Chapitre III. Vers l’émergence d’un espace euro-méditerranéen de sécurité et de coopération ?
Georges Pompidou et les ambiguïtés de la détente, 1970-1973
p. 127-164
Texte intégral
1Lorsque le 27 octobre 1970 les ministres des Affaires étrangères des six pays du Marché commun adoptent le rapport Davignon qui pose les bases de la Coopération politique européenne (CPE) en matière de politique internationale, ils décident également des deux thématiques sur lesquelles l’Europe des Six devra faire entendre sa voix : la CSCE (Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe), qui doit sceller la détente avec le bloc soviétique, et le Moyen-Orient. Trois objectifs président à ce double choix : il s’agit de profiter de la volonté soviétique de détente pour amener l’URSS à accepter des mesures qui l’empêcheraient de se lancer dans une nouvelle mise au pas de l’un de ses satellites ; il convient de renforcer la sécurité européenne face aux signaux américains de désengagement ; il est nécessaire de ne pas laisser les deux Grands en tête-à-tête dans l’espace méditerranéen, où l’accès aux ressources pétrolières est un enjeu stratégique pour des sociétés industrialisées qui vivent, sans le savoir, leurs dernières années de prospérité. L’intérêt des Européens de l’Ouest pour le Moyen-Orient est par ailleurs renforcé par la crainte, manifestée dès avant le choc de l’automne 1973, de figurer parmi les victimes collatérales du conflit israélo-arabe. Avec le développement du terrorisme palestinien, dont l’attentat de Munich contre la délégation olympique israélienne en 1972 marque un premier sommet, la violence s’exporte désormais en dehors du Proche-Orient, amplifiant la terreur des « années de plomb » allemandes et italiennes. Bref, puisque la sécurité de l’Europe se joue à l’Est et au Sud, c’est dans ces deux directions que les Européens font porter leurs efforts.
2Dans ce contexte où se mêlent détente à l’Est et risques de déstabilisation au Sud, les pays de l’Europe méridionale se retrouvent en première ligne et la France est de ceux-là. Il faut dire que l’évolution des rapports Est-Ouest et les basculements de l’espace méditerranéen, en particulier dans sa partie orientale, mettent Paris au pied du mur : après le moment triomphal des années 1967-1970 qui a vu les prédictions gaulliennes les plus sombres se réaliser tout en permettant à la France de bénéficier d’un crédit international sans précédent, les principaux acteurs du mouvement non-aligné de Méditerranée pressent Georges Pompidou et le Quai d’Orsay de faire la preuve de leur bonne volonté en matière de dépassement de la guerre froide, n’hésitant pas à les mettre en concurrence avec leurs voisins italien et espagnol.
3Cette insistance se traduit par une formidable offensive diplomatique, largement tributaire des grandes négociations de la détente que sont la CSCE, les SALT, les MBFR. Ces dernières participent de la restructuration des rapports inter-méditerranéens, fondée sur la propension des riverains de la Grande Bleue à lire systématiquement la situation en Méditerranée au regard de ce qui se déroule en Europe : d’Alger à Belgrade, de Tripoli à La Valette, on considère que l’apaisement des tensions Est-Ouest autour de l’Allemagne et les négociations liées au contrôle des armements ne font que reporter la guerre froide vers le sud. L’accroissement toujours plus important de la présence des deux Grands en Méditerranée entretient cette impression : côté soviétique, près de quarante navires de surface et au moins dix sous-marins composent la Cinquième Eskadra en 1970, année où elle commence à occuper à plein temps la base de Mersa Matruh, dans l’ouest égyptien. L’URSS bénéficie également de sept aérodromes dans le pays, où sont basés 150 appareils. Les soldats soviétiques deviennent dès lors très nombreux en Égypte, particulièrement à Alexandrie et Port-Saïd1. À la veille de la guerre du Kippour, les Américains possèdent quant à eux en Méditerranée quarante-deux bâtiments de surface, dont deux porte-avions, quatre sous-marins nucléaires d’attaque et 232 aéronefs2.
4Face au risque accru de confrontation entre les deux superpuissances, les non-alignés font tout pour rendre les problématiques de la sécurité en Europe et de la sécurité en Méditerranée indissociables. C’est là une caractéristique majeure des années 1970 par rapport à la décennie 1960 : chacun est désormais conscient que les deux sujets peuvent difficilement être traités séparément. La question est alors de savoir si les conditions de la détente européenne sont transposables à l’échelle du bassin méditerranéen. Les archives montrent à quel point la France pompidolienne intègre ce questionnement et, partant, déploie une activité diplomatique intense sur les questions Est-Ouest en Méditerranée, mobilisant tous les instruments à sa disposition pour imposer sa marque dans un espace considéré comme prioritaire. La CSCE, sur laquelle se concentrent les craintes non-alignées d’un décalage méridional des tensions entre les blocs, est probablement le principal d’entre eux. Parce qu’elle englobe la plupart des thématiques constitutives de la guerre froide et se veut le reflet d’une époque marquée à la fois par l’attractivité du neutralisme et par la mobilisation en faveur des droits de l’homme, la CSCE constitue pour la France un moyen de satisfaire ses principaux objectifs en Méditerranée, qu’il s’agisse de maintenir le dialogue avec l’URSS tout en luttant contre son influence, de protéger les Balkans et de satisfaire les Arabes pour garantir ses intérêts pétroliers.
5Il s’agit donc, dans ce chapitre, d’une part de voir comment les Français se saisissent des outils de la détente en Europe pour peser sur les rapports internationaux en Méditerranée, d’autre part de s’interroger sur la place de la Méditerranée dans l’évolution des relations de Paris avec les principaux acteurs de la détente, à commencer par les deux Grands, dont le « condominium » ne cesse de prendre de l’importance.
6Tandis que le système international accélère sa mutation vers un régime de mondialisation toujours plus complexe dont la guerre froide n’est qu’une composante parmi d’autres et alors que le monde occidental entre dans une période de turbulences marquée par l’essoufflement du système économique et monétaire né en 1944 à Bretton Woods, l’échelle euro-méditerranéenne prouve à quel point la France – comme ses partenaires européens – est confrontée à des choix fatidiques qui reflètent le croisement des enjeux Est-Ouest avec d’autres logiques. Entre désarmement et droits de l’homme, entre montée du terrorisme et difficultés énergétiques, entre non-alignement et défense des intérêts stratégiques occidentaux, entre détente et compétition avec le bloc soviétique, comment la France pompidolienne parvient-elle à maintenir sa posture d’« autre Occident » dans une Méditerranée qui, au carrefour de trois continents, est plus que jamais au centre des rapports internationaux ?
7Tributaires de l’omniprésence soviétique en Méditerranée, les orientations françaises du début des années 1970 reflètent autant les ambiguïtés de la politique Est-Ouest de la France que les débats qui agitent l’Occident sur la posture à tenir face à une URSS qui semble alors au sommet de sa puissance. Elles portent sur trois dossiers essentiels : le neutralisme et le désarmement, la libéralisation et la démocratisation des sociétés, l’endiguement de la puissance soviétique.
Neutralisme et désarmement : la France au pied du mur
8Tandis que Georges Pompidou a souvent été présenté comme un partisan de « la Méditerranée aux Méditerranéens », dont les préoccupations auraient rejoint la politique algérienne en faveur de la neutralisation de la Méditerranée3, les sources désormais disponibles contredisent cette affirmation, montrant, au contraire, que le deuxième président de la Ve République n’a jamais cédé aux sirènes du neutralisme, dont Malte était alors un fer de lance.
L’offensive neutraliste dans l’« espace stratégique euro-méditerranéen »
9Les témoignages des diplomates ayant pris part aux grandes négociations Est-Ouest du début des années 1970, qu’ils soient occidentaux, soviétiques ou neutres, tout comme les documents d’archives du Quai d’Orsay, de l’Élysée, de la Maison Blanche ou du Département d’État américain évoquent systématiquement, lorsqu’ils abordent les aspects méditerranéens de la sécurité en Europe, un pays qui leur a donné bien du fil à retordre : Malte, l’un des États les plus petits au monde (316 km²), indépendant du Royaume-Uni depuis 1964, mais qui détient une position stratégique puisqu’il est un verrou entre les parties orientale et occidentale de la Méditerranée. Le 21 juin 1971, les travaillistes parviennent au pouvoir dans l’archipel, avec à leur tête un personnage haut en couleurs qui se présente comme un adversaire acharné de la logique des blocs : Duminku « Dom » Mintoff. Celui-ci renvoie d’emblée le gouverneur qui représente la Couronne britannique (Malte fait partie du Commonwealth jusqu’en 1974), exige le départ du commandant en chef des forces de l’OTAN, interdit les côtes maltaises à la Sixième Flotte américaine et réclame la révision des accords de 1964 qui lient le pays à la Grande Bretagne.
10Par ses actions, Dom Mintoff s’impose en quelques mois comme une personnalité incontournable parmi les non-alignés méditerranéens. Grand ami de Kadhafi, il en épouse les préceptes de politique internationale, fondée sur une critique acerbe des grandes puissances et sur la défense du Tiers Monde. Mintoff noue également des liens solides avec Ceausescu, Tito et Boumediene, mais aussi, plus loin de la Méditerranée, avec Mao et Kim Il-sung. Son objectif est de faire de Malte un pont progressiste entre l’Europe et le monde arabe dans une Méditerranée débarrassée des flottes des deux Grands. En d’autres termes, le nouveau Premier ministre maltais reprend à son compte « la Méditerranée aux Méditerranéens » et « la Méditerranée, lac de paix », en leur conférant une dimension radicale qui tranche avec les effets de pure propagande recherchés par le régime algérien. Ses qualités oratoires et ses décisions brusques lui valent un succès immédiat dans l’ensemble du bassin méditerranéen, où le « faucon maltais » est érigé en exemple de la lutte anti-blocs, y compris par Bourguiba. À l’inverse, Malte apparaît rapidement comme un caillou dans la chaussure des Occidentaux et ce tout au long de la décennie 1970. Les Français considèrent que derrière Mintoff se cache Kadhafi et que cela « repose au premier plan l’équilibre des forces en Méditerranée », le non-alignement de la Libye étant jugé de plus en plus néfaste en raison de l’instabilité de son chef « dangereusement illuminé », pour reprendre les mots de l’ambassadeur français Guy Georgy4.
11Dans ce cadre, les initiatives retentissantes du Premier ministre maltais ne constituent pas une bonne nouvelle pour la France, en premier lieu parce que Paris se voit reprocher par les non-alignés de ne pas aller assez loin dans le dépassement des blocs en Méditerranée et même de prendre part aux manœuvres occidentales. Les Libyens ne manquent pas une occasion de rappeler que si Tripoli achète ses avions de chasse à la France, c’est précisément parce qu’elle dit se situer au-dessus des blocs. Reçu par Pompidou en juillet 1971, Jalloud ne mâche pas ses mots :
« La France a pris une position saine, en demandant que la Méditerranée devienne un lac de paix, mais cette attitude n’a été suivie d’aucun effet. Il faudrait pourtant qu’un effort commun soit entrepris sous son égide pour atteindre l’objectif indiqué. Malte a montré l’exemple, en faisant fermer les bases militaires étrangères sur son sol. Le gouvernement libyen l’a vivement encouragée dans cette décision, et lui a proposé son aide économique5. »
12Malte devient donc un modèle à imiter et Paris se le voit rappeler à chaque rencontre avec un représentant du non-alignement : la France doit prendre la tête de la croisade anti-Grands en Méditerranée. À partir de 1971, le mouvement en faveur d’une mer libérée de la tutelle des géants cherche à se structurer via des rencontres multilatérales régulières. Algériens, Tunisiens, Yougoslaves et Espagnols redoublent de vigueur dans la promotion du projet : d’une part, ils en appellent à une concertation générale de tous les pays riverains pour permettre le départ des deux Grands, d’autre part ils demandent à ce que le périmètre de la CSCE soit élargi à la Méditerranée.
13Pour ces pays, le contraste entre une Méditerranée toujours plus militarisée et une Europe sur la voie de la détente et de la limitation des armements rend la situation particulièrement risquée dans le bassin. La signature du traité germano-soviétique le 12 août 1970, l’acceptation occidentale de la CSCE, les négociations sur la réduction mutuelle et équilibrée des armements en Europe centrale (MBFR) et la conclusion des SALT – qui reconnaissent la parité militaire et nucléaire entre les deux Grands – déplacent dangereusement le problème : il convient donc de neutraliser l’ensemble de l’« espace stratégique euro-méditerranéen6 ». La Yougoslavie, qui se fait, avec Malte et l’Espagne, la voix des Arabes en Europe lorsque débutent en 1971 les préparatifs de ce qui devient le « processus d’Helsinki », réclame ainsi qu’un lien formel soit établi entre la CSCE et les MBFR, ce qui faciliterait le départ des Américains et des Soviétiques de Méditerranée et dissuaderait l’URSS d’intervenir dans les Balkans pour accéder à la Grande Bleue7. Les Yougoslaves sont rejoints en cela par les Italiens qui, en accord avec les Grecs et les Turcs, adressent fin 1972 une note aux pays de l’Est pour demander que les négociations MBFR tiennent compte du contexte méditerranéen : la crainte du gouvernement Andreotti est qu’une fois la situation stabilisée aux frontières des deux Allemagne, la menace soviétique, véritable obsession de Rome, ne réapparaisse au sud de cette zone privilégiée8. Dans un autre registre, la Syrie d’el-Assad, au lendemain de l’attentat de Munich, demande à Maurice Schumann de faire en sorte que la CSCE joue un rôle direct dans le règlement du conflit israélo-arabe, ce dernier étant un paramètre fondamental de la sécurité européenne9.
14Sans surprise, ce sont les Algériens qui, parmi les non-alignés, se posent en principaux promoteurs, auprès des Français, du retrait des superpuissances et de l’extension de l’agenda de la CSCE. Bouteflika sait parfaitement profiter des inquiétudes que suscitent en France l’importante présence soviétique en Algérie et la nationalisation des avoirs pétroliers français (février 1971) pour faire avancer le projet désormais collectif de « Méditerranée aux Méditerranéens » :
« Une conférence de sécurité en Europe, même si elle se réduisait, dans un premier stade, à l’énoncé de grands principes, pourrait avoir des répercussions en Méditerranée. Ne pouvait-on craindre, en fait, un nouveau partage du monde entre les États-Unis et l’Union soviétique ? Alors si, comme la France, l’Algérie désirait conserver sa pleine indépendance et ne pas adhérer à des blocs militaires, ne verrait-elle pas certains de ses voisins attirés par une influence américaine, ce qui la forcerait peut-être à s’intégrer à un bloc soviétique ? Seule la France est en mesure, par les positions très nettes qu’elle n’a cessé de prendre depuis plusieurs années, de donner un exemple aux États riverains de la Méditerranée qui seraient tentés d’abandonner une politique d’indépendance10. »
15Bouteflika propose ainsi de réunir une première conférence des pays méditerranéens non-alignés qui comprendrait la France mais exclurait l’Italie, la Grèce et la Turquie, engagées militairement dans l’OTAN. L’occasion est donc offerte à Pompidou, pressé de toutes parts, de se poser en chef de file du monde méditerranéen et de poursuivre en Méditerranée la politique gaullienne de dépassement des blocs en lui donnant un tour résolument concret. L’heure est venue pour la France de sortir de l’ambiguïté et de s’engager pour de bon dans un processus visant à rendre la Méditerranée aux Méditerranéens. Mais Pompidou n’en fait rien. Au contraire, la diplomatie française freine le projet non-aligné, jugé trop dangereux pour la sécurité de l’Europe. En guise de compensation, elle défend l’extension du champ de la CSCE vers le sud, ce qui lui permet malgré tout de contribuer à l’émergence d’un premier espace euro-méditerranéen de sécurité et de coopération. Ce choix relève d’une vision précise à la fois des relations Est-Ouest et de la sécurité en Méditerranée, qui n’est nullement en rupture avec la tradition gaullienne.
Le refus français d’une Méditerranée neutralisée
16S’il y a bien un point sur lequel le successeur de De Gaulle n’entend pas transiger, c’est la maîtrise des armements11. Dès son arrivée au pouvoir, et sous l’influence de son conseiller diplomatique Jean-Bernard Raimond et du secrétaire général de l’Élysée Michel Jobert, il considère d’un mauvais œil les SALT et s’oppose résolument aux MBFR : les uns parce qu’Américains et Soviétiques pourraient être tentés d’y inclure, même implicitement, les armes stratégiques françaises, les autres parce qu’ils risquent de conduire à une neutralisation de l’Europe centrale qui la rendrait vulnérable aux pressions de l’URSS, notamment en Allemagne. Les archives disponibles montrent que le raisonnement français est le même en ce qui concerne la question des armements en Méditerranée.
