Chapitre I. De Gaulle et la bipolarisation de la Méditerranée : la fabrique d’une doctrine, 1962-1967
p. 29-80
Texte intégral
1Si le cinéma a consacré l’idée selon laquelle 1962 correspondait à « l’année zéro » de l’Algérie1, on peut en dire tout autant de la France et de son influence dans le bassin méditerranéen. Avec les accords d’Évian, celle-ci tourne la page de huit années d’une guerre qui lui a valu un discrédit total auprès de la plupart des pays des rives méridionale et orientale de la Méditerranée, mais aussi chez une bonne partie des populations de l’Europe du Sud. Les relations diplomatiques de Paris sont alors rompues ou quasi inexistantes avec la plupart des États arabes de la région, tandis que les États-Unis apparaissent comme la puissance incontestée de la zone.
2Cinq ans plus tard, en 1967, la situation a radicalement changé : les dirigeants du Proche-Orient, d’Afrique du Nord, des Balkans et de la péninsule ibérique saluent en la France un acteur incontournable de la sécurité et de la coopération en Méditerranée et multiplient les démarches dans le but d’être reçus à l’Élysée ou d’accueillir le général de Gaulle. Partout, même dans les anciennes colonies maghrébines, on voit en la France un partenaire politique et commercial de premier plan et un interlocuteur capable d’offrir une alternative à la compétition que se livrent désormais les deux Grands dans le bassin. L’URSS y ayant, entre-temps, considérablement renforcé sa présence.
3Comment passe-t-on d’une situation où la France est conspuée de toutes parts à un contexte dans lequel elle est perçue comme un modèle à suivre ? En quoi le fait que la Méditerranée se transforme progressivement en théâtre de la guerre froide participe-t-il de l’affirmation de l’influence française dans cet espace au fil des années 1960 ? De manière plus provocatrice, ne peut-on pas envisager la guerre froide comme un moyen pour la France de rayonner à travers le bassin ? A contrario, peut-on estimer que le retrait français d’Algérie en 1962 a accéléré la bipolarisation méditerranéenne, comme l’a suggéré l’historien italien Ennio Di Nolfo2 ?
4C’est toute la question de la portée des choix diplomatiques et stratégiques gaulliens et de leur mise en œuvre dans l’espace de contact Est-Ouest et Nord-Sud qu’est la Méditerranée qui est ici posée.
5Si l’historiographie de la politique extérieure du général de Gaulle est désormais pléthorique sur ses aspects européens et sur ses implications à l’égard du Tiers Monde, le croisement de ces deux approches à l’échelle de la Grande bleue demeure marginal, tant le cloisonnement géographique semble prégnant dans les travaux sur la diplomatie française des années 1960. Ainsi, tandis que les historiens des relations internationales ont livré des analyses, aujourd’hui considérées comme définitives, des initiatives du Général sur la sécurité européenne et l’intégration atlantique, ils n’ont abordé les conséquences de ces dernières sur les équilibres méditerranéens que dans le cadre plus général des bouleversements de l’OTAN3. Bien entendu, ces travaux n’en restent pas moins fondamentaux : mis au miroir des sources ayant trait à la présence française en Europe méridionale, en Turquie ou à Chypre, ils permettent de saisir toute la portée de la politique française sur le flanc sud de l’Alliance.
6Cependant, la politique nord-africaine et proche-orientale de la France doit être appréhendée dans une perspective allant au-delà des seules logiques de réconciliation avec les pays arabes. La dimension de guerre froide, bien que sous-jacente dans certains travaux, n’est jamais traitée en tant que telle, ce qui justifie l’adoption d’une approche placée sous le signe des relations franco-américaines ou franco-soviétiques4.
7Ce chapitre propose de systématiser cet angle Est-Ouest en en élargissant le champ d’application à tout le bassin méditerranéen. Il s’agit de voir jusqu’à quel point la France est partie prenante des recompositions à l’œuvre en Méditerranée et comment, tout en s’opposant au mouvement de bipolarisation, elle en tire un certain intérêt, dont celui de profiter de la situation pour mieux faire entendre sa voix. Il convient également d’interroger la dualité de la posture diplomatico-militaire française dans cet espace : alors que la logique gaullienne de détente pose les bases d’un dialogue régulier avec Moscou sur l’ensemble des questions internationales et en particulier sur l’Europe et le Moyen-Orient, dans quelle mesure la France participe-t-elle à l’effort occidental d’endiguement du communisme en Méditerranée ? De cette interrogation en découle une autre, fondamentale : comment les enjeux de sécurité en Europe influent-ils directement sur les initiatives gaulliennes à l’échelle du bassin et abondent-ils dans le sens d’une perception euro-méditerranéenne de la sécurité de la France ?
8Ce questionnement est à mettre au prisme du processus de diversification des acteurs internationaux à l’œuvre dans les années 1960. La Méditerranée étant alors l’espace par excellence de l’affirmation du Tiers Monde et du mouvement des non-alignés – trois des figures de proue de ce dernier sont méditerranéennes (Nasser, Tito, Ben Bella) – comment les protagonistes de la politique extérieure française perçoivent et vivent-ils ce changement d’échelle et sa transposition régionale ?
9Le concept de régime international, communément mobilisé par les théoriciens des relations internationales pour examiner les actions collectives ou les modes d’organisation des rapports internationaux5, se révèle une grille de lecture pratique pour cerner la propension française à comprendre les mutations de la décennie. Il s’appuie sur l’idée qu’un choc, une crise ou une guerre sont susceptibles de provoquer le passage d’un régime international à un autre, comme la Seconde Guerre mondiale a vu naître l’ordre libéral américain auquel l’URSS s’est opposée, ce qui a donné lieu au régime de guerre froide. Alors que, pour la plupart des spécialistes de ces questions, ce régime mixte d’après-guerre s’essouffle dans les années 1970 avec le début de la mondialisation, les chocs pétroliers et la crise du système soviétique6, la lecture des archives du Quai d’Orsay montre qu’au milieu des années 1960, une large part du corps diplomatique français se rend compte du fait que la succession de crises que connaît la planète au cours de cette décennie, concomitante à l’arrivée des nouveaux acteurs du « Global South7 », fait déjà de la Méditerranée le point de convergence d’un certain nombre d’évolutions politiques et économiques qui participent de l’affaiblissement des régimes nés après 1945. En d’autres termes, près de dix ans avant le premier choc pétrolier, l’impression domine à Paris que le monde est en train de changer et que c’est à la fois vers l’est et vers le sud que la France doit regarder si elle veut profiter des ruptures à l’œuvre pour proposer une lecture nouvelle des relations internationales.
10Au fil de ce chapitre, il s’agira de déconstruire le mécanisme qui préside à cette prise de conscience et à la réponse qui en découle. Si, dans un premier temps, une attention particulière sera portée à l’impact des crises de la période 1958-1962 sur les réorientations stratégiques françaises à l’égard du flanc sud de l’OTAN, nous verrons ensuite comment les conflits du Proche-Orient, de Chypre et du Maghreb contribuent à forger une doctrine française de guerre froide qui profite de la bipolarisation du bassin autant qu’elle la dénonce. La troisième partie sera consacrée au principal instrument de mise en œuvre de cette doctrine : la construction d’un dialogue franco-soviétique sur les questions méditerranéennes.
Du Liban à Cuba : le poids des crises dans les réorientations stratégiques des deux Grands et de la France en Méditerranée
111962 correspond à l’aboutissement d’une prise de conscience qui a émergé dès le retour au pouvoir du général de Gaulle : la Méditerranée est à la fois la cause et le cadre des humiliations subies par la France depuis 1956 et le contexte bipolaire y est pour beaucoup, ce qui justifie un bouleversement majeur des choix stratégiques nationaux à partir de ce théâtre. De fait, si les historiens ont bien montré que la période qui s’étend de l’intervention anglo-saxonne au Liban (juillet 1958) à la crise des missiles de Cuba constitue un moment fondateur de la politique gaullienne en direction des deux Grands8, il importe également de voir que l’aspect Est-Ouest des événements libanais et la dimension méditerranéenne du choc cubain orientent les conceptions globales et régionales du Général, mais aussi l’ensemble de la guerre froide dans le bassin.
La crise libanaise de 1958, ferment du renouveau français
12La politique de la France en Méditerranée dans les années 1960 est d’abord le fruit de la pensée d’un homme : de Gaulle demeure, de son arrivée à Matignon en juin 1958 à son départ de l’Élysée fin avril 1969, l’unique concepteur de la politique extérieure du pays, que son ministre des Affaires étrangères Maurice Couve de Murville est chargé de mettre en œuvre. Ainsi, les conseillers diplomatiques successifs du Général – Jean-Marc Boegner de juin 1958 à novembre 1959, Pierre Maillard de 1959 à avril 1964, René de Saint-Légier jusqu’en novembre 1968, puis Xavier du Cauzé de Nazelle – n’ont pas d’accès direct au président et, par le biais de leurs notes, ils l’informent plus qu’ils ne le conseillent9. Toutefois, leur travail de synthèse et leur présence quotidienne à l’Élysée leur confèrent un poids certain dans la machine diplomatique. Pierre Maillard, notamment, joue un rôle essentiel au début de la période : connu pour son influence sur la question allemande, il maîtrise parfaitement les enjeux de la Méditerranée orientale. Avant d’être nommé à l’Élysée, il a passé quatre ans à la tête de la direction du Levant du Quai d’Orsay, où il s’est frotté au nationalisme arabe et a subi le contrecoup diplomatique de l’intervention franco-israélo-britannique dans la zone du canal de Suez. Il contribue de fait à véhiculer une image peu favorable de la stratégie nassérienne, qui ne compte guère d’admirateurs parmi les artisans de la politique française de défense et de sécurité.
13L’idée que de Gaulle se fait de la Méditerranée est d’abord celle d’un militaire : la mer participe de la défense du territoire national tout autant qu’elle peut être une zone de conflit, le souvenir du théâtre méditerranéen de la Seconde Guerre mondiale étant constamment présent dans les considérations du fondateur de la Ve République10. La vision du Général ne diffère ainsi guère des vues américaines pour lesquelles la Méditerranée est en premier lieu un élément de la sécurité européenne – d’où le fait qu’à Washington, outre le président, son conseiller à la sécurité nationale et le secrétaire d’État, c’est le Pentagone et les représentants des États-Unis à l’OTAN qui ont la haute main sur les affaires du bassin.
14La guerre d’Algérie n’a fait que renforcer la perception utilitariste de De Gaulle, comme elle l’a fait auprès de la plupart des Français, pour qui, jusqu’en 1962, le bassin était synonyme de violence, de sacrifice de la jeunesse et d’impasse politique. Le conflit a structuré la perception gaullienne d’une aire qui, jusqu’alors Mare interne, se transforme en frontière à la fois culturelle et politique entre une Europe chrétienne et industrielle et un monde musulman en développement11. Dès son retour au pouvoir et même après les accords d’Évian, l’homme du 18 juin sait que le chemin vers l’apaisement et la normalisation avec les pays des rives méridionale et orientale de la mer sera long12.
15Parmi ces pays, le Liban est, avec l’Algérie, celui que de Gaulle connaît le mieux. Il y a séjourné de 1929 à 1931 dans le cadre du mandat français et s’y est familiarisé avec les problématiques du nationalisme arabe, du sort des chrétiens d’Orient et de l’exploitation pétrolière ; cette expérience est venue enrichir sa conception d’un Levant ancrée dans l’histoire longue des rapports entre Orient et Occident, celle qui, depuis les Croisades, a fait de la France la protectrice des Lieux saints et a légitimé sa présence en Syrie et au Liban après la Première Guerre mondiale13.
16À la fin des années 1950, le Liban occupe encore une place importante pour la France : il est le seul pays arabe à ne jamais avoir rompu ses relations avec Paris pendant la guerre d’Algérie. Il est surtout le théâtre de la prise de conscience du Général de la faible marge de manœuvre stratégique que lui laissent les Anglo-Saxons dans la région. C’est en ce sens qu’il s’apparente à la première étape du processus d’élaboration de la nouvelle doctrine française sur la Méditerranée.
17En effet, lorsqu’en février 1958, Nasser proclame la République arabe unie (RAU), résultat de la fusion entre l’Égypte et la Syrie, de Gaulle, le président Eisenhower et le Premier ministre britannique MacMillan craignent que les États pro-occidentaux que sont le Liban, la Jordanie et l’Irak se retrouvent encerclés par la nouvelle émanation étatique du nationalisme arabe ou que les partisans libanais du Raïs n’en profitent pour déstabiliser ce pays traditionnellement proche de la France. Au début de l’été, les trois dirigeants occidentaux s’accordent sur la nécessité d’agir de concert, mais ils estiment qu’une intervention militaire ne constitue pas la solution adéquate. Cela ne ferait qu’entretenir l’hostilité des nationalistes arabes à l’égard d’une France déjà honnie en raison du conflit algérien.
18Pourtant, à l’annonce du coup d’État des « officiers libres » irakiens contre la monarchie hachémite à Bagdad le 14 juillet, Eisenhower décide l’envoi de 10 000 marines au Liban et MacMillan fait intervenir 3 000 parachutistes en Jordanie. Informé de ces opérations au moment même où elles se déroulent, de Gaulle est furieux de ne pas avoir été consulté en amont par Londres et Washington. À ses yeux, non seulement les Américains et les Anglais offensent l’honneur de la France dans cette partie de la Méditerranée où ses intérêts sont anciens, mais ils piétinent du même coup la solidarité occidentale. En outre, le fait que les forces américaines utilisent la base d’Évreux pour établir le pont aérien avec Beyrouth sans informer l’Élysée porte l’irritation du Général à son paroxysme. En réaction, il prend la décision d’envoyer l’escadre de Méditerranée au large du Liban, en exigeant qu’elle ait le moins de contacts possibles avec la flotte anglo-saxonne. À long terme, cette crise aura un effet dévastateur sur les liens entre Paris et ses alliés anglo-américains. Il est clair désormais que « l’intégration atlantique et la présence militaire étrangère [sur le sol français] agissent comme une entrave à l’indépendance nationale14 ».
19La crise de juillet 1958 au Proche-Orient est, avec celle du détroit de Formose en août15, en grande partie à l’origine du mémorandum sur la direction tripartite de l’OTAN envoyé par de Gaulle à MacMillan et Eisenhower en septembre 1958. Dans ce document fondamental pour la compréhension de la relation à long terme de la France avec l’Alliance atlantique, celui qui n’est encore que président du Conseil s’appuie sur l’idée que l’affaire proche-orientale a mis en exergue l’inadaptation « de l’alliance occidentale » au nouveau contexte international : la sécurité de l’Europe ne dépend plus seulement de la situation dans l’Atlantique nord, mais également de celle de l’Afrique et du Moyen-Orient, en d’autres termes du bassin méditerranéen. En outre, aux yeux du Général, le cadre trop étroit de l’OTAN ne permet pas de tenir compte de la modernisation des moyens militaires, en particulier de l’extension du rayon d’action des outils navals, aéronavals et balistiques : l’intégration atlantique et le monopole atomique américain doivent être reconsidérés16. Il s’agit donc d’exiger des alliés une participation accrue de la France à la conception et à la planification de la guerre atomique, une révision de la place du pays dans les commandements de l’OTAN et une division de l’organisation générale de l’Alliance en théâtres d’opération (Afrique, Atlantique, Pacifique, océan Indien). Après tout, les membres de l’Alliance doivent tenir compte des nouvelles capacités nucléaires de la France qui s’apprête alors à procéder à ses premiers essais. Dans son mémorandum, de Gaulle prévoit donc une OTAN fondée sur la collaboration étroite entre les trois puissances nucléaires de l’Alliance : les États-Unis, le Royaume-Uni et la France. En bref, l’objectif est d’élargir le cadre otanien, en particulier au niveau de ses théâtres d’opération, et de le rendre moins contraignant en matière d’intégration. En cas de rejet des propositions françaises, la participation de la France à l’OTAN serait réduite afin de poursuivre cette politique de manière unilatérale.
20Or, c’est bel et bien à une fin de non-recevoir que se heurte bientôt le Général. En effet, les Américains et les responsables de l’OTAN s’inquiètent vivement des conséquences que pourraient avoir les propositions du mémorandum : ces dernières risquent de provoquer un sentiment d’infériorité chez les autres membres de l’Alliance, notamment à Bonn et à Rome, du fait du rang secondaire dans lequel l’Allemagne et l’Italie seraient cantonnées. Par ailleurs, l’idée d’élargir le cadre géographique d’une OTAN jugée trop étroite et trop contraignante revient en réalité à le dépasser. Cela paraît inacceptable aux Anglo-américains17. Par conséquent, de Gaulle ne tarde pas à faire un premier pas vers le désengagement atlantique, un pas toutefois prudent car, en pleine crise de Berlin, le risque d’affrontement Est-Ouest est réel et la solidarité occidentale nécessaire. L’essentiel est alors pour le Général de se concentrer sur la zone qui, en pleine guerre d’Algérie, fait l’objet d’une priorité stratégique nationale : la Méditerranée.
21Le 6 mars 1959, la France notifie à l’OTAN sa décision de conserver sous son commandement les navires qui, en temps de guerre, seraient susceptibles de passer sous le commandement naval intégré, soit un tiers de l’escadre française en Méditerranée (les deux autres tiers sont déjà sous commandement uniquement national18). Dans les faits, cette mesure a des conséquences plus psychologiques qu’opérationnelles, mais elle reflète les préoccupations de De Gaulle quant à l’évolution de l’équilibre général méditerranéen et de ce qu’elle implique pour la France. En effet, le commandement OTAN de Méditerranée (AFMED), basé à Malte et sous la responsabilité d’un amiral britannique, est divisé en six secteurs commandés chacun par un amiral issu de l’une des flottes alliées19, la zone de « Méditerranée occidentale » revenant à la France. Avec la forte réduction de la présence navale britannique à la fin des années 1950, la flotte française devient la plus importante après la VIe Flotte américaine qui, demeurant indépendante, n’est pas affectée à AFMED. Il est donc inconcevable pour de Gaulle que les bâtiments français passent sous commandement britannique en cas de guerre. Certes, cela ne serait pas automatique – les navires concernés ne sont que « réservés pour affectation » – mais le symbole est trop important pour accepter un tel état de fait. L’initiative ne change donc rien concrètement mais elle permet à de Gaulle de montrer à Londres et Washington que, face à leurs réticences, la France est prête à mettre en œuvre, unilatéralement, les propositions du mémorandum20. Surtout, elle prépare le terrain à une révision globale de l’organisation de la Défense française, suscitée par l’accession au statut nucléaire et par la perte de celui de puissance coloniale mais aussi par l’autre conséquence de taille de la crise libanaise : la prise de conscience des dirigeants soviétiques de l’inadaptation de leur présence militaire en Méditerranée.
Le difficile retour de l’URSS en Méditerranée
22Jusqu’alors en effet, la présence soviétique dans le bassin est demeurée quasi nulle, surtout depuis que Staline a échoué à obtenir le contrôle des détroits turcs au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et que son attitude menaçante a finalement conduit l’Administration Truman à pérenniser le déploiement de la flotte américaine en Méditerranée à partir de 1947. Les successeurs du « petit père des peuples » n’ont pas pour autant abandonné l’objectif d’offrir à la flotte de la mer Noire un accès durable à la Méditerranée grâce auquel les navires pourraient rejoindre l’océan Indien et sécuriser le trafic maritime entre les parties européenne et asiatique du territoire soviétique via le canal de Suez. À la différence de Staline cependant, ils optent pour une stratégie plus subtile que l’insistance sur les détroits et cherchent à exploiter les échecs occidentaux dans le monde arabe pour y acquérir des bases et compenser l’emprise turque sur le Bosphore et les Dardanelles. Il ne s’agit plus désormais de mener une politique de force fondée sur des exigences immédiates, mais de privilégier une approche en douceur faite d’aide économique et de livraisons d’armes aux pays arabes dits « progressistes », à commencer par l’Égypte dès 195521.
23Outre Nikita Khrouchtchev lui-même, premier secrétaire du PCUS à partir de 1953, les artisans de cette politique sont Boris Ponomarev, chef du Département international du comité central du PCUS depuis 1957 – ce département a la charge des relations avec les partis communistes des pays où ceux-ci ne sont pas aux responsabilités –, le ministre des Affaires étrangères Andreï Gromyko – bien que son influence reste limitée jusqu’en 1964 – et les responsables militaires, tels le ministre de la Défense à partir de 1957 Rodion Malinovski et le commandant en chef de la marine soviétique de 1956 à 1985, l’amiral Sergueï Gorchkov. Ce dernier, longtemps commandant de la Flotte de la mer Noire, sait combien la Méditerranée constitue un enjeu de taille dans la sécurisation du territoire soviétique, tandis que Malinovski joue un rôle considérable dans la modernisation des forces conventionnelles, y compris navales, de l’URSS22.
24Jusqu’en 1958 toutefois, ces hommes avancent à pas feutrés auprès des dirigeants arabes afin de ménager leur susceptibilité, ce d’autant plus que les idéologues du Kremlin, avec à leur tête Mikhaïl Souslov, ne tolèrent pas la persécution dont les communistes sont victimes en Égypte et en Syrie. Mais l’intervention anglo-britannique à Beyrouth met en exergue les limites de cette prudence : elle constitue un coup de tonnerre pour les Soviétiques23. La détermination d’Eisenhower et les moyens mobilisés par le Pentagone pour contrer Nasser et protéger le Liban laissent en effet apparaître la faiblesse politique et militaire de l’URSS sur son flanc sud-ouest (le Liban ne se trouve qu’à 900 kilomètres des frontières du Caucase soviétique). Khrouchtchev, Malinovski et Gorchkov prennent alors conscience de l’inadéquation de la force navale soviétique en Méditerranée et de la nécessité d’accroître l’effort de pénétration dans la région s’ils ne veulent pas perdre la face dans le monde arabe24.
25Ainsi, même si un accord avec l’Égypte est signé en janvier 1959 pour que l’URSS puisse bâtir un chantier naval à Alexandrie, l’inaction de Moscou au moment des événements libanais détériore considérablement les relations entre les deux pays. Gorchkov n’a pas d’autre choix que de miser sur le seul port du bassin où les navires soviétiques bénéficient de facilités importantes : Vlorë, en Albanie, où il fait stationner à partir de fin 1958 douze sous-marins. Le port adriatique devient peu à peu le point d’ancrage d’une flotte de plus en plus importante. Un exercice naval à grande échelle – le premier de l’histoire soviétique en Méditerranée – est organisé en 1960 en mer Égée, avec la participation de vingt bâtiments.
26Mais les divisions idéologiques du mouvement communiste international, particulièrement visibles en Méditerranée, compliquent la tâche de l’URSS : l’opposition croissante du régime d’Enver Hoxha à la déstalinisation opérée par Khrouchtchev à partir de 1956 conduit à la rupture définitive entre Tirana et Moscou après que le dirigeant albanais ait refusé de condamner la Chine maoïste, si bien qu’en 1961, la présence soviétique en Méditerranée connaît une réduction drastique, trois ans seulement après son développement. L’humiliation que subissent alors les Soviétiques, et qui vient s’ajouter à celle du Liban, joue un rôle clé dans la compréhension des objectifs à long terme de Moscou : la saisie de quatre de leurs sous-marins par les Albanais est suffisamment traumatisante pour que Malinovski et Gorchkov érigent en priorité absolue l’obtention de bases navales pérennes dans la Grande bleue et lancent une véritable opération de séduction auprès de Nasser et de Tito. Il faut dire qu’au même moment, ces derniers décident de faire de la Méditerranée le centre de gravité du mouvement non-aligné, lancé à Belgrade le 1er septembre 1961.
