Chapitre II. La sculpture d’église, un marché en mutation
p. 45-76
Texte intégral
1Alors que, sous l’Ancien Régime, les sculptures pour les églises étaient commandées directement à des sculpteurs qui travaillaient le marbre, le bois, la pierre ou la terre cuite1, la première moitié du xixe siècle voit une diversification des acteurs et des moyens d’acquisition des sculptures, aussi bien que des matériaux. Sous la Restauration et la Monarchie de Juillet, les fabriques paroissiales et le clergé ont la possibilité de se fournir chez une multitude de professionnels. Dans la continuité du siècle précédent, ils peuvent faire appel à un sculpteur, dont le profil peut être très différent selon qu’il a suivi une formation académique à l’École des Beaux-Arts ou un apprentissage en atelier, selon qu’il exerce à Paris ou en province. Ils peuvent également visiter les boutiques des mouleurs et des manufactures d’ornements, et choisir un tirage d’édition en plâtre, en terre cuite, en carton-pierre ou en ciment romain. Ces nouveaux interlocuteurs mettent en place de nouvelles modalités d’acquisition des statues d’église, jusqu’alors employées pour les copies d’antiques et la statuaire décorative profane : catalogues, publicités, présentation des statues dans des boutiques ou à l’occasion d’expositions industrielles, vente par correspondance. Dans ce contexte, les églises se dotent, dans la première moitié du xixe siècle, de sculptures dont la provenance et les caractéristiques peuvent être extrêmement variées. Après avoir présenté, dans le précédent chapitre, les principales évolutions qui accompagnent le développement de l’édition de sculptures en matières plastiques, il s’agit maintenant d’étudier les conditions dans lesquelles ce marché rencontre celui de la sculpture d’église et le modifie en profondeur, au moment où la réhabilitation du Moyen Âge place la décoration des lieux de culte au centre des débats des archéologues et définit un nouvel horizon d’attente en matière de sculpture religieuse.
De Vénus à Marie
Frediani, spécialité de statues pour les églises
2Au milieu des années 1820, on l’a dit, Mathieu Frediani quitte le faubourg Saint-Antoine pour établir son atelier 5, quai Saint-Michel, face à l’île de la Cité. L’annonce détaillée qu’il fait paraître en 1826 dans le Bazar parisien révèle qu’il édite déjà des modèles religieux au sein d’une production plus diversifiée2. À la même époque, des mouleurs itinérants colportaient des statuettes en plâtre à sujet religieux, mais ce que propose Frediani s’en distingue en ce qu’il s’agit de statues « pour les églises », c’est-à-dire de moyens ou grands formats, et non de statuettes destinées à l’espace domestique et à la dévotion privée. La clientèle visée et la destination diffèrent complètement. L’évocation de sculptures « pour les églises » est remarquable en ces années 1820. Rares sont les autres figuristes à mettre en avant cette spécialité, vraisemblablement encore peu répandue dans le domaine de l’édition en plâtre. Le premier à mentionner des réalisations religieuses dans l’Almanach du commerce est Pierre Bourolleau en 1810 : « Bourolleau, figuriste, figures en plâtre et en terre cuite, ornemens en tout genre ; il vient d’exécuter le Calvaire du mont Valérien3 ». L’inventaire réalisé après son décès en 1819 laisse deviner une activité qui devait s’approcher de celle de Frediani4. Dans son atelier se trouvent tant des « figures » que des bas-reliefs, vases et ornements, principalement en plâtre, accompagnés d’un assez grand nombre de moules. Les statues décrites présentent, pour certaines, une iconographie inspirée de l’Antiquité (Mercure, Amour, Hébée, Cérès, etc.) et, pour d’autres, des sujets religieux (Vierge, Saint Jean, « Christs montés sur leurs croix », anges adorateurs). Parmi ses débiteurs figurent plusieurs ecclésiastiques. Dans les années 1820, seuls deux autres figuristes indiquent dans l’Almanach qu’ils travaillent pour les églises : Calvat, « modeleur pour l’église et le bâtiment, envoie dans les départements5 » et Griennewaldt, « sculpteur, décors d’églises, ornemens en bois, plâtre et terre, modèles pour l’orfèvrerie et autres ; mag. de bosses et études pour les artistes ; envoie dans les départemens6 ». Ces mentions discrètes et encore rares témoignent d’une première production de sculptures religieuses de série en plâtre sous la Restauration, par des entreprises qui ne sont pas uniquement spécialisées dans les sujets religieux ou la décoration d’églises.