17Les entretiens de Georges Pompidou, Maurice Schumann et du secrétaire général du Quai d’Orsay Hervé Alphand avec leurs homologues méditerranéens constituent à cet égard une source incontournable du fait de leur importance dans le jeu diplomatique français. En effet, dans un contexte international dominé par le dialogue américano-soviétique et sino-américain, ainsi que par les succès de l’Ostpolitik de Willy Brandt, qui font apparaître la France au second plan des relations Est-Ouest, Pompidou se lance dans une tentative de rééquilibrage des affaires européennes vers le sud, dans le souci de ne pas demeurer à la remorque de Bonn et de Washington et de prouver que la France entretient elle aussi une aire d’influence privilégiée. Certes la coopération politique franco-allemande demeure nourrie et fructueuse et Pompidou soutient activement l’Ostpolitik ainsi que les velléités ouest-allemandes de réunification12, mais il estime que les relations avec l’Europe méditerranéenne sont tout aussi importantes : elles sont ouvertement pensées comme un contrepoids à l’orientation centre et est-européenne de la RFA13. Amoureux de la culture gréco-romaine, proche, dans les années 1930, des Cahiers du Sud autour de Marcel Brion et fervent admirateur de Jean Giono, Pompidou considère notamment l’Italie comme un partenaire naturel de la France. Pour l’ancien professeur de lettres classiques au lycée Saint-Charles de Marseille, une réunion avec les dirigeants italiens, c’est avant tout « une rencontre de famille14 ». Qui plus est, puisque la Méditerranée s’impose plus que jamais comme un centre des relations internationales, Pompidou juge nécessaire un réel rapprochement avec Rome. En juillet 1972, lors du voyage du président français en Toscane, le principe de consultations régulières franco-italiennes sur le modèle de ce qui se fait avec la RFA est adopté, avec un rythme moins soutenu toutefois. Alors que l’inébranlable ancrage atlantique de l’Italie rendait le dialogue difficile au temps du général de Gaulle, la coopération entre les deux pays prend un tour plus fluide dès 1969. C’est ainsi par solidarité avec les Italiens, non invités en raison de leur attachement à l’OTAN, que Pompidou refuse de participer à la conférence des non-alignés méditerranéens proposée par Bouteflika15.
18Paris continue cependant de reprocher à Rome son exagération de la menace soviétique dans le bassin méditerranéen, et tente de l’infléchir en insistant sur la multiplicité des enjeux régionaux16. Ainsi, parmi les objectifs du rapprochement avec l’Italie, figure celui de saper les efforts des démocrates-chrétiens en faveur d’une implication de la CEE dans les questions de défense et de sécurité en Méditerranée afin de définir une stratégie commune contre l’URSS. Pour Pompidou, ces problématiques ne font pas partie du mandat de la CPE et doivent demeurer à la discrétion des États ayant des responsabilités historiques en Méditerranée17 : il s’agit de ne pas donner à la RFA l’occasion de jouer un quelconque rôle diplomatique et militaire important dans le bassin, où elle est déjà le principal client et fournisseur de la plupart des pays riverains18. Le Groupe de travail méditerranéen, créé par le Conseil des ministres de la Communauté le 14 mai 1971, doit se concentrer uniquement sur les questions économiques et commerciales, qu’incarnent à partir de 1972 la « Politique Méditerranéenne Globale » puis le dialogue euro-arabe19.
19L’ouverture de Pompidou en direction du Royaume-Uni s’inscrit dans le même ordre d’idées20. Dès 1970, il reconnaît les responsabilités britanniques dans les affaires méditerranéennes et envisage le développement d’une politique européenne en Méditerranée fondée en premier lieu sur la coopération franco-italo-britannique, et ce alors que les possessions du Royaume-Uni dans la Grande Bleue sont désormais réduites à Gibraltar et aux bases de Malte – jusqu’en 1978 – et de Chypre. Cette main tendue, qui s’explique par l’arrivée au 10 Downing Street du pro-européen et francophile Edward Heath et par sa politique plus indépendante vis-à-vis des États-Unis au Moyen-Orient, est saisie par Londres ; elle inaugure une période d’intenses consultations qui dure jusqu’en 1974.
20Au-delà de l’Italie et de la Grande-Bretagne, les Français s’efforcent de dialoguer avec l’ensemble des pays méditerranéens, ce qui explique l’importance qualitative et quantitative des entretiens de Schumann et d’Alphand dans la région. C’est, avec les Anglais et les Italiens, auprès des Espagnols que les chefs de la diplomatie française expriment le plus clairement leurs sentiments sur les enjeux de la guerre froide en Méditerranée, se livrant régulièrement à de véritables leçons de relations internationales pour mieux faire valoir leurs positions par rapport à celles des deux Grands. Les verbatims qui résultent de ces rencontres sont fondamentaux pour comprendre les efforts et la motivation des dirigeants français contre l’idée que la Méditerranée puisse être neutralisée grâce au retrait des flottes américaine et soviétique.
21Deux impératifs commandent à la diplomatie pompidolienne de repousser le projet de « Méditerranée aux Méditerranéens » et d’ainsi sortir de l’ambiguïté dans laquelle la France s’est enfermée depuis 1967 : la crédibilité et la sécurité.
22La crédibilité d’abord : en ce début des années 1970, rares sont les responsables politiques et militaires français à juger plausible un retrait des deux Grands, qui ne sont pas près d’accepter pareille éventualité. « Prétendre que les deux flottes doivent quitter la Méditerranée n’est pas raisonnable21 », avoue Schumann à Franco en novembre 1971. Prendre la tête d’un tel mouvement nuirait sérieusement au crédit de la France, tant auprès des Soviétiques que des Alliés. Le regard américain est alors crucial pour Pompidou comme pour l’état-major des armées. On l’a vu, la coopération avec l’OTAN en Méditerranée reprend de la vigueur dès la fin des années 1960. En 1970, alors que l’outil sous-marin de la force de frappe devient opérationnel – le premier sous-marin nucléaire lanceur d’engins, Le Redoutable, est mis en service en janvier 1972 – Pompidou et Nixon s’accordent sur une reprise des contacts bilatéraux sur les questions militaires et le développement de la coopération en matière d’armements. L’été 1970 voit se dérouler les premières conversations entre le général Goodpaster et le général Fourquet à propos de la planification de la coopération en cas de guerre en Allemagne et, en mai 1971, débutent les discussions sur la technologie des missiles, la sécurité des armes nucléaires et les ordinateurs de grande puissance22. Sans remettre en question le positionnement de la France vis-à-vis du commandement intégré de l’OTAN ni l’indépendance nationale pour ce qui est de la conception d’utilisation des armes nucléaires, cette coopération apparaît alors essentielle pour la France en ce qu’elle lui permet d’améliorer les capacités des missiles existants.
23La sécurité ensuite. Si les Français se disent disposés à travailler en faveur d’une limitation puis d’une réduction des forces des deux blocs en Méditerranée, ils considèrent qu’un retrait total serait extrêmement dangereux : à leurs yeux, la présence de ces forces est une conséquence des tensions internationales et non une cause. Les retirer sans avoir au préalable instauré une solide détente politique entre l’Est et l’Ouest et sans avoir avancé dans le règlement du conflit israélo-arabe serait une pure folie23. La neutralisation qui en résulterait permettrait à l’URSS de prendre l’avantage et, de fait, de menacer la sécurité de l’Occident : il lui suffirait de profiter d’une crise pour faire passer les détroits turcs à sa flotte de la Mer Noire et ainsi prendre l’ascendant dans le bassin méditerranéen. Cette crainte est d’autant plus justifiée qu’à partir de 1971, face à l’offensive des non-alignés, le Kremlin lance une campagne de propagande fondée sur l’idée que la mer Noire et la Méditerranée forment une entité géographique commune. Les experts de l’Académie des sciences soviétique affirment alors que la domination du bassin méditerranéen par les États-Unis facilite l’accès américain à l’Europe du Sud, au Moyen-Orient, à l’océan Indien et à l’Afrique, ce qui leur permet d’exercer une menace constante sur le flanc méridional de l’URSS et sur les démocraties populaires24. Aussi Brejnev en appelle-t-il à une réduction mutuelle et équilibrée des forces des deux Grands en Méditerranée, sur le modèle des MBFR, témoignant de la volonté soviétique de se poser en relais de la parole non-alignée pour mieux l’influencer25. L’amiral Gorshkov, commandant en chef de la marine soviétique de 1956 à 1985, explique ainsi que l’objectif des forces navales soviétiques en Méditerranée est principalement de surveiller les flottes « impérialistes », Moscou n’ayant eu, à l’origine, aucune intention d’acquérir des bases dans la région26. Si les travaux de l’historien maritimiste Michael MccGwire ont montré la véracité de cette affirmation et ont précocement contribué à la réinterprétation des intentions soviétiques à l’ère brejnévienne – suscitant l’indignation des états-majors américains et britanniques au moment de leur publication dans les années 198027 – les efforts permanents de l’URSS pour agrandir les bases existantes et obtenir toujours plus de facilités navales autour du bassin laissent planer le doute sur la bonne foi du Kremlin et ne rassurent pas les Occidentaux. Les Français en tirent la conclusion que la présence de la flotte américaine en Méditerranée est plus que jamais indispensable à la sécurité de l’Europe, d’où l’intérêt pour Pompidou et Schumann de freiner les velléités américaines de désengagement.
24Car là est le cœur du problème : depuis 1966, l’opinion publique des États-Unis se montre de plus en plus favorable à une réduction drastique des dépenses militaires – qui atteignent des sommets en raison de la guerre du Vietnam – et à la diminution de la présence des forces armées américaines en Europe. En mai 1971, le chef de la majorité démocrate au Sénat Mike Mansfield dépose un amendement en faveur du retrait de la moitié des troupes stationnées sur le Vieux continent, soit 150 000 hommes. Un an plus tôt, en février 1970, Nixon a publiquement soulevé le problème du « partage du fardeau » en posant la triple question de la défense de l’Europe, de l’évaluation de la menace et de la péréquation des frais28. La campagne menée par Mansfield convainc Kissinger d’aller de l’avant en matière de réduction mutuelle et équilibrée des forces en Europe : en 1971, il exige de l’URSS des discussions sur le sujet si elle souhaite que les États-Unis s’engagent dans la préparation de la CSCE, ce à quoi Brejnev consent aussitôt. Alors que pour Pompidou les MBFR ne sont pas acceptables en ce qu’elles risquent de neutraliser l’Europe centrale et d’effectivement reporter les tensions vers le sud29, leur extension à la Méditerranée voulue par les Yougoslaves, les Italiens, les Grecs et les Turcs l’est encore moins, et ce pour une raison précise : il est envisagé en 1972 que l’ordre du jour des négociations MBFR – auxquelles la France refuse de participer – puisse inclure le problème des systèmes de bases avancées (FBS), qui comprennent notamment les bombardiers américains à moyen rayon d’action capables d’atteindre l’URSS et basés en grande partie sur les porte-avions de la Sixième Flotte. Schumann considère que « c’est la structure même des moyens de défense de l’Occident » qui serait affectée30. L’entreprise lui paraît d’autant plus risquée qu’avec la signature du premier accord SALT en mai 1972 le renforcement de la « sanctuarisation du territoire des États-Unis exige que la crédibilité sur le plan opérationnel des moyens occidentaux soit renforcée31 ».
25Aussi, reprenant la logique qui avait été celle de De Gaulle dix ans auparavant, les Français tentent de poser les jalons d’une forme de compensation d’un éventuel désengagement américain en Europe du Sud. Le développement de la coopération militaire franco-turque en 1972 va clairement dans ce sens32. Il en va de même avec la Grèce des Colonels, avec laquelle la France renoue progressivement depuis 1969 pour devenir en 1972 l’un des principaux fournisseurs d’Athènes en armements33 : sont conclus des contrats portant sur l’achat de Mirage III, de chars AMX30 et de missiles antinavires Exocet34. Surtout, les Français s’efforcent de convaincre leurs alliés italiens, grecs et turcs ainsi que les Yougoslaves d’abandonner leur proposition de prolongement des MBFR vers la Méditerranée, qui encourage la tendance américaine au désengagement. Pour ce faire, ils misent tout sur le second volet des propositions non-alignées : l’insertion d’un volet méditerranéen dans la CSCE.
La CSCE, pierre de touche de la politique méditerranéenne de la France ?
La détente politique plutôt que la détente militaire : la CSCE et les mesures de confiance
26La production historiographique qui a mis en relief l’importance du processus d’Helsinki dans la structuration de la détente Est-Ouest et la fin de la guerre froide a également souligné combien la Méditerranée est un sujet périphérique des négociations à trente-cinq qui commencent dans les années 1972-1975 et se prolongent à travers une multitude de réunions thématiques ou générales jusqu’à l’institutionnalisation de l’OSCE en 199535.
27Les sources désormais disponibles prouvent pourtant le contraire. Dès le moment où débutent les préparatifs de la CSCE, les enjeux méditerranéens occupent une place considérable dans les débats, à tel point que, parmi les cartons d’archives CSCE du Quai d’Orsay et du Département d’État américain, ceux qui sont consacrés à ces questions se distinguent par l’épaisseur de leur contenu. Outre les réunions d’Helsinki et de Genève entre 1972 et 1975, chacune des réunions sur les suites du processus, à Belgrade (1977-1978), Madrid (1980-1983) et Vienne (1986-1989), comporte un volet dédié à la Méditerranée. S’ajoutent à cela les réunions exclusivement consacrées à ce sujet, à La Valette (1979), Venise (1984) et Palma de Majorque (1990). Victor-Yves Ghebali, grand spécialiste de la CSCE, dans son ouvrage de référence de 1989, a été l’un des rares chercheurs à écrire sur le contenu de ces négociations, dont il souligne le « caractère pathologiquement conflictuel36 ». Pourquoi, alors, un tel manque d’intérêt de la part des historiens du processus d’Helsinki ? Probablement en raison de l’origine même de la conférence, dont l’émergence est liée en premier lieu à la question allemande et aux passions qu’elle suscite des deux côtés du rideau de fer. Son aspect méditerranéen est jugé périphérique au regard de ces enjeux, tout comme le rôle de la CSCE en Méditerranée a pu être considéré comme marginal en comparaison des événements, souvent dramatiques, qui ont secoué le bassin dans les années 1970-1980, ce qui est vrai. Il convient cependant de nuancer ce constat : l’analyse des débats et décisions de la conférence montre que, pour plusieurs pays participants, la CSCE constitue un outil non négligeable pour peser dans les relations internationales en Méditerranée. C’est le cas de la France.
28Parmi les facteurs qui expliquent qu’en 1970 Georges Pompidou donne son accord définitif à la participation de son pays à ce qui s’apprête à devenir le processus d’Helsinki, la protection des non-alignés et l’accès de l’URSS à la Méditerranée tiennent le haut du pavé, aux côtés du désir français d’encadrer l’Ostpolitik de Brandt. La Yougoslavie joue un rôle particulier dans la décision du président de la République. On l’a vu, la fin des années 1960 est marquée par un réel rapprochement entre Paris et Belgrade, fondé sur une même vision des conditions de la paix au Proche-Orient et une volonté commune de freiner toute velléité de l’URSS d’affirmer son autorité sur les régimes socialistes des Balkans qui bénéficient d’une indépendance réelle – la Yougoslavie – ou relative – la Roumanie – vis-à-vis de Moscou. Le dialogue s’approfondit après l’arrivée au pouvoir de Pompidou, qui se montre sensible à la situation de la Yougoslavie et à l’intérêt que sa position géographique peut susciter au Kremlin à l’heure où celui-ci souhaite geler le statu quo européen et étendre son influence en Méditerranée. Le président craint alors que la montée en puissance du nationalisme croate, réprimé par Tito via une campagne d’épuration, ne donne un prétexte à l’URSS pour s’ingérer dans les affaires yougoslaves au nom de la stabilité de l’Europe orientale, lui permettant d’installer sa flotte dans les ports de la côte adriatique, face à l’Italie37. C’est pour empêcher cela, explique Pompidou en juillet 1971, que les préparatifs de la CSCE doivent débuter le plus rapidement possible : il s’agit de forger une atmosphère de détente telle que le Kremlin ne puisse reproduire à Belgrade ce qu’il a fait à Prague38. L’essentiel, démontre Schumann à Franco quand celui-ci lui demande ce qu’il pense de l’expansion soviétique en Méditerranée, est de soutenir le mouvement de fragmentation du monde communiste en élaborant, à la CSCE, des mesures précises permettant de protéger les Yougoslaves et les Roumains39. Cela lui semble d’autant plus urgent que la proximité toujours plus grande de l’Albanie et de la Chine pourrait encourager des visées éventuelles de Moscou sur les Balkans. Il faut voir dans l’empressement de Pompidou et Schumann à s’engager dans la CSCE l’influence du groupe de diplomates engagés à gauche qui, depuis l’été 1968 et à l’instar de Jacques Andréani, appellent à se servir du projet soviétique de conférence pour affaiblir la doctrine Brejnev sur la souveraineté limitée.
