Chapitre II. L’échec triomphal de la France en Méditerranée, 1967-1970
p. 81-126
Texte intégral
1Avec des événements aussi décisifs pour les affaires internationales que le putsch des Colonels en Grèce, la guerre des Six Jours ou l’intervention des troupes du pacte de Varsovie à Prague, la fin des années 1960 voit se succéder des crises dont l’impact sur le monde méditerranéen est d’autant plus considérable que celui-ci est alors traversé par un mouvement polymorphe de contestation qui touche les trois rives du bassin. Exacerbant la bipolarité de guerre froide en Europe et au Proche-Orient, ces crises suscitent bien des passions politiques à l’époque où elles se déroulent et bien des débats historiographiques par la suite. Vus de France, les enjeux sont démultipliés par la fin de la présidence du général de Gaulle en ce qu’ils soulèvent inévitablement la question de la réussite et de l’héritage de sa politique extérieure, dont la composante anti-blocs est plus que jamais mise au défi. La guerre des Six Jours et les événements de Prague ne sont-ils pas les meilleures illustrations de l’échec français à affaiblir la logique bipolaire ?
2Deux débats ayant chacun leur déclinaison française méritent ici d’être évoqués. Se pose d’abord la question du devenir de la détente Est-Ouest et, partant, de celui de la politique de « détente, entente, coopération ». Pour la plupart des historiens, la détente est un processus qui s’applique seulement à l’Europe et est d’abord pensé et voulu par les Européens ; le désir de détente est tel qu’à Paris, Bonn, Londres ou Rome, on ferme les yeux sur la répression de Prague pour mieux poursuivre le dialogue avec l’URSS, comme le font les Américains1. Si la douche peut sembler froide pour la France, c’est parce que le modèle de détente qui se développe après août 1968 est à contre-courant de celui porté par de Gaulle : il s’incarne d’abord dans le dialogue entre les deux Grands et leurs blocs respectifs. Comment, dès lors, parvenir à s’y faire une place alors même que la politique de grandeur est affaiblie par la contestation de Mai et les difficultés économiques qu’elle provoque ? À plus d’un titre, Georges Pompidou est présenté comme le continuateur de la politique du Général en matière de coopération Est-Ouest en ce qu’il profite de la consécration apparente du statu quo européen pour maintenir l’appel au dépassement des blocs2. On ne saurait pourtant s’en tenir là : la répression du printemps de Prague constitue, pour nombre de diplomates français et européens, un choc dont ils entendent tenir compte dans la définition de la politique Est-Ouest de la France, et notamment en ce qui concerne les relations avec l’URSS. Cela est particulièrement vrai dans un bassin méditerranéen qui se veut très protestataire à l’égard de la guerre froide.
3De ce premier débat découle le deuxième : puisque la détente ne s’applique qu’à l’Europe, cela signifie-t-il que son environnement méditerranéen n’est, lui, pas concerné par ce processus ? La question de la responsabilité des deux Grands dans la bipolarisation du conflit israélo-arabe en 1967 est particulièrement prégnante dans l’historiographie, du fait notamment des travaux d’Isabella Ginor et Gideon Remez sur les intentions soviétiques au Proche-Orient3. Cette région serait exclue du processus de détente en raison du haut degré de conflictualité qu’elle porte en elle. Pour d’autres historiens, en revanche, Soviétiques comme Américains s’efforcent d’éviter tout dérapage en Méditerranée orientale et se montrent partisans du dialogue et de l’apaisement4. Dès lors se pose la question de la perception française des intentions des uns et des autres dans la région et du sens de la politique de la France après 1967 : quelle est la place de la France dans le Proche-Orient bipolarisé de l’après-guerre des Six Jours ? En se détournant d’Israël et en se rapprochant des Arabes, la France ne fait-elle pas le jeu des Soviétiques et, de fait, ne transpose-t-elle pas au Levant sa volonté de maintenir coûte que coûte le lien avec Moscou après les événements de Prague ?
4L’enjeu de ce chapitre est de voir en quoi les crises de la période 1967-1970 participent du remodelage de la politique de la France en Méditerranée, la rendant toujours plus dépendante du contexte de guerre froide qui affecte considérablement les relations avec les pays du Maghreb, l’Espagne, la Turquie et les Balkans. Face à l’accroissement sans précédent de la présence militaire des deux Grands, Paris continue d’user de la rhétorique du non-alignement, dont le succès ne se dément pas, mais l’adapte aux incertitudes de l’attitude soviétique, qui justifient le rapprochement avec les États-Unis. Car là se situe une autre évolution de taille : l’accession au pouvoir de Richard Nixon facilite le rééquilibrage au profit de l’Ouest, particulièrement visible dans le bassin méditerranéen. Si la surveillance des activités soviétiques en Algérie, véritable « Cuba de la France », constitue l’un des principaux leitmotivs de la coopération franco-américaine, le rapprochement avec Washington ne se limite pas à cela et prend une dimension nouvelle.
5Il conviendra dès lors de se demander en quoi la perspective euro-méditerranéenne de la politique Est-Ouest de la France est révélatrice des adaptations de celle-ci à la bipolarité exacerbée des années 1967-1970. Dans quelle mesure la période qui va des chocs grec et proche-orientaux du printemps 1967 à la mort de Nasser et à l’échec des négociations quadripartites sur le Levant restructure-t-elle la posture française de guerre froide à l’échelle de la Méditerranée ?
La crise de mai 1967 et la guerre des Six Jours
6Les enjeux de sécurité en Europe et en Méditerranée sont déterminants pour comprendre les positions françaises pendant la guerre des Six Jours et la crise qui la précède au printemps 1967, et ce pour au moins trois raisons. Premièrement, la mesure dont fait preuve de Gaulle à l’égard du Kremlin et de ses alliés arabes doit être lue, comme précédemment, à l’aune de la question allemande et de la politique de « détente, entente, coopération ». Du fait du poids diplomatique de l’URSS au Proche-Orient, se heurter à Moscou à propos du conflit israélo-arabe pourrait l’amener à se braquer sur les affaires européennes. La dimension globalisante de la politique française de détente reste de mise, comme elle l’a été à propos de Chypre. Deuxièmement, la recette imaginée pour la question chypriote, également caractéristique de la double politique de réconciliation germano-arabo-soviétique et israélo-soviétique, tient plus que jamais le haut du pavé dans la stratégie diplomatique française à l’égard du Proche-Orient : le quadripartisme doit aller de pair avec le maintien d’un dialogue franco-soviétique tous azimuts. Troisièmement, les Français considèrent que l’évolution de la situation en Europe du sud-est (Balkans, Turquie, Chypre) est un facteur clé de l’attitude soviétique au Levant et vice-versa, d’où l’impérieuse nécessité de ne pas perdre de vue le contexte stratégique euro-méditerranéen dans son ensemble. La crise tchécoslovaque de l’été 1968 en est la preuve : elle influe à la fois sur les rapports entre Paris et Moscou, sur les équilibres européens et sur la sécurité en Méditerranée.
7Si les événements du printemps 1967 constituent une étape fondamentale de l’histoire du Proche-Orient, ils ouvrent aussi le dernier chapitre de la politique étrangère du général de Gaulle, celui des doutes et des désillusions :
« Une guerre larvée s’est établie en Orient et une guerre froide entre les États-Unis et l’Union soviétique paraît inévitable. Quant à nous, nous maintenons notre position : nous ne sommes pas liés aux États-Unis pas plus que nous ne le sommes à l’Union soviétique. Nous ne pensons pas qu’un arrangement entre eux conduirait à une solution. Ainsi, nous sommes vraiment résignés à une longue période de difficultés, d’incertitude et, pour dire le mot, d’impuissance5. »
8L’amertume du président français à l’égard des deux Grands paraît à la hauteur des efforts qu’il a déployés au cours des semaines qui ont précédé le conflit pour éviter pareille bipolarisation du Proche-Orient. Dès le moment où, en mai 1967, après avoir exigé le retrait des forces des Nations unies postées depuis 1957 sur la frontière israélo-égyptienne, Nasser instaure le blocus du détroit de Tiran et occupe Charm el-Cheik, de Gaulle cherche à éviter que le règlement du contentieux israélo-arabe ne soit l’apanage des seules superpuissances américaine et soviétique. Or, au lendemain de la guerre des Six Jours qui voit Israël l’emporter sur tous les fronts face à ses adversaires arabes, l’échec de la diplomatie gaullienne de dépassement de la guerre froide semble patent. Le conflit de juin 1967 inaugure une période de paroxysme de l’opposition soviéto-américaine en Méditerranée, tout comme le statu quo Est-Ouest paraît se consolider en Europe entre l’automne 1967 et l’été 1968. Pour la France, la guerre des Six Jours marque aussi la fin de la lune de miel avec l’État hébreu, encore célébrée quelques mois plus tôt par le deuxième bureau de l’armée de l’Air6. Pourtant, en élargissant géographiquement et chronologiquement – à l’ensemble de la Méditerranée et jusqu’au seuil des années 1970 – l’analyse des enjeux régionaux de guerre froide, on constate qu’en réalité, les événements des années 1967-1968 valident la plupart des conceptions Est-Ouest de la France, appelées à connaître un succès grandissant au nord comme au sud de la Grande bleue. De fait, si le doute et l’impuissance évoqués par de Gaulle caractérisent la situation internationale au Proche-Orient, la diplomatie française a bien des raisons de demeurer sûre d’elle dans le bassin méditerranéen.
9L’injonction faite par le Général aux Israéliens, lors de la visite du ministre des Affaires étrangères Abba Eban à Paris le 24 mai 1967, de ne pas tirer les premiers est connue7. En Conseil des ministres, de Gaulle dit sa détermination à dissuader Tel Aviv de déclencher un conflit et de forcer le blocus du golfe d’Akaba imposé par Nasser depuis le 22 mai aux navires ravitaillant Israël8. Pour de Gaulle, le blocus ne constitue pas un casus belli9. Il sait qu’une guerre ferait le jeu des deux Grands, d’autant que, le 23, l’URSS a rejeté toute la responsabilité de la crise sur Israël, a assuré l’Égypte et la Syrie de son soutien et a affirmé son intention de s’opposer à toute agression de la part de l’État hébreu.
10Le président français estime que la question israélo-arabe appelle le même traitement que le problème chypriote : un règlement sous l’égide des quatre puissances américaine, soviétique, britannique et française doit être favorisé pour éviter que la logique de guerre froide ne l’emporte sur toute autre considération. C’est, dit-il lors du Conseil du 24 mai, ce que font les Anglais en envoyant des émissaires spéciaux à Washington et à Moscou ; « mais la différence est que nous, nous ne prenons pas d’avance position sur le fond10 ». De Gaulle est donc conscient, dès le début de la crise, que même si un règlement à quatre devait aboutir, le soutien déclaré des Anglo-Saxons à Israël et de l’URSS aux Arabes rendrait inéluctable le renforcement de la bipolarisation en Méditerranée. À quoi bon alors maintenir la position française d’un règlement à quatre ?
11L’attitude adoptée par de Gaulle pendant la guerre des Six Jours laisse apparaître une certaine ambiguïté et les questions qu’elle soulève reflètent finalement assez bien la difficulté de Paris à dépasser une logique bipolaire qui prend une ampleur toujours plus grande. Pire, en s’arc-boutant sur certaines de ses propositions, le Général semble entretenir l’état de guerre froide. Cet argument d’une diplomatie française contre-productive a été mis exergue par Élie Barnavi dans un tableau au vitriol de la politique française à l’égard de la guerre des Six Jours11. Selon l’historien israélien, le maintien d’une stricte neutralité de la France et le refus de De Gaulle d’apporter son soutien à l’État hébreu alors que celui-ci était asphyxié par les effets du blocus n’ont fait qu’accélérer le déclenchement du conflit. Si le président français avait au contraire fait pression sur Nasser pour qu’il mît un terme au blocus du détroit de Tiran, Israël n’aurait pas été acculé à la guerre. De Gaulle aurait de la sorte prouvé que l’influence que la France se targue d’avoir dans le monde arabe est capable de faire contrepoids à celle de l’URSS. Agir ainsi aurait plus que jamais placé la politique étrangère française au service du dépassement de la guerre froide et de l’instauration de la paix au Proche-Orient. Or, toujours selon E. Barnavi, de Gaulle a défendu jusqu’au bout sa proposition de conférence à quatre, en dépit du rejet constant des Soviétiques qui lui ont préféré le dialogue avec les Américains, entérinant de ce fait l’ordre bipolaire en Méditerranée.
12Pourtant, l’analyse des relations franco-soviéto-arabes avant et pendant le conflit montre que, malgré des apparences trompeuses, la position adoptée par Paris aurait été difficilement tenable si elle avait été différente et qu’au final, de Gaulle ne pouvait pas agir autrement s’il souhaitait préserver le crédit à la fois de sa politique arabe et de sa politique Est-Ouest.
La nécessité d’un « concert des quatre » pour prévenir un conflit
13Avant que le conflit ne soit déclenché par l’attaque d’Israël sur l’Égypte le 5 juin 1967, de Gaulle cherche à agir d’une part sur les Israéliens et les Arabes pour qu’ils n’en viennent pas aux armes, d’autre part sur les Américains, les Britanniques et les Soviétiques pour qu’ils limitent leur engagement dans la région et travaillent avec les Français à régler les principaux problèmes soulevés par la crise, notamment celui de la navigation dans le golfe d’Akaba. Ainsi, la France, contrairement aux trois autres puissances, proclame sa neutralité dans la crise, de même qu’elle décide d’un embargo sur les livraisons d’armes au Proche-Orient. D’un côté, de Gaulle prévient Le Caire, Damas et Tel-Aviv qu’il n’est de l’intérêt de personne d’ouvrir les hostilités12 ; de l’autre, il propose, toujours le 24 mai, à Washington, Londres et Moscou, l’organisation d’un « concert à quatre » qui réunirait les membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies, sauf la Chine, dans le but d’éviter que la logique bipolaire n’exacerbe les tensions dans la région et afin que des solutions soient trouvées grâce au dialogue entre puissances13. Obtenir par ce biais un désengagement des principaux protagonistes de la guerre froide diminuerait le risque de collusion entre les deux niveaux de conflictualité que sont la rivalité Est-Ouest au plan international et l’antagonisme israélo-arabe au plan régional.
14Or, non seulement de Gaulle ne parvient pas à imposer son projet et à empêcher la guerre mais les deux superpuissances préfèrent user du dialogue bilatéral plutôt que d’opter pour le multilatéralisme limité des Français. Un tel échec semble prouver à quel point la marge de manœuvre de Paris est étroite pour influer sur le contexte global Est-Ouest et la scène proche-orientale. Néanmoins, à regarder de plus près les réactions au projet français de « concert des quatre », on s’aperçoit que ce ne sont pas tant les Anglo-Saxons qui y sont opposés que les Soviétiques, alors même que de Gaulle et Couve de Murville déploient des efforts considérables pour convaincre les Américains, les Britanniques et les Israéliens de ne pas se contenter d’une solution purement occidentale, qui serait forcément rejetée par Nasser et ses alliés.
15En effet, dans les jours qui suivent la mise en place du blocus, Washington promeut un format de conversations tripartites entre les États-Unis, la France et le Royaume-Uni, ainsi que la mise sur pied d’un consortium de puissances maritimes occidentales dont l’objectif serait de défendre la liberté de navigation dans le golfe d’Akaba14. Voyant dans cette proposition un soutien clair et net aux positions israéliennes et un moyen de condamner le blocus égyptien, de Gaulle la repousse, reprenant l’argument brandi en février 1964 au début de la crise chypriote : « de telles réunions seraient aussitôt connues et donneraient l’impression d’une aggravation de la crise, en même temps qu’elles feraient penser que les trois puissances concertent une intervention prochaine15 ». Pour lui, rien ne peut se faire sans les Soviétiques, à moins de les braquer et de les inciter à s’engager davantage auprès des Arabes16. Contourner Moscou discréditerait par ailleurs le Conseil de sécurité de l’ONU, que le président français considère, une fois n’est pas coutume, comme l’instance la plus à même de régler le problème17. Fin mai, l’administration Johnson et le Premier ministre Harold Wilson finissent par se ranger aux arguments du Général et acceptent le principe de conversations quadripartites.
16Le Kremlin, en revanche, qui répète à qui veut l’entendre qu’Israël est « seul responsable de la crise18 », repousse la proposition française le 28 mai, sous prétexte « que les États arabes y sont défavorables » et « que les États-Unis et l’Angleterre ont déjà pris parti ouvertement en faveur d’Israël19 ». L’effet est immédiat et confirme les craintes gaulliennes : à partir du 28 mai et jusqu’au déclenchement de la guerre le 5 juin, les principales conversations sur la crise au Proche-Orient se résument à un double face-à-face entre les Américains et les Soviétiques d’une part, entre Israël et les Arabes d’autre part, et ce en dépit de la poursuite du dialogue franco-soviétique via le « téléphone vert ». Le conflit qui en résulte témoigne de la justesse de vue du président français : l’implication directe des deux Grands auprès de leurs protégés respectifs n’a fait qu’exacerber les tensions régionales, au point de déboucher sur un affrontement qui remodèle la géopolitique du Proche-Orient et le rapport de force en Méditerranée orientale.
17Pour de Gaulle, le refus soviétique ne peut pas s’expliquer par un quelconque désir de Moscou de dialoguer exclusivement avec Washington et d’ainsi promouvoir une stricte bipolarité ; il illustre au contraire la fragilité des positions soviétiques au Proche-Orient. Les Français considèrent que Nasser et les autres « progressistes » du monde arabe se servent de l’URSS pour accomplir leurs objectifs, que celle-ci est prise au piège de la course aux territoires qui caractérise la compétition Est-Ouest. De Gaulle estime que les Soviétiques « sont très embarrassés » : « Ils ont, certes, des arrangements avec les Arabes, ils ont bâti le barrage d’Assouan, ils leur fournissent des armes et une aide économique. Ils y ont une certaine position, surtout dans les pays arabes qui se disent socialistes. Ils n’ont jamais occupé une situation pareille, à ce degré. Ils ne veulent pas la perdre, et c’est pourquoi ils appuient les Arabes. Mais ils ne vont pas très loin et ils ne font pas beaucoup20. »
18Le diagnostic gaullien se nourrit des impressions transmises par l’ambassadeur de France en URSS Olivier Wormser. Gaulliste de la première heure et ami personnel de Maurice Couve de Murville, Wormser est l’un des principaux artisans de la diplomatie du Général. Le 28 mai, il explique que les Soviétiques sont en réalité dépassés par les événements : la fermeture du détroit de Tiran les a pris au dépourvu et ils n’ont aucune envie d’être impliqués dans un conflit au Proche-Orient car, écrit l’ambassadeur, les régimes que soutient l’URSS ne résisteraient peut-être pas à l’épreuve d’une guerre et les positions politiques et militaires qu’elle s’est acquises dans la région pourraient être ébranlées21. Les hypothèses de Wormser quant à la volonté russe de modérer les ardeurs syriennes et égyptiennes se fondent sur l’impression qu’il retire des conversations franco-soviétiques ponctuant la deuxième quinzaine du mois de mai 196722. Toutefois, à ses yeux, c’est précisément parce que le Kremlin refuse d’intervenir militairement à leurs côtés qu’il se range derrière les positions diplomatiques des Arabes : appuyer le refus égypto-syrien de négocier avec les Occidentaux sur le Proche-Orient vient compenser l’absence d’implication militaire directe de l’URSS23. Dans le même temps, les Soviétiques continuent d’insister sur le fait que les Américains ont pris fait et cause pour Israël dès le début de la crise. De la sorte, ils maintiennent leur ancrage dans la nébuleuse nassérienne, apparaissent comme les grands protecteurs du monde arabe, affirment leur position de grande puissance face aux États-Unis, mais se couvrent aussi contre le risque d’être happés par l’engrenage conflictuel israélo-arabe.
19L’analyse que les Français font de la politique américaine au Proche-Orient va dans le même sens. Charles Lucet, ambassadeur de France à Washington, décrit ainsi l’embarras du président Johnson et du Congrès des États-Unis, pris en étau entre la priorité vietnamienne et le désir de satisfaire les puissants partisans américains d’un plus grand soutien à Israël :
« Toute l’attention est actuellement dirigée vers le Vietnam et l’ouverture d’hostilités entre Israël et l’Égypte créerait des problèmes d’effectifs et de logistique fort complexes. […] L’on se demande ici jusqu’à quel point le gouvernement de l’URSS ne cherche pas sinon à encourager un conflit dans le Moyen-Orient du moins à gêner et embarrasser les Américains en les contraignant à revoir l’étendue des engagements qu’ils ont pris un peu partout dans le monde. L’attitude officielle après consultation du Congrès est que l’affaire devrait être traitée dans le cadre des Nations Unies. Mais il existe aussi, sous la pression des éléments israélites et de l’État de New York une forte tendance à soutenir Israël par tous les moyens quoi qu’il arrive. Pour d’autres, comme les sénateurs du Sud principalement préoccupés par le Vietnam et la Chine, l’on aimerait mieux que d’autres pays se chargent de l’opération et c’est tout juste si l’on ne demande pas à la France et à l’Angleterre de reprendre à leur compte l’expédition de Suez avec cette fois l’appui moral mais non effectif des États-Unis. […] Placé au centre de ces courants divers, le président hésite et semble incertain24. »
20De son analyse des politiques américaine et soviétique au Proche-Orient, la diplomatie française tire finalement la conclusion que la bipolarité qui s’y installe a un caractère superficiel, vu que, d’un côté comme de l’autre, elle ne semble reposer que sur la volonté des deux Grands de préserver leur clientèle, sans vraiment mesurer les conséquences que cela pourrait avoir sur les équilibres internationaux.
