Chapitre IV. La gestion d’un fonds de modèles
p. 107-134
Texte intégral
1L’activité de la maison Raffl reposait sur l’édition. Les modèles de statues destinés à la reproduction étaient par conséquent au cœur de la vie de l’entreprise. Toute l’activité d’un éditeur s’organisait autour d’eux : les acquérir, les protéger de la contrefaçon, les reproduire, les diffuser. Ils constituaient l’une des clés de sa réussite et nécessitaient un investissement financier important. La plupart des fonds de modèles d’entreprises semblables à la maison Raffl ont aujourd’hui disparu. Seuls quelques ensembles ont pu être sauvés, comme le fonds Moynet à Vendeuvre-sur-Barse, celui de Giscard à Toulouse ou ceux des fonderies Durenne et Ferry-Capitain, qui comportent des modèles religieux. En revanche, la collection de modèles de la maison Raffl fut probablement détruite au moment de la liquidation en 19531, ou écoulée comme marchandise par Barsanti. Même si quelques-uns sont conservés dans le fonds Denonvilliers intégré au fonds Ferry-Capitain, les sources essentielles pour la connaissance de ce répertoire demeurent les exemplaires des statues et les catalogues de vente, malheureusement fort rares. Le plus ancien que nous ayons pu consulter date de 1882, le plus récent de 1930. Ces documents ne permettent pas d’identifier la totalité des modèles édités entre 1825 et 1953 ; ils n’en donnent qu’une vue partielle.
2Dans ce chapitre, nous examinerons tout d’abord les modalités de la constitution du fonds de modèles de la maison Raffl. La formation de cette collection éclaire les rapports entre éditeurs et sculpteurs dans le milieu de la statuaire religieuse, où l’anonymat était la norme. Elle permet également de mettre en évidence le phénomène de circulation des modèles entre les fonds des éditeurs et fait apparaître la politique d’acquisition dynamique de la maison Raffl. Nous étudierons ensuite le répertoire de modèles sous l’angle du processus de création. L’intégration de la phase de conception des modèles au sein de l’entreprise faisait la spécificité des grands fabricants de statues religieuses. Il s’agira en particulier de montrer l’impact de la diffusion à grande échelle sur le processus créatif dans ce contexte. Nous aborderons enfin la question de la protection juridique des modèles à travers l’examen des procès et de la jurisprudence qui en résulta. La contrefaçon faisait rage et les conflits entre éditeurs furent nombreux. Ces litiges sont riches d’enseignements sur le regard porté sur la statuaire religieuse et sur la définition juridique de son caractère original.
La formation de la collection
3L’acquisition de modèles constituait la première étape de la longue chaîne de l’édition. À l’exception de Josef Ignaz Raffl, les dirigeants de la maison Raffl n’étaient pas sculpteurs. Ils durent par conséquent acquérir des modèles auprès de tiers : artistes, éditeurs, ou leurs ayants droit. Entre l’installation de Mathieu Frediani quai Saint-Michel vers 1825 et la liquidation de la société « La Statue Religieuse » en 1953, chaque dirigeant a complété la collection de modèles. Le fonds de la maison Raffl, comme la majorité des fonds de fabricants de statues religieuses, n’était donc pas l’œuvre d’un sculpteur unique mais était composé de modèles de provenances très diverses, créés à différentes époques.
Sculpteurs et éditeurs
« Le fabricant commence par acheter, souvent fort cher, le droit de reproduire en toute taille et toute matière la statue œuvrée par un artiste de talent. Quelquefois, l’industriel, artiste lui-même, modèle la maquette ou fait établir dans ses ateliers, d’après ses croquis et indications, le saint personnage désiré. Les praticiens à sa solde qui exécutent ses idées se payent jusqu’à dix mille francs par an2. »
4Comme l’expliquait ici Henry Pacheu au journaliste et photographe Charles Géniaux, les modèles édités par un fabricant de statues religieuses étaient susceptibles d’être créés soit par le gérant lui-même, soit par un sculpteur indépendant et extérieur à l’entreprise, soit par un sculpteur employé au sein de l’établissement3.
Les sculpteurs-éditeurs
5Parmi les différents dirigeants de l’entreprise, seul Josef Ignaz Raffl était, de source sûre, sculpteur. Jean Auguste Frediani se présentait également comme tel mais son activité n’est pas assez documentée à ce jour pour l’assurer. Les autres n’avaient quant à eux aucune compétence dans ce domaine : Mathieu Frediani était mouleur, Verrebout peintre décorateur, les frères Delin agent de change et banquier, Pacheu juge, Lecaron rentier. La situation de Raffl, à la fois sculpteur, éditeur et fabricant, était originale car les sculpteurs qui géraient eux-mêmes l’édition de leurs œuvres étaient rares et sous-traitaient généralement la fabrication des reproductions à des mouleurs ou à des fondeurs indépendants. Elle n’était cependant pas unique dans le milieu de l’édition de sculptures religieuses de la seconde moitié du xixe siècle. Julien François Solon, mais aussi Henri Bouriché et Léon Moynet, pour ne citer que les exemples les mieux documentés, ont eux aussi créé tout ou partie des modèles qu’ils éditaient. Raffl, on l’a dit, avait suivi une formation assez classique auprès de différents sculpteurs autrichiens et tout porte à croire que ses difficultés à subsister en tant qu’artiste, ses relations commerciales avec des éditeurs de statues religieuses à Paris, puis son mariage avec la fille de Frediani l’ont conduit à prendre la tête d’une entreprise d’édition, sans doute loin de son projet initial mais lui promettant une large diffusion de ses œuvres et de son nom. Bouriché avait débuté comme apprenti dans l’atelier d’Henri Barrême à Angers, puis avait été admis à l’École des Beaux-Arts à Paris4. Il fut élève dans l’atelier de Jean et Auguste Debay, puis travailla un temps sous la direction de Jean Marie Bonnassieux, en particulier sur la grande Vierge du Puy5, avant de revenir à Angers où Barrême le convainquit de reprendre son atelier en échange d’une rente. Cette charge financière importante, mais aussi la forte demande du clergé angevin avec lequel Bouriché était très lié, semblent l’avoir amené à développer progressivement l’édition de ses œuvres et à s’entourer pour cela d’ouvriers spécialisés (mouleurs, peintres décorateurs, praticiens sculpteurs, etc.). Moynet aurait quant à lui étudié la sculpture auprès d’Achille Valois à Paris, collaboré ensuite avec un ornemaniste, Valtat, à Troyes, avant de s’établir à son compte6. Il débute une petite production moulée de sculptures et d’autels en terre cuite dans les années 1840 et constitue peu à peu un fonds de modèles. Là encore, il faut sans doute voir dans la demande du clergé le moteur de l’extension de son entreprise, passant du petit atelier où le sculpteur travaillait seul avec l’aide ponctuelle d’un estampeur, à la manufacture employant plusieurs dizaines d’ouvriers. Si les sculpteurs à la tête de maisons d’édition créaient des modèles, il faut souligner que tous les modèles qu’ils éditaient n’étaient cependant pas toujours de leur main. Non seulement certains, comme Raffl, héritèrent de fonds déjà constitués, qu’ils continuèrent certainement à exploiter, mais de plus, dans les ateliers que ces sculpteurs dirigeaient comme dans la plupart des ateliers de sculpture à la même époque, d’autres praticiens étaient susceptibles d’intervenir : apprentis, jeunes artistes en formation ou collaborateurs ponctuels. Identifier la paternité d’un modèle dans une entreprise d’édition de sculptures religieuses, même quand celle-ci était dirigée par un sculpteur, s’avère donc très délicat. La difficulté se renforce encore quand le dirigeant n’est pas artiste.
Les sculpteurs indépendants
6Lorsque l’éditeur n’avait pas de formation artistique, comme ce fut le cas de tous les autres dirigeants de la maison Raffl et d’un grand nombre de fabricants de statues religieuses, plusieurs possibilités s’offraient à lui pour se procurer des modèles. Il pouvait notamment en acquérir directement auprès de sculpteurs ou de leurs ayants droit. De nombreux artistes, connus ou non, collaboraient ponctuellement ou régulièrement avec ce type d’entreprises. À ses débuts dans la capitale, Raffl a ainsi créé des modèles pour le compte de Panichelli, mouleur-éditeur, et peut-être pour d’autres. Les comptes rendus des procès en contrefaçon font apparaître les noms de certains artistes dans l’ombre des éditeurs, comme ceux de Vadell, Delorme, Knuppel, Gelfsh ou du père Gourbeillon7. Exceptionnellement, les sculpteurs plus renommés voyaient leur nom affiché dans les catalogues ou leur signature apposée sur les statues à côté de celle de l’éditeur. On peut citer les exemples d’Aristide Belloc édité par Vidiani, Jean Marie Bonnassieux par Froc-Robert et la fonderie du Val d’Osne, Frédéric Louis Bogino par son fils Alphonse Bogino puis par Peaucelle-Coquet, Charles Desvergnes par Marron, ou Louis Richomme (en religion frère Marie-Bernard) par Rouillard. Salvatore Marchi, éditeur de statuettes établi passage Choiseul, s’enorgueillissait de l’origine prestigieuse de certains de ses modèles dans son Catalogue des œuvres d’art religieuses publié en 1875 :
« Ne reculant devant aucun sacrifice, nous avons confié la création de nos modèles à des artistes du plus haut mérite, tels que : Cambos, Pradier, Moreau-Mathurin, Carrier-Belleuse, Schœnewerk, Lequesne, Justin, etc., etc. Nous sommes fiers de pouvoir mettre ces noms à côté du nôtre comme garantie de nos reproductions8. »
7Cependant, dans le corps du catalogue, les modèles n’étaient pas précisément identifiés et les exemplaires de statuettes religieuses que nous connaissons de la maison Marchi ne portent que la signature de l’éditeur. Le catalogue de la maison Raffl édité en 1900 mentionnait également les noms de plusieurs artistes, sans que l’on sache de quels modèles exactement ils étaient les auteurs :
« La Maison Raffl, fondée par Frédiani, il y a plus d’un siècle, se recommande spécialement par le caractère religieux, le sentiment artistique et le fini de ses modèles, exécutés par des sculpteurs connus, tels que Pradier, Ledru, Scribe, Barreaux, Morel-Ladeuil, Debra, Gayrard, Sauvageau, Elias-Robert, Justin, Marchi, Carpezat, Chatillon, Calmels, Despins, Martens, Hardy, Félon, Dubois, Bongelet-Baudiet, Norest, Dupré, Choppin, Cambos, Raffl, Carrier-Belleuse, etc., etc9. »
8Certains étaient déjà cités par Salvatore Marchi, dont le fonds avait été racheté en 1886. Quant aux autres, nous ne savons pas si leurs modèles furent acquis directement auprès des sculpteurs ou de leurs ayants droit, ou s’ils aboutirent dans la collection de la maison suite au rachat d’autres fonds, de la même manière que le fonds Marchi.
