demeure donc élevé et c’est bien pour le prévenir que le dialogue politique franco-soviétique s’accompagne, côté français, d’un effort supplémentaire en faveur de la modernisation des armes de théâtre et des missiles de croisière – déployés principalement sur les sous-marins d’attaque et les bâtiments de surface en Méditerranée – et d’un renforcement de la coopération avec l’OTAN, via notamment les accords Méry-Rogers qui visent à coordonner les tirs français et alliés en cas de décision simultanée d’emploi des ANT. Plus largement, il importe de prendre garde à l’effet d’aveuglement que peut provoquer une entente franco-soviétique fondée sur l’opposition commune à la politique américaine au Proche-Orient. Si, effectivement, Camp David constitue un point de désaccord entre Paris et Washington quant à la manière de régler le conflit israélo-arabe, Giscard d’Estaing peut se targuer d’avoir contribué à convaincre son homologue américain d’être moins souple sur certaines situations qui rendent la situation en Méditerranée périlleuse pour la sécurité de l’Occident. C’est ainsi le cas à propos de l’eurocommunisme, vis-à-vis duquel Carter adopte une position plus conservatrice dès le début de l’année 1978153. De même, la reconnaissance de la Chine populaire est un moyen pour les Américains de faire enfin contrepoids à l’influence soviétique dans le Tiers Monde. Au total, à la veille de l’intervention en Afghanistan, la diplomatie giscardienne est bel et bien parvenue à rétablir un équilibre Est-Ouest qui lui permet de demeurer un acteur incontournable de la sécurité dans l’espace euro-méditerranéen. Le défi que représente la « crise de la détente » semble avoir été relevé avec un certain succès.
121La situation demeure fragile cependant, parce qu’ancrée dans une époque où l’enchaînement des événements crée une incertitude permanente. Il n’est ainsi pas certain que cet équilibre eût été atteint sans cette exceptionnelle accumulation et sans ses conséquences sur la foi de l’URSS en son propre avenir. Car ce sont bien le doute et la peur du déclassement provoqués par ce « moment critique » qui sont à l’origine de l’ouverture soviétique vers la France. La connexion transnationale entre les chocs joue sans doute un grand rôle également : l’émergence simultanée de nouveaux acteurs internationaux, la montée en puissance du religieux, les bouleversements énergétiques et économiques créent une atmosphère de changement que les dirigeants soviétiques perçoivent sûrement. Mais la comprennent-ils ? Les travaux de V. Zubok ont montré que non154. Malade, Brejnev n’assiste plus aux réunions, a du mal à se déplacer et à s’exprimer en public et passe le plus clair de son temps à regarder la télévision ; autour de lui, la vieille garde du Politburo, dont l’âge moyen est de soixante-cinq ans, est certes plus alerte, mais n’en reste pas moins incapable de sortir de la logique du « socialisme développé » définie par le secrétaire général pour justifier l’absence quasi-totale de réformes structurelles dans les années 1970.
122Tandis que 1979 voit la mondialisation prendre une nouvelle dimension, l’inclination de ces fervents défenseurs du statu quo à saisir les mutations en cours paraît d’autant plus douteuse qu’à l’Ouest aussi, la période est marquée par l’incertitude, l’incompréhension et la crainte de l’avenir. Le second choc pétrolier y agit comme un véritable révélateur des angoisses collectives et, finalement, la même peur du déclassement peut expliquer l’empressement de Giscard d’Estaing et de ses conseillers à saisir la main tendue soviétique : non seulement une diplomatie active en faveur de la cause arabe peut faciliter les tractations commerciales sur les hydrocarbures et aider à atténuer la crise énergétique, mais le retour à un dialogue avec ce vieil adversaire aux contours bien identifiés qu’est l’URSS paraît avoir quelque chose de rassurant dans un contexte où la marche du monde semble s’accélérer. On voit ainsi en juillet 1979 le directeur de l’Institut soviétique de l’Économie mondiale et des relations internationales (IMEMO) et l’ambassadeur Froment-Meurice se rassurer mutuellement sur l’avenir du capitalisme et du communisme, comme si l’un et l’autre faisaient désormais partie d’un patrimoine socio-politique à préserver155. Certes, la France continue de dire sa volonté de dépasser la guerre froide mais celle-ci n’est-elle pas déjà en train de passer au second plan en 1979, dans un mouvement de convergence, non pas des modèles économiques, mais des incertitudes face à la mutation des relations internationales ? L’intervention en Afghanistan est au cœur de cette problématique et peut être interprétée comme une forme de réaction soviétique à la transformation du monde. Dans ce cas, cette ingérence ne pourrait-elle pas justifier une indulgence de Giscard d’Estaing ? Toujours est-il que pour une diplomatie giscardienne qui a réussi en 1979 à rétablir le schéma d’équilibre gaullien de 1967, l’événement a des relents de 1968. Le décentrement de l’analyse à l’échelle de la Méditerranée permet de prendre toute la mesure du tournant qu’il représente pour la relation franco-soviétique.
⁂
123Quel bilan tirer de la période 1976-1979 et de ce qu’elle dit de cette histoire décentrée de la guerre froide ? L’analyse contribue d’une part à affiner l’approche de la politique extérieure française à l’ère de la crise de la détente : elle met en avant l’implication active et précoce de la diplomatie giscardienne dans ce qui correspond à un véritable défi à la posture d’équilibre adoptée par Paris au milieu des années 1970. Le recoupement des sources désormais accessibles et leur ancrage dans une perspective euro-méditerranéenne des relations internationales permettent l’émergence d’un nouveau récit mettant davantage à l’honneur les responsabilités de la France dans la crise, sa capacité à y répondre et les visions qui en guident les dirigeants, à une époque où la perception/misperception des événements et le poids des considérations intérieures influent considérablement sur les processus de décision.