29Il s’agit également de montrer aux non-alignés de Méditerranée que la France est prête à soutenir le non-alignement dès lors que celui-ci est sincère et ne vise pas à s’en prendre systématiquement aux anciennes puissances coloniales. En d’autres termes, en soutenant la CSCE plutôt que le projet algérien de conférence méditerranéenne, Paris transmet à Alger un message clair sur sa vision du non-alignement40. Dans le même temps, en donnant son appui à l’initiative commune de l’Algérie et de la Tunisie – initialement rejetée par chacun des deux Grands – pour que la CSCE comporte un volet sur la Méditerranée, la France prouve qu’elle demeure le porte-voix du monde arabe en Europe, à l’heure où ses rapports avec Alger se dégradent fortement en raison de la nationalisation du pétrole. Le soutien aux Arabes à propos de la CSCE est une façon d’« exercer une influence psychologique favorable sur l’évolution des rapports franco-algériens dans d’autres secteurs plus proprement bilatéraux41 ». La diplomatie française s’oppose néanmoins, en dépit des pressions de Malte, à ce que les pays arabes participent à la conférence au même titre que les autres membres : les négociations sur la sécurité en Europe risqueraient d’être phagocytées par le conflit israélo-arabe, que personne parmi les trente-cinq n’entend aborder lors de la conférence, à l’exception des Maltais. Il est finalement décidé lors des préparatifs multilatéraux d’Helsinki (novembre 1972-juillet 1973) que les pays du Maghreb et du Proche-Orient ainsi qu’Israël seront ponctuellement entendus lors de la CSCE et que, sur certaines thématiques, les conclusions de celle-ci seront étendues à la Méditerranée, en particulier celles qui relèvent de la coopération.
30En matière de sécurité, Pompidou estime que le plus important est de profiter de la conférence pour freiner les ambitions soviétiques en direction de la Méditerranée. C’est ainsi que, refusant tout élargissement des MBFR vers le sud, il accepte d’intégrer dans l’ordre du jour de la CSCE la question des mesures de confiance (MDC), à la demande de la Yougoslavie. De telles mesures, qui visent à dédramatiser des situations passibles d’appréciations erronées et prévoient des échanges d’informations entre pays à propos de leurs postures militaires, ont déjà été appliquées en Méditerranée orientale, dans l’entre-deux-guerres, entre la Grèce et la Turquie : Athènes et Ankara devaient alors s’informer six mois à l’avance de l’achat de tout navire de guerre. En 1936, la convention de Montreux prévoyait la notification des mouvements de forces navales dans la mer Noire. Pendant la guerre froide, en dépit des premières propositions du président Eisenhower en 1955, il faut attendre la frayeur de la crise de Cuba et l’installation du fameux « téléphone rouge » pour voir s’instaurer un semblant de mesure de prévention entre les deux Grands. Au début des années 1970, la cohabitation de flottes américaine et soviétique pléthoriques dans un espace aussi étroit que la Méditerranée fait craindre à nombre de ses riverains le déclenchement accidentel d’un conflit entre puissances. La « souricière » évoquée par de Gaulle justifie, on l’a vu, la volonté de la France d’éviter que ses SNLE ne soient basés à Toulon. Soutenu par l’ensemble des non-alignés de la région, le gouvernement de Belgrade remet à la France, dès novembre 1970, un document dans lequel il propose que la future conférence oblige chaque pays participant à notifier ses manœuvres militaires à tous les pays participants et qu’elle prévoit l’interdiction des manœuvres à proximité des frontières et des eaux territoriales ainsi qu’en haute mer42.
31La première réaction française aux suggestions yougoslaves, guidée par le Quai d’Orsay et le Secrétariat à la Défense nationale, montre qu’à Paris, tout ce qui peut être perçu comme une amorce de neutralisation de la Méditerranée – le document de Belgrade ne cache pas cet objectif – est inacceptable. La sécurité de la France et de l’Europe occidentale est à ce point dépendante de la Sixième Flotte qu’on ne saurait tolérer un droit de regard de l’URSS ou de tout autre pays extérieur à l’OTAN sur les exercices organisés par ses membres en Méditerranée. Aussi Paris, Washington et leurs alliés s’opposent-ils catégoriquement à la mise en œuvre de MDC en haute mer ou près des eaux territoriales. Dans l’Adriatique et les zones de détroits (en particulier en mer Égée), les manœuvres navales ont une fonction de contrôle, d’entraînement et d’intimidation bien trop stratégique pour pouvoir s’en passer43. La Méditerranée est une souricière certes, mais une souricière indispensable. Est-ce à dire que la France pompidolienne est favorable à un statu quo Est-Ouest généralisé qui lui permet de continuer à se démarquer de la logique des deux blocs ? On pourrait le penser, à la lumière par exemple de cette déclaration de Schumann à Franco en 1971 : « La présence de l’une des deux super-puissances en Méditerranée entraîne automatiquement la présence de l’autre, ce qui, d’une certaine manière, est positif puisque l’équilibre nécessaire est ainsi assuré dans la zone44 ». Dans les faits, en refusant toute neutralisation de la mer, en coopérant plus étroitement avec les États-Unis et en s’engageant activement dans une CSCE dont l’objectif occidental est de favoriser la libéralisation du bloc de l’Est, la France se montre loyale à son désir de dépassement de la guerre froide en faveur de l’Ouest et de ses idéaux. Prôner l’équilibre en Méditerranée comme le fait Schumann auprès de Franco – qui joue la carte d’un non-alignement pragmatique destiné à réaffirmer le retour de l’Espagne dans son espace régional – est une manière de marquer une fois encore l’opposition à la neutralisation et à la domination absolue de l’un des deux Grands.
32De fait, Pompidou accepte la notification des manœuvres terrestres à proximité des frontières et les échanges d’observateurs ; la délégation de la France à Helsinki suggère même que la notification des mouvements de troupes soit étendue à l’ensemble des territoires bordant la Méditerranée (ce que les deux Grands refusent45) : plutôt que d’interdire les exercices en mer, il vaut mieux prendre le problème à la source et empêcher que les Soviétiques y aient un meilleur accès. L’accord du président, qui garde à l’esprit à la fois le souvenir de Prague et la conscience des enjeux stratégiques méditerranéens, est ainsi ouvertement justifié par la nécessité de préserver la péninsule balkanique – Roumanie incluse – de toute intervention de l’URSS. De la sorte, la diplomatie française, qui se fait dès lors le défenseur de la version terrestre des MDC auprès de ses alliés, donne satisfaction à la Yougoslavie et sauve la face vis-à-vis des non-alignés. Le problème est pourtant encore loin d’être réglé, puisqu’une fois l’ordre du jour de la CSCE validé par les trente-cinq participants en juillet 1973 – après un coup de théâtre maltais à propos de la participation pleine et entière des pays arabes46 – commence le temps des négociations des mesures à proprement parler, qui durent jusqu’en 1975. Le projet de « Méditerranée aux Méditerranéens » ne disparaît pas et, on le verra, reprend de la vigueur à la faveur de la guerre du Kippour, relançant le débat, au sein des instances diplomatico-militaires françaises et sud-européennes, sur sa viabilité.
33Toujours est-il qu’avant même le début de la CSCE en tant que telle, la France fait de cette rencontre appelée à devenir l’un des symboles de la détente Est-Ouest un instrument clé de sa politique méditerranéenne. Cela ne va pas sans soulever un problème essentiel qui tient au rôle du processus d’Helsinki dans l’histoire de la guerre froide et des sociétés européennes. Dès le début de la décennie 1970, nombreux sont les diplomates qui, à l’Ouest et en particulier en France, voient en cette conférence initialement voulue par les Soviétiques un moyen d’améliorer la situation des droits de l’homme à l’Est. Or, dans un bassin méditerranéen où les régimes autoritaires sont légion, l’engagement français dans la CSCE n’est-il pas aussi un moyen de promouvoir la démocratie au Sud ?
L’émergence du débat sur les droits de l’homme : les ambiguïtés françaises
34Alors qu’à partir de 1973 et de la publication de L’Archipel du Goulag, les dissidents du bloc de l’Est bénéficient d’une attention et d’une médiatisation plus importantes, le débat autour de l’œuvre de Soljenitsyne et sur les réalités du « paradis socialiste » prend, en France, un tour particulièrement vif et marque l’engagement d’une partie de l’intelligentsia française en faveur de la défense des droits de l’homme de l’autre côté du rideau de fer. On l’a vu, l’influence croissante de diplomates issus de la gauche mendésiste ou rocardienne après 1968 permet au Quai d’Orsay de prendre part à un mouvement qui se veut transnational et contribue à redéfinir les contours de la détente. Jacques Andréani, en poste à la représentation française à l’OTAN à partir de 1970, encourage ainsi l’Élysée à accepter la CSCE pour tisser davantage de liens avec les sociétés des régimes communistes. Le débat français est alors largement influencé par la situation aux États-Unis où le mouvement des droits civiques et les révélations des crimes de guerre américains au Vietnam conduisent l’opinion publique et le Congrès à s’engager plus fermement en faveur d’une politique extérieure plus attentive au respect des droits des populations. L’URSS est la première à en faire les frais avec l’épineuse question de l’émigration des Juifs soviétiques : les organisations communautaires juives, soutenues par la structure secrète israélienne Nativ et sous la houlette du sénateur démocrate Henry Jackson, exigent que la politique de détente conduite par Nixon et Kissinger se fonde sur un « linkage incitatif » qui « conditionnerait un traité commercial avec Moscou à son respect des droits des Juifs47 ». De la sorte, les élus américains confortent Israël dans sa position d’instrument de guerre froide de Washington. Ainsi, aux États-Unis, le débat sur la nature du régime soviétique et sur les droits de l’homme est indissociable de la question israélo-arabe, ce qui ne fait qu’accentuer l’opposition entre les deux Grands en Méditerranée orientale48. Pareille déclinaison méditerranéenne d’une problématique Est-Ouest est-elle valable pour la France ? Le soutien français à la dimension méditerranéenne de la CSCE témoigne-t-il d’une quelconque volonté de Paris d’étendre vers le sud le débat sur les droits humains ?
35La distinction entre les mouvements d’opinion publique et la conduite des affaires diplomatiques est essentielle pour rendre compte de l’éventuelle adaptation du schéma américain à la France.
36En effet, « représenter son pays, cela veut dire aussi qu’il faut toujours être prêt à assumer tout ce qui s’y passe, surtout ce qui peut prêter à critique dans le pays de séjour49 ». Cette caractéristique essentielle de la représentation diplomatique, ici résumée par l’ambassadeur François Plaisant, est particulièrement prégnante dès lors qu’il s’agit d’évaluer la place du débat sur les droits de l’homme dans la définition de la politique extérieure d’une démocratie. Il suffit de parcourir les liasses de télégrammes transmis au Quai d’Orsay par les ambassades de France dans les dictatures d’Europe méridionale pour constater à quel point la question pèse régulièrement sur les rapports avec l’Espagne, le Portugal et la Grèce, tout comme elle s’invite dans les rapports avec les pays socialistes d’Europe orientale. À l’Est comme au Sud, l’ambassadeur est sommé de s’expliquer sur les mouvements d’opinion que suscitent, en France, les atteintes aux droits humains dans les régimes autoritaires. L’Espagne franquiste accuse ainsi, à l’hiver 1970-1971, le gouvernement français d’avoir autorisé plusieurs manifestations parisiennes de soutien à seize nationalistes basques qui, bien qu’ayant toujours clamé leur innocence, sont condamnés à mort – la peine est finalement commuée par Franco – lors du procès de Burgos (3 décembre 1970) pour avoir tué un policier espagnol ; alors que les grands organes de la presse française – Le Monde, Le Figaro, L’Express50 – prennent la défense des accusés et pointent du doigt une dictature d’un autre temps, l’ambassadeur Robert Gillet doit arrondir les angles avec Madrid51.
37Comme elle l’est à l’égard de l’URSS et de ses satellites, la gauche non-communiste est particulièrement active dans le combat pour les droits humains en Europe du Sud. Jean-Jacques Servan-Schreiber, mendésiste historique, fervent atlantiste et d’un anti-communisme viscéral, se pose ainsi en critique virulent du régime soviétique tout autant qu’en ardent défenseur des démocrates grecs (le musicien Mikis Theodorakis, l’activiste Jean Starakis) ; grâce à L’Express, il assure à ces derniers une visibilité médiatique et diffuse une image négative du régime grec, ce qui ne va pas sans gêner un Michel Debré qui s’efforce au même moment de vendre ses Mirage aux Colonels52.
38En revanche, le tiers-mondisme qui imprègne cette même gauche fait que les pays méditerranéens non européens, surtout s’ils sont d’obédience socialiste, ainsi que la Yougoslavie, sont épargnés par les critiques, du moins durant cette première moitié des années 1970, avant que n’ait lieu, au milieu de la décennie, un certain désenchantement lié à une meilleure connaissance de ces régimes. « Alger la rouge » reste au début des années 1970 un carrefour où l’aspiration des jeunesses et des gauches européennes à forger un modèle de société détaché des vieux conservatismes politiques côtoie le désir des peuples du Tiers Monde à défendre une indépendance chèrement acquise et une répartition plus équitable de la richesse mondiale53. Au Proche-Orient, seul l’État hébreu voit son image se dégrader dans l’opinion publique française au fur et à mesure qu’Israël s’installe dans ses conquêtes et multiplie les opérations de représailles sur le territoire de ses voisins54. De fait, il y a clairement deux poids deux mesures entre une Europe des dictatures conspuée par les intellectuels français et des régimes autoritaires algérien, égyptien, libyen et même syrien qui semblent bénéficier d’une certaine mansuétude. L’appartenance de ces derniers au monde en voie de développement semble pouvoir justifier, aux yeux de l’opinion éclairée, une forme d’autoritarisme révolutionnaire inadapté à des classes moyennes européennes qui, à l’Est comme à l’Ouest, deviennent le ciment démocratique des régimes européens (le printemps de Prague n’incarne-t-il pas la volonté des peuples de l’Est de se rapprocher des canons politiques occidentaux ?).
39Ainsi, contrairement au débat américain, le combat français en faveur des droits humains peut sembler dépourvu de toute logique de guerre froide dès lors qu’il s’agit de l’espace méditerranéen : les cibles principales de la vindicte intellectuelle sont des pays apparentés à l’Ouest, qu’il s’agisse des dictatures ibériques, de la Grèce ou d’Israël en Cisjordanie.
40En réalité, quand on y regarde de plus près et qu’on insère le débat français dans le contexte plus large de la détente et de l’intégration européenne, on constate qu’à l’instar des États-Unis, l’usage que la diplomatie française fait de la situation des droits de l’homme en Méditerranée non seulement reflète les débats qui agitent l’opinion – en tentant par exemple une médiation auprès de Madrid en faveur des condamnés de Burgos et en permettant l’extradition en France de Jean Starakis55 – mais il répond lui aussi à des objectifs de guerre froide, des objectifs en adéquation avec les principes qui guident la construction de l’Europe occidentale et que les pays membres réaffirment en octobre 1970 dans le cadre de la CPE. Les six ministres des Affaires étrangères établissent alors un lien clair entre les normes internes de la Communauté et son rôle dans les affaires de l’Europe au sens large : ils déclarent qu’« une Europe unie doit être fondée sur un héritage commun de respect de la liberté et des droits de l’homme, et doit rassembler des États démocratiques qui choisissent leur parlement par le biais d’élections libres56 ». Dans cette optique, hors de question pour Pompidou, Schumann ou Jobert d’attaquer de front Franco, Caetano ou Papadopoulos sur le terrain des droits de l’homme, de même que la France refuse de le faire auprès de Brejnev ou de Ceausescu. Pompidou est partisan d’une autre méthode, fondée sur la convergence des schémas politiques et économiques européens vers le modèle de démocratie de marché qui caractérise les pays de la Communauté. Cette convergence, selon le président français, est rendue possible par le développement des échanges de toutes natures entre États européens, qu’ils soient de l’est, de l’ouest, du nord ou du sud du continent57. À ses yeux comme à ceux des diplomates de la deuxième gauche dont Andréani est le principal représentant, le développement de liens économiques avec Athènes, Madrid, Lisbonne et même Ankara a pour but de favoriser la libéralisation de ces pays et d’ainsi renforcer la posture démocratique du camp occidental face au bloc soviétique58. En d’autres termes, si l’Europe occidentale veut que son effort collectif en faveur d’une meilleure circulation des hommes, des idées et des informations de part et d’autre du rideau de fer soit crédible, elle ne peut pas négliger le fait qu’à l’ouest aussi, il y a encore des dictatures. Affaiblir le communisme suppose de commencer par libéraliser tout l’Occident.
41La CSCE constitue, à cet égard, un outil de première importance dès lors qu’il s’agit de scruter les liens entre la France et ses alliés autoritaires de l’Europe méditerranéenne : en s’attachant à définir une large gamme de mesures sur les contacts entre les personnes, la coopération culturelle, l’information et l’éducation, le processus d’Helsinki peut contribuer autant à la libéralisation politique de l’Est qu’à celle du Sud et ainsi travailler à la convergence tous azimuts. C’est précisément pour cette raison que lorsque se pose la question, en 1971-1972, de savoir comment se ferait la répartition des tâches entre la CPE et l’OTAN pour déterminer les positions occidentales sur chacune des grandes thématiques de la CSCE, la diplomatie française s’oppose catégoriquement à ce que les thèmes de la « troisième corbeille » d’Helsinki fassent l’objet de négociations préalables au sein de l’Alliance atlantique : l’élaboration de mesures libérales et démocratiques par une instance où siègent les représentants de la Grèce, du Portugal et de la Turquie leur enlèverait toute crédibilité et il serait facile aux Soviétiques de se servir de ce prétexte pour les refuser59. D’où l’insistance française pour privilégier les organes communautaires, mieux placés pour défendre les droits humains. La France fait de la sorte d’une pierre deux coups : elle affaiblit la portée du Rapport Harmel de 1967 sur les nouvelles tâches de l’Alliance, censé permettre à celle-ci de jouer un rôle actif dans les négociations relevant de la détente politique avec Moscou ; elle affirme sa prédominance au sein de la CPE, plus facilement malléable du fait de l’absence des Américains. Contourner l’OTAN est d’ailleurs une manière pour la France de faire un pied de nez à la politique de Nixon et de Kissinger vis-à-vis de la péninsule ibérique et de la Grèce, suspecte aux yeux de Schumann de faire peu de cas des questions démocratiques, comme en témoigne l’empressement du vice-président Spiro Agnew, lui-même d’origine grecque, à se rapprocher d’Athènes60.