21L’historiographie récente a, pour une large part, confirmé l’interprétation de Wormser et de De Gaulle. C’est le cas tout d’abord en ce qui concerne les États-Unis : le président Johnson a clairement fait le choix de se concentrer sur le Vietnam au détriment des affaires moyen-orientales, le manque d’un véritable « frein » américain ayant pu contribuer à l’embrasement de la région25. Surtout, dans un ouvrage qui a fait date, Yaacov Ro’i, Boris Morozov et Yair Even renouvellent l’approche historique de l’attitude soviétique à l’égard de la guerre des Six Jours et corroborent le diagnostic gaullien. Ils montrent à quel point, enfermés dans leur lecture bipolaire de la crise, les dirigeants soviétiques ont surestimé leur emprise sur leurs protégés égyptiens et syriens, de même que celle des États-Unis sur Israël26. S’appuyant sur les archives soviétiques, ces historiens tendent à remettre en question la responsabilité de l’URSS dans le déclenchement du conflit et à contredire la thèse défendue par Isabella Ginor et Gideon Remez27. Pour ces derniers, l’équipe brejnévienne, qui veut absolument éviter que l’État hébreu ne se dote de l’arme nucléaire, est à l’origine de la crise puisqu’elle conforte Le Caire et Damas dans l’idée qu’Israël s’apprêterait à envahir la Syrie pour renverser le parti Baas. Or, si les Soviétiques ont effectivement relayé de fausses informations quant aux intentions israéliennes, dans l’espoir de susciter le renforcement de l’aide égyptienne à la Syrie, les travaux de l’équipe Ro’i – Morozov décrivent des dirigeants soviétiques peu au fait des enjeux proche-orientaux, obsédés par leur détermination à préserver leur influence auprès des « progressistes » arabes28.
22Cette absence de maîtrise de la situation sur place, une série d’erreurs stratégiques et la certitude qu’Israël ne serait pas en mesure de combattre sur deux fronts à la fois participent finalement du déclenchement du conflit. Mais il est certain que l’équipe en place au Kremlin ne veut ni ne prépare la guerre à la fin du mois de mai 1967. La preuve en est que fin mai-début juin, Brejnev, Kossyguine et le maréchal Gretchko, ministre de la Défense, visitent les bases de la Flotte du Nord, bien loin du Moyen-Orient. Ils ne seraient probablement pas partis à bord d’un croiseur au-delà du cercle polaire arctique s’ils avaient eu l’intention de provoquer un conflit en Méditerranée29. Leur voyage au Pôle Nord montre ainsi à quel point les dirigeants de l’URSS mésestiment la gravité de la situation. Cette idée a été confirmée par des documents découverts dans les archives polonaises. Un rapport secret présenté par Brejnev lors de la session plénière du Comité central du PCUS le 20 juin 1967 et intitulé « À propos de la politique soviétique après l’agression israélienne au Moyen-Orient » montre que Moscou n’avait absolument pas l’intention de provoquer un conflit et se retrouve finalement pris au dépourvu30.
23De Gaulle et Wormser, qui demeurent en contact permanent avec leurs interlocuteurs soviétiques tout au long de la crise puis pendant la guerre, sont donc conscients du peu de prise qu’a le Kremlin sur les événements et, constatant que la situation échappe aux deux superpuissances, essayent d’agir sur les acteurs locaux. Le 1er juin, de Gaulle conseille ainsi à Ibrahim Makhos, ministre des Affaires étrangères de Syrie, de ne pas espérer un soutien militaire des Soviétiques en cas de guerre, tout comme les Israéliens ne doivent pas compter sur les Américains : « ils ne se feront pas la guerre pour vous ». Le président français reconnaît que, du fait du blocus, « la question du golfe d’Akaba est posée », mais il estime que si les Arabes prennent l’initiative de la guerre, ils seront discrédités, divisés et défaits. À l’inverse, indique le Général, « si Israël prend l’initiative des hostilités, s’il détruit Damas, beaucoup de gens ne l’approuveront pas. Vous avez tout à gagner à être patients31 ».
24En dépit de cette mise en garde aux Syriens et alors que les Américains l’exhortent à intervenir auprès de l’Égypte et de son allié algérien, de Gaulle n’exerce aucune pression sur Nasser pour qu’il mette un terme au blocus du détroit de Tiran. Réitérant la position française de neutralité et la proposition de « concert des quatre », le président français décide le 2 juin la suspension des envois d’armes au Proche-Orient, ce qui n’a de conséquences que pour Israël, seul pays équipé en matériel français32. Est-ce à dire qu’il comprend le désir des Arabes de soulever la problématique de la navigation dans le golfe d’Akaba ? Est-il persuadé qu’Israël va ouvrir le feu ? Aucun document d’archive consulté ne laisse présager une telle hypothèse. De Gaulle fait simplement le choix de la cohérence : la non-ingérence dans les affaires du Proche-Orient doit s’appliquer à tous, aux deux Grands comme à la France. D’où le maintien d’une position strictement neutre, qui reste la même à partir du moment où débutent les affrontements. Dans le contexte de bipolarité incomplète qui est alors celui du Proche-Orient, le Général demeure jusqu’au bout persuadé que sa solution d’un « concert des quatre » est la seule possible si on veut éviter que la Méditerranée orientale ne devienne pour longtemps l’un des principaux théâtres de la guerre froide.
Les faux-semblants du rapprochement franco-soviétique en juin 1967
25Le 5 juin 1967, considérant qu’Israël ne peut supporter davantage l’état de mobilisation générale qui lui est imposé par le blocus du détroit de Tiran, le gouvernement de Levi Eshkol, dans lequel le chef d’état-major de Tsahal Moshe Dayan détient le portefeuille de la Défense depuis le 1er juin, se résout à attaquer ses voisins arabes. L’aviation égyptienne, demeurée au sol, est détruite en trois heures. Les chars israéliens déferlent peu après dans la péninsule du Sinaï. Le 7 juin, Tsahal prend le contrôle de la bande de Gaza, s’empare de Charm el-Cheikh et occupe toutes les villes de Cisjordanie annexée par la Jordanie en 1950, dont Jérusalem-Est. Le 8, l’armée israélienne atteint le canal de Suez. Le plateau du Golan est pris aux Syriens les 9 et 10. Nasser fait mine de démissionner le 9, avant de se raviser le lendemain. La victoire militaire israélienne est totale ; les forces arabes sont anéanties. Le cessez-le-feu, voté le 10 par le Conseil de sécurité, résulte d’un accord entre Moscou et Washington, tous deux désireux d’arrêter au plus vite les combats pour éviter une aggravation du conflit qui pourrait les conduire à s’impliquer directement. L’accord du 10 juin incarne à lui seul la logique bipolaire que de Gaulle veut empêcher depuis le début de la crise mais qui se veut prégnante à partir du moment où Israël déclenche les hostilités. Pendant les six jours que dure la guerre, le dialogue bilatéral entre le Kremlin et la Maison Blanche prévaut sur tout autre canal de consultation, au grand dam des Français.
26Toutefois, gardant à l’esprit l’idée que les deux Grands, notamment les Soviétiques, sont otages de leurs clientèles respectives, de Gaulle prend soin de leur ménager une porte de sortie et d’empêcher que la guerre froide ne s’ancre trop solidement au Proche-Orient. Dès le 5, il insiste auprès d’Alexis Kossyguine sur l’impérieuse nécessité de maintenir le dialogue franco-soviétique et rappelle au Président du conseil des ministres d’URSS que la France plaide depuis des jours en faveur d’une concertation à quatre, plus que jamais d’actualité33. Il fait de même dans ses messages des 9 et 15 juin, insistant sur le principe que le Conseil de sécurité des Nations unies est l’instance la mieux adaptée pour gérer la crise en cours. Mais, au fur et à mesure qu’avance le mois de juin, les prises de position françaises sont lues par les Américains comme de plus en plus conciliantes à l’égard des Soviétiques et de leurs partenaires arabes, et de moins en moins en phase avec celles des Occidentaux. Si bien que l’historiographie a pu émettre l’hypothèse que les Français, tant désireux de parvenir au dépassement de la guerre froide au Moyen-Orient, se seraient laissé berner par une diplomatie soviétique encline à tirer profit des bonnes dispositions gaulliennes ; la guerre des Six Jours mettrait ainsi en exergue les limites de la politique à l’Est de la France34.
27Ce constat se fonde en premier lieu sur l’attitude adoptée par la diplomatie française le 14 juin 1967 au Conseil de sécurité de l’ONU à propos d’un projet de résolution de l’URSS qui fait d’Israël l’agresseur et exige le retrait de Tsahal des territoires occupés. Le représentant français Roger Seydoux s’abstient mais, en donnant son accord à la proposition de Moscou de convoquer une assemblée générale extraordinaire des Nations unies35, Paris s’inscrit en faux par rapport aux positions américaines : le but des Soviétiques est alors de faire voter une résolution sur le retrait des forces israéliennes, tandis que l’Administration Johnson considère que l’Égypte est largement responsable du conflit. Le 3 juillet, Seydoux vote en faveur de la résolution yougoslave inspirée par l’URSS et s’abstient sur la résolution d’inspiration occidentale qui vise la reconnaissance d’Israël par tous ses voisins. Certes la résolution yougoslave n’est pas adoptée et l’État hébreu obtient un succès diplomatique sans précédent, mais pour la presse américaine et israélienne le mal est fait : la France a clairement fait le choix de soutenir le point de vue soviétique. Un « fossé profond » la sépare désormais de ses alliés, selon l’Evening Star du 15 juin 196736. La mise en accusation apparaît d’autant plus accablante que le rapprochement franco-soviétique sur la situation au Proche-Orient se poursuit en dépit du fait que le Kremlin continue de repousser le projet français de « concert des quatre », comme si Paris tenait d’abord à profiter de la crise pour enraciner le dialogue avec Moscou. Or, malgré l’opposition soviéto-américaine aux Nations unies, les dirigeants soviétiques semblent ne pas vouloir cacher leur préférence pour un tête-à-tête quasi exclusif avec Washington. La rencontre entre Johnson et Kossyguine à Glassboro les 23-25 juin en témoigne, les deux Grands entendent mener la danse au Proche-Orient. Une telle logique de superpuissance permet à l’URSS de renforcer à la fois sa crédibilité dans la région et son rôle de protectrice attitrée des régimes « progressistes » arabes. La France, elle, voit s’éloigner son allié israélien – qui privilégie désormais les États-Unis – et donne l’impression de s’être laissée duper par les Soviétiques, bien qu’elle en ait pris conscience tardivement. Cette interprétation, dominante dans l’historiographie, mérite pourtant d’être revue à la lumière des documents aujourd’hui disponibles.
28Les archives du Quai d’Orsay montrent ainsi que malgré sa réelle volonté de maintenir un dialogue permanent avec les Soviétiques à propos du Proche-Orient, la France tente de préserver une position moins tranchée que celle de l’URSS et ne cherche pas à s’aligner coûte que coûte sur le point de vue du Kremlin. La preuve en est par exemple la rencontre entre de Gaulle et Kossyguine le 16 juin 1967. Convaincu que la résolution soviétique peut l’emporter à l’ONU, Kossyguine fait ce jour-là escale à Paris avant de se rendre à New York : l’occasion est trop belle de vérifier jusqu’à quel point le général de Gaulle, qui refuse de reconnaître le fait accompli, peut se distancer du point de vue américain. À la grande surprise de son interlocuteur, le président français joue la modération et opte pour une condamnation mesurée d’Israël tout en rappelant les conditions du déclenchement de la guerre :
« Vous me dites qu’il faut punir l’agresseur et qu’Israël est l’agresseur. Il est vrai qu’il a été le premier à se servir des armes, mais il y en a beaucoup qui disent qu’il ne pouvait pas faire autrement, qu’il était menacé, que c’est un petit pays perdu parmi les Arabes et qu’il lui était indispensable de se dégager. Tout cela conduit à une situation où il serait difficile de rassembler les énergies du monde pour punir Israël. Je ne pense néanmoins pas qu’il faille laisser Israël exagérer et garder toutes ses conquêtes. Il serait à la rigueur possible, après un temps fort long et des négociations très difficiles, d’aboutir à un arrangement raisonnable au Proche-Orient, si tant est qu’une telle chose y soit jamais possible. Je veux dire par là une solution acceptée par Israël et par les Arabes, et qui soit aussi acceptable aux puissances, condition indispensable. Israël perdrait une partie de ce qu’il a pris et garderait quelque chose37. »
29Pour de Gaulle, un modus vivendi diplomatique qui tiendrait compte à la fois des intérêts des Arabes et de ceux des Israéliens constitue l’unique solution permettant d’éviter un accroissement de l’engagement armé des deux Grands dans la région, lequel, dans son esprit, risquerait d’avoir des conséquences dramatiques pour l’équilibre international au vu de la poudrière que représente le Proche-Orient. Sans cela, explique le Général, Israël ne bougera pas et s’installera dans ses positions. Et pour que les choses soient parfaitement claires, le président français rappelle que la France n’est « engagée envers personne ». De fait, on est loin d’un alignement sur les positions soviétiques. Au contraire, de Gaulle maintient le cap d’un strict dépassement de la bipolarité en Méditerranée orientale, en adéquation avec sa proposition d’un « concert des quatre ». Sa certitude que les Soviétiques et les Américains ne maîtrisent pas leurs protégés le conforte dans son action en faveur du désengagement des puissances. Il l’affirme clairement à Harold Wilson le 19 juin : « les États-Unis et la Russie ne tiennent plus les rênes et ils ne pourront pas les reprendre d’ici longtemps38 ».
30Comme pour la période qui précède la guerre, les analyses émises par Olivier Wormser depuis Moscou permettent d’éclairer la lecture Est-Ouest que les autorités françaises se font de la situation en Méditerranée orientale. Au lendemain de l’attaque de Tsahal, l’ambassadeur de France en URSS prévient que, contrairement à ce que veut lui faire croire son homologue israélien, la thèse selon laquelle le blocus du golfe d’Akaba et le conflit qui en résulte correspondraient à une « opération de grande portée, soigneusement préparée depuis dix ans » par le Kremlin et « visant à isoler la Turquie de l’Iran, moyennant l’anéantissement d’Israël » est infondée39. Selon l’ambassadeur de France, si l’URSS semble alors adopter une attitude agressive dans la région, « il s’agit dans l’immédiat pour Moscou de cacher sous la violence du verbalisme une certaine impuissance de l’Union soviétique à agir sur le déroulement de la crise40 ».
31Dans l’esprit de De Gaulle, les Soviétiques se sont fait berner par les Arabes et, étant donné la situation créée par la guerre, ils regrettent d’avoir repoussé l’idée française d’une réunion à quatre quand il en était encore temps. Désormais, Moscou ne peut plus reculer au Moyen-Orient, comme l’explique le Général au chancelier Kiesinger un mois après le conflit41.
32C’est donc en grande partie pour ne pas laisser les Russes s’enfermer dans une dépendance à l’égard de leurs protégés qu’ils ne maîtriseraient plus que la France maintient son projet quadripartite.
33Il s’agit en outre de montrer aux Égyptiens, aux Syriens, aux Jordaniens mais aussi, indirectement, aux Algériens, qu’il ne faut pas ranger tous les pays occidentaux dans le même panier. Parce ce qu’elle est capable d’agir indépendamment des États-Unis et du Royaume-Uni, la France est un « autre Occident » sur lequel ils peuvent compter pour bénéficier d’une oreille attentive à leurs préoccupations42. Elle sait mener au niveau international une politique en adéquation avec les principes de la non-ingérence, du respect de la souveraineté des États et de la coopération. C’est le respect de ces mêmes principes qui la conduit à condamner le rôle d’Israël dans l’ouverture des hostilités tout en déclarant à l’ONU qu’Israël reste un « État ami et allié43 ». Bien entendu, dans un contexte post-colonial marqué d’une part par l’élargissement continu du mouvement des non-alignés, d’autre part par une critique de plus en plus féroce de la politique vietnamienne des États-Unis, le positionnement de la France prend une dimension globalisante qui s’inscrit dans le prolongement du discours de Phnom Penh. Mais, en adoptant une attitude qui semble proche de celle de l’URSS, les Français jouent en réalité le jeu de la compétition avec Moscou en Méditerranée :
« Nous avons été amenés à prendre une position analogue à celle des Soviets pour des raisons différentes… Notre politique est de maintenir de bons rapports avec les pays arabes, pour qu’ils n’en aient pas seulement avec les Soviets44. »
34En d’autres termes, il ne saurait être question de laisser aux Soviétiques le monopole de l’influence et du prestige dans le monde arabe. Même si la dynamique de détente doit prévaloir, de Gaulle considère que le renforcement de la présence soviétique dans cette partie du monde participe de la logique de la bipolarisation et qu’elle doit donc être contenue. De fait, l’ambiguïté qui caractérise les rapports franco-soviétiques depuis 1964 se renforce un peu plus avec la guerre des Six Jours. Il est toutefois hors de question pour les Français de laisser paraître une quelconque posture de guerre froide et d’avaliser le scénario américain d’une offensive de Moscou dans l’espace euro-méditerranéen. Pour la diplomatie gaullienne – mais pas pour tous les acteurs de la diplomatie française – l’URSS ne fait que répondre aux provocations de Washington et, en faisant cela, se laisse enfermer dans une logique d’alliance qui la dépasse.
Le putsch des colonels ou l’importance du facteur grec
35La guerre des Six Jours porte à son paroxysme la dénonciation gaullienne de la logique des blocs et de la politique américaine. Dans les semaines qui suivent le conflit, de Gaulle dit à qui veut l’entendre combien est grande la responsabilité des États-Unis dans la division du Moyen-Orient, conséquence des erreurs globales et régionales de Washington. À ses yeux, l’intensification de la guerre au Vietnam, légitimant la volonté chinoise de se doter de la bombe à hydrogène (juin 1967), permet à Pékin de rehausser son prestige aux yeux du Tiers Monde et « spécialement des Arabes ». C’est à cause de cela, selon le Général, que les Soviétiques sont « obligés de faire de la surenchère » et de les « soutenir à fond45 ». À cela s’ajoute un facteur régional que Wormser juge déterminant dans la décision de Moscou de faire le jeu de Nasser : l’établissement du « régime des colonels » en Grèce au mois d’avril précédent. La sous-direction d’Europe méridionale déplore d’une part l’empressement de l’Administration Johnson à dialoguer avec le nouveau régime en dépit de son embargo sur les armes et d’autre part celui des colonels à jurer fidélité à l’OTAN46. Paris relève immédiatement l’inquiétude et l’hostilité que la mise en place d’un régime dictatorial anti-communiste en Méditerranée orientale, qui plus est frontalier avec la Bulgarie, suscite chez les dirigeants du bloc de l’Est. Réunis à Karlovy Vary, en Tchécoslovaquie, du 24 au 27 avril, les dirigeants des PC européens condamnent le coup d’État par une déclaration solennelle qui dénonce le retour du fascisme en Grèce47. L’importance du facteur grec dans la décision soviétique de soutenir l’Égypte coûte que coûte pendant la guerre des Six Jours est confirmée par plusieurs documents, notamment un rapport secret de Brejnev du 20 juin 1967 : le secrétaire général du PCUS voit derrière le coup d’État des colonels et derrière l’agression israélienne une offensive américaine en direction du communisme international et du Tiers Monde48.
36Les historiens ont effectivement mis en valeur les liens qui unissaient, avant le coup d’État, les militaires grecs à l’origine du putsch et la CIA, très présente dans le pays depuis la fin de la guerre civile en raison du voisinage du bloc soviétique. Intervenant dans un climat politique miné par les luttes entre factions au sein du parti centriste au pouvoir, le putsch est présenté par ses instigateurs comme une manière de prévenir un coup de force communiste. Invoquer l’effort de participation au containment permet aux colonels d’obtenir l’aval immédiat des Américains. Mieux, la mise en place du nouveau régime est indirectement facilitée par l’OTAN dans le cadre du Plan Prométhée, pensé à l’origine pour lutter contre le bloc soviétique mais qui voit sa finalité détournée par les militaires grecs49. Si, dans un premier temps, Washington proteste – en particulier contre l’utilisation abusive des installations de l’OTAN – et annonce la suspension des livraisons d’armes à la Grèce, l’embargo n’est jamais réellement mis en œuvre : la position géographique du pays est trop stratégique pour que les Américains se privent d’un tel avantage. L’accroissement des tensions au Proche-Orient depuis le début du mois d’avril – Tsahal abat six avions de chasse syriens au-dessus du lac de Tibériade – la poursuite de la guerre du Vietnam et la mobilisation que provoque en Turquie le coup d’État grec dissuadent l’Administration Johnson de pénaliser les colonels. La logique de guerre froide est plus forte que tout. La guerre des Six Jours puis l’intervention soviétique à Prague l’année suivante finissent de redorer le blason grec aux yeux de la Maison Blanche : le maintien d’une solide coopération avec le poste avancé de l’OTAN dans la péninsule balkanique est primordial au vu de la menace que l’URSS fait peser sur la Méditerranée orientale.