9L’éditeur pouvait acquérir les modèles sous différentes conditions, moyennant une somme fixe ou le versement de droits d’auteur calculés au prorata des ventes, parfois les deux. Le sculpteur pouvait céder le droit de reproduction de son modèle pour toutes dimensions et toutes matières ou seulement pour certaines déterminées, pour un tirage et une durée illimités ou limités. Les termes de la cession étaient fixés par un contrat de vente ou contrat d’édition. Certains modèles étaient acquis par « traité régulier », établissant des droits d’auteur, d’autres « en toute propriété ». Dans ce cas, le modèle était immédiatement et définitivement cédé à l’éditeur. Il semble que ce dernier type de cession était le plus fréquent dans le domaine de l’édition religieuse, peut-être parce que les auteurs des modèles étaient généralement inconnus. En 1861, le sculpteur polonais Knuppel « cédait la toute propriété d’un Saint Joseph, avec enfant, de 60 centimètres de hauteur, et d’une réduction du même modèle de 40 centimètres » à Panichelli10. Par cette déclaration rédigée sur papier timbré et datée, il renonçait une fois pour toutes à ses droits au profit de l’éditeur. Le modèle de Vierge Immaculée créé par Raffl pour le même éditeur avait été également cédé en toute propriété11. Dans le cas où des droits d’auteur devaient être reversés, les ventes étaient consignées afin de calculer la part qui revenait au sculpteur. Les archives de la maison Rouillard comptent plusieurs cahiers de ce type, portant en titre le nom du modèle concerné, par exemple : « Droits d’auteur sur les statues de N.-D. de la Confiance. Remise 15 % sur toutes les ventes ». Ces contrats semblent avoir été réservés aux sculpteurs jouissant d’une certaine notoriété ou à des tirages réduits. Ils étaient relativement rares dans la masse des modèles édités par les fabricants de statues religieuses car ils pouvaient revenir très chers. Le fabricant parisien Casciani, interviewé en 1894 par François Thiébault-Sisson pour le journal L’Illustration, confiait ainsi que « ces droits [d’auteur], dans une industrie comme la nôtre, atteindraient des sommes folles. Quand un modèle prend bien, c’est à des milliers, quelquefois à des centaines de milliers d’exemplaires que nous le reproduisons12 ».
Les sculpteurs employés
10Lorsque le développement et le chiffre d’affaires de leur entreprise le leur permettaient et rendaient justement les droits d’auteur trop importants, les éditeurs de sculptures religieuses employaient un ou plusieurs sculpteurs spécialement chargés de la création des modèles. Cette pratique semble s’être particulièrement développée à partir de la fin du siècle, au moment où certaines entreprises connurent une forte extension. La maison Raffl avait ainsi plusieurs modeleurs à son service au tournant du xxe siècle13 (fig. 21). Ce fonctionnement faisait la spécificité des grands fabricants de statues religieuses qui maîtrisaient en interne toute la chaîne de l’édition et il eut un impact direct sur le processus de création des modèles, comme on le montrera plus loin. Il s’apparentait à celui des industries d’art (textile, papier peint, bronze d’ameublement, etc.), qui employaient un grand nombre de dessinateurs et d’ornemanistes14. Casciani expliquait en détail le parcours et le statut particuliers des sculpteurs qui travaillaient pour lui :
« Dans la revue rapide que j’ai passée, tout à l’heure, des statues, j’ai reconnu quelques motifs d’assez de goût, entrevus naguère au Salon, et j’en exprime au fabricant ma surprise. – Rien d’extraordinaire à cela, me dit-il. Si nous ne pouvons commander nos modèles à des artistes en renom, nous tenons néanmoins à ce que tout ce qui se fabrique chez nous ait un caractère artistique. Nous élevons donc à la brochette nous-mêmes, quand nous trouvons en eux de réelles dispositions, des apprentis ou des fils d’ouvriers, nous leur apprenons à modeler en leur faisant suivre les leçons de vrais sculpteurs, et, du jour où ils en savent assez, nous signons avec eux un traité qui nous assure la propriété exclusive de leurs œuvres, qui leur assure, d’autre part, jusqu’à 25 et 50 francs par journée. Ils y gagnent, et nous n’y perdons pas, n’ayant pas de droits d’auteur à payer15. »
Fig. 21. – L’atelier de sculpture de la maison Raffl (Le Mois littéraire et pittoresque, 1901).

© Pauline Carminati.
11Ces propos éclairent la mention « Modèle admis au Salon des Beaux-Arts » qui accompagnait certains modèles présentés dans les catalogues de la maison Raffl au début du xxe siècle et témoignent des liens unissant les milieux artistiques académiques et l’édition de sculptures religieuses (fig. 22). Dans un article paru en 1902 dans le journal anglais Pearson’s Magazine, Pacheu indiquait quant à lui que la plupart des sculpteurs travaillant pour la maison Raffl à cette époque avaient suivi les cours de l’École des Beaux-Arts16.
Fig. 22. – Catalogue no 57 de la maison Raffl (1911-1912).

© Pierre Demenois.
12L’emploi de sculpteurs au sein des entreprises d’édition témoigne de l’importance prise par la figure de l’éditeur au cours du xixe siècle. Loin de se réduire à un exécutant au service de l’artiste, l’éditeur contrôlait, dans les entreprises comme la maison Raffl, la totalité du processus d’édition, la création comme la fabrication, le sculpteur devenant un employé parmi d’autres. Les modèles n’étaient pas signés et l’éditeur était alors considéré non seulement comme le propriétaire mais comme l’auteur de l’œuvre17. La création dans le secteur de l’édition de sculptures religieuses était le fait d’un ensemble d’acteurs aux statuts divers : sculpteurs-éditeurs travaillant en leur nom, apprentis et collaborateurs, sculpteurs indépendants fournissant des modèles, employés « élevés à la brochette ». En travaillant au service de l’édition, la plupart tombaient dans l’anonymat, leurs modèles se mêlaient sans distinction dans le fonds et l’éditeur s’arrogeait le titre de « statuaire ». Cet anonymat de la statuaire religieuse d’édition, s’il peut en partie au moins s’expliquer par l’importance croissante de l’éditeur, par le recours à des artistes inconnus du public et par l’emploi de sculpteurs au sein même des entreprises, répondait aussi à une certaine méfiance propre au milieu catholique et clérical vis-à-vis de la supposée trop forte personnalité des artistes qui ne s’accorderait pas avec l’humilité et la foi nécessaires à l’art religieux18. Cette idée fondée notamment sur la nostalgie des imagiers du Moyen Âge et l’idéal du moine-artiste traverse les manuels de décoration d’églises écrits par des ecclésiastiques. En 1867, le Guide du clergé dans Paris faisait ainsi le lien entre « ces artistes chrétiens qui s’inspiraient de leur foi et demandaient à la prière leurs inspirations […] ces corporations du moyen-âge, ces artistes habiles, dont les œuvres non signées nous servent de modèles et de guides », et le « mérite artistique et surtout [le] sentiment religieux qui caractérise les statues de M. Froc-Robert, sentiment qui fait défaut dans la plupart des œuvres de nos artistes les plus renommés », exprimant ainsi nettement la préférence pour une œuvre anonyme19.
13La collection de la maison Raffl ne s’est pas constituée uniquement dans une relation directe d’éditeur à sculpteur, modèle après modèle, mais également par le biais d’achats de fonds entiers à des entreprises concurrentes. Ces transactions mettent en lumière la circulation des modèles dans le milieu de l’édition et la grande difficulté de dater et d’identifier l’origine exacte des modèles.
La circulation des modèles
14Les éditeurs de statues religieuses pouvaient également acquérir des modèles auprès de confrères, à l’occasion par exemple d’un décès, d’une faillite ou d’une cession. Les modèles circulaient ainsi d’éditeurs en éditeurs20. Les comptes rendus des procès en contrefaçon mettent en évidence l’historique souvent complexe des modèles et révèlent ces nombreux transferts de droits entre éditeurs. Ces derniers se séparaient parfois ponctuellement de certains de leurs modèles sans forcément vendre tout leur fonds. On apprend par exemple, au cours d’un procès opposant en 1880 Panichelli à Luchini au sujet d’une statue de saint Louis de Gonzague créée par le sculpteur Delorme pour l’éditeur Spicq, que « par acte sous signature privée en date, à Paris, du 1er janvier 1879, Spicq a revendu à Panichelli la propriété de cette même statue et de ses réductions21 ». En témoigne aussi l’arrangement conclu entre Léon Moynet et Pillioud, « propriétaire-éditeur d’objets d’art » établi 36, rue Vieille-du-Temple à Paris22. Moynet lui écrivait le 6 septembre 1869 :
« J’accepte les conditions que vous me proposez, pour acquérir la propriété de votre statue de la Vierge. L’épreuve sera à ma charge, vous aurez six francs accordés sur chaque exemplaire vendu pendant le cours d’une année. Cette dite année commencera à partir de sa mise en vente, après quoi j’en conserverai la propriété pour ma fabrication en terre cuite et non en d’autre matière23. »
15De tels accords ponctuels pouvaient avoir lieu lorsqu’un même modèle était édité par plusieurs éditeurs dans différentes matières. Ainsi, les fabricants de statues religieuses cédaient parfois à des fonderies d’art le droit de reproduire certains de leurs modèles en fonte de fer et en bronze. Denonvilliers collaborait par exemple avec la maison Froc-Robert, à laquelle il reversait 10 % sur les ventes24. Bogino avait conclu en 1898 un accord similaire avec Chapal, repreneur des établissements Kerloc à Auray dans le Morbihan25. Il s’engageait à mettre en dépôt, à la disposition de Chapal, un exemplaire de tous ses modèles de statues courantes pour être fondues en fonte de fer et bronze. Chapal devait en contrepartie lui verser, pendant dix années, un droit de 10 % sur le prix de vente de tous les exemplaires de ces modèles. Bogino ayant fait faillite, Chapal collabora finalement avec Rouillard26.