124L’examen, d’autre part, de la crise de la détente au miroir du regard méditerranéen de la France livre un éclairage de la période qui tend à confirmer la thèse d’une relativisation des responsabilités soviétiques et d’une relecture à la hausse de celles des États-Unis. La campagne électorale américaine de 1976 puis l’attitude de Carter rompent un équilibre plus que ne le font les SS-20 ou les livraisons d’armes aux pays arabes, et accentuent le risque de découplage permis par ces armes. Toutefois, le maniement des échelles d’analyse et la prise en compte de la diversité des situations géopolitiques qui composent le bassin méditerranéen ne doivent pas conduire à une incrimination systématique de Washington et à un renversement total d’approche. L’inébranlable attachement brejnévien à la réaffirmation du statu quo européen, la lourdeur bureaucratique de la machine soviétique et le poids de l’appareil militaro-industriel font peser sur l’espace italo-adriatique un danger qui fait de la Méditerranée centrale la clé de voûte de la politique française de sécurité sur le flanc méridional de l’Alliance atlantique : la déclinaison franco-italienne du schéma gaullien de coopération bilatérale et les initiatives en faveur de la Yougoslavie, de la Tunisie et de Malte témoignent du déplacement vers l’ouest d’un curseur pointé, dans la période précédente, sur Chypre et la Grèce. La crise de la détente participe ainsi d’une redéfinition spatio-temporelle de la menace qui soumet le territoire français à une pression inédite.
125En ce sens, le renouveau de la relation franco-soviétique en 1979 peut apparaître comme une trêve bienvenue, bien qu’elle soit chargée de faux-semblants et complète l’impression d’entre-deux que laisse l’étrange période entamée en 1976. Multiforme, cet entre-deux est en soi un objet d’histoire, caractérisé par une accumulation d’ambiguïtés – tels le neutralisme ou l’essor du transnational dans un monde encore marqué par la bipolarité – que le foisonnement de documents dont recèlent les archives françaises peut largement contribuer à éclairer. L’intérêt de pareille analyse est d’autant plus grand que ce moment de « ni détente ni tension » est éphémère ; il est même le dernier de l’histoire de la guerre froide. La crise afghane se charge effectivement de clarifier les choses, bien que son effet sur le bassin méditerranéen ne soit pas celui d’un renforcement de la bipolarité. Au contraire, la Méditerranée devient le théâtre des difficultés soviétiques à comprendre un monde en pleine mutation.
Notes de bas de page
1 Le déploiement des SS-20 à partir d’août 1976 dans la partie occidentale de l’URSS et ce alors que le traité SALT II est en cours de négociation (SALT 1 arrive à terme en 1977) constitue une surprise pour les pays de l’OTAN, à commencer par les États-Unis, dont les services de renseignement sont les premiers à tirer la sonnette d’alarme. Voir Haslam Jonathan, Russia’s Cold War: from the October Revolution to the Fall of the Wall, New Haven, Yale University Press, 2011, p. 303.
2 Ulam Adam B., Dangerous Relations: The Soviet Union in World Politics, 1970-1982, Oxford, Oxford University Press, 1983 ; Pipes Richard, US-Soviet Relations in the Era of Détente, Boulder, Westview Press, 1981; Gaddis John Lewis, The Cold War, Londres/New York, Penguin Books, 2005.
3 Garthoff Raymond L., Détente and Confrontation: American-Soviet Relations from Nixon to Reagan, Washington D. C., The Brookings Institution, 1994, p. 27-73.
4 Westad Odd Arne (dir.), The Fall of Détente: Soviet-American Relations during the Carter Years, Oslo, Scandinavian University Press, 1997.
5 Cœuré Sophie, « Communisme et anticommunisme », in Jean-Jacques Becker et Gilles Candar (dir.), Histoire des gauches en France, vol. 2 : xxe siècle : à l’épreuve de l’histoire, Paris, La Découverte, 2004, p. 487-506.
6 Besançon Alain, Court traité de soviétologie à l’usage des autorités civiles, militaires et religieuses, Paris, Hachette, 1976.
7 Young John W., « Western Europe and the end of the Cold War, 1979-1989 », in Melvyn Leffler et Odd Arne Westad (dir.), The Cambridge History of the Cold War, vol. III, op. cit., p. 289-310 ; Mitchell Nancy, « The Cold War and Jimmy Carter », in Melvyn Leffler et Odd Arne Westad (dir.), The Cambridge History of the Cold War, vol. III, op. cit., p. 66-88.
8 Zubok Vladislav M., « Soviet foreign policy from détente to Gorbachev, 1975-1985 », in Melvyn Leffler et Odd Arne Westad (dir.), The Cambridge History of the Cold War, vol. III, op. cit., p. 89-111.
9 Pour une analyse détaillée du débat sur la détente pendant la campagne électorale de 1976, voir Snyder Sarah B., « Through the Looking Glass: The Helsinki Final Act and the 1976 Election for President », Diplomacy & Statecraft, 21/1, 2010, p. 87-106.
10 Note de G. Robin, 11 février 1977. AN, 5AG3 984, États-Unis, 1977.
11 Haslam Jonathan, Russia’s Cold War, op. cit., p. 312-318 ; Zubok Vladislav M., A Failed Empire, op. cit., p. 247-254 ; Nation R. Craig, Black Earth, Red Star: A History of Soviet Security Policy, 1917-1991, Ithaca, Cornell University Press, 1992, préface.