37La France fait preuve, elle, d’un peu plus de retenue que les Américains, du moins dans les premiers temps. L’amitié qui unit de Gaulle à l’ancien Premier ministre Constantin Caramanlis, exilé à Paris depuis 1963, l’incite à la prudence. Les relations diplomatiques ne sont pas rompues – la France reconnaît les pays, pas les gouvernements – mais l’ambassadeur Jacques Baeyens reçoit pour instruction de ne pas solliciter d’entretien auprès du nouveau pouvoir grec50. Toutefois, l’ambassade de France, soucieuse des conséquences du changement de régime sur l’équilibre Est-Ouest, est inquiète de la décision grecque de verrouiller la frontière avec la Yougoslavie et de remettre en cause l’accord frontalier passé entre les deux pays en 1959. Athènes reproche à Belgrade de faire de la zone frontalière une vitrine du communisme destinée à promouvoir auprès des populations pauvres du nord de la Grèce les vertus du modèle marxiste. L’ambassadeur Baeyens en convient, non seulement les agents du régime titiste déguisés en frontaliers sont nombreux en Macédoine, mais les médecins et les prêtres yougoslaves qui officient dans la région sont perçus d’un très bon œil par les villageois grecs51. Pour autant, la fermeté d’Athènes rend incertaine la situation dans les Balkans : la mise en place d’un régime anti-communiste en Grèce pourrait fournir au Kremlin un excellent prétexte pour remettre la main sur la Yougoslavie, au nom de la sécurité du bloc oriental. Le putsch d’avril 1967 fige donc d’autant plus la logique bipolaire en Europe du sud-est qu’il apporte de l’eau au moulin de l’URSS, désireuse de rétablir l’unité du mouvement socialiste international à l’heure où la concurrence chinoise se fait de plus en plus pressante.
38Certes, c’est finalement l’évolution du contexte de guerre froide en Méditerranée et en Europe qui conduit Paris à normaliser ses relations avec Athènes. Mais la France est la dernière des puissances occidentales à le faire, une fois que la répression du printemps de Prague l’a convaincue de ne pas baisser la garde face à l’imprévisibilité soviétique52. Avant cela, de Gaulle maintient le cap de la lutte contre tout ce qui peut consolider le système bipolaire. En prenant ses distances avec le régime des colonels, le Général marque une fois encore sa différence avec Washington, accusé d’entretenir la guerre froide partout où cela est possible, et notamment sur le flanc sud de l’OTAN. S’il résulte de ces attaques une glaciation toujours plus prononcée des relations entre de Gaulle et Johnson et une condamnation de la France aux États-Unis par une partie de la classe politique et de l’opinion publique – new yorkaise surtout –, cela n’empêche pas le Département d’État de demander de l’aide à Paris pour avancer ses pions en Méditerranée. À tel point que si la France donne l’impression d’être instrumentalisée par le Kremlin, d’aucuns pourraient dire qu’elle l’est aussi par la Maison Blanche.
Paris et Washington à la fin de l’ère Johnson : deux visions des intentions soviétiques ?
39À partir de l’été 1967, la diplomatie américaine cherche d’une part à mettre la position de neutralité de la France au service des intérêts occidentaux, notamment en demandant aux Français d’intercéder auprès des Égyptiens afin d’obtenir la réouverture du canal de Suez – ce que Couve de Murville refuse pour éviter que Nasser exige des compensations sur d’autres aspects du conflit53 –, d’autre part à persuader Paris de revenir dans le droit chemin du containment en Méditerranée. Un homme incarne cette double action : Eugene Rostow, sous-secrétaire d’État aux Affaires politiques, contempteur de toute forme de détente avec l’URSS, défenseur de la cause israélienne et future figure du mouvement néo-conservateur des années 1970 et 1980. Dès le 16 juin et à plusieurs reprises en juin-juillet 1967, le sous-secrétaire d’État demande ouvertement l’aide de la France face à la situation créée par la guerre des Six Jours dans le bassin méditerranéen, et plus particulièrement en Afrique du Nord54. À ses yeux, Paris doit impérativement prendre conscience du danger qui guette l’Occident : la présence de la flotte russe est désormais permanente à Alexandrie et à Port-Saïd tandis que des officiers soviétiques prennent peu à peu le commandement de l’armée égyptienne. Surtout, l’opinion arabe étant surchauffée par la victoire écrasante d’Israël et ses conséquences territoriales, l’URSS entend renverser les régimes modérés d’Arabie saoudite, de Jordanie, de Libye, de Tunisie et du Maroc. Les troupes algériennes, suréquipées, seraient déjà sur les bords du canal de Suez. Tandis que l’accroissement des armements soviétiques en Égypte, en Syrie et en Algérie viendrait reconstituer l’arsenal perdu par les Arabes pendant la guerre, Moscou souhaiterait installer partout des gouvernements de type syrien pour encercler Israël. L’objectif suprême du Kremlin, le Département d’État en est alors persuadé, est de déstabiliser l’Europe et l’OTAN via le tarissement des approvisionnements pétroliers55. La preuve, d’après Rostow, c’est qu’en juin 1967 Kossyguine vient participer à la réunion extraordinaire de l’Assemblée des Nations unies avec une équipe de diplomates spécialistes de l’Europe et de l’Amérique, pas du Moyen-Orient. « En mettant en danger les sources de pétrole, l’URSS veut obliger les pays de l’Europe à accepter une situation de neutralité. Le problème qui va se débattre la semaine prochaine n’est nullement une affaire entre Israéliens et Arabes mais un affrontement que l’on sent venir de longue date entre l’URSS et l’OTAN56 ».
40En insistant systématiquement auprès de Charles Lucet sur les conséquences européennes et maghrébines de la guerre des Six Jours, Rostow privilégie deux directions de la politique extérieure soviétique dont il sait qu’elles intéressent les Français au plus haut point. Certes la relation soviéto-algérienne inquiète vraiment Washington, mais le fait d’évoquer systématiquement l’Algérie auprès des Français a pour objectif de les inciter à réagir. La connaissance et l’expérience françaises de l’Algérie sont alors, pour les États-Unis et l’OTAN, plus précieuses que jamais dans l’effort de collecte de renseignements sur la réalité et les objectifs de la présence soviétique en Afrique du Nord. Pour Rostow, si cet effort soviétique de réarmement s’avérait confirmé, les Américains en tireraient les conclusions adéquates concernant la défense d’Israël. Quant à l’insistance sur les risques d’une crise énergétique en Europe, elle vise à convaincre les Français de jouer les intermédiaires avec l’Égypte à propos du canal.
41Faut-il voir derrière pareilles requêtes une manière d’admettre que la France est devenue un pôle d’équilibre en Méditerranée depuis la fin de la guerre d’Algérie ? En réalité, c’est tout le contraire : à l’été 1967, l’Administration Johnson considère que la politique gaullienne qui consiste à « garder un pied dans le camp arabe et un pied dans le camp israélien afin d’accroître l’influence française dans la région et d’aider ces pays à garder leur indépendance vis-à-vis des deux superpuissances » a échoué57. Le Général n’a pas été en mesure de convaincre les Israéliens de ne pas tirer les premiers ; il n’a pas su faire pression sur Nasser pour qu’il lève le blocus. Le règlement du conflit israélo-arabe est plus que jamais entre les mains des deux Grands. De fait, demander son aide à la France à propos de l’Algérie et du canal de Suez est un moyen de la ramener à son rôle de sentinelle de la Méditerranée occidentale, de lui mettre sous le nez ses responsabilités en matière de sécurité de l’Europe dont elle ne cesse de se prévaloir et de consacrer l’échec de la politique gaullienne d’équilibre. La France a voulu être un « autre Occident », elle est juste l’Occident. Ce constat s’inscrit dans une réponse plus large faite à de Gaulle par les pays de l’OTAN et qui tend à affaiblir sa posture originale dans les relations Est-Ouest : à l’été 1967, sous l’égide du ministre belge des Affaires étrangères Pierre Harmel, les négociations vont bon train pour réexaminer la raison d’être de l’Alliance atlantique et lui définir de nouvelles tâches, notamment en matière de relations politiques avec le bloc de l’Est58. De la sorte, l’OTAN se réinvente une légitimité, dans la foulée du discours de Johnson sur le bridge building (octobre 1966), qui permet à Washington d’inaugurer un vrai dialogue avec Moscou. Avec le rapport Harmel « sur les futures tâches de l’Alliance » adopté par les membres de l’organisation en décembre 1967, les Américains répondent enfin positivement au mémorandum de 1958 : la concertation politique occidentale est renforcée. En acceptant le rapport après avoir fait pression pour l’édulcorer, Paris valide le principe selon lequel la détente passe par le maintien de la cohésion militaire et politique de l’OTAN. Dans ce cadre, le positionnement singulier de la France est perçu par les Américains comme affaibli à tous points de vue. On comprend alors que, face à l’otanisation de la détente en Europe, la diplomatie gaullienne tente de préserver sa posture de trait d’union entre l’Est et l’Ouest sur les dossiers où la logique de guerre froide est la plus manifeste, à commencer par le Proche-Orient.
42Ainsi, de Gaulle, Couve et Lucet refusent de voir dans le développement de la présence soviétique en Méditerranée une quelconque volonté guerrière du Kremlin ni une preuve de la « tendance traditionnelle de la Russie à étendre son influence en direction des terres et des mers du sud59 ». Au contraire, la guerre des Six Jours a prouvé qu’une « politique d’expansion soviétique conforme au grand dessein de la politique russe depuis l’époque de Catherine II » ne paraît « guère coïncider avec le désir de paix » de l’URSS60. Moscou profite simplement des circonstances pour rétablir l’équilibre des puissances au Moyen-Orient.
43C’est ce désir de paix que la France veut exploiter pour amener les Soviétiques à négocier sur la Méditerranée, mais aussi sur l’Europe : la volonté de faire levier sur la question allemande n’est jamais loin. Aussi la solution à quatre, conjuguée à un dialogue permanent avec les pays arabes et les Soviétiques, est-elle systématiquement privilégiée par les Français. Ils s’obstinent, après la guerre des Six Jours, dans leur mission de rapprocher les points de vue des deux Grands pour les amener à s’entendre. Cette méthode présente un deuxième avantage : elle permet à la France de continuer d’apparaître auprès des peuples arabes comme un autre Occident capable de raisonner autrement qu’à travers le prisme de la guerre froide et d’éviter que la « dépendance forcée » d’une partie du monde arabe à l’URSS ne les contraigne « au désespoir et, le cas échéant, à l’anarchie61 ». La France doit montrer qu’il existe une troisième voie « qui à la fois leur sauve la face et en même temps ne soit pas la simple réaffirmation d’une volonté de destruction à terme d’Israël62 ». La direction d’Afrique du Nord élabore dès juillet 1967 une série de propositions détaillées visant à résoudre, ou au moins à modifier dans leurs données, les problèmes qui se posent au Proche-Orient, à savoir la navigation dans les voies d’eau (golfe d’Akaba, canal de Suez), les réfugiés, le statut de Jérusalem, l’état de belligérance entre Israël et ses voisins63. Ces solutions prônent un recours à de vraies négociations internationales, dans lesquelles la France et les grandes puissances joueraient le rôle d’arbitres et de garants.
44De fait, bien que l’argument américain sur le désir soviétique de couper la route du pétrole aux Européens semble n’avoir aucun effet sur de Gaulle – les compagnies françaises continuent de disposer des hydrocarbures algériens – la diplomatie française travaille à la recherche d’un règlement général qui tienne compte des enjeux de sécurité énergétique.
45Précisément, la diplomatie française ne se résume pas à de Gaulle. À l’instar d’une opinion publique majoritairement favorable à Israël, tous les acteurs diplomatiques et militaires français ne partagent pas les positions du président de la République et, à bien y regarder, la France assume comme il se doit son rôle de vigie des intérêts occidentaux en Méditerranée. Dans un rapport transmis en août 1967 au Département d’État américain, l’ambassadeur d’Israël à Paris restitue des commentaires « remarquablement libres » de hauts responsables militaires français à l’encontre du général de Gaulle et de son hostilité au rapprochement israélo-américain64. La coopération avec Israël se poursuit en mode réduit en dépit de l’embargo et bénéficie d’un soutien de poids en la personne de Georges Pompidou, qui donne discrètement son feu vert aux exportations de Dassault vers l’État hébreu65. Eban indique à Rostow le 15 juillet 1967 que « malgré de Gaulle, il y a eu une certaine reprise des fournitures militaires de la France. C’est suffisant pour faire voler les Mirage d’Israël66 ». Les relations politiques entre Paris et Tel Aviv n’en sont pas meilleures pour autant : elles ne cessent de se détériorer au cours de l’été 1967, assombries à l’automne par les déclarations de De Gaulle sur les Juifs, « peuple d’élite, sûr de lui et dominateur67 ». Quant à l’Algérie, elle reste surveillée de près par les diplomates et militaires français, soucieux d’y équilibrer la présence soviétique. Les représentants de la France à Alger transmettent, au lendemain de la guerre des Six Jours, des rapports très détaillés sur les livraisons d’armes soviétiques à l’Algérie et leur transit vers l’Égypte, les informations étant directement collectées lors d’observations des activités de chargement et de déchargement des navires dans les ports algériens68. Les documents du Quai d’Orsay indiquent que ces données sont communiquées aux Américains, preuve que la coopération ne cesse pas.
46Finalement, le dialogue régulier entre Rostow et Lucet, le maintien de la coopération politique et militaire, l’affirmation d’acteurs en dehors de l’orthodoxie gaulliste, les initiatives de Pompidou et le renouvellement des missions de l’Alliance atlantique font que, malgré les apparences, les bases d’une normalisation franco-américaine, caractéristique des années 1968-1972, sont déjà en place. La guerre des Six Jours représente-t-elle le chant du cygne de la politique gaullienne de dépassement des blocs en Méditerranée, affirmée avec grandiloquence au cours de la crise ? Dans les mois qui suivent, l’horizon d’une sortie rapide de la logique de guerre froide s’obscurcit un peu plus mais rend toujours plus valables les convictions du Général. La période agitée qui s’annonce, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des frontières françaises, a pour effet de faire émerger de nouvelles façons de penser la sécurité de la France dans son environnement immédiat, qui viennent compléter les schémas préexistants et non s’y substituer.
La France dans l’« espace 68 » méditerranéen : l’être et le paraître
47La période 1967-1970 est connue comme étant un moment de fixation des grandes orientations de la politique extérieure de la France : alors que la guerre des Six Jours confirme l’orientation pro-arabe de la France et que la dénonciation de la politique américaine dans le Tiers Monde atteint son paroxysme, l’intervention des troupes du pacte de Varsovie à Prague refroidit les ardeurs du Général et ouvre la voie à une normalisation des rapports entre Paris et Washington, sans que la politique de détente avec l’Est en pâtisse réellement. L’élection de Georges Pompidou à la présidence de la République conforte cette tendance et permet à la construction européenne de repartir de l’avant avec la conférence de La Haye de décembre 1969. Toutefois, alors que l’historiographie a pris pour habitude de compartimenter chacune de ces évolutions en fonction de problématiques continentales ou subcontinentales (Europe, Moyen-Orient), l’élargissement de la focale à l’ensemble de la Méditerranée donne une dimension nouvelle à la politique de la fin de l’ère gaullienne et permet d’en éclairer les évolutions ultérieures sous un angle qui tend à devenir central dans la nouvelle histoire de la guerre froide : celui des échelles de contestation et de leurs liens transnationaux.
48L’enjeu de cette approche repose sur une analyse des politiques extérieures mises au miroir de l’atmosphère générale de contestation qui caractérise les années 1960. Sarah B. Snyder l’a démontré pour les États-Unis : le combat pour les droits civiques crée un cadre moral et normatif qui, avec la guerre du Vietnam, exacerbe l’engagement des Américains en faveur des droits de l’homme et, la guerre froide aidant, fait de l’URSS la cible toute trouvée des défenseurs d’une moralpolitik dont Jimmy Carter se voudra le champion à la fin des années 197069. La politique Est-Ouest de la France à partir de 1968-1969 n’est pas épargnée par le débat américain, et les chocs internes et externes de la fin de la décennie 1960 – du Quartier latin à la Tchécoslovaquie – ne sont pas sans incidence sur les orientations de la diplomatie française, du moins sur certains de ses plus éminents représentants70. L’échelon méditerranéen inscrit cette analyse dans une dimension géographique suffisamment large pour en mettre en valeur toute la portée.
La dimension méditerranéenne de la crise tchécoslovaque
49On le sait désormais, le principal leitmotiv de la politique étrangère de Brejnev, qui en 1966 reprend le titre de secrétaire général du PCUS, est la consécration du statu quo politique et territorial européen. Le gel du rideau de fer doit lui permettre de se concentrer sur les affaires du Tiers Monde et, en particulier, sur la gestion de la crise de plus en plus grave qui l’oppose à la Chine maoïste. La répression du printemps de Prague par les troupes du pacte de Varsovie en août 1968 apparaît à cet égard comme l’acte le plus révélateur de cette volonté de préserver le glacis d’Europe centrale et orientale.
50Vu de Paris, si la déception manifeste de De Gaulle à l’égard de l’URSS se traduit, après l’été 1968, par un ralentissement des échanges franco-soviétiques et une impression de flottement de la politique extérieure française, en manque d’initiatives face au choc de Prague, l’analyse de la crise à travers le prisme élargi du bassin méditerranéen permet une mesure plus précise des perceptions, des intentions et des évolutions de la diplomatie française au moment où la situation européenne semble se figer pour longtemps. Les documents produits par les diplomates français en charge des affaires européennes, nord-africaines et moyen-orientales entre 1967 et 1970 laissent entrevoir un effort collectif d’explication de la série d’événements qui, en quelques mois, renforcent la bipolarité en Europe et dans son voisinage proche.
51La situation dans les Balkans, la crise au Proche-Orient et l’intervention soviétique en Tchécoslovaquie sont alors perçues comme intimement liées. D’abord parce que les diagnostics que de Gaulle fait des crises de mai-juin 1967 et d’août 1968 relèvent d’une même logique qui justifie la politique des réconciliations qu’il appelle de ses vœux : d’une part, les deux crises illustrent la volonté commune de Moscou et Washington de conforter leur emprise sur les espaces qu’ils dominent et de tout considérer sous l’angle du tête-à-tête entre superpuissances ; d’autre part, la RFA et Israël ne font pas d’efforts pour cesser d’apparaître comme des menaces potentielles auprès de leurs voisins est-européens et arabes, dont les dirigeants se présentent liés dans une solidarité de fait contre les alliés les plus proches des États-Unis en Europe et au Proche-Orient. Le gouvernement de Kiesinger d’un côté, celui d’Eshkol de l’autre, en refusant d’admettre les frontières créées au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ne peuvent que susciter la crainte autour d’eux, entretenir la propagande soviétique sur le revanchisme allemand et le bellicisme israélien, et justifier le maintien de la tutelle de l’URSS sur l’Europe orientale et les « progressistes » arabes. Pour de Gaulle, « l’affaire tchécoslovaque est avant tout dirigée contre l’Allemagne71 », qui n’a pas renoncé à ses velléités atomiques et refuse toujours de reconnaître la frontière Oder-Neisse. Par sa démonstration de force, le Kremlin signale à Kiesinger que la politique allemande est comprise à Moscou comme une volonté de changer le statu quo au détriment des intérêts soviétiques, au même titre que l’action guerrière israélienne a bouleversé les équilibres du Proche-Orient.
52Aux yeux du Général, tout cela valide un peu plus sa conception des relations internationales fondée sur la prééminence des États et rend nécessaire un désarmement des préventions mutuelles entre les Soviétiques et leurs protégés d’un côté, et les Allemands et les Israéliens de l’autre. Or, précisément, non seulement les manifestations du printemps de Prague prouvent qu’en dépit de la mainmise de Moscou les aspirations des peuples de l’Est à la liberté et à l’indépendance restent vivaces, mais, parce que ces manifestations tirent une partie de leur origine dans la crise au Levant, elles révèlent les failles de la solidarité socialiste, démontrant combien l’échelle euro-méditerranéenne est fondamentale pour saisir les évolutions de la guerre froide à la fin des années 1960. En effet, alors que le putsch des colonels en Grèce renforce l’attachement de l’URSS à l’Égypte, la guerre des Six Jours provoque une rupture au sein du bloc de l’Est, très bien comprise par la sous-direction d’Europe orientale du Quai d’Orsay, qui y voit l’une des causes du printemps de Prague. Elle note dès octobre 1967 que l’alignement des dirigeants de la Tchécoslovaquie sur la position pro-arabe de l’URSS suscite un important mouvement de réticence dans l’opinion, « qui semble avoir volontiers assimilé la situation d’Israël environné par la menace à celle de la Tchécoslovaquie en 193872 ». Les Français remarquent que l’opinion publique polonaise, mais aussi Ceausescu et Tito, refusent de se calquer sur la politique de Moscou au Moyen-Orient, sans que cela n’empêche Bucarest et Belgrade de condamner Israël au printemps 1967.