27Les positions du Raïs en particulier ont évolué, depuis la brouille soviéto-égyptienne de 1958, dans le sens d’un meilleur équilibre entre l’Est et l’Ouest, plus en phase avec la logique de parité nucléaire présidant aux rapports internationaux25. Comme elle le fait avec les Américains (du moins jusqu’au renouveau des tensions en 1963), l’Égypte reprend donc le chemin de la coopération avec les Soviétiques, et ces derniers ne se font pas prier. À partir de 1961, Gorchkov multiplie les visites au Caire dans le but d’obtenir des facilités navales en échange d’importantes livraisons d’armes aux Égyptiens.
28Les tentatives de Khrouchtchev pour renouer avec Tito suivent le même chemin. Après les fluctuations des années 1955-1960, les relations soviéto-yougoslaves connaissent une embellie en 1961, lorsque l’URSS semble admettre le rôle de la Yougoslavie dans le Tiers Monde26. Le Premier secrétaire du PCUS comprend qu’il aurait tout à perdre à se couper du mouvement des non-alignés, qui s’amplifie avec l’adhésion en masse des nouveaux États africains issus de l’empire colonial français. La nécessité de rétablir le dialogue avec Belgrade et d’en tirer des bénéfices concrets en Méditerranée paraît d’autant plus urgente pour le Kremlin que le risque est grand de voir les Chinois profiter des bonnes dispositions albanaises à leur égard pour développer à leur tour une présence dans le bassin méditerranéen.
29À ce titre, on peut se demander jusqu’à quel point le camouflet infligé par Hoxha et l’impression qu’il rend le flanc sud-ouest de l’URSS plus vulnérable aux pressions chinoise et occidentale comptent dans la décision de Khrouchtchev de déployer des missiles MRBM et IRBM à Cuba en 1962. Depuis les années 1990, l’accès aux archives du PCUS et les nombreux travaux d’historiens qui en ont résulté ont montré combien le déséquilibre des forces sur le théâtre méditerranéen – en particulier la présence de missiles MRBM Jupiter américains en Turquie – avait pesé sur le choix du Premier secrétaire de tirer parti de la présence du régime castriste à quelques encablures de la Floride pour exercer une pression similaire sur le territoire américain27. Mais le choc de l’humiliation albanaise après celui du Liban semble tout aussi important, précisément parce qu’il accroît un peu plus la portée stratégique et symbolique des fusées turques face à des forces navales soviétiques retranchées sur et autour de la mer Noire. En outre, le poids de l’offense subie à Vlorë rejoint la thèse très convaincante d’Alexandre Fursenko et Timothy Naftali sur la dimension idéologique de la décision du Kremlin à l’égard de l’île caraïbe : le déploiement des missiles à Cuba découlerait en grande partie du désir de Khrouchtchev d’envoyer un signal fort aux pays non-alignés dans le but de contrecarrer les accusations de Mao selon lesquelles les « révisionnistes » de Moscou seraient incapables de protéger les régimes révolutionnaires28. Les sources disponibles aujourd’hui laissent entrevoir la place essentielle de l’Égypte, de la Yougoslavie et, au lendemain des accords d’Évian, de l’Algérie parmi les destinataires de ce message et confortent l’idée qu’à l’instar des événements libanais, la crise de Cuba cristallise les desseins méditerranéens des dirigeants soviétiques au même titre qu’elle participe du renouveau des conceptions stratégiques françaises dans le bassin.
La crise de Cuba comme révélateur des acteurs et enjeux méditerranéens de la guerre froide
30Le déroulement à sept mois d’intervalle de deux des événements majeurs du second xxe siècle – l’indépendance de l’Algérie et la crise des missiles de Cuba – et le fait qu’ils participent tous deux à la redéfinition de l’équilibre des forces en Méditerranée sont révélateurs de la globalisation de la guerre froide et de la place centrale que tient Mare Nostrum dans ce processus. Ils constituent en outre un élément déterminant des postures internationale et régionale à long terme de la France. Leur mise en parallèle permet de dresser un état des lieux du rapport des Français aux deux superpuissances au seuil de la nouvelle décennie.
31En l’occurrence, parmi les acteurs des relations franco-soviétiques qui, au début des années 1960, ont un impact fort sur les questions méditerranéennes, le parti communiste français – à la fois relais des intérêts soviétiques en France et acteur de premier plan du paysage politique national (il obtient 21,9 % des voix aux législatives de novembre 1962) – occupe une place singulière. Depuis 1956 surtout, le PCF et l’URSS n’ont cessé d’échanger sur l’attitude à adopter vis-à-vis de la politique française en Algérie et, lorsque la guerre prend fin, le sujet est à ce point devenu prééminent que, même après 1962, les évolutions de l’Algérie indépendante demeurent un thème de concertation régulière entre les diplomates soviétiques et les figures du parti frère, tels que Jacques Duclos, Maurice Thorez et Raymond Guyot, chef de la section de politique extérieure du parti (la « polex29 »). Ainsi, les responsables communistes français parviennent à exercer une véritable influence sur la politique algérienne de Moscou, entretenue par la méfiance du Kremlin à l’égard des nationalistes algériens – en concurrence directe avec les communistes – et par ses relations difficiles avec Nasser. C’est par exemple Jacques Duclos qui, en avril 1956, avait persuadé l’ambassadeur d’URSS en France Sergueï Vinogradov d’accorder sa confiance à Guy Mollet en vue d’un règlement négocié du conflit – du moins avant que le président socialiste du Conseil ne s’enfonce à son tour dans le bourbier algérien30. Ce n’est qu’à partir de 1958 que, déçu par Mollet et soucieux de ne pas laisser la main aux Chinois dans le Tiers Monde, Khrouchtchev s’est départi de sa position attentiste à l’égard du conflit et a défendu ouvertement le droit du peuple algérien à l’indépendance, tout en faisant montre de prudence vis-à-vis du FLN et en restant à l’écoute des conseils de Thorez et Guyot, qui campaient, eux, sur une posture d’opposition quasi systématique aux choix du général de Gaulle31.
32À l’été et à l’automne 1962, une fois l’indépendance acquise, la politique intérieure et extérieure du FLN reste au cœur de la question algérienne telle qu’elle se pose à l’URSS et au PCF : la mise à l’écart du parti communiste algérien et la volonté proclamée du gouvernement d’Ahmed Ben Bella de s’inscrire dans le mouvement non-aligné et de se rapprocher de la Chine et de la Yougoslavie semblent faire regretter à Khrouchtchev, Thorez et Duclos leur soutien devenu inconditionnel aux nationalistes algériens32. Cet élément apporte un éclairage fondamental à la dimension méditerranéenne de la crise de Cuba qui éclate en octobre et au rôle du PCF. En effet, dans les semaines qui précèdent la confrontation diplomatique entre Kennedy et Khrouchtchev, la presse communiste française – L’Humanité bien sûr, mais également La Marseillaise, organe publié dans une région, la Provence, où, en 1962, le parti obtient près de 30 % des voix aux législatives – consacre une série d’articles à la visite de Ben Bella à La Havane, rappelant à maintes reprises combien l’« anti-impérialisme » a été le ressort de la révolution algérienne comme il a été le ferment de la révolution cubaine33. À l’instar de ce que font Khrouchtchev et Castro, le PCF appelle alors expressément l’Algérie à rejoindre le camp socialiste. Six ans après la répression sanglante de la révolte de Budapest, transparaît dans les journaux du parti la conscience que le castrisme représente une version plus chaleureuse et plus attractive du socialisme et peut de la sorte concurrencer la dimension tiers-mondiste du marxisme dont se prévaut la Chine maoïste. On constate ainsi combien, en conférant une publicité toute particulière à la visite de Ben Bella à La Havane à coups de dépêches de l’agence de presse soviétique Tass, le PCF contribue à sa manière à la lutte contre l’influence chinoise dans le monde arabe et accrédite le discours khrouchtchévien sur l’impérieuse nécessité de protéger Cuba contre les États-Unis, si bien que la rencontre algéro-cubaine fait figure de véritable prologue à la crise qui débute juste après le départ de Ben Bella de l’île. Ce rapprochement entre la situation dans les Caraïbes et celle de la Méditerranée est d’ailleurs maintenu par L’Humanité tout au long des huit jours que dure la crise, démontrant la propension du PCF à penser la guerre froide en fonction de son environnement régional et étayant la thèse selon laquelle la situation du bassin aurait joué un rôle élémentaire dans la décision de Khrouchtchev de déployer des missiles outre-Atlantique.
33D’ailleurs le parallèle entre Cuba et la Méditerranée n’est-il pas au cœur de l’accord final entre Kennedy et Khrouchtchev ? À l’issue de la crise, tandis que le premier secrétaire du PCUS s’engage à démanteler ses bases de lancement de missiles à Cuba, le président des États-Unis notifie en janvier 1963 le retrait des fusées Jupiter stationnées en Turquie et en Italie34. Sauf que, conformément à une annonce faite par Kennedy dès mai 1961, ce retrait est compensé par l’affectation, à l’OTAN, de sous-marins équipés de missiles stratégiques Polaris demeurant sous commandement américain (trois d’entre eux entrent en Méditerranée au début de 196335). Plus encore que l’affaire libanaise ou l’humiliation albanaise, l’arrivée des Polaris est vécue comme une véritable douche froide par Gorchkov et Malinovski et a une profonde influence sur la stratégie régionale de l’URSS jusqu’à la fin de la guerre froide36. La raison en est simple : les Jupiter étaient fixes et repérables ; les sous-marins sont, par définition, mobiles et difficilement détectables, ce qui accroît considérablement la vulnérabilité de l’URSS sur son flanc sud-ouest. La décision américaine est donc un tournant : elle sape définitivement la confiance des responsables militaires soviétiques en Khrouchtchev – c’est net chez Malinovski, jusqu’alors très proche du Premier secrétaire – et renforce leur détermination à obtenir des bases permanentes en Méditerranée en jouant à fond les cartes Nasser et Tito.
34Un accord avec le Raïs est signé en juin 1963 et permet à l’Égypte de devenir l’un des principaux bénéficiaires du programme soviétique d’assistance militaire dans le Tiers Monde. Et si la volonté nassérienne de donner l’apparence d’un réel non-alignement explique pourquoi l’Eskadra de Méditerranée ne parvient pas à bénéficier de facilités navales permanentes en Égypte, les visites de bateaux soviétiques dans les ports égyptiens deviennent monnaie courante après 196537. Le Kremlin réalise ainsi qu’il tire plus d’avantages que d’inconvénients à admettre l’existence d’un non-alignement dont les chefs de file continuent de promouvoir et de mettre en œuvre diverses variantes du socialisme38.
35La présence navale soviétique devient donc constante en Méditerranée à partir de 1964, avec le renforcement continu de l’Eskadra (quinze navires à cette date). La longévité de Gorchkov à la tête de la Marine reflète des objectifs qui vont rester les mêmes tout au long de l’ère Brejnev : il s’agit tout à la fois de dissuader les Américains d’utiliser leurs forces déployées en Méditerranée pour procéder à des tirs susceptibles d’atteindre le territoire soviétique en cas de crise, d’empêcher Israël ou la VIe Flotte de s’en prendre à un État arabe ami et, on l’a dit, de protéger les bateaux soviétiques naviguant entre la mer Noire et l’Extrême Orient39. Gorchkov et le commandant de la flotte de la mer Noire jusqu’en 1962, Vladimir Kasatonov, supervisent par ailleurs le développement d’une flotte de bâtiments de reconnaissance destinés à repérer les bâtiments adverses grâce à une panoplie de radars et de sonars sophistiqués, fruits des investissements massifs de l’époque stalinienne40.
36Pour parer à la menace immédiate des sous-marins tout en valorisant l’effort d’armement conventionnel conduit par Malinovski, Khrouchtchev se lance également dans une offensive diplomatique sur un thème qui va peu à peu se transformer en antienne des discussions internationales sur la Méditerranée et dont le PCF se fait le porte-parole en France : celui de la neutralisation complète de la mer. En mai 1963, le numéro un soviétique demande à de Gaulle, Kennedy et MacMillan ainsi qu’à l’ensemble des pays méditerranéens de proclamer le bassin « zone désatomisée » afin d’éviter que le déploiement des sous-marins américains n’entretienne un risque de guerre dans la région. Un autre objectif se profile derrière ce projet, celui de découpler l’Europe occidentale des États-Unis en affaiblissant la défense du flanc sud.
37Ce retour militaire et diplomatique des Soviétiques dans la Grande Bleue pèse lourdement sur la résolution du général de Gaulle à repenser le système de défense français et à affirmer haut et fort sa vision de la dissuasion auprès de ses alliés de l’OTAN. À ses yeux, en donnant un coup d’accélérateur au développement de la présence navale soviétique et en promouvant la dénucléarisation de la Méditerranée, Khrouchtchev ne fait que s’engouffrer dans une brèche ouverte par les Américains à Cuba et qui est révélatrice du faible degré d’engagement de l’Administration Kennedy dans la défense de l’Europe. Le Général voit dans la décision de Washington de faire des missiles Jupiter une monnaie d’échange avec les Soviétiques une preuve que les États-Unis sont prêts à remettre en question la sécurité de leurs alliés lorsque la leur est menacée. Pire, pour lui, « il y a un accord tacite et profond entre les Américains et les Russes » quant à l’usage de l’arme nucléaire :
« Ça consiste, pour les Américains, à ne laisser en Europe que des forces nucléaires dont la portée ne permet pas d’atteindre la Russie, mais seulement les pays satellites. Et inversement pour les Russes : ils s’engagent implicitement à ne pas attaquer le territoire américain s’il se produit quelque chose en Europe, en contrepartie du fait que les Américains n’attaqueront pas le territoire soviétique.
Les deux super-grands s’entendent comme larrons en foire. Il y a une neutralisation de la menace suprême des Américains contre les Russes, et des Russes contre les Américains.
Pourquoi voulez-vous que les Américains aient retiré leurs missiles de Turquie, aussitôt après la crise de Cuba ? Parce que leurs missiles en Turquie ne pouvaient avoir comme objectif que la Russie elle-même. De même que les missiles soviétiques à Cuba ne pouvaient avoir pour objectif que les États-Unis. La Turquie était le Cuba des Américains ; Cuba était la Turquie des Russes. L’équilibre atomique entre les deux grandes puissances exigeait le double retrait41. »
38Une telle analyse des objectifs stratégiques américains conforte de Gaulle dans sa volonté de renforcer l’indépendance de la France vis-à-vis d’une Amérique dont la stratégie de dissuasion nucléaire n’est pas jugée satisfaisante : avec la doctrine des représailles graduées, présentée par le secrétaire à la Défense Robert McNamara en mai 1962 à Athènes, les États-Unis relèvent le seuil d’intervention nucléaire à un niveau qui, selon de Gaulle, fait peser sur l’Europe un risque de guerre conventionnelle prolongée en cas de crise majeure. Cela est d’autant plus vrai à ses yeux que l’Administration Kennedy prône également une conception de la non-prolifération qui, ne visant pas un désarmement total, privilégie l’arms control par la négociation avec l’URSS42. Pour le Général, ces initiatives sont du pain béni pour Khrouchtchev car elles légitiment ses plans militaires et diplomatiques sur la Méditerranée, alors même que son recul cubain a prouvé qu’il n’avait ni les moyens ni la volonté de déclencher une guerre nucléaire.
39Les historiens de la politique gaullienne ont largement démontré le rôle moteur des nouvelles orientations stratégiques de Washington dans l’accélération du rapprochement franco-allemand. De Gaulle voit dans l’apparent recul américain l’occasion d’élaborer une Europe solide au sein de laquelle les partenaires de la France pourraient bénéficier de sa force de frappe et de sa doctrine stratégique, fondée sur les représailles massives – bien que le Général hésite à employer ce terme. Craignant que Paris ne parvienne à imposer ses vues stratégiques auprès des Alliés européens, et en particulier auprès des Allemands, les Américains s’efforcent d’affaiblir les projets gaulliens : d’abord en admettant une réforme de l’OTAN fondée sur le tripartisme anglo-franco-américain, que de Gaulle refuse en raison des compromissions britanniques43 ; ensuite en s’en prenant directement au traité franco-allemand de janvier 196344. Surtout, le Département d’État, sous l’impulsion du sous-secrétaire d’État George W. Ball, ami de Jean Monnet et, de fait, en désaccord total avec les conceptions gaulliennes sur l’Europe, entame une formidable opération de séduction auprès des Européens dans le but de répondre à leurs craintes quant à un contrôle exclusif de Washington sur l’emploi du feu nucléaire en Europe et afin de contrer les initiatives françaises. Le projet de Multilateral Force (MLF) ainsi promu à partir de décembre 1962 envisage la constitution d’une flotte de vingt-cinq navires de surface, placés sous le commandement du SACEUR, et dont les équipages seraient multinationaux. Chaque navire serait armé de huit missiles Polaris. La décision d’ouvrir le feu nucléaire serait prise collectivement et à l’unanimité des membres de l’OTAN. S’il est prévu que les Américains gardent un droit de veto dans un premier temps, ils disent ne pas exclure d’y renoncer un jour. Pour de Gaulle, cette « farce multilatérale » n’est qu’un leurre : il croit déceler dans ce projet éminemment complexe le désir des États-Unis de ne pas réellement partager leur force de frappe et leur refus d’une Europe autonome sur le plan stratégique45. C’est ce que la France s’emploie à démontrer à ses alliés du flanc sud dont la sécurité est ébranlée par le retrait des missiles de Turquie et d’Italie et l’affaiblissement de la garantie nucléaire américaine.
40En effet, si la logique franco-allemande est centrale dans la stratégie gaullienne de sape de la doctrine McNamara et de la MLF, elle n’est pas exclusive. Au contraire, alors que les relations entre Paris et Bonn s’essoufflent avec le semi-échec du traité de l’Élysée et l’accession à la chancellerie du très atlantiste Ludwig Erhard, de Gaulle réoriente progressivement sa diplomatie vers ceux des États de l’OTAN qui disposent d’une longue frontière commune avec les pays du pacte de Varsovie tout en étant situés dans la zone d’intérêt méditerranéen de l’URSS, à savoir la Grèce et la Turquie.
41La première raison de ce choix gréco-turc provient du fait que, depuis 1957, la Grèce de Constantin Caramanlis et la Turquie des présidents Celâl Bayar et Cemal Gürsel font l’objet d’une intense pression diplomatique de la part de leur voisin bulgare, de la Roumanie et de l’URSS. Ces derniers sont à l’origine du « plan Stoica », un projet de « zone de paix » balkano-adriatique auquel Grecs et Turcs seraient parties prenantes, autrement dit une zone dénucléarisée destinée à prévenir le déploiement de nouveaux missiles balistiques intercontinentaux américains et à affaiblir le dispositif de sécurité atlantique en Europe du sud-est46. Présenté sous plusieurs déclinaisons successives en 1962-196347, le plan vise au découplage stratégique des États-Unis et de leurs alliés européens, au même titre que le plan sur la dénucléarisation de tout le bassin, son complément maritime. Il suffirait ensuite aux Soviétiques de saisir l’occasion d’une crise, ou de la provoquer, pour justifier une intervention militaire dans cette région, au nom de la sécurité du bloc de l’Est, et ainsi bénéficier d’un accès direct à la Méditerranée. Cela, de Gaulle l’a d’autant plus compris que, grâce aux rapports très détaillés que lui fait parvenir l’ambassadeur de France en Grèce, l’un de ses anciens compagnons de la France Libre à Alger, Guy de Girard de Charbonnières, il est conscient de l’atmosphère délétère qui règne dans les Balkans : les affaires d’espionnage y sont nourries par la présence en Bulgarie et en Yougoslavie de dizaines de milliers de réfugiés communistes grecs exilés après la guerre civile et par la rupture des relations diplomatiques entre Athènes et Sofia entre juillet 1961 et juin 1964 en raison d’un important contentieux de dommages de guerre48. Quant aux relations de la Turquie avec l’URSS et la Bulgarie, si elles s’améliorent à partir de 1962 du fait de la volonté de détente du Premier ministre Ismet Inönü, elles demeurent vulnérables au moindre incident de frontière.
42Ce n’est donc pas pour rien qu’au lendemain de la crise de Cuba, la Grèce est l’un des premiers pays dans lesquels de Gaulle se rend en voyage officiel – à Thessalonique, il passe en revue les troupes de l’armée grecque du Nord chargées de sécuriser la frontière avec les pays communistes – tandis que Georges Pompidou, Premier ministre, se rend à Ankara. La démarche que l’un et l’autre font auprès de Caramanlis et d’Inönü à deux mois d’intervalle se fonde sur un constat, un objectif et une méthode.
43Le constat, lui, est sans appel : principaux points de contact Est-Ouest en Europe (avec l’Allemagne), la Turquie et la Grèce ont toutes les chances d’être le théâtre d’une crise locale de type Berlin ou Cuba susceptible de dégénérer en affrontement majeur entre les deux blocs49. L’objectif, donc, est d’éviter cela en faisant en sorte que la dissuasion exercée par l’OTAN soit suffisamment crédible, c’est-à-dire fondée sur une utilisation immédiate de l’arme nucléaire en cas d’attaque contre l’un des membres de l’Alliance, quel qu’il soit. Or, les Américains n’étant pas disposés à mobiliser tout de suite leur force de frappe atomique dès lors qu’il s’agit de la sécurité européenne et préférant miser sur les faux-semblants de la MLF, les Européens doivent disposer « d’une force susceptible d’agir par elle-même50 » et capable d’engager les États-Unis à recourir à la menace immédiate de l’apocalypse nucléaire. C’est là tout le rôle que de Gaulle confère à la bombe atomique française, celui de compenser la doctrine McNamara en lui adjoignant, au sein de l’Alliance, une autre vision de la dissuasion. Grâce à la stratégie française « du faible au fort », l’adversaire soviétique serait obligé de se positionner d’emblée au niveau du seuil nucléaire, obligeant les Américains à y venir également. Cette vision des choses évite le découplage transatlantique voulu par Moscou et sape les plans soviétiques de neutralisation régionale, que de Gaulle abhorre51.
44En 1963, le Général est persuadé que les Grecs et les Turcs, échauffés par le retrait des Jupiter, seront les meilleurs soutiens à sa stratégie. Il ne se trompe guère : Caramanlis et Inönü reconnaissent ouvertement que le dirigeant français a raison52, si bien que, grâce à leur appui, la France semble tenir sa revanche après les déconvenues franco-allemandes orchestrées depuis Washington. Mais si, politiquement, le succès est au rendez-vous et si les fondements d’un vrai dialogue stratégique franco-grec et franco-turc sont posés, dans les faits, ni les Grecs ni les Turcs ne sont prêts à suivre de Gaulle sur la voie de l’opposition frontale avec la Maison Blanche. La raison en est simple : la capacité de dissuasion des États-Unis est opérationnelle depuis longtemps alors que celle de la France est en construction. À l’heure où la situation s’aggrave en Méditerranée en raison des tensions entre Nasser et l’Administration Kennedy/Johnson et de l’émergence de la question chypriote, le moment semble mal choisi pour mécontenter les Américains. Ce semi-échec – compensé en partie par la faillite du projet de MLF en 196553 – ne fait qu’encourager Paris à aller plus loin dans la redéfinition de sa stratégie globale et régionale de défense, seul moyen de renforcer sa crédibilité face à la cristallisation de l’opposition Est-Ouest en Méditerranée. Il conforte aussi de Gaulle dans sa conviction que pour éviter qu’une crise locale ne se transforme en affrontement général, une véritable détente avec l’URSS est plus que nécessaire.