42La CSCE incarne ainsi la caution morale de la politique étrangère française et compense le fait qu’au même moment Paris renforce sa coopération avec la Grèce, la Turquie et l’Espagne pour lutter contre l’influence soviétique en Méditerranée, ce qui se traduit par des échanges de plus en plus nombreux et une proximité de plus en plus visible. La realpolitik qui caractérise la France pendant la guerre froide n’est donc pas systématique ; elle est tempérée par une forme d’idéalisme exprimé à travers l’engagement dans le processus d’Helsinki. Celui-ci pose les bases d’une « sécurité globale » fondée sur l’interdépendance des dimensions politique, militaire, économique, culturelle et humanitaire, qui devient, au seuil des années 1970, le credo de la diplomatie française en Europe.
43Cependant, à l’instar des mouvements tiers-mondistes, cette dernière considère que ce qui s’applique à la Méditerranée européenne ne peut être mis en œuvre sur les rives méridionales et orientales de la mer. Là se situe la limite de la politique globale de détente défendue par Pompidou : l’extension des futures conclusions de la CSCE au bassin méditerranéen dans son intégralité ne doit pas concerner la troisième corbeille sur les échanges culturels et les contacts entre les hommes. Les très nombreux documents d’archives du Quai d’Orsay consacrés à la dimension méditerranéenne de la CSCE sont édifiants sur ce point : la question n’est même pas évoquée dans les discussions de la CPE, comme s’il coulait de source que la sécurité coopérative en Méditerranée ne puisse pas inclure les droits humains, la circulation des personnes et la culture. Même les représentants les plus éminents de la « deuxième gauche » n’abordent pas le problème.
44Faut-il en conclure que, pour la diplomatie française, la Méditerranée reste une frontière du point de vue des normes et des valeurs ? Ce serait aller vite en besogne : les interventions secrètes et répétées de Pompidou auprès des dirigeants arabes en faveur de la protection des minorités juives en Afrique du Nord et au Proche-Orient – qui lui valent les remerciements chaleureux d’Israël en dépit de relations bilatérales exécrables61 – ainsi que le vote français, à la Commission des droits de l’homme des Nations unies, d’une résolution sur la violation des droits de l’homme dans les territoires occupés par Tsahal prouvent que Paris a intégré le paramètre des droits humains dans la définition de sa politique arabe62. Mais l’Élysée comme le Quai d’Orsay se refusent à faire de leur respect la condition à de bonnes relations avec les États du sud et de l’est de la Méditerranée – sauf peut-être s’agissant d’Israël – et à s’en servir comme outil de guerre froide. Ce serait faire écho aux objectifs structurels de la diplomatie américaine dans les pays en développement et rompre, de ce fait, avec l’image d’« autre Occident » que Paris entend renvoyer au Levant et au Maghreb. Le signal transmis aux dirigeants arabes serait extrêmement négatif. Certes l’importance des intérêts stratégiques et commerciaux français dans la région contribue à expliquer cette frilosité, mais la question de la représentation que la France veut donner d’elle-même est primordiale : le souci de ne pas se voir accusée de néo-colonialisme la conduit à opter pour la non-ingérence au détriment de l’exaltation des droits de l’homme.
45S’ajoute à cela l’idée, présente chez Pompidou, selon laquelle, de toute façon, la lutte contre la subversion communiste en Méditerranée n’appelle pas les mêmes outils selon qu’il s’agisse de l’Europe du Sud ou du monde arabe : si le combat au profit de la démocratie de marché peut seul affaiblir l’URSS en Europe, le problème est différent chez les Arabes où, contrairement à la Grèce ou au Portugal, toute soviétisation est impossible du fait de la prégnance de l’Islam. La principale menace, dit le président français au commandant Jalloud, provient de la puissance soviétique en tant que telle63. Cela implique de se concentrer en priorité sur les outils relevant de ce que Joseph Nye qualifiera de « hard power » : les échanges économiques et la coopération militaire. Une troisième corbeille étendue à toute la Méditerranée n’aurait donc aucune utilité.
46Pire, considère-t-on à Paris, elle pourrait se retourner contre la France en raison de la ferme volonté de l’Espagne, de la Yougoslavie et de la Turquie d’y intégrer les questions migratoires, véritable talon d’Achille de la position française à la CSCE. Dès les premières semaines de la conférence, à l’automne 1973, Madrid, Belgrade et Ankara proposent que le processus d’Helsinki soit l’occasion de définir une batterie de mesures destinées à améliorer les conditions de vie des travailleurs migrants en Europe. L’Espagne suggère notamment la suppression pure et simple des « obstacles à la réunion des familles » et la mise en place de procédures simplifiées pour l’obtention des permis de séjour64. Or, ces propositions tombent mal pour le gouvernement de Pierre Messmer qui, considérant que « les effets négatifs de l’immigration commencent à l’emporter sur les effets négatifs », durcit sa politique migratoire65.
47Les réticences de la France ne passent pas inaperçues de l’autre côté du rideau de fer : la délégation hongroise à la CSCE se saisit du malaise français pour démontrer que les Occidentaux ont beau jeu d’évoquer la situation des droits humains à l’Est alors qu’ils ne sont pas capables d’accueillir dignement leurs travailleurs migrants66. Dans ces conditions, une extension des dispositions de la troisième corbeille à toute la Méditerranée est inenvisageable pour la France, au vu de l’importance de l’immigration maghrébine au début des années 1970 – en 1975, la France recense près de 711 000 personnes de nationalité algérienne sur son territoire et 260 000 Marocains, soit 28 % de la population étrangère dans le pays67. Avec une troisième corbeille étendue à l’ensemble du bassin, les Français n’auraient pas d’autre choix que d’accepter des textes susceptibles d’assouplir leur politique migratoire, au risque sinon d’affaiblir les positions occidentales en matière de droits humains et de compromettre les objectifs ouest-européens de guerre froide.
48Au final, il est clair que le débat sur les droits de l’homme qui s’impose progressivement en Occident au début des années 1970 affecte la politique française de guerre froide en Méditerranée. Le schéma américain s’applique dans une certaine mesure au cas français du fait de l’imbrication des débats internes avec la conduite des affaires extérieures. Mais si à Washington c’est le poids de l’opinion et du Congrès qui conduit la diplomatie à faire des droits humains un outil global de containment et d’Israël un instrument régional de guerre froide, puis qui finit par avoir raison de la realpolitik kissingérienne, la diplomatie française se veut plus autonome. Elle opte ainsi pour un usage « à la carte » des différentes « corbeilles » de la CSCE dans sa politique méditerranéenne : si la première corbeille sur les mesures de confiance et la sécurité lui permet de prouver sa bonne foi auprès des non-alignés, la portée de la troisième ne peut se limiter, pour l’instant, qu’à la partie européenne de la Méditerranée.
49On est ainsi encore loin d’un schéma de sécurité globale à l’échelle de tout le bassin. Et pour cause : certes, à la veille des chocs de l’automne 1973, la prise en compte des débats autour des grandes négociations qui structurent le dialogue Est-Ouest montre que la France parvient à faire triompher sa conception de la sécurité en Méditerranée, fondée sur l’idée que la détente militaire et le désarmement doivent être précédés par une détente politique solidement établie entre les deux blocs et autour de la Grande bleue. Toutefois, si la version politique de la détente connaît des progrès fulgurants au début de la décennie 1970, les acteurs de la diplomatie française, à commencer par Pompidou, ne la jugent pas suffisamment stable et ancrée dans les rapports internationaux pour permettre de baisser la garde dans une Méditerranée qui, comme le redoutaient les non-alignés, est un centre majeur de la guerre froide.
La compétition franco-soviétique en Méditerranée à l’heure de la détente en Europe
Une opposition de plus en plus marquée dans un espace toujours plus stratégique pour la France
50Il est désormais établi que les années 1969-1972, qui voient la détente Est-Ouest atteindre un apogée, correspondent à un moment d’épanouissement des rapports entre Paris et Moscou68 : dans la foulée du voyage de Pompidou en URSS en octobre 1970, les rencontres au sommet se font à un rythme régulier ; diplomates français et soviétiques communiquent quotidiennement ; bien qu’il ne lui confère pas les mêmes objectifs que le Kremlin, le président français accepte le principe d’une conférence sur la sécurité européenne ; Français et Soviétiques se retrouvent pendant un an autour de la table des négociations quadripartites sur Berlin ; plusieurs grands contrats industriels et commerciaux sont signés entre les deux pays, à l’instar par exemple de celui passé entre la société d’ingénierie Litwin-France et l’URSS le 7 décembre 1973 en vue de la réalisation d’un complexe pétrochimique69. La déclassification des archives françaises a permis de confirmer l’idée d’une atmosphère franco-soviétique apaisée, durant cette période, sur les questions bilatérales et européennes. Toutefois, ces mêmes documents, produits par les conseillers diplomatiques du président, la direction d’Europe et celle d’Afrique-Levant, mais aussi les archives de la Défense, permettent un deuxième constat : si l’on déplace vers le sud le curseur des relations entre la France pompidolienne et l’URSS brejnévienne, on s’aperçoit que la détente est à relativiser. Pis, la détente en Europe est une cause directe de la dégradation des rapports franco-soviétiques en Méditerranée. Pompidou et le maréchal Gretchko en font le constat en décembre 1972, obligeant le président français à remettre les points sur les « i » lorsque son interlocuteur lui reproche la participation de la France aux manœuvres dirigées contre l’URSS :
« Les États-Unis ont peut-être des qualités et des défauts, mais il n’y a aucune chance qu’ils attaquent la France. […] Il appartient à vous-même plutôt qu’à nous de faire des pas en avant, vers la paix, afin que cette nécessité [d’une alliance franco-américaine] disparaisse. Je souhaiterais qu’au-delà des négociations, des conférences et des rencontres, l’inutilité des pactes, alliances et manœuvres apparût70. »
51Deux facteurs au moins expliquent la volonté de Pompidou de ne pas baisser la garde face à l’URSS en Méditerranée. Premièrement, le risque de neutralisation de l’Europe centrale sous l’effet conjugué de l’Ostpolitik, des MBFR et des SALT rend la sécurité de l’Europe de l’Ouest toujours plus dépendante du dispositif de défense occidental sur le flanc sud.
52Deuxièmement, on estime à Paris que si les intentions de l’URSS sont claires en ce qui concerne l’Europe – où Moscou cherche avant tout à obtenir la reconnaissance « des réalités de 1945 » et du statu quo politique et territorial – elles le sont moins en ce qui concerne le bassin méditerranéen à partir de 1970. La campagne de propagande soviétique de 1971 visant à justifier sa présence au-delà de la mer Noire entretient d’autant plus le doute que l’URSS apparaît au faîte de sa puissance. L’ambassadeur à Moscou Roger Seydoux s’interroge ainsi à plusieurs reprises sur les objectifs du Kremlin en Méditerranée après que ce dernier a massivement réarmé l’Égypte et que Sadate a repris l’initiative des négociations en faveur de la paix. L’ambassadeur qualifie ainsi la politique de l’URSS en Syrie et au Maghreb de « zones d’ombre » où les intérêts soviétiques croisent ceux de la France71. Pour la sous-direction d’Europe orientale, l’équipe brejnévienne ne sait pas vraiment où elle va, décontenancée par l’animosité que lui oppose Israël72.
53Aussi, tout en refusant que les mesures de désarmement soient étendues à la Méditerranée, Pompidou prône-t-il une « détente globale » qui ne se limiterait pas aux questions européennes. L’objectif est d’éviter que le développement du « condominium soviéto-américain » et du « bloc à bloc » à travers les MBFR et les SALT ne mette en échec la stratégie gaullienne consistant à maintenir un lien permanent entre les différents dossiers qui composent les relations Est-Ouest, stratégie qui avait été mise en œuvre à propos de la question allemande, de Chypre et du Proche-Orient. Seydoux conseille de rappeler aux Soviétiques la nécessité de poursuivre le dialogue bilatéral sur la Méditerranée et ses « zones d’ombre » en insistant sur le fait que « la France a une vocation mondiale et ne saurait être considérée comme une simple pièce de l’échiquier européen73 ». Mais, en ce début des années 1970, plus le dialogue entre Moscou et Washington s’approfondit, moins la détente semble s’appliquer à la Méditerranée, ce qui conduit la France – en dépit des injonctions de Pompidou et Schumann à leurs partenaires de la CPE à ne pas regarder la géopolitique du bassin méditerranéen sous le seul prisme de la guerre froide – à s’opposer de plus en plus frontalement à l’influence et aux intérêts soviétiques dans la région, sans toujours chercher à agir de concert avec ses alliés atlantiques. Il faut dire qu’en 1972-1973 la confiance de la France en ses partenaires américains et ouest-européens va en s’érodant, Pompidou supportant de moins en moins la tendance de Nixon et Kissinger à privilégier le strict bilatéralisme avec Moscou pour tout ce qui a trait à la sécurité et aux intérêts des Européens.
54Or, en Méditerranée, les intérêts stratégiques français ne cessent de prendre de l’importance. Avec la nationalisation du pétrole algérien, la France accélère la diversification de ses sources d’approvisionnement, privilégiant largement le Moyen-Orient. Alors qu’en 1970 la part du pétrole d’Algérie représente plus de 26 % du total des importations de la France, ce chiffre tombe à 7 % dès l’année suivante et se maintient à ce niveau au cours de la décennie74. Certes, avec la fermeture du canal de Suez depuis 1967, les pétroliers en provenance du golfe Persique ne traversent plus la Méditerranée d’est en ouest et doivent contourner l’Afrique, mais l’allongement de la distance de parcours est compensé par l’accroissement de la taille et du nombre des supertankers. Ceux qui desservent la France accèdent à la Méditerranée par Gibraltar et déchargent leur cargaison au terminal pétrolier de Fos-sur-Mer. Preuve des besoins toujours plus importants en pétrole du Moyen-Orient, l’oléoduc qui relie Fos à la région du Rhin supérieur est doté d’une triple canalisation en 1971-1972.
55Aux pétroliers s’ajoutent les cargos et les paquebots de croisière, eux aussi de plus en plus nombreux du fait de l’explosion du tourisme en Méditerranée dans les années 1960, qui fait du bassin la première destination touristique mondiale. La mer en elle-même reste l’espace de circulations qu’elle est depuis l’Antiquité, mais la massification des échanges, du tourisme et des migrations pendant la décennie 1970 lui confère une dimension exceptionnelle, dont les Français sont des acteurs de premier plan : le besoin de main-d’œuvre nourrit une croissance continue et rapide des flux migratoires entre le Maghreb et la France ; la « politique méditerranéenne globale » destinée à harmoniser les différents accords passés par la CEE avec les pays du bassin participe de l’augmentation du volume des échanges commerciaux entre riverains ; l’Espagne et l’Italie deviennent, après la France elle-même, les premières destinations touristiques des Français. Dans ce contexte, la sécurisation de la Méditerranée, qui plus est dans sa partie occidentale, est vitale pour la France, qui entend parer aux crises éventuelles que pourraient provoquer la présence soviétique dans cette mer et l’important soutien militaire que le Kremlin fournit à l’Algérie, mais aussi à l’Égypte et à la Syrie. Outre sa participation aux manœuvres de l’OTAN, la France contribue à l’endiguement de l’URSS en Méditerranée à l’aide d’une gamme diversifiée d’instruments qui va du renseignement à la diplomatie, en passant par l’assistance économique et militaire, appliqué différemment selon qu’il s’agit de l’est ou de l’ouest du bassin.
Défense, renseignement et coopération militaire : le temps du renouveau anti-communiste en Méditerranée occidentale ?
56Dans la partie occidentale de la Méditerranée, la défense l’emporte sur la sécurité : rien ne doit mettre en danger le territoire national. Pompidou estime que de Gaulle a trop négligé cette mer au profit de l’Atlantique et entame le processus de retour des forces navales françaises en Méditerranée75. Cette décision est largement approuvée par l’état-major des armées, qui considère qu’à trop concentrer ses forces à Brest la France donne l’impression de regarder vers les États-Unis76. De fait, si les manœuvres que la France organise, ou celles auxquelles elle participe dans le cadre de l’OTAN, continuent de privilégier l’espace compris entre ses côtes, l’Espagne, l’Italie et le Maghreb, elles prennent une importance quantitative et qualitative considérable, comme en juin 1971, lorsque l’exercice MANAT simule une attaque contre le commerce maritime français et la basse vallée du Rhône.