12 Si, depuis les débuts de la Ve République, le secrétaire général du Quai d’Orsay ne bénéficie plus de la même autorité qu’auparavant, Soutou est suffisamment proche de ses ministres de tutelle successifs – L. de Guiringaud puis J. François-Poncet – pour peser sur un certain nombre d’orientations. Voir Soutou Jean-Marie, Un diplomate engagé. Mémoires 1939-1979, Paris, Éditions de Fallois, 2011, p. 515.
13 Soutou Jean-Marie, Un diplomate engagé, op. cit., p. 513-516.
14 « Louis de Guiringaud, homme d’État et Castelsarrasinois », La Dépêche du Midi, édition du Tarn-et-Garonne, 21 octobre 2019.
15 Parisi Ilaria, La France et la crise des euromissiles, op. cit.
16 Les SS-20 sont la version modernisée des systèmes balistiques de moyenne portée (MRBM) SS-4 et des systèmes balistiques de portée intermédiaire (IRBM) SS-5, respectivement d’une portée de 1 200 et 2 300 km et datant des années 1950.
17 Parisi Ilaria, La France et la crise des euromissiles, op. cit., p. 132.
18 Note de Gabriel Robin, 17 juin 1977. AN, 5AG3 1092, URSS, 1977.
19 Holloway David, « The Dynamics of the Euromissile Crisis, 1977-1983 », in Leopoldo Nuti, Frédéric Bozo, Marie-Pierre Rey et Bernd Rother (dir.), The Euromissile Crisis and the End of the Cold War, Washington, Woodrow Wilson Center Press, 2015, p. 11-28 ; Haslam Jonathan, « Moscow’s Misjudgement in Deploying SS-20 Missiles », in Leopoldo Nuti, Frédéric Bozo, Marie-Pierre Rey et Bernd Rother (dir.), The Euromissile Crisis and the End of the Cold War, op. cit., p. 31-48; Zubok Vladislav M., A Failed Empire, op. cit., p. 243.
20 Holloway David, « The Dynamics of the Euromissile Crisis », art. cité, p. 11-28 ; Haslam Jonathan, « Moscow’s Misjudgement in Deploying SS-20 Missiles », art. cité, p. 31-48.
21 Parisi Ilaria, La France et la crise des euromissiles, op. cit., p. 169-173 ; Soutou Georges-Henri, La guerre de Cinquante ans, op. cit., p. 598.
22 Note de G. Robin pour le président de la République, 26 mars 1979. AN, 5AG3 1094, URSS, 1979.
23 Khalidi Rashid, Sowing Crisis, op. cit., p. 35-39 et p. 109-110. Cette théorie avait déjà été défendue, dans les années 1970 et 1980, par Michael MccGwire, grand spécialiste de la stratégie navale soviétique. MccGwire Michael et McDonnell John (dir.), Soviet Naval influence: domestic and foreign dimensions. New York, Praeger, 1977 ; MccGwire Michael, The Genesis of Soviet Threat Perceptions, National Council for Soviet and East European Research, 1987.
24 Parisi Ilaria, La France et la crise des euromissiles, op. cit., p. 128.
25 Note de G. Robin, 26 mars 1979. AN, 5AG3 1094, URSS, 1979.
26 Zubok Vladislav M., A Failed Empire, op. cit., p. 243.
27 Entretien Giscard d’Estaing/Gromyko, 26 avril 1976 ; entretien Giscard d’Estaing/Tchervonenko, 23 septembre 1976. AN, 5AG3 1091, URSS 1976. Voir surtout l’entretien Giscard d’Estaing/Brejnev du 21 juin 1977. AN, 5AG3 1092, URSS, 1977.
28 Voir par exemple le télégramme no 2610-2621, de J. Martin, 31 octobre 1977. AMAE, Afrique-Levant 1944-1979, Méditerranée vol. 375 QO 371. Ou encore l’entretien Giscard d’Estaing/Brejnev, 28 avril 1979. AN, 5AG3 1094, URSS, 1979.
29 Télégramme no 2538-46, de la délégation française à Belgrade, 25 octobre 1977. AMAE, Afrique-Levant 1944-1979, Méditerranée vol. 375 QO 371.
30 Télégramme no 2931-45, 11 novembre 1977. AMAE, Afrique-Levant 1944-1979, Méditerranée vol. 375 QO 371.
31 Y est mis en scène le détournement de sous-marins britanniques et soviétiques au large de la Sardaigne par un mégalomane suédois – donc neutre ! – dans le but d’en utiliser les missiles nucléaires pour détruire l’humanité. Il est difficile de ne pas voir dans ce film, l’un des plus géopolitiques de la saga James Bond, une critique très occidentale des neutres et non-alignés, de leur volonté de refouler les grandes puissances hors de la Méditerranée et des risques – exagérés pour les besoins du cinéma – que la neutralisation d’un espace aussi central pourrait faire courir au monde. Témoignage d’une certaine nostalgie post-impériale britannique, l’enjeu est alors on-ne-peut plus d’actualité en raison du départ des troupes anglaises de Malte en 1978, symbole de l’effacement du Royaume-Uni dans la région.
32 Allison Roy, The Soviet Union and the Strategy of Non-Alignment, op. cit., p. 157.
33 Vaïsse Maurice, « Valéry Giscard d’Estaing de la défense de l’Europe à la défense européenne », in Serge Berstein et Jean-François Sirinelli (dir.), Valéry Giscard d’Estaing et l’Europe, 1974-1981, Paris, Armand Colin, 2005, p. 219.