Le rôle de la guerre froide dans la réorganisation de la défense française en Méditerranée
45La conception de la défense française qui émerge au début de la décennie 1960 est liée à l’évolution des rapports de force en Méditerranée après le départ français d’Algérie et l’essor de la présence soviétique. Elle est symbolisée par la nomination du général Ailleret comme chef d’état-major en juillet 1962. Précédemment commandant de la zone Nord-Est constantinois puis commandant supérieur interarmées en Algérie, il a activement participé au processus de transition de ce pays vers l’indépendance. Aussi est-il particulièrement au fait des questions méditerranéennes et de ce qu’implique la perte de l’Afrique du Nord pour la défense de la France, à savoir une considérable restriction de la profondeur de champ dans laquelle peut être mise en œuvre la politique de défense du territoire métropolitain. Ailleret sait que le seul moyen de compenser cette réduction de la marge de manœuvre géographique est de miser sur un progrès technologique conséquent54. Rien d’étonnant donc à ce que, commandant des « armes spéciales » puis du groupe mixte Armées-CEA, Ailleret joue un rôle fondamental dans le développement de la force de frappe française, dont le premier succès expérimental a lieu le 13 février 1960 dans le Sahara (Opération Gerboise bleue).
46Allant de pair avec une profonde réorganisation de l’armée, la doctrine de « défense tous azimuts » présentée par Ailleret conjugue armement stratégique à capacité mondiale et développement d’un nucléaire tactique à l’échelon du bataillon55. Élaborée à l’encontre de la menace soviétique et, on l’a dit, selon une logique « du faible au fort », elle suppose le redéploiement des forces aéroterrestres sur la façade Nord-Est de l’Hexagone, la plus exposée à une invasion de l’Armée rouge, bien que les Allemands, à commencer par le chancelier Adenauer, nourrissent bien des suspicions quant aux réels objectifs nucléaires français56.
47L’effort de défense en Méditerranée s’inscrit lui aussi dans une démarche visant à dissuader une éventuelle attaque de l’URSS. C’est toutefois la prudence qui guide les décisions de De Gaulle en la matière. Face à la présence de plus en plus marquée des Soviétiques dans le bassin méditerranéen, il revoit la répartition des forces navales françaises pour ne pas la rendre vulnérable à une éventuelle crise Est-Ouest dans la région. Il décide ainsi de faire de L’Île longue, en Bretagne, la base opérationnelle des sous-marins lanceurs d’engins, au détriment de Toulon. Son principal argument tient à l’exiguïté et à la dangerosité de la Méditerranée :
« Il ne faut pas que la flotte reste enfermée en Méditerranée. La Méditerranée est trop petite. Ça va devenir une souricière. Tous les avions russes pourraient s’amuser à bombarder nos bateaux. Or, notre force de frappe va être de plus en plus basée sur les bateaux. Il faut qu’ils puissent se déployer au grand large. La Méditerranée n’est plus qu’un petit lac ; et, en plus, verrouillé par les Anglo-Saxons à Gibraltar. […]
On peut très bien laisser l’arsenal [à Toulon]. On peut très bien y baser une petite flotte. Mais il faut que les porte-avions et plus tard les sous-marins stationnent dans l’Atlantique, qu’ils soient libres de leurs mouvements, et que personne ne sache où ils sont. Donc, c’est à Brest qu’il faut les baser57. »
48La présence française dans la « souricière » méditerranéenne est donc, dans l’esprit du Général, destinée à être réduite, et ce d’autant plus que la France abandonne la base de Bizerte en 1963 à l’issue d’une grave crise avec la Tunisie et que Paris se prépare à faire de même avec celle de Mers el-Kébir, évacuée le 1er février 1968. Dans les faits, bien qu’elle perde sa mission historique d’assurer le transfert des forces du Maghreb vers la métropole, l’escadre de Méditerranée est dotée de moyens comparables à ceux des forces stationnées en rade de Brest, avec notamment le maintien du porte-avions Arromanches à Toulon58. Toutefois, l’état-major des armées considère que « l’emploi de porte-avions dans une mer aussi étroite que la Méditerranée n’est pas justifiable alors que le travail de ces porte-avions peut être effectué par des avions basés à terre59 ». En d’autres termes, pour conjuguer la nécessité de disposer d’une force d’intervention permettant à la France de maintenir une influence mondiale – et en premier lieu africaine – avec le besoin de se tenir à l’écart de la cohue navale de Méditerranée, de Gaulle mise sur les forces aéroterrestres, via la création de la « force interarmées d’intervention immédiate », composée de deux brigades parachutistes et d’une brigade de troupes de marine et dont le quartier général est basé à Pau60.
49De même, la décision prise en 1965, sous l’égide du ministre des Armées Pierre Messmer, d’aménager le plateau d’Albion (aux confins des départements du Vaucluse, des Basses-Alpes et de la Drôme) en site de lancement de missiles sol-sol balistiques peut être lue comme un moyen de compenser la concentration de la force de frappe sous-marine française dans l’Atlantique par la création d’un site de lancement terrestre près de la Méditerranée61. Les installations provençales de la composante terrestre de la dissuasion, tout en renforçant le système défensif de la France méridionale, apparaissent alors moins vulnérables que le maintien d’un arsenal stratégique sous-marin en rade de Toulon. En outre, le plateau d’Albion, localisé dans un espace de faible peuplement et aux conditions géologiques favorables, se situe non loin des installations du Commissariat à l’Énergie atomique de Marcoule et de Cadarache : tandis que le centre de Cadarache, opérationnel à partir de 1963, est notamment chargé de la mise au point de réacteurs nucléaires pour la propulsion navale, Marcoule, créé en 1955, contribue directement à l’élaboration de la bombe atomique française. Le choix du plateau d’Albion est enfin lié au désir du gouvernement français d’insérer le principal site de la dissuasion terrestre dans le dense réseau des bases militaires du sud-est de la France, et notamment près des bases aériennes d’Istres et d’Orange62. Toutes deux occupent alors une position centrale dans le système des forces aériennes stratégiques françaises, opérationnelles à partir de 1964. L’articulation des composantes aériennes, terrestres et navales de la dissuasion nucléaire n’acquiert cependant toute son importance stratégique qu’au début des années 1970, avec d’une part la mise en service du site d’Albion et d’autre part celle des premiers SNLE.
50Les choix de De Gaulle dans la réorganisation de la défense sont cependant loin de faire l’unanimité. Au sein de la Marine française, émerge une critique appelée à prendre de l’ampleur au fur et à mesure de l’intensification de la guerre froide en Méditerranée et du renforcement des présences navales américaine et soviétique dans cette mer : Mare Nostrum ne doit pas être abandonnée à la domination des deux Grands, au risque de la rendre encore plus dangereuse. C’est à ses riverains, et en particulier à la France, seule puissance méditerranéenne qui dispose de moyens financiers, diplomatiques et militaires suffisamment importants, d’assurer la sécurité maritime du bassin méditerranéen.
51Dans les années 1960 comme dans les années 1970, l’appel en faveur d’un réinvestissement de la Grande bleue par les forces navales françaises est porté en premier lieu par des gaullistes dont la lecture des relations internationales est proche de celle que font les pays non-alignés, qui deviennent d’ailleurs très vite les principaux promoteurs de « la Méditerranée aux Méditerranéens », à l’instar de Boumediene et de Tito. L’homme qui incarne ce courant au lendemain de la guerre d’Algérie est le capitaine de vaisseau Antoine Sanguinetti, « gaulliste de gauche » et futur « pacha » du porte-avions Clemenceau, qui, dans Atome et bataille sur mer (1965), déplore la lenteur de l’adaptation de la Marine à la stratégie nucléaire et le fait que le recul de la présence navale française en Méditerranée permette à la VIe Flotte de se présenter en seule représentante de l’Occident dans cette mer63.
52Or, c’est précisément ce que Robert McNamara et le secrétaire d’État américain Dean Rusk reprochent également à de Gaulle. Car, sans surprise, l’autre flot de critiques qui s’abat sur la politique navale du Général provient de Washington, surtout après que le 27 avril 1964, l’amiral Max Douguet, représentant militaire de la France au sein du comité maritime permanent de l’OTAN, ait annoncé que les officiers français « ne siégeraient plus au quartier général naval de l’OTAN ou dans les unités n’étant pas sous commandement naval français64 ». Pour Rusk et McNamara, en faisant cela, de Gaulle « frappe au cœur du système de défense de l’OTAN » et encourage les incursions militaires soviétiques en Méditerranée.
53La gêne est d’autant plus ressentie par les Américains qu’ils renouent au même moment avec un containment aux méthodes musclées. Alors que le recours à la force pour lutter contre les révolutionnaires dans le Tiers Monde était devenu moins systématique après l’arrivée au pouvoir de John Kennedy, qui leur préférait des politiques fondées sur le soutien économique et humanitaire – tels l’Alliance pour le progrès en Amérique latine ou le programme de coopération internationale pour la jeunesse Peace Corps – le déficit de la balance des paiements américains et la multiplication des régimes à tendance socialiste en Amérique latine, en Afrique et en Asie convainquent Lyndon Johnson et son conseiller à la sécurité nationale McGeorge Bundy de l’inutilité d’envoyer de l’aide financière à des pays jugés incapables d’adopter la culture démocratique promue par les États-Unis65. Aussi, après l’instauration de régimes socialisants en Algérie puis en Syrie, qui viennent s’ajouter à ceux en vigueur en Égypte, en Yougoslavie et en Albanie, la Méditerranée des années 1960 est plus que jamais perçue à Washington comme un espace par excellence de la stratégie d’endiguement des idées révolutionnaires, d’où l’incompréhension à l’égard des orientations gaulliennes.
54Si une partie de l’historiographie anglo-saxonne a pu entretenir cette image d’un De Gaulle en rupture avec la solidarité transatlantique, l’inscription des initiatives françaises dans le débat franco-américain sur la stratégie de dissuasion prouve pourtant que le retrait des instances navales de l’OTAN ne signifie pas que le Général réprouve la stratégie du containment en Méditerranée. Au contraire, plusieurs indices tendent à démontrer que, dans ces années 1963-1964, il y contribue pleinement, d’abord en conférant un tour concret au programme qu’il défend auprès de la Grèce et de la Turquie : le désengagement vis-à-vis des organes otaniens – qui connaît son aboutissement en mars 1966 – fait de la force de frappe française un élément fondamental de la sécurité européenne en ce que cette dernière maintient un seuil de tolérance extrêmement faible à l’égard de toute menace envers le flanc sud de l’Alliance atlantique, en particulier dans la zone de contact Est-Ouest que sont les Balkans et l’Asie mineure, où le risque de crise est important. Le passage de l’intégration à la coopération se traduit par la mise en place des Missions militaires françaises (MMF) et des Officiers français de liaison (OLF) auprès des instances de l’OTAN en Méditerranée. En mer, les changements ne sont en réalité guère perceptibles : les exercices navals que la France mène avec ses alliés se poursuivent sans que la VIe Flotte et le commandement allié n’aient à se plaindre de la qualité de sa contribution.
55Mieux, et c’est un autre indice de leur participation au containment en Méditerranée, les Français jouent un rôle de premier plan en matière de collecte de renseignements pour le compte de l’OTAN dans la partie occidentale du bassin, notamment au Maghreb, où ils gardent une position privilégiée, le gouvernement de Georges Pompidou cherchant à ériger ses relations postcoloniales avec l’Afrique du Nord en modèle d’interaction du monde occidental avec le Tiers Monde66. Dans ce cadre, l’Algérie bénéficie d’un traitement de faveur qui transparaît dans les efforts de Paris pour faire en sorte qu’elle continue de profiter des avantages du Marché commun après 196267. Le fait que la France conserve dans ce pays des intérêts stratégiques – les puits de pétrole, les centres d’essais nucléaires notamment – n’est pas étranger à ce choix. Après avoir longtemps hésité en raison des nombreux contentieux qui persistent entre les deux pays, Pompidou accepte en février 1963 de compléter l’assistance financière, technique et culturelle à l’Algérie, prévue par les accords et déclarations d’Évian, par une aide militaire destinée à l’épauler dans le développement de son armée, comme la France le fait en Tunisie et au Maroc depuis 1956. Six détachements d’assistance technique militaire (gendarmerie, service de santé, génie, intendance, cavalerie et service vétérinaire) sont mis à la disposition d’Alger dans le cadre de la Mission de Liaison et de Coopération (MLC) créée en juillet 1962 et directement subordonnée à l’ambassade de France68. Ils jouent un rôle fondamental dans la formation des militaires et l’organisation du commandement algériens.
56L’armée française est aussi présente en Algérie par le biais des attachés militaires auprès de l’ambassade et des militaires stationnés dans les centres d’essais atomiques du Sahara. Du fait de sa couverture du territoire algérien, elle est en capacité de recueillir quantité de renseignements sur l’état du pays et sur les liens de l’Algérie avec le bloc de l’Est et le Tiers Monde. C’est précisément ce qui intéresse les Américains, inquiets que le matériel militaire de l’Algérie soit principalement d’origine soviétique, ce qui, selon eux, permettrait à Moscou de téléguider la doctrine militaire algérienne et d’en faire un instrument de l’influence soviétique en Méditerranée. Ce risque justifie largement la poursuite d’une solide collaboration de la CIA avec les militaires français, révélant une certaine convergence d’approche quant aux dangers que les affinités diplomatiques algériennes pourraient faire courir au monde occidental.
57Il faut dire qu’au lendemain de la guerre d’Algérie, la vision que l’armée française développe des relations internationales en Méditerranée demeure largement ancrée dans la logique de guerre froide. Au sein de l’Armée de l’Air en particulier, dirigée jusqu’en 1963 par le très atlantiste général Paul Stehlin, il faut du temps à l’état-major pour se départir d’une matrice forgée par les guerres de décolonisation et par la lutte contre des mouvements indépendantistes se réclamant du marxisme ou du socialisme arabe et appuyés par la Chine ou l’URSS. Cela est d’autant plus vrai qu’en 1963 les militaires français en Algérie assistent à l’accélération de l’expérience socialiste lancée par Ben Bella et au renforcement des liens de celui-ci avec Khrouchtchev, Castro et Nasser69. Les choix de la diplomatie algérienne justifient en grande partie le rapprochement de l’armée française avec les « cold warriors » méditerranéens les plus fervents. C’est le cas notamment avec l’Espagne franquiste, avec laquelle la coopération s’est développée à partir de 1959 dans le cadre du conflit algérien et dont la défense est en grande partie entre les mains des Américains. Après les accords d’Évian, les échanges de renseignements entre les armées de l’Air française et espagnole à propos du Maghreb demeurent réguliers et font l’objet d’un accord bilatéral le 27 juin 1963. Il s’agit, pour la France, de « compenser, dans une certaine mesure, la perte des stations de défense aérienne d’Afrique du Nord70 ». Un protocole est également signé pour que les forces aéronavales françaises puissent utiliser l’aérodrome de Gando, aux Baléares, en temps de guerre. Dans le dossier qui figure dans les archives du Service historique de la Défense, le protocole est justifié par le seul argument de la menace soviétique71.
58De Gaulle lui-même considérant en 1963 que c’est par la voie aéroterrestre que l’URSS est susceptible de s’en prendre aux intérêts français en Méditerranée72, la visée antisoviétique du rapprochement militaire entre Paris et Madrid, constamment soulignée par Franco, est assumée par la partie française. L’ambassadeur à Madrid Robert de Boisséson, bon connaisseur du monde arabe (il a auparavant été en poste à Tunis, Tanger et Beyrouth), approuve ainsi sans sourciller l’idée de Franco selon laquelle, dans la mesure où la sécurité de la France et de l’Espagne se joue en Afrique du Nord, « front arrière de l’Europe », les accords bilatéraux de défense visent à éviter que « des idéologies venues de l’Orient [le socialisme et sa déclinaison nassérienne] ne s’y installent73 ». Au-delà des considérations idéologiques et sécuritaires, donner leur approbation aux analyses réactionnaires du caudillo permet également aux Français de promouvoir vers l’Espagne leurs conceptions de la coopération occidentale en Méditerranée et, comme auprès de leurs partenaires du flanc sud de l’OTAN, de se présenter comme une alternative aux Américains : les États-Unis n’ont pas le monopole de la défense de l’Occident contre le communisme74. Dans ce cadre, l’échange d’informations sur la circulation des experts et des armes du bloc de l’Est vers le Sud apparaît indispensable pour empêcher que le Maroc et la Tunisie soient contaminés par l’expérience algérienne.
59Le renseignement militaire joue de fait un rôle essentiel dans la persistance de l’esprit de guerre froide après 1962. On le voit à travers les rapports transmis par les attachés militaires en poste dans les ambassades méditerranéennes75 – Algérie, Égypte, Syrie, Chypre, Espagne – mais aussi dans les nombreuses notes produites par le Centre d’exploitation du renseignement, dirigé par le général Fourquet, général de corps aérien dont le rôle dans l’échec du putsch d’Alger en 1961 a été déterminant. Fidèle à de Gaulle, qui le nomme en juillet 1962 secrétaire général de la défense nationale française, Fourquet s’inquiète particulièrement de l’accueil très favorable réservé par Ben Bella au projet khrouchtchévien de dénucléarisation de la Méditerranée et craint que la propagande soviétique finisse par trouver un écho à travers le bassin, ce qui pourrait délégitimer le volet maritime de la dissuasion américaine et favoriser le découplage transatlantique76.
60Les appréhensions liées aux orientations diplomatiques algériennes ne sont cependant pas l’apanage des militaires et sont partagées par d’autres acteurs de la présence française en Algérie, à commencer par une partie des coopérants sur place et par leur ministère de tutelle, le Secrétariat d’État aux Affaires algériennes, qui jusqu’à sa suppression en 1966 est dirigé par Jean de Broglie, ancien négociateur des accords d’Évian. Ce dernier travaille par exemple main dans la main avec le Département d’État américain pour empêcher en 1963 l’ouverture d’une ligne aérienne Moscou-Alger-La Havane destinée à faire de l’Algérie la plaque tournante du socialisme international et à affaiblir le blocus imposé au régime de Fidel Castro (en faisant escale en Afrique du Nord, les Tupolev soviétiques pourraient plus facilement et plus régulièrement desservir Cuba)77.
61De fait, si de Gaulle ferme les yeux sur les nouvelles orientations diplomatiques de l’Algérie et les livraisons d’armes soviétiques afin de crédibiliser sa politique d’ouverture sur le Tiers Monde, l’état d’esprit qui prévaut en 1963 chez les acteurs impliqués dans la coopération avec Alger montre qu’il convient de nuancer la bienveillance française. La diplomatie gaullienne comprend l’avantage qu’elle peut tirer du rapprochement soviéto-algérien pour promouvoir sa conception de l’alliance entre puissances occidentales en Méditerranée. En démontrant qu’elle joue le jeu de la solidarité atlantique dans cette partie du bassin dont elle est historiquement et géographiquement familière, la France prouve aux États-Unis que le modèle de coopération dont elle se fait la championne au sein de l’OTAN n’entame en rien la sécurité de l’Europe et de son environnement immédiat. En dépit de relations politiques franco-américaines glaciales, surtout après le camouflet infligé par Kennedy au partenariat franco-allemand à la suite de la signature du traité de l’Élysée en 1963, Paris et Washington continuent de travailler ensemble sur le flanc sud selon une logique qui relève clairement du containment.
62Ainsi les mois qui suivent la fin de la guerre d’Algérie et la crise de Cuba constituent un moment à la fois ambigu et fondateur pour la France en Méditerranée. Promotrice d’une vision renouvelée de la coopération occidentale qui tend à compenser les faiblesses des garanties américaines, elle consolide son dispositif méditerranéen de sécurité en prenant soin de le soustraire aux risques que comporte la bipolarisation de la Grande bleue et en privilégiant le scénario d’une menace soviétique aéroterrestre avant tout. Cela passe par la disparition des dernières reliques de l’intégration atlantique en Méditerranée, par un rapprochement avec ses partenaires sud-européens mais aussi par une redéfinition des priorités dans les missions assignées à l’armée, qui apparaît comme le contrepoids de l’influence américaine ou soviétique selon qu’il s’agisse des rives nord (Grèce, Turquie, Espagne) ou sud (Algérie en premier lieu). À compter de la deuxième moitié de l’année 1963 cependant, l’évolution du contexte global, le développement de la présence navale de l’URSS et une série de crises locales amènent progressivement de Gaulle à considérer que le dépassement de la logique bipolaire et l’affirmation des nations sont plus nécessaires que jamais et que les conditions sont réunies pour y parvenir.
Pour un dépassement des blocs en Méditerranée : acteurs et outils d’un dessein régional aux accents globaux
63Les historiens des relations internationales ont mis en évidence la multitude de facteurs qui, à partir de 1963, conduisent le général de Gaulle à conférer une dimension globalisante à sa politique extérieure : la fin de la guerre d’Algérie, la crise de Cuba et les déconvenues transatlantiques, franco-allemandes et européennes (échec du plan Fouchet, crise de la MLF, crise de la « chaise vide ») constituent les premiers de ces facteurs78. L’objectif est alors de permettre à la France de recouvrer un crédit et un rayonnement internationaux que les guerres de décolonisation ont très largement entamés, de poser les fondements d’un dépassement de la division idéologique du monde entre capitalisme et communisme – que de Gaulle considère comme une « anomalie historique » – et de parvenir à un règlement de la question allemande grâce à une entente paneuropéenne menée par la France et l’URSS. La main tendue au Kremlin, la reconnaissance de la Chine populaire, l’essor des liens avec le Tiers Monde et la sortie du commandement intégré de l’OTAN sont les principales manifestations de cette politique globale.
64Toutefois, si de nombreux travaux ont montré que ce milieu des années 1960 correspond aussi au renouveau de la politique arabe de la France79, le bassin méditerranéen a rarement été pensé comme un cadre privilégié de la réorientation des objectifs français. Or, recouper les axes Est-Ouest et Nord-Sud du processus de réaffirmation d’une certaine spécificité française sur la scène internationale révèle d’une part combien la Méditerranée se situe au cœur de la stratégie gaullienne et d’autre part à quel point la question des relations avec les pays arabes et méditerranéens n’est que la composante d’une politique multiscalaire qui prend un sens particulier une fois inséré dans le contexte de guerre froide. Ce recoupement permet également de mettre en évidence les ambiguïtés de la diplomatie française et la diversité des positionnements de ceux qui la servent.
Fondements et objectifs de la doctrine gaullienne
65L’analyse par le sud des transformations de la politique extérieure française après 1963 permet un premier constat : autant que les facteurs européens et transatlantiques, les événements méditerranéens des années 1963-1964 jouent un rôle clé dans la décision du Général de mettre en œuvre sa vision globale. En quelques mois, trois crises – au Proche-Orient, à Chypre et au Maghreb – viennent confirmer les craintes exprimées par de Gaulle pour justifier son choix de baser les futurs SNLE français dans l’Atlantique plutôt qu’en Méditerranée : elles cristallisent l’opposition soviéto-américaine d’un bout à l’autre du bassin via l’enracinement des deux Grands auprès de leurs clientèles locales et donnent à celui-ci l’aspect « souricière » entrevu par le Général. En ce sens, elles participent de l’élaboration d’une véritable doctrine française de la gestion des crises Est-Ouest en Méditerranée.
66Il faut dire que les schémas d’internationalisation de chacune des trois crises sont identiques : à une conflictualité de dimension locale vient se superposer une logique bipolaire.