57L’outil de dissuasion atteint alors un haut degré de développement. Le premier Groupement de missiles stratégiques (GMS), créé en 1968, devient opérationnel le 2 août 1971 lorsque les neuf premiers missiles SSBS (Sol-Sol Balistique Stratégique) du plateau d’Albion sont mis en service. Ces derniers sont un élément déterminant de la triade stratégique aux côtés de la composante air et des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de la Force océanique stratégique. Du fait de la transformation du site, en 1997, en « laboratoire souterrain à bas bruit » affilié au CNRS, on sait aujourd’hui que le plateau d’Albion contribuait, dans les années 1970 et 1980, à la surveillance de la Méditerranée. Situées à 518 mètres sous la roche karstique, les installations bénéficient d’un calme environnemental unique en Europe qui permet de repérer les sonars des sous-marins qui croisent au large des côtes françaises et de participer à la mission de renseignement militaire77.
58Précisément, l’évolution générale du renseignement incarne la réorientation méditerranéenne de la stratégie française de guerre froide au début des années 1970. Certes ce milieu ne laisse, par définition, que peu de traces écrites qui permettraient de reconstituer pas à pas l’itinéraire suivi par les services français à l’époque de Georges Pompidou. Mais les quelques documents produits par les « deuxièmes bureaux » des trois armées qui sont distillés dans les cartons du Service historique de la Défense laissent déjà deviner les priorités géographiques du renseignement militaire au commencement de la nouvelle décennie : Maghreb, Moyen-Orient, Afrique. Si les archives du SDECE (Service de documentation extérieure et du contre-espionnage) versées aux Archives nationales sont, comme on peut s’y attendre, inaccessibles, la découverte faite par l’essayiste Jean-Christophe Notin à l’ancien domicile du directeur des services Alexandre de Marenches (1970-1981) montre que le bassin méditerranéen est le haut lieu de la surveillance des agissements soviétiques sous Pompidou et Giscard d’Estaing78.
59C’est en effet le successeur du général de Gaulle qui, en novembre 1970, nomme de Marenches directeur général du SDECE dans le but d’accompagner le rapprochement franco-américain et de s’assurer de la loyauté des services secrets français après l’affaire Marković79. De Marenches incarne alors le profond renouveau du renseignement français, tant dans ses hommes que dans ses priorités et ses moyens. Issu de familles de la noblesse européenne et d’une mère américaine, il fait de la défense de l’Occident et de ses valeurs une priorité absolue. Son anticommunisme est tel qu’il voit la main de Moscou derrière n’importe quelle tentative de déstabilisation des intérêts occidentaux à travers la planète. Impliqué dès le début de la guerre froide dans les affaires interalliées du fait de son rôle d’interprète auprès du maréchal Juin lors des entretiens de ce dernier avec George Marshall, de Marenches considère que l’éloignement français des États-Unis orchestré par de Gaulle a été une grave erreur qui n’a fait qu’exposer un peu plus la France au risque de subversion communiste. Car pour lui, l’URSS a un plan bien établi de domination et la détente n’est qu’un jeu de dupes. Sa lecture des relations internationales le conduit très tôt après sa prise de fonction à émettre un constat on-ne-peut-plus clair : c’est désormais du sud que provient la menace communiste.
60Pareille position pourrait paraître caricaturale, tellement l’homme, de par ses origines familiales, son parcours et ses prises de position politiques – il quitte le SDECE lorsque François Mitterrand remporte l’élection présidentielle en 1981 – symbolise le parfait « cold warrior », incapable de voir le monde à travers autre chose que la lorgnette de la guerre froide. Toutefois, les documents aujourd’hui consultables montrent qu’au Quai d’Orsay et à la Défense nombreux sont ceux qui partagent ou ne sont pas loin de partager la vision d’Alexandre de Marenches, moins isolé dans sa démarche que ce que l’historiographie de la détente pourrait le laisser croire. Au Quai, la sous-direction d’Europe méridionale et celle d’Afrique du Nord, en première ligne de l’opposition Est-Ouest en Méditerranée, ne cachent pas leur hostilité à l’URSS : le ton des télégrammes qu’elles produisent tranche régulièrement avec ceux de la sous-direction d’Europe centrale et orientale, engagée plus directement dans la détente européenne. Même les ministres des Affaires étrangères et de la Défense se montrent offensifs dès lors qu’il s’agit de contrer l’URSS en Méditerranée occidentale. Michel Debré transmet ainsi à de Marenches le 1er décembre 1970 des instructions édifiantes :
« Il y a certains pays et certains domaines où l’organisme que vous dirigez doit avoir plus qu’une capacité d’information : une certaine capacité d’action. Pour ce qui concerne les pays, la liste en est claire : elle comprend nos voisins européens, les États d’Afrique du Nord, nos anciennes possessions et, au-delà, les pays de l’ancienne Union française ainsi que quelques points bien choisis80. »
61Et le ministre de la Défense de se livrer à une description précise des actions à mener :
« Il est utile de pénétrer à l’intérieur des milieux politiques, des milieux économiques, des milieux militaires, des milieux intellectuels, dans des conditions qui permettent au gouvernement d’exercer une influence. »
62Les milieux d’affaires internationaux sont particulièrement visés : le SDECE a pour mission de collecter toutes les informations possibles quant à l’énergie nucléaire, à l’informatique et au pétrole. Dès lors, le renseignement économique – le « service 7 » du SDECE – devient l’une branches les plus prolifiques des services français.
63L’anticommunisme virulent du directeur du SDECE le conduit par ailleurs à renforcer les relations des services français avec les pays méditerranéens qu’il considère comme les plus résistants à la subversion venue de l’Est. L’Espagne franquiste figure en haut de la liste81 : l’établissement de liens forts entre le SDECE et la Seguridad espagnole de même que le soutien français à l’adhésion de l’Espagne au Marché commun prouvent à quel point la France entend toujours faire de l’Espagne, avant même la disparition de Franco et l’établissement de la démocratie, un partenaire de choix, en particulier du point de vue stratégique. On l’a vu, les années 1960 ont clairement posé les bases de cette coopération, devenue nécessaire au vu de la situation en Afrique du Nord et, en particulier, de l’accroissement de la pénétration soviétique en Algérie. Les archives diplomatiques confirment cette tendance des Français à se présenter comme des as de la lutte anti-communiste auprès du caudillo, laissant penser que la position de De Marenches – si elle se distingue par sa virulence – n’est pas isolée et que sa nomination n’est pas due au hasard de l’avancement des carrières. Ainsi, face « aux idéologies qui passent et changent », Schumann préconise au vieux dictateur un front commun des défenseurs des nations au nom de « la survivance de l’Occident », un concept qui en dit long sur la communauté de vues qui unit Paris et Madrid dans leur vision des rapports de force en Europe82.
64Le Maroc constitue un autre rempart que la France entend privilégier. Depuis l’intervention des troupes du pacte de Varsovie en Tchécoslovaquie, le ministère de la Défense comme le SDECE craignent une poussée soviétique vers l’Ouest à la faveur de la « finlandisation » de l’Europe centrale qui pourrait résulter des MBFR et de l’Ostpolitik. Plusieurs scenarii de guerre sont alors formulés et transmis au président Pompidou, qui se voit présenter le dispositif de défense français en cas d’invasion soviétique par l’est ou le sud. Si un repli hors du territoire français devait s’avérer nécessaire, le SDECE considère que c’est au Maroc que l’ensemble de ses documents ultra sensibles devraient être mis à l’abri, le royaume chérifien étant perçu comme « le seul pays d’Afrique que les Américains n’accepteraient jamais d’abandonner à l’ennemi83 ». Aussi, dès 1971, le Service Action du SDECE renforce sa présence au Maroc et participe à la refondation des services secrets marocains.
65A contrario, de Marenches fait fermer les postes du SDECE qui lui paraissent inutiles, à savoir tous ceux qui se situent de l’autre côté du rideau de fer, y compris à Moscou : les agents français dans les pays communistes sont tellement surveillés qu’ils en sont devenus improductifs. Il vaut mieux se concentrer sur les marges méridionales de l’Europe, là où se joue désormais la guerre froide. Seuls sont maintenus à l’Est les postes de Bucarest et de Berlin-Est, pratiques pour intercepter les réseaux hertziens84. Au Sud de la Méditerranée, le SDECE se focalise sur l’Algérie. Laissant de côté le nationalisme de ce pays, de Marenches, aveuglé par son anticommunisme, le voit d’abord comme un client de Moscou, tout comme la Libye. Il en résulte une observation à la loupe des liens entre l’Algérie et l’URSS : les agissements des quelques 800 coopérants soviétiques qui, en 1971, vivent en Algérie sont scrutés, de même que les cargaisons des bateaux russes ou bulgares qui mouillent quotidiennement dans les ports algériens. La méfiance vis-à-vis de la relation soviéto-algérienne n’est cependant pas l’apanage du SDECE : au seuil des années 1970, le Quai d’Orsay et le ministère de la Défense se préoccupent vivement de la lutte contre la pénétration soviétique en Algérie. Une note de la direction d’Afrique du Nord de janvier 1971 affiche clairement la couleur : l’objectif français doit être de « freiner l’expansion et, pour autant que l’occasion nous en soit offerte, [de] réduire la prééminence soviétique dans l’armée algérienne85 ». L’Algérie ne doit pas devenir le Cuba de la France et le théâtre d’une déstabilisation de l’Occident.
66L’inquiétude des années précédentes quant aux fournitures d’armes de la part de l’URSS, déjà très marquée au sein de la direction d’Afrique du Nord, se transforme ainsi en véritable offensive commerciale ; celle-ci s’explique d’abord par la volonté de la France de sécuriser son espace proche en conservant « un droit de regard et une influence dans un pays qui occupe une large place dans le bassin méditerranéen86 ». De fait, les motivations de la politique française en Algérie doivent être replacées dans le contexte plus large des rapports de force en Méditerranée et des enjeux de la sécurité européenne. Les risques de neutralisation de l’Europe centrale, l’importance stratégique de la Méditerranée et le besoin de rester crédible auprès des non-alignés sont tels que rien ne doit être négligé dans la défense des intérêts et de la sécurité de la France au sud. Dans ce contexte, la coopération avec l’armée, « seul corps politique algérien qui soit, pour l’instant, et dans un avenir prévisible, en mesure d’organiser et d’encadrer un pays neuf87 », est cruciale, d’autant que les Français sont galvanisés par le succès de leurs armes auprès de cet autre pays arabe influent qu’est la Libye.
67L’offensive française en Algérie est également très pragmatique puisqu’elle profite des limites de l’assistance soviétique, rythmée par les retards de livraison et les problèmes linguistiques, sans parler de l’absence de formation des militaires algériens par l’Armée rouge. Ces difficultés permettent à la France de pénétrer dans les domaines de l’Aviation et de la Marine, jusque-là réservés à l’URSS, et de recouvrer, au seuil de la décennie 1970, une influence fragile mais réelle sur l’armée algérienne, que les Soviétiques s’efforcent de contrer comme ils le peuvent. Si la coopération militaire avec la France ne fait pas l’unanimité au sein des cercles dirigeants algériens, le gouvernement de Boumediene est obligé de composer d’une part avec les chefs de l’Armée nationale populaire (ANP), dans l’ensemble favorable aux Français, et d’autre part avec ses homologues nord-africains et moyen-orientaux, qui voient en la France un pays « non engagé » qui comprend et défend les Arabes88. Aussi, la direction d’Afrique du Nord se félicite de ce qu’en dépit de la nationalisation du pétrole et de la dégradation des rapports politiques qu’elle entraîne, la coopération avec l’armée algérienne s’effectue « dans un climat excellent89 » ; elle facilite le travail des deuxièmes bureaux des trois corps d’armée français qui, en collectant des renseignements précis sur les forces algériennes et la présence soviétique, complètent le travail du SDECE.
68En ce sens, l’Algérie demeure constamment sous la surveillance des Français qui, malgré les déclarations publiques sur la liberté de chaque pays à coopérer avec qui il le souhaite, tolèrent de moins en moins la présence soviétique en Méditerranée occidentale et font tout pour la prévenir. Le renouveau du SDECE s’inscrit dans cette démarche ; l’arrivée d’un directeur obnubilé par la « menace rouge » dans la sphère d’influence française ne peut être dissociée de l’évolution générale de la politique française de guerre froide. Conjugué à une vigoureuse diplomatie de la coopération, le renseignement participe de la construction, par et pour la France, d’un espace euro-méditerranéen de sécurité et de défense.
69À l’est de la Méditerranée en revanche, la France ne dispose pas des mêmes moyens et de la même influence, et les enjeux de la guerre froide prennent une autre tournure en raison des évolutions de l’opposition israélo-arabe. Cela l’oblige à privilégier d’autres outils pour contenir l’URSS, à Chypre en premier lieu.
Les adaptations de la stratégie gaullienne à Chypre
70Dans la partie orientale du bassin méditerranéen, la volonté de la diplomatie française de contrer la progression soviétique est tout aussi forte : les enjeux de sécurité pour la France et l’Europe y sont considérables et, entre les détroits turcs et les bases en Égypte, la zone constitue la porte d’entrée des Soviétiques en Méditerranée, du moins tant que ceux-ci ne s’en prennent pas à la Yougoslavie. L’essentiel pour les Français est donc de contribuer à la résolution des conflits en Méditerranée orientale pour éviter que Moscou ne trouve prétexte à s’y ancrer toujours plus.
71La région des détroits est stratégique à cet égard. En témoigne l’approfondissement des relations avec la Grèce des Colonels et avec la Turquie, en dépit du durcissement du régime turc et de la répression qui touche les mouvements de gauche à partir de mars 1971. Les ventes d’armes françaises aux gouvernements turc et grec s’accélèrent, avec pour toile de fond la crainte régulièrement manifestée d’un désengagement américain et d’une trop grande proximité entre Chypriotes et Soviétiques90. En effet, alors qu’Athènes et Ankara parviennent enfin à s’entendre sur la nécessité de préserver le statu quo à Chypre pour ne pas aggraver l’instabilité géopolitique de la région, Makarios refuse que la solution au problème chypriote soit imposée par les deux pays membres de l’OTAN. Il décide donc de se tourner un peu plus vers le bloc de l’Est, à la grande satisfaction du Kremlin qui voit là l’occasion de consolider sa présence en Méditerranée orientale en défendant bec et ongles le non-alignement de Chypre et en repoussant tout partage de l’île, lequel bénéficierait inévitablement à l’Alliance atlantique91. Makarios se rend directement à Moscou en juin 1971 et, six mois plus tard, fait venir une importante quantité d’armes légères tchécoslovaques dans le but de se constituer une garde prétorienne de 2 000 hommes92. La Bulgarie, la Yougoslavie et la Syrie, voisines socialistes de la Grèce et de la Turquie au Proche-Orient et dans les Balkans, apportent également leur soutien inconditionnel à l’Ethnarque qui, s’appuyant sur les communistes chypriotes, adopte un positionnement clairement anti-occidental93.
72Pour la diplomatie pompidolienne, la stratégie gaullienne qui consistait, jusqu’en 1967 et la reprise des tensions intercommunautaires dans l’île, à promouvoir une solution quadripartite couplée à des négociations entre communautés, est désormais plus compliquée à défendre : elle ne ferait que conforter Makarios dans son refus de l’ingérence extérieure et encouragerait Moscou à s’immiscer davantage dans les affaires de l’île. Seule l’entente entre communautés grecques et turques chypriotes peut permettre de sortir de l’ornière94. Les nombreux documents produits par la sous-direction d’Europe méridionale montrent combien l’inquiétude est grande au Quai d’Orsay quant aux effets que pourrait avoir la politique de Makarios sur les équilibres Est-Ouest en Méditerranée. « Le glissement de Chypre vers un neutralisme trop favorable aux Soviétiques » donne l’occasion à l’URSS de s’implanter directement sur le flanc sud de l’OTAN à un moment où les enjeux énergétiques et la question du terrorisme rendent la sécurité de l’Occident toujours plus dépendante de la situation au Proche-Orient95. Preuve de l’attachement français à la stabilité de Chypre et de la place que lui accorde la France dans sa politique méditerranéenne après la reprise des relations diplomatiques avec Nicosie en 1969, Jean de Lipkowski obtient qu’une filiale de Radio Monte Carlo puisse installer une antenne dans l’île à destination du Moyen-Orient, malgré le monopole d’État de l’ORTF96. La France profite de la sorte du non-alignement déclaré de Makarios et de la proximité géographique de Chypre avec le monde arabe pour développer son rayonnement culturel et médiatique dans toute la région. Considérée en France comme la « radio du Sud », qui émet jusqu’en Italie, RMC participe ainsi de la construction d’une politique d’influence française à l’échelle de tout le bassin méditerranéen.
73Dans ce contexte, le soutien à Athènes et Ankara, « piliers de stabilité » en Méditerranée orientale, est primordial pour la France97. Ses ambassadeurs dans les deux capitales s’efforcent de convaincre les autorités turques et grecques de ne pas imposer aux Chypriotes une solution décidée à deux, surtout si elle doit se traduire par un partage de l’île. L’URSS ne manquerait pas de se mêler directement de l’affaire et d’ainsi transformer la question chypriote en enjeu de guerre froide. On assiste donc à une adaptation de la stratégie gaullienne des années 1964-1967 : tandis que le Général avait fait de Chypre un dossier essentiel du dialogue franco-soviétique, Pompidou cherche à extraire ce problème du cadre Est-Ouest, y compris de ses rapports avec l’URSS, pour ne pas créditer l’idée que Moscou aurait un droit de regard particulier sur la question chypriote.