34 Westad Odd Arne (dir.), The Fall of Détente, op. cit.
35 Voir notamment Young John W., « Western Europe and the end of the Cold War », art. cité, p. 289-310 ; Mitchell Nancy, « The Cold War and Jimmy Carter », art. cité, p. 66-88.
36 Cette zone représente en 1976 plus de 220 000 citoyens français, qui vivent principalement au Maroc, en Algérie, en Espagne et en Italie, et près de 20 % du commerce extérieur de la France. Note de la Division du Renseignement, Secrétariat Général de la Défense nationale, juin 1976. AMAE, Afrique-Levant 1944-1979, Méditerranée, 375 QO 371.
37 Boulaire Alain, La Marine française. De la Royale de Richelieu aux missions d’aujourd’hui, Paris, Éditions Palantines, 2011, p. 299.
38 Note de la Division du Renseignement, SGDN, juin 1976. AMAE, Afrique-Levant 1944-1979, Méditerranée, 375 QO 371 ; note de Jean-Marie Soutou, 23 ou 25 décembre 1977. AN, 5AG3 984, États-Unis, 1977.
39 Cohen Saul B., Geography and Politics in a World Divided, Oxford, Oxford University Press, 1963.
40 Entretien Giscard d’Estaing/Carter, 5 janvier 1978. AN, 5AG3 986, États-Unis, 1978.
41 Khalidi Rashid, Sowing Crisis, op. cit., p. 140-149.
42 Voir notamment les notes liées aux entretiens de Yasser Arafat à Moscou en 1978. Woodrow Wilson Center, Soviet Foreign Policy, note sur la rencontre entre la délégation de l’OLP et Brejnev, Ponomarev et Gromyko, 6-10 mars 1978, [https://digitalarchive.wilsoncenter.org/document/114537], consulté le 28/10/2022 ; note sur la visite d’Arafat à Moscou le 29 octobre 1978, [https://digitalarchive.wilsoncenter.org/document/114538], consulté le 28-10-22.
43 Document AS (77) 085, du Centre de situation OTAN, 17 mai 1977. AMAE, Afrique-Levant 1973-1982, Algérie, vol. 0035SUP/232.
44 Entretien Giscard d’Estaing/Tito, 6 décembre 1976. AN, 5AG3 1104, Yougoslavie, 1974-1981.
45 L’un des premiers plaidoyers de Giscard d’Estaing en faveur d’un « règlement d’ensemble » sur le Proche-Orient est adressé à Tito en décembre 1976. Entretien Giscard d’Estaing/Tito, 6 décembre 1976. AN, 5AG3 1104, Yougoslavie, 1974-1981.
46 Note de G. Robin, 11 février 1977. AN, 5AG3 984, États-Unis, 1977.
47 Note de G. Robin pour le président, 27 décembre 1977. AN, 5AG3 986, États-Unis, 1978.
48 Ce point de vue se retrouve notamment chez Jean-Marie Soutou, particulièrement critique à l’égard de Carter. Voir par exemple sa note du 23 ou 25 décembre 1977 (la date est partiellement effacée), AN, 5AG3 986, États-Unis, 1978.
49 Westad Odd Arne, The Fall of Détente, op. cit. ; Strong Robert, Working in the World: Jimmy Carter and the Making of American Foreign Policy, Baton Rouge, Louisiana State University Press, 2000.
50 Entretien Giscard d’Estaing/Brejnev, 21 juin 1977. AN, 5AG3 1091, URSS, 1976.
51 Note de G. Robin, 1er avril 1977. AN, 5AG3 984, États-Unis, 1977.
52 Note de la SDEO, 21 avril 1976. AN, 5AG3 1091, URSS, 1976.
53 Note de J.-M. Soutou, 23 ou 25 décembre 1977. AN, 5AG3 986, États-Unis, 1978.
54 Voir en particulier la note de G. Robin du 17 juin 1977. AN, 5AG3 1091, URSS, 1976 ; entretien Giscard d’Estaing/Carter, 5 janvier 1978. AN, 5AG3 986, États-Unis, 1978.
55 L’expression est employée par Gabriel Robin dans sa note au président du 30 décembre 1977. AN, 5AG3 986, États-Unis, 1978.
56 Dépêche no 597/EU, de Marcel Martin, chargé d’affaires à Prague, 20 août 1976. AMAE, Europe 1976-1980, Tchécoslovaquie, vol. 4702.
57 Revue de presse de la CIA, extrait du Boston Globe du 15 août 1976, p. 12. Archives de la CIA, doc. CIA-RDP79M00467A002500080005-2.
58 Voir en particulier, dans la série Europe 1976-1980, les cartons suivants : Hongrie, vol. 4488 ; Pologne, vol. 4600 ; Roumanie, vol. 4638 ; Tchécoslovaquie, vol. 4702. Dans la série Afrique-Levant 1944-1979, voir le carton Méditerranée, vol. 375 QO 371 ; et dans la série Afrique du Nord et Moyen-Orient, voir Algérie, 0035SUP/232.
59 Westad Odd Arne, Histoire mondiale de la guerre froide, 1890-1991, Paris, Perrin, 2019, p. 488.
60 Boisdron Matthieu et Bene Krisztián (dir.), Marges impériales en dialogue. Échanges, transferts, interactions et influences croisés entre les espaces post-coloniaux francophones et la périphérie soviétique européenne dans la seconde moitié du xxe siècle, Ploemeur, Codex, 2022.
61 Jansen Sabine, Les boites à idées de Marianne – État, expertise et relations internationales en France, Cerf, 2018.
62 Vaïsse Maurice, La grandeur, op. cit., p. 472.
63 Katsakioris Constantin, « Les étudiants de pays arabes formés en Union soviétique pendant la Guerre froide (1956-1991) », Revue Européenne des Migrations Internationales, vol. 32, no 2, 2016, p. 13-38.