67Au Proche-Orient, l’intervention armée égyptienne, fin 1962, aux côtés de la République arabe yéménite proclamée par des officiers admiratifs du régime nassérien contre le régime monarchique, conduit le Congrès des États-Unis à menacer de suspendre ses livraisons de blé à l’Égypte si Nasser ne se retire pas du Yémen. Le risque, pour les Américains, est qu’une instabilité durable de ce pays empêche le bon ravitaillement de l’Europe en pétrole80. Refusant de céder au chantage, le Raïs se tourne vers Khrouchtchev qui, en mai 1964, se rend sur les bords du Nil pour célébrer l’achèvement du barrage d’Assouan et, indirectement, la création à Jérusalem de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP). Furieux de la mise à sac du bureau cairote de l’US Information Agency par une foule en colère, Lyndon Johnson gèle les exportations de grains en décembre81. La surenchère se poursuit durant les deux années qui suivent, renforçant un peu plus la guerre froide en Méditerranée orientale : Nasser multiplie les commandes de matériel militaire auprès de Moscou et, humiliation suprême pour Washington, invite le Viêt-Cong à ouvrir une ambassade au Caire. L’arrivée au pouvoir d’Hafez el-Assad à Damas en février 1966 n’arrange pas les choses : le parti Baas, qui prône le socialisme d’État et le nationalisme arabe, conclut immédiatement un accord d’armement avec l’URSS et reçoit ainsi des centaines de chars soviétiques et tout un escadron de MIG-21. Le cercle vicieux se referme lorsque Johnson décide de resserrer les liens avec Israël pour en faire un pilier du système de sécurité américain au Moyen-Orient. Les ventes massives de chars et d’avions à l’État hébreu débutent dès 1965.
68Au Maghreb, c’est le conflit entre l’Algérie de Ben Bella et la très conservatrice monarchie marocaine à propos du tracé de leur frontière saharienne – la guerre des Sables du 14 octobre au 2 novembre 1963 en constitue le paroxysme – qui donne l’occasion aux deux Grands d’accroître leur pénétration dans la région. Là encore, l’action de Nasser est décisive. Alors qu’en 1963 le nationalisme arabe cherche à reprendre des couleurs avec le double coup d’État baasiste en Syrie et en Irak et la tentative égyptienne de refonder la RAU par un rapprochement avec ces deux pays, le Raïs établit un pont aérien entre Le Caire et Alger et permet aux Algériens de bénéficier de davantage de matériel militaire soviétique ; cela vient compléter la signature, au même moment, d’un protocole de coopération militaire soviéto-algérien. En réaction, le roi Hassan II, mais aussi le président tunisien Habib Bourguiba, qui craint l’encerclement (Nasser a des visées sur la Libye, alors dominée par les intérêts anglo-saxons), décident de faire appel à l’aide occidentale82. À partir du milieu de la décennie, les États-Unis installent des bases de radar et de télécommunications dans le sud tunisien et réactivent d’anciennes bases au Maroc tout en consolidant leur présence en Libye83.
69Enfin, à Chypre, indépendante du Royaume-Uni depuis 1960, le blocage institutionnel provoqué par le refus des communautés grecque et turque d’avaliser les propositions provenant de la partie adverse suscite des violences dans l’île à partir de décembre 1963, après que l’archevêque-président Makarios ait dénoncé un équilibre des pouvoirs trop défavorable à la majorité grecque. L’affaire ravive les tensions entre Athènes et Ankara et conduit le gouvernement britannique d’Alec Douglas-Home à proposer le déploiement d’une force d’interposition otanienne à Chypre. L’idée, agréée par Johnson, déclenche l’ire de Khrouchtchev, qui prévient les Occidentaux qu’il ne tolérera pas une intervention de l’OTAN dans un pays indépendant et, qui plus est, non aligné. Dès lors, les deux Grands renforcent leur présence militaire autour de Chypre ; à partir de 1966, des armes tchécoslovaques sont livrées à Makarios84.
70La convergence de ces trois conflits vers une même logique bipolaire confère une forme d’unité à la Méditerranée, du moins en ce qui concerne les perceptions : à Washington et à Moscou, comme dans chaque capitale du pourtour méditerranéen, le bassin est désormais vu comme un espace à part entière de l’affrontement entre les blocs. La concomitance de ces événements affecte durablement la pensée de De Gaulle, qui réalise à ce moment-là l’extrême dangerosité de la situation : tandis que les deux Grands ont pris conscience du risque de troisième guerre mondiale que peut susciter une crise le long du rideau de fer – les deux crises de Berlin ont provoqué des sueurs froides des deux côtés – ils peuvent se sentir plus libres d’agir à leur guise dès lors que les troubles surviennent sur les marges extra-européennes de la guerre froide. Sauf que la Méditerranée est trop intégrée au système de défense de l’OTAN et de l’URSS pour que les crises qui s’y déroulent soient sans conséquence immédiate sur la sécurité européenne.
71L’objectif qui se dessine chez de Gaulle, à travers son attitude dans les trois conflits proche-oriental, maghrébin et chypriote, consiste donc à freiner autant que possible la bipolarisation en agissant auprès de chacun des acteurs impliqués dans ce processus. Le diagnostic qu’il pose est à cet égard limpide : à ses yeux, les premiers responsables de cette situation sont les Anglo-Saxons, et en particulier les Américains, dont le Général pointe du doigt l’incapacité à lire les rapports internationaux autrement qu’à travers les œillères de la guerre froide. Pour lui, l’implication directe des États-Unis ou de l’Alliance atlantique dans les affaires d’un pays non-aligné ne peut qu’inciter l’URSS à se saisir de l’occasion pour déclencher une crise Est-Ouest qui pourrait tourner à la catastrophe85. D’où le fait qu’il s’oppose systématiquement à toute intervention française aux côtés de Washington : c’est le cas au Maghreb, où de Gaulle refuse de prendre parti pour l’un ou l’autre des belligérants en dépit des demandes pressantes d’Hassan II et Bourguiba, mais surtout à Chypre, où il perçoit l’idée de mobiliser l’OTAN comme la pire des solutions, dans la mesure où elle encouragerait Khrouchtchev à se mêler de l’affaire.
72Car en effet, de Gaulle est persuadé que les Soviétiques, eux, sont pragmatiques : pour tisser leur toile dans le bassin, ils saisissent les opportunités qui s’offrent à eux en se posant en protecteurs de ceux qui les appellent, à l’instar de Nasser, Ben Bella et Makarios. Les documents diplomatiques de la période gaullienne accréditent ainsi la thèse « opportuniste » défendue par des historiens comme Vladislav Zubok et Melvyn Leffler sur les intentions du Kremlin, et qui va à l’encontre d’une historiographie plus classique pour laquelle la déstabilisation chronique du Moyen-Orient et de l’Afrique aurait été un objectif permanent des dirigeants soviétiques. Les archives du MID montrent que ce n’est pas le cas et que le renversement de Khrouchtchev en octobre 1964 a même pour objectif de prévenir toute nouvelle tentative de l’impétueux Premier secrétaire de se lancer dans une aventure risquée. La politique étrangère de l’URSS telle qu’elle est reprise en main par les membres du Présidium – renommé Politburo en 1966 – du Comité central du PCUS que sont le président du Conseil des ministres Alexis Kossyguine, le chef de l’État Nikolaï Podgorny et l’idéologue Mikhaïl Souslov au milieu des années 1960 privilégie la stabilité Est-Ouest pour mieux se concentrer sur la menace chinoise et sur son influence au sein du mouvement communiste international86, le schisme sino-soviétique atteignant un point de non-retour en juillet 1963 après la visite à Moscou d’une délégation conduite par Deng Xiaoping87.
73De Gaulle a parfaitement saisi la portée de cette rupture à l’heure où le Tiers Monde prend son essor à la suite des indépendances africaines. À ses yeux, l’obsession du Kremlin pour la Chine et son souci d’assurer ses arrières face à un éventuel conflit contre Pékin sont tels qu’ils l’obligent à profiter de chaque opportunité susceptible d’avancer ses pions au détriment des Chinois ; cela est vrai dans le monde arabe et dans les Balkans plus qu’ailleurs en raison du rayonnement des non-alignés régionaux, de leur désir de tirer le meilleur parti de l’opposition des puissances et de l’importance stratégique du bassin méditerranéen pour la sécurité du territoire soviétique88. Khrouchtchev et ses successeurs ont notamment besoin d’un pays pivot comme l’Algérie pour relayer vers le Sud la bonne parole soviétique et empêcher que les « thèses démagogiques » chinoises ne se répandent dans le Tiers Monde89. Car les Français le reconnaissent90 : Alger fait alors figure de « Mecque de la Révolution », le gouvernement de Ben Bella cherchant à développer une politique étrangère conforme aux idéaux du Tiers Monde. L’Algérie joue ainsi un rôle clé dans la création de l’Organisation de l’Unité africaine (OUA) en mai 1963, de même qu’elle apporte un soutien diplomatique et militaire aux groupes révolutionnaires en Afrique du Sud, en Afrique du Sud-Ouest (Namibie), en Angola, au Cameroun, au Congo-Léopoldville, en Guinée portugaise, au Mozambique et au Niger91. Elle devient le point de rencontre des révolutionnaires du monde entier, y compris après la chute de Ben Bella en 1965 et son remplacement par Houari Boumediene.
74En ce sens, pour de Gaulle, l’émergence du Tiers Monde et l’image très positive de Pékin dans les nouveaux États indépendants sont à double tranchant. Elles peuvent, d’une part, constituer une chance dans la mesure où elles impliquent une diversification des acteurs internationaux dont les puissances sont obligées de tenir compte92. La reconnaissance de la République populaire de Chine en 1964 est ainsi pensée par de Gaulle comme une façon d’admettre son rôle de pôle d’équilibre et en même temps de légitimer les bonnes intentions françaises envers le Sud en jouant la carte de la fragmentation du monde communiste. Les Chinois renouent d’ailleurs avec la France pour la même raison : ils la perçoivent comme un tremplin vers les pays africains et arabes93.
75Le Général est conscient d’autre part que l’essor de ces acteurs représente aussi un danger du fait de la propension des pays du Sud à tirer un profit risqué de la compétition entre les Grands.
76En l’occurrence, la responsabilité que de Gaulle attribue aux acteurs locaux dans le processus de bipolarisation du bassin est aussi grande que celle qu’il confère aux Américains. Pour lui, le fait que Nasser, Ben Bella et Makarios se tournent vers l’URSS et que la Tunisie et le Maroc lorgnent vers les États-Unis en dit long sur le crédit à prêter au non-alignement, un concept tout simplement pas viable à ses yeux. À la différence du Département d’État américain et de la CIA qui le considèrent comme une forme de complaisance à l’égard des pays communistes, il est convaincu que ses adeptes sont trop différents les uns des autres pour que le mouvement qui s’en revendique ait une quelconque cohésion94. Le non-alignement est de fait mis sur le même plan que les autres idéologies : tout comme « la Russie boira le communisme95 », il est voué à disparaître au profit de la seule chose qui compte, les États. En bref, il est un outil purement politique, une forme d’idéalisme international que la France doit mettre au service de sa realpoltik.
77Il en va de même pour ce qui est de sa principale déclinaison méditerranéenne, le nationalisme arabe, dont de Gaulle estime qu’il n’a pas vocation à s’imposer comme un acteur durable des relations internationales. La preuve, dit-il à Alain Peyrefitte, « Nasser et Ben Bella ne se comprennent pas, il leur faut un interprète ! Le panarabisme, c’est de la blagologie96 ». Certes le Général reconnaît devant le roi Hussein de Jordanie que les Arabes « sont de la même race », mais il y a parmi eux « des réalités particulières et nationales97 ». Une fois de plus, les nations priment. Il en est d’autant plus conscient qu’il reste marqué par son expérience au Liban pendant l’entre-deux-guerres, où il a été un témoin direct du processus de construction des nations arabes après la dissolution de l’Empire ottoman.
78Mais la défiance de De Gaulle à l’égard des défenseurs du non-alignement et du nationalisme arabe repose surtout sur le risque qu’ils font courir à la sécurité internationale : s’il ne croit pas à l’idée qu’ils puissent rejoindre l’un ou l’autre des deux blocs, il craint que le piège des alliances et des clientèles locales dans lequel s’enferment les Américains et les Soviétiques ne les conduise un jour à devoir s’affronter directement98.
79Par conséquent, l’objectif visant à freiner le processus de bipolarisation des conflits se décline à partir de 1964 en trois orientations principales qui vont par la suite guider la politique méditerranéenne de la France. Il s’agit d’une part d’offrir aux pays du bassin une alternative aux deux Grands en leur prouvant que la France peut constituer un partenaire tout aussi crédible sur le plan de l’aide militaire et économique ; l’usage à bon escient du non-alignement méditerranéen comme outil de communication diplomatique permettrait en outre d’accroître l’aura française sur tous les continents. Il convient d’autre part de convaincre les Américains et les autres alliés de l’OTAN de la nécessité de ne pas tout considérer sous l’angle de l’opposition Est-Ouest. Il importe enfin de travailler de concert avec l’URSS pour poser les bases d’une gestion paneuropéenne des crises qui rendrait vaine toute tentative d’un pays de la région d’user de la bipolarité pour parvenir à ses fins et, en même temps, affaiblirait la doctrine non-alignée99.
80En bref, il s’agit pour la France de continuer à servir les intérêts de l’Ouest tout en se démarquant de la vision américaine. Pour crédibiliser cette posture d’« autre Occident », de Gaulle sait qu’il a besoin de relais capables de porter sa vision tout autour de la Méditerranée, à Moscou et à Washington.
Les relais de la politique gaullienne
81Avec les crises des années 1962-1964 et la volonté gaullienne de diffuser en Méditerranée sa vision du dépassement des blocs, et après des années de torpeur diplomatique du fait de la rupture des relations des pays arabes et de la Yougoslavie avec Paris, les ambassades de France du bassin acquièrent une importance nouvelle aux yeux du Général. En deux ans, la quasi-totalité des ambassadeurs en poste dans les pays du pourtour méditerranéen sont renouvelés, de Gaulle intervenant personnellement dans le choix des personnalités que lui soumet Maurice Couve de Murville100, lui-même particulièrement attentif à cette région du monde101.
82Si le corps diplomatique a pour mission première de représenter et de défendre les intérêts de son pays à l’étranger, le fondateur de la Ve République souhaite surtout qu’il contribue à redorer le blason de la France et que les ambassadeurs soient les promoteurs en chef de la lecture française des relations internationales. De Gaulle choisit donc des hommes de confiance capables de ne pas s’éloigner de la ligne officielle ; il les reçoit systématiquement avant leur départ et leur donne ses instructions, faisant d’eux ses émissaires personnels102.
83Le poids de la Seconde Guerre mondiale comme révélateur du degré de loyauté envers le chef de l’État est fondamental dans les choix qu’il fait : outre leur âge – nés entre 1899 et 1915, ils sont, pour un certain nombre, en fin de carrière – le principal point commun de dix des dix-sept ambassadeurs français nommés en Méditerranée entre 1962 et 1964 est leur révocation par le régime de Vichy peu après l’armistice avec l’Allemagne nazie en juin 1940. C’est le cas par exemple de Jacques Baeyens, nommé à Athènes en mars 1964, de Bernard Dufournier, affecté à Tripoli en février 1963, ou encore de Robert Gillet, en poste à Rabat à partir de février 1965.
84Au Levant et au Maghreb, ce sont d’anciens membres des Forces françaises libres, tous très bons connaisseurs du monde arabe, qui sont chargés de représenter la France, qu’il s’agisse de François Charles-Roux à Damas, de Pierre-Louis Falaize à Beyrouth, de Jean Sauvagnargues à Tunis ou de Georges Gorse à Alger. Ce dernier, rallié à de Gaulle dès juin 1940, bénéficie, de la part du Général, d’une confiance toute particulière que ses différentes fonctions pendant la Seconde Guerre mondiale et sous la IVe République – représentant de la France libre en Égypte, sous-secrétaire d’État aux affaires musulmanes (1946) puis à la France d’outre-mer (1949), ambassadeur à Tunis en 1957 – n’ont fait que renforcer, faisant de lui l’homme de la situation pour accomplir la très délicate mission de recoller les morceaux de la relation franco-algérienne.
85Si le passé résistant de ces hommes accroît la valeur symbolique du message d’insoumission à l’ordre international porté par de Gaulle, on note une exception à ce schéma idéal : Jacques Roux, ambassadeur au Caire, qui, selon l’Annuaire diplomatique et consulaire, n’a pas quitté le Quai d’Orsay pendant la période 1940-1944. Il a pourtant la lourde tâche, avec François Charles-Roux et l’ambassadeur à Belgrade Jean Binoche, de donner un tour concret aux rapports de la France avec les chefs de file du non-alignement méditerranéen et de créer l’illusion d’un soutien français à ce mouvement.
86À ce titre, et en dépit du scepticisme gaullien quant à la ressemblance revendiquée des régimes socialistes balkaniques et arabes, le profil des personnalités françaises affectées dans les Balkans montre à quel point cette zone est pensée à Paris comme un marchepied vers le reste de la Méditerranée plus encore que vers l’Europe. Ainsi, les représentants qui y sont désignés par l’Élysée et le Quai d’Orsay sont tous issus de l’ancienne administration coloniale, celle du Maghreb et du Levant notamment. C’est le cas de Louis Pons à Bucarest – affecté à la résidence générale de France au Maroc de 1933 à 1942 puis de 1947 à 1954 –, d’Henri Mazoyer à Sofia – au Maroc de 1930 à 1946, puis en 1950-1951 et 1954-1955 –, de Pierre Gorce à Tirana – ancien haut-commissaire au Cambodge et directeur de l’Institut des Hautes études d’Outre-Mer –, de Jean Binoche en Yougoslavie – véritable archétype du haut-fonctionnaire colonial, il a accumulé les postes liés à la gestion tutélaire du Levant et du Maghreb dans les années 1930 et 1940103 – ou encore de Bernard Hardion à Ankara, alors l’un des doyens du Quai d’Orsay – il a été en poste à la résidence générale au Maroc dans les années 1920 et pendant la Seconde Guerre mondiale, ainsi que chargé de missions auprès de l’Égypte, du Liban, de la Syrie et de la Turquie en 1943.
87Ces nominations sont l’occasion de faire d’une pierre deux coups : d’une part, elles permettent de réaffecter des personnels qui, souvent diplômés de l’École nationale des langues orientales vivantes ou de l’École nationale de la France d’Outre-Mer, ont une excellente connaissance des enjeux méditerranéens, mais dont la présence dans des États issus de l’ancien empire colonial français enverrait un très mauvais signal ; d’autre part, elles sont une manière de laisser entendre aux dirigeants des Balkans que la France est sensible à la communauté d’intérêts qui unit les pays de la Méditerranée, qu’elle reconnaît les aspirations de Tito à parler au nom des non-alignés du bassin et qu’elle tient compte du discours à la fois tiers-mondiste et anti-blocs qui se développe au milieu des années 1960 en Albanie, en Roumanie et en Turquie.
88Aidés par les coups d’éclat diplomatiques du général de Gaulle, en particulier sa dénonciation tous azimuts de l’engagement américain au Vietnam, les ambassadeurs de France de la partie orientale du pourtour méditerranéen accomplissent leur mission avec un certain brio et deviennent des acteurs incontournables de la vie diplomatique des capitales où ils sont en poste. Dès 1965, l’amélioration des relations avec Le Caire, Belgrade ou Damas est spectaculaire, tranchant avec la morosité persistante des rapports avec la Tunisie et le Maroc, avec lesquels les contentieux restent importants et dont la propension à s’en remettre de plus en plus aux Américains agace l’Élysée104. Nasser, Tito et le président syrien Amine al-Hafez voient en la France une non-alignée en puissance, soucieuse de parler avec tout le monde, soutenant et favorisant les velléités nationales des peuples du Sud et renvoyant dos à dos les tentations hégémoniques des deux Grands. L’aura que lui procure l’illusion du non-alignement permet ainsi à la France de ne plus subir les récriminations du Tiers Monde à propos de ses essais nucléaires dans le Sahara et de promouvoir ses intérêts économiques et culturels à travers tout le bassin méditerranéen. L’engouement des non-alignés pour de Gaulle a notamment un effet bénéfique sur ses relations avec l’Algérie. À partir de 1964, Ben Bella se montre plus coopératif à l’égard de la France en ce qui concerne les hydrocarbures algériens, dont la prospection et l’extraction ont été développées par les ingénieurs français avant 1962 sans que Paris n’ait le temps d’en récolter les fruits105. Le gouvernement de Boumediene mène à leur terme les discussions en 1965, en échange de l’engagement de De Gaulle à poursuivre son assistance économique à l’Algérie, soit 22 % de l’aide de la France au Tiers Monde entre 1962 et 1969106.
89Il n’est pas étonnant, dans ce contexte, que les ambassades de France à Belgrade, au Caire, à Damas ou à Alger soient soumises à une pression permanente des chancelleries locales dans le but d’obtenir l’organisation de rencontres à haut niveau qui permettraient d’incarner physiquement l’apparente proximité de vues entre Paris et les non-alignés du bassin.
90Si cette persévérance ne porte ses fruits qu’à moitié, c’est parce que le malentendu est réel. Malgré leur insistance, de Gaulle refuse de s’afficher publiquement aux côtés de Ben Bella107, reçu secrètement au château de Champs-sur-Marne, de Tito, qui doit se contenter d’une correspondance écrite, et, surtout, de Nasser : les recevoir en personne serait envoyer un signal extrêmement négatif aux États-Unis et reviendrait à accréditer le discours de plus en plus anti-occidental du chef de l’État égyptien, ce qui montre combien, en dépit de l’image qu’elle renvoie, la politique gaullienne a pour objectif premier de garantir la sécurité de la France certes, mais aussi du bloc de l’Ouest. Il faut dire que le Raïs a encore mauvaise presse chez les dirigeants et diplomates français, dont certains, marqués par le souvenir de Suez, de l’Algérie et du rôle qu’y a joué Nasser, demeurent circonspects à l’égard de ses intentions.
91C’est particulièrement le cas au sein de la direction d’Afrique-Levant du Quai d’Orsay – chargée de veiller à la cohérence de l’action de la France dans la région – où un fort sentiment anti-Nasser se mêle à un solide attachement à l’OTAN et à la construction européenne ainsi qu’à une défiance prononcée vis-à-vis de l’URSS. Si cette posture laisse supposer des désaccords fréquents de la direction avec le pouvoir gaulliste, il est aussi probable que la nomination de Jean-Marie Soutou, ancien directeur adjoint au cabinet de Pierre Mendès-France, à la tête d’Afrique-Levant ait précisément pour objectif de personnifier la détermination française à ne pas céder aux sirènes du tiers-mondisme. Preuve en est que le chef de ce courant atlantiste et européiste, Jean Laloy, excellent connaisseur de l’URSS, parfait russophone, ancien directeur d’Europe et ancien directeur adjoint des Affaires politiques, devient conseiller diplomatique du gouvernement en 1964, en dépit de ses réticences à l’égard de la politique d’ouverture à l’Est. C’est un autre représentant de cette tendance, Henri Froment-Meurice – dont la mission de chargé d’affaires au Caire consiste à rétablir les relations avec l’Égypte avant la nomination de Jacques Roux – qui annonce la couleur dès 1963 : Nasser pratique la « politique du sourire » envers la France car il attend de l’aide technique et des crédits commerciaux108. Il agit aussi par nécessité linguistique dans le but d’influencer l’Afrique francophone. Certes il voit dans la politique gaullienne anti-blocs un écho à sa propre politique étrangère, mais, toujours selon Froment-Meurice, il ne faut pas se faire d’illusion : à la moindre crise concernant les deux zones où les intérêts français et égyptiens peuvent se heurter – Israël et l’Afrique du Nord – la France sera de nouveau et sans vergogne vilipendée par Le Caire.