53La principale conclusion que la diplomatie gaullienne tire de la politique de force soviétique est que l’influence de Moscou en Europe orientale et au Levant reste fragile et qu’une vraie détente ne peut que l’affaiblir un peu plus. On comprend à Paris que face à l’aggravation du conflit avec la Chine et à la fragmentation du mouvement communiste international, la direction brejnévienne du Kremlin ne saurait tolérer de nouvelles déviances au sein du camp socialiste ou la perte des clients arabes. La nécessaire protection soviétique contre les bellicistes allemands et israéliens demeure ainsi un argument clé en faveur du maintien de la solidarité socialiste, que la doctrine Brejnev de la souveraineté limitée vient renforcer.
54Pour nombre de diplomates français, cette logique d’ingérence explique le nouvel essor de la coopération militaire algéro-soviétique, symbolisée par la mission du maréchal Gretchko à Alger en juillet 196873. À leurs yeux, la politique méditerranéenne de l’URSS devient de plus en plus gênante pour les intérêts français en ce qu’elle se situe dans la droite ligne de celle pratiquée par Moscou en Europe continentale :
« S’il est un mot qui résume tous nos griefs à l’égard de la politique soviétique, c’est sans doute celui de Tchécoslovaquie. Il évoque […] son goût pour l’ingérence dans les affaires d’autrui et sa vision manichéenne du monde. […] La politique méditerranéenne de l’Union soviétique nous gêne encore davantage. Sans doute n’est-elle pas fondamentalement dirigée contre nous, mais contre les États-Unis. Mais l’URSS n’en pénètre pas moins, de cette manière, dans une zone où nous avons des intérêts vitaux74. »
55Le risque est alors que l’URSS soit également tentée de s’en prendre à la Roumanie et à la Yougoslavie pour réaffirmer son autorité sur ces pays et assurer son accès à la Méditerranée via les Balkans75. Ce dernier point est essentiel pour saisir la portée des initiatives françaises sur les flancs sud et sud-est de l’Europe à partir de 1968. À court terme, la situation en Grèce, la crise au Proche-Orient et la doctrine Brejnev conduisent la France à opter pour une stratégie qui fait la synthèse des conceptions gaulliennes développées depuis 1958 en Méditerranée : il s’agit de s’insérer dans le jeu des deux Grands, de continuer à se poser en soutien résolu aux indépendances nationales et de prendre une part active à la préservation de la sécurité occidentale. Cette triple orientation s’incarne dans l’attachement inébranlable au quadripartisme – qui implique un dialogue avec l’URSS –, dans une certaine normalisation avec les États-Unis et l’approfondissement de la coopération avec l’OTAN, dans le développement de relations solides avec les Méditerranéens les plus critiques à l’égard de la guerre froide. À long terme, cela suppose de repenser la sécurité et la coopération dans l’espace euro-méditerranéen, en les adaptant aux changements profonds que connaît cet espace au tournant des années 1960 et 1970.
56C’est justement en cela que réside le deuxième intérêt d’une analyse des crises de 1967-1968 à l’échelle euro-méditerranéenne. L’inscription dans un cadre géographique plus large révèle à quel point cette apparente période de flottement de la politique extérieure française est en réalité un moment de renouveau pour la France dans le contexte Est-Ouest, lié à l’évolution des sociétés et des mentalités en Europe et autour de la Méditerranée dans la deuxième moitié des années 1960.
Du soutien au non-alignement à l’émergence d’une diplomatie « soixante-huitarde » ?
57Il est difficile d’évaluer la place de la Méditerranée dans la politique française de guerre froide sans resituer celle-ci dans le contexte de protestation tous azimuts qui caractérise la fin des années 1960 et le début des années 1970. Si l’importance toute relative de la politique extérieure parmi les motifs et slogans des événements français de mai 1968 a été mise en évidence – les Français sont majoritairement favorables aux orientations diplomatiques du Général jusqu’à ce que la guerre des Six Jours sème le trouble dans une opinion largement acquise à la cause israélienne76 – la France sait en revanche mettre à son service l’atmosphère générale de contestation pour faire valoir sa posture originale à l’échelle du bassin méditerranéen. La Méditerranée est en effet un espace où, en dépit de la diversité à la fois des régimes politiques et économiques et des formes de protestation, le renforcement de la présence militaire des deux Grands à la faveur de la guerre des Six Jours et de la remise au pas de la Tchécoslovaquie suscite un réflexe général d’opposition à la logique de guerre froide et, peu à peu, facilite l’émergence d’une première communauté de destin méditerranéenne. Celle-ci, attachée à un non-alignement plus authentique, va de pair avec le développement d’un mouvement hétéroclite de lutte contre la présence navale des Américains et des Soviétiques en Méditerranée, renvoyés dos à dos sur fond de condamnation de la guerre du Vietnam et de la répression du printemps de Prague. La dénonciation est d’autant plus importante qu’avec l’accélération de la littoralisation des sociétés et une circulation facilitée des images, des idées et des personnes, les navires aux couleurs des deux Grands ont du mal à passer inaperçus et sont assimilés à l’interventionnisme et au surarmement des États-Unis et de l’URSS. Les Américains sont toutefois davantage pris à partie que les Soviétiques, le haut degré de médiatisation du conflit en Asie du Sud-Est ayant un effet bien plus dévastateur sur les opinions méditerranéennes que l’intervention à Prague.
58Dans les pays de l’Alliance atlantique que sont l’Italie et la Turquie, les acteurs de la contestation sont d’abord issus de la gauche et des milieux étudiants. Alors que le parti communiste italien se pose en principal opposant à la présence américaine dans la péninsule, la politique étrangère des États-Unis devient la cible de la vague sans précédent de protestations étudiantes qui touche les universités d’Italie entre 1966 et « l’automne chaud » de 1969. Lorsque le président Johnson arrive à Rome fin décembre 1967, la Ville est en état de siège77. En Turquie, les visites de la VIe Flotte dans les ports du pays font l’objet dès 1967 de manifestations massives et systématiques de la part d’étudiants et d’ouvriers, qui refusent que leur pays serve de base à des actions américaines contre les peuples arabes, réprouvent le soutien de Washington aux colonels grecs et condamnent le peu de cas que les États-Unis font de la souveraineté de la Turquie depuis l’incident de l’avion U-2 en 1960. Le mouvement prend une telle ampleur que l’US Navy décide d’annuler ses visites à partir de février 1969 et qu’Ankara demande la négociation d’accords définissant le statut des forces et des installations américaines en Turquie78. Toute la difficulté pour le Premier ministre Süleyman Demirel est de désarmer les critiques à l’encontre des États-Unis tout en faisant valoir auprès de Washington la force de l’atlantisme turc, qui reste effectivement puissant. Au sein de l’intelligentsia turque, c’est principalement à gauche que l’anti-américanisme se développe à la fin de la décennie79.
59Dans les pays hors OTAN, l’ancrage à gauche de la contestation anti-Grands est incarné par des dirigeants qui profitent du tiers-mondisme ambiant pour dorer ou redorer leur blason et celui du non-alignement. Tito ne manque pas d’arguments pour s’opposer au développement de la présence navale des deux superpuissances en Méditerranée : l’absence de réaction occidentale à la répression du printemps de Prague et l’affermissement de l’emprise soviétique sur les pays arabes lui font craindre une tentative de l’URSS de consolider son accès à la Méditerranée à travers les Balkans, avec pour objectif l’Adriatique, comme l’a déjà laissé présumer la reprise du plan Stoica par Brejnev à Karlovy Vary en 196780. Ces inquiétudes justifient les initiatives de Tito à l’ONU en faveur de la paix au Proche-Orient, dans le but d’inciter Soviétiques et Américains à s’éloigner de la Méditerranée81.
60Mais c’est l’Algérie qui, avec ses slogans « la Méditerranée aux Méditerranéens » et « la Méditerranée, lac de paix », apparaît comme le porte-drapeau du mouvement anti-Grands. À partir du moment où, en septembre 1967, la VIe Flotte est accusée de violer les eaux territoriales algériennes82, le gouvernement du colonel Boumediene brandit ces formules en toutes circonstances, leur conférant une connotation fortement anti-américaine83. Dans la géographie des contestations soixante-huitardes, Alger se veut la capitale de la révolution, allant même jusqu’à accorder l’asile politique à Eldridge Cleaver, ex-ministre de l’information des Black Panthers. L’Algérie rayonne d’autant plus dans le Tiers Monde qu’elle se réconcilie avec ses voisins marocain et tunisien en 1969-1970, donnant un tour nouveau à la coopération intermaghrébine84. Bourguiba reprend ainsi à son compte, dès le début de 1970, l’idée de « Méditerranée, lac de paix », appelée à un bel avenir dans la décennie qui s’ouvre85.
61Dans ce contexte, le coup d’État qui, le 1er septembre 1969, balaye le régime monarchique libyen pro-américain et permet l’accession au pouvoir de Mouammar Kadhafi et de ses complices est, sur le moment, lu à l’Ouest comme révélateur de la dynamique révolutionnaire arabe, résolument tournée contre les intérêts et la présence des Occidentaux en Méditerranée. En décembre 1969 cependant, le comité révolutionnaire libyen tente de promouvoir un non-alignement strict qui, de par sa tonalité offensive, ne passe pas inaperçu : « Russes ou Américains feraient mieux de retourner chez eux, ils sont en danger permanent en Méditerranée ». Avec la révolution libyenne, le mouvement anti-Grands dans le bassin méditerranéen trouve son émanation la plus radicale.
62C’est donc un boulevard qui semble s’ouvrir devant la France ; elle a alors toutes les raisons de tirer profit – voire de s’imposer en chef de file – d’un mouvement dont la rhétorique est largement en adéquation avec sa posture internationale. Et elle ne se prive pas de le faire, au point de donner l’impression d’être la grande bénéficiaire des événements de 1967-1968 qui, en allant à l’encontre des espoirs gaulliens de dépassement de la guerre froide, lui confèrent un rayonnement inespéré en Méditerranée. Le prétexte d’une nécessaire démarcation vis-à-vis des deux Grands rend possible l’élaboration d’une véritable « politique méditerranéenne » – le terme est d’ailleurs employé tel quel par le Quai d’Orsay à partir de 1969. Ainsi, tandis qu’en 1968 le gel du rideau de fer freine les ardeurs du Général en Europe centrale, la vague de protestation qui continue de secouer le bassin méditerranéen dans les derniers mois de sa présidence le font redoubler d’initiatives dans cette zone. Incarnation du conservatisme auprès d’une partie de la jeunesse de son pays, il est perçu comme le contestataire en chef dans l’« espace 68 » méditerranéen.
63C’est d’abord le cas en Yougoslavie et en Turquie, en première ligne face au régime des colonels, aux tensions du Levant et à la tentation soviétique d’accéder à l’Adriatique. Avec Tito, la correspondance s’intensifie dans le cadre des négociations sur le Proche-Orient dès 1968, mais c’est avec l’arrivée de Georges Pompidou à l’Élysée que les relations franco-yougoslaves prennent de l’ampleur, le successeur du Général se montrant particulièrement sensible au risque d’une intervention soviétique dans les Balkans et à ses répercussions géopolitiques. Le vieillissement de Tito et les effets estimés de sa disparition sur la mosaïque yougoslave, conjugués à la dégradation de la situation politique en Italie, concourent à faire de Belgrade un point de mire de la diplomatie française à partir de 1969-1970. Il en va de même avec la Turquie, seul pays méditerranéen, avec la Grèce, dans lequel de Gaulle se rend en visite officielle (en octobre 1968) après l’indépendance de l’Algérie, et avec laquelle s’instaure une véritable lune de miel. Paris et Ankara sont d’accord sur à peu près tous les sujets, qu’il s’agisse de la question chypriote, du Proche-Orient, de la détente ou du rapport aux États-Unis86. Pour le président turc Cevdet Sunay en juin 1967, ses orientations diplomatiques en Méditerranée et dans les relations Est-Ouest font que « la France est le seul pays qui puisse mener une activité réelle en Turquie87 ». Comme avec Belgrade, le problème de l’omniprésence des deux superpuissances en Méditerranée revient dans la plupart des conversations, Ankara affirmant cependant de manière systématique son attachement à l’organisation atlantique intégrée. Même l’Espagne franquiste prend part au débat, l’idée d’un désengagement des deux Grands étant plusieurs fois avancée par le ministre espagnol des Affaires étrangères Fernando María Castiella (1957-1969) tandis que le vieux caudillo s’ouvre à la coopération avec le bloc de l’Est en 1969 et adopte une politique résolument pro-arabe qui le rapproche de la France et de l’URSS88. Bourguiba, lui, tend la main à la France en octobre 1968 puis, l’année suivante, inquiet des répercussions du coup d’État libyen, fait appel à l’assistance française pour la formation de son armée et le développement de la coopération culturelle. Pour le président tunisien, il est temps que la France et les pays du Maghreb, désormais réconciliés, s’unissent dans la construction d’un ensemble méditerranéen occidental qui échapperait à l’influence des deux Grands89.
64De fait, entre 1968 et 1970, le discours gaullien semble triompher comme jamais en Méditerranée et les Français en profitent. Devenu ministre des Affaires étrangères de Georges Pompidou, Maurice Schumann l’affirme sans ambages à Alger en octobre 1969 : oui, « la Méditerranée doit être une mer de paix, sans bases ni présences étrangères90 ». Mais est-ce vraiment ce que veut la France ? Certes l’évacuation de Villefranche-sur-Mer par la VIe Flotte à la suite de la sortie du commandement intégré de l’OTAN crée l’illusion d’une politique méditerranéenne débarrassée de ses oripeaux atlantiques et entretient l’image d’une France précurseur en matière de « Méditerranée aux Méditerranéens » ; cependant, à aucun moment de Gaulle ne réclame le départ des deux Grands de la Grande bleue. Mieux, l’atmosphère contestataire de la fin des années 1960 a plutôt tendance à éloigner la diplomatie française de cette perspective. En effet, si l’on peut dire qu’il existe un Mai 68 de la diplomatie française, c’est d’abord parce que la période qui s’ouvre en 1968 voit la montée en puissance de personnalités qui, dans leurs pratiques de représentation, de discussion et de négociation, s’efforcent de tenir compte des idéologies, des mentalités et des mutations des sociétés. Dans le contexte de bipolarisation exacerbée de l’espace euro-méditerranéen et des prémices de la troisième mondialisation, cette évolution est loin d’être négligeable. Elle s’incarne à travers quelques figures proches des cercles mendésistes et/ou rocardiens de la « deuxième gauche », dont on peut citer, parmi les principales : Stéphane Hessel, membre actif du Club Jean Moulin, en poste à l’ambassade de France à Alger de 1963 à 1969 ; Jacques Andréani, cofondateur du Parti socialiste unifié aux côtés de Michel Rocard, chargé des relations avec le bloc de l’Est à la fin des années 1960 puis représentant permanent de la France à l’OTAN en 1970 ; Jean de Lipkowski, proche de Pierre Mendès France puis gaulliste de gauche, secrétaire d’État aux Affaires étrangères de 1968 à 1972 puis de 1973 à 1974.
65Partisans de l’intégration européenne, défenseurs des droits de l’homme et anti-communistes, ces hommes sont les acteurs du rééquilibrage de la diplomatie française vers l’OTAN et les États-Unis et, dans le même temps, ne renient pas l’héritage diplomatique du général de Gaulle, qu’ils adaptent aux années 1970. Marqués par Mai 68 dans leur souci de rapprocher la politique étrangère des préoccupations sociétales, ils le sont davantage par les agissements de l’URSS en Europe centrale et en Méditerranée. Contrairement à de Gaulle, ils ne sous-estiment pas les enjeux idéologiques de la guerre froide et se méfient profondément des intentions soviétiques ainsi que des régimes socialistes, qu’ils soient est-européens ou arabes. Au même titre que nombre de leaders de la jeunesse soixante-huitarde – bien qu’aucun d’eux ne soient de cette génération – ils abhorrent le léninisme mais admirent le modèle autogéré yougoslave91, ils condamnent la guerre du Vietnam mais sont fascinés par les États-Unis. De fait, tout comme les révoltes de Mai 68 sont un catalyseur des évolutions des sociétés occidentales du milieu des années 1960, les soubresauts de la guerre froide en 1967-1968 et la contestation ambiante dans laquelle ils se produisent permettent un réajustement des orientations diplomatiques françaises qui, tout en réaffirmant les grands principes de la politique extérieure gaullienne (non-ingérence, souveraineté, indépendance, coopération…), leur adjoint des préceptes plus en phase avec le message porté par les révoltes de la décennie qui s’achève : respect des droits de l’homme et des minorités, circulation des hommes, des idées et des informations. Une forme d’idéalisme certes, mais mise au service de la realpolitik française ; une diplomatie soixante-huitarde peut-être, mais pas sous la forme d’une contestation aveugle de l’ordre américain, d’autant que la fin de l’ère Johnson et l’élection de Richard Nixon facilitent le dialogue avec une Administration républicaine qui dit comprendre et admirer le gaullisme. À l’échelle de la Méditerranée, cela se traduit par une posture de guerre froide plus affirmée et une certaine réhabilitation de l’OTAN, mais sans que cela affaiblisse l’objectif de la France d’apparaître comme un « autre Occident » aux yeux des pays de l’Est et des Arabes. La politique extérieure de Georges Pompidou de 1969 à 1972 reflète parfaitement cet équilibre, le successeur du Général se montrant perméable aux nouvelles façons de penser la politique Est-Ouest.
Les usages français de « la Méditerranée aux Méditerranéens » sous Pompidou
66Le retour à un positionnement Est-Ouest plus mesuré explique le malentendu qui s’installe entre la France et ses partenaires sur la signification de « la Méditerranée aux Méditerranéens » et de « la Méditerranée, lac de paix », que Stéphane Hessel présente en mai 1968 comme une propagande algérienne dirigée contre les États-Unis et destinée à entretenir une menace impérialiste justifiant le régime socialiste et les livraisons d’armes soviétiques92. En résulte un bel exemple d’opportunisme et d’instrumentalisation de la guerre froide par la France. Celle-ci fait de ces slogans simples et percutants – que Boumediene et Bouteflika se flattent de propager à tout le bassin méditerranéen – des outils diplomatiques pratiques qui, sous couvert d’un projet utopique aux accents gaulliens, servent les intérêts stratégiques et économiques français.
67C’est d’abord le cas en Algérie, où la France est confrontée à la concurrence de l’URSS et à la politique de nationalisation du régime, qui s’accentue en 196893. Lorsqu’en décembre de cette année, le nouvel ambassadeur de France à Alger Jean Basdevant, l’un des architectes des indépendances marocaine et tunisienne au milieu des années 195094, reprend à son compte, devant Abdelaziz Bouteflika, l’idée que la Méditerranée doit demeurer une « mer pacifique », débarrassée de la logique de guerre froide, il n’hésite pas à utiliser l’inquiétude française à l’égard des livraisons massives d’armements soviétiques en leur conférant un tour anti-américain qui ne peut que plaire aux Algériens : « [ces livraisons] offrent à l’URSS la possibilité d’anesthésier l’Algérie et de s’y implanter avec des moyens stratégiques offensifs qui entraîneraient inévitablement des contre-mesures de la part des Américains95 ».
68De même, l’évocation par les Français de « la Méditerranée, lac de paix » auprès d’un Bourguiba inquiet des conséquences du coup d’État libyen et d’un Tito soucieux d’éviter que l’Armée rouge ne fasse irruption en Yougoslavie a pour objectif premier de faire en sorte que parviennent aux oreilles des dirigeants algériens l’idée que la France est un soutien de poids au projet de Méditerranée méditerranéenne en ce qu’elle incarne une vraie alternative aux Américains et aux Soviétiques : si l’Algérie veut être crédible sur la scène régionale, elle a tout intérêt à ne pas se mettre à dos les Français, dont l’aura ne cesse de croître dans le bassin du fait de leur positionnement pro-arabe au Levant, et à opter pour un non-alignement plus authentique, moins orienté vers Moscou96.
69La stratégie française est favorisée par les évolutions géopolitiques locales. Quelques mois après son arrivée à l’Élysée, Pompidou tire profit de la révolution libyenne, des craintes qu’elle inspire chez son voisin tunisien et des tensions entre Arabes pour avancer ses pions. Bourguiba, voyant dans le mouvement révolutionnaire libyen un prolongement de la menace soviéto-égyptienne vers l’Ouest, se fait le promoteur d’une solidarité maghrébine que le président français perçoit d’un bon œil, d’abord parce qu’elle repose sur un sentiment anti-nassérien : lors du sommet de la Ligue arabe, réuni à Rabat du 20 au 23 décembre 1969, la Syrie, le Maroc, la Tunisie et l’Algérie refusent l’aide économique et financière souhaitée par Nasser pour mettre au point un plan d’action panarabe contre Israël. Le Raïs décide alors de se tourner vers Kadhafi et le chef de la junte militaire soudanaise Gaafar Nimeiry, signant avec eux la Charte de Tripoli qui donne naissance à un « front révolutionnaire ». Jean Basdevant voit dans cette crise l’occasion pour l’Algérie de prendre ses distances avec l’URSS et d’afficher un non-alignement plus sincère97. Elle y est encouragée par l’incapacité des Soviétiques à respecter les délais de livraison de matériel militaire et par l’inadaptation aux besoins algériens des enseignements dispensés par les instructeurs russes. Autrement dit, « la Méditerranée aux Méditerranéens » devient un moyen d’opposer la qualité et la fiabilité des produits et coopérants français aux incertitudes du partenariat soviétique.