3Sous la Monarchie de Juillet, le phénomène s’accentue nettement. Non seulement les différents acteurs de la sculpture d’édition – qu’ils se désignent comme mouleurs, sculpteurs, figuristes, éditeurs ou fabricants – sont de plus en plus nombreux à mettre en valeur les modèles religieux dans leurs publicités, mais certains se spécialisent dans ce domaine. C’est le cas notamment de Frediani, comme le révèle l’annonce qui paraît en 1852 dans l’Annuaire général du commerce. À cette date, Jean Auguste, le fils aîné de Mathieu Frediani, a sans doute pris la tête de l’atelier : « Frediani, sculpteur-figuriste, spécialité de statues pour les églises, en plâtre, terre cuite et carton-pierre, fait des envois dans les départements, quai St-Michel, 9, et rue de la Huchette, 67. » Entre 1826 et 1852, l’édition de modèles religieux semble donc avoir pris de plus en plus d’importance dans l’activité des Frediani. Néanmoins, le terme spécialité ne doit sans doute pas être pris dans un sens exclusif, car la plupart des mouleurs en plâtre établis depuis la fin du xviiie siècle ou le tout début du xixe siècle continuent d’avoir une activité diversifiée, exploitant un stock de moules à l’histoire ancienne et sans cesse complété. Alors que depuis l’annonce du Bazar parisien il ne donnait plus aucun détail sur son activité, Frediani fait le choix à partir de 1852 de cibler sa publicité sur les modèles religieux. Ce parti est le résultat d’une évolution du marché du moulage en plâtre qui est clairement perceptible dans les annuaires commerciaux à partir des années 1840. C’est à ce moment en effet que se répandent les mentions « statues d’église » ou « statues pour les églises » dans les annonces des mouleurs. Cecconi, successeur de Poli, met en avant ses modèles religieux à partir de 1842 dans l’Annuaire général du commerce :
« Cecconi, tient un grand assortiment de statues d’église dont les modèles ont été admis à plusieurs expositions au Louvre, exécute les portraits sur nature morte et vivante, et possède un grand nombre de statues pour jardins et intérieur, modelées par les plus célèbres artistes, tels que Canova, etc. etc., Meslay, 388. »
4Quelques années plus tard, il ajoute la mention « spécialité en sujets religieux9 ». En 1843, Micheli fait paraître une annonce exemplaire de l’activité d’édition d’un mouleur dans les années 1840 :
« Micheli, plâtres moulés sur l’antique et sur nature, collections de statuettes d’animaux, statues pour les jardins, pour les églises et pour les appartements, bustes d’hommes célèbres ; les amateurs d’archéologie chrétienne trouveront dans cet établissement une collection précieuse de plâtres moulés sur les plus beaux monuments du moyen-âge, envois dans les départements et à l’étranger, Guénégaud, 19, ci-devant 18, et Mazarine, 1310. »
5Parmi les publicités similaires faisant état de la présence de modèles religieux dans l’offre des mouleurs, citons encore celle de Spicq en 1852 : « Spicq, successeur de P. Luchesi, r. du Bac, 112, spécialité pour les statues religieuses ; moule sur natures ; portraits de famille ; envois dans les départements et à l’étranger, avec garantie de la casse11. » Ces quelques exemples montrent que les mouleurs en plâtre participaient pleinement, dans le deuxième quart du xixe siècle, au marché de la sculpture d’église. Les fabriques paroissiales et le clergé étaient donc susceptibles d’acquérir des statues dans leurs boutiques, où l’on peut imaginer qu’une Vierge à l’Enfant côtoyait une Vénus de Milo. En un demi-siècle, apparus dans le sillage de l’engouement pour l’antique, ces nouveaux acteurs ont étendu leur activité à tous les domaines de la sculpture, bousculant d’une certaine manière la place et le rôle traditionnels du sculpteur en créant une offre alternative. Ce changement est d’autant plus profond que certains mouleurs emploient des sculpteurs dont les noms disparaissent derrière le leur. Ainsi, lorsque Cecconi vante ses modèles religieux « admis à plusieurs expositions au Louvre », il s’agit en fait de ceux créés et présentés au Salon par son gendre, Gabriel Vital-Dubray12. Quelques années plus tard, Josef Ignaz Raffl, sculpteur de formation, travaille également pour un mouleur, Panichelli, avant de s’installer à son compte13. Ces pratiques démontrent par ailleurs que les mouleurs en plâtre ne proposaient pas seulement des reproductions d’œuvres célèbres, mais également des créations inédites.