92Cette inquiétude permanente, entretenue par le rapprochement de l’URSS avec l’Égypte, la Syrie et l’Algérie, justifie les relations étroites de Soutou avec ses homologues du Département d’État américain et du Foreign Office, et ce alors que les relations de la France avec les États-Unis et le Royaume-Uni demeurent glaciales au plus haut niveau politique. Les entretiens bilatéraux avec Londres et Washington à propos des activités soviétiques et égyptiennes en Méditerranée révèlent une remarquable communauté de vues qui se manifeste notamment à travers le constat partagé selon lequel l’objectif de l’URSS et des nationalistes arabes est d’empêcher les Occidentaux d’exploiter et d’importer les hydrocarbures du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord109. Cette conviction, on l’a vu, est au cœur de la doctrine américaine du containment, ce qui explique la volonté du général de Gaulle de ne pas laisser à la direction d’Afrique-Levant les commandes de la politique méditerranéenne de la France tout en l’utilisant pour maintenir un haut degré de coopération avec les Anglo-Saxons.
93Le malentendu entre Paris et les non-alignés est quoi qu’il en soit patent et il est difficile de déterminer si les représentants de la France sont chargés de l’entretenir (afin de ne pas compromettre l’essor de l’influence française dans la région) ou de le dissiper (pour éviter les désillusions futures). De Gaulle semble lui-même cultiver l’équivoque lorsqu’il reçoit à l’Élysée le maréchal Amer, vice-président de l’Égypte, et le Docteur Makhos, ministre des Affaires étrangères de Syrie, les plus hauts représentants de ces pays qu’il accepte d’accueillir. Si ces visites constituent autant d’occasions pour les principaux partenaires arabes de l’URSS d’encenser l’« excellente politique » de la France, elles leur permettent aussi d’en pointer le principal travers : la poursuite de la coopération avec Israël qui, on va le voir, reste importante110. Sur ce point, de Gaulle dit la même chose à chacun de ses interlocuteurs arabes :
« Ce sont les Anglais, les Américains et les Russes qui ont constitué cet État. Nous n’y sommes pour rien et la France était dans une telle situation à l’époque qu’elle ne pouvait jouer un rôle actif dans cette affaire. De toute façon, croyez-moi, il faut considérer Israël comme un fait acquis et conserver la paix à tout prix dans le Moyen-Orient111. »
94La similarité de ses propos sur la création d’Israël avec ceux qu’il tient, à la même période, sur les accords de Yalta de février 1945 peut paraître troublante112, mais elle atteste la propension du Général à assimiler les enjeux de sécurité en Méditerranée à ceux de l’Europe continentale : pour lui, les divisions de ces deux espaces étroitement liés sont le fait des deux Grands et de la Grande-Bretagne. Au lieu de chercher à les dépasser, ces derniers s’évertuent à les entretenir en dressant en permanence un camp contre un autre dans le but de maintenir leur position hégémonique. On retrouve une rhétorique semblable à propos de Chypre : pour de Gaulle, la Grande-Bretagne, cosignataire des accords de Zurich et de Londres qui ont consacré l’indépendance de Chypre en 1959, est largement responsable de la situation explosive qui y règne113. Une fois encore, la France n’y est pour rien et ne manque pas de le faire savoir à l’archevêque-président Makarios, dont l’engagement dans le mouvement des non-alignés lui permet de brandir la menace d’un rapprochement soviéto-chypriote face aux tergiversations des pays de l’OTAN.
95Une telle analogie entre les situations européenne, proche-orientale et chypriote n’a rien de surprenant : en plus de dédouaner la France de toute responsabilité dans le conflit israélo-arabe, elle lui permet de se poser en alternative de la politique anglo-saxonne et soviétique en Méditerranée et de s’affirmer comme un pont entre le Nord et le Sud comme elle cherche à l’être entre l’Est et l’Ouest. Ce positionnement justifie aussi qu’elle puisse jouer les intercesseurs entre le monde arabe et Israël, au même titre qu’elle cherche à réconcilier l’URSS et la RFA. Il ne relève donc pas du non-alignement mais de la neutralité ; en ce sens, ce qui pourrait passer pour une position équivoque de De Gaulle à l’égard de ses alliés atlantiques n’en est pas une : la France ne renie jamais son appartenance au monde occidental mais entend ne pas prendre parti dans les conflits qui secouent la Méditerranée. Cette idée de neutralité implique de soutenir les pays méditerranéens qui s’en réclament, tel le Liban, soucieux de demeurer neutre dans la querelle qui oppose les Arabes « progressistes » aux régimes conservateurs. Pour empêcher les Américains de développer une coopération militaire avec le « pays du cèdre » afin qu’il ne devienne un enjeu de la guerre froide114, le Général nomme à Beyrouth l’un des diplomates les plus expérimentés du Quai d’Orsay, Pierre-Louis Falaize, décoré de la médaille de la Résistance française et plusieurs fois directeur du cabinet de Georges Bidault entre 1944 et 1953 puis ambassadeur à Amman, à Tripoli et à Vientiane.
Convaincre les alliés : la diplomatie française entre persuasion et containment
96Le deuxième volet de l’objectif gaullien de dépassement de la bipolarisation en Méditerranée repose, on l’a dit, sur la nécessité de convaincre les Américains et la plupart des alliés de l’OTAN de ne pas tout voir sous l’angle de la guerre froide, de ne pas s’opposer frontalement au nationalisme arabe et de cesser de penser qu’un pays indépendant devient communiste simplement parce qu’il accepte une aide technique ou économique de l’URSS ou de la Chine. La tâche s’avère évidemment immense dans la mesure où elle ne consiste rien de moins qu’à remettre en question le paradigme qui guide la politique extérieure des États-Unis depuis les lendemains de la Seconde Guerre mondiale. De fait, si personne ne se fait d’illusion quant à la possibilité d’influencer une Administration Johnson alors obnubilée par la lutte contre les mouvements révolutionnaires, les chances d’influer sur les alliés semblent plus vraisemblables en raison des dégâts provoqués par la guerre du Vietnam sur la cohésion de l’Alliance atlantique. L’effort français de persuasion s’appuie sur deux outils.
97Le premier d’entre eux est la désignation de personnalités de confiance auprès des principaux acteurs de la politique occidentale de sécurité en Méditerranée. Ainsi, en 1965, de Gaulle désigne comme ambassadeur de France à Washington un diplomate dont la carrière, depuis l’entre-deux-guerres, s’est faite toute entière entre les États-Unis et la Méditerranée : Charles Lucet. Attaché d’ambassade dans la capitale fédérale américaine dans les années 1930, il est révoqué par Vichy en 1942 et rejoint le Commissariat aux Affaires étrangères à Alger ; de là, de Gaulle le nomme premier secrétaire à Ankara puis, à la Libération, sous-directeur d’Afrique-Levant. Il représente la France à Beyrouth en 1946, au Caire entre 1947 et 1950 et aux Nations unies de 1950 à 1955. Son retour aux États-Unis en 1965, après avoir été directeur des Affaires politiques au Quai d’Orsay, révèle l’importance que le Général et Maurice Couve de Murville – qui tient Lucet en très haute estime – accordent aux affaires méditerranéennes dans la relation franco-américaine. Lucet succède ainsi à celui qu’il a secondé à Washington entre 1956 et 1959, Hervé Alphand, une autre grande figure de la diplomatie française – il fut le conseiller économique de De Gaulle pendant la Seconde Guerre mondiale – qui, à son retour d’Amérique, devient secrétaire général du Quai d’Orsay.
98Cependant, la mission du nouvel ambassadeur est à ce point rendue difficile par le retrait du commandement intégré de l’OTAN en mars 1966 que le président Johnson, qui connaît pourtant bien Lucet, le tient à distance du Bureau ovale. Le travail de persuasion des Français se fait donc moins à Washington qu’au Conseil de l’Atlantique Nord, où Pierre de Leusse, au préalable ambassadeur au Maroc, revient en 1965 comme représentant permanent de la France après l’avoir déjà été entre 1959 et 1962, sa trajectoire Bruxelles-Rabat-Bruxelles livrant un autre indice de l’importance du théâtre méditerranéen dans la diplomatie interalliée de Paris. Chaque réunion du Conseil de l’Atlantique Nord consacré à l’examen des affaires méditerranéennes est une occasion pour de Leusse de s’opposer à ses homologues américain, britannique et italien, auxquels il reproche de voir « la griffe de M. Kossyguine » derrière toutes les tensions de la Méditerranée115, de ne pas savoir faire la différence entre une aide technique et une alliance de fait, et de croire qu’en s’émancipant de la structure intégrée de l’OTAN la France nuit aux intérêts alliés en Méditerranée.
99Le même discours est tenu à Rome, à Athènes et à Ankara par Armand Bérard, Jacques Baeyens et Bernard Hardion, Grecs et Turcs se montrant plus sensibles aux arguments gaulliens à partir de 1965, du fait de la crise chypriote – on va y revenir – mais aussi parce que l’intervention des Américains au Vietnam prend de l’ampleur et que Nasser subit une série de revers qui affaiblissent considérablement son aura sur la scène internationale (chute de Ben Bella, échec de l’aventure yéménite, refroidissement avec la Syrie et l’Irak, désunion des Arabes face à la question allemande116).
100Dans les faits, c’est à de véritables leçons sur ce que signifie le non-alignement – ou plutôt sur ce qu’il ne signifie pas – que s’adonnent les diplomates français auprès de leurs alliés durant les années 1965-1966 : reprenant point par point la rhétorique gaullienne, ils tendent à démontrer qu’en dépit des liens de coopération ou idéologiques avec l’URSS, Moscou a peu de chances de voir les non-alignés de Méditerranée, qu’ils soient arabes, yougoslave ou chypriote, rejoindre pour de bon le camp de l’Est et lui fournir un accès pérenne à la mer. Le jeu chinois contraint les Soviétiques à laisser Tito mener sa politique étrangère comme il l’entend, et si Makarios fait des appels du pied à l’URSS, c’est pour attirer l’attention des Occidentaux sur la situation de son île et se fournir en armes, certainement pas pour passer dans le camp communiste. Quant aux pays arabes, la conviction gaullienne se fonde sur l’idée qu’étant sous-développés, ils « sont tous condamnés à être plus ou moins socialistes. Ils sont tous condamnés à être plus ou moins autocrates. La différence n’est que dans le rythme117 ». La religion musulmane constitue, qui plus est, un obstacle « à l’adoption d’une doctrine qui fait de l’athéisme un principe fondamental118 ».
101Cet effort de persuasion est complété par un second outil qui consiste à démontrer aux alliés du flanc sud et aux Américains que le discours français s’accompagne d’un containment implicite, dans la continuité de ce qui prévalait en 1963-1964. Car, après tout, s’opposer à la bipolarisation de la Méditerranée implique aussi d’empêcher le Kremlin d’y développer une trop forte influence. À cet égard, les Français érigent en modèle leur gestion du cas de pénétration soviétique dans le pays non-aligné qu’ils connaissent le mieux, l’Algérie. Autrement dit, de Gaulle tire parti de l’expérience que la France a acquise pendant huit années de lutte contre les nationalismes arabes pour asseoir sa légitimité à définir une nouvelle stratégie occidentale de sécurité à l’échelle méditerranéenne. Celle-ci se fonde d’abord sur l’idée qu’il existe une communauté d’intérêts entre tous les pays du bassin méditerranéen qui les empêche d’adhérer à un bloc communiste trop exclusif. Ainsi, le Général est persuadé que la dépendance économique et culturelle de l’Algérie envers la France constitue une solide garantie contre tout glissement du régime algérien vers Moscou :
« L’Algérie vit pour un tiers de ce que les travailleurs algériens gagnent en France. Si un beau jour, ils nous emmerdent et que nous les foutions tous à la porte, eh bien l’Algérie crèverait, c’est évident. Et ils ne peuvent pas former des techniciens et des cadres ailleurs qu’ici. Naturellement, ils envoient quelques types à Moscou et à Cuba, mais c’est pas sérieux. Leurs cadres, ils ne peuvent les former qu’en français. Si nous leur fermions l’entrée, ils seraient dans un état épouvantable et ils le savent très bien119. »
102L’idée selon laquelle la relation historique qui l’unit à la France empêche l’Algérie de tout miser sur le bloc de l’Est est par ailleurs maintes fois confirmée par les Algériens et les Soviétiques eux-mêmes. Ainsi, lors de sa visite au Kremlin, Ben Bella certifie à l’ambassadeur français Philippe Baudet, sous les yeux de Léonid Brejnev, que les liens étroits algéro-soviétiques ne remettent nullement en cause la coopération « particulière » franco-algérienne120. À plusieurs reprises, de Gaulle lui-même s’efforce d’apaiser les Américains sur les intentions algériennes, évoquant par exemple devant le vice-président Hubert Humphrey en avril 1967 la concurrence soviéto-algérienne sur les hydrocarbures, qui empêche selon lui les deux pays d’avoir des relations sereines121.
103La participation française au containment en Méditerranée dans les années 1965-1967 passe également par le maintien d’un haut niveau de coopération militaire avec les pays du bassin autres que l’Algérie, notamment ceux impliqués dans les trois conflits de 1963-1964. Présentée aux non-alignés comme un moyen de permettre aux acteurs locaux de ne pas s’en remettre systématiquement aux deux Grands, la coopération de la France en matière d’armement ou de renseignement garde, dans les faits, une tournure anti-soviétique assez nette, dans la droite ligne des accords de défense passés avec l’Espagne franquiste en 1963, puis avec l’OTAN. Il est vrai que les principaux promoteurs et acteurs de cette coopération sont des « cold warriors » en puissance, à l’instar de la direction d’Afrique-Levant et de l’armée de l’Air. Toutefois, le président de la République étant à la fois chef des armées et concepteur de la politique étrangère, on ne peut douter du fait que les décisions prises passent forcément par lui, d’où une ambiguïté persistante quant à la façon d’interpréter cette coopération. C’est d’abord le cas en Afrique du Nord, où pour s’assurer qu’« une véritable guerre d’Espagne, par puissances interposées » ne se produise au Maghreb, la France amplifie son soutien à l’armement marocain en même temps qu’elle accroît son aide militaire à l’Algérie122, mais c’est encore plus flagrant au Proche-Orient, où la poursuite d’une coopération poussée avec l’État hébreu porte à son paroxysme les ambiguïtés françaises.
104La proximité stratégique entre la France et Israël a fait couler beaucoup d’encre123. Elle résulte, côté français, d’un puissant mouvement de sympathie pour la cause israélienne au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, d’un soutien inébranlable à l’État hébreu dès le moment de sa création et d’une solidarité contre le nationalisme arabe que la crise de Suez et la guerre d’Algérie ont incarnée à la perfection. Après la fin du conflit algérien, la coopération militaire entre les deux pays s’est poursuivie, en dépit de l’abandon de sa dimension nucléaire exigé par de Gaulle pour crédibiliser la posture internationale de la France et faire en sorte qu’on ne l’accuse pas d’aider illicitement un autre pays à acquérir la bombe atomique124.
105Selon l’historien Gadi Heimann, ce n’est qu’en 1966 que de Gaulle aurait mis fin aux relations entre les deux armées afin de ne plus apparaître comme le meilleur allié d’Israël et bénéficier d’une marge de manœuvre plus importante vis-à-vis des pays arabes125. Les archives du SHD prouvent pourtant qu’il n’en est rien : en janvier 1967 encore, quelques mois à peine avant la Guerre des Six Jours, ont lieu à Paris, entre l’état-major israélien et le secrétariat général de la défense nationale, des « conférences franco-israéliennes de renseignements » dont les comptes rendus français soulignent « l’ambiance franche et amicale126 ». Les renseignements échangés sont d’une précision et d’une qualité rares, soulignées par les deux parties. La France bénéficie des informations israéliennes sur l’organisation, le potentiel et l’emploi des forces aériennes des pays arabes ; elle fournit à Israël quantité de données techniques sur les matériels soviétiques en Méditerranée, en particulier en Égypte, en Syrie et en Algérie. La relation de plus en plus étroite entre Moscou et Damas est le centre de toutes les préoccupations, la Syrie étant considérée comme le plus anti-israélien et le plus anti-occidental des pays arabes et en même temps le plus favorable au Kremlin127. Au total, les entretiens entre représentants militaires français et israéliens ont une tonalité antisoviétique ouvertement assumée, témoignant de l’obsession du containment dans l’armée de l’Air française au fur et à mesure de l’accroissement de la présence soviétique en Méditerranée.
106Néanmoins, l’intérêt de De Gaulle à maintenir ce haut degré de coopération est en réalité plus politique que militaire et, de ce point de vue, en réduire la portée nucléaire n’a que des avantages. Cette stratégie permet tout simplement aux Français de se présenter comme ceux grâce à qui Israël n’est pas devenu une puissance nucléaire. De Gaulle et Couve de Murville multiplient les assurances en ce sens auprès des Américains et des Arabes, soucieux d’éviter que l’État hébreu puisse recourir à la dissuasion nucléaire pour s’affirmer face à ses adversaires régionaux : l’aide nucléaire française à Israël n’est utilisée qu’à « des fins pacifiques128 ». Mais « pacifique » ne signifie pas « civil » et l’ambiguïté n’est jamais véritablement levée. Il est probable que ce soit là ce que recherche la diplomatie gaullienne dans la mesure où l’équivoque autorise la France à utiliser sa coopération poussée avec Tel Aviv pour jouer les intermédiaires incontournables en Méditerranée orientale : Washington et Londres comme Le Caire, Damas et Bagdad n’ont pas d’autre choix que de s’adresser à Paris pour obtenir des garanties minimales et connaître les moyens militaires potentiels dont dispose Israël.
107La poursuite du partenariat stratégique privilégié avec ce pays, équilibré par des ventes d’armes aux Arabes, permet ainsi à la France de conforter son image d’une puissance qui entend rester neutre dans le conflit israélo-arabe et participer à sa résolution en se démarquant de la logique bipolaire : Israël est une nation, donc une réalité de fait que les Arabes doivent reconnaître, comme l’a fait leur partenaire français ; il convient de préserver le statu quo existant au Proche-Orient ; il serait dangereux pour Israël de jouer la seule carte américaine car cela consacrerait son statut d’objet de guerre froide. Le gouvernement travailliste de Levi Eshkol ne peut donc que se réjouir du fait que la reprise des relations de la France avec la plupart des pays arabes aille de pair avec un maintien de solides rapports militaires avec Israël. Les livraisons de Mirage III, débutées en 1959, se poursuivent de plus belle, avec une commande de cinquante appareils passée en avril 1966 ; des missiles Jéricho, produits par l’entreprise Dassault et capables de transporter une charge nucléaire, seraient également livrés129.
108La coopération avec Israël apparaît donc comme un élément clé de la posture internationale française dans la Méditerranée de la guerre froide. Elle permet à la France d’entretenir une forme de containment qui prouve aux alliés de l’OTAN que les choix diplomatiques et militaires français n’entament en rien la sécurité de l’Occident. Elle constitue également un outil de premier plan de la politique gaullienne de « détente, entente, coopération » : Paris peut utiliser son lien privilégié avec Tel Aviv et sa volonté de l’équilibrer par une politique arabe renouvelée pour s’ériger en interlocuteur de premier plan d’une URSS qui tend, elle, à devenir la championne de la cause arabe. Ce double usage du rapport à Israël donne cependant l’impression qu’en faisant de l’opposition à la bipolarité un principe essentiel de sa politique méditerranéenne, la France profite de la guerre froide pour affirmer et légitimer ses orientations diplomatiques.
Au Sud aussi, « détente, entente et coopération »
109La coopération avec l’URSS constitue le troisième volet de la stratégie française visant à freiner le processus de bipolarisation de la Méditerranée. Elle repose sur l’idée, exprimée à plusieurs reprises par de Gaulle, selon laquelle une approche conjointe des affaires du bassin doit permettre d’éviter les malentendus susceptibles de conduire à des crises et, en même temps, de prouver aux pays de la région qu’il est inutile de monter l’Est et l’Ouest l’un contre l’autre dans la mesure où ils sont capables d’agir de concert. La France entend par ailleurs démontrer aux Soviétiques qu’il existe, en Occident, une stratégie alternative à celle suivie par les États-Unis.
Les acteurs du dialogue franco-soviétique
110À l’instar de sa vision des questions européennes, de Gaulle considère que la coopération avec Moscou dans le bassin et dans la gestion des crises qui le traversent doit reposer sur un certain nombre de principes élémentaires, seuls susceptibles de garantir la sécurité des pays riverains de la Grande bleue : la souveraineté des États, le libre choix des alliances, le dialogue et la coopération entre États, la reconnaissance des frontières.
111À l’image de ce qui est pratiqué vis-à-vis des autres interlocuteurs internationaux de la France, le Général compte principalement sur son ambassadeur à Moscou pour relayer son message. Deux diplomates se succèdent à ce poste durant la période 1964-1968. Le premier, Philippe Baudet, alors en fin de carrière (il a soixante-trois ans quand il rejoint les rives de la Moskova), est un ancien membre des FFL, assez peu au fait des questions soviétiques. Il est en revanche un bon connaisseur de la politique extérieure chinoise – il a été troisième secrétaire à Pékin entre 1931 et 1934, deuxième conseiller en 1940-1941 puis directeur d’Asie-Océanie à la sortie de la Seconde Guerre mondiale –, ce qui vient conforter la bonne perception gaullienne de l’importance du jeu chinois dans les choix soviétiques. Son expérience de la Yougoslavie – il y est ambassadeur de 1950 à 1954 – puis du Sahara – il est chargé de cette question au sein du Quai d’Orsay en 1957-1959 – a pu nourrir également une certaine familiarité avec les problématiques de la Méditerranée et du non-alignement, d’où le fait qu’il se montre à l’aise lors de ses discussions avec les Soviétiques sur la question chypriote.
112Son successeur, Olivier Wormser, lui aussi rallié à la France libre pendant la guerre, a un profil différent : directeur des affaires économiques et financières du ministère des Affaires étrangères de 1954 à 1966, il a joué un rôle moteur dans le développement des relations économiques franco-soviétiques. Sa nomination à Moscou en 1966 lui permet de prolonger sa mission en participant à la mise en place de la commission mixte – la « Grande Commission » – destinée, après le voyage de De Gaulle à Moscou en juin, à favoriser les échanges industriels, commerciaux et scientifiques entre les deux pays et à en régler les problèmes pratiques.
113L’ambassadeur est secondé par une administration nombreuse qui en fait l’un des postes les plus foisonnants parmi les ambassades de France, avec Washington, Londres, Bonn, Rome et Alger. Outre la réception occasionnelle de Baudet puis Wormser à l’Élysée, le lien avec l’administration centrale du Quai est assuré par la direction d’Europe et, en son sein, la sous-direction d’Europe orientale. Dès février 1964, la direction d’Europe est confiée à François Puaux, ancien résistant, devenu, à partir de 1944, un artisan des relations de la France avec le monde méditerranéen : membre de la délégation française auprès des gouvernements grec et yougoslave au Caire en 1944-1945, il a par la suite été en poste à Athènes, sous-directeur d’Afrique-Levant en 1951-1952, deuxième conseiller à Beyrouth entre 1952 et 1957, représentant permanent adjoint de la France au Conseil de l’Atlantique Nord en 1958-1959 puis ministre-conseiller à Rome jusqu’en 1963.