64 Gridan Irina et Le Boulanger Gaëlle, « Une collaboration pragmatique et circonspecte : les relations militaires entre l’Algérie et l’URSS, de l’indépendance au début des années 1970 », Outre-Mers. Revue d’histoire, no 354-355, 2007, p. 37-61.
65 Voir par exemple la note no 633, d’E. d’Harcourt, 14 septembre 1975 et la note no 236, de P. Le Gourrierec, 7 mars 1980. AMAE, Europe 1976-1980, Tchécoslovaquie, vol. 4702.
66 Tandis que la Tchécoslovaquie ouvre en 1976 un crédit de 30 millions de dollars pour participer au développement de la Tunisie, on dénombre en Algérie, en 1978-1979, 3000 ingénieurs soviétiques, 600 techniciens, médecins et enseignants roumains, 235 experts hydrauliques hongrois. La plupart de ces coopérants sont accompagnés de leur famille. Le flux des étudiants maghrébins vers les pays de l’Est est équivalent mais les destinations sont moins diversifiées, l’URSS accueillant l’essentiel des effectifs (851 Algériens, 333 Marocains, 429 Tunisiens étudient dans les universités soviétiques en 1978-1979) ; la Hongrie octroie des bourses d’études et de formation spécialisée à 2 à 3000 Algériens en 1980, surtout dans les disciplines médicales, paramédicales et l’ingénierie. Note no 79, de R. Bressier, 7 février 1978 et note no 77, de R. Bressier, 1er février 1980. AMAE, Europe 1976-1980, Hongrie, vol. 4488 ; note no 1036, de Pierre Cerles, 19 juillet 1978. AMAE, Europe 1976-1980, Roumanie, vol. 4638 ; note no 228, de Philippe Rebeyrol, 19 avril 1979. AMAE, Europe 1976-1980, Tchécoslovaquie, vol. 4702.
67 Note de la direction d’Afrique du Nord et du Levant, 5 juin 1978. AMAE, Afrique-Levant 1973-1982, Algérie, vol. 0035SUP/232.
68 Le fait que 300 000 Juifs polonais aient émigré de 1947 à 1967 vers Israël en conservant des liens avec leur patrie d’origine conduit les dirigeants de la Pologne à adopter une politique arabe plus nuancée que le Kremlin à l’égard de l’État hébreu. Il en va de même pour la Hongrie, où la presse salue l’« événement historique » que constitue le « beau » discours de Sadate à la Knesset en 1977. Note no 96 de la SDL, 6 juillet 1979. AMAE, Europe 1976-1980, Pologne, vol. 4600 ; note de la SDL, 10 novembre 1978. MAE, Europe 1976-1980, Hongrie, vol. 4488.
69 Le fonds numérisé par le Wilson Center se révèle particulièrement riche à cet égard, [https://digitalarchive.wilsoncenter.org/collection/635/ceausescu-s-diplomacy-in-the-middle-east], consulté le 13-03-21.
70 Voir par exemple le télégramme no 665-673, de Brouste (Bucarest), 30 août 1977. AMAE, Europe 1976-1980, Roumanie, vol. 4638.
71 Ces documents sont notamment classés dans la série Afrique-Levant 1973-1982, Algérie, vol. 0035SUP/232. Voir par exemple le document de travail de la direction d’Afrique du Nord et Levant, 21 juin 1978. Voir surtout au SHD de Toulon les volumes 3S125, 3S126 et 3S127.
72 Note no 20/SGDN/DREG/GES, 21 mars 1979. AN, 5AG3 1094, URSS, 1979.
73 Note no 60040, SGDN/DREG, 19 octobre 1978. AMAE, Europe 1976-1980, URSS, vol. 4745.
74 Simons Geoff, Libya and the West. From Independence to Lockerbie, Oxford, Centre for Libyan Studies, 2003, p. 124.
75 Ibid., p. 123-131.
76 Le FLNC est issu de la fusion du Front paysan corse de libération (Frontu paesanu corsu di liberazione, FPCL) fondé en mai 1968, du Parti corse pour le socialisme (U partitu corsu pà u sucialismu, PCS) d’inspiration marxiste créé en février 1974 et de Ghjustizia Paolina (GP) né en mars 1974.
77 Télégramme no 1874, de Commines (Alger), 15 juillet 1976. AMAE, Afrique-Levant 1944-1979, Méditerranée, vol. 375 QO 371.
78 Pour une analyse des origines du régionalisme et du nationalisme corses dans leur contexte méditerranéen, voir notamment André Fazi, La recomposition territoriale du pouvoir. Les régions insulaires de Méditerranée occidentale, Ajaccio, Albiana, 2009.
79 Télégramme no 5586-88, de Leusse, 22 décembre 1977. AMAE, Europe 1976-1980, URSS, vol. 4745.
80 C’est le cas par exemple dans le télégramme no 236/239, de Commines, 25 janvier 1978. AMAE, Afrique-Levant 1973-1982, Algérie, vol. 0035SUP/232.
81 Dépêche no 1578/ANL, 19 décembre 1977, de S. Boidevaix (Varsovie) ; télégramme no 765-768, de M. Guillemand (Varsovie), 4 juillet 1978. AMAE, Europe 1976-1980, Pologne, vol. 4600.
82 Note de G. Robin, 17 juin 1977. AN, 5AG3 1091, URSS, 1976 ; entretien Giscard d’Estaing/Carter, 5 janvier 1978. AN, 5AG3 986, États-Unis, 1978.