16Les transactions entre éditeurs pouvaient aussi concerner des fonds entiers déjà constitués. Elles donnaient généralement lieu à des inventaires qui, lorsqu’ils sont conservés, représentent des mines d’informations. L’acquisition d’un fonds préexistant était bien souvent le moyen de démarrer une activité d’édition. De nombreux éditeurs, tel Raffl, se sont ainsi appuyés sur des fonds à l’histoire ancienne. Lorsqu’il prit en 1860 la succession de l’atelier d’Henri Barrême, Henri Bouriché hérita des modèles de son maître, de même que Pierre Rouillard à sa suite. Louis Désiré Froc, qui donna son nom à la maison Froc-Robert, commença vers 1862 son activité d’éditeur de statues religieuses en faisant l’acquisition du fonds créé huit ans auparavant par Claude François Besand. Au cours de leur activité, les fabricants étaient également amenés à acquérir des fonds de concurrents dans le but d’agrandir leur collection de modèles. Ce cas était différent d’une cession entre un éditeur et son successeur. Il avait généralement lieu après un décès ou une faillite, et le fonds acheté venait souvent rejoindre un fonds déjà constitué. Il s’agissait alors d’une stratégie commerciale visant à la fois à accroître le capital de la société, diversifier son répertoire de modèles et récupérer la clientèle de l’autre entreprise. C’est ainsi que la maison Raffl, par sa politique active d’acquisition, a peu à peu absorbé la plupart de ses concurrents parisiens au début du xxe siècle. Elle est à ce titre particulièrement représentative de la circulation des modèles dans le milieu de l’édition de sculptures religieuses. Si l’historique de ces acquisitions a pu être retracé, comme on l’a vu dans le précédent chapitre, en revanche il n’est pas toujours possible d’identifier les modèles qui correspondent à chacun des fonds absorbés. Leur origine, de même que leur auteur, est très rarement précisée dans les catalogues de la maison Raffl. Lorsqu’ils existent, on peut s’appuyer sur les catalogues illustrés des maisons rachetées, mais ils ne présentent jamais la totalité des modèles.
17L’historique des modèles de la maison Raffl pouvait être très complexe. Un modèle commercialisé par exemple en 1874 par Casciani, pouvait avoir été édité en 1897 par Bogino, puis en 1900 par Peaucelle-Coquet, et en 1907 par la maison Raffl, avant que celle-ci ne change de dénomination et ne devienne « La Statue Religieuse ». Les signatures apposées sur les statues évoluaient au fil de ces changements de propriétaires et de dénominations sociales. Elles ne peuvent donc pas renseigner à elles seules sur l’origine exacte d’un modèle, mais uniquement sur son propriétaire à un moment donné. Il en est de même des catalogues de vente qui présentent un état momentané d’un fonds qui ne cessait d’évoluer. Mais signatures et catalogues peuvent être croisés aux numéros des modèles pour donner des indices sur leur fonds d’origine. Au sein des entreprises, chaque modèle était en effet identifié par un numéro27. Cette numérotation facilitait les commandes et l’organisation à l’intérieur de l’atelier. Elle renvoyait à un registre qui était complété au fur et à mesure des créations, des transformations et des acquisitions de nouveaux modèles. Ainsi, lorsqu’un fonds entier venait d’être acquis et était enregistré, toute une série de numéros consécutifs lui était attribuée. La série de numéros signe alors l’origine des modèles. La numérotation d’un modèle était attribuée une fois pour toute, à moins d’une transformation du modèle, car dans ce cas celui-ci recevait généralement un nouveau numéro, ou à moins de l’abandon du modèle, qui était alors rayé du registre et dont le numéro pouvait être réattribué. Un grand numéro pouvait donc correspondre aussi bien à un modèle nouvellement créé ou acquis, qu’à un modèle d’origine ancienne ayant été transformé (cas des variantes notamment), tandis qu’un petit numéro, s’il correspondait en règle générale à un modèle ancien, pouvait néanmoins parfois se référer à un modèle récent ayant reçu le numéro d’un modèle abandonné. En dépit de ces cas particuliers, la numérotation attribuée par les fabricants est susceptible de donner des indices sur la date approximative d’enregistrement d’un modèle (c’est-à-dire, en général, sa date de création, d’acquisition ou de transformation), à condition que certains numéros précisément datés puissent servir de jalons. Le registre de la maison Raffl n’est pas conservé, mais un catalogue publié en 1900 et réédité en 1906 contient la liste vraisemblablement exhaustive des modèles dont l’entreprise avait la possession à cette date, avec leur numéro, même si tous ne sont pas illustrés par une photographie28. Pour les années suivantes (1900-1953), cette liste peut être partiellement complétée par les catalogues publiés ultérieurement. D’après cette numérotation, l’entreprise comptabilisait vers 1900 environ deux mille cinq cents modèles, et vers 1912, à la suite des multiples rachats d’entreprises concurrentes, près de dix mille modèles différents, ce qui était considérable dans ce secteur. À titre de comparaison, le registre de la maison Bouriché, tenu certainement jusqu’à la cessation d’activité en 1962, totalise « seulement » mille six cents numéros alors que chaque dimension possédait un numéro29.
18Le fonds de la maison Raffl constitua probablement la collection la plus importante de modèles religieux en France. Fondé au début du xixe siècle, il fut enrichi pendant plus d’un siècle par ses propriétaires successifs, tant par la création de modèles en interne que par l’achat de fonds à des éditeurs concurrents, mettant en évidence une politique d’acquisition dynamique qu’aucune autre entreprise de ce type n’eut les moyens de mener dans de telles proportions. Cette collection à l’historique complexe était composée de modèles créés par de nombreux auteurs différents, pour la plupart anonymes. Si Raffl y contribua notablement, ses modèles furent mêlés à ceux d’autres sculpteurs et sont aujourd’hui difficilement identifiables, à quelques exceptions près. L’enrichissement permanent du fonds n’impliquait pas nécessairement l’abandon des anciens modèles, qui pouvaient continuer à être édités pendant plusieurs décennies, à l’instar de certains modèles créés par Raffl dans les années 1860 et 1870, encore commercialisés dans les années 1930. L’exploitation de tels fonds de modèles engendra au sein des entreprises d’édition de sculptures religieuses une économie spécifique, au point de vue non seulement de la politique éditoriale mais également du processus de création. Tournée vers la diffusion à grande échelle, elle favorisa le développement de méthodes de travail particulières.
La conception des modèles
19La conception des modèles en interne était une spécificité des sculpteurs-éditeurs ainsi que des grands fabricants qui avaient à la fois le besoin et les moyens d’employer des sculpteurs en continu. Au sein de la maison Raffl, créations et acquisitions étaient menées de front, enrichissant en permanence la collection de modèles. Contrairement aux acquisitions de fonds concurrents, essentiellement justifiées par une volonté de domination de l’entreprise sur le marché professionnel, la création de nouveaux modèles était davantage le reflet de la demande de la clientèle et de l’évolution des dévotions. La plupart des modèles de la maison Raffl furent créés spécialement pour l’édition. Hormis quelques rares exceptions, il ne s’agissait pas de moulages d’œuvres existantes, éditées a posteriori. Il ne s’agissait pas non plus de copies au sens strict. En effet, même lorsqu’une œuvre précise était prise comme référence, des variations lui étaient toujours apportées. Ainsi le travail des sculpteurs au service de l’édition ne consistait pas tant à copier des œuvres existantes qu’à proposer leur propre version d’iconographies pré-établies (pl. VI-VII). L’objectif était double : se démarquer autant que possible artistiquement et juridiquement, tout en partageant tous un même répertoire iconographique.
Pl. VI. – Différents modèles d’un même type iconographique de saint Joseph. De gauche à droite et de haut en bas : maisons Raffl, Moynet, Froc-Robert, Puccini, Raffl, Daniel.

© Pauline Carminati.
Pl. VII. – Différents modèles d’un même type iconographique de Sacré-Cœur. De gauche à droite et de haut en bas : maisons Mayer, Raffl, Moynet, Bogino, Pierson, Peaucelle-Coquet.

© Pierre Demenois (n°1) ; © Pauline Carminati (nos 2, 3, 5, 6) ; © Jean-Michel Rodriguez (n°4).
Le répertoire iconographique
20Le répertoire de modèles de la maison Raffl, étudié au point de vue des iconographies, ne se distinguait pas notablement des répertoires d’autres fabricants, tels que l’on peut les comparer à partir des catalogues commerciaux. Tous les éditeurs de statues religieuses diffusaient des modèles différents, mais représentant les mêmes types iconographiques. Dans ce secteur, la politique éditoriale ne consistait pas à proposer des iconographies originales, puisque justement sur ce point l’Église recommandait de ne pas s’écarter des types consacrés, mais à en proposer le plus grand nombre possible.
21La création d’un nouveau modèle de statue pouvait être motivée par plusieurs facteurs. Souvent, elle répondait à la nécessité de représenter un sujet absent du fonds de l’entreprise. Jusqu’au milieu du xixe siècle, le nombre d’iconographies était encore très restreint dans les catalogues des éditeurs de sculptures. Celui de la maison Berthommé, Pellet et Cie, daté du début des années 1840, ne présente que quinze « sujets religieux » : Jésus, Sainte-Vierge, Sainte-Vierge à la Chaise, Sainte-Vierge Immaculée, Sainte Magdeleine, Sainte Philomène, Sainte Anne, les quatre évangélistes, Saint Jean-Baptiste, Saint Pierre, Saint Paul et Saint Michel30. De plus, à cette période, un seul modèle était proposé pour chaque sujet. Le catalogue édité par Besand en 1861 est très intéressant car il met en lumière plusieurs évolutions importantes31. D’abord, une très nette augmentation du nombre de saints représentés, tout particulièrement des martyrs des catacombes romaines32. D’autre part, tandis que dans la liste principale des « saints et saintes dont les moules existent dans les ateliers », seules deux iconographies mariales étaient présentes, « Immaculée » et « Vierge mère », Besand a fait ajouter à la fin une liste complémentaire des « noms des saints dont les modèles ont été achevés pendant l’impression », dans laquelle apparaissent de nouvelles iconographies témoignant du développement des dévotions mariales particulières : Notre-Dame des Sept Douleurs, Notre-Dame des Victoires, Notre-Dame du Carmel et Notre-Dame du Rosaire, et où se trouvait également le Sacré-Cœur de Jésus.
22L’actualité religieuse guidait en grande partie le rythme des créations. Les béatifications, les canonisations, ainsi que les apparitions surnaturelles donnant lieu à un culte, offraient de nombreuses occasions d’établir de nouveaux modèles. Dans son article consacré à la maison Raffl, Charles Géniaux rapporte : « Chaque année, des saints, jamais reproduits par la statuaire, sont véritablement créés d’après les textes et les données de l’art chrétien. Les béatifications et les canonisations fournissent au fabricant les moyens d’affirmer la valeur de ses créations33. » De nombreuses personnes, telles que Marguerite-Marie Alacoque, Germaine Cousin, Jean-Marie Vianney, Marie-Madeleine Postel ou encore Thérèse de Lisieux, furent en effet béatifiées ou canonisées aux xixe et xxe siècles et leurs représentations ajoutées au répertoire (fig. 23). Les apparitions étaient reçues avec plus de circonspection par les fabricants, qui attendaient généralement leur reconnaissance officielle par les autorités religieuses avant de faire les frais d’un modelage, à moins de recevoir une commande directe. L’essor de nouvelles confréries suscitait également la création d’iconographies spécifiques, propres aux associés, comme par exemple le Christ de l’Apostolat de la Prière34. De nouveaux modèles pouvaient également être créés dans le but de proposer plusieurs variantes d’un même type iconographique très en vogue. Dans ce cas, le travail du sculpteur consistait à faire varier le style, la position des membres, les traits du visage ou encore la disposition des plis des vêtements. La création des modèles suivait les flux et reflux des dévotions et le nombre de ces variantes reflétait la demande. En 1902, Henry Pacheu évoquait pour le journal anglais Pearson’s Magazine les dévotions qui rencontraient alors le plus de succès : un quart des statues vendues par la maison Raffl en ce début de siècle représentaient la Vierge ; ensuite venaient saint Joseph, le Sacré-Cœur et saint Antoine de Padoue, puis loin derrière les autres saints35.