70Bourguiba en vient même à considérer que, dans la mesure où les trois États du Maghreb partagent désormais la volonté de se détacher des deux Grands, il est du devoir de la France d’assumer un rôle plus important dans la sécurité de la Méditerranée occidentale, aux côtés de l’Espagne et de l’Italie. Le dirigeant tunisien demande à Pompidou en mai 1970 de l’aider à remettre en état l’arsenal de Bizerte pour en faire un poste clé de la défense ouest-méditerranéenne face à l’URSS, à l’Égypte et à la Libye98.
71Mais si Pompidou entend accélérer le rapprochement avec le Maghreb, il ne se laisse pas prendre au piège de la division du bassin, qui empêcherait la France d’apparaître comme un pôle d’équilibre : « La Méditerranée occidentale, bien entendu, est prioritaire parce que nous y sommes. Mais elle n’est pas isolée, d’où l’intérêt pour nous de ce qui se passe en Méditerranée orientale et les positions que nous y prenons en vue de ramener la paix99 ». Paris espère alors toujours faire adopter une solution à quatre au Proche-Orient et a donc tout intérêt à ne pas donner l’impression de cautionner une scission de la Méditerranée entre l’Est et l’Ouest, entre les « progressistes » et les autres. Le président cherche en outre, à partir de l’été 1969, à donner un nouvel élan aux relations franco-soviétiques et se montre soucieux de ménager l’URSS, non seulement à propos de la Méditerranée mais aussi dans le cadre des discussions sur la sécurité européenne. Pompidou et Schumann le savent : en relations internationales, la question des perceptions est fondamentale. Aussi prennent-ils garde à ne pas aller trop loin dans leurs premières consultations sur la Méditerranée avec Aldo Moro, qui s’installe à la Farnesina en août 1969, et Gregorio Lopez Bravo, ministre espagnol des Affaires étrangères à partir d’octobre 1969 : l’Italie et l’Espagne, bien que partageant de plus en plus avec la France le souci d’autonomie par rapport aux deux Grands, le désir de détente Est-Ouest et la volonté de se poser en amies du monde arabe, sont bien trop perméables à l’influence américaine, et perçues comme telles en Méditerranée100. Il ne saurait être question de mener des actions conjointes trop visibles avec des pays qui voient dans « la Méditerranée aux Méditerranéens » un outil anti-soviétique plus qu’un instrument anti-américain. L’héritage gaullien doit être préservé.
72Comment justifier alors auprès des non-alignés la participation française aux opérations de l’OTAN en Méditerranée ? Là est le deuxième avantage – et le deuxième usage – du slogan algérien. L’appartenance de la France, puissance méditerranéenne, à l’Alliance atlantique et la coopération avec le commandement intégré sont présentées comme des contributions à la « méditerranéisation » de l’organisation. De cette façon, on ne laisse pas aux Anglo-Saxons et aux membres intégrés le monopole occidental de la sécurité en Méditerranée et on participe à la mise en œuvre de la formule chère aux non-alignés. Brandi auprès des Algériens, Yougoslaves et Libyens, l’argument reflète le souci des Français de rester un pôle d’équilibre méditerranéen à l’intérieur de l’Alliance atlantique et vis-à-vis de l’extérieur. Aux Italiens et aux Turcs, on montre que la France continue d’assumer sa part de la défense du flanc sud tout en affichant sa différence en matière de conceptions stratégiques. Aux uns et aux autres, la France apparaît comme un acteur suffisamment fiable de la sécurité régionale, accréditant sa posture d’alternative aux deux Grands.
73Le succès transpartisan du Mirage participe de cette logique. Outil de la victoire écrasante d’Israël en juin 1967, l’avion de la société Dassault confère à l’industrie française un rôle clé dans l’évolution des rapports de force en Méditerranée. Désireux de ne pas dépendre de l’une ou l’autre des superpuissances, nombreux sont les pays de la région à se tourner vers la France, qui diversifie ses marchés au Moyen-Orient, en Afrique du Nord et en Europe méridionale – en février 1970, Lopez Bravo conclut avec Michel Debré un accord prévoyant la fourniture de trente Mirage à l’Espagne101. Cela ne se fait pas sans accroc, comme en témoignent les relations avec la Libye. Le dossier de la vente des cent dix Mirage et d’autres armements au régime de Kadhafi – le plus gros contrat en la matière jamais conclu en une seule fois avec un client étranger – est désormais bien connu ; en raison de son impact sur les relations franco-israéliennes et de la personnalité même de Kadhafi, il fait l’objet d’une certaine mythification de la part de journalistes d’investigation soucieux d’entretenir une sorte de légende noire de la politique étrangère de la Ve République. Il est vrai que, découverte par le Mossad et révélée par le New York Times le 19 décembre 1969, l’affaire provoque une grave crise avec le gouvernement de Golda Meir, qui accuse la France d’armer les ennemis de l’État hébreu102. Mais son inscription dans la stratégie française de dépassement de la guerre froide et les ambiguïtés qu’elle soulève, moins étudiées, rendent possible une lecture plus apaisée103. Plus que tout autre, le cas libyen reflète le double usage que la France fait des slogans non-alignés. D’un côté, Pompidou et Schumann semblent valider la rhétorique de la « Méditerranée aux Méditerranéens » pour rappeler l’ancrage gaullien de leur politique régionale et ainsi apparaître aux yeux des nouveaux dirigeants libyens comme la troisième voie, ce que note le ministre libyen de la Défense Abdesselam Jalloud : « dans le Tiers Monde les révolutions se réclament habituellement soit de l’URSS soit des États-Unis. En se tournant en priorité vers la France, la Révolution libyenne innove et entreprend une expérience qui, espérons-le, sera exemplaire104. » Le message est d’autant plus fort que la France est moins influente en Libye, davantage orientée vers les Anglo-Saxons et l’Italie, que dans le reste du Maghreb. D’ailleurs, l’ambassadeur de France à Tripoli, Guy Georgy, ancien cadre de l’administration coloniale qui joue un rôle crucial dans le rapprochement entre les deux pays, n’y va pas par quatre chemins lorsqu’il dénonce « l’incroyable degré de colonisation auquel était soumis ce pays. De l’administration à l’économie, de l’armée à l’université, chaque décision du royaume senoussi était dictée, suggérée, contrôlée et orientée dans le sens le plus favorable à Londres et à Washington105 ». La France, dans ce cadre, fait figure d’heureuse alternative.
74Toutefois, d’un autre côté, pour justifier leurs contrats avec Kadhafi, les Français brandissent tel un épouvantail la déclinaison libyenne de la « Méditerranée aux Méditerranéens » auprès des États-Unis et du Royaume-Uni, dont les ressortissants, nombreux dans le pays, sont chassés manu militari au lendemain de la révolution, avec notamment l’évacuation de la grande base aérienne américaine de Wheelus, à Tripoli. C’est là le troisième usage de la devise algérienne par la France, à destination, cette fois-ci, de Washington.
75À Sargent Schriver – désormais ambassadeur à Paris – qui l’interroge en janvier 1970, Schumann indique que la livraison des Mirage a pour but d’empêcher l’inféodation de la Libye au bloc de l’Est – via des fournitures d’armements similaires par l’URSS ou la Tchécoslovaquie – et donc de servir les intérêts occidentaux106. L’enjeu est d’autant plus important pour les Américains que les Mirage pourraient être utilisés contre Israël et modifier l’équilibre des forces en Méditerranée. Aussi l’ambassadeur des États-Unis propose-t-il au ministre français une action commune de Londres, Paris et Washington pour exiger de la Libye qu’elle renonce à utiliser ses futurs avions contre l’État hébreu. Schumann refuse, estimant qu’une telle demande donnerait l’impression que les trois puissances occidentales souhaitent ramener la Libye dans le camp de l’Ouest, ce qui reviendrait à jeter Kadhafi dans les bras de Moscou. En laissant faire la France, Américains et Britanniques auraient la garantie que la Libye adopte un non-alignement compatible avec les intérêts occidentaux. Bref, la France se pose en un Occident qui, bien qu’il soit « autre », défend les intérêts de son camp. Face au succès grandissant de la « Méditerranée aux Méditerranéens », les États-Unis ont tout intérêt désormais à jouer la carte française s’ils souhaitent maintenir les positions de l’Alliance dans le bassin. Et les Français de promettre aux Américains que toutes les précautions sont prises pour éviter que les armes livrées au régime libyen ne bouleversent la géopolitique régionale : des clauses précises de non-réexportation et de non-utilisation sur des aéroports étrangers sont stipulées dans les contrats ; le gouvernement de Jacques Chaban-Delmas s’engage à veiller au respect de ces clauses afin que les appareils ne soient pas utilisés par d’autres puissances ou par la Libye dans d’autres pays. L’échelonnement des livraisons entre 1970 et 1974 doit faciliter la bonne observation de ces dispositions107. On peut néanmoins s’interroger sur les moyens dont dispose Paris pour assurer cette surveillance, ainsi que sur les mesures de rétorsion applicables en cas de non-respect : il est clair que sa marge de manœuvre demeure limitée.
76Des réserves ont souvent été émises quant à la sincérité des Français invoquant le contexte de guerre froide pour justifier leurs affaires avec Tripoli. Les archives du Quai d’Orsay montrent pourtant un réel désir de contrer l’URSS, ses satellites et ses amis arabes (Nasser en premier lieu) en Libye et, plus largement, en Afrique du Nord. En 1968, avant même l’élection de Nixon, le secrétaire général du Quai Hervé Alphand et Eugene Rostow s’entendent pour que les ambassades de France et des États-Unis à Alger procèdent à des échanges réguliers de renseignements sur l’implantation militaire soviétique en Algérie108. Les comptes rendus de ces réunions bilatérales témoignent d’une claire volonté française de faire barrage à la pénétration de l’URSS, notamment en développant sur divers plans sa coopération avec les Algériens109. Aussi n’y a-t-il rien d’étonnant à ce que, dès septembre 1969, Hervé Alphand, dont l’ancrage gaulliste est historique depuis qu’il a rejoint le Général à Londres en 1940, tire la sonnette d’alarme quant à « l’affaiblissement de l’influence occidentale en Méditerranée » à cause de la révolution libyenne : « l’URSS, épaulée par l’action des pays arabes progressistes, pourrait disposer de nouvelles voies de pénétration vers le Maghreb et vers l’Afrique Noire, à travers le Tchad et le Niger110 ». La sous-direction d’Afrique du Nord, dont la posture de guerre froide est déjà très affirmée, avec à sa tête Pierre Landy, va dans le même sens : un basculement de la Libye dans le camp soviétique serait une catastrophe pour les intérêts français en Afrique111.
77Alors que les rapports avec l’Algérie restent compliqués, saisir la main tendue du nouveau régime libyen serait un moyen pour la France de continuer à apparaître comme un acteur incontournable des relations internationales en Méditerranée et dans le Tiers Monde, mais également d’éviter que l’URSS et l’Égypte ne se retrouvent seules à exercer une influence sur la Libye. L’offre de Moscou à Tripoli en vue de l’achat de Mig soviétiques finit de convaincre les Français de ne pas tourner le dos à Kadhafi et devient dès lors le principal argument de Schumann auprès des Anglo-Saxons pour leur faire admettre les ventes d’avions français112. Dans les mois qui suivent, tandis que le nombre de militaires français envoyés en Libye s’accroît sensiblement à la faveur des besoins libyens d’instructeurs aéronautiques, la France s’attache à démontrer sa bonne foi aux Américains et aux Britanniques en leur transmettant la plupart des informations que le renseignement militaire français parvient à collecter quant à la présence soviétique sur place. Un an après la révolution libyenne, les données fournies par les Français se veulent rassurantes : la pénétration soviétique est limitée et les exportations de matériel français ne sont pas pour rien dans ce containment réussi113.
78Cela suffit-il à convaincre les Anglo-Saxons ? Durant son voyage aux États-Unis en février 1970, Pompidou, vivement pris à partie par des représentants de la communauté juive lors de sa visite à Chicago, constate à ses dépens combien la politique arabe de la France est pointée du doigt par une partie de l’opinion d’outre-Atlantique. Mais en dépit du tableau assez sombre que l’historiographie a pu dresser des relations franco-américaines à propos de la Méditerranée à l’ère Pompidou-Nixon114, les archives montrent que les cercles dirigeants américains ne sont pas unanimes dans leur jugement des intentions françaises dans la région et notamment en Libye. La CIA reconnaît la volonté du régime libyen de se tenir éloigné de chacun des deux Grands, estimant que la France ne fait que profiter du vide créé par le départ des Anglo-américains pour accroître un peu plus son influence sur le littoral nord-africain115. L’agence de renseignement américaine relève, à cet égard, le succès des actions méditerranéennes entreprises par la France dans le contexte de la lutte anti-Grands menée par nombre de pays de la région. Il ne reste, selon la CIA, qu’à espérer que le tropisme français de la Libye facilite l’ancrage de celle-ci au Maghreb et la détourne de l’influence égyptienne… Ainsi, en mars 1970, Henry Kissinger recommande au président Nixon d’encourager toute initiative qui puisse permettre à la Libye de maintenir des attaches solides avec l’Europe occidentale116, ce qui implique d’admettre les liens commerciaux entre Paris et Tripoli : mieux vaut la France que l’URSS. Ce sentiment est partagé par le Secrétaire d’État William Rogers et le commandement militaire des États-Unis, qui se remet difficilement d’avoir perdu Wheelus, jusqu’alors l’une de ses principales bases en Méditerranée117.
79Au final, au seuil des années 1970, si les usages de « la Méditerranée aux Méditerranéens » par la France lui permettent d’entretenir sa posture d’autre Occident et de tirer profit des opportunités stratégiques et commerciales que lui offrent les évolutions géopolitiques régionales, ils sont aussi porteurs d’une série de malentendus prêts à éclater au grand jour dans la décennie qui s’ouvre. Malgré la résonance gaullienne qu’ils comportent, à aucun moment les Français n’entendent promouvoir activement les slogans non-alignés et faire en sorte que les deux Grands quittent la Méditerranée. D’une part cela compromettrait les relations diplomatiques avec l’URSS dont Paris a besoin pour faire valoir ses conceptions de la sécurité en Europe et au Proche-Orient ; cela nuirait d’autre part à la coopération militaire avec les États-Unis, tout autant indispensable face à la poussée soviétique ; il serait enfin plus difficile de se présenter comme une alternative. En d’autres termes, la sécurité et la crédibilité de la France dépendent étroitement de la présence des deux Grands en Méditerranée. Il ne saurait donc être question d’exiger qu’ils s’en aillent, d’autant que Paris n’a pas les moyens d’une telle exigence. En outre, avec l’accession de Willy Brandt à la chancellerie en octobre 1969, la RFA s’impose comme un acteur de premier plan des relations Est-Ouest en Europe et la France se retrouve à la remorque de Bonn en matière de sécurité européenne ; le dynamisme dont fait preuve Paris dans les affaires méditerranéennes est un moyen de compenser cette situation.
80Le malentendu quant au sens que la diplomatie gaullo-pompidolienne confère à la Méditerranée méditerranéenne est donc patent ; la coopération avec l’OTAN en est probablement l’une des principales manifestations.
L’approfondissement de la coopération France-OTAN
81La guerre des Six Jours accentue de façon considérable la présence navale soviétique en Méditerranée. Cette prolifération va de pair avec l’évolution de la doctrine militaire soviétique et le développement de la « fonction externe » de l’Armée rouge, qui prend une nouvelle dimension entre 1967 et 1970. L’essentiel pour Moscou est d’obtenir des bases militaires accueillant des installations de stockage et de maintenance pour la marine, des aérodromes et des missiles. L’URSS profite alors de l’humiliation arabe de juin 1967 pour s’installer un peu plus en Égypte et en Syrie : dans le contexte de la guerre d’usure que se livrent Israël et l’Égypte autour du canal de Suez, Moscou met sur pied en 1968-1969 l’opération Kavkaz qui consiste en l’envoi d’une nouvelle unité de 10 000 militaires, appelés « conseillers », qui viennent s’ajouter aux 2 000 à 4 000 hommes dépêchés au lendemain de la défaite arabe pour aider à la reconstruction des armées égyptienne et syrienne118. Aucun pays du Tiers Monde non-marxiste n’avait reçu un tel contingent de la part du Kremlin auparavant. Les sous-marins d’attaque de l’Eskadra sont désormais déployés en permanence, rendant la « souricière » dénoncée par de Gaulle toujours plus dangereuse et, en même temps, l’Alliance atlantique toujours plus nécessaire dans l’espace méditerranéen. Le Général ne l’a jamais nié, celle-ci demeure indispensable tant que le « règne de la paix » ne sera pas « réellement assuré119 ». Pompidou ne dit pas autre chose aux Américains lorsqu’il arrive à l’Élysée120. La politique de défense de la France se veut indépendante mais solidaire, un principe qui n’est pas dénué d’ambiguïté puisqu’« affirmer l’indépendance nationale et la nécessité de l’Alliance, c’est aussi subtilement concéder que la capacité de défense de la France ne lui permet d’assurer qu’une version minimale de sa sécurité121 ». Cette idée d’une France consciente de ses limites est particulièrement vraie pour le théâtre méditerranéen après la guerre des Six Jours et la répression de Prague. On l’a vu, nombreux sont les diplomates à prôner une relation décrispée avec les États-Unis et l’OTAN : la France a besoin du soutien de Washington en Méditerranée et doit lui prouver qu’elle reste un acteur clé de la sécurité de l’Occident face aux ambiguïtés véhiculées par le non-alignement régional et dans le contexte de l’affaire libyenne.
82Cela conduit l’exécutif français à jouer la carte de l’apaisement avec l’Alliance et avec les États-Unis, tout comme l’Administration Nixon, guidée en la matière par Henry Kissinger, le fait avec Paris. Reçu à la Maison Blanche en février 1970, Pompidou propose ainsi qu’il y ait « des conversations entre marins au sujet de la Méditerranée, qui est devenue un point chaud. De tels contacts existent d’ailleurs en fait. Les marins ont toujours tendance à s’entendre. Mais on pourrait développer ces contacts122 ». Nixon l’admet volontiers, cette coopération va s’avérer de plus en plus essentielle au fur et à mesure de l’accroissement des forces stratégiques et tactiques françaises car, en cas de conflit, la France et les États-Unis seraient tous deux impliqués.
83Le renouveau de la coopération de la France avec l’OTAN en Méditerranée concerne d’abord la guerre des mines – centrée sur la protection des approches maritimes de Marseille, Toulon et Fos-sur-Mer – et la lutte anti sous-marine visant notamment à protéger les lignes de communications maritimes depuis le Moyen-Orient. Cette coopération passe par l’organisation de manœuvres communes d’une part, par des échanges réciproques d’informations sur les mouvements de bâtiments soviétiques d’autre part. Si, de ces deux activités, c’est à la seconde que la France prête le plus d’attention et participe le plus activement, dans les deux cas la Marine œuvre en priorité en Méditerranée centrale, dans une zone qui, s’étendant des côtes provençales au large de l’Algérie et de Gibraltar à la Sicile, constitue le prolongement géographique du territoire national123.
84Dans cette zone, sont considérés comme « intrus » par l’état-major « tous les bâtiments de guerre et auxiliaires du bloc soviétique », de même que « peuvent l’être » les bâtiments de commerce et de pêche des pays communistes124. Au vu de l’importante quantité de matériel militaire qu’elle reçoit de l’URSS et de la Tchécoslovaquie, l’Égypte est mise sur le même plan que ses fournisseurs d’Europe de l’Est : sa flotte est autant à surveiller que celle des pays du pacte de Varsovie125. De fait, les instructions d’état-major transmises aux commandants de l’escadre de la Méditerranée – organisée autour du porte-hélicoptères Arromanches depuis le transfert des porte-avions Foch et Clemenceau de Toulon à Brest en 1966 – ne font preuve d’aucune ambiguïté : l’URSS, ses alliés européens et ses amis arabes sont les adversaires principaux de la France en Méditerranée. Malgré l’approfondissement de la détente en Europe à partir de 1969, la logique de guerre froide prévaut incontestablement d’un point de vue militaire. Aussi la recherche d’informations sur les caractéristiques et le comportement tactiques des bâtiments du bloc de l’Est reste-t-elle prioritaire tout au long des années 1970. Elle passe, lorsqu’est repéré un bâtiment de surface, par l’interception des émissions radio et radar, par l’usage systématique de la photographie et par la surveillance des activités à bord grâce aux survols d’aéronefs. Les sous-marins font, eux, l’objet d’une écoute attentive via l’enregistrement sonore des bruits et l’interception des émissions sonar.