83 Zubok Vladislav M., A Failed Empire, op. cit., p. 247-249 ; Khalidi Rashid, Sowing Crisis, op. cit., p. 35-39, 109-110.
84 Jakovina Tvrtko, « The Evolution of Yugoslav Non-alignment: How Yugoslavia Abandoned its Opposition to Neutrality », in Pascal Lottaz et Herbert R. Reginbogin (dir.), Notions of Neutralities, Rowman and Littlefield, 2018, p. 239-266.
85 Pierret Alain, De la case africaine à la villa romaine, op. cit., p. 165.
86 Note no 432, du service des Pactes et du désarmement, 19 octobre 1978. AMAE, Europe 1976-1980, URSS, vol. 4746.
87 Note de G. Robin, 17 mars 1977 et note no 101/EU, de la SDEM, 16 juin 1977. AN, 5AG3 1029, Malte, 1974-1981 ; note de la SDEM, 13 janvier 1976. AMAE, Afrique-Levant 1944-1979, Méditerranée vol. 375 QO 371.
88 Note de Jean-Philippe Lecat, 28 février 1977. AN, 5AG3 1092, URSS, 1977.
89 Toute une série de notes et de télégrammes tirent la sonnette d’alarme. Voir par exemple le télégramme d’Alain Pierret, du 16 novembre 1976, intitulé « le loup et le petit chaperon rouge », AN, 5AG3 1104, Yougoslavie, 1974-1981. Voir aussi la fiche no 2753/DEF/EMA/CERM/1/CD, Centre d’exploitation du renseignement militaire, 30 novembre 1976, AN, 5AG3 1104, Yougoslavie, 1974-1981. Sur les réactions britannique et américaine à la visite de Brejnev, voir Zaccaria Benedetto, « The European Community and Yugoslavia in the Late Cold War Years, 1976-1989 », in Wilfried Loth et Nicolae Păun (dir.), Disintegration and Integration in East-Central Europe, 1919 – post-1989, Baden-Baden, Nomos, 2014, p. 264-283.
90 Porte-parole de l’Élysée et futur ministre de la Culture (il le devient en 1978), Jean-Philippe Lecat est persuadé en 1977 que l’URSS entrevoit une attaque par voie terrestre de la Yougoslavie et de la Turquie, qui lui faciliterait l’accès à l’Italie puis à la France. Note de J-Ph. Lecat, 28 février 1977. AN, 5AG3 1092, URSS, 1977.
91 Janis Irving, Victims of Groupthink. A Psychological Study of Foreign Policy Decisions and Fiascos, Boston, Houghton Mifflin, 1972 ; Jervis Robert, The Logic of Images in International Relations, Princeton, Princeton University Press, 1970 ; Henrikson Alan K., « Mental Maps », in Michael J. Hogan et Thomas G. Paterson (dir.), Explaining the History of American Foreign Relations, Cambridge-New York, Cambridge University Press, 1991, p. 177-192.
92 Dobrynin Anatoly, In Confidence: Moscow’s Ambassador to Six Cold War Presidents, New York, Times Books, 1995.
93 Zubok Vladislav M., A Failed Empire, op. cit., p. 201-203 ; Morgan Michael Cotey, The Final Act. The Helsinki Accords and the Transformation of the Cold War, Princeton, Princeton University Press, 2018, p. 52-53 ; Raleigh Donald J., « “Soviet” Man of Peace: Leonid Il’ich Brezhnev and His Diaries », Kritika, 17/4, 2016, p. 842-845.
94 Le Kremlin ne prévoit effectivement pas d’intervention militaire en Yougoslavie. Voir les comptes rendus des réunions du Comité politique du pacte de Varsovie ainsi que les documents relatifs aux exercices militaires de l’organisation, collectés et mis en ligne par le Woodrow Wilson Center, [https://digitalarchive.wilsoncenter.org/collections/9?mode=list] (erreur en 2024), page consultée le 06-02-21. Voir aussi « Meeting of the Political Consultative Committee of the Warsaw Treaty Member Countries », 22 novembre 1978, History and Public Policy Program Digital Archive, Contributed to CWIHP by Ambassador Vasile Sandru from his personal files. Included in CWIHP e-Dossier no 24, by Mircea Munteanu, [https://digitalarchive.wilsoncenter.org/document/110836], page consultée le 06-02-21.
95 Bulletin de renseignements no 1/78, 2e bureau de l’état-major de la Marine, janvier 1978. SHD Toulon, vol. 3S127 ; note du général Vanbremeersch, général en chef de l’état-major particulier du président de la République, 11 octobre 1977. AN, 5AG3 1104, Yougoslavie, 1974-1981.
96 Rybas Svyatoslav, Громыко. Война, мир и дипломатия (Gromyko. Paix, guerre et diplomatie), Молодая гвардия, 2011, p. 439-445.
97 Ces rapports sont répartis dans différents numéros du Bulletin de renseignements publié chaque mois par le bureau Renseignement rattaché à l’état-major de la Marine. Ils sont conservés au SHD de Toulon sous les cotes 3S126 et 3S127.
98 Marine/État-major/Opérations/2e Bureau, Bulletin mensuel de renseignements no 6/77, juin 1977. SHD Toulon, vol. 3S127.
99 Il est précisé dans le Bulletin de renseignements de mai 1977 que « les principales observations ont été faites à l’occasion des visites effectuées par les bâtiments soviétiques dans les ports occidentaux, ou proviennent de diverses informations ouvertes publiées dans la presse soviétique ». SHD Toulon, vol. 3S127.