Fig. 23. – Maison Raffl, Bienheureuse Marie-Madeleine Postel, 1912.

Signée « La Statue Religieuse », plâtre polychromé, église de Tocqueville.
© Pauline Carminati.
23Conçu en écho à l’actualité religieuse, le répertoire iconographique commun des éditeurs offre un miroir fidèle des dévotions préconciliaires. Par-delà son évolution au fil du temps, il constituait un ensemble cohérent et ordonné aux yeux des catholiques de l’époque qui y voyaient un reflet du Paradis, comme en témoigne notamment le nom de « paradis » donné aux réserves de modèles et aux galeries d’exposition36. La description des modèles de la maison Moynet par Mgr Fèvre est particulièrement éloquente à cet égard37. À ses yeux, la multitude des types iconographiques s’organisait selon « l’ordre des litanies des saints », un ordre « liturgique, simple et clair comme tout ce qui procède de la simplicité et s’inspire de la foi ». Cet « ordre des litanies des saints » était précisément celui qu’adoptèrent de nombreux fabricants dans leurs catalogues. Suivant cette hiérarchie, Mgr Fèvre débutait son parcours par les représentations du Christ, poursuivait par les différents types iconographiques de la Vierge Marie, soulignant que cette profusion de titres correspondait à autant de façons d’honorer et de prier la mère du Christ. Après Marie venaient les anges, puis la cohorte des saints, au premier rang desquels Mgr Fèvre plaçait les évangélistes et les apôtres. L’ecclésiastique distinguait ensuite les martyrs, soulignant à cette occasion le refus de la représentation réaliste de la souffrance physique. Suivaient les autres saints, les hommes d’abord et enfin les saintes, « poème de la femme catholique ». L’énumération minutieuse, sur près d’une trentaine de pages, des « mille types » de la statuaire religieuse contemporaine met en lumière un intérêt marqué pour la représentation du plus grand nombre possible de sujets. Loin d’être perçue comme un signe de production sérielle, elle témoigne plutôt d’un souci d’exhaustivité, d’une démarche de catalogage en quelque sorte scientifique du monde céleste, manifestation de l’esprit rationnel de l’époque appliqué au domaine de la statuaire religieuse. Elle reflète également l’important dynamisme dévotionnel du xixe siècle et en particulier un culte des saints toujours très vif.
24La réalisation de ces innombrables modèles supposait un travail considérable, s’étendant sur de nombreuses années. Pour les concevoir, éditeurs et sculpteurs étaient tenus de se documenter rigoureusement et s’appuyaient sur un ensemble de sources historiques et visuelles.
La documentation
25La création d’un nouveau modèle de statue était précédée par un travail de documentation qui pouvait prendre plusieurs formes. Il pouvait s’agir tout d’abord de recherches historiques et iconographiques. Éditeurs et sculpteurs se référaient à toutes sortes de publications savantes, dictionnaires d’iconographie, revues archéologiques, encyclopédies d’histoire de l’art, et consultaient fréquemment des ecclésiastiques férus d’archéologie chrétienne. Les fabricants aimaient faire valoir ce travail de recherche qui préludait à la création des modèles, n’hésitant pas à l’idéaliser. Pacheu expliquait au journaliste anglais Robert H. Sherard que lorsqu’il recevait la commande d’une statue de saint peu connu, il fallait « rechercher les particularités, la période à laquelle il vécut, les costumes de cette période, pour trouver quels furent ses attributs spécifiques, quel fut son martyre, si martyre il y eut38 » (fig. 24). Une grande importance était accordée au costume et, à travers lui, à la véracité historique de la représentation. Les recherches menées par les fabricants visaient notamment à se tenir au courant de l’actualité des connaissances archéologiques. Dans la lignée d’Ernest Renan, les contemporains de Pacheu attachaient beaucoup d’importance au caractère historique, fiable, des représentations religieuses et avaient en horreur l’anachronisme39. Lorsque des erreurs étaient commises, les curés les plus savants ne manquaient pas de manifester leur mécontentement40.
Fig. 24. – Maison Raffl, Saint Gorgon, signé « Delin frères ».

Plâtre polychromé, église d’Heugueville.
© Pauline Carminati.
26Les sculpteurs s’appuyaient également sur une riche documentation visuelle. Les archives de la maison Moynet conservent un ensemble de dossiers iconographiques classés par ordre alphabétique41. Ces dossiers complétés au fil du temps mettent en évidence une collecte continue d’images de provenances diverses qui venaient s’ajouter aux ouvrages et revues illustrés que contenait la bibliothèque : gravures découpées dans la presse (en particulier dans le journal Le Pèlerin) ou dans les Vies de saints illustrées (publiées également par Le Pèlerin), gravures représentant des sculptures contemporaines, photographies de modèles édités par des entreprises concurrentes et de sculptures anciennes, images pieuses, etc. Ces matériaux constituaient des sources directes d’inspiration (fig. 25-27). Certaines de ces images étaient parfois envoyées par les commanditaires pour servir de base à la création de la statue qu’ils souhaitaient acquérir. Les photographies des modèles d’autres fabricants montrent par ailleurs que les sculpteurs s’informaient précisément des formules proposées avant eux. Ces derniers ne se référaient pas seulement à des images, mais également à des modèles en trois dimensions. Dans l’atelier de modelage de la maison Moynet se trouvaient ainsi de nombreux moulages de sculptures anciennes. Froc-Robert possédait quant à lui une collection de moulages d’œuvres médiévales dont il prétendait s’inspirer pour créer ses propres modèles42. La documentation des sculpteurs au service de l’édition témoigne ainsi d’une référence concomitante à des représentations historiques anciennes (photographies de sculptures médiévales, moulages, gravures des publications archéologiques, etc.), et à des représentations contemporaines (modèles de statues d’édition, images pieuses, gravures de presse, etc.), une double influence qui se reflète dans le répertoire de modèles des éditeurs.
Fig. 25-27. – Deux gravures représentant saint Laurent et un dessin pour la composition d’une statue du même saint, conservés dans les dossiers iconographiques de la maison Moynet.

© Pauline Carminati.

© Pauline Carminati.

© Pauline Carminati.
27La maison Raffl vantait dans son catalogue ses « modèles archaïques et modernes, de tous styles43 ». Certains parmi eux faisaient directement référence à une œuvre existante, peinture ou sculpture, ancienne ou contemporaine. Les variantes pouvaient être fidèles à l’œuvre prise pour modèle ou assez libres, selon le parti pris du sculpteur et selon que l’œuvre était ou non tombée dans le domaine public. La référence était parfois explicitement mentionnée dans le catalogue. Cette exception semble avoir concerné les œuvres ou les artistes bénéficiant d’une aura telle que la clientèle tenait à l’idée de copie, quand bien même il ne s’agissait pas d’un moulage ni d’une copie exacte. Parmi les œuvres anciennes, on relève à travers le répertoire de la maison Raffl des copies de sculptures médiévales, telle la « Vierge du Pilier » de la cathédrale Notre-Dame de Paris, ainsi que des interprétations variées du saint Michel de Raphaël et de la Vierge de l’Assomption de Murillo, tableaux conservés au Louvre. Tous les éditeurs proposaient également une version de la Vierge à l’Enfant conservée dans l’église Notre-Dame des Victoires à Paris, sculpture italienne du début du xviiie siècle attribuée à Giuseppe Torretti. Parmi les œuvres contemporaines dont on trouve des échos directs dans le répertoire de la maison Raffl, on peut mentionner les deux sculptures en marbre représentant saint Pierre et saint Paul créées dans les années 1850 par Ignazio Jacometti et Salvatore Revelli pour la basilique romaine Saint-Paul-hors-les-murs. Un tableau d’Overbeck donna lieu également à un type très populaire de Vierge à l’Enfant dite « Vierge à la présentation ». Il serait sans doute possible d’identifier de nombreuses références à la sculpture religieuse française contemporaine de commande et aux succès du Salon. Pour citer deux exemples, Bogino édita une variante de la Vierge au lys qu’Eugène Delaplanche présenta au Salon de 1878, tandis que la maison Moynet s’inspira de la Madone de Gustave Doré exposée au Salon de 1880, dont une gravure est conservée dans ses dossiers iconographiques (fig. 28).
Fig. 28. – Gravure représentant la Vierge à l’Enfant de Gustave Doré conservée dans les dossiers iconographiques de la maison Moynet, et modèle de « Vierge au signe de la croix » dans un catalogue de la même entreprise, vers 1900.

© Pauline Carminati.
28Cependant, ce schéma de reprise ou de citation d’une œuvre préexistante sous forme de variantes ne se vérifie pas systématiquement. Les sources des modèles d’édition étaient souvent plurielles. De plus, il faut se garder de généraliser : la référence des modèles, si référence il y a, n’était pas toujours une œuvre artistique « unique ». Elle pouvait aussi bien être une médaille (comme la « médaille miraculeuse »), une photographie (d’un saint contemporain par exemple, comme Marie-Madeleine Postel ou Thérèse de Lisieux), une image pieuse, une autre sculpture d’édition, voire un récit. En effet, la référence des modèles de statues n’était pas toujours une représentation visuelle. Certains types iconographiques ont été créés pour la première fois par des éditeurs en réponse à une commande particulière qui leur a été adressée directement. La création de ces nouveaux types pouvait être liée à des apparitions surnaturelles contemporaines que les voyants ou leurs prosélytes souhaitaient matérialiser et parfois diffuser. Ce fut le cas par exemple de la Vierge au globe, créée en 1876 par la maison Froc-Robert à la demande expresse de Catherine Labouré44, ou de Notre-Dame de Tilly, commandée à la maison Raffl en 1896 par le curé de la paroisse de Tilly-sur-Seulles45. Aucune représentation fixée, établie, ne préexistait et ce sont des éditeurs de sculptures qui mirent au point l’iconographie de ces apparitions. De même, à Lourdes, les éditeurs d’images religieuses n’attendirent pas que Fabisch réalise sa sculpture pour diffuser des représentations de l’apparition, on y reviendra. La dynamique créatrice propre au milieu de l’édition ne doit donc pas être sous-estimée, tout comme la circulation des motifs entre deux et trois dimensions. Des liens étroits unissaient en particulier les images de piété, les médailles et les statues. Nourri d’influences artistiques multiples, à la fois savantes et populaires, ancré dans un système complexe de références (à des œuvres d’art, des événements contemporains, des actes pontificaux, des confréries, etc.), le répertoire de modèles des éditeurs de sculptures religieuses offre un riche reflet de la culture visuelle catholique des xixe et xxe siècles.