85Il en résulte une impressionnante collecte d’informations sur la composition et les mouvements des forces soviétiques en Méditerranée. La plupart de ces données, d’une extrême précision, sont rassemblées par le Bureau Renseignement de la Marine dans le Bulletin hebdomadaire de renseignements d’actualité maritime, diffusé aux états-majors et aux autorités navales françaises126. Croisées avec les informations reçues des alliés, elles permettent de dresser chaque semaine un tableau détaillé de l’Eskadra et de la marine marchande soviétique et d’ainsi guider la prise de décision sur les questions méditerranéennes. L’analyse de ces documents contribue à la prise de conscience française du niveau d’accroissement et de perfectionnement de la flotte soviétique. Non seulement les chiffres présentés témoignent d’une présence toujours plus importante des bâtiments russes, mais ils font état de la propension de l’URSS à projeter ses forces partout dans le bassin et au-delà, du fait de ses nouvelles capacités hauturières. Les détroits de Turquie et de Gibraltar font ainsi l’objet d’une attention toute particulière puisque, par définition plus faciles à surveiller, ils permettent à la France et à ses alliés de mesurer d’une part la fréquence des entrées et sorties soviétiques, roumaines et bulgares de la mer Noire et d’autre part les passages vers l’océan Atlantique et donc vers le reste du monde. La fermeture du canal de Suez en 1967 et la pénétration de l’URSS en Afrique font de Gibraltar un verrou stratégique à l’heure où la guerre froide devient globale. La protection des intérêts français en Afrique et dans le monde arabe suppose donc de disposer d’informations aussi complètes que possibles, ce qui implique un haut degré de coopération avec l’OTAN et les pays qui en sont membres. Car, à Istanbul comme à Gibraltar, les Américains et les Britanniques jouent un rôle central dans la surveillance des détroits. Sur le Bosphore, l’attaché naval des États-Unis dispose, à la fin des années 1960, d’un vaste réseau de guetteurs qui permet une observation quasi permanente des navires soviétiques et la constitution d’un riche dossier photographique127. Côté espagnol, la mise en service en 1971 du FOSIF (Fleet Ocean Surveillance Information Facility) à Rota, près de Cadix, offre à la VIe Flotte et aux alliés un renseignement tactique sophistiqué. La mise en réseau avec le FOSIF de Kamiseya, au Japon, et les centres de Londres, Norfolk et Pearl Harbour rend compte par exemple du premier exercice naval de la marine d’URSS réalisé à l’échelle mondiale « Okean 70128 ». On comprend donc que les militaires français tiennent à maintenir un rythme soutenu d’échanges de renseignements avec l’OTAN et avec les États-Unis, dont les forces « fournissent les éléments les plus substantiels à la « banque de renseignements129 » ». Ceux-ci se font avec le commandement OTAN de surveillance aéromaritime de la Méditerranée (Maritime Air Forces Mediterranean ou MARAIRMED) établi à Naples en 1968. Les officiers français lui transmettent principalement des informations relatives à la présence soviétique au Maghreb.
86Les rapports du commandement en chef français pour la Méditerranée tout comme ceux qui proviennent de l’officier de liaison français auprès du COMNAVSOUTH soulignent le haut degré de confiance et la remarquable efficacité qui caractérisent les relations qu’entretient la France avec l’OTAN en Méditerranée, notamment en matière d’échanges d’informations sur les mouvements soviétiques. À partir de 1968 et au cours de la décennie qui suit, les comptes rendus de réunions France-OTAN se font de plus en plus chaleureux et ne cessent d’appeler à un renforcement de la coopération.
87Pour la seule année 1968, c’est un programme de quinze exercices navals à effectuer par la Marine nationale avec les forces des pays de l’Alliance qui est approuvé par le Conseil de Défense du 15 décembre 1967130. Le plus important de ces exercices, Dawn Patrol, est organisé chaque année. Il est le seul auquel participent plusieurs bâtiments français, dont, en 1968, le croiseur Colbert et deux sous-marins. À chaque fois, l’adversaire potentiel est l’URSS, dont on imagine que plusieurs sous-marins, destroyers et croiseurs lance-missiles, venus de l’Atlantique, se mettraient en patrouille entre les Baléares et la Sardaigne dans un contexte de crise internationale, menaçant directement le territoire français. La France se rangerait alors aux côtés de ses alliés et fournirait une forte participation aéronavale pour des opérations conjointes. À l’issue de Dawn Patrol 1970, le vice-amiral d’escadre Philippe de Scitivaux de Greische, commandant en chef pour la Méditerranée, très satisfait du déroulement de l’exercice et de la coopération avec l’OTAN, souligne pourtant une faille majeure du dispositif français : celui-ci est dépendant des renseignements que lui transmettent les alliés. Sans eux, la Marine française ne serait pas en mesure d’appréhender correctement la menace131.
88L’interprétation à tirer de cette conclusion, qui provient d’un Compagnon de la Libération et gaulliste de la première heure, est qu’au début des années 1970, alors que la Force océanique stratégique s’apprête à voir le jour, l’indépendance militaire de la France en Méditerranée est loin d’être acquise. Dans ces conditions, il ne saurait être question de se passer de l’OTAN, quitte à donner aux Soviétiques la désagréable impression que Paris transige avec sa politique d’indépendance. Cette impression, les Soviétiques la ressentent effectivement et ne manquent pas d’en faire régulièrement part à leurs interlocuteurs français au plus haut niveau. Reçu à l’Élysée par Georges Pompidou, le maréchal Gretchko, ministre de la Défense, considère que la participation française aux manœuvres de l’OTAN et aux études de l’Alliance sur les forces dont dispose l’URSS trahit l’esprit de l’entente franco-soviétique. Pompidou minimise la situation :
« Vous me parlez de notre participation aux manœuvres de l’OTAN. Cela n’est pas très sérieux. Je me suis renseigné car je pensais bien que vous me poseriez cette question : non seulement nous ne participons pas beaucoup, mais encore nous participons beaucoup moins qu’en 1968, dernière année où le général de Gaulle était au pouvoir ; et nous le faisons avec des moyens tout à fait secondaires, des dragueurs qui participent à des opérations de déminage. Cela est très peu et pour la forme afin de marquer que nous ne sommes pas hors de l’Alliance132. »
89Pareille réponse montre combien il est compliqué de maintenir l’équilibre gaullien dans une période où se conjuguent détente en Europe et bipolarisation poussée à l’extrême en Méditerranée. La difficulté ne fait que s’amplifier par la suite du fait de la multiplication des crises dans l’ensemble du bassin méditerranéen et des implications Est-Ouest dont chacune d’entre elles est porteuse, du Proche-Orient aux Balkans et de l’Afrique du Nord à l’Italie. Aussi est-il vital pour les acteurs de la politique étrangère française de compenser l’ancrage militaire occidental de la France par une action diplomatique focalisée sur la recherche du juste milieu. Celle-ci passe par un savant dosage entre exploitation raisonnée des renseignements militaires et prudente communication politique, et de fait entre diplomatie publique et diplomatie secrète.
La France, les deux Grands et la « solution à quatre » de 1968 à 1970
90Avec l’implication grandissante des États-Unis au Moyen-Orient sous la présidence de Nixon, la solution à quatre prônée par la France est peu à peu laissée de côté au profit d’un dialogue entre les deux Grands puis d’une domination sans partage de Washington sur les affaires de la région. Pour autant, si le plan français ne voit jamais le jour, cela ne signifie pas un échec complet pour la France : le quadripartisme qu’elle prône pour le Proche-Orient contribue au renouvellement des relations franco-soviétiques au lendemain de Prague, lui assure une place dans les discussions entre les deux Grands, tout comme il participe de la crédibilité de la politique française dans le monde arabe.
Les raisons d’une obsession
« La concertation sur le Moyen-Orient a été le chapitre privilégié de nos consultations. On nous a répété ici, que les deux pays sont d’accord sur l’essentiel. Moscou a appuyé notre suggestion de concertation à Quatre et y est demeuré fidèle. Il a cherché, en échange, à nous faire accepter ses propositions. Notre jeu, en cette matière est difficile puisque nous devons maintenir avec l’URSS une consultation qui justifie les entretiens à Quatre, sans aliéner notre position indépendante133. »
91Ces quelques lignes de l’ambassadeur de France à Moscou Roger Seydoux témoignent de l’importance du Proche-Orient dans les discussions franco-soviétiques après 1967 et, à l’inverse, de la place incontournable de l’URSS dans la politique proche-orientale de la France. La promotion d’une solution à quatre, dont les Français se veulent les champions dès la crise de mai 1967, incarne, jusqu’en 1970 voire 1971, le principal vecteur de rapprochement entre Paris et Moscou une fois passée la crise tchécoslovaque. Elle est tout aussi centrale dans la relation franco-américaine à partir du moment où Nixon accède à la Maison Blanche. Mise au regard de l’évolution du contexte Est-Ouest de la fin des années 1960, à savoir l’entrée dans une ère de négociations tous azimuts entre Moscou et Washington, elle doit permettre à la France de ne pas rester sur la touche des discussions relatives à un Proche-Orient devenu un haut lieu de la guerre froide.
92Dès l’automne 1968, de Gaulle considère le départ de Lyndon Johnson de la Maison Blanche comme une bonne nouvelle qui justifie à elle seule la relance des conversations à quatre :
« Quand ils auront un nouveau président, les États-Unis seront obligés de prendre position, d’abord parce que la situation ne peut pas être maintenue indéfiniment telle qu’elle est, et ensuite parce que les Soviets vont les presser à prendre position ; et cela voudra dire soit le maintien d’Israël, soit son recul. Alors, l’opération deviendra décisive. […] Nous nous en occuperons aussi et nous leur dirons qu’il leur faut se décider134. »
93Nixon à peine élu en novembre 1968, de Gaulle propose aux Américains, Britanniques et Soviétiques de renouer avec le quadripartisme. À ses yeux, Arabes et Israéliens étant incapables de trouver un terrain d’entente, il revient aux Quatre d’imaginer un accord de paix qui pourrait être ratifié par le Conseil de sécurité de l’ONU. La direction brejnévienne du Kremlin lui emboîte le pas. Le 31 décembre, quelques jours après le raid aérien d’Israël sur Beyrouth qui conduit de Gaulle, furieux que l’ami libanais soit la cible des avions fournis par la France, à décréter un embargo général sur les livraisons de matériel militaire à Israël, l’URSS présente aux trois autres puissances un plan en cinq points élaboré en étroite concertation avec Le Caire dans lequel les Français voient un support de travail idéal pour entamer les discussions quadripartites135. Sans surprise, le retrait israélien des territoires occupés depuis juin 1967 constitue le principe de base du document soviétique, qui prévoit qu’un accord de paix soit trouvé après le retrait des forces d’Israël, que les deux partis reconnaissent ensuite la souveraineté et l’intégrité territoriale de chaque État de la région et que les Égyptiens remettent en état le canal de Suez. Des troupes onusiennes se déploieraient de part et d’autre des frontières israélo-égyptiennes à Gaza et dans le Sinaï. L’ensemble serait garanti par les Nations unies et les Quatre. Le 15 janvier 1969, la France propose à son tour l’organisation de conversations quadripartites, auxquelles Moscou souscrit immédiatement.
94Dès lors, la question quadripartite devient le cœur de toutes les tractations de la France avec les deux Grands et, dans une moindre mesure, avec les Britanniques. De fait, au quadripartisme supposé ou réel se superpose par la force des choses un triple bilatéralisme qui s’exerce à tous les niveaux. Outre de Gaulle et Pompidou, Maurice Schumann, Hervé Alphand, Charles Lucet, Roger Seydoux et Jacques Kosciusko-Morizet à l’ONU sont, sur ce dossier, les principales voix de la France à Paris, New York, Washington, Londres et Moscou. Systématiquement, ces hommes rappellent combien la solution à quatre est la seule qui vaille, alors même qu’un chantre du gaullisme comme Michel Jobert, secrétaire général de l’Élysée de 1969 à 1973, se dit convaincu du caractère inacceptable du projet par les Américains du fait de l’opposition des Israéliens136. Aussi faut-il se demander quels objectifs plus larges les promoteurs français de la conférence quadripartite confèrent à cette idée qui leur tient tant à cœur. Cela suppose de prendre en considération l’ensemble des paramètres qui guident les politiques proche-orientale et Est-Ouest de la France.
95Il est d’abord évident que si les Français veulent participer à un éventuel règlement de paix, ils n’ont pas d’autre choix que de prôner le quadripartisme. En raison du poids considérable des Américains et des Soviétiques dans les affaires du Levant, tout autre remède les mettrait de facto sur la touche, la France n’ayant pas les moyens d’influencer la situation sur place. De cela les Français sont parfaitement conscients. On l’a vu, ils comprennent dès avant la guerre des Six Jours que si les Soviétiques sont présents en Méditerranée orientale, c’est davantage pour faire pièce aux Américains que pour s’engager militairement aux côtés des Arabes en temps de crise. Le risque, d’après de Gaulle, c’est qu’ils se laissent de nouveau entraîner dans un conflit sur lequel ils n’auraient pas de prise. L’intervention à Prague et l’évolution de la situation au Proche-Orient dans le contexte de la guerre d’attrition israélo-égyptienne confortent un peu plus les perceptions françaises sous l’impulsion de diplomates qui, depuis les directions de l’Europe et de l’Afrique-Levant, en appellent à la prudence face à la volonté soviétique de renforcer son implantation dans la région.
96Les travaux de Galia Golan permettent de constater combien la vision française des objectifs de l’URSS au Proche-Orient est particulièrement juste pour les années 1968-1970 : la politique soviétique au Levant au cours de cette période est largement pensée en fonction des relations Est-Ouest et des risques qu’elles comportent. L’opposition stratégique aux États-Unis reste le paramètre principal de l’action de Moscou et les pays arabes sont mis au service des buts soviétiques de guerre froide. Certes l’URSS fournit des tonnes d’armements à l’Égypte et à la Syrie pour les aider à reconstruire leur arsenal, mais elle ne veut certainement pas une guerre qui risquerait de se transformer en conflit global et lui ferait perdre ses positions face aux Américains. Le Kremlin souhaite, comme en Europe, le maintien du statu quo ou, plutôt, le retour au statu quo ante 1967. Cela l’oblige à adopter une position duale difficile à préserver sur le long terme qui consiste à fournir des armes aux Arabes pour compenser son refus de faire la guerre à leurs côtés – il s’agit de ne pas décevoir les dirigeants du Caire et de Damas ou de les fragiliser – et à montrer aux Occidentaux que l’URSS, en tant que protectrice attitrée des peuples arabes, peut les amener à la table des négociations. C’est ce qui explique les livraisons de missiles SAM-3 à l’Égypte début 1970 et l’envoi de milliers de conseillers dans le cadre de l’opération Kavkaz. Malgré les apparences, ces contingents d’armes et d’hommes sont pensés avant tout comme étant au service des intérêts soviétiques dans la guerre froide globale137.
97Pareille attitude n’est cependant pas dénuée de risques : pendant la guerre d’attrition israélo-égyptienne, des pilotes soviétiques se retrouvent directement impliqués dans les combats, ce que Moscou refuse d’assumer pour éviter l’escalade ; à l’été 1970, Nasser menace de se tourner vers les Américains si l’URSS n’accroît pas son aide contre Israël, les Soviétiques étant alors obligés d’insister auprès du Raïs pour qu’il calme le jeu. Trop tard cependant : les livraisons de missiles et la participation de militaires soviétiques sont perçues à l’Ouest comme des provocations. Pour rassurer les Occidentaux, l’équipe brejnévienne propose le 23 juillet 1970 un plan de paix qui tranche par rapport aux offres précédentes : le plan se réfère explicitement aux frontières d’Israël de 1967 plutôt qu’au plan de partition de 1947 sur lequel se fonde habituellement la diplomatie soviétique ; il abandonne pour la première fois l’idée d’un retrait israélien avant toute négociation de paix. L’apparence du plan est conçue pour annuler ou équilibrer le mauvais signal émis par l’intervention de soldats de l’Armée rouge dans le conflit. Cette initiative, qui prouve combien est grande la crainte du Kremlin que la situation ne lui échappe, montre que si entre 1968 et 1970 l’URSS donne l’impression d’entretenir les tensions au Proche-Orient par ses envois d’armes et de militaires, les frayeurs causées par les crises de 1970 convainquent ses dirigeants de la nécessité de redoubler d’efforts pour résoudre un conflit dont les conséquences pourraient s’avérer désastreuses pour les positions soviétiques dans la guerre froide138.
98De fait, l’appréciation française de la situation au Levant durant les deux dernières années de l’ère nassérienne est correcte : l’URSS, qui ne raisonne qu’en termes de relations Est-Ouest, est prise au piège du chantage arabe. La solution à quatre, en facilitant l’immixtion de la France entre les deux Grands, doit d’une part lui permettre de rapprocher les points de vue du Kremlin et de la Maison Blanche – cette idée est martelée par les Français à qui veut l’entendre –, ce qui atténuerait l’opposition Est-Ouest au Proche-Orient et, d’autre part, doit inciter l’Égypte et la Syrie à regarder ailleurs que vers Moscou, ce qui aurait pour conséquence d’affaiblir l’ancrage soviétique dans la région et, partant, la guerre froide dans sa globalité puisque l’URSS perdrait ses principaux atouts en Méditerranée139. Comparé à 1967, le ton à partir de l’automne 1968 change donc quelque peu dans l’analyse que font les diplomates français de la situation : les bonnes dispositions de Nixon à l’égard de la France, le contrecoup du drame tchécoslovaque et le renforcement de la présence soviétique en Méditerranée mettent en sourdine les critiques françaises vis-à-vis des Américains, accusés quelques mois plus tôt d’entretenir la logique bipolaire au Levant. Certes ces critiques n’ont pas disparu, mais l’URSS est davantage pointée du doigt. De Gaulle avoue ainsi à Süleyman Demirel en novembre 1968 que « l’essentiel est de ne pas laisser les Arabes seuls en tête-à-tête avec l’URSS140 ». Mieux, dans les analyses que la direction du Levant fait du déclenchement de la guerre des Six Jours, la Syrie pro-soviétique est désormais seule en cause141.
99Outre la volonté de briser la logique de guerre froide au Proche-Orient, un deuxième facteur explique l’attachement français au quadripartisme. Parce que des conversations à quatre se doublent forcément d’un dialogue bilatéral avec l’URSS, la conjugaison des deux permet à la France d’apparaître aux yeux des Soviétiques comme un interlocuteur incontournable dans les affaires internationales à un moment où les négociations Est-Ouest s’accélèrent sur tous les sujets – contrôle et limitation des armements, sécurité européenne, Berlin, Vietnam – et où, à partir de 1969, l’Élysée comme le Quai d’Orsay craignent de passer au second plan des discussions en raison de l’arrivée de Willy Brandt à la chancellerie ouest-allemande et de la volonté d’Henry Kissinger, conseiller à la sécurité nationale de Nixon, de lier tous les sujets de négociation avec Moscou pour parvenir à une « structure stable de paix ». En réalité, la France aussi n’est pas loin de formuler son propre linkage. En effet, avec le début de l’Ostpolitik, la question du sort de l’Allemagne et de Berlin est posée avec acuité et, dès 1969, la diplomatie pompidolienne entend d’une part encadrer le dialogue germano-soviétique pour éviter qu’il ne dérape vers une éventuelle neutralisation de l’Allemagne et d’autre part protéger les droits et responsabilités quadripartites issus de Potsdam. Rappel permanent du statut de puissance victorieuse obtenu en 1945, le quadripartisme justifie le droit de regard français sur l’avenir de l’Allemagne et, plus largement, sur celui de l’Europe divisée. En élargissant au Proche-Orient la formule à quatre, Paris place le Levant et la Méditerranée sur un pied comparable à celui de l’Europe continentale : ils s’inscrivent dans le champ d’intervention direct de la France et tout règlement définitif dans la région suppose qu’elle ait voix au chapitre. Au vu de l’importance de la question allemande dans sa politique extérieure, des discussions constructives avec l’URSS sur le Proche-Orient ont forcément, estime-t-on à la sous-direction d’Europe orientale, des répercussions positives sur le dialogue franco-soviétique relatif à la sécurité en Europe et à l’Allemagne : il existe une solidarité de fait sur ces questions entre Paris et Moscou142.
100En bref, le quadripartisme doit permettre à la France de tenir son rang, au moins dans son environnement proche, et de préserver – ou de gagner – son influence à l’Est et au Sud. On en veut pour preuve que, lorsqu’en octobre 1969 l’armée israélienne fait ses premières incursions de représailles contre les fédayins en territoire libanais et que la Syrie masse ses troupes à la frontière avec le Liban et cherche à installer à Beyrouth un pouvoir fidèle à Damas143, Pompidou refuse la proposition américaine d’une déclaration des Quatre sur le Liban qui, en insérant la question libanaise dans les problèmes globaux du Moyen-Orient, pourrait favoriser l’internationalisation de la protection de ce pays144. Pour la France, le Liban reste l’ami arabe par excellence ; on ne saurait le livrer en pâtures aux appétits des deux Grands. Le Kremlin s’oppose aussi à l’initiative de Washington. Il s’aligne sur la position de Nasser qui y voit une tentative de supprimer la résistance palestinienne en terre libanaise, mais il entend également s’assurer qu’aucune puissance occidentale ne puisse être en mesure d’exercer une quelconque influence sur son protégé syrien. Il n’empêche que le double refus franco-soviétique met en exergue une certaine solidarité entre les deux pays, certes fondée sur un sérieux malentendu, mais que Paris comme Moscou ne se privent pas d’exploiter à leur profit.