100 Girault René et Frank Robert (dir.), La puissance en Europe 1938-1940, Paris, Publications de la Sorbonne, 1984 ; Girault René et Frank Robert (dir.), La puissance française en question 1945-1949, Paris, Publications de la Sorbonne, 1988.
101 Télégramme 1976BORDEA A-8, 4 mars 1976, de Djerejian (consul des États-Unis à Bordeaux). ADEUS, P-REELS, 1976 ; télégramme A-11, de W. G. Marvin, Jr. (Bordeaux), 25 mai 1978. ADEUS, P-REELS, 1978.
102 Frank Robert, « Histoire et théories des relations internationales », in Robert Frank (dir.), Pour l’histoire des relations internationales, Paris, PUF, 2012, p. 73.
103 Note du directeur d’Europe, 2 septembre 1976. AN, 5AG3 1104, Yougoslavie, 1974-1981.
104 Cohen Samy et Smouts Marie-Claude, « Cohérence et contradictions d’un septennat », in Samy Cohen et Marie-Claude Smouts (dir.), La politique extérieure de Valéry Giscard d’Estaing, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1985, p. 13-17.
105 Heurtebize Frédéric, Le péril rouge, op. cit., p. 152.
106 Compte rendu de mission à Rome du secrétaire général de l’Élysée, 18 juillet 1976. AN, 5AG3/1015 Italie 1974-1976.
107 Heurtebize Frédéric, Le péril rouge, op. cit., p. 149-150.
108 Ibid., p. 199.
109 « Vance Is Said to Assure French Left on Policy », International Herald Tribune, 21 mars 1977.
110 Heurtebize Frédéric, « L’attitude du président Giscard d’Estaing face à l’eurocommunisme, 1974-1981 », art. cité, p. 69-84.
111 Entretien Giscard d’Estaing/Carter, 9 mai 1977. AN, 5AG3 984 États-Unis 1977.
112 Note de G. Robin, 27 décembre 1977. AN, 5AG3 986, États-Unis, 1978. Gabriel Robin dit, dans cette note, reprendre à son compte les analyses développées par Jean-Marie Soutou.
113 Bulletin de renseignements, bureau « Renseignements » de l’état-major de la Marine, mars 1977. SHD Toulon, 3S127 ; note de la Division du Renseignement, SGDN, juin 1976. AMAE, Afrique-Levant 1944-1979, Méditerranée, 375 QO 371 ; télégramme no 2422-2445, de F. Puaux (Rome), 23 octobre 1978. AN, 5AG3 986, États-Unis, 1978.
114 Vaïsse Maurice, « Valéry Giscard d’Estaing de la défense de l’Europe à la défense européenne », art. cité, p. 207-229.
115 Les comptes rendus de ces entretiens sont consultables aux archives nationales, sous la cote 5AG3 1016, Italie, 1977-1981.
116 L’année 1977 est, à cet égard, particulièrement riche en événements et en publications. On citera notamment Sallantin Xavier, « Des plaines du Nord aux rives de la Méditerranée : Défense et sécurité dans “l’Europe des contradictions” », Le Monde diplomatique, mars 1977, p. 2-3 ; « Défense nucléaire, indépendance et autogestion. Participation à un débat journalistique réunissant le général Buis, Jacques Huntzinger, Paul Virilio et le général de la Bollardière », Libération, 29 juin 1977, p. 4-7 ; « Socialisme et pouvoir nucléaire. Point de vue pour le journal », Le Monde, 31 juillet-1er août 1977, p. 5. Le succès de ces idées est tel que Charles Zorgbibe finit par publier un ouvrage dans lequel il les déconstruit pour mieux les réfuter : Zorgbibe Charles, La Méditerranée sans les grands ?, Paris, PUF, 1980.
117 Aux archives nationales, voir les volumes 5AG3 1016, Italie, 1977-1981, et 5AG3 1029, Malte, 1974-1981 ; aux Archives diplomatiques, voir Afrique-Levant 1944-1979, Méditerranée vol. 375 QO 371 ; Europe 1976-1980, Malte, vol. 4547, 4548, 4549.
118 Zaccaria Benedetto, « Yugoslavia, Italy, and European Integration: was Osimo 1975 a Pyrrhic Victory? », Cold War History, 20/4, p. 503-520.
119 Fiche no 1828/DEF/EMA/RE/RI.1, de la division RI de l’état-major des armées, 1er décembre 1976. AN, 5AG3 1104, Yougoslavie, 1974-1981.
120 Zaccaria Benedetto, « The European Community and Yugoslavia », art. cité, p. 264-283.
121 Pierret Alain, De la case africaine à la villa romaine, op. cit., p. 153.
122 La crainte du ministère de la Défense est que les armes françaises livrées à la Yougoslavie tombent entre les mains des Soviétiques si ceux-ci venaient à reprendre pied dans le pays. Fiche no 403 de la Délégation ministérielle pour l’armement, Direction des Affaires internationales, 1er décembre 1976. AN, 5AG3 1104, Yougoslavie, 1974-1981.
123 Compte rendu analytique des entretiens Giscard d’Estaing/Tito, 12-14 octobre 1977. AN, 5AG3 1104, Yougoslavie, 1974-1981.
124 Entretien Tito/Giscard d’Estaing, 6 décembre 1976. AN, 5AG3 1104, Yougoslavie, 1974-1981.
125 Note no 9, SGDN, département du renseignement et des études générales, 8 novembre 1978. AMAE, Europe 1976-1980, URSS, vol. 4746.
126 Frémeaux Jacques, « La France et les exportations d’armements au Proche-Orient de la fin de la guerre d’Algérie à la première guerre du Golfe », Revue historique des armées, no 246, 2007, p. 110-119.