114Puaux travaille pendant deux ans (1964-1965) aux côtés d’Henri Froment-Meurice, nommé directeur d’Europe orientale après avoir été premier conseiller en Égypte. La défiance de ce dernier vis-à-vis de Nasser va de pair avec un profond scepticisme à l’égard des intentions de l’URSS, ce qui lui vaut d’être remplacé par un jeune énarque issu d’une dynastie de diplomates, Emmanuel Jacquin de Margerie, au moment où de Gaulle entend aller plus loin dans la coopération avec les Soviétiques. Notons toutefois qu’en 1965, un bureau spécialement consacré à l’URSS est créé au sein de la direction d’Europe, avec comme premier titulaire Jacques Andréani, dont nous verrons l’influence centrale dans les relations Est-Ouest à partir de 1968.
115Le rôle de ces personnalités est essentiel dans la perception française du positionnement des dirigeants soviétiques sur les différents dossiers méditerranéens, dont elles partagent le travail d’analyse avec la direction d’Afrique-Levant et les ambassadeurs français en poste dans le bassin. Toutefois, en ce milieu de la décennie 1960, de Gaulle et Couve de Murville restent les principaux interlocuteurs des Soviétiques sur tout ce qui concerne les affaires de la Méditerranée. En témoignent les échanges épistolaires du Général avec Khrouchtchev à propos de Chypre avant la chute de ce dernier et les multiples rencontres du chef de l’État et de son ministre avec les ambassadeurs successifs d’URSS à Paris, Sergueï Vinogradov et Valerian Zorine.
116Avec Vinogradov, les entretiens se révèlent à la fois courtois et constructifs pendant la crise chypriote. Il faut dire qu’arrivé à Paris en juillet 1953, quatre mois à peine après la mort de Staline, le diplomate se veut l’incarnation de la période khrouchtchévienne en France et a eu tout le temps de se faire connaître – et apprécier – des Français. Ne cachant pas son admiration pour de Gaulle, il a su cultiver son côté mondain occidental en se forgeant un solide réseau d’amitiés parisiennes qui lui a permis de diffuser une image plutôt rassurante et respectable de l’URSS130. Zorine, lui, présente une personnalité plus austère et dogmatique ; il est, de 1965 à 1971, celui qui est chargé de transformer l’essai du rapprochement franco-soviétique131.
117Quoi qu’il en soit, l’ambassadeur d’URSS à Paris se doit de rendre compte à la fois au ministère des Affaires étrangères et au Département international du comité central. Encore au milieu des années 1960, le second semble prévaloir sur le premier en matière d’élaboration de la politique extérieure soviétique, ce d’autant plus que son chef, Boris Ponomarev, bénéficie d’une marge de manœuvre plus importante après le départ de Khrouchtchev. En tant que responsable des liens avec les partis communistes des pays capitalistes et avec la plupart des pays en développement, la Méditerranée est au cœur de son champ d’expertise et les communistes français constituent l’un de ses principaux vecteurs d’influence dans le bassin. Ponomarev s’efforce ainsi d’user de la « polex » du PCF et de son dirigeant Raymond Guyot pour porter la bonne parole soviétique auprès des partis communistes du Liban et du Maroc132. Guyot défend également les couleurs de l’URSS auprès du maréchal Tito et du parti communiste italien qui, même après la mort de son secrétaire général historique Palmiro Togliatti en 1964, poursuit sur la voie de l’autonomisation par rapport à Moscou en cherchant à conférer une « voie italienne » au socialisme133. La tâche de Guyot se révèle cependant de plus en plus compliquée au fil de la décennie, l’usage soviétique du PCF dans le bassin devenant difficilement conciliable avec l’essor d’un dialogue constructif entre Paris et Moscou en raison de l’extrême sensibilité du Général sur tout ce qui touche à l’ingérence dans les affaires intérieures.
118La concurrence du Département International avec le MID d’Andreï Gromyko ne cesse donc de prendre de l’importance au fur et à mesure de l’affirmation de Leonid Brejnev comme homme clé du régime et du développement de la politique de détente voulue par ce dernier. Au MID, Anatoli Kovalev, directeur du Premier Département européen (qui couvre la France, l’Italie, la Suisse et le Benelux) et spécialiste des problématiques françaises, s’impose très vite comme l’un des principaux artisans de cette politique et son influence croît au fil de la période brejnévienne (il devient vice-ministre des Affaires étrangères en 1971)134. Il n’est toutefois pas l’interlocuteur privilégié des Français en ce qui concerne le bassin méditerranéen. La prédominance des questions proche-orientales dans la deuxième moitié de la décennie explique que ce rôle soit plutôt dévolu, à partir de 1966, au chef de la division Proche-Orient du MID, Alexis Chiborine, grand nom de la diplomatie arabe de l’URSS depuis la Seconde Guerre mondiale. Cette évolution vers un dialogue permanent franco-soviétique sur les affaires méditerranéennes ne coule cependant pas de source. C’est l’attitude critique de De Gaulle envers la stratégie américaine pendant les crises de 1963-1964 puis l’aura que le Général acquiert dans le Tiers Monde et dans le monde arabe grâce à ses dénonciations publiques des choix de Washington qui finissent par convaincre l’équipe dirigeante du Kremlin de l’utilité de faire de la Méditerranée un objet de la coopération avec la France.
119Si les orientations affichées par les deux pays laissent présager des interprétations divergentes de certains dossiers – sur l’arms control ou le rôle dévolu à l’OTAN –, les dénominateurs communs n’en sont pas moins réels. Ainsi, dans l’esprit des dirigeants français comme dans celui des responsables soviétiques, le dialogue sur la sécurité en Méditerranée est étroitement lié à celui sur la sécurité en Europe, discuter de l’une permettant d’agir sur la seconde. Dans cette politique globalisante, figurent en bonne place la question allemande, la nécessité pour de Gaulle de ne pas laisser les deux Grands négocier en tête-à-tête, et la volonté française d’apparaître comme un intermédiaire entre ses partenaires allemand et israélien d’une part, et l’URSS et ses alliés d’autre part. À cet égard, la crise de Chypre apparaît comme un moment fondateur du dialogue franco-soviétique : les enjeux qui la sous-tendent et la manière dont Paris et Moscou s’en saisissent laissent entrevoir une forme de coopération appelée à être étendue aux autres dossiers méditerranéens, en particulier au conflit israélo-arabe.
La crise chypriote, moment fondateur de la convergence euro-méditerranéenne franco-soviétique
120La crise qui secoue Chypre à partir de Noël 1963 n’est pas seulement concomitante au lancement de la politique gaullienne de détente, elle est aussi, on l’a vu, l’un des facteurs qui justifient cette politique en raison de sa résonance Est-Ouest et de ses répercussions au sein même de l’OTAN. Au carrefour des questions de sécurité en Europe et en Méditerranée, le dossier chypriote offre à de Gaulle l’occasion de vérifier jusqu’où peut aller la coopération diplomatique avec Moscou et, en même temps, de démontrer qu’une autre gestion des problématiques régionales et internationales est possible. La manière avec laquelle il réagit à la crise traduit son souci d’apparaître aux yeux du Kremlin comme un interlocuteur capable d’adopter des positions dépourvues de toute logique de guerre froide, seule orientation susceptible de réduire les tensions régionales et de parvenir au règlement des grands problèmes internationaux que sont, notamment, le conflit israélo-arabe et la question allemande. La crise chypriote est ainsi un moyen d’éprouver des recettes diplomatiques aptes à être reproduites en d’autres points du théâtre euro-méditerranéen. Il est donc essentiel de l’inscrire dans une perspective plus large pour comprendre les enjeux qu’elle représente pour la France.
121Le postulat de départ est exposé par de Gaulle dans la lettre qu’il écrit à Khrouchtchev en février 1964 : la situation en Méditerranée touche autant aux intérêts de la France qu’à ceux de l’URSS et ni l’une ni l’autre n’aurait à gagner d’une déstabilisation régionale135. Adaptant au bassin la rhétorique de la communauté de destin franco-soviétique qu’il applique habituellement à l’espace centre européen, de Gaulle reconnaît de la sorte le droit des Soviétiques à contribuer à la sécurité de la Méditerranée au même titre qu’ils le font en Europe continentale. La profondeur historique qui guide les orientations gaulliennes n’est pas étrangère à ce constat : la Russie n’a jamais cessé d’être une actrice des relations internationales en Méditerranée et au Moyen-Orient depuis l’époque moderne ; l’athéisme soviétique ne saurait effacer l’héritage chrétien orthodoxe qui lie Chypre et la Russie. À plus court terme, la tentative anglo-américaine du 1er février 1964 de faire intervenir une force de l’OTAN dans un pays officiellement non-aligné ne peut, selon de Gaulle, que légitimer la prétention du Kremlin à intervenir dans la question chypriote, au nom du respect du non-alignement. La position soviétique est en l’occurrence exprimée très clairement dès ce moment-là : Chypre a vocation à demeurer unie et indépendante ; les droits de la minorité turque doivent être garantis. Khrouchtchev et ses successeurs rejettent toute « otanisation » du problème chypriote et refusent une quelconque partition. Celle-ci ferait forcément le jeu de l’Alliance atlantique puisque les deux entités seraient dépendantes, d’une façon ou d’une autre, de la Grèce et de la Turquie.
122Aussi, alors qu’il estime jusqu’en février 1964 que le problème relève seulement des puissances garantes de l’indépendance de Chypre – le Royaume-Uni, la Turquie et la Grèce – de Gaulle juge par la suite que cette position n’est plus tenable : à cause de la propension permanente des Britanniques à faire systématiquement appel aux Américains pour les aider à résoudre leurs problèmes, le recours aux seuls pays signataires des accords de Zurich et de Londres aboutirait inévitablement à un tête-à-tête entre les deux Grands et, par conséquent, à une bipolarisation toujours plus importante de la Méditerranée orientale. Seule une entente entre les quatre puissances soviétique, américaine, britannique et française est en mesure d’ouvrir la voie à un règlement pérenne de la crise136. Une telle solution a au moins trois avantages. Elle constitue d’abord un moyen de tendre la main à l’URSS et de concrétiser la politique de détente, l’ONU devenant le principal théâtre des discussions franco-soviétiques sur Chypre jusqu’en 1967 après que Londres ait porté l’affaire devant le Conseil de sécurité en février 1964. Elle permet aussi de faire un pied de nez aux Anglo-Saxons en plein débat sur la MLF et le fonctionnement de l’OTAN : le refus américain d’une gestion tripartite de l’Alliance telle qu’elle est proposée par de Gaulle depuis 1958 est compensé par la discussion à quatre, qui place de fait la France au même rang que les États-Unis, la Grande-Bretagne et l’URSS. En dépit des réticences de Washington, Paris s’impose de la sorte en interlocuteur incontournable de Moscou sur les questions de sécurité européennes et méditerranéennes. De cette façon, la dimension quadripartite qui prévaut à propos du sort de l’Allemagne depuis la conférence de Yalta est appelée à s’étendre au-delà de celui-ci.
123C’est là le troisième avantage de la solution à quatre : pareil schéma a vocation à être appliqué à d’autres crises afin de poser les bases d’un règlement régional quadripartite plus vaste, de l’Europe au Levant. Ainsi, l’idée d’une solution à quatre pour le Proche-Orient, dont la France se fait le chantre à partir de la crise du printemps 1967, émerge dès le début de l’année 1966 dans les conversations entre Français et Israéliens137. Le but est toujours le même : éviter le dangereux face-à-face entre le Kremlin et la Maison Blanche, s’affirmer en acteur de premier plan de la sécurité en Méditerranée.
124L’analyse du quadripartisme tel qu’il est promu par la France au Proche-Orient et à Chypre met en exergue le parallèle avec la situation centre européenne. Il s’appuie sur un ensemble de principes qui président initialement à la conception et à la gestion françaises de la question allemande : reconnaissance de la responsabilité des grandes puissances dans la situation de division, non-recours à la force, reconnaissance des réalités nationales, renonciation aux armes de destruction massive de la part des acteurs locaux138. Le problème est que ces principes ne sont pas forcément compris de la même façon par les Soviétiques, ce qui suppose une diplomatie du compromis et ne va pas sans créer de malentendus quant aux intentions véritables des uns et des autres.
125Concernant Chypre notamment, de Gaulle considère que l’île n’ayant pas les attributs d’une nation, la solution idéale serait celle de la confédération, comme le souhaite la Turquie, voire de la partition139. Le Général réalise cependant très vite qu’un tel point de vue est quelque peu différent des conceptions du Kremlin, qui souhaite éviter que les liens des deux communautés avec Athènes et Ankara ne renforcent le flanc sud de l’OTAN. L’URSS soutient les revendications de Makarios concernant l’indépendance et l’unité de Chypre ; elle passe avec ce dernier un accord de vente d’armes à l’été 1964, lorsque les Turcs menacent d’intervenir militairement140. Le Général doit donc jouer serré s’il veut satisfaire les aspirations de la minorité turque à la sécurité – conformes à sa vision de l’État-nation – sans s’opposer à l’exigence soviétique de préserver l’intégrité et le statut non-aligné de Chypre. Aussi son attitude demeure-t-elle ambiguë. Au président turc Inönü, de Gaulle indique que n’ayant « jamais cru à l’idée que Chypre existait en tant qu’État », il entrevoit deux solutions : la partition, complexe en raison de la dispersion des Turcs dans l’île ; « le rattachement à la Grèce, les droits des Turcs étant garantis sous l’égide des grandes puissances141 ». Tandis qu’Inönü écarte la seconde option, de Gaulle s’enferme dans un discours fondé sur la nécessité d’une entente entre les quatre puissances, sans rien dévoiler de plus de sa perception de la question chypriote. Il s’agit de ne pas mettre en évidence les divergences franco-soviétiques sur ce dossier afin de ne pas nuire à la relation bilatérale dans son ensemble, si essentielle pour la sécurité européenne. En même temps, la diplomatie française jugeant que Moscou a une influence modératrice sur Makarios, elle a tout intérêt à montrer aux Soviétiques combien elle apprécie cette politique d’apaisement142.
126Un vrai rapprochement entre la France et l’URSS à propos de Chypre devient possible en 1965, à partir du moment où les positions soviétiques deviennent tout aussi ambiguës que celles de Paris. La nouvelle équipe dirigeante du Kremlin, soucieuse d’en finir avec l’aventurisme khrouchtchévien et très attachée au statu quo européen et méditerranéen, s’emploie à définir une position plus équilibrée entre Grecs et Turcs sans toutefois renier l’essentiel, à savoir la défense du non-alignement et de l’intégrité chypriotes. Ainsi, le ministre soviétique des Affaires étrangères Andreï Gromyko évoque la solution fédérale dans une déclaration aux Izvestia en janvier 1965143, et, au même moment, le premier ministre grec Georges Papandréou est invité à se rendre en Moscou. Pour la diplomatie française, en profitant de la déception commune de la Grèce et de la Turquie de ne pas avoir été réellement soutenues par leurs alliés de l’OTAN dans cette affaire et en leur donnant des gages de bonne volonté, le Kremlin réussit le coup de maître de les dégager l’une et l’autre « du strict alignement atlantique144 ». C’est particulièrement le cas d’Ankara, dont le sentiment d’abandon à l’égard de l’OTAN est immense.
127L’ambivalence soviétique semble enfin donner à la France l’occasion de mettre en avant sa concordance de vues avec l’URSS à propos de Chypre et, par là même, d’accentuer son discours auprès des Turcs sur l’alternative que représentent les conceptions françaises au sein de l’Alliance atlantique. De Gaulle fait ainsi d’une pierre deux coups : il démontre à ses alliés méditerranéens que sa vision de l’Alliance constitue une garantie de sécurité, surtout si elle est doublée d’une vraie politique de détente ; grâce à la vitrine chypriote, il s’affiche auprès des Soviétiques comme un interlocuteur valable sur les enjeux méditerranéens. Le rapprochement entre la France et l’URSS devient manifeste à Paris, à Moscou et à New York où les deux pays s’opposent au fait que les États-Unis fassent décider les opérations des « casques bleus » à Chypre par l’Assemblée générale des Nations unies et affaiblissent de la sorte le Conseil de sécurité145.
128L’entente franco-soviétique ne permet cependant pas l’élaboration du plan quadripartite espéré. La raison en est simple : les ambiguïtés sur lesquelles repose cette entente ne sont pas dissipées pour autant et font peser une sérieuse hypothèque sur sa solidité, sa sincérité et ses résultats. Qu’importe : la détente et l’entente ne sont que les deux premières étapes du triptyque gaullien ; elles sont appelées à être consolidées grâce à un long travail diplomatique visant à écarter les malentendus. Une fois les équivoques supprimées, la coopération entre États pourra devenir le fondement essentiel d’un système de sécurité débarrassé de la logique des blocs. C’est précisément dans ce but que la diplomatie gaullienne s’assigne la mission de désarmer les préventions réciproques qui empêchent le développement d’un véritable processus de détente en Europe et en Méditerranée. En jouant les intermédiaires entre l’URSS et Israël comme elle le fait entre l’URSS et la RFA, la France montre que, pour assurer une détente durable, le quadripartisme seul ne suffit pas ; il doit être accompagné d’un dialogue entre Moscou et les pays qui, à l’instar de l’Allemagne et de l’État hébreu, sont à la fois acteurs et enjeux des divisions nées dans l’immédiat après-guerre. La dimension globalisante de la politique de détente française se dévoile alors pleinement : le dialogue franco-soviétique à propos de Chypre agit comme un levier sur la question allemande et les affaires du Proche-Orient, elles-mêmes liées entre elles.
La question allemande, les relations israélo-arabes et l’URSS : la Méditerranée au carrefour de la politique française des réconciliations
129On l’aura compris, la question allemande sous-tend l’ensemble des relations franco-soviétiques. Cela est particulièrement vrai dans les années 1960 : de Gaulle estime que le rapprochement germano-soviétique constitue l’une des conditions sine qua non à l’instauration d’une détente durable et qu’il lui revient de jouer les entremetteurs entre Allemands et Soviétiques, les seconds pointant la soi-disant tentation revancharde des premiers en raison de leur non-renoncement à accéder au nucléaire militaire et de leur refus d’annuler les accords de Munich de 1938.
130Si ce rôle d’intermédiaire est caractéristique de la politique gaullienne de détente en Europe, sa dimension méditerranéenne a été largement sous-estimée. La Méditerranée est pourtant un théâtre essentiel des efforts français de réconciliation entre Bonn et Moscou, dont la dynamique contribue à éclairer un peu plus les relations de la France avec Israël et les pays arabes146. Cette importance tient d’abord au fait que la RFA occupe un rôle majeur dans le bassin tout au long de la décennie.
131En effet, à partir de 1962, les gouvernements conservateurs de Konrad Adenauer puis de Ludwig Erhard se montrent inquiets de l’accroissement de l’influence soviétique en Méditerranée. Ils savent que si un conflit par grandes puissances interposées y éclatait, il aurait des répercussions immédiates en Europe centrale, épicentre de la guerre froide. Le plus grand danger selon eux provient de l’Algérie, où le départ des Français laisse le champ libre à l’URSS et à Nasser. Dès le mois de décembre 1962, le ministère de la Défense ouest-allemand informe la France qu’il entend fournir des armes à l’Algérie pour l’empêcher de glisser vers le camp communiste et y maintenir une solide présence occidentale147. L’essentiel pour Bonn est qu’Alger ne reconnaisse pas la RDA, d’où la nécessité de gagner ses bonnes grâces. Alors que la seconde crise de Berlin – qui a vu Khrouchtchev brandir la menace d’un traité de paix séparé avec « le régime de Pankow » – est à peine refermée, l’enjeu est de taille pour la RFA. Il guide même l’ensemble de la politique étrangère ouest-allemande en Afrique du Nord et au Proche-Orient, posant le problème de la mise en œuvre de la doctrine Hallstein selon laquelle Bonn ne reconnaît pas les pays qui entretiennent des relations diplomatiques avec la RDA. Ainsi, lorsqu’à la fin de 1964, Erhard décide d’accroître ses livraisons d’armes à Israël – qu’il ne reconnaît pas officiellement – il provoque une telle réaction de Nasser que celui-ci invite le dirigeant est-allemand Walter Ulbricht au Caire en janvier 1965. Bonn décide alors d’interrompre à la fois ses livraisons à l’État hébreu et son aide économique à l’Égypte148. À la suite d’un débat politique passionné, la RFA reconnaît finalement Israël le 12 mai 1965, suscitant la colère de tous les pays arabes qui, à l’exception de la Tunisie, du Maroc et de la Libye, rompent avec Bonn.
132La France, dans ce cadre, joue un double jeu. Dans un premier temps, préoccupée par le maintien de son influence dans le monde arabe et en Israël, elle ne voit pas d’un bon œil l’arrivée des investissements et de l’aide économique et technique ouest-allemands en Méditerranée. Aussi ne faut-il pas s’étonner que nombre de documents du Quai d’Orsay ayant trait aux programmes de coopération français en Afrique du Nord, au Proche-Orient et même en Turquie, dans les Balkans et en Espagne justifient le renforcement de l’aide de la France à ces régions par la nécessité de contrer l’influence allemande tout autant que la pénétration soviétique. C’est particulièrement le cas au Maghreb.
133Dans un second temps – à partir de 1965 – de Gaulle estime qu’il est de son devoir de désarmer les préventions des Arabes à l’égard de Bonn et de les encourager à se tourner vers la RFA plutôt que vers la RDA. Il en va de la viabilité du partenariat franco-allemand et, surtout, de la cohérence de la politique Est-Ouest de la France. Le 4 février 1965, alors que la crise germano-arabe connaît son premier paroxysme après la venue d’Ulbricht au Caire, le Général, dans une conférence de presse qui ravit les Allemands, livre une analyse on-ne-peut-plus-claire des enjeux de la question allemande et explique quels sont les moyens pour la régler. L’Allemagne, en tant que nation, a vocation à être réunifiée, mais à condition que la RFA ne soit plus considérée par l’URSS – et donc ses alliés européens et ses clients arabes – comme une menace potentielle pour sa sécurité149.
134Or, les velléités nucléaires de Bonn – que Washington et Paris tentent de réfréner chacun à leur manière – et les livraisons d’armes à Israël ne vont pas dans le sens d’un apaisement. Les unes et les autres sont perçues par Moscou et Le Caire comme relevant d’une volonté ouest-allemande délibérée de nuire aux intérêts des pays socialistes d’Europe et de Méditerranée. Un article du New York Times de juin 1963 avalise ces craintes en soupçonnant une connivence nucléaire germano-israélienne : la RFA profiterait du réacteur nucléaire israélien de Dimona pour produire l’armement prohibé et ainsi dupliquer le scénario prévu par les accords de Rapallo en 1922150. La France se sent donc porteuse d’une quadruple responsabilité dans ce dossier : elle est l’allié le plus fidèle d’Israël à qui elle a fourni le réacteur de Dimona ; elle est le principal partenaire européen de l’Allemagne, sur laquelle elle a, au même titre que Londres, Moscou et Washington, des droits et responsabilités ; elle se dit proche des pays arabes avec lesquels elle a su renouer après la guerre d’Algérie ; elle est un précurseur de la détente avec l’Est et, par conséquent, le pays occidental qui a le plus avancé sur la voie du dialogue politique avec l’URSS.
135L’effort diplomatique français s’oriente donc dans ces quatre directions, dans une dynamique qui, plutôt que multilatérale – de Gaulle se défie du multilatéralisme –, s’incarne en une conjonction de relations bilatérales, mettant en exergue la double dimension européenne et méditerranéenne de la politique française de réconciliation. La conférence de presse du 4 février marque le début du processus ; s’il s’adresse aux peuples européens en priorité, le Général confère à son message une portée qui va bien au-delà de l’Europe : la France est résolue à prendre en main la question allemande.