101Ainsi, après Prague, les Soviétiques insistent pour donner un rythme régulier aux consultations avec les Français sur le Proche-Orient, dans lesquelles sont directement impliqués Andreï Gromyko, l’ambassadeur à Paris Valerian Zorine et son chargé d’affaires Valentin Oberemko, l’ambassadeur aux États-Unis Anatoli Dobrynine et le vice-ministre des Affaires étrangères Vladimir Vinogradov qui, avant de devenir ambassadeur au Caire en 1970, est l’un des principaux interlocuteurs de Seydoux sur ces questions. Leur objectif est double : il s’agit de faire oublier l’affaire tchécoslovaque en resserrant le dialogue avec l’Occident et de mettre à profit la communauté de vues avec la France sur les conditions de la paix pour faire valoir les positions soviétiques auprès des Américains comme des Arabes. L’obstination du Kremlin à faire en sorte qu’un protocole bilatéral soit signé lors de la visite de Pompidou à Moscou en octobre 1970 participe de ce désir de laisser apparaître la convergence franco-soviétique sur le Proche-Orient. Quelques mois avant le voyage du président, Jacques Andréani, depuis la sous-direction d’Europe orientale, alerte sur le risque que comporterait pareil texte : il « affaiblirait gravement nos chances de faire entendre, à partir d’une position médiane, notre voix dans des affaires comme celle du Proche-Orient145 ». Pour le diplomate, méfiant à l’égard des objectifs soviétiques en Méditerranée, l’URSS cherche seulement « à créer l’impression d’une position commune franco-soviétique » au Levant tendant à affaiblir le camp occidental. Certes le protocole est signé et il instaure une coopération politique qui passe par des rencontres régulières des ministres des Affaires étrangères, mais Pompidou n’est pas dupe quant aux intentions de Moscou et refuse de donner son blanc-seing au traité d’amitié que lui propose Brejnev146 : si les consultations sont nécessaires pour parvenir à un règlement quadripartite, hors de question de laisser croire que la France et l’URSS marchent main dans la main au Proche-Orient. Dans le même temps, si les Français veulent imposer leur idée de conférence quadripartite, ils sont obligés de jouer a minima le jeu des Soviétiques.
L’impossible rapprochement des points de vue ?
102La mission que s’assigne la France de rapprocher les points de vue américain et soviétique pour parvenir à la mise en œuvre de la résolution onusienne du 22 novembre 1967 apparaît rapidement très compliquée à mener en dépit des convergences franco-soviétiques et des bonnes relations de De Gaulle et Pompidou avec Nixon.
103Le nouveau président des États-Unis accepte le 1er mars 1969, lors de sa visite à Paris, le principe de négociations quadripartites. Après des années de tension franco-américaines, il ne veut pas froisser de Gaulle et, en même temps, souhaite mettre en œuvre la stratégie du linkage pensée par Kissinger en établissant un parallèle entre le Vietnam et le Proche-Orient. Le moins que l’on puisse dire, c’est que, contrairement au Secrétaire d’État William Rogers qui y place quelque espoir, le conseiller à la Sécurité nationale ne croit pas au quadripartisme : il y voit un moyen pratique de montrer aux Arabes qu’ils ne peuvent rien attendre de l’URSS. L’essentiel à ses yeux est que ces discussions à quatre se doublent de tractations bilatérales entre Israël et chacun de ses adversaires selon la formule dite « de Rhodes » qui avait abouti à un accord d’armistice entre l’État hébreu et ses voisins en 1949. Si de Gaulle en accepte le principe « avec un détachement olympien147 », la diplomatie française et le président Pompidou par la suite ne partagent pas l’avis de Washington quant à l’opportunité de négociations directes entre acteurs régionaux sous l’égide de la mission Jarring (nommée en novembre 1967 par le secrétaire général des Nations unies pour négocier l’application de la résolution 242). Schumann estime qu’une telle formule bilatérale aurait pour effet délétère de permettre à l’URSS d’influencer négativement les Arabes selon ses objectifs propres sans qu’il y ait de contrepoids occidental ; elle consoliderait ainsi la logique de guerre froide en Méditerranée orientale148.
104Mais Kissinger n’en démord pas et bénéficie du soutien du gouvernement de Golda Meir qui réfute toute solution imposée par les Quatre : la France est considérée comme trop sensible aux sirènes de l’Est et trop engagée du côté des Arabes pour être partie prenante au règlement de la paix. La question du rôle dévolu aux négociations directes constitue le premier point de divergence entre Paris et Washington. D’autres se font jour à partir du moment où s’ouvrent les discussions quadripartites à New York le 3 avril 1969. Les Français y présentent un plan en trois points qui comprend 1) une déclaration d’intention d’évacuation des territoires occupés par Israël depuis le 5 juin 1967, 2) la mise en œuvre de la résolution 242, l’évacuation des territoires occupés, le retour des réfugiés, la liberté de navigation, l’accès aux lieux saints, un possible recours à une force d’interposition des Nations unies pour prendre le relais d’Israël dans les territoires libérés, l’ensemble étant garanti par les Quatre, 3) un règlement ultérieur de la question du statut de Jérusalem149. L’échec est total : dès le 30 juin 1969, les discussions à quatre sont suspendues. Alors que les Soviétiques envisagent un retour au statu quo ante, Américains et Britanniques ne souhaitent que des modifications mineures par rapport à la situation née de la guerre des Six Jours : la victoire de l’État hébreu face à l’attaque arabe ne doit pas être considérée comme ayant été vaine. Washington juge alors irréaliste le recours aux troupes onusiennes150.
105Le deuxième round, qui débute le 2 décembre 1969, n’est guère plus productif. Un mois plus tôt, le 28 octobre, Rogers a présenté le premier volet du plan qui porte son nom : il prévoit des négociations bilatérales entre Israël et l’Égypte censées aboutir à l’évacuation du Sinaï par les troupes israéliennes, à l’instauration de la paix entre les deux pays et à la création de zones démilitarisées sur les frontières. Rogers ajoute un volet israélo-jordanien à son plan le 18 décembre. Ce dernier est rejeté dans son ensemble par Israël le 22 et par l’URSS le 23. La France n’y souscrit pas non plus : le plan Rogers ne fait pas du retrait israélien une exigence absolue et laisse un champ trop vaste au bilatéralisme entre les parties151. Pour autant, Schumann et Lucet saluent l’effort américain et estiment que, pour être accepté par les Arabes, le plan doit l’être au préalable par les Soviétiques152. Il convient donc, selon eux, de réfléchir à quatre aux amendements nécessaires : le quadripartisme encore et toujours… Pendant des mois, entre l’hiver et l’été 1970, les Français redoublent d’efforts pour rapprocher les positions des deux Grands. Le plus difficile est alors de démontrer aux Américains que la France reste dans la course et que sa convergence de vues avec le Kremlin sur certains points majeurs – à commencer par la question du retrait d’Israël – ne doit pas être interprétée comme le résultat d’une quelconque entente préalable. Ils s’y emploient pour ce faire de trois façons.
106Premièrement, alors qu’à chaque rencontre franco-soviétique, les représentants de l’URSS se plaignent de l’appui aveugle des États-Unis à Israël, les Français prennent garde à ne jamais entrer dans le jeu de Moscou et s’efforcent de désarmer les préventions soviétiques à l’égard des intentions américaines, comme le fait Pompidou lors de son entretien avec l’ambassadeur Zorine le 2 février 1970 :
« La France estime qu’il convient de tenir compte des difficultés intérieures des États-Unis et notamment du poids de la population israélite dans l’opinion publique. Il nous semble que le gouvernement américain soit plus désireux de freiner le gouvernement israélien que l’URSS ne paraît le supposer153. »
107Cette compréhension marquée à l’endroit de Washington produit l’effet inverse à celui escompté : il suffit qu’elle se manifeste pour que les Soviétiques s’éloignent de la France et privilégient le dialogue direct avec les Américains154.
108Deuxièmement, profitant de l’initiative de bonne volonté que constitue le plan Rogers, les Français se font les promoteurs d’une méthode de négociation qui consiste, pour les Quatre et à partir des différents projets de règlement présentés, à relever les points sur lesquels il y a déjà accord entre eux afin de relancer la mission Jarring sur cette base155. Dans l’esprit de Georges Pompidou, cette méthode doit permettre la mise à l’épreuve des véritables intentions des Soviétiques « en leur mettant la plume à la main » : « S’ils se dérobent et reviennent sur les accords qu’ils ont déjà donnés sur toute une série de points, on saura qu’ils refusent le règlement156 ». Dans les semaines qui suivent la visite du président français aux États-Unis en février 1970, les tentatives pour élaborer un catalogue des points d’accord commencent à New York. Début mai, chacun convient que l’échec est patent : non seulement les positions des uns et des autres semblent inconciliables (sur la priorité du retrait ou du traité, la question des réfugiés, etc.), y compris d’ailleurs entre la France et l’URSS – à propos notamment des zones démilitarisées, que Paris veut imposer aux États concernés alors que Moscou souhaite leur consentement – mais la situation ne cesse de s’aggraver au Proche-Orient : la guerre d’usure dans la zone du canal de Suez prend de l’ampleur avec, le 8 avril, le bombardement d’une école égyptienne par Israël et, les 18 et 21 avril, la réplique de l’Égypte sur les positions israéliennes. Dans l’intermède, Tsahal réalise que des pilotes soviétiques prennent part à la défense de la vallée du Nil, alors même que, depuis mars, les batteries de missiles soviétiques SAM-3 sont opérationnelles157. Ce moment provoque, on l’a vu, une prise de conscience au Kremlin : l’équipe brejnévienne pressent le danger d’une confrontation soviéto-américaine et change d’attitude dans les négociations, se montrant désireuse de régler le conflit et privilégiant largement le tête-à-tête avec Washington. L’accélération du rythme des discussions entre Joseph Sisco, bras droit de Kissinger pour le Proche-Orient, et Anatoli Dobrynine, semble sonner le glas du quadripartisme : en juin 1970, les Français sont furieux de constater que les deux Grands s’échangent mutuellement des projets de texte en contournant les conversations à quatre. Pire, c’est Dobrynine qui les informe que ces textes existent, alors que les Américains font preuve d’une discrétion absolue158. Le second plan Rogers qui résulte de ces tractations prévoit un cessez-le-feu général autour du canal. Nasser l’accepte à son retour de Moscou – où, son état de santé se dégradant, il était parti se faire soigner – le 23 juillet, ainsi que la Jordanie le 26 et Israël le 1er août, mettant un terme à la guerre d’usure.
109Cherchant en vain à faire avaliser les propositions du plan Rogers dans le cadre quadripartite, les Français s’aperçoivent à l’été 1970 que le condominium soviéto-américain est devenu une réalité au Proche-Orient et qu’ils sont désormais hors-jeu159. Un facteur essentiel précipite cette évolution : le développement d’une résistance palestinienne radicale, incarnée par le Front populaire de libération de la Palestine de Georges Habache, et que Yasser Arafat, président de l’OLP, ne parvient pas à canaliser. Les menées de Habache, qui promet un « enfer » à ceux qui acceptent le plan Rogers160, inquiètent les Soviétiques autant que les États arabes. Le leader palestinien s’en prend à tout l’« establishment » arabe, qu’il soit monarchiste ou d’inspiration socialiste. Il en appelle notamment à la chute des hachémites en Jordanie ; ses provocations déclaratoires et ses méthodes terroristes entraînent les événements de « Septembre noir » en septembre 1970. En outre, ses liens avec la Chine font craindre au Kremlin qu’« une sorte d’Albanie palestinienne » ne finisse par prendre naissance, d’autant que le discours violent de Habache trouve un réel écho chez les réfugiés161. Face à un élément aussi imprévisible qui rend la situation du Proche-Orient encore plus explosive, les dirigeants soviétiques constatent qu’ils ont désormais intérêt à travailler à un règlement négocié qui permettrait de préserver leurs positions dans le monde arabe, même si une partie de l’équipe au pouvoir à Moscou considère que, dans le soutien aux Arabes, les coûts deviennent bien supérieurs aux bénéfices162. L’URSS saisit donc la main tendue par les Américains et, de fait, néglige les discussions à quatre. Dans ce contexte, le quadripartisme et le rôle de la France apparaissent comme des victimes collatérales de l’évolution du problème palestinien. Non que les Français n’aient pas pris la mesure de la question palestinienne – Pompidou alerte à plusieurs reprises les deux Grands sur la nécessité d’aboutir à un règlement pour éviter que le maintien du statu quo post-1967 nourrisse les mouvements palestiniens les plus radicaux163 – mais au regard de l’influence considérable que Moscou et Washington exercent sur leurs clients dans la région et des avantages stratégiques dont ils bénéficient sur place, la France fait pâle figure. Dans la tentative de rapprocher les points de vue américain et soviétique, le terrorisme palestinien est plus persuasif qu’elle.
110Finalement, la seule méthode qui permette aux Français de trouver grâce aux yeux des Américains est celle qui consiste à leur fournir le plus d’informations possibles sur les livraisons d’armes soviétiques aux Arabes et sur les usages libyens des Mirage, dont Nixon craint qu’ils ne profitent à l’Égypte. En d’autres termes, pour continuer d’apparaître comme un interlocuteur incontournable sur les affaires du Proche-Orient, la France n’a pas d’autre choix que de jouer le jeu de la loyauté absolue à l’Occident en Méditerranée. Cela ne va pas sans créer un certain malaise au fur et à mesure que s’approfondit le tête-à-tête soviéto-américain au Levant, à la faveur de la succession de crises que connaît la région en 1970, dont Septembre noir constitue le paroxysme. Dès lors, tout en poursuivant le dialogue avec les deux Grands sur le Proche-Orient, la diplomatie pompidolienne cherche d’autres moyens de faire valoir ses positions dans un bassin méditerranéen où la bipolarité est exacerbée. La coopération politique européenne, la détente Est-Ouest et un usage raisonné du non-alignement méditerranéen constituent autant d’instruments mobilisables dans la période de négociations tous azimuts qui s’ouvre au seuil de la décennie 1970.
⁂
111Incontestablement, la méthode quadripartite prônée par la France au Proche-Orient est un échec, Américains et Soviétiques gardant seuls la main sur le processus de paix. À bien y regarder cependant, l’échec a quelque chose de triomphal : d’une part, en privilégiant le tête-à-tête, les deux Grands endossent la responsabilité d’une éventuelle faillite des négociations et valident la politique gaullienne de dépassement de la bipolarité dans l’ensemble du bassin méditerranéen. Trois ans après la guerre des Six Jours, la posture de la France est renforcée au Maghreb, dans les Balkans, en Turquie, dans la péninsule ibérique et en Libye. Et la guerre froide n’y est pas pour rien : l’usage polymorphe de « la Méditerranée aux Méditerranéens » n’est possible que parce que les deux Grands y sont omniprésents. D’autre part, l’acharnement des Français à défendre la solution à Quatre leur permet de maintenir un dialogue constant avec les superpuissances et conforte leur politique d’équilibre. En participant à l’effort collectif occidental pour contrer la pénétration soviétique en Méditerranée, la France joue pleinement le jeu de la coopération avec ses alliés. En même temps, le quadripartisme doublé d’un dialogue entre Paris et Moscou entretient la relation franco-soviétique et permet aux représentants de mieux se connaître, ce qui ne peut qu’être utile dans l’ère exceptionnelle de discussions qui s’ouvre sur Berlin et la sécurité européenne.
Notes de bas de page
1 Hanhimäki Jussi M., « Détente in Europe, 1962-1975 », in Melvyn Leffler et Odd Arne Westad (dir.), The Cambridge History of the Cold War, vol. II, op. cit., p. 198-218.
2 Bozo Frédéric, « France, “Gaullism”, and the Cold War », in Melvyn Leffler et Odd Arne Westad (dir.), The Cambridge History of the Cold War, vol. II, op. cit., p. 158-178.
3 Ginor Isabella et Remez Gideon, Foxbats over Dimona: the Soviets’ Nuclear Gamble in the Six-Day War, New Haven, Yale University Press, 2008.
4 Golan Galia, « The Soviet Union and the Cold War in the Middle East », art. cité, p. 59-73.
5 Entretien de Gaulle/Wilson, 20 juin 1967. AN, 5AG1 171, Grande-Bretagne, 1966-1969.
6 Note du 2e bureau (colonel Fourcaut) de l’état-major de l’armée de l’air, 001/EMAA.2/REN/SD, « conférence franco-israélienne de renseignements », 8 février 1967. SHD, 12 S 195, Israël.
7 Le président français la réitère dans la lettre qu’il écrit au Premier ministre Lévi Eshkol trois jours plus tard. Réponse du général de Gaulle à Lévi Eshkol, 27 mai 1967. DDF, 1967, I, no 220.
8 Quelques jours auparavant, le 18 mai, Nasser a exigé que soient retirées les forces onusiennes chargées depuis 1957 de surveiller la frontière israélo-égyptienne.
9 Peyrefitte Alain, C’était de Gaulle, op. cit., p. 1488.
10 Ibid., p. 1488.
11 C’est notamment en réponse à Régis Debray, qui, lui, salue le traitement de la crise par de Gaulle, qu’Elie Barnavi analyse l’attitude française. Debray Régis, À un ami israélien (avec une réponse d’Élie Barnavi), Paris, Flammarion, 2010. Voir aussi Barnavi Élie, « De Gaulle et Israël : la guerre des Six Jours et après », in Institut Charles-de-Gaulle, De Gaulle en son siècle, vol. 6, Liberté et dignité des peuples, Paris, Plon, 1992, p. 417-429.
12 Télégrammes no 386 à 389, de Couve de Murville à Seydoux (ONU), 24 mai 1967. DDF, 1967, I, no 207.
13 Télégrammes no 1031 à 1034, de Couve de Murville à Wormser, 24 mai 1967 ; télégrammes no 2724 à 2734, de C. Lucet (Washington), 24 mai 1967. DDF, 1967, I, no 208 et 209.
14 Télégrammes no 2667 à 2672, de C. Lucet, 23 mai 1967. DDF, 1967, I, no 201.
15 Télégrammes no 964 à 967, de Couve de Murville à Lucet, 22 mai 1967. DDF, 1967, I, no 194.
16 C’est ce dont de Gaulle veut convaincre le ministre israélien Abba Eban le 24 mai : « il faut que les « quatre » se concertent. Plus Israël regardera vers l’Ouest, moins les Soviétiques seront disposés à coopérer. » Eban Abba, Autobiographie, Paris, Buchet-Castel, 1979, p. 258-262.
17 Laurens Henry, « Charles de Gaulle et le conflit israélo-arabe, 1967-1969 », in Bled Jean-Paul (dir.), Le Général de Gaulle et le monde arabe, op. cit., p. 238-256.
18 Voir par exemple les télégrammes no 1956 à 1964, de Wormser, 20 mai 1967. DDF, 1967, I, no 191.
19 Télégrammes no 2067 et 2068, de Wormser, 28 mai 1967. DDF, 1967, I, no 222.
20 Compte rendu d’audience accordée à R. Nixon, 8 juin 1967. DDF, 1967, I, no 275.
21 Télégrammes no 2100 à 2109, de Wormser, 28 mai 1967. DDF, 1967, I, no 223.
22 Télégrammes 1956 à 1964, de Wormser, 20 mai 1967. DDF, 1967, I, no 191.
23 Télégrammes no 2097 à 2099, de Wormser, 28 mai 1967. AMAE, Nations unies et organisations internationales, vol. 733.
24 Télégrammes no 2781 à 2786, de Lucet, 27 mai 1967. DDF, 1967, I, no 218.
25 Suri Jeremi, « American Perceptions of the Soviet Threat before and during the Six Day War », in Ro’i Yaacov et Morozov Boris (dir.), The Soviet Union and the June 1967 Six Day War, op. cit., p. 102-121.
26 Ro’i Yaacov et Morozov Boris (dir.), The Soviet Union and the June 1967 Six Day War, op. cit.
27 Ginor Isabella et Remez Gideon, Foxbats over Dimona: the Soviets’ Nuclear Gamble in the Six-Day War, op. cit.
28 Voir en particulier l’introduction de Ro’i Yaacov et Morozov Boris (dir.), The Soviet Union and the June 1967 Six Day War, p. xvii-xxiv.
29 Ibid., p. xxiii-xxiv.
30 « On Soviet Policy following the Israeli Aggression in the Middle East », 20 juin 1967, History and Public Policy Program Digital Archive, Archiwum Akt Nowych (AAN) KC PZPR 2632, p. 358-408, [https://digitalarchive.wilsoncenter.org/document/112654], consulté le 14-10-22.
31 Entretien de Gaulle/Makhos, 1er juin 1967, Paris. DDF, 1967, t. 1, no 238.
32 Vaïsse Maurice, « Les crises de Cuba et du Proche-Orient dans les relations franco-soviétiques », in Maurice Vaïsse (dir.), De Gaulle et la Russie, op. cit., p. 156.