127 Note de G. Robin, 28 janvier 1977. AN, 5AG3 984, États-Unis, 1977.
128 Frémeaux Jacques, « La France et les exportations d’armements au Proche-Orient… », art. cité, p. 110-119.
129 Cet argument est brandi par J.-P. Dutet dans sa note du 6 mai 1977, « limitation des ventes d’armements : proposition des États-Unis ». AN, 5AG3 986, États-Unis, 1978.
130 Télégrammes no 2538-45, 25 octobre 1977, et no 2610-2621, de J. Martin (délégation française à la CSCE de Belgrade). AMAE, Afrique-Levant 1944-1979, Méditerranée vol. 375 QO 371.
131 Voir notamment la note de G. Robin du 30 mars 1977, « limitation des ventes d’armes ». AN, 5AG3 984 États-Unis, 1977. Et aussi la note de synthèse de G. Robin du 17 juin 1977. AN, 5AG3 1092, URSS, 1977.
132 Entretien Giscard d’Estaing/Carter, 9 mai 1977. AN, 5AG3 984, États-Unis, 1977 ; note du ministre des Affaires étrangères au président de la République, 20 juin 1977. AN, 5AG3 1092, URSS, 1977.
133 À son arrivée à la Maison Blanche, Carter, désireux de rompre avec les méthodes de Kissinger, se prononce en faveur d’un accord de paix global au Proche-Orient qui impliquerait toutes les parties. Cyrus Vance estime nécessaire d’y associer les Soviétiques en raison de leurs liens avec la Syrie et l’OLP. En résulte la déclaration conjointe soviéto-américaine du 1er octobre 1977, première initiative à effectivement unir les superpuissances dans la recherche d’une solution : Moscou et Washington s’y engagent à réunir à Genève tous les acteurs du conflit, y compris les « représentants du peuple palestinien ». Mais, en raison de l’attitude égyptienne, cette approche nouvelle n’est pas suivie longtemps par Carter. Piqué par le communiqué soviéto-américain et encouragé par Menahem Begin, Sadate préfère parvenir à un accord bilatéral avec Israël plutôt que d’attendre que ses alliés arabes ne s’entendent sur une version multilatérale. Son célèbre discours à la Knesset, le 20 novembre 1977, s’inscrit dans cette logique unilatérale, que Carter finit par avaliser.
134 Entretien Giscard d’Estaing/Carter, 28 mai 1978. AN, 5AG3 986, États-Unis, 1978.
135 L’Acte final d’Helsinki prévoit que les MDC ne s’appliquent qu’à une profondeur maximale de 250 kilomètres à l’intérieur du territoire soviétique.
136 Note du directeur adjoint des affaires politiques, 23 décembre 1977. AN, 5AG3 986, États-Unis, 1978.
137 Entretien Giscard d’Estaing/Carter, 5 janvier 1978. AN, 5AG3 986, États-Unis, 1978.
138 Télégramme no 299-302, d’E. d’Harcourt (Prague), 7 avril 1978. AMAE, Europe 1976-1980, Tchécoslovaquie, vol. 4702.
139 National Intelligence Daily Cable, 1er juin 1978. Archives de la CIA, CIA-RDP79T00975A030700010034-3.
140 Dalle Ignace, La Ve République et le monde arabe, op. cit., p. 387.
141 Note de J.-P. Dutet, 6 mai 1977. AN, 5AG3 986, États-Unis, 1978.
142 National Intelligence Daily Cable, 1er juin 1978. Archives de la CIA, CIA-RDP79T00975A030700010034-3.
143 Gilcher-Holtey Ingrid, « Kritische Ereignisse und kritischer Moment: Bourdieus Modell der Vermittlung von Ereignis und Struktur », Struktur und Ereignis, vol. 19, 2001, p. 120-137.
144 Bösch Frank, « L’année 1979 : transformations globales et bouleversements annonciateurs », Histoire, économie et société, vol. 35, 2016/2, p. 77-92.
145 Note de l’ambassade de France en URSS, 19 mars 1979. AN, 5AG3 1094, URSS, 1979.
146 Bösch Frank, « L’année 1979 : transformations globales et bouleversements annonciateurs », art. cité, p. 77-92.
147 Note de la SDEO, 20 avril 1979. AN, 5AG3 1094, URSS, 1979.
148 Dans les archives diplomatiques, on retrouve nombre de ces rapports dans le volume 4802 de la série Europe 1976-1980, URSS.
149 Mémorandum de conversation entre M. Chvedov et M. Lecompt, 19 mai 1979. AMAE, Afrique-Levant 1973-1982, Algérie, vol. 0035SUP/232.
150 C’est dans ce cadre que Giscard d’Estaing finit par accepter la proposition sans cesse renouvelée par Brejnev depuis 1976 de tenir à Moscou une conférence d’experts CSCE sur l’environnement, les transports et l’énergie – qui n’aura finalement lieu qu’en 1989 ! Note de la SDEO, 20 avril 1979. AN, 5AG3 1094, URSS, 1979.
151 Lettre de Leonid Brejnev à Valéry Giscard d’Estaing, 11 octobre 1979. AN, 5AG3 1095, URSS, 1980-1981.
152 Note de G. Robin, 26 mars 1979. AN, 5AG3 1094, URSS, 1979.
153 Heurtebize Frédéric, Le péril rouge, op. cit., p. 261-301.
154 Zubok Vladislav M., « Soviet foreign policy from détente to Gorbachev, 1975-1985 », art. cité, p. 89-111.
155 Dépêche no 13/DA/DE, de Moscou, 31 juillet 1979. AN, 5AG3 1093, URSS, 1978-1979.
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