136C’est donc aux Allemands qu’il faut parler en premier. Le discours du 4 février est une façon, pour de Gaulle, de montrer au chancelier Erhard – avec lequel les relations sont pourtant glaciales – que la France soutient la RFA dans ses velléités de réunification151. Mais, pour y parvenir, la RFA doit abandonner toute prétention à l’arme nucléaire, reconnaître les frontières allemandes et renoncer à la doctrine Hallstein. De la sorte, elle désarmerait la propagande soviétique sur le revanchisme allemand et son pendant nassérien sur la collusion germano-israélienne, ce qui permettrait d’établir un dialogue avec Moscou sur le non-recours à la force et de maintenir des relations avec Israël tout en coopérant avec les pays arabes. Pour la direction du Levant, Nasser ne peut de toute façon reconnaître la RDA car il sait les conséquences que cela aurait sur la Palestine152. Jusqu’à l’automne 1966 cependant, l’alignement d’Erhard sur les conceptions américaines laisse peu d’espoir à de Gaulle de voir s’amorcer un rapprochement germano-soviétique. Le chancelier veut s’en tenir à un strict quadripartisme pour régler la question allemande. Il estime qu’en abordant directement le problème avec les Soviétiques, la France sape l’intégration atlantique et nuit aux rapports entre la RFA et les États-Unis.
137L’arrivée au pouvoir de la grande coalition en octobre 1966 change quelque peu la donne. Le ministre des Affaires étrangères Willy Brandt partage la conviction du général de Gaulle que la solution de la question allemande ne sera possible qu’avec l’URSS et non contre elle153. Il se lance, de fait, dans une première tentative d’Ostpolitik, abandonne la doctrine Hallstein et reprend les discussions avec les pays arabes. De Gaulle se réjouit de ces nouvelles orientations, bien qu’il demeure sceptique sur certains points (il est ainsi persuadé que les Allemands n’ont pas l’intention de renoncer à la possibilité d’accéder à l’armement nucléaire, en dépit des déclarations de Brandt)154. Il n’empêche, la France entend poursuivre son rôle d’intermédiaire entre Bonn, le bloc de l’Est et les Arabes, encourageant les pays du Pacte de Varsovie mais aussi ceux du monde arabe à saisir la main que leur tend la RFA, enfin décidée à ne pas tout voir sous le prisme de la compétition avec la RDA.
138Ce modèle fondé sur la discussion avec l’ennemi juré et sa puissance protectrice soviétique, les Français le promeuvent de la même façon auprès des Israéliens. Pour de Gaulle et Couve de Murville, le schéma d’un règlement israélo-arabe est similaire à celui qui doit prévaloir pour l’Allemagne : une solution entre grandes puissances est possible si Israël amorce un dialogue direct avec Moscou et développe une politique étrangère qui ne soit pas guidée par l’obsession arabe. Couve le dit clairement à son homologue Abba Eban le 31 janvier 1966 : « les relations entre les Arabes et Israël ne constituent pas le véritable problème. Peut-être les Syriens et les Palestiniens sont-ils passionnés et sincères. Mais l’Égypte ne paraît pas s’en préoccuper sérieusement. Quant aux pays du Maghreb, ils ne s’intéressent pas à la question155 ». Pour le ministre français, la question allemande est un parfait outil d’affaiblissement du panarabisme nassérien : non seulement Tunis, Rabat et Tripoli refusent de suivre Nasser dans sa stratégie de rupture avec Bonn, mais quelques mois à peine après avoir coupé les ponts avec la RFA, la grande majorité des pays arabes, dont l’Égypte elle-même, paraît soucieuse de reprendre le plus tôt possible les relations avec elle156. Preuve en est, une fois encore, que le nassérisme n’est pas appelé à durer.
139Pour Couve de Murville comme pour de Gaulle, l’essentiel dépend des puissances américaine et soviétique, mais aussi française et britannique ; Israël ne doit pas exagérer la menace arabe mais doit donner des garanties sur les usages de l’aide nucléaire que lui fournit la France. Couve considère qu’en discutant directement avec Moscou, Tel Aviv améliorera ses relations avec tous ses voisins, car l’URSS est « favorable à la coexistence entre les États arabes et Israël157 ». Comme avec l’Allemagne, les Français, par la voix de Couve de Murville, proposent de jouer les entremetteurs entre Israéliens et Soviétiques et, de fait, d’amorcer une solution fondée à la fois sur le triangle Paris – Moscou – Tel-Aviv et l’engagement de l’URSS et des États-Unis à respecter le statu quo dans la région.
140Témoignage de l’immense crédit dont bénéficie alors de Gaulle, le gouvernement Eshkol accepte officiellement la médiation française le 24 février 1966, dans l’espoir qu’elle permette de convaincre les Soviétiques de prendre résolument partie en faveur de la coexistence israélo-arabe et du statu quo. Eshkol estime alors que la France est mieux placée que les États-Unis pour défendre les intérêts des « petites nations158 ».
141Ce moment constitue une étape clé dans l’élaboration d’un dialogue franco-soviétique pérenne sur la Méditerranée : le 18 mars, de Gaulle fait savoir à l’ambassadeur d’URSS Valerian Zorine qu’il souhaiterait élargir les conversations régulières entre Paris et Moscou au-delà des seules questions européennes et y inclure les problèmes touchant au Moyen-Orient et aux « Afriques159 ». Le Kremlin donne son accord le 29 mars160. Ainsi, moins de trois mois plus tard, lors des conversations qu’il a avec les dirigeants soviétiques pendant son séjour à Moscou, de Gaulle adopte sur l’Allemagne et Israël des positions parallèles et non dénuées de courage : il demande ouvertement à l’URSS de laisser une chance à ces deux pays, qui ont le droit d’exister en tant que nations161. L’une est appelée à être réunifiée, l’autre à ne pas voir son existence remise en cause. Dans les deux cas, le Général propose de sortir la question allemande et celle d’Israël des seuls rapports entre superpuissances ; il affirme également son refus de voir l’Allemagne accéder à l’arme nucléaire. Il n’obtient cependant aucune réponse soviétique qui puisse le satisfaire, Brejnev esquivant la question israélienne et évoquant la politique « agressive » de Bonn. Si personne ne s’attendait à ce que cette visite officielle produise des résultats spectaculaires, de Gaulle considère qu’une étape est franchie : « le contact avec l’Occident passe par la France162 ». L’URSS est désormais disposée à développer un dialogue tous azimuts avec Paris sur les grands problèmes contemporains.
142L’effort diplomatique français en faveur d’un rapprochement de Moscou avec Bonn et Tel-Aviv se poursuit dans les mois qui suivent, enrichi par le développement des échanges avec les satellites européens et partenaires méditerranéens du Kremlin. Il apparaît toutefois très vite que l’entente franco-soviétique fonctionne mieux à propos de la Méditerranée que de l’Allemagne. C’est le cas, on l’a vu, lorsqu’il est question de Chypre, mais aussi du Proche-Orient. Dans la foulée du voyage de De Gaulle en URSS, des consultations régulières sont organisées entre l’ambassade de France à Moscou et la division Proche-Orient du MID. Les analyses que le chef de cette dernière, Alexis Chiborine, propose de la situation au Levant ont de quoi séduire les Français : alors que dans les premiers mois de 1967 la tension monte entre Israël et la Syrie, que la coopération israélo-américaine se resserre et que l’URSS promet de défendre ses amis syriens, Chiborine, lui, donne une image mesurée de la politique soviétique dans la région, condamnant tout « extrémisme » arabe et tenant compte de « l’existence » de l’État d’Israël163.
143De fait, si les historiens de la guerre froide et du Moyen-Orient ont souligné la responsabilité de Moscou dans le déclenchement de la guerre des Six Jours en raison de sa propension à exagérer la menace israélienne auprès du Caire et de Damas164, ce n’est pas l’image que la diplomatie gaullienne a de l’attitude soviétique à la veille du conflit. Au contraire, l’ambassade de France à Moscou salue le sens des responsabilités dont fait preuve l’URSS auprès de ses protégés arabes, sans se faire d’illusion toutefois sur le fait qu’elle veuille se montrer garante de leur sécurité. Mais on considère alors que le Kremlin se laisse enfermer dans une alliance qui pourrait lui coûter cher si elle n’était pas accompagnée d’un dialogue avec Tel Aviv et d’initiatives diplomatiques susceptibles de sortir le conflit israélo-arabe de la logique de guerre froide. Le plan quadripartite pour le Proche-Orient dont la France se fait la championne à partir de la guerre du printemps 1967 est déjà en germe.
144Les ressorts de l’indulgence française à l’égard de la politique arabe du Kremlin ne sont cependant pas à rechercher uniquement du côté de la Méditerranée orientale et des bonnes dispositions de M. Chiborine. La question allemande pèse, une fois encore, de tout son poids. La montée des tensions entre Israël et ses voisins arabes et l’engagement croissant de Moscou auprès des « progressistes » arabes se produisent au moment même où la grande coalition parvient au pouvoir à Bonn et où Brandt initie la première version de son Ostpolitik. De fait, entre l’automne 1966 et le printemps 1967 – en avril 1967 les partis communistes européens, réunis à Karlovy Vary, décident de freiner les ambitions de Brandt en posant davantage de conditions à l’amélioration des rapports entre la RFA et le bloc socialiste – de Gaulle, malgré les réserves déjà évoquées, prône les vertus de la nouvelle politique allemande auprès des dirigeants du bloc de l’Est et cherche à les rallier à sa conception d’une sécurité européenne débarrassée de la logique des blocs. Dans la mesure où la situation en Méditerranée et la question allemande constituent les principaux sujets des consultations franco-soviétiques en ce qu’elles touchent à la sécurité des deux États et où, pour se hisser à la hauteur des deux Grands, la France s’efforce de conférer à sa politique étrangère une dimension globalisante, la diplomatie gaullienne a intérêt à adopter des positions équilibrées sur chacun de ces deux thèmes afin d’éviter que les tensions de l’espace méditerranéen n’affectent la détente européenne.
145Ainsi, en 1966 et 1967, en même temps qu’ils cherchent à les convaincre de la nécessité d’admettre l’existence d’Israël et à les rassurer sur les usages de l’aide nucléaire française à l’État hébreu, les Français s’efforcent de persuader ceux des pays arabes qui ont rompu avec la RFA de renouer avec elle. Lorsqu’il est reçu par les responsables de la diplomatie égyptienne en mai 1967, le secrétaire général du Quai d’Orsay Hervé Alphand n’hésite pas à déformer les objectifs de l’Ostpolitik du gouvernement Kiesinger pour parvenir à ses fins, insistant sur l’intérêt de « favoriser la politique actuelle du gouvernement de Bonn qui cherche à se dégager de l’emprise américaine et a ouvert un dialogue avec l’Est165 ». Alphand met les Égyptiens devant leurs contradictions : en jouant la RDA contre la RFA, Nasser fait le jeu des grandes puissances et entretient la logique de guerre froide, tant en Méditerranée qu’en Europe, affaiblissant la crédibilité du non-alignement. Les propos du secrétaire général traduisent le large sentiment de méfiance que continue d’inspirer le nationalisme arabe à la diplomatie française à la veille de la guerre des Six Jours. Paris se réjouit cependant des efforts déployés par Brandt pour ramener les relations germano-arabes sur la voie de la détente. En tendant une main que même Nasser se décide à saisir, la RFA discrédite un peu plus le discours panarabe et la propagande soviétique166.
146Au printemps 1967, la diplomatie gaullienne peut donc se satisfaire d’avoir ouvert un chemin que les uns et les autres semblent enfin se décider à emprunter. Cette satisfaction est-elle justifiée ? Peut-on dire qu’entre la fin de la guerre d’Algérie et la guerre des Six Jours le nouveau souffle gaullien a contribué à transformer la Méditerranée et à y atténuer les effets de la guerre froide ? Il est clair qu’au début de 1967, la Méditerranée est devenue un thème majeur des échanges franco-soviétiques et que les initiatives diplomatiques françaises ne sont pas sans incidence sur l’atmosphère des relations internationales autour de la Grande bleue. Dans la foulée de la France, d’autres pays du flanc sud de l’OTAN, à commencer par l’Italie et la Turquie, se sont lancés sur la voie de la détente, avalisant la conception gaullienne d’un renforcement de la sécurité de l’Ouest par un dialogue avec l’Est. Les non-alignés méditerranéens ont renoué avec la France après des années de tension extrême et voient en elle un interlocuteur compréhensif tout autant qu’incontournable. Même l’Algérie se montre disposée à ne pas laisser au bloc soviétique le monopole de la coopération militaire et de l’aide technique.
147Pourtant, tant du côté du Caire et de Damas que de Moscou et de Varsovie, la RFA et Israël sont considérés comme des menaces au printemps 1967 : le refus de Kiesinger d’aller plus loin dans l’Ostpolitik et les représailles israéliennes contre le Fatah en Cisjordanie paraissent renvoyer toute réconciliation aux calendes grecques. Les crises qui s’ensuivent au Proche-Orient et en Europe – guerre des Six Jours, intervention du pacte de Varsovie en Tchécoslovaquie – semblent se suffire à elles-mêmes pour marquer les limites de la politique de « détente, entente, coopération ». Non seulement l’emprise des deux Grands paraît plus solide que jamais tout autour du bassin méditerranéen, mais la France semble être perçue par l’équipe brejnévienne comme un simple marchepied vers la RFA et les États-Unis167. En outre, en portant ses coups contre le système atlantique intégré, de Gaulle donne l’impression au Kremlin d’être un utile caillou dans la chaussure de l’Amérique et, à ce titre, il n’y a aucune raison de ne pas l’encourager à poursuivre sur sa lancée.
148En réalité, ce malentendu franco-soviétique est patent tout au long des années 1962-1967 et les événements de la fin de la décennie n’aident pas à le dissiper. L’analyse de la politique française de détente en Méditerranée montre qu’à divers degrés, la méfiance persiste quant aux véritables intentions de l’URSS. Si de Gaulle et Couve de Murville font davantage porter la responsabilité du maintien de la guerre froide à l’Administration Johnson, à la RFA et à Israël plutôt qu’à l’URSS elle-même, la France ne baisse pas la garde pour autant. La direction d’Afrique-Levant et les ambassades qui en dépendent, de même qu’une partie au moins du commandement militaire, se posent en vigies de l’Occident, réticentes à voir dans les nouvelles orientations du Kremlin une quelconque bonne foi. À leurs yeux, la rhétorique de l’URSS sur l’agressivité allemande et israélienne n’est pas près d’évoluer et son désir d’accroître son influence en Méditerranée demeure vif. Ainsi, au début de 1967, l’URSS s’active de nouveau auprès de Tito et de Nasser pour obtenir des bases qui lui garantiraient un accès pérenne à cette mer168.
149Quel sens, par conséquent, faut-il donner à cette dichotomie au sein des instances diplomatico-militaires françaises ? Déjà existante avant 1962, elle concourt à la politique gaullienne de détente plus qu’elle ne la dessert : conjuguée à la sortie du commandement intégrée, à la promotion d’une OTAN fondée sur l’alliance plus que sur l’intégration, au développement de nouvelles capacités de défense et à l’attachement à la doctrine des représailles massives, la coexistence de deux visions de la politique soviétique en Méditerranée permet à la France de maintenir son rôle d’acteur occidental incontournable de la sécurité du flanc sud après la perte de l’Algérie, tout en lui octroyant la possibilité de prendre une part plus active au règlement des crises régionales. En d’autres termes, cette double orientation l’aide à concilier le dialogue bilatéral avec Moscou avec l’attachement au quadripartisme et aux solutions qu’il peut offrir. Neuf ans après la crise libanaise de 1958 et le mémorandum qui en a découlé, de Gaulle peut se vanter d’avoir lavé l’affront en se hissant au même rang que Londres et Washington comme acteur occidental de premier plan de la sécurité en Méditerranée.
150Il n’en reste pas moins que la succession de crises qui, en 1967-1968, affectent la Méditerranée et ses abords, constituent autant de mises au défi de la diplomatie gaullienne. Mais loin de la détourner de ses objectifs, elles la confortent dans sa conviction que la logique bipolaire est néfaste à la sécurité internationale. Ces crises confirment aussi un paradoxe né de la période 1962-1967 : c’est cette même logique de guerre froide qui permet à la France de se démarquer et d’ainsi se poser en « autre Occident ».
Notes de bas de page
1 Le film documentaire Algérie, année zéro, de Marceline Loridan-Ivens et Jean-Pierre Sergent, dresse un portrait de l’Algérie et des Algériens au moment de l’indépendance. À sa sortie en 1962, il est interdit en France comme en Algérie.
2 Di Nolfo Ennio, « The Cold War and the transformation of the Mediterranean », art. cité, p. 238-257.
3 Bozo Frédéric, Mélandri Pierre et Vaïsse Maurice, La France et l’OTAN, op. cit. ; Bozo Frédéric, Deux stratégies pour l’Europe, op. cit. ; Vaïsse Maurice, La Grandeur, op. cit.
4 Frémeaux Jacques, Le Monde arabe et la sécurité de la France, op. cit. ; Laurens Henry, « La diplomatie français dans le conflit israélo-arabe », art. cité, p. 3-11. Jusqu’alors, seule Marie-Pierre Rey a souligné l’importance du facteur arabe dans les rapports entre Paris et Moscou à l’ère gaullienne : Rey Marie-Pierre, La Tentation du rapprochement, op. cit.
5 Krasner Stephen, « Structural Causes and Regime Consequences: Regimes as Intervening Variables », International Organization, vol. 36, no 2, 1982, p. 185-205.
6 Ikenberry G. John, After Victory: Institutions, Strategic Restraint, and the Rebuilding of Order after Major War, Princeton, Princeton University Press, 2001.
7 Brawley Mark Philip, « Decolonization, the global South and the Cold War, 1919-1962 », in Melvyn Leffler et Odd Arne Westad, The Cambridge History of the Cold War, vol. II, op. cit., p. 464-485.
8 Bozo Frédéric, Deux stratégies pour l’Europe, op. cit. ; Vaïsse Maurice, La Grandeur, op. cit. ; Gomart Thomas, Double détente, op. cit.
9 Vaïsse Maurice, La Grandeur, op. cit., p. 287-289.
10 Dans les années 1960, la politique mémorielle du général de Gaulle confère davantage de place au débarquement en Provence du 15 août 1944 qu’à celui de Normandie, préparé sans les Français. Azéma Jean-Pierre, « Débarquement en Provence », in Claire Andrieu, Philippe Braud et Guillaume Piketty (dir.), Dictionnaire de Gaulle, Paris, Robert Laffont, 2006, p. 313-314.
11 Entretien de Gaulle/Peyrefitte, 20 octobre 1959. Peyrefitte Alain, C’était de Gaulle, op. cit., p. 70.
12 Il le dit clairement à Alain Peyrefitte le 19 décembre 1960. Peyrefitte Alain, C’était de Gaulle, op. cit., p. 88.
13 Dasque Isabelle, « Le commandant de Gaulle au Levant », in Jean-Paul Bled (dir.), Le Général de Gaulle et le monde arabe, op. cit., p. 71-85.
14 Bozo Frédéric, Deux stratégies pour l’Europe, op. cit., p. 36.
15 Le 22 août 1958, la République populaire de Chine bombarde les deux îles du détroit de Formose occupées par les nationalistes. Les États-Unis réagissent en envoyant d’importantes forces navales et aéronavales au secours de Taiwan, sans consulter leurs alliés alors que le risque de guerre généralisée est réel.
16 Bozo Frédéric, Deux stratégies pour l’Europe, op. cit., p. 36-40.
17 Ibid., p. 40-43.
18 Sa démonstration lui permet ainsi de conclure sur la nécessité d’une espèce de Standing Group atomique au sein de l’alliance. Le projet de triumvirat est relancé à plusieurs reprises par la diplomatie gaullienne, malgré l’attitude anglo-saxonne, à la fin de l’ère Eisenhower puis auprès du gouvernement Kennedy.
19 Les zones de Gibraltar (COMGIBMED) et de « Méditerranée du sud-est » (COMEDSOUEAST) sont sous commandement britannique, la « Méditerranée occidentale » (COMEDOC) est sous commandement français (jusqu’en 1962), la « Méditerranée centrale » (COMEDCENT) sous commandement italien, la « Méditerranée de l’Est » (COMEDEAST) sous commandement grec, la « Méditerranée du nord-est » (COMEDNOREAST) sous commandement turc.
20 Bozo Frédéric, Deux stratégies pour l’Europe, op. cit., p. 58-59.
21 En septembre 1955, Nasser annonce l’achat d’armes soviétiques par l’intermédiaire de la Tchécoslovaquie. Adamec Jan, « Czechoslovakia and Arms Deliveries to Syria, 1955-1989 », in Nicolas Badalassi et Houda Ben Hamouda (dir.), Les pays d’Europe orientale et la Méditerranée. Relations et regards croisés, 1967-1989, Les Cahiers Irice no 10, Paris, Irice, 2013, p. 69-81.
22 Malinovski est d’ailleurs très vite en désaccord avec Khrouchtchev quant à l’usage de l’arme atomique, qu’il souhaite dissuasif avant tout, tandis que le premier secrétaire se montre disposé à s’en servir d’arme principale.
23 Milan Vego, « Soviet and Russian Strategy in the Mediterranean since 1945 », in John B. Hattendorf (dir.), Naval Policy and Strategy in the Mediterranean. Past, Present and Future, op. cit., p. 168.
24 Rapport de T. Jivkov sur la situation au Moyen-Orient, 2 octobre 1958. Archives du parti communiste bulgare, Fond 1, Record 5, File 353. Cold War International History Project, doc. 113222, [https://digitalarchive.wilsoncenter.org/document/113222], consulté le 07-10-22.
25 Khalaf Noha, « Repenser le nassérisme (1952-1970) autour d’Anouar Abdel-Malek (1924-2012) », Revue française d’histoire des idées politiques, no 42, 2015/2, p. 47-89.
26 Dépêche no 900/EU, de Claude Arnaud (Belgrade), 5 décembre 1961. Archives diplomatiques françaises (AMAE), Yougoslavie 1961-1970, vol. 209QO/245.
27 Hershberg, James G., « The Cuban missile crisis », in Melvyn Leffler et Odd Arne Westad, The Cambridge History of the Cold War, vol. II, op. cit., p. 65-87.
28 Fursenko Alexandre et Naftali Timothy, « One Hell of a Gamble »: Khrushchev, Castro, and Kennedy, 1958-1964, New York, W. W. Norton, 1997, p. 167-170.
29 Obitchkina Evgeniya, « Le communisme soviétique face au nationalisme arabe lors de la guerre d’Algérie », in Hervé Bismuth et Fritz Taubert, La Guerre d’Algérie et le monde communiste, op. cit., p. 17-32 ; Marc Giovaninetti, « Un communiste français à l’interface du communisme soviétique et international : Raymond Guyot, dirigeant de la « génération Thorez » », in Romain Ducoulombier et Jean Vigreux (dir.), Le PCF, un parti global (1919-1989). Approches transnationales et comparées, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2019, p. 91-103.
30 Obitchkina Evgeniya, « Le communisme soviétique face au nationalisme arabe lors de la guerre d’Algérie », art. cité, p. 17-32.
31 Gomart Thomas, « Le dispositif du PCF dans les relations franco-soviétiques (1958-1964) », in Maurice Vaïsse (dir.), De Gaulle et la Russie, op. cit., p. 125-138.
32 Obitchkina Evgeniya, « Le communisme soviétique face au nationalisme arabe lors de la guerre d’Algérie », art. cité, p. 17-32.
33 L’Humanité, 17 et 19 octobre 1962 ; La Marseillaise, 19 et 20 octobre 1962.
34 En réalité, le remplacement de ces armes devenues obsolètes par des missiles sol-air Hawk déployés en Israël (à partir de 1965) a été planifié avant la crise de l’automne 1962.