29De nombreux croquis dans les archives de la maison Moynet montrent qu’à partir de la documentation rassemblée ou adressée par le commanditaire, le sculpteur esquissait sur le papier les grandes lignes du futur modèle. Les archives du sanctuaire de Lourdes détiennent plusieurs dessins à l’encre envoyés par la maison Raffl, témoignant que le croquis était mis au propre et adressé au client avant la réalisation du modelage, lorsque la création du modèle faisait suite à une commande spécifique46. La comparaison de ces dessins avec les statues réalisées laisse présumer que le sanctuaire a demandé des transformations avant de donner son accord. De même, certains croquis de la maison Moynet portent des commentaires indiquant les modifications à faire par rapport au projet initial. L’un d’eux, représentant saint François de Paule, a été retourné par le client avec le commentaire suivant : « Nous acceptons en principe ce croquis, seulement nous trouvons que ce Saint avec le crucifix et le livre, ressemble trop à un St Fçois d’Assise. Ce Saint étant fondateur des Minimes, veuillez lui mettre entre les mains un petit monument comme à St Bernard47. » (fig. 29). Après les croquis, le sculpteur réalisait un modelage qui passait ensuite entre les mains des mouleurs. Le modèle en terre était alors moulé à creux perdu afin d’obtenir une épreuve originale en plâtre. Un moule à bon creux, réutilisable, était ensuite exécuté sur cette épreuve afin de produire les épreuves dites d’édition destinées à la commercialisation. Le processus de conception d’un modèle sculpté au sein d’une entreprise d’édition suivait donc dans ses grandes lignes les étapes habituelles, mais l’économie du fonds et la diffusion à grande échelle ont conduit au développement de méthodes de travail particulières qui ont eu un impact sur la création.
Fig. 29. – Croquis d’une statue de saint François de Paule avec indication des modifications à apporter

Dossiers iconographiques de la maison Moynet.
© Pauline Carminati.
L’art du marcottage
30La perspective de la reproduction influait sur la création à plusieurs niveaux. D’une part, les modèles étaient conçus de manière à faciliter la réalisation ultérieure du moule et des épreuves. Par exemple, les contre-dépouilles étaient évitées autant que possible et les creux peu fouillés afin de réduire le nombre de pièces des moules et le travail de réparage des épreuves, diminuant ainsi le temps de fabrication. D’autre part, le processus de création faisait parfois intervenir le procédé technique du marcottage. Modelage et moulage se trouvaient alors étroitement associés.
31Pour mouler une figure en trois dimensions présentant quelque complexité (évidements, saillies, etc.), le mouleur devait généralement réaliser son moule en plusieurs parties et découper le modèle en abatis. Ainsi par exemple, dans le registre des modèles de la maison Rouillard, il est indiqué pour le modèle no 1 représentant sainte Anne : « Moule en 5 pièces : 1o Corps de la statue de Ste Anne et de la Ste Vierge. 2o Tête de la Ste Vierge. 3o Main gauche de la Vierge avec parchemin. 4o Main droite de Ste Anne. 5o Une draperie48. » L’assemblage des différentes parties du tirage était dénommé « raccordage », étape à laquelle semble faire référence Géniaux lorsqu’il parle des « bienheureux sans jambes, des saints sans tête ou manchots, [qui] sont réparés en un tour de main49 ». Les abatis facilitaient l’opération du moulage mais ils permettaient aussi d’être employés pour plusieurs modèles, ce qui était une manière de limiter le nombre de moules à stocker. Dans le registre de la maison Rouillard, on lit par exemple : « main gauche de St Joseph, mêmes abatis que pour le no 436 ». Mais surtout, le découpage par abatis pouvait servir à créer de nouveaux modèles par assemblage d’éléments de provenances différentes. Le développement du marché de l’édition depuis la fin du xviiie siècle a ainsi conduit les mouleurs à multiplier les abatis car ils permettaient d’interchanger facilement un attribut, une main, une tête, selon le procédé du marcottage. D’une contrainte technique, les mouleurs ont donc fait un atout. Le découpage en abatis s’est alors dissocié de nécessités strictement techniques. C’est pourquoi, alors que le moulage à la gélatine aurait pu permettre de diminuer le nombre d’abatis, voire parfois de les éviter, les sculptures d’édition ont continué à être moulées en plusieurs pièces. Ce principe technique fonde tout le secteur de l’édition. Les éditeurs de sculptures religieuses ont évidemment eux aussi tiré parti des formidables possibilités offertes par la technique du moulage pour décomposer et recomposer les sculptures.
32La palette d’utilisation du marcottage était large car il pouvait être employé pour réaliser aussi bien de légères modifications que des transformations profondes. Certains modèles différaient seulement par la tête, par la disposition des plis de leur vêtement ou par leur attribut (fig. 30). On trouve mention de ces pratiques dans les archives des fabricants. Le registre de la maison Rouillard indique par exemple pour sainte Gertrude : « Se fait avec Ste Scholastique no 252 en tournant légèrement la tête vers la droite ; supprimant la colombe, la remplaçant par un livre sur la main gauche légèrement abaissée ; une plume de la main droite et une crosse passée dans le bras droit. » La maison Moynet utilisait pour consigner ces modifications un registre spécial intitulé Livre des transformations50. On y relève parmi bien d’autres mentions similaires : « St Fursy, fait avec St Benoît, mitré, 2 têtes de bœuf au pied, crosse à la main, livre fermé de l’autre, longue barbe », ou encore « Vierge Mère avec branche de chêne à la place du lys, prendre la branche de chêne de Ste Gertrude ». Le marcottage pouvait être employé pour réaliser différentes variantes d’un même modèle ou pour créer un saint ne figurant pas au catalogue. En effet, expliquait Pacheu, « il y a plus de 40 000 saints différents dans le calendrier, et il est impossible d’établir des modèles pour tous51 ». Cette pratique pouvait donner lieu à des déconvenues, comme le laisse entendre un curé dans une lettre adressée à Moynet :
« À Montigny-en-Arronaise, chez mon confrère voisin, une statue d’évêque quelconque qu’il vous a commandée est honorée sous le vocable de saint Sévère, patron des tisserands ; une navette, placée dans la main du sujet est tout son attribut. Or, comme ce confrère a déjà saint Éloi (un autre évêque moulé exactement dans les mêmes traits que le premier), il s’ensuit que l’illustre forgeron et le vénérable patron des tisserands ont l’air de deux frères jumeaux52. »
Fig. 30. – Deux statues de saint Joseph éditées par la maison Raffl, églises d’Auvillars et Hémévez.

© Pauline Carminati.
33Les modèles pouvaient aussi être transformés pour satisfaire la demande spéciale d’un client souhaitant par exemple « une sainte Agathe faite avec le corps de sainte Philomène », ou encore par simple souci d’amélioration. Géniaux évoquait la part du travail des sculpteurs qui consistait à « modifier à son avantage tel mouvement ou telle ligne défectueuse d’un modèle précédemment créé53 », mettant en évidence la métamorphose permanente des modèles au cours du temps. Les transformations, petites ou grandes, mettant en œuvre le procédé du marcottage impliquaient une intervention de sculpture, ne serait-ce que pour joindre les éléments assemblés. Cette intervention était plus poussée lorsqu’il était nécessaire de créer de nouvelles parties à partir d’éléments réemployés. Plus le fonds de modèles était important, plus les possibilités de combinaisons étaient nombreuses. Des éléments issus de modèles d’auteurs différents pouvaient ainsi être réunis, poussant plus loin encore la perte des repères de style ou de personnalité artistique et aboutissant à des sculptures hybrides, créées en quelque sorte collectivement et sur le temps long, puisqu’un modèle pouvait de ce fait être composé de différentes temporalités, associant par exemple une main créée dans les années 1870, un corps dans les années 1890 et une tête en 192054.
34La pratique du marcottage tenait une place tellement importante qu’elle était constitutive du processus de création. De ce fait, elle était intégrée dans le travail préliminaire en deux dimensions. Dans les archives de la maison Moynet se trouvent des images découpées, collées, assemblées ou complétées au trait55 (fig. 31). Ces différents documents mettent particulièrement en lumière qu’un travail de décomposition et de recomposition en deux dimensions faisait écho à celui qui était réalisé en trois dimensions. Parmi les nombreuses photographies de modèles édités par des fabricants concurrents que comporte ce fonds, on remarque notamment toute une série de photographies de groupes sculptés représentant la Sainte Famille, dont l’une, provenant de la maison Bernard et Kauffman à Luxembourg, a été collée sur une feuille de papier et accompagnée du protocole à suivre pour réaliser un modèle similaire à partir du fonds propre de la maison Moynet : « Mettre les figures plus de face. Pour la Vierge, m[ain]s de N.D. [de] Lourdes. S. J[osep]h main droite de S. Louis de G[onzague], main gauche de S. J[osep]h [mot illisible]. L’enf[an]t m[ain] gauche de l’enf[an]t de N.D. du S[acré] C[œu]r. » La photographie n’est ici pas découpée mais ces annotations expriment la même idée, celle de l’assemblage. Ce travail réalisé en deux dimensions était indissociable du travail en trois dimensions : il était envisagé parce que les sculptures elles-mêmes pouvaient se découper et se recomposer. Le marcottage, opération que les fabricants tenaient à maintenir secrète56, fut un procédé central de l’édition de sculptures religieuses, qui conditionnait le processus de création tant en deux qu’en trois dimensions. Il permettait de créer à partir de modèles existants, multipliant les transformations, les hybridations, dans une perpétuelle reconfiguration, tant des modèles eux-mêmes que du fonds. Cette évolution constante des modèles et du fonds accompagnait celle des dévotions et du goût. Elle répondait à une demande toujours croissante, en provenance du monde entier. Dans le cadre clos des entreprises d’édition de sculptures religieuses, le marcottage apparaît ainsi comme la conséquence logique du fonctionnement de l’édition sur la base d’un fonds de modèles, qui représentait un véritable réservoir de formes, associé aux possibilités inhérentes à la technique du moulage et à une demande massive.
Fig. 31. – Images découpées, collées et complétées à l’encre (croissant de lune), portant au revers l’inscription : « Prière de photographier cette statue quand finie » (dossiers iconographiques de la maison Moynet).

© Pauline Carminati.
35Si le procédé du marcottage pouvait être employé à partir des modèles appartenant à l’entreprise, il était susceptible de s’appliquer tout aussi bien aux modèles exploités par des concurrents. Sur le marché lucratif de la statuaire religieuse, tous les éditeurs ne cherchaient pas à imposer une identité artistique à travers leurs modèles. Beaucoup se contentaient de s’inspirer des modèles en vogue d’autres éditeurs en y apportant seulement de légères modifications. Entre le respect des types consacrés et la copie, la frontière était parfois mince. Mais chaque éditeur ayant intérêt à s’assurer l’exclusivité de ses modèles, il surveillait de près les pratiques de ses concurrents et poursuivait en contrefaçon quiconque avait à ses yeux poussé trop loin la ressemblance.