74La France renoue en revanche avec la politique gaullienne qui consiste à profiter des hésitations américaines et britanniques pour avancer ses pions auprès des Grecs et des Turcs, déçus du peu d’entrain de l’Administration Nixon et du gouvernement Heath à condamner l’attitude de Makarios98. Pompidou entend démontrer à ses interlocuteurs de la mer Égée que, face à l’attitude incertaine des deux Grands et du Royaume-Uni, la France offre une alternative occidentale de premier choix en termes de sécurité du flanc méridional de l’Alliance – grâce à sa présence en Méditerranée, à sa stratégie de dissuasion et à ses ventes d’armes – sans déroger à son engagement en faveur de la réussite des discussions intercommunautaires. Lorsque celles-ci reprennent en juillet 1972, les Français apprécient de voir les relations s’apaiser entre Athènes, Nicosie et Ankara ; la reprise des négociations sur Chypre apparaît alors d’autant plus urgente qu’avec l’expulsion des « conseillers » soviétiques par Sadate durant ce même mois de juillet, l’URSS subit un camouflet de la part de son protégé égyptien qui ne fait qu’attiser son désir de trouver des alliés dans cette partie de la Méditerranée. La diplomatie française éprouve donc, à l’été 1972, un sentiment de méfiance accrue à l’égard de l’équipe brejnévienne et de son usage du non-alignement, susceptible de se muer en un neutralisme que le désengagement américain et les négociations MBFR et SALT ne font qu’encourager.
75Précisément, le dialogue avec les États-Unis à propos de la Méditerranée orientale devient également plus compliqué en raison de la propension de Washington à mettre Paris et Londres sur la touche à propos du Moyen-Orient, et ce alors même que la Maison Blanche et l’Élysée disent partager le même objectif de faire reculer l’URSS dans la région. De fait, si la Méditerranée est le théâtre du rapprochement militaire et stratégique franco-américain à l’ère Pompidou-Nixon, elle est aussi le cadre des points de discorde les plus durables entre les deux pays en raison de la conjonction des problématiques proche-orientales et européennes.
Statu quo régional pour « condominium » global. Le Proche-Orient post-nassérien, point d’ancrage de la mésentente franco-américaine
76Si la pression exercée par les non-alignés oblige la France à extérioriser ses réticences quant à une neutralisation de la Méditerranée, le tournant que constituent la mort de Nasser, l’échec du plan Rogers et les initiatives de Sadate conduit la diplomatie pompidolienne à ne plus ménager l’Administration Nixon quant à la nécessité de travailler au dépassement du statu quo post-1967 au Proche-Orient : il en va de la paix dans la région et de l’affaiblissement de l’emprise soviétique sur les Arabes. Or, au Levant comme en Europe, la stratégie de Kissinger consiste à ne rien faire qui puisse saper le rapport de force favorable aux intérêts américains face à l’URSS et à ses protégés. En résulte une détérioration progressive des relations franco-américaines qui n’est pas sans rappeler les pires heures de l’ère gaullienne. Dès 1971 les Français en reviennent à une position très critique vis-à-vis de la stratégie des États-Unis au Proche-Orient en ce qu’elle peut avoir des conséquences néfastes pour la sécurité de l’Europe. Cette divergence est exacerbée par les projets transatlantiques de Kissinger en 1973 et le renforcement du « condominium » entre le Kremlin et la Maison Blanche.
Paris, Washington et le renouveau égyptien : deux stratégies pour un même but ?
77Tout au long de son mandat écourté, Pompidou n’en démord pas :
« Il faut traiter le problème en tant que celui d’Israël et des Arabes et se rendre compte de ses différents aspects, et non pas en tant qu’un affrontement entre les États-Unis et l’Union soviétique. Dans ce dernier cas, une solution ne sera jamais atteinte car elle serait liée aux problèmes de Berlin, du Vietnam, des pourparlers SALT, qui n’ont rien à voir avec le Moyen-Orient. Les possibilités d’un règlement deviendraient alors fort éloignées pour ne pas dire problématiques. Et le meilleur moyen de diminuer l’influence soviétique au Moyen-Orient, c’est d’y faire la paix99. »
78Le quadripartisme reste, pour lui, la seule solution valable au conflit israélo-arabe en ce qu’il peut offrir des garanties internationales à la paix et le sortir de la logique Est-Ouest. La clé du problème se situe donc du côté des Américains, qui se montrent incapables d’influencer les dirigeants de l’État hébreu dans le sens de l’apaisement et, de la sorte, renforcent l’ancrage de l’URSS au Proche-Orient. Pour certains observateurs de la politique arabe de la France, le nouveau président égyptien Anouar el Sadate serait également perçu par Pompidou comme responsable du renforcement de la bipolarité dans la région en ce qu’il aurait cherché, dès son arrivée au pouvoir, à faire le jeu de Kissinger et à immédiatement s’orienter vers un rapprochement avec Washington sans se soucier d’un règlement global, comme le prouverait l’expulsion des conseillers soviétiques d’Égypte en 1972100. Les archives dont nous disposons aujourd’hui permettent une double relecture de cette thèse : non seulement Pompidou ne se montre pas « extrêmement réticent101 » à l’égard de Sadate, mais celui-ci bénéficie d’une image d’autant plus positive qu’il rompt avec le nassérisme orthodoxe. En outre, les gestes de bonne volonté dont fait preuve le président égyptien tiennent compte de la nécessité de parvenir à une solution d’ensemble au Proche-Orient. En revanche, la responsabilité américaine et israélienne dans la consolidation de la guerre froide dans cette partie de la Méditerranée ne fait guère de doute.
79Ainsi, début janvier 1971, Sadate prend Israël et les deux Grands par surprise en proposant un ambitieux plan d’ensemble. Fondé sur le retour de la frontière israélo-égyptienne au tracé de 1967, et sur la reconnaissance de frontières sûres et reconnues pour chaque État, le plan prévoit la création d’une zone démilitarisée le long de la frontière entre Israël et la RAU, zone qui serait contrôlée par des troupes appartenant aux quatre membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies102. En acceptant que la négociation en vue d’un règlement débute par la question des garanties fournies par les Quatre et non plus – comme le souhaitait Nasser – par l’étude du calendrier de retrait des forces israéliennes, Sadate manifeste avec éclat sa volonté de paix. Il va plus loin en février 1971 lorsqu’il propose la réouverture du canal de Suez si Israël se retire de la zone ; il accepte en outre les engagements de paix proposés par la mission Jarring, que le diplomate suédois a également soumis au gouvernement de Golda Meir. Au Quai d’Orsay, la sous-direction du Levant considère que « ce geste est d’une extrême importance : c’est la première fois que l’Égypte s’engage à conclure avec Israël, nommément désigné, un accord de paix, ce qui équivaut à la reconnaissance si longtemps attendue d’Israël par son principal adversaire103 ». Le moins que l’on puisse dire est que le soutien de l’Élysée à Sadate est total.
80L’espoir français d’un retour au quadripartisme est cependant rapidement balayé par Golda Meir qui, prise au dépourvu par le retournement égyptien et affirmant simplement qu’Israël ne se retirerait pas sur les lignes du 4 juin 1967, ignore l’offre de Jarring et refuse d’affirmer ses « buts de paix » comme l’a fait Sadate. Le gouvernement israélien voit dans l’initiative du Caire une manœuvre du Kremlin destinée à rouvrir le canal – dont dépend en partie le rayonnement soviétique en Afrique et dans l’océan Indien – ainsi qu’une tentative de rallier les Européens au point de vue égyptien104. Les Américains, eux, sont tiraillés entre l’impérieuse nécessité de contrer l’influence soviétique au Moyen-Orient et le souci de laisser aux acteurs locaux le soin de définir une solution satisfaisante pour tous. Alors que le Département d’État, représenté par Rogers et Sisco, admet que le retour aux frontières du 4 juin 1967 n’est pas indispensable, Kissinger continue d’interpréter la situation en termes d’opposition Est-Ouest. Le conseiller à la sécurité nationale estime qu’exercer une pression sur Israël pour lui faire accepter les propositions de Sadate et de Jarring serait dangereux à tous points de vue : l’opinion publique et le Congrès, notamment leur frange israélite, ne le pardonneraient pas à Nixon ; l’URSS, protectrice de la RAU, sortirait grandie de l’affaire105. L’impasse étant totale, le seul moyen pour l’instant d’assurer la sécurité de l’État hébreu est de poursuivre les livraisons d’armes. Avec la perspective de l’élection présidentielle de novembre 1972, la Maison Blanche préfère ne plus prendre d’initiative dans la région et se contenter du statu quo.
81Côté soviétique, si le désir de parvenir à un règlement reste fort, Gromyko, Souslov et Ponomarev ne peuvent pas non plus se permettre de pousser leurs protégés égyptiens et syriens à davantage de concessions, au risque de provoquer un retournement d’alliance en faveur des Occidentaux. Là aussi, les fournitures d’armes constituent les meilleures garanties de sécurité.
82Face à pareil blocage, Pompidou, Schumann et la plupart des diplomates français attentifs aux affaires du Proche-Orient ne cachent pas leur dépit et, souvent, leur colère. Le président français et son ministre des Affaires étrangères l’affirment sans ambages à leurs amis méditerranéens, qu’ils soient européens ou arabes : en ménageant les Israéliens, en refusant d’exercer une pression sur eux et en se contentant de leur fournir des armes, les Américains prennent la responsabilité d’ouvrir toujours plus la Méditerranée orientale aux Soviétiques et d’entretenir un foyer de conflictualité globale dans une région déjà sous tension106. Et les problèmes de régularité, de sécurité et de coût des approvisionnements en produits pétroliers ne font qu’ajouter à la gravité de la situation. Le mécontentement français est à la mesure de l’effort consenti par Paris pour accroître sa participation à l’endiguement de l’influence soviétique en Méditerranée.
83Les griefs français à l’égard des États-Unis sont d’autant plus grands que Sadate est, dans les premiers mois de 1971, en butte à l’hostilité de certains membres du groupe dirigeant égyptien, à l’instar du ministre de la Défense le général Fawzi et du vice-président Ali Sabri, favorables à la reprise des combats contre Israël et à la coopération avec l’URSS. La crainte de Schumann est qu’avec le rejet israélien des propositions de Jarring et du Caire, Sadate soit renversé et que la Syrie de Hafez el-Assad retrouve son intransigeance107. Les deux Grands pourraient alors se retrouver embarqués dans un conflit qu’ils ne maîtriseraient pas. Si, en mai 1971, le président égyptien parvient à se débarrasser de ses opposants au sein de l’État et du parti, et à reprendre la main, il n’en raidit pas moins sa position à l’égard d’Israël et revient sur son engagement de ne pas ouvrir le feu. Le même mois, il conclut un traité d’amitié et de coopération avec les Soviétiques, à la demande de ces derniers, qui redoutent alors, une fois Sabri écarté, un retournement d’alliance de l’Égypte en direction des États-Unis.
84Que peut alors la France ? Rien, estime Pompidou, si ce n’est accroître l’assistance matérielle à l’Égypte et à la Syrie pour ne pas les laisser seules avec les Soviétiques108. Schumann propose ainsi à Aldo Moro de mettre sur pied un consortium européen qui, sur la base d’une coopération franco-italienne, pourrait concurrencer l’URSS dans le processus d’électrification de l’Égypte et participer au dégagement du canal de Suez109. De la même façon, Assad se voit offrir de meilleures conditions de crédit par la France, qui souhaite infléchir la politique syrienne « dans le sens de la mesure et de la raison110 ». De fait, les relations avec les Arabes poursuivent leur phase ascendante et, avec Le Caire, sont qualifiées d’excellentes par la sous-direction du Levant111. Bien sûr, ni Pompidou ni le Quai d’Orsay ne sont dupes : tous sont parfaitement conscients que la priorité de Sadate est d’améliorer ses relations avec les États-Unis et d’ouvrir l’économie égyptienne aux investissements américains. Mais on ne peut pas résumer le sentiment de Pompidou à l’égard de Sadate à la défiance que cette politique de l’Infitah aurait créé chez le président français.
85Mieux, la réaction des Français au blocage qui résulte du rejet israélien des propositions de paix révèle le malaise grandissant de Paris vis-à-vis du choix américain de maintenir le statu quo en Méditerranée, qui va de pair avec la tendance des États-Unis à tout négocier bilatéralement avec l’URSS. En résulte un dialogue franco-américain de plus en plus difficile sur les questions proche-orientales, qui se traduit par une série d’accrochages entre Sisco et les représentants de la France à Washington et à New York112. À partir de mars 1971, Américains et Français se reprochent mutuellement de faire le jeu de Moscou dans la région, les premiers en n’exerçant pas une influence positive sur Israël, les seconds en soutenant les positions égyptiennes. Les uns et les autres s’accusent par-dessus le marché de ne rien dire de leurs conversations avec les Soviétiques sur le sujet. Pompidou considère qu’en défendant le statu quo, l’Administration Nixon néglige la sécurité de l’Europe, comme elle le fait avec les SALT et les MBFR.
86Le lien entre ces négociations Est-Ouest et la situation au Proche-Orient ne doit d’ailleurs pas être sous-estimé. Le sommet de Moscou de mai 1972 – au cours duquel Nixon et Brejnev signent le premier traité SALT – n’a en général retenu l’attention des historiens que pour ce qu’il signifiait en termes de sécurité européenne et d’arms control. Mais ses conséquences pour l’espace méditerranéen sont décisives en ce que le sommet joue un rôle dans l’« expulsion » des militaires soviétiques d’Égypte et dans le mécanisme qui conduit à la guerre du Kippour.
L’« expulsion » des « conseillers » soviétiques d’Égypte : un risque pour les intérêts arabes de la France
87L’historiographie du conflit israélo-arabe présente généralement l’expulsion des conseillers soviétiques d’Égypte en 1972 comme un moyen pour Sadate de faire pression sur l’URSS. En effet, depuis la fin de 1971, constatant que l’Administration Nixon autorise la livraison de nouveaux Phantom à l’État hébreu et que les colonies israéliennes se multiplient dans le Sinaï, le président égyptien a renoué avec le discours guerrier et théorisé la « double action ». Celle-ci vise à poursuivre les négociations diplomatiques tout en se préparant à une bataille « de longue haleine113 ». Pour permettre cela, Sadate réclame des armes offensives à Brejnev qui, prudent, ne lui promet que du matériel défensif mais s’engage à aborder la question du Proche-Orient au sommet de Moscou.
88Or, celui-ci ne produit que de maigres résultats en la matière et donne surtout l’impression d’une entente parfaite entre le président des États-Unis et le secrétaire général du PCUS sur la nécessité de préserver leurs zones d’influences respectives en Europe et au Proche-Orient. Aussi Pompidou et Sadate figurent-ils parmi les contempteurs les plus acerbes du sommet, le président français ne s’étonnant pas de la décision alors prise par son homologue égyptien pour mettre la pression sur l’équipe brejnévienne : le 18 juillet 1972, après avoir renouvelé sa demande d’armements offensifs auprès de l’URSS et obtenu une nouvelle réponse négative, Sadate expulse les « conseillers » soviétiques d’Égypte. Mis au pied du mur, le Kremlin doit se préparer à livrer les armes demandées s’il veut préserver son influence sur l’Égypte, où l’Eskadra continue malgré tout de profiter de facilités portuaires. Avec le départ des militaires soviétiques, l’armée égyptienne est désormais libre de reprendre ses opérations contre Israël sans que l’URSS ait son mot à dire. Côté américain, le geste spectaculaire de Sadate oblige Kissinger, qui depuis décembre 1971 a entièrement mis la main sur les dossiers moyen-orientaux, à mieux considérer les intentions égyptiennes114.
89Une autre lecture de l’expulsion d’Égypte a cependant émergé, ouvrant un débat historiographique houleux dont l’histoire de la guerre froide au Moyen-Orient a le secret. Sur la base de documents égyptiens, britanniques et israéliens, Isabella Ginor et Gideon Remez ont avancé l’idée selon laquelle l’exode massif de personnel soviétique d’Égypte en 1972 n’a pas été le fruit d’une éviction unilatérale mais d’un retrait décidé d’un commun accord entre Sadate, Brejnev et Gromyko, avec l’aval implicite de Kissinger115. Selon cette théorie, les Soviétiques qui quittent alors l’Égypte ne sont pas des conseillers, mais un corps expéditionnaire de 20 000 hommes posté dans le pays depuis 1969-1970 et dont le rôle a été, pendant la guerre d’Attrition, d’abattre les Phantom nouvellement acquis par Israël. C’est le succès de leur mission qui aurait obligé Israël à accepter un cessez-le-feu en août 1970. La zone d’exclusion aérienne qui en a résulté pour Tsahal a créé la condition préalable à une offensive égyptienne à travers le canal, pour laquelle les conseillers soviétiques ont formé et équipé l’armée de Sadate. L’« expulsion » permet au final le rapatriement des unités soviétiques et aux nombreux « vrais » conseillers militaires de demeurer en Égypte. Elle est surtout conçue pour tromper les Israéliens. Lors du sommet de Moscou, Kissinger aurait accepté ce « deal » pour les besoins de sa politique de détente et n’en aurait jamais parlé au gouvernement de Golda Meir, l’exposant au danger d’une attaque égyptienne. Il aurait par la suite promu la théorie de l’expulsion pour satisfaire aux exigences de la diplomatie publique américaine.