35 Soutou Georges-Henri, La guerre de Cinquante Ans. Les relations Est-Ouest, 1943-1990, Paris, Fayard, 2001, p. 417.
36 Vego Milan, « Soviet and Russian Strategy in the Mediterranean since 1945 », art. cité, p. 169.
37 Ibid., p. 169.
38 Pour une réflexion globale sur la vision soviétique du non-alignement, voir Allison Roy, The Soviet Union and the Strategy of Non-Alignment in the Third World, Cambridge, Cambridge University Press, 1988.
39 Vego Milan, « Soviet and Russian Strategy in the Mediterranean since 1945 », art. cité, p. 170.
40 Les collecteurs de renseignement soviétiques mènent leurs premières missions en Méditerranée dès 1962. Sheldon-Duplaix Alexandre, « La reconnaissance et le renseignement dans le développement de la marine soviétique », Revue historique des armées, no 261, 2010, p. 46-61.
41 Conversation de Gaulle/Peyrefitte, 10 avril 1963. Peyrefitte Alain, C’était de Gaulle, op. cit., p. 427-428.
42 McNamara espère par ce biais à la fois empêcher que le monde ne se retrouve à nouveau au bord du gouffre, comme à Cuba, et freiner les aspirations atomiques de la RFA, qui revendique le contrôle des armes nucléaires déployées sur son sol et souhaite rehausser sa capacité stratégique face au statut nucléaire de la France et du Royaume-Uni. Bozo Frédéric, Deux stratégies pour l’Europe, op. cit., p. 110.
43 De Gaulle refuse l’offre anglo-américaine de prendre part aux accords de Nassau de décembre 1962. Par ces accords, Kennedy accepte de livrer au Royaume-Uni les nouveaux missiles américains Polaris. En échange, MacMillan doit accepter que l’arme nucléaire britannique soit intégrée dans les forces nucléaires atlantiques et renoncer à la dissuasion nucléaire autonome. Cette affaire discrédite stratégiquement la Grande-Bretagne aux yeux du général de Gaulle, qui le fait savoir lors de sa fameuse conférence de presse du 14 janvier 1963. Voir Gloriant Frédéric, Le grand schisme. La France, la Grande-Bretagne et les problèmes euro-atlantiques, 1957-1963, thèse de doctorat, université Sorbonne Nouvelle, 2014.
44 Kennedy parvient à diminuer la portée du traité de l’Élysée en obtenant du Bundestag qu’il lui adjoigne un préambule rappelant la primauté du lien germano-américain.
45 Bozo Frédéric, Deux stratégies pour l’Europe, op. cit., p. 110.
46 Gridan Irina, « Le plan Stoica et les relations entre la Roumanie et la Grèce au tournant de la guerre froide (1957) », Cahiers Balkaniques, 44/2016, [http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ceb/9664], consulté le 14-10-22.
47 Voir notamment les archives numérisées dans le cadre du programme polonais d’archives digitales : Polskie dokumenty dyplomatyczne 1958. Varsovie, Polski Instytut Spraw Międzynarodowych, 2011, Documents no 47 et 51, p. 98-99 et p. 105-106.
48 Note no 845 du 8 novembre 1960 et note no 243 du 4 mai 1961, de G. de Girard de Charbonnières. AMAE, Europe 1944-1976, Grèce, vol. 189QO/223.
49 Entretien de Gaulle/Caramanlis, 18 mai 1963. DDF, 1963, I, no 170 ; Entretien Inönü/Erkin/Pompidou/Couve de Murville, 15 juillet 1963. DDF, 1963, II, no 25.
50 Entretien de Gaulle/Caramanlis, 18 mai 1963. DDF, 1963, I, no 170.
51 Conférence de presse du général de Gaulle, 25 mars 1959. De Gaulle Charles, Discours et messages, t. 3, Paris, Plon, 1970, rééd. 2014.
52 Entretien de Gaulle/Caramanlis, 18 mai 1963. DDF, 1963, I, no 170 ; Entretien Inönü/Erkin/Pompidou/Couve de Murville, 15 juillet 1963. DDF, 1963, II, no 25.
53 Le projet de MLF tombe sous les coups des conservateurs allemands désireux de maintenir une coopération forte avec la France et des travaillistes britanniques qui y voient un moyen pour l’Allemagne de se hisser au statut de puissance nucléaire. Bozo Frédéric, Deux stratégies pour l’Europe, op. cit., p. 116-117.
54 Le 19 juillet 1962, quelques mois après la crise de Bizerte qui a opposé la France à la Tunisie, de Gaulle signifie à l’émissaire de Habib Bourguiba que la France accepte l’évacuation de la base de Bizerte – jusqu’alors la seule base navale de la France et de l’OTAN située sur la rive sud de la Méditerranée – dans la mesure où, devenant une puissance atomique, elle pourra assurer sa défense par de nouveaux moyens en dépit de la mauvaise situation internationale. Note à propos de la visite de M. Bahi Ladgham, 28 août 1962. DDF, 1962, II, no 60.
55 Ailleret Charles, « Défense dirigée ou défense tous azimuts », Revue Défense nationale, décembre 1967, p. 1923-1932.
56 Badalassi Nicolas et Gloriant Frédéric (dir.), France, Germany and Nuclear Deterrence. Quarrels and Convergences during the Cold War and Beyond, New York, Berghahn Books, 2021.
57 Conversation de Gaulle/Peyrefitte, 13 février 1963. Peyrefitte Alain, C’était de Gaulle, op. cit., p. 419.
58 Au milieu des années 1960, la flotte française de Méditerranée est constituée d’un porte-avions, deux croiseurs, quatorze escorteurs, neuf sous-marins et trois flottilles de patrouille maritime.
59 Note de l’état-major des armées, 15 février 1963. AMAE, Pactes, Méditerranée 1963-1968, vol. 320.
60 Frémeaux Jacques, Le Monde arabe et la sécurité de la France, op. cit., p. 44.
61 C’est ce que confirme une note de juin 1976 provenant de la Division du Renseignement du Secrétariat Général de la Défense nationale. AMAE, Afrique-Levant 1944-1979, Méditerranée, 375QO/371.
62 Monier Frédéric, « Un territoire de la dissuasion nucléaire : le plateau d’Albion », E3S Web of Conferences 88, 04001 (2019), [https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1051/e3sconf/20198804001], consulté le 14-10-22.
63 Sanguinetti, Antoine, Atome et bataille sur mer, Paris, Hachette, 1965.
64 Di Nolfo Ennio, « The Cold War and the transformation of the Mediterranean », art. cité, p. 243.
65 Mélandri Pierre, Histoire des États-Unis contemporains, Bruxelles, André Versaille éditeur, 2008, p. 467-470.
66 Byrne Jeffrey James, « Négociation perpétuelle : de Gaulle et le FLN 1961-1968 », in Maurice Vaïsse (dir.), De Gaulle et l’Algérie, op. cit., p. 299-312.
67 Houda Ben Hamouda, « France, the European Community and the Maghreb, 1963-1976. From Inertia to Key Player » in Elena Calandri, Daniele Caviglia et Antoni Varsori (dir.), Détente in Cold War Europe, op. cit., p. 195-206.
68 La MLC devient la Mission Militaire de Liaison et de Coopération par arrêté ministériel du 25 septembre 1964. Elle centralise et étudie les problèmes relatifs aux effectifs, à la conduite de l’aide, à la discipline, à l’application des protocoles, etc., mais n’a aucun pouvoir de décision.
69 En mars, le président algérien profite d’un essai nucléaire français dans le Sahara pour s’en prendre aux intérêts français, déjà mis à mal par son programme de Tripoli quelques mois plus tôt. Il publie ainsi les trois « décrets de mars » qui étendent le programme des nationalisations et permettent aux conseils ouvriers de prendre en main les fermes et entreprises appartenant aux Français. Byrne Jeffrey James, « Négociation perpétuelle », art. cité, p. 299-312.
70 Note de l’Organisation du ministère des Armées, 6099/EMA/ORG4/AA, 16 décembre 1965. SHD Vincennes, vol. 12 S 436, Espagne.
71 Dossier Gando, utilisation par la France de l’aérodrome de Gando (Las Palmas), 1963. SHD Vincennes, vol. 12 S 436, Espagne.
72 Conversation de Gaulle/Peyrefitte, 13 février 1963. Peyrefitte Alain, C’était de Gaulle, op. cit., p. 419.
73 Télégrammes 148-152, de R. de Boisséson, 16 avril 1964. DDF, 1964, I, no 181.
74 Note de Jacques de Folin, 26 mai 1964. DDF 1964, I, no 237.
75 Ces rapports livrent des descriptions détaillées des livraisons d’armes en provenance du bloc de l’Est et d’Égypte.
76 Dépêche no 4330, du général Fourquet, 25 mars 1963. AMAE, Europe 1944-1976, Grèce, vol. 189QO/244.
77 Note de la sous-direction d’Afrique du Nord, 5 juin 1963. DDF, 1963, I, no 196.
78 Voir notamment Vaïsse Maurice, La Grandeur, op. cit.; Bozo Frédéric, Deux stratégies pour l’Europe, op. cit. ; Rey Marie-Pierre, La Tentation du rapprochement, op. cit.
79 Bled Jean-Paul (dir.), Le Général de Gaulle et le monde arabe, op. cit. ; Vaïsse Maurice, De Gaulle et l’Algérie, 1943-1969, op. cit. ; Frémeaux Jacques, Le Monde arabe et la sécurité de la France, op. cit.
80 Note de la Sous-direction du Levant (SDL), 8 juillet 1965. AMAE, Pactes, Libye-Égypte, 1961-1970, vol. 384.
81 Little Douglas, « The Cold War in the Middle East: Suez crisis to Camp David Accords », in Melvyn Leffler et Odd Arne Westad, The Cambridge History of the Cold War, vol. II, op. cit., p. 305-326.
82 Dépêche no 1051, de J. Sauvagnargues, 27 avril 1963. DDF, 1963, I, no 149 ; Télégrammes no 5224-5240, de La Chevalerie, 21 décembre 1963. DDF, 1963, II, no 252.
83 Télégrammes no 486-495, de J. Sauvagnargues, 24 mars 1966. AMAE, Pactes, Maghreb, 1961-1970, vol. 383.
84 Dépêche no 381/EU, de Baeyens, 14 mai 1965. DDF, 1965, I, no 223.
85 Note de la Sous-direction d’Europe méridionale (SDEM), 4 février 1964. AMAE, Europe 1961-1965, Chypre, vol. 12.
86 Leffler Melvyn, For the Soul of Mankind, op. cit., p. 238.
87 Reprenant les arguments de Mao, Deng accuse Khrouchtchev d’avoir bradé l’héritage de Staline, d’avoir substitué la coexistence pacifique au combat contre l’impérialisme, d’avoir abandonné les mouvements de libération nationale et de ne pas avoir poursuivi la lutte des classes en URSS. Radchenko Sergey, « The Sino-Soviet Split », in Melvyn Leffler et Odd Arne Westad (dir.), The Cambridge History of the Cold War, vol. II, op. cit., p. 349-372.
88 Voir par exemple les propos de De Gaulle à Alain Peyrefitte le 18 décembre 1963. Peyrefitte Alain, C’était de Gaulle, op. cit., p. 850.
89 Télégrammes no 1578-1590, de Lefebvre de Laboulaye, 31 mars 1964. DDF, 1964, I, no 158.
90 Note de la direction des Affaires politiques, 4 mars 1966. DDF, 1966, I, no 144.
91 Byrne Jeffrey James, Mecca of Revolution: Algeria, Decolonization and the Third World Order, Oxford, Oxford University Press, 2016.
92 Entretien de Gaulle/Adenauer, 21 septembre 1963, Rambouillet. Peyrefitte Alain, C’était de Gaulle, op. cit., p. 1078.
93 « The Situation Surrounding the Establishment of Diplomatic Relations between China and France and Related Issues », 1964, History and Public Policy Program Digital Archive, PRC FMA 110-01998-01, p. 27-44, [http://digitalarchive.wilsoncenter.org/document/119197], consulté le 14-10-22.
94 De Gaulle ironise ainsi du fait que Ben Bella passe son temps à comparer les régimes algérien et égyptien à la Yougoslavie. Propos tenus à Peyrefitte, 23 octobre 1963. Peyrefitte Alain, C’était de Gaulle, op. cit., p. 1041.
95 Peyrefitte Alain, C’était de Gaulle, op. cit., p. 306.
96 Propos de De Gaulle à Peyrefitte, 7 mai 1963. Peyrefitte Alain, C’était de Gaulle, op. cit., p. 1035.
97 Entretien de Gaulle/Hussein de Jordanie, 17 novembre 1964. DDF, 1964, II, no 187.
98 Propos de De Gaulle au Premier ministre d’Iran Asadollah Alam, 17 octobre 1963. DDF, 1963, II, no 145.
99 Couve de Murville écrit aux ambassadeurs de France que « la fin de la guerre froide retire beaucoup d’importance au non-engagement ». Télégramme circulaire no 238, de Couve de Murville, 19 septembre 1966. DDF, 1966, II, no 254.
100 Vaïsse Maurice, La grandeur, op. cit., p. 291.
101 Maurice Couve de Murville est un excellent connaisseur du monde arabe. Audigier François, « Maurice Couve de Murville », in Claire Andrieu, Philippe Braud et Guillaume Piketty (dir.), Dictionnaire de Gaulle, op. cit., p. 291-292.
102 Cohen Samy, « Diplomates (1958-1969) », in Claire Andrieu, Philippe Braud et Guillaume Piketty (dir.), Dictionnaire de Gaulle, op. cit., p. 349-350.
103 Jean Binoche est sous-directeur de l’office du Maroc à Paris en 1936-1939, directeur de l’office du Maroc à Marseille en 1940-1941, secrétaire général du gouvernement tunisien en 1941-1943, secrétaire général de la délégation de la France combattante au Levant en 1944-1945, détaché à la délégation générale de la France au Levant en 1945-1946, premier conseiller à Beyrouth en 1946, sous-directeur d’Afrique-Levant de 1946 à 1952.
104 La question de la place des États-Unis en Tunisie et au Maroc se transforme en véritable serpent de mer au fur et à mesure que le Général approfondit sa politique de détente ; elle contribue à la détérioration des liens bilatéraux, déjà altérés par une série de contentieux. Tandis que l’affaire Ben Barka affecte durablement les rapports franco-marocains mais n’empêche pas le maintien d’une aide militaire, les relations avec Bourguiba, ternies par l’affaire de Bizerte, se font glaciales à partir du moment où ce dernier décide, le 12 mai 1964, la spoliation des terres agricoles appartenant à des Français. Les mesures de rétorsion prises par la France en matière commerciale, technique et culturelle conduisent Bourguiba à regarder un peu plus vers Bonn, Rome et Washington. Voir notamment la note de la direction d’Afrique du Nord du 21 avril 1966. AMAE, Pactes, Maghreb, 1961-1970, vol. 383.
105 Ce n’est qu’après 1962 que la consommation française de pétrole algérien augmente de manière significative, une fois les puits d’Algérie devenus opérationnels.
106 Frémeaux Jacques, Le Monde arabe et la sécurité de la France, op. cit., p. 48.
107 Télégrammes no 1270-1280, de Gorse, 20 février 1964. DDF, 1964, I, no 108.
108 Télégramme no 814, de Froment-Meurice, 6 novembre 1963. DDF, 1963, II, no 181.
109 Les investissements soviétiques dans l’exploitation pétrolière (livraison d’un pétrolier soviétique) posent problème à la France dans la mesure où cela gêne sa position dans les négociations de 1964-1965 avec Alger. Télégrammes no 2650-2660, de Ph. Baudet, 8 mai 1964. AMAE, Pactes, Maghreb, 1961-1970, vol. 383.
110 Entretien de Gaulle/Makhos, 20 décembre 1966. DDF, 1966, II, no 413.
111 Entretien de Gaulle/Makhos, 20 décembre 1966. DDF, 1966, II, no 413.
112 Voir notamment la conférence de presse qu’il tient à l’Élysée le 4 février 1965.
113 Message de De Gaulle à Khrouchtchev, 15 février 1964. DDF, 1964, I, no 93.
114 Télégrammes no 786-797, de Falaize, 26 octobre 1965. AMAE, Pactes, Libye-Égypte, 1961-1970, vol. 384.
115 Télégrammes no 528-529, de Leusse, 21 décembre 1966. AMAE, Pactes, Libye-Égypte, 1961-1970, vol. 384.
116 Note de la SDL, 20 septembre 1965. AMAE, Pactes, Libye-Égypte, 1961-1970, vol. 384.
117 Propos de De Gaulle à Peyrefitte, 6 novembre 1963. Peyrefitte Alain, C’était de Gaulle, op. cit., p. 1039.
118 Télégrammes no 3215 à 3222, de Lefebvre de Laboulaye, 13 juin 1964. DDF, 1964, I, vol. 255.
119 Propos de De Gaulle à Peyrefitte, 18 novembre 1964. Peyrefitte Alain, C’était de Gaulle, op. cit., p. 1045.
120 Télégrammes no 2650-2660, de Ph. Baudet, 8 mai 1964. AMAE, Pactes, Maghreb, 1961-1970, vol. 383.
121 Entretien de Gaulle/Humphrey, 7 avril 1967. AN, 5 AG 1 202, États-Unis, 1966-1969.
122 Note du 20 juillet 1966. DDF, 1966, II, no 150.
123 Péan Pierre, Les deux bombes, Paris, Fayard, 1982.
124 Selon Gadi Heimann, cet abandon vise surtout à convaincre l’Administration Kennedy d’aider la France à mettre au point sa bombe H. Washington s’y refuse à partir du moment où Paris et Tel Aviv révèlent conjointement l’existence d’un réacteur et d’une usine d’extraction de plutonium à Dimona, dans le désert du Néguev. Heimann Gadi, « The French and Israeli Pursuit of the Bomb, 1958-1962 », Israel Studies, 15/2, 2010, p. 104-126.
125 Heimann Gadi, « From “Irresponsible” to “Immoral”: The Shifts in de Gaulle’s Perception of Israel and the Jews », Journal of Contemporary History, 46/4, 2011, p. 906-907.
126 Note du 2e bureau de l’état-major de l’Armée de l’Air, 001/EMAA.2/REN/SD, 8 février 1967. SHD Vincennes, vol. 12 S 195, Israël.
127 Note rédigée par le commandant Chavannes, 27 janvier 1967 ; note de la division du renseignement, 20.005/DN/REN/0/SD, 27 janvier 1967. SHD Vincennes, vol. 12 S 195, Israël.
128 Note de la SDL, 12 mars 1964. DDF, 1964, I, no 138.
129 Frémeaux Jacques, Le Monde arabe et la sécurité de la France, op. cit., p. 51.
130 Rey Marie-Pierre, La Tentation du rapprochement, op. cit., p. 260.
131 Ibid., p. 260-261.
132 Giovaninetti Marc, 50 ans au cœur du système communiste : Raymond Guyot, un dirigeant du PCF, thèse de doctorat, université Paris 13, Villetaneuse, 2009, p. 870-876.
133 Ibid., p. 860-868.
134 Rey Marie-Pierre, La Tentation du rapprochement, op. cit., p. 257-258.
135 Message de De Gaulle à Khrouchtchev, 15 février 1964. DDF, 1964, I, no 93.
136 Télégrammes no 2177-2184, de M. Couve de Murville, 7 juillet 1964. DDF, II, no 10.
137 Entretien Couve de Murville/Eban, 31 janvier 1966. DDF, 1966, I, no 79.
138 L’Allemagne bien sûr, mais également Israël et l’Égypte. La République de Chypre reçoit quant à elle des armes de Tchécoslovaquie.
139 Entretien de Gaulle/Vinogradov, 18 juin 1964. AMAE, Europe 1961-1965, URSS, vol. 1931.
140 Note de la SDEM, 26 mai 1966. DDF, 1966, I, no 357.
141 Télégrammes no 2177-2184, de M. Couve de Murville, 7 juillet 1964. DDF, II, no 10.
142 Télégrammes no 4141-4146, de Ph. Baudet, 16 août 1964. DDF, II, no 69.
143 Note de la SDEM, 2 mars 1965. DDF, I, no 99.
144 Note de la SDEM, 26 mai 1966. DDF, I, no 357.
145 Soutou Georges-Henri, « La France du général de Gaulle, la Turquie et l’Europe », Commentaire, no 104, 2003/4, p. 915-924.
146 La sous-direction du Levant juge même que la question allemande est l’un des principaux enjeux des relations internationales en Méditerranée. Note de la SDL, 8 juillet 1965. AMAE, Pactes, Libye-Égypte, 1961-1970, vol. 384.
147 Télégrammes no 6434-6453, de T. de Courson de la Villeneuve, 15 et 16 décembre 1962. AMAE, Pactes 1961-1970, Maghreb, vol. 383.
148 Wisbauer Elisabeth, Les relations germano-israéliennes de 1965 à 2006 : de la normalisation à la normalité ?, université Charles de Gaulle – Lille III, 2017, p. 41-66.
149 L’URSS étant partie prenante des accords de Potsdam de 1945, elle dispose, comme les États-Unis, la France et le Royaume-Uni, de droits et responsabilités sur l’Allemagne et, de fait, d’un droit de regard sur son avenir.
150 Dépêche no 1068/AL, d’H. Alphand, 14 juin 1963. AMAE, Pactes, Libye-Égypte, 1961-1970, vol. 384.
151 Schoenborn Benedikt, La mésentente apprivoisée, op. cit., p. 285-288.
152 Note de la SDL, 8 juillet 1965. AMAE, Pactes, Libye-Égypte, 1961-1970, vol. 384.
153 Schoenborn Benedikt, La mésentente apprivoisée, op. cit., p. 303.
154 Ibid., p. 305.
155 Entretien Couve de Murville/Eban, 31 janvier 1966. DDF, 1966, I, no 79.
156 Note de la SDL, 8 juillet 1965 ; note de la direction d’Afrique-Levant, 26 mars 1966. AMAE, Pactes, Libye-Égypte, 1961-1970, vol. 384.
157 Entretien Couve de Murville/Eban, 31 janvier 1966. DDF, 1966, I, no 79.
158 Télégrammes no 58-61, de Rochereau de la Sablière, 24 février 1966. DDF, 1966, I, no 137.
159 Entretien de Gaulle/Zorine, 18 mars 1966. AN, 5 AG 1 187, URSS, 1966.
160 Télégrammes no 387-389, de Couve de Murville, 29 mars 1966. AMAE, Europe 1966-1970, URSS, vol. 2665.
161 Entretiens du général de Gaulle avec les dirigeants soviétiques, 21, 22 et 29 juin 1966. AN, 5 AG 1 187, URSS, 1966.
162 Conseil des ministres du 2 juillet 1966. Peyrefitte Alain, C’était de Gaulle, op. cit., p. 1407.
163 Télégrammes no 1440-1447, d’O. Wormser, 18 avril 1967. DDF, 1967, I, no 142.
164 Golan Galia, « The Soviet Union and the Outbreak of the June 1967 Six-Day War », Journal of Cold War Studies, 8, I, hiver 2006, p. 6-8.
165 Télégrammes no 637-651, de M. Roux, 16 mai 1967. DDF, 1967, I, no 179.
166 Note de la SDL, 20 septembre 1965. AMAE, Pactes, Libye-Égypte, 1961-1970, vol. 384.
167 Schoenborn Benedikt, La mésentente apprivoisée, p. 297.
168 Vego Milan, « Soviet and Russian Strategy in the Mediterranean since 1945 », art. cité, p. 171.
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