La protection des modèles contre la contrefaçon
36Les débats juridiques de la première moitié du siècle avaient établi que la sculpture d’édition relevait bien de la loi du 19 juillet 1793 sur la propriété artistique et pouvait à ce titre être protégée de la contrefaçon, à condition que l’éditeur puisse prouver sa propriété sur le modèle et que celui-ci ne soit pas la copie d’un modèle appartenant à un autre ou tombé dans le domaine public. Cependant, dans le domaine de la statuaire religieuse, faire la preuve de sa propriété fut à bien des égards problématique, comme le révèle l’analyse des procès rapportés dans les Annales de la propriété industrielle, artistique et littéraire.
Marques de fabrique, signatures et poursuites judiciaires
37Les modèles de statues religieuses faisaient l’objet de nombreuses transactions financières mais ils étaient également la cible de fréquentes contrefaçons. Les comptes rendus de procès montrent que ces dernières étaient souvent le fait de petits éditeurs de province, mouleurs la plupart du temps, qui évitaient ainsi les frais d’acquisition de modèles originaux. Dans certains cas, l’éditeur achetait un fonds dans lequel se trouvaient des surmoulages, sans qu’il les ait lui-même réalisés57. À l’évidence, la circulation des modèles entre les éditeurs favorisait la propagation des contrefaçons. D’autres fois, la bonne foi du commerçant était mise en doute par son intention manifeste de masquer la contrefaçon au moyen de modifications mineures58. Se réclamer d’une maison renommée pouvait attirer la clientèle et il est possible que certains contrefacteurs se faisaient passer pour des revendeurs autorisés. Ces pratiques délictueuses étaient bien sûr vigoureusement dénoncées par les éditeurs propriétaires. Dans leurs catalogues, les dirigeants de la maison Raffl n’hésitaient pas à exagérer les risques encourus :
« Souvent nos modèles sont imités et plagiés par des maisons qui n’ont aucun droit de les reproduire, et se livrent effrontément au travail lucratif, mais peu honnête, de la contrefaçon et du surmoulage. Nous ne saurions trop recommander, à notre honorable Clientèle, de se tenir prudemment en garde contre ces pièges tendus à sa bonne foi. La loi punit sévèrement les contrefacteurs. Elle considère comme leurs complices les détenteurs de statues entachées de contrefaçon, et les englobe dans la même poursuite que les surmouleurs. Ceux qui désirent nos modèles peuvent éviter sûrement toute crainte d’ennui, en ne s’adressant qu’à la Maison Raffl ou à ses représentants attitrés59. »
38La multiplication des contrefaçons a conduit certains éditeurs à protéger leurs modèles par différents moyens leur permettant de faire reconnaître leur droit de propriété en cas de litige. Raffl et ses successeurs furent particulièrement préoccupés par cette problématique et ils adoptèrent plusieurs mesures complémentaires, ce qui laisse supposer que leurs modèles étaient la cible de nombreuses imitations.
39Une première mesure de protection consistait à identifier les épreuves commercialisées afin de pouvoir les distinguer de leurs éventuelles copies. Signatures et estampilles permettaient de garantir l’origine et l’authenticité des statues. Elles représentaient aussi un gage de qualité. Gaspard indiquait ainsi dans son catalogue de 1854 que « tous les chemins de la croix qui sortiront de chez [lui], à partir de ce jour, porteront le nom et l’adresse de [sa] maison, imprimés derrière les toiles, comme garantie de propriété, d’exécution et de solidité60 ». L’atelier de moulage du musée du Louvre a estampillé sa production très tôt, mais les marques d’identification ne se sont répandues chez les éditeurs privés qu’à partir du milieu du siècle. Elles ne semblent pas avoir été employées par les Frediani, mais le furent par Raffl et tous ses successeurs. Les signatures de la maison Raffl ont évolué au fil des changements de propriétaires et de dénominations sociales. Presque toujours situées sur la base des statues, elles pouvaient être inscrites en creux, en relief, peintes à la main ou au pochoir. Les signatures étaient cependant susceptibles d’être copiées, au contraire des estampilles. Pour aller plus loin dans la protection de leurs modèles, Raffl et ses associés déposèrent donc une marque de fabrique le 5 novembre 187561. Celle-ci avait une double nature : elle était à la fois immatérielle (le nom, la dénomination) et matérielle (le cachet, l’estampille)62. Elle allait donc permettre à Raffl d’empêcher ses imitateurs d’utiliser son nom, dont la renommée croissante avait fait un label de qualité, mais aussi de différencier les surmoulages des statues sortant de ses ateliers. Matériellement, elle prenait la forme d’une petite plaque en métal imprimée en relief qui était fixée au dos des statues et au-dessous des statuettes (fig. 32). Cette estampille s’ajoutait à la signature. La durée de validité d’une marque était de quinze ans, à l’issue desquels le dépôt pouvait être renouvelé. La marque mise en place par Raffl a été prolongée au moins une fois car elle est encore reproduite dans un catalogue édité en 1900, accompagnée de ce commentaire : « Les nombreuses contrefaçons de nos modèles nous obligent à faire constater que toutes nos Statues, Groupes, Chemins de Croix, etc., portent la marque de fabrique ci-dessus et que ceux, qui n’auraient pas cette estampille, devront être considérés comme des contrefaçons63. » Deux nouvelles « marques pour désigner des statues » furent déposées le 28 mars 1911 au greffe du tribunal de commerce de la Seine : « La Statue Religieuse Paris – Plâtre-stuc » et « La Statue Religieuse Paris – Carton-romain »64.
Fig. 32. – Estampille de la maison Raffl.

© Pauline Carminati.
40Un autre moyen de protection était le dépôt des modèles auprès des conseils de prud’hommes, mesure équivalente au dépôt de brevet pour les inventions. Cette disposition, régie par la loi du 18 mars 1806, avait été mise en place initialement pour protéger les dessins des tissus et étoffes65. Elle s’était ensuite étendue à l’industrie des métaux (1844) puis aux produits chimiques et industries diverses (1847). Les industries d’art (textile, papier peint, bronze d’ameublement, etc.) relevaient de cette loi et étaient par conséquent astreintes au dépôt, démarche contraignante et coûteuse, ce qui n’était pas le cas en principe des éditeurs de sculptures religieuses puisque leurs modèles étaient protégés par la loi de 1793 sur la propriété artistique, sans condition de dépôt66. Néanmoins, des jugements défavorables dans le domaine de la sculpture d’édition en bronze et en porcelaine semblent avoir laissé subsister une crainte chez les éditeurs de statues religieuses car certains firent tout de même les démarches pour protéger leurs modèles selon les termes de la loi de 1806. C’est le cas d’Auguste Verrebout, associé puis successeur de Raffl, comme on l’apprend dans le compte rendu d’un procès qui l’opposa en 1883 aux frères De Bondt67. De même, Cachal-Froc indiquait dans son catalogue de 1895 que tous ses modèles étaient déposés.
41En dépit de ces mesures dissuasives, la maison Raffl eut à régler plusieurs litiges au cours de son histoire. L’attaque en justice constituait en quelque sorte le dernier échelon de la protection des modèles. Le premier procès opposa en 1874 Raffl à un peintre décorateur nantais, Doizé. Le sculpteur avait fait saisir « onze statues en plâtre de Vierge, de sainte Anne et de Notre-Dame de Lourdes, qu[’il] déclare provenir d’un surmoulage de modèles qu’il a créés et édités et qui sont, par conséquent, sa propriété exclusive68 ». Le contrefacteur essaya de se disculper : « M. Doizé, assigné devant le Tribunal correctionnel de cette ville, s’est défendu, comme tous les commerçants de province, en prétendant avoir acheté les statuettes saisies à un de ces colporteurs qui parcourent toutes les villes de province avec des statuettes qu’ils prétendent être du domaine public, ou leur propriété particulière. » Cet argument ne convainquit pas les juges et Doizé fut condamné. La même année, Raffl intenta un second procès contre Casciani et Nau, éditeurs associés à Paris et Angers69. Le litige concernait une statuette de sainte Anne. Les accusés, coutumiers du surmoulage, prétendirent qu’il ne s’agissait pas d’une contrefaçon car la statuette aurait été achetée directement au sculpteur entre 1865 et 1870, produisant à l’appui de nombreuses factures, et ils furent acquittés. Ces deux affaires ont certainement joué un rôle important dans la décision de Raffl de déposer en 1875 une marque de fabrique et d’identifier par une estampille les statues qui sortaient de ses ateliers. L’estampille, elle, ne pouvait pas être contrefaite et quelques factures ne suffiraient plus à disculper les coupables. En 1879, au cours d’un nouveau procès contre Chéreau, éditeur à Angers, l’absence de l’estampille sur les objets suspectés de contrefaçon fut ainsi considérée comme un élément de preuve que l’accusé avait intentionnellement caché leur origine70. Ces procès, qui constituaient une initiative risquée car ils pouvaient se retourner contre le plaignant, avaient plusieurs objectifs. Il s’agissait non seulement de se faire indemniser financièrement pour le préjudice subi, mais surtout de faire reconnaître publiquement ce préjudice. Ainsi, parmi les procès marquants intentés par la maison Raffl, celui qui opposa Verrebout aux frères De Bondt eut pour conséquence notable que le verdict fut publié dans le journal La Croix, diffusant largement la victoire de Verrebout auprès de sa clientèle et imposant la preuve du bien-fondé de sa démarche comme de son honorabilité71.
42Faire la preuve de sa propriété au moyen d’éléments tangibles comme une estampille, un contrat de vente ou un dépôt au conseil des prud’hommes ne suffisait pas toujours aux yeux des juges. Encore fallait-il prouver que le modèle contrefait constituait une œuvre originale au sens de la loi de 1793. En effet, comme on l’a dit précédemment, la propriété était subordonnée à la reconnaissance du caractère original du modèle, sinon celui-ci était considéré comme appartenant au domaine public et pouvait être librement reproduit. Or les procès en contrefaçon montrent que la reconnaissance par les juristes du caractère original des modèles de sculpture religieuse n’allait pas de soi.
Une protection juridique problématique
43Puisque chaque éditeur se devait de posséder ses propres modèles – pour se distinguer de ses concurrents ou simplement ne pas être accusé de plagiat –, la multiplication des éditeurs de statues religieuses à partir du Second Empire entraîna inévitablement celle des modèles. Mais tous les éditeurs proposant à peu près la même typologie de représentations, cette multiplication des modèles inspirés des mêmes types sans toutefois être identiques déconcerta les législateurs appelés à réguler les contrefaçons. Les procès qui opposèrent les fabricants de statues religieuses apportent un éclairage intéressant à la question du « type traditionnel » (ou « consacré »), et à la frontière – juridique – entre création et copie dans le domaine de l’art religieux industriel.