33 Notes échangées entre le Kremlin et l’Élysée par le téléphone vert, 5 juin 1967. DDF, 1967, I, no 258.
34 Vaïsse Maurice, « Les crises de Cuba et du Proche-Orient dans les relations franco-soviétiques », art. cité, p. 161.
35 Télégrammes no 1289 à 1291, de M. Couve de Murville, 14 juin 1967. DDF, 1967, I, no 293.
36 Cité dans Vaïsse Maurice, « Les crises de Cuba et du Proche-Orient dans les relations franco-soviétiques », art. cité, p. 159.
37 Entretien de Gaulle/Kossyguine, 16 juin 1967, Paris. Archives nationales (AN), présidence de Charles de Gaulle, vol. 5AG1 188, URSS, 1967-1969.
38 Entretien de Gaulle/Wilson, 19 juin 1967, Trianon. AN, 5AG1 171, Grande-Bretagne, 1966-1969.
39 Télégrammes no 2294 à 2301, de Wormser, 6 juin 1967. DDF, 1967, I, no 261.
40 Télégrammes no 2354 à 2362, de Wormser, 10 juin 1967. DDF, 1967, I, no 280.
41 Entretien de Gaulle/Kiesinger, 12 juillet 1967, Bonn. AN, 5AG1 163, RFA, 1966-1967.
42 Gloriant Frédéric, « Le conflit israélo-arabe : vision gaullienne et logique de bipolarisation au Moyen-Orient », in Nicolas Badalassi et Houda Ben Hamouda (dir.), Les pays d’Europe de l’Est et la Méditerranée, 1967-1989, op. cit., p. 161.
43 Lacouture Jean, De Gaulle, t. III, Le Souverain, Paris, Seuil, 1986, p. 506.
44 Déclaration du 13 juillet 1967, citée par Lacouture Jean, De Gaulle, t. III, Le Souverain, op. cit., p. 500.
45 Entretien de Gaulle/Wilson, 19 juin 1967, Trianon. AN, 5AG1 171, Grande-Bretagne, 1966-1969.
46 Note de la SDEM, 25 avril 1967. DDF, 1967, I, no 153.
47 Note de la SDEM, 2 mai 1967. DDF, 1967, I, no 164.
48 « On Soviet Policy following the Israeli Aggression in the Middle East », 20 juin 1967, History and Public Policy Program Digital Archive, Archiwum Akt Nowych (AAN) KC PZPR 2632, p. 358-408, [https://digitalarchive.wilsoncenter.org/document/112654], consulté le 14-10-22.
49 Prométhée devait permettre aux militaires grecs, en cas de guerre, de prendre le contrôle des principales communications et des centres névralgiques, et de transmettre rapidement des ordres à l’ensemble de l’armée. Le 21 avril, le général Spandidakis, chef de l’état-major, transmet le mot de passe qui déclenche l’opération sans passer par le roi et le Premier ministre comme cela aurait dû être le cas. Partout sur le territoire grec, pensant réagir à un ordre officiel, les unités se mobilisent. Il en va de même des brigades territoriales issues de la guerre civile, qui facilitent le contrôle du pays et les arrestations. Delorme Olivier, La Grèce et les Balkans, vol. 3, Paris, Gallimard, 2013, p. 1535-1536.
50 Vaïsse Maurice, « France and the Greek Colonels », art. cité.
51 Télégrammes no 508-513, de Baeyens, 25 mai 1967. AMAE, Europe 1961-1970, Grèce, vol. 244.
52 Ce n’est qu’en juin 1968 que l’ambassadeur Baeyens finit par accepter d’être reçu par le Premier ministre Papadopoulos, mais il faut attendre la fin de l’année 1968 pour que les relations franco-grecques soient normalisées.
53 Télégramme 210494/Tosec 15, du Département d’État américain, 12 juin 1967. National Archives and Records Administration (NARA), RG 59, Central Files 1967-1969, POL 27 ARAB-ISR.
54 Télégrammes no 3136-3151, de Lucet, 16 juin 1967. DDF, 1967, I, no 309.
55 Télégrammes no 3498-3518, de Lucet, 12 juillet 1967. DDF, 1967, II, no 26.
56 Télégrammes no 3136-3151, de Lucet, 16 juin 1967. DDF, 1967, I, no 309.
57 Note du directeur du renseignement et de la recherche du Département d’État, 26 juillet 1967. Citée par Nouzille Vincent, Histoires secrètes : France-Israël (1948-2018), Paris, Les Liens qui libèrent, 2018. La cote du volume n’étant toutefois pas mentionnée dans cet ouvrage, il n’a pas été possible de retrouver ce document.
58 Bozo Frédéric, Deux stratégies pour l’Europe, op. cit., p. 174-177.
59 Télégrammes NR6504-11, de Leprette (Washington), 27 novembre 1968. AMAE, Pactes, Libye Égypte 1961-1970, vol. 384.
60 Télégrammes no 3498-3518, de Lucet, 12 juillet 1967. DDF, 1967, II, no 26.
61 Note de la direction d’Afrique du Nord, 27 juillet 1967. DDF, 1967, II, no 54.
62 Ibid.
63 Ibid.
64 Memorandum du 15 août 1967. Johnson Library, National Security File, Files of Harold H. Saunders, Israel, 06-01-67 – 10-31-67.
65 D’après Vincent Nouzille, les liens du Premier ministre avec la banque Rothschild expliquent l’aval donné par Matignon, dans le dos du Général. Nouzille Vincent, Histoires secrètes, op. cit., p. 91-92.
66 Conversation Eban/Rostow, 15 juillet 1967. NARA, RG 59, Central Files 1967-1969, POL 27 ARAB– ISR.
67 Le 27 novembre 1967, lors d’une de ses conférences de presse durant lesquelles il explique les grandes lignes de sa politique, de Gaulle tient des propos qui suscitent un grand émoi : « On pouvait se demander […] si l’implantation de cette communauté sur des terres qui avaient été acquises dans des conditions plus ou moins justifiables et au milieu de peuples arabes qui lui étaient foncièrement hostiles, n’allait pas entraîner d’incessants, d’interminables frictions et conflits. Certains mêmes redoutaient que les Juifs, jusqu’alors dispersés, mais qui étaient restés ce qu’ils avaient été de tout temps, c’est-à-dire un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur, n’en viennent, une fois rassemblés dans le site de leur ancienne grandeur, à changer en ambition ardente et conquérante les souhaits très émouvants qu’ils formaient depuis dix-neuf siècles. » Pour une analyse objective et convaincante de ces propos, voir Berstein Serge, « De Gaulle, Israël et les Juifs », L’Histoire, no 321, juin 2007, p. 44-49.
68 Télégrammes NR 2474-76, de Leusse (Alger), 16 juin 1967. AMAE, Pactes, Maghreb, 1961-1970, vol. 383.
69 Snyder Sarah B., From Selma to Moscow. How Human Rights Activists Transformed U. S. Foreign Policy, New York, Columbia University Press, 2018.
70 Badalassi Nicolas, « From Talleyrand to Sakharov: French Diplomacy in search of a Helsinki Effect », in Nicolas Badalassi et Sarah B. Snyder (dir.), The CSCE and the End of the Cold War: Diplomacy, Societies and Human Rights, 1975-1990, New York, Berghahn Books, 2019, p. 74-96.
71 Entretien de Gaulle/Sargent Schriver, 23 septembre 1968. AN, 5AG1 202, États-Unis, 1966-1969.
72 Note de la sous-direction d’Europe orientale (SDEO), 18 octobre 1967. AMAE, Europe 1944-…, Tchécoslovaquie, vol. 350.
73 Télégrammes NR 4731/39, de Stéphane Hessel, 25 octobre 1968. AMAE, Pactes 383 Maghreb 1961-1970.
74 Télégrammes no 3856-3874, de Seydoux, 23 mai 1970. AMAE, Europe 1966-1970, URSS, vol. 2668.
75 Note de la SDEO, 2 novembre 1970. AMAE, Europe, Yougoslavie, 1961-1970, vol. 289.
76 Vaïsse Maurice, La grandeur, op. cit., p. 353.
77 Milza Pierre, « Italie 1968 : “le mai rampant” » in BDIC, Mai 68. Les mouvements étudiants en France et dans le monde, Nanterre/Paris, BDIC, 1988, p. 38-41.
78 Note de la SDEM, 18 mars 1970. DDF, 1970, I, no 133.
79 Dépêche no 66/AN, de Wapler, 11 janvier 1972. AMAE, Europe, Turquie, 1971-juin 1976, vol. 247QO/188.
80 Note no 387/EU, de Lalouette (Prague), 3 mai 1967. AMAE, Europe 1966-1970, URSS, vol. 2659.
81 Dépêche no 1261/EU, de Sebilleau, 14 octobre 1970. AMAE, Europe 1961-1970, Yougoslavie, vol. 289.
82 En septembre 1967, alors que des navires américains s’approchent à environ 7 milles de Cherchell, l’Algérie accuse Washington d’une grave violation de la souveraineté nationale, Alger ayant porté en 1962 de 3 à 12 milles la limite de ses eaux territoriales. L’incident survient au moment où les États-Unis sont toujours sous le coup de l’accusation lancée par l’Égypte d’avoir accordé l’aide de leur aviation à Israël pendant la guerre des Six Jours. Il est présenté comme une véritable manœuvre d’intimidation de Washington.
83 Jusqu’en 1970, l’URSS est épargnée par les visées algériennes, d’abord parce que ce sont des techniciens soviétiques qui aident l’Algérie à constituer sa force navale à Mers el-Kébir, ensuite parce que la Russie, riveraine de la mer Noire, n’est pas aussi étrangère à la Méditerranée que ne le sont les États-Unis. Surtout, si les Algériens veulent s’imposer en leaders du Tiers Monde – la conférence dite des « 77 » se tient à Alger en octobre 1967 et se veut le prolongement de la conférence afro-asiatique avortée de 1965 –, ils ont tout intérêt à focaliser leurs attaques sur l’Amérique, embourbée au Vietnam et désormais principale alliée d’Israël.
84 Le conflit frontalier algéro-marocain est résolu par les traités d’Ifrane (15 janvier 1969) et de Tlemcen (27 mai 1970). Le litige frontalier entre l’Algérie et la Tunisie est réglé par la reconnaissance du traité existant.
85 Ruf Werner K., « La politique étrangère des États Maghrébins », in Borham Attalah, Introduction à l’Afrique du Nord contemporaine, Paris, IREMAM, 2013, p. 215-240.
86 Note de la SDEM, 18 mars 1970. DDF, 1970, I, no 133.
87 Entretien de Gaulle/Sunay, 29 juin 1967. DDF, 1967, I, no 341.
88 Note de la SDEM, 6 mars 1970. DDF, 1970, I, no 106.
89 Note de la SDEM, 4 juin 1970. AMAE, Europe 1944-1970, Portugal, vol. 118.
90 Compte rendu de l’entretien Schumann/Bouteflika, télégrammes 2435/2446, de Basdevant, 5 octobre 1969. DDF, 1969, II, no 214.
91 Georgi Franck, L’Autogestion en chantier. Les gauches françaises et le « modèle » yougoslave, 1948-1981, Nancy, Arbre bleu édition, 2018.
92 Dépêche no 39/AP, de Hessel, 15 mai 1968. AMAE, Pactes 383 Maghreb 1961-1970.
93 Alors que Boumediene est de plus en plus contesté, il tente de reprendre la main en renforçant l’indépendance et le socialisme algériens, ce qui passe forcément par une attaque en règle contre les intérêts français : évacuation définitive de la base de Mers-el-Kébir, nationalisation de dizaines d’entreprises françaises, notamment de celles spécialisées dans la distribution d’hydrocarbures, réduction des importations de produits français.
94 Jean Basdevant a été chef du service des protectorats du Quai d’Orsay de 1952 à 1956 puis directeur des Affaires marocaines et tunisiennes jusqu’en 1960.
95 Télégrammes no 5609/5620, de Basdevant, 14 décembre 1968. AMAE, Pactes 383 Maghreb 1961-1970.
96 Note de la direction des Affaires politiques, 22 juillet 1968. DDF, 1968, II, no 44.
97 Télégrammes no 146-151, de Basdevant, 22 janvier 1970. DDF, 1970, I, no 35.
98 Entretien Pompidou/Bourguiba, 29 mai 1970. DDF, 1970, I, no 285.
99 Ibid.
100 Note de la SDEM, 4 juin 1970. AMAE, Europe 1944-1970, Portugal, vol. 118.
101 Note de la SDEM, 6 mars 1970. DDF, 1970, I, no 106.
102 Nouzille Vincent, Histoires secrètes, op. cit., p. 121-141.
103 En janvier 1970, il est prévu que la France livre à la Libye : huit hélicoptères Super Frelon et quatre hélicoptères Alouette III, treize avions Fouga Magister, des engins Matra R. 530 et R. 550, cent dix avions Mirage, deux automitrailleuses Panhard.
104 Entretien Schumann/Jalloud, 12 janvier 1970. DDF, 1970, I, no 19.
105 Dépêche no 381/AN, de Georgy, 4 décembre 1969. DDF, 1969, II, no 351.
106 Télégrammes no 32-40, d’Alphand, 7 janvier 1970. DDF, 1970, I, no 6.
107 Télégramme circulaire no 30, de Schumann, 22 janvier 1970. DDF, 1970, I, no 37.
108 Télégrammes no 1203/04, d’Alphand, 19 novembre 1968. AMAE, Pactes 383 Maghreb 1961-1970.
109 Télégrammes no 4932/34, de Hessel, 4 novembre 1968 ; Télégrammes no 1203/04, d’Alphand, 19 novembre 1968. AMAE, Pactes 383 Maghreb 1961-1970.
110 Télégramme circulaire no 382, d’Alphand, 22 septembre 1969. AMAE, Pactes 384, Libye-Égypte 1961-1970.
111 Note de la direction d’Afrique du Nord, 2 septembre 1969. AMAE, Pactes 384, Libye-Égypte 1961-1970.
112 Télégramme circulaire no 30, de Schumann, 22 janvier 1970. DDF, 1970, I, no 37.
113 Note de la direction d’Afrique du Nord, 19 octobre 1970. AMAE, Pactes 384, Libye-Égypte 1961-1970.
114 Vaïsse Maurice, La puissance ou l’influence, op. cit., p. 186-187.
115 Intelligence memorandum no 490/70, 13 février 1970. Archives du Département d’État, Central Intelligence Agency, DI/OCI Files, Job 79-T00830A, Box 2.
116 Memorandum from the President’s Assistant for National Security Affairs to President Nixon, 20 mars 1970. Archives du Département d’État, National Security Council Files, Nixon Intelligence Files, Libya.
117 Télégrammes no 5653-5658 et 5862-5877, de Lucet, 19 et 31 décembre 1969. DDF, 1969, II, no 387 et 403.
118 Adamsky Dima, « “Zero-Hour for the Bears”: Inquiring into the Soviet Decision to Intervene in the Egyptian-Israeli War of Attrition, 1969-1970 », Cold War History, 6/1, 2006, p. 113-136.
119 Cité par Duroselle Jean-Baptiste, La France et les États-Unis des origines à nos jours, Paris, Seuil, 1976, p. 226-227.
120 À l’ambassadeur des États-Unis Robert Sargent Shriver, Pompidou affirme le 23 juillet 1969 : « Nous voulons rester dans l’alliance dont nous savons que nous avons besoin ». Cité dans Mélandri Pierre, « La France et l’Alliance atlantique sous Georges Pompidou et Valéry Giscard d’Estaing », art. cité, p. 520.
121 Ibid., p. 522.
122 Entretien Nixon/Pompidou, 24 février 1970, Washington. AN, 5AG2 1022 États-Unis.
123 La zone A dite de « surveillance nationale » s’étend du littoral provençal et languedocien au détroit de Bonifacio et aux Baléares. La zone B dite « d’intérêt national » comprend, au-delà de la zone A, toute la partie occidentale de la Méditerranée, de Gibraltar au canal de Sicile, et englobe le golfe de Hammamet.
124 Commandement en chef pour la Méditerranée, état-major, document no 63 EM.3/CECMED, 13 mars 1969. SHD de Toulon, Secrétariat spécial OTAN, 1968-1975, vol. 6A6 13468.
125 La flotte algérienne, en constitution à partir de la fin de la décennie 1960, n’est, elle, pas considérée comme ennemie comme peuvent l’être les navires égyptiens.
126 La totalité des numéros du Bulletin hebdomadaire de renseignements d’actualité maritime est conservée au centre toulonnais du SHD dans la série 3S.
127 Sheldon-Duplaix Alexandre et Huchthausen Peter, Guerre froide et espionnage naval, Paris, Nouveau Monde, 2011, p. 295-296.
128 Ibid., p. 297-298.
129 Message du Vice-Amiral d’Escadre Brasseur Kermadec, division « opération », no 64OPS, 23 janvier 1974. SHD de Toulon, Secrétariat spécial OTAN, 1968-1975, vol. 6A6 13468.
130 Note du Service des Pactes pour M. Tiné, 15 mars 1968. AMAE, Pactes, Méditerranée 1963-1968, vol. 320.
131 Compte rendu no 509/CECMED/OPS.3/EXER, de Scitivaux de Greische, 30 juillet 1970. SHD Toulon, Secrétariat spécial OTAN, 1970, vol. 6A6 13470.
132 Entretien Pompidou/Gretchko, 1er décembre 1972. AMAE, Europe, 1971-1976, vol. 1928 INVA/3721.
133 Télégramme no 3856-3874, de Seydoux, 23 mai 1970. AMAE, Europe 1966-1970, URSS, vol. 2668.
134 Entretien de Gaulle/Hussein de Jordanie, 22 octobre 1968. AMAE, Secrétariat général, entretiens et messages, vol. 36.
135 Coppolani Antoine, « La France et les États-Unis dans les négociations quadripartites sur le Moyen-Orient », art. cité, p. 193-207.
136 Ibid., p. 193-194.
137 Golan Galia, « The Soviet Union and the Cold War in the Middle East », art. cité, p. 59-73.
138 Ibid., p. 59-73.
139 Cet argument est présenté sous une autre forme auprès de Moscou. En octobre 1969, mobilisant le thème de la paix cher aux Soviétiques, Schumann explique à Brejnev qu’un accord quadripartite sur le Proche-Orient aurait une telle valeur symbolique que personne n’oserait le contrarier : « la contagion de la paix, dont nous aurions établi les conditions, favoriserait une amélioration générale de la situation mondiale et contribuerait à la pacification partout ». Entretien Schumann/Brejnev, 13 octobre 1969. AMAE, Europe 1966-1970, URSS, vol. 2667.
140 Entretien de Gaulle/Demirel, 1er novembre 1968. DDF, 1968, II, no 350.
141 Note de la SDL, 31 juillet 1970. AMAE, Afrique-Levant, Levant 1966-1970, Syrie, vol. SY 5-5.
142 Note de la SDEO, 21 mai 1970, Europe 1966-1970, URSS, vol. 2677.
143 Laurens Henry, La question de Palestine, t. 4 : 1967-1982. Le rameau d’olivier et le fusil du combattant, Paris, Fayard, 2011, p. 212-213.
144 Télégrammes 4594-4602, de Lucet, 28 octobre 1969. DDF, 1969, II, no 273.
145 Note de la SDEO, 21 mai 1970, Europe 1966-1970, URSS, vol. 2677.
146 Entretien Pompidou/Brejnev/Kossyguine/Podgorny, 12 octobre 1970. AMAE, Secrétariat général, Entretiens et messages, vol. 45.
147 Kissinger Henry, À la Maison Blanche, Paris, Fayard, 1976, p. 370.
148 Télégrammes no 2866-2882, de Schumann, 23 septembre 1969. DDF, 1969, II, no 185.
149 Coppolani Antoine, « La France et les États-Unis dans les négociations quadripartites sur le Moyen-Orient », art. cité, p. 201.
150 Ibid., p. 202.
151 Entretien Schumann/Gromyko, 2 juin 1970. AMAE, Secrétariat général, Entretiens et messages, vol. 43.
152 Télégrammes no 367-383, de Chodron de Courcel (Londres), 28 janvier 1970. DDF, 1970, I, no 45.
153 Entretien Pompidou/Zorine, 2 février 1970. AMAE, Secrétariat général, Entretiens et messages, vol. 41.
154 Télégrammes no 3856-3874, de Seydoux, 23 mai 1970. AMAE, Europe 1966-1970, URSS, vol. 2668.
155 Télégrammes no 367-383, de Chodron de Courcel (Londres), 28 janvier 1970. DDF, 1970, I, no 45.
156 Entretien Pompidou/Rogers, 26 février 1970. AN, 5AG2 1022, États-Unis.
157 Laurens Henry, La question de Palestine, t. 4, op. cit., p. 247.
158 Télégrammes no 3395 à 3405, de Lucet, 9 juin 1970. DDF, 1970, I, no 307.
159 Télégrammes no 1639-1643, de Schumann à Lucet, 23 juin 1970. DDF, 1970, I, no 341.
160 Laurens Henry, Le grand jeu. Orient arabe et rivalités internationales, Paris, Armand Colin, 1991, p. 243.
161 Note de Lipkowski à Schumann, 9 juillet 1970. DDF, 1970, II, no 24.
162 Golan Galia, « The Soviet Union and the Cold War in the Middle East », art. cité, p. 59-73.
163 Entretien Pompidou/Nixon, 26 février 1970. AN, 5AG2 1022, États-Unis.
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L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008