90Quelle que puisse être la réalité des faits, personne à Paris n’interprète alors le départ des militaires soviétiques – ils sont rarement nommés « conseillers » dans les documents du Quai d’Orsay – comme une victoire sur l’URSS. Certes Schumann juge le moment plus que jamais favorable à un règlement en faveur d’Israël, certes l’ambassadeur Seydoux décrit avec délectation – ou avec naïveté ? – l’embarras de Gromyko lorsque le ministre soviétique tente de justifier auprès de lui la décision de Sadate, arguant qu’une assistance est par nature provisoire et qu’il était convenu avec Le Caire que les experts soviétiques repartiraient lorsque l’Égypte n’en aurait plus besoin116. Mais, dans les faits, la France constate, à l’instar du Département d’État, que le camouflet infligé par Sadate engendre un surcroît de dynamisme au sein de la diplomatie soviétique, qui souhaite compenser ailleurs en Méditerranée orientale la soi-disant détérioration de ses positions égyptiennes. La nécessité d’une détente entre Nicosie, Athènes et Ankara n’en apparaît que plus nécessaire, au risque de voir Moscou profiter des bonnes dispositions de Makarios pour s’installer à Chypre. Dans le monde arabe, l’URSS renforce ses relations avec l’OLP, l’Irak et la Syrie117.
91C’est le cas aussi au Liban, où les Soviétiques essayent de concurrencer les intérêts français. Pour ce faire, ils n’hésitent pas à tirer parti des situations les plus dramatiques. À la suite de l’assassinat des membres de la délégation israélienne aux Jeux Olympiques de Munich par le groupe terroriste Septembre noir le 5 septembre 1972, Israël lance aussitôt des opérations de représailles en territoires libanais et syrien. Au Conseil de sécurité, les États-Unis opposent leur veto au projet de résolution déposé par la Guinée et la Somalie qui en appelle à la cessation des opérations militaires. L’URSS en profite alors pour proposer aux Libanais son aide en unités navales et en armes. Même si le président Frangié ne cède pas aux avances soviétiques, les Français ne peuvent que constater que le Kremlin est dans une phase offensive et que la vigilance s’impose118.
92Mais c’est probablement en Libye que la France connaît les difficultés les plus gênantes. Kadhafi voyant dans le renvoi des officiers soviétiques d’Égypte un moyen pour les États-Unis d’accroître leur influence chez les Arabes, il exige de Sadate qu’il accélère l’union totale entre son pays et la Libye avant le 1er septembre 1973 et qu’ainsi un véritable contenu soit donné à l’Union des républiques arabes, proclamée le 17 avril 1971 à Benghazi aux côtés d’el Assad. Sadate obtempère tout en sachant que cela n’affaiblira en rien son pouvoir. L’idée est de mettre en scène l’union des Arabes face à Israël. Le problème, pour les Français, provient des Mirage vendus à Kadhafi et ravive le débat sur les fournitures d’armes : les avions ne risquent-ils pas d’être utilisés par Le Caire pour attaquer les positions israéliennes ? L’intégration politique et militaire entre l’Égypte et la Libye (la Syrie ne figure pas dans le projet d’union totale de 1972), si elle était menée à son terme, rendrait caduques les clauses de non-stationnement sur des aérodromes étrangers et de non-livraison à des États tiers prévues dans les contrats franco-libyens119. Or, selon l’ambassadeur de France à Tripoli Guy Georgy, l’influence de l’Égypte sur la Libye est considérable :
« Discrets mais omniprésents, 220 000 Égyptiens vivent aujourd’hui en Libye. Policiers, militaires, ingénieurs, techniciens, experts, tâcherons moyens, hommes d’affaires, tiennent en main les clés du pays. […] L’aviation militaire compterait plus de 60 % de pilotes ou de spécialistes originaires du Nil, 15 000 soldats seraient stationnés en Cyrénaïque et en Tripolitaine. La base d’El Adem a été transformée en polygone de manœuvres, Tobrouk en point d’appui maritime. Les Migs 21 FM s’entraînent avec les Mirage 3 à Tripoli. L’armée du général Sadek se donne de la profondeur et des refuges120. »
93En outre, maintenant que les troupes soviétiques ont quitté l’Égypte mais que Moscou s’efforce de demeurer son protecteur attitré, le danger d’une globalisation d’un conflit régional ne serait-il pas accru si Sadate décidait de passer à l’action ? Dans ce cas, les avions français pourraient être utilisés contre l’Occident. « Le seul danger, d’après Pompidou, est celui de la puissance soviétique » et de ses intentions dans le monde arabe121.
94Heureusement pour la France, la relation entre Sadate et Kadhafi ne résiste pas au tempérament instable du dictateur libyen et ne cesse de se dégrader au fil de l’année 1973. Mais Pompidou préfère prendre ses précautions. Au commandant Jalloud qui, en novembre 1972, vient lui demander plus d’avions, plus d’armes et plus d’ingénieurs, le président français répond qu’il ne tient pas à un monopole français de l’armement en Libye et conseille au ministre libyen de diversifier davantage ses approvisionnements en la matière122 – ce que Tripoli ne se prive pas de faire depuis 1969, tant auprès des États-Unis que de l’URSS. À Sadate qui compte sur la France pour l’aider à développer une industrie arabe d’armement, Pompidou oppose sa volonté de respecter l’embargo de 1967 et le fait que, de toute façon, les armes françaises étant incompatibles avec celles des Soviétiques, l’armée égyptienne serait affaiblie à court terme123. Face au refus français et au peu de réaction des Américains – officiellement parce qu’ils sont obnubilés par l’élection de novembre 1972 ; officieusement, peut-être, parce qu’ils ne sont pas surpris – à l’expulsion des conseillers soviétiques, Sadate se retrouve de nouveau en tête-à-tête avec le Kremlin, sur lequel il peut compter pour lui livrer les armes offensives tant réclamées : des avions Mig 23 et Sukhoi 20, et des missiles sol-sol d’une portée de 300 kilomètres. Puisqu’Israël a refusé leurs avances, les Égyptiens sont désormais disposés à reprendre leurs positions par la force. Si les Soviétiques veulent conserver leurs positions au Proche-Orient, ils doivent s’y résoudre. En février 1973, ils accélèrent leurs livraisons à l’Égypte et à la Syrie124.
95À Paris, Pompidou et le Quai d’Orsay assistent, impuissants, à la marche vers une guerre qui paraît difficilement évitable au vu des informations que les diplomates français glanent auprès de leurs interlocuteurs arabes125. La raison en est simple : les deux Grands refusent encore et toujours de prendre leurs responsabilités et de mettre de côté leurs intérêts mondiaux pour exercer une influence positive sur leurs clients méditerranéens. En réalité, et cela tend à contredire la thèse d’I. Genor et de G. Remez selon laquelle l’URSS aurait poussé Sadate à attaquer Israël en octobre 1973126, l’attachement manifeste de Brejnev à la paix et à la préservation des équilibres Est-Ouest – à une époque où le secrétaire général du PCUS est encore en forme et maîtrise le processus de décision – fait qu’il est très inquiet de ce qui peut se passer au Proche-Orient ; il insiste auprès de Nixon et Kissinger sur la nécessité de définir au plus vite des principes de paix incluant le retrait israélien des territoires occupés et des garanties de sécurité pour Israël. Mais le président américain et son conseiller à la sécurité nationale ne semblent pas croire en sa sincérité127.
96L’ère est donc aux incertitudes, pour reprendre les mots de Pompidou lui-même128. Si cette expression lui sert à marquer son pessimisme quant à l’évolution des questions internationales à partir de 1972, elle s’applique particulièrement bien au contexte méditerranéen et à ses enjeux de guerre froide. La tension ne cesse de s’aggraver au Proche-Orient tout au long de l’année 1973, sur fond de renforcement du « condominium » soviéto-américain et de difficultés monétaires. Les débats sur la sécurité européenne et les relations transatlantiques constituent la principale caisse de résonance des critiques françaises à l’égard de Washington, accusé par Paris de laisser pourrir la situation au Proche-Orient tout en menaçant de diminuer sa garantie de sécurité à l’Europe.
97Le projet américain qui consiste à faire de 1973 « l’année de l’Europe » nourrit plus que tout autre la véhémence de ces reproches : il est tout de suite compris par les Européens comme une tentative de Nixon et de Kissinger de reprendre la main sur la direction du monde occidental en exploitant les craintes européennes de désengagement. Par le biais d’une nouvelle Charte de l’Atlantique entre les États-Unis et leurs alliés de l’OTAN, le conseiller à la sécurité nationale demande à la CEE, au nom de la solidarité atlantique et sous la menace voilée de réduire la participation des États-Unis à la défense de l’Europe et d’user des lois protectionnistes américaines, le plus de concessions possibles dans les domaines tarifaire, non tarifaire, agricole, ainsi que dans celui des diverses associations conclues avec les pays d’Afrique et du bassin méditerranéen129. Kissinger présente son projet comme une manière de répondre à la fois aux inquiétudes européennes quant à la diminution des troupes américaines en Europe et aux critiques du Congrès quant au peu d’effort des Européens pour assurer leur propre défense130. Il s’agit de globaliser les questions économiques et militaires pour parvenir à un meilleur équilibre au sein de l’Alliance. Pour Michel Jobert – qui succède à Maurice Schumann au Quai d’Orsay le 2 avril 1973 – les Américains ne cherchent rien de moins qu’à vassaliser l’Europe en l’empêchant de s’organiser par elle-même et de parler en son nom propre sur la scène internationale, en particulier dans le bassin méditerranéen131. Un virulent débat transatlantique découle de ce projet, que Jobert parvient à saboter : en juillet 1973, au grand dam de Kissinger, il convainc ses partenaires des Neuf de rédiger deux déclarations atlantiques clairement distinctes, l’une sur les questions de sécurité, l’autre sur les affaires économiques et commerciales, contournant ainsi le chantage de Washington. Le ministre parvient de la sorte à affirmer les spécificités des Européens par rapport aux Américains132.
98En dépit de ce succès, cet épisode n’est pas de nature à apaiser les critiques françaises vis-à-vis des États-Unis en Méditerranée, dont Michel Jobert, lui-même né au Maroc, se fait désormais le principal porteur. En mettant dans la balance leur rôle dans la défense européenne tout en s’attachant à préserver le statu quo au Proche-Orient, les Américains font le jeu des non-alignés. Ils les poussent à adopter un discours et à entreprendre des actions qui peuvent s’avérer plus virulents et compromettre la sécurité de l’Europe. Pour le ministre français, la signature de l’accord sur la prévention de la guerre nucléaire entre Nixon et Brejnev le 22 juin 1973 ne fait qu’amplifier ces risques : en retirant au Conseil de sécurité des Nations unies sa primauté en matière de gestion des crises internationales qui pourraient impliquer les deux Grands, il rend encore plus dangereuse la situation en Méditerranée, où les tensions de guerre froide se superposent aux conflictualités locales. Avec l’accord de juin 1973, il devient évident que le règlement d’une crise éventuelle ne pourrait qu’être le fait du « condominium », ce qui consoliderait un peu plus la bipolarité régionale et ne permettrait pas de dégager une solution satisfaisante à long terme133. La sécurité de l’Europe en serait toujours plus menacée et les Européens toujours plus mis à l’écart au Proche-Orient.
99À la veille d’un conflit que Pompidou paraît voir venir et qui s’apprête à faire basculer le monde dans un nouveau régime de relations internationales, la France semble renouer avec un gaullisme intransigeant qui participe de l’image d’« autre Occident » dont elle profite depuis la décennie précédente. Une fois encore, cette situation doit beaucoup à l’attitude des deux Grands, qui ne se départissent pas de leur volonté de privilégier le bilatéralisme entre superpuissances. Mais au positionnement heureux de 1970 dans lequel la diplomatie française semblait se complaire en ce qu’il lui assurait une aura en Méditerranée que le statu quo Est-Ouest ne faisait qu’entretenir, se substitue peu à peu une posture plus inconfortable d’un pays qui, pour préserver son audience auprès des non-alignés du bassin, doit s’engager plus avant dans le dépassement de la guerre froide tout en préservant sa sécurité. Ces années 1970-1973 correspondent donc à une période essentielle d’adaptation de la politique méditerranéenne de la France aux évolutions structurelles qui se font jour et appellent à une redéfinition des conditions de la sécurité dans la région.
100Pour cela, les Français sont désormais capables de mobiliser de nouvelles problématiques qui témoignent à la fois des processus d’individualisation à l’œuvre au sein des sociétés occidentales et de la dynamique nouvelle de mondialisation. Se distinguent, parmi ces questions, celles des droits de l’homme, des enjeux énergétiques, du contrôle des armements ou encore de l’évolution du non-alignement qui, entre détente en Europe et course aux hydrocarbures, prend une importance accrue dans le jeu international.
101Ainsi, à l’automne 1973, la diplomatie française a déjà intégré dans sa stratégie européenne de détente et de sécurité les outils pour affronter les grands enjeux qui secouent la Méditerranée de la guerre froide entre 1973 et 1976, du choc pétrolier au triomphe des Américains au Proche-Orient, de la chute des dictatures sud européennes à l’eurocommunisme, de la nouvelle offensive soviétique auprès des Arabes à l’amplification du débat sur la neutralisation de la Méditerranée.
Notes de bas de page
1 Vego Milan, « Soviet and Russian Strategy in the Mediterranean since 1945 », art. cité, p. 173-174.
2 Razoux Pierre, La guerre israélo-arabe d’octobre 1973. Une nouvelle donne militaire au Proche-Orient, Paris, Economica, 1999, p. 286.
3 Frémeaux Jacques, Le monde arabe et la sécurité de la France depuis 1958, op. cit. p. 76.
4 Dépêche no 34/AN, de Georgy, 15 janvier 1972. AMAE, Afrique du Nord, Libye, 1953-1972, vol. LY-5-5 – 42SUP/16.
5 Entretien Pompidou/Jalloud, 21 juillet 1971. AMAE, Afrique du Nord, Libye, 1953-1972, vol. LY-6-2/23.
6 Les Yougoslaves font la promotion de cette expression quand les Tunisiens parlent, eux, de « l’Europe de la Scandinavie au Maghreb ». Note de la SDEM, 26 juin 1972. AMAE, Europe 1971-1976, CSCE, vol. 25.
7 Note no 215 de la cellule CSCE, non datée. AMAE, Europe 1971-1976, Yougoslavie, vol. 3759.
8 Télégrammes no 2823/2837, de Lucet, 4 décembre 1972. AMAE, Europe 1971-1976, Italie, vol. 193QO/493.
9 Entretien Schumann/Abdel Halim Khaddam, 17 octobre 1972. AMAE, Afrique-Levant, Levant 1971-1972, Syrie, vol. SY-6-2/1986.
10 Propos de Bouteflika à Alphand, 4 juillet 1972. Télégrammes no 624-637, de Schumann, 22 juillet 1972. AMAE, Afrique du Nord et Levant, Algérie, 1966-1975, vol. 0034SUP/22.
11 Badalassi Nicolas, « Un continent, deux visions. La France, les États-Unis et le processus d’Helsinki », Relations internationales, no 154, été 2013, p. 107-124.
12 Badalassi Nicolas, En finir avec la guerre froide. La France, l’Europe et le processus d’Helsinki, 1965-1975, Rennes, PUR, p. 274-285.
13 Entretien de Schumann avec l’ambassadeur d’Italie Francesco Malfatti, 29 septembre 1970. AMAE, Europe 1961-1970, Italie, vol. 403.
14 Pompidou emploie cette expression dans le discours qu’il prononce en l’honneur d’Emilio Colombo et d’Aldo Moro, en visite à Paris le 29 janvier 1971. AMAE, Europe 1971-1976, Italie, vol. 193QO/493.
15 Note de l’ambassade de France à Alger, 16 septembre 1972. AMAE, Afrique du Nord et Levant, 1966-1975, Algérie, vol. 0034SUP/24.
16 Note de l’ambassade de France en Italie, juin 1972. AMAE, Europe 1971-1976, Italie, vol. 193QO/474.
17 Télégrammes no 1787-1799, de Burin des Roziers, 22 septembre 1970. AMAE, Europe 1961-1970, Italie, vol. 403.
18 Entretien Schumann/Malfatti, 29 septembre 1970. AMAE, Europe 1961-1970, Italie, vol. 403. La RFA vend principalement des véhicules, des machines, des produits chimiques et des matières plastiques.
19 Migani Guia, « Rediscovering the Mediterranean: First Tests of Coordination among the Nine », in Elena Calandri, Daniele Caviglia et Antonio Varsori (dir.), Détente in Cold War Europe, op. cit., p. 49-60.