44Un procès marquant à cet égard est celui qui opposa en 1856 l’éditeur de statuettes et objets d’art Fontana aux fabricants de tabletterie Norest, Percepied, Vancorps et Garnot. La plainte en contrefaçon déposée par Fontana à l’encontre des ivoiriers portait sur deux modèles de statuettes représentant la Vierge, l’une dite « Vierge aux mains jointes », l’autre « Vierge immaculée », tous deux créés par le sculpteur Vadell et acquis par Fontana en 1847. Si, au cours du procès, il fut effectivement reconnu que « les épreuves saisies [chez les ivoiriers] étaient bien l’imitation et la copie servile des modèles produits par M. Fontana », le droit de ce dernier d’en revendiquer la propriété fut contesté par les accusés. Le tribunal de la Seine, manifestement désemparé, fit appel en tant qu’expert à Viollet-le-Duc. Celui-ci, « interrogé sur la question de nouveauté et d’invention », déclara « qu’il n’y avait pas invention, que l’idée appartenait à tous72 », niant donc la part de création de la sculpture religieuse avec une mauvaise foi surprenante, et semant le trouble parmi les juristes. Le tribunal concluant à sa suite que les deux modèles étaient « la reproduction d’un type religieux et immuable » et que leur exécution ne présentait « aucun caractère de création », Fontana ne fut pas reconnu propriétaire et il fut débouté de sa plainte. Il fit appel, renvoyant l’affaire devant la Cour de cassation.
45À ce stade, l’arrêt suscita de vives réactions de la part de l’avocat de Fontana, Me Huguet. Celui-ci jugeait en effet que « [cette] doctrine, si elle était consacrée par la jurisprudence, aurait les conséquences les plus désastreuses pour les arts et l’industrie ». Dans sa requête, il invitait donc à différencier soigneusement le « type » du « modèle » :
« M. Fontana […] ne revendiquait pas la propriété vague et indéterminée d’un type, il ne prétendait pas avoir seul le droit d’éditer des statuettes de Vierges ayant une pose, une expression et un costume plus ou moins semblables. – Non ! il revendiquait deux modèles spéciaux et déterminés, avec des différences de détails et une finesse d’exécution qui en faisaient des œuvres distinctes. »
46L’auteur des modèles, Vadell, n’avait pas « copié servilement tel ou tel modèle ». Au contraire, « il y avait eu exécution nouvelle de la part de l’artiste ». Ces nuances étaient très importantes : il ne s’agissait pas ici de revendiquer la nouveauté d’une invention, autrement dit la propriété de l’idée ou du type, mais celle d’une exécution, autrement dit la propriété d’un modèle. Finalement, la Cour de cassation suivit les principes soutenus par Huguet et rendit le 13 février 1857 un arrêt consacrant par la jurisprudence qu’« une œuvre artistique peut constituer une création et par suite une propriété protégée par la loi de 1793, encore bien qu’elle ne soit dans son ensemble que la reproduction d’un type connu73 ». Alors qu’il ne serait venu à personne l’idée de contester le caractère de création aux chefs-d’œuvre religieux qui ont marqué l’histoire de l’art, Huguet citant pour exemples les œuvres de Michel-Ange et Raphaël, ce procès témoigne que la multiplication sans précédent des modèles de statues religieuses déstabilisait les valeurs traditionnelles et remettait en question un principe a priori évident. Cette multiplication interrogeait la notion même de création dans le domaine de la sculpture religieuse. Les notions de type et de modèle, au cœur de ce procès capital, étaient les clés qui allaient permettre non seulement la régulation d’un marché, mais aussi la reconnaissance du travail de création des sculpteurs travaillant pour l’édition.
47L’arrêt rendu à l’issue de ce procès servit de base à tous les procès en contrefaçon relatifs aux statues religieuses qui suivirent. Dès lors, l’enjeu ne fut plus de déterminer si un modèle de statue religieuse pouvait être ou non considéré comme une création, mais de reconnaître s’il y avait effectivement contrefaçon, ce qui s’avéra cependant tout aussi délicat pour les juristes. Depuis les années 1830, la contrefaçon en sculpture était définie comme le résultat de deux procédés : le surmoulage (dit aussi contremoulage) et la copie (par modelage)74. Celle-ci était généralement dénommée « copie servile » ou « imitation servile », impliquant qu’elle n’apportait aucune variation significative par rapport à l’œuvre copiée. Après l’arrêt de 1857, sous prétexte de tradition, de type connu et consacré, les contrefacteurs de statues religieuses tentèrent de faire passer leurs copies pour des créations75. C’est pourquoi un jugement prononcé en 1873 à l’occasion d’un procès opposant Panichelli à Casciani et Nau affina davantage la définition de la contrefaçon en sculpture religieuse : « Il y a contrefaçon dans le fait de reproduire par le surmoulage ou copie servile une statuette de ce genre, encore bien que l’on apporterait à l’épreuve surmoulée des changements ou améliorations insuffisantes pour en faire une œuvre distincte et nouvelle76. » C’était donc la nature des différences entre deux modèles très proches qui, aux yeux de la loi, déterminait s’il y avait contrefaçon. Ce jugement reposait sur la comparaison des modèles, sur l’appréciation générale des points de ressemblance et de dissemblance. Parfois, malgré de légères différences, la contrefaçon paraissait « évidente », alors que d’autres fois les différences étaient jugées suffisantes et le plaignant débouté. Cette méthode trop peu objective incita par la suite les juges à faire intervenir des sculpteurs en tant qu’experts et à exiger des preuves de propriété de plus en plus sérieuses et fiables, pour confirmer ou infirmer la présumée contrefaçon. Là encore, comme lors du procès Fontana, à travers le processus de régulation juridique d’un marché, c’était la notion même de création en sculpture religieuse d’édition qui était définie : un modèle sculpté était considéré comme une création originale s’il présentait des « changements ou améliorations suffisantes » par rapport aux autres sculptures de sujet identique. Cette condition fut désignée par l’expression d’« exécution nouvelle » : « Des statuettes religieuses, bien que conformes, dans leur ensemble, à des types connus et consacrés, constituent, lorsqu’il y a exécution nouvelle, une œuvre artistique protégée par la loi de 179377. »
48Alors que les procès concernant la sculpture religieuse s’étaient jusqu’alors attachés à différencier invention et exécution, à affiner les critères de la contrefaçon et à préciser les moyens de prouver sa propriété, le procès qui opposa Verrebout aux frères De Bondt en 1883 et 1884 fut l’occasion d’inscrire la sculpture religieuse d’édition dans un autre débat, celui de la « reproduction industrielle ». Cette affaire montre en particulier que le questionnement sur le caractère d’originalité de la sculpture religieuse d’édition qui traversait les précédents procès s’était déplacé sur son caractère artistique, dans un contexte général d’intensification de la production. L’existence d’une législation sur la propriété industrielle, la loi du 18 mars 1806, a été précédemment évoquée : tandis que la loi de 1793 concernait les beaux-arts, celle de 1806 concernait les applications industrielles de l’art et imposait le dépôt des modèles aux conseils des prud’hommes. Pour déterminer les domaines d’application de l’une et l’autre loi, plusieurs critères avaient été proposés, parmi lesquels celui du mode de reproduction mécanique du dessin ou modèle en cause, celui de sa destination industrielle ou artistique, ou encore celui de son caractère artistique78. C’est à ce dernier critère que la jurisprudence s’était finalement ralliée, ce qui laissait toute liberté d’appréciation aux juges. Jusqu’au procès de 1883-1884, le fait que la production des éditeurs de statues religieuses relevait de la loi de 1793 n’avait pas été remis en cause. En revanche, d’autres secteurs de la sculpture d’édition eurent à subir l’ambiguïté de leur statut entre propriété artistique et industrielle. Ce fut le cas en particulier des fabricants de bronze et de porcelaine, dont les applications de la sculpture à des objets décoratifs ou utilitaires posaient problème aux juges. De nombreux arrêts s’opposaient à la protection de leurs modèles au titre de la loi de 1793, parce que les juges avaient refusé de les ranger parmi les productions appartenant aux beaux-arts. Alors même que le cœur de l’affaire Verrebout-De Bondt reposait très classiquement sur l’identification de la contrefaçon par la comparaison des modèles, les juges s’emparèrent de cette question qui faisait débat dans d’autres procès pour confirmer « que les œuvres de Verrebout [constituaient] des œuvres d’art » et que leur reproduction en vue de la vente au public ne leur faisait pas perdre ce caractère79. La portée de ce jugement dépassait le seul domaine de la sculpture religieuse d’édition ; il assurait les bronziers et fabricants de statuettes en porcelaine de la protection de la loi de 179380. Par le biais de ses propres problématiques, la sculpture religieuse a ainsi pleinement participé à faire évoluer la jurisprudence dans le domaine de la sculpture d’édition.
49La gestion des modèles représentait une part très importante du métier d’éditeur de statues religieuses. Chaque éditeur possédait ses propres modèles ; leur qualité, leur nombre et leur diversité étaient déterminants pour le succès financier de l’entreprise et pour la construction de son identité commerciale. L’étude des différentes modalités de gestion des modèles, de l’acquisition à la protection en passant par la conception, a permis de mettre en lumière certaines spécificités de la politique éditoriale de la maison Raffl. Par certains aspects, comme le répertoire iconographique, l’anonymat des auteurs ou la pratique du marcottage, cette politique ne se distinguait pas foncièrement de celle de ses concurrents et est parfaitement représentative du secteur. Elle apparaît néanmoins originale à plusieurs titres. D’une part, par la place centrale de la personnalité de Raffl, dont les modèles ont connu un immense succès et constituaient le cœur du fonds, et dont le nom est devenu une marque qui a été protégée par différents moyens. D’autre part, par son développement et sa longévité exceptionnels, qui ne sont comparables à aucune autre entreprise. La maison Raffl n’a cessé d’enrichir son fonds, réunissant un nombre de modèles considérable et d’une grande variété, véritable résumé de l’histoire de l’édition parisienne. Sa politique éditoriale a ainsi pleinement contribué à assurer à l’entreprise une place prédominante sur le marché de la sculpture religieuse dans la seconde moitié du xixe et la première moitié du siècle suivant. Mais elle ne fut pas le seul facteur de ce succès. Elle était en effet associée à une fabrication perfectionnée et organisée, ainsi qu’à des méthodes de vente éprouvées.
Notes de bas de page
1 Christian Rouillard raconte ainsi comment la collection de modèles de la maison Rouillard finit pilonnée et employée comme remblai à la suite de la fermeture de l’entreprise en 1962 (C. Rouillard, « Le purgatoire de tous les saints… », art. cité, p. 8).