20 Entretien Schumann/Malfatti, 29 septembre 1970. AMAE, Europe 1961-1970, Italie, vol. 403.
21 Entretien Schumann/Franco, 25 novembre 1971. AMAE, Europe 1971-1976, Espagne, vol. 444.
22 Soutou Georges-Henri, La guerre froide de la France, op. cit., p. 366-368.
23 Note de la SDEM, 6 juillet 1972. AMAE, Europe 1971-1976, CSCE, vol. 25.
24 Novoseltsev Y. C. et Prygov D., « The Mediterranean Sea, Part I: The Plan of American Imperialism », Some Regional Problems of Foreign Policy, Moscou, Institut américain de l’Académie des Sciences d’URSS, 1971, p. 46.
25 Allison Roy, The Soviet Union and the Strategy of Non-Aligned in the Third World, Cambridge, Cambridge University Press, 1988, p. 157.
26 Vego Milan, « Soviet and Russian Strategy in the Mediterranean since 1945 », art. cité, p. 173-174.
27 MccGwire Michael, Military Objectives in Soviet Foreign Policy, Washington, Brookings Institution Press, 1987.
28 Note du service des pactes et du désarmement, 15 janvier 1971. AMAE, Europe 1971-1976, RFA, vol. 3000.
29 Note no 232 du service des pactes et du désarmement, 24 juin 1972. AMAE, Europe 1971-1976, Italie, vol. 193QO/478.
30 Télégramme circulaire no 591, de Schumann, 15 décembre 1972. AMAE, Pactes et désarmement, 1971-1975, Désarmement MBFR, vol. DT-77-7/34.
31 Ibid.
32 Dépêche no 66/AN, de Wapler, 11 janvier 1972. AMAE, Europe 1971-1976, Turquie, vol. 247QO/188.
33 La France profite du fait que « la Grèce voit avec appréhension tout ce qui peut paraître encourager l’isolationnisme américain ». Note de la SDEM, 25 mai 1972. AMAE, Europe 1971-1976, Grèce, vol. 189QO/286.
34 Vaïsse Maurice, « France and the Greek Colonels », art. cité, p. 27-38.
35 Voir par exemple Morgan Michael Cotey, The Final Act. The Helsinki Accords and the Transformation of the Cold War, Princeton, Princeton University Press, 2018 ; Badalassi Nicolas, En finir avec la guerre froide, op. cit. ; Romano Angela, From Détente in Europe to European Détente. How the West shaped the Helsinki CSCE, Bruxelles, PIE-Peter Lang, 2009.
36 Ghebali Victor-Yves, La diplomatie de la détente : la CSCE, 1973-1989, Bruxelles, Bruylant, 1989, p. 374-389.
37 Pompidou manifeste cette crainte dans un commentaire manuscrit en marge d’une dépêche provenant de Belgrade et datée du 26 juillet 1971 selon laquelle « les Russes prétendent avec de plus en plus d’insistance qu’il faut éteindre l’incendie dans les Balkans. Les Soviétiques se sentiraient encerclés ». Pompidou demande également à ce que les Américains soient sondés sur leurs intentions en cas d’intervention soviétique en Yougoslavie. AN, 5AG2 1041, relations Est-Ouest, 1969-1974. Le 3 août suivant, une note de la sous-direction d’Europe orientale précise les choses : « On ne peut exclure, dans l’avenir, de nouveaux conflits entre les Républiques fédérées aboutissant à paralyser la présidence collective privée de son chef actuel. La diplomatie soviétique, dont l’un des objectifs permanents paraît bien être la recherche de ports méditerranéens pour la flotte russe, ne manquerait pas de jouer de ces dissensions et de favoriser les forces centrifuges existant dans la Fédération ». AMAE, Europe 1971-1976, Roumanie, vol. 3540.
38 Commentaire de Pompidou en marge de la dépêche du 26 juillet 1971. AN, 5AG2 1041, Est-Ouest, 1969-1974.
39 Entretien Schumann/Franco, 25 novembre 1971. AMAE, Europe 1971-1976, Espagne, vol. 444.
40 En avril 1971, Schumann établit « une distinction entre la conception yougoslave du non-alignement pour laquelle [la France a] de la sympathie et l’interprétation que donnent de ce concept certains autres pays qui y trouvent prétexte à critiques systématiques contre les anciens colonisateurs ». Télégramme no 157, de Schumann, 3 mai 1971. AMAE, Europe 1971-1976, Yougoslavie, vol. 3328.
41 Note de la direction d’Afrique du Nord, 22 mars 1972. AMAE, Afrique du Nord et Levant, 1966-1975, Algérie, vol. 0034SUP/24.
42 Note de la SDEO, 23 mars 1972. AMAE, Europe 1971-1976, Yougoslavie, vol. 3759.
43 Ibid.
44 Entretien Schumann/Franco, 25 novembre 1971. AMAE, Europe 1971-1976, Espagne, vol. 444.
45 Télégrammes no 219-239, d’André, 22 janvier 1973. AMAE, Europe 1971-1976, CPE, vol. 3819.
46 Badalassi Nicolas, En finir avec la guerre froide, op. cit., p. 231.
47 Peretz Pauline, Le combat pour les Juifs soviétiques. Washington-Moscou-Jérusalem, 1953-1989, Paris, Armand Colin, 2006, p. 198.
48 Rosenberg John, « The Quest against Détente: Eugene Rostow, the October War, and the Origins of the Anti-Détente Movement, 1969-1976 », Diplomatic History, vol. 39, no 4, 2015, p. 720-744.
49 Plaisant François, Le ministère des Affaires étrangères, Paris, Milan, 2000, p. 46.
50 C’est le cas de Raymond Aron dans Le Figaro, « Le procès et les émeutes (I) », 22 décembre 1970.
51 Télégramme de Robert Gillet, 15 janvier 1971. DDF, 1971, I, no 21.
52 Vaïsse Maurice, « France and the Greek Colonels », art. cité, p. 27-38.
53 Mokhtefi Elaine, Alger, capitale de la révolution : de Fanon aux Black Panthers, Paris, La Fabrique éditions, 2019.
54 Coulon Laurence, L’opinion française, Israël et le conflit israélo-arabe, 1947-1987, Paris, Honoré Champion, 2009.
55 Télégramme de Robert Gilet, 15 janvier 1971. DDF, 1971, I, no 21.
56 Thomas Daniel C., The Helsinki Effect. International Norms, Human Rights, and the Demise of Communism, Princeton, Princeton University Press, 2001, p. 42.
57 Pompidou Georges, Entretiens et discours, t. II, Paris, Plon, 1975, p. 175-176.
58 C’est aussi ce qu’affirme Hervé Alphand pour justifier le développement des relations économiques avec la Grèce. Télégramme circulaire d’Hervé Alphand, 13 juin 1969. AMAE, Europe 1961-1970, Grèce, vol. 254.
59 Badalassi Nicolas, En finir avec la guerre froide, op. cit., p. 170-171.
60 Delorme Olivier, La Grèce et les Balkans, op. cit., p. 1537.
61 Note de la SDL, 29 mars 1972. AMAE, Afrique-Levant, Levant 1971-1972, Israël, IS-6-3, vol. 1935.
62 Dépêche no 31/ANL, de Huré, 4 mai 1972. AMAE, Afrique-Levant, Levant 1971-1972, Israël, IS-6-3, vol. 1935.
63 Entretien Pompidou/Jalloud, 6 novembre 1972. AMAE, Afrique du Nord – Moyen-Orient, 1972-1982, Libye, vol. 37SUP/99.
64 Note no 251 du ministère du Travail, de l’emploi et de la population, sous-direction des mouvements de population, 15 janvier 1974. AMAE, CSCE, vol. 14.
65 Wihtol de Wenden Catherine, Les immigrés et la politique. Cent-cinquante ans d’évolution, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1988, p. 157-158.
66 Télégramme no 2102/2122, de Fernand-Laurent, 30 novembre 1973. AMAE, Europe 1971-1976, Roumanie, vol. 3537.
67 Noiriel Gérard, Le creuset français. Histoire de l’immigration, xixe-xxe siècle, Paris, Seuil, 1988, p. 409.
68 Rey Marie-Pierre, La tentation du rapprochement, op. cit., p. 82-98.
69 Ibid., p. 151.
70 Entretien Pompidou/Gretchko, 1er décembre 1972. AMAE, Europe 1971-1976, URSS, vol. 3721.
71 Télégrammes no 2924-2940, de Seydoux, 21 avril 1971. AMAE, Europe 1971-1976, URSS, vol. 3718.
72 Note de la SDEO, 29 avril 1971. AMAE, Europe 1971-1976, URSS, vol. 3719.
73 Télégrammes no 2924-2940, de Seydoux, 21 avril 1971. AMAE, Europe 1971-1976, URSS, vol. 3718.
74 Saul Samir, « Politique nationale du pétrole, sociétés nationales et “pétrole franc” », Revue historique, no 638, 2006/2, p. 355-388.
75 Frémeaux Jacques, Le monde arabe et la sécurité de la France depuis 1958, op. cit., p. 83-84.
76 Mitterrand Jacques, « La place de l’action militaire dans la stratégie française », Revue de défense nationale, juin 1970, p. 887-901.
77 Entretien de l’auteur avec Stéphane Gaffet, sismologue, directeur du laboratoire souterrain à bas bruit de Rustrel – Pays d’Apt, 14 février 2020, Rustrel (Vaucluse).
78 Notin Jean-Christophe, Le maître du secret. Alexandre de Marenches, Paris, Tallandier, 2018.
79 L’assassinat en septembre 1968 de l’« homme à tout faire » yougoslave de l’acteur Alain Delon, Stevan Marković, donne lieu à une retentissante affaire politico-judiciaire. L’enquête visant à identifier les responsables et les raisons du crime suscite de nombreuses rumeurs et spéculations. Celles-ci concernent en particulier Claude Pompidou. Son mari, qui a quitté Matignon quelques mois auparavant, se dit alors victime d’un complot et en gardera un sérieux ressentiment à l’égard d’une partie de la classe politique et des services de renseignement, qu’il suspecte d’avoir orchestré l’affaire. Voir Pompidou Georges, Pour rétablir une vérité, Paris, Flammarion, 1982.
80 Lettre de Michel Debré à Alexandre de Marenches, 1er décembre 1970. Citée par Notin Jean-Christophe, Le maître du secret, op. cit., p. 125.
81 Notin Jean-Christophe, Le maître du secret, op. cit., p. 158.
82 Entretien Schumann/Franco, 25 novembre 1971. AMAE, Europe 1971-1976, Espagne, vol. 444.
83 Cité par Notin Jean-Christophe, Le maître du secret, op. cit., p. 159.
84 Ibid., p. 156.
85 Note de la direction d’Afrique du Nord, 8 janvier 1971. DDF, 1971, I, no 10.
86 Ibid.
87 Ibid.
88 Note de la direction d’Afrique du Nord, 9 novembre 1971. AMAE, Afrique du Nord, 1966-1975, Algérie, vol. 0034SUP/24.
89 Note de la direction d’Afrique du Nord, 26 juin 1971. AMAE, Afrique du Nord, 1966-1975, Algérie, vol. 0034SUP/22.
90 Note de la SDEM, 10 septembre 1971. DDF 1971, II, no 106 ; Dépêche no 66/AN, de Wapler, 11 janvier 1972. AMAE, Europe 1971-1976, Turquie, vol. 247QO/188.
91 Dépêche no 319/EU, de Garnier des Garets, 13 juillet 1971. AMAE, Europe 1971-1976, Chypre, vol. 3174.
92 Note de la SDEM, 11 février 1972. AMAE, Europe 1971-1976, Chypre, vol. 184QO/86.
93 Note de la SDEM, 28 mars 1972. AMAE, Europe 1971-1976, Chypre, vol. 184QO/86.
94 Ibid.
95 Ibid.
96 Note de la SDEM, 10 janvier 1972. AMAE, Europe 1971-1976, Chypre, vol. 184QO/86.
97 Dépêche no 66/AN, de Wapler, 11 janvier 1972. AMAE, Europe 1971-1976, Turquie, vol. 247QO/188.
98 Dépêche no 5/DA-EU, de Durand, 10 mars 1972. AMAE, Europe 1971-1976, Chypre, vol. 184QO/99.
99 Entretien Pompidou/Hussein de Jordanie, 14 décembre 1970. DDF, 1970, II, no 280.
100 Dalle Ignace, La Ve République et le monde arabe. Le désenchantement, Paris, Fayard, p. 119-121.
101 Ibid., p. 120.
102 Télégramme no 41-53, de Schumann, 11 janvier 1971. DDF, 1971, I, no 15.
103 Note de la SDL, 15 mars 1971. AMAE, Levant 1971-1972, RAU, vol. 1907.
104 Laurens Henry, La question de Palestine, t. IV, op. cit., p. 306.
105 Ibid., p. 308.
106 Entretien Pompidou/Hussein de Jordanie, 14 décembre 1970. DDF, 1970, II, no 280 ; Entretien Schumann/Moro, 29 janvier 1971. AMAE, Europe 1971-1976, Italie, vol. 493.
107 Télégrammes no 524-539, de Schumann, 1er mars 1971. DDF, 1971, I, no 98.
108 Entretien Pompidou/Jalloud, 21 juillet 1971. AMAE, Afrique du Nord, 1953-1972, Libye, vol. LY-6-2/23.
109 Entretien Schumann/Moro, 29 janvier 1971. AMAE, Europe 1971-1976, Italie, vol. 493.
110 Télégrammes no 657-663, de Nègre (Damas), 23 septembre 1971. DDF, 1971, II, no 133.
111 Note de la SDL, 9 mai 1972. AMAE, Levant 1971-1972, RAU, vol. 1907.
112 Voir les télégrammes no 611-612 et 633-644, de Schumann, 11 et 16 mars 1971. DDF, 1971, I, no 109.
113 Laurens Henry, La question de Palestine, t. IV, op. cit., p. 332.
114 Ibid., p. 348-349.
115 Ginor Isabella et Remez Gideon, « The origins of a misnomer: the “expulsion of Soviet advisers” from Egypt in 1972 », in Nigel Ashton, The Cold War in the Middle East, op. cit., p. 136-163 ; Ginor Isabella et Remez Gideon, « The Tyranny of Vested-Interest Sources: Shaping the Record of Soviet Intervention in the Egyptian-Israeli Conflict, 1967-1973 », Journal of the Middle East and Africa, I/1, 2010, p. 43-66.
116 Télégrammes no 5314-5330, de Seydoux, 21 et 22 juillet 1972. DDF, 1972, II, no 44.
117 Laurens Henry, La question de Palestine, t. IV, op. cit., p. 349-350.
118 Télégrammes no 1058-1064, de Fontaine (Beyrouth), 14 septembre 1972. AMAE, Levant 1971-1972, Liban, vol. LA-6-3/1963.
119 Note de la direction d’Afrique du Nord, 19 avril 1971. AMAE, Afrique du Nord, 1953-1972, Libye, vol. LY-7-3/42.
120 Dépêche no 34/AN, de Georgy, 15 janvier 1972. AMAE, Afrique du Nord, 1953-1972, Libye, vol. LY-5-5 – 42SUP/16.
121 Entretien Pompidou/Jalloud, 6 novembre 1972. AMAE, Afrique du Nord, 1972-1982, Libye, vol. 37SUP/99.
122 Ibid.
123 Laurens Henry, La question de Palestine, t. IV, op. cit., p. 349.
124 Ibid., p. 379-381.
125 Ainsi, le francophile ambassadeur d’Égypte en Turquie, Mohamed Choucri, explique à son homologue français qu’au sein de l’armée égyptienne « de plus en plus d’éléments sont partisans d’une intervention immédiate à l’est du canal de Suez ». Dépêche no 1570/AL, de Wapler, 23 novembre 1972. AMAE, Levant 1971-1972, République arabe d’Égypte, cote RAE-7-3-Pro, vol. 1907.
126 Ginor Isabella et Remez Gideon, « The Middle Eastern Test of Détente. The Direct Role of the USSR in the Yom Kippur War, 1973 », in Elena Calandri, Daniele Caviglia et Antonio Varsori (dir.), Détente in Cold War Europe, op. cit., p. 125-140.
127 Laurens Henry, La question de Palestine, op. cit., t. IV, p. 391.
128 Bozo Frédéric, La politique étrangère de la France depuis 1945, op. cit., p. 63-68.
129 Note de la direction d’Amérique, printemps 1973, « synthèse en vue des entretiens franco-américains des 31 mai et 1er juin 1973 ». AMAE, Amérique 1971-1975, États-Unis, vol. 747.
130 Möckli Daniel, European Foreign Policy during the Cold War. Heath, Brandt and Pompidou and the Dream of Political Unity, Londres/New York, I. B. Tauris, 2008, p. 142.
131 Jobert Michel, L’autre regard, Paris, Grasset, 1976, p. 288.
132 Möckli Daniel, European Foreign Policy during the Cold War, op. cit., p. 140-183.
133 Voir notamment les discours de Michel Jobert à l’UEO le 21 novembre 1973 puis au sénat le 30 novembre 1973. La politique étrangère de la France, 1973, Paris, La Documentation française, 1974, p. 209 et 219.
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