2 C. Géniaux, « Comment se fait une statue religieuse », Le Mois littéraire et pittoresque, t. 5, 1901, p. 92.
3 Sur le cas du bronze d’art, voir S. Lubliner-Mattatia, « Les relations entre les artistes et les fabricants dans le bronze d’art et d’ameublement français au xixe siècle », dans A. Gril-Mariotte (dir.), L’artiste et l’objet. La création dans les arts décoratifs, xviiie-xxe siècle, Rennes, PUR, 2018, p. 125-134 ; F. Rionnet, Les bronzes Barbedienne…, op. cit., p. 138-148.
4 M.-P.-A. Laroche, Un sculpteur religieux…, op. cit., p. 54-55. En 1857, Bouriché fut médaillé au Salon pour son Génie des Arts, dont le marbre est aujourd’hui conservé au musée des Beaux-Arts d’Angers (inv. MBA70J1881S).
5 Sur cette commande, voir C. Simon, « Notre-Dame de France du Puy-en-Velay (1853-1860). Statue colossale et monument politique », dans S. Barthélémy, V. Dupont et B. Tillier (dir.), Le Monumental. Une valeur de la sculpture, du romantisme au post-modernisme, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2014, p. 71-79.
6 J. Fèvre, Vie et travaux…, op. cit., p. 15.
7 Annales de la propriété industrielle, artistique et littéraire, t. 1-2, 1855-1856, p. 364-372 ; t. 19, 1874, p. 49-59 ; t. 25, 1880, p. 214.
8 Catalogue des œuvres d’art religieuses éditées par la maison Vve Salvatore Marchi & Fils, Paris, Rigal, 1875.
9 Maison Raffl. Statues religieuses, chemins de croix, ameublement et décoration d’églises, Rennes/Paris, Oberthür, 1900-1906.
10 Annales de la propriété industrielle, artistique et littéraire, t. 20, 1875, p. 126.
11 Annales de la propriété industrielle, artistique et littéraire, t. 19, 1874, p. 56.
12 F. Thiébault-Sisson, « Les Paradis », art. cité, p. 528. Thiébault-Sisson n’indique pas le nom de l’éditeur interviewé, mais les gravures illustrant l’article permettent d’identifier les modèles de Casciani.
13 C. Géniaux, « Comment se fait une statue religieuse », art. cité, p. 100.
14 Voir notamment R. Froissart-Pezone, L’Art dans Tout. Les arts décoratifs en France et l’utopie d’un Art nouveau, Paris, CNRS, 2004 ; A. Gril-Mariotte (dir.), L’artiste et l’objet…, op. cit.
15 F. Thiébault-Sisson, « Les Paradis », art. cité, p. 528.
16 R. H. Sherard, « A Maker of Saints », Pearson’s Magazine, vol. 13, 1902, p. 259.
17 L’Art et le droit. Bulletin mensuel des actualités judiciaires de la propriété artistique et littéraire, 3e année, janvier 1913, p. 65.
18 I. Saint-Martin, Art chrétien/art sacré…, op. cit., p. 112-113.
19 Guide illustré du clergé et des familles dans Paris, Paris, Lheureux, 1867, p. 33.
20 Sur la circulation des modèles dans le secteur du bronze, voir É. Voillot, « Achat, vente et revente. La circulation des modèles dans l’industrie parisienne du bronze au xixe siècle », Cahiers du CAP, no 5, 2018, p. 77-106.
21 Annales de la propriété industrielle, artistique et littéraire, t. 25, 1880, p. 214.
22 Annuaire-almanach du commerce de Paris, 1864, rubrique « Mouleurs-figuristes ».
23 J. Durand, Une manufacture d’art chrétien…, op. cit., p. 93.
24 Archives départementales de la Meuse, 40J/489, Inventaire des modèles de l’usine de Sermaize-sur-Saulx (Marne), Maurice Denonvilliers.
25 Journal des faillites et des liquidations judiciaires françaises et étrangères, 18e année, 1899, p. 214.
26 G. Chapal, fondeur-éditeur. Album des statues religieuses, s. l., s. n., 1900.
27 Certains éditeurs attribuaient un numéro à chaque dimension différente d’un même modèle. C’est le cas notamment des maisons Moynet et Bouriché.
28 Maison Raffl. Statues religieuses…, op. cit. Plusieurs indices semblent indiquer que la numérotation des modèles de la maison Raffl a commencé à être mise en place entre 1875 et 1877.
29 Archives municipales d’Angers, 98J21, État général des sujets que possède la Maison.
30 Berthommé, Pellet et Cie…, op. cit., n. p.
31 Extrait du tarif général et du catalogue des statues dont les moules et modèles sont la propriété de la maison Besand, 38 rue Bonaparte à Paris, Paris, Le Clere, 1861.
32 P. Boutry, « Les saints des Catacombes. Itinéraires français d’une piété ultramontaine (1800-1881) », Mélanges de l’École française de Rome, t. 91, no 2, 1979, p. 875-930.
33 C. Géniaux, « Comment se fait une statue religieuse », art. cité, p. 100.
34 C. Mange, « Bernard Bénézet et l’iconographie du Sacré-Cœur au xixe siècle », Histoire de l’art, no 20, 1992, p. 79-87.
35 R. H. Sherard, « A Maker of Saints », art. cité, p. 259.
36 F. Thiébault-Sisson, « Les Paradis », art. cité. Voir également R. Bertrand, « Pour une étude… », art. cité, p. 174.
37 J. Fèvre, Vie et travaux…, op. cit., p. 58-86. En conclusion, Mgr Fèvre évoque « le Paradis terrestre de Vendeuvre ».
38 R. H. Sherard, « A Maker of Saints », art. cité, p. 258.
39 I. Saint-Martin, Art chrétien/art sacré…, op. cit., p. 138 sqq.
40 J. Durand, Une manufacture d’art chrétien…, op. cit., p. 71-72.
41 Archives départementales de l’Aube, 56J/56-81, dossiers iconographiques.
42 Froc-Robert. Statues religieuses, chemins de croix, mobilier d’églises, Einsiedeln, Benziger, 1885.
43 Maison Raffl. Statues religieuses…, op. cit., n. p.
44 R. Laurentin et P. Roche, Catherine Labouré et la médaille miraculeuse : documents authentiques (1830-1876), Paris, Lethielleux, 1976, p. 77.
45 Compte-rendu du congrès marial de Fribourg, t. 2, Blois, Migault, 1903, p. 401.
46 Archives du sanctuaire Notre-Dame de Lourdes, 5B/3, Modèles des statues du chemin de croix et du Sacré-Cœur.
47 Archives départementales de l’Aube, 56J/80, dossiers iconographiques.
48 Archives municipales d’Angers, 98J21, État général des sujets que possède la Maison.
49 C. Géniaux, « Comment se fait une statue religieuse », art. cité, p. 100.
50 Archives départementales de l’Aube, 56J/15, Registre des transformations.
51 R. H. Sherard, « A Maker of Saints », art. cité, p. 263.
52 J. Durand, Une manufacture d’art chrétien…, op. cit., p. 73.
53 C. Géniaux, « Comment se fait une statue religieuse », art. cité, p. 100.
54 Sabine Lubliner-Mattatia évoque à propos du marcottage dans le bronze d’ameublement « un partage de l’invention à travers le temps » (S. Lubliner-Mattatia, « La seconde surprise de l’invention. La création partagée dans le bronze au xixe siècle », dans J.-F. Luneau et L. Riviale [dir.], L’invention partagée : élaboration plurielle dans les arts visuels [xiiie-xxie siècle], Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, 2019, p. 91-107).
55 Archives départementales de l’Aube, 56J/56-81, dossiers iconographiques.
56 C. Géniaux, « Comment se fait une statue religieuse », art. cité, p. 100.
57 Procès de Casciani et Nau contre Calais en 1875 (Annales de la propriété industrielle, artistique et littéraire, t. 20, 1875, p. 130) et de Panichelli et Fontana contre Luchini, Chapeau et la veuve Dosch en 1880 (Annales de la propriété industrielle, artistique et littéraire, t. 25, 1880, p. 215).
58 Procès de Panichelli contre Casciani et Nau en 1873 (Annales de la propriété industrielle, artistique et littéraire, t. 19, 1874, p. 57) et de Panichelli et Fontana contre Chéreau et Luchini en 1874 (Annales de la propriété industrielle, artistique et littéraire, t. 20, 1875, p. 122-123).
59 Maison Raffl. Statues religieuses…, op. cit., p. 6.
60 À Nosseigneurs les Évêques, au clergé, aux amis de la religion et des arts, Paris, Lacour, 1854.
61 INPI, 1MA106, registre de dépôt des marques.
62 G. Emptoz et V. Marchal, Aux sources de la propriété industrielle. Guide des archives de l’INPI, Paris, INPI, 2002, p. 121.
63 Maison Raffl. Statues religieuses…, op. cit., n. p.
64 Bulletin officiel de la propriété industrielle et commerciale, 1911, p. 537. La dénomination des matières elle-même avait fait l’objet trois ans plus tôt d’une protection par une marque déposée (Bulletin officiel de la propriété industrielle et commerciale, 1908, p. 454).
65 G. Emptoz et V. Marchal, Aux sources de la propriété industrielle…, op. cit., p. 156.
66 Annales de la propriété industrielle, artistique et littéraire, t. 3, 1857, p. 34.
67 Annales de la propriété industrielle, artistique et littéraire, t. 30, 1885, p. 8.
68 Annales de la propriété industrielle, artistique et littéraire, t. 20, 1875, p. 117.
69 Ibid., p. 125-129.
70 Annales de la propriété industrielle, artistique et littéraire, t. 25, 1880, p. 205-208.
71 « Jugement », La Croix, 29 janvier 1885, n. p.
72 Annales de la propriété industrielle, artistique et littéraire, t. 1-2, 1855-1856, p. 366. Les italiques sont dans le texte original.
73 Annales de la propriété industrielle, artistique et littéraire, t. 3, 1857, p. 33.
74 A. Gastambide, Traité théorique…, op. cit., p. 383-384.
75 Voir notamment le procès opposant Spicq à Casciani et Nau en 1883 (Annales de la propriété industrielle, artistique et littéraire, t. 19, 1874, p. 49-53).
76 Ibid., p 54.
77 Annales de la propriété industrielle, artistique et littéraire, t. 25, 1880, p. 204.
78 G. Emptoz et V. Marchal, Aux sources de la propriété industrielle…, op. cit., p. 158.
79 Annales de la propriété industrielle, artistique et littéraire, t. 30, 1885, p. 320.
80 Annales de la propriété industrielle, artistique et littéraire, t. 38, 1892, p. 162.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un constructeur de la France du xxe siècle
La Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) et la naissance de la grande entreprise française de bâtiment (1924-1974)
Pierre Jambard
2008
Ouvriers bretons
Conflits d'usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968
Vincent Porhel
2008
L'intrusion balnéaire
Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008