6L’évolution de Frediani et de certains de ses collègues mouleurs met en évidence le développement de l’édition de sculptures religieuses, particulièrement net à partir des années 1840. Cette évolution doit en premier lieu être comprise comme la réponse à une demande : elle témoigne d’une reprise significative des commandes de décoration d’églises qui avaient été fortement perturbées par la Révolution, une relance également attestée par la multiplication d’ornemanistes, doreurs et négociants de toutes sortes qui se mettent au même moment à commercialiser des décorations et du mobilier pour les lieux de culte. Le secteur d’activité commence à prendre son essor, même si ces artisans ne sont pas encore installés autour de la place Saint-Sulpice. La spécialisation de Frediani peut également être interprétée comme une réaction face à un marché de plus en plus concurrentiel. En effet, non seulement les mouleurs en plâtre sont de plus en plus nombreux, mais la concurrence d’autres types d’entreprises se fait aussi durement sentir. Les années 1830-1840 voient ainsi l’industrie du bronze gagner du terrain sur le marché de la statuette décorative, jusque-là dominé par les mouleurs en plâtre, grâce à des procédés techniques qui permettent une baisse des coûts de production et donc de rendre accessible le bronze à une plus large clientèle. Dans le domaine de l’ornement prêt à employer, c’est le carton-pierre qui détrône progressivement les ornements en plâtre traditionnellement vendus par les mouleurs.
7À l’image des annuaires commerciaux, les expositions des produits de l’industrie offrent un reflet du développement du marché de l’art religieux à destination des églises. Elles mettent en particulier en lumière d’autres acteurs du marché de la statuaire religieuse d’édition que les mouleurs en plâtre. Ces événements et les rapports qui les ont accompagnés permettent également de préciser le regard porté sur la sculpture d’édition et donnent des informations sur les modèles religieux de cette période, que complètent les recueils gravés et les listes de tarifs diffusés par les fabricants.
La sculpture religieuse aux expositions industrielles
8C’est lors de l’exposition universelle de 1855, première exposition industrielle internationale organisée en France, qu’apparaît pour la première fois une section dédiée à la décoration des églises (« Meubles, ornemens et décors pour les services religieux », 24e classe14). Si cette nouvelle classification consacre l’expansion et la spécialisation de ce marché depuis plusieurs décennies, les sculptures moulées à sujet religieux sont encore classées dans une autre catégorie (« Dessin et plastique appliqués à l’industrie », 26e classe15) et il faut attendre 1867 pour qu’elles rejoignent le mobilier d’église dans les industries d’ameublement16. Aucune section de décoration et d’ameublement des édifices religieux n’existe dans les expositions des produits de l’industrie française, mais l’on y rencontre néanmoins des objets d’art religieux dans diverses catégories. Leur présence se justifie alors par l’aspect innovant ou industriel de leur fabrication et leur classement dépend souvent de leur matériau : carton-pierre, pierre factice, ciment romain, etc. C’est pour cette raison que les mouleurs en plâtre sont, à quelques exceptions près, généralement absents de ce genre de manifestations. En revanche, comme on l’a vu dans le précédent chapitre, d’autres acteurs de la sculpture moulée participent aux expositions industrielles et ils y présentent parfois des sujets religieux.
9Les fabricants d’ornements d’architecture font partie de ceux-là. Spécialisés dans l’ornement intérieur prêt à l’emploi, en matières estampables plus légères et moins fragiles que le plâtre telles que le carton-pierre ou le mastic, ils proposent, au sein d’une très vaste gamme de produits des décorations destinées aux églises. Celles-ci consistent pour la plupart en bas-reliefs à fixer en applique sur les autels ou les tabernacles, comme ceux que l’on trouve dans le catalogue de la manufacture Heiligenthal, publié en 182617. Mais il peut s’agir aussi de « figures », c’est-à-dire de rondes-bosses, d’abord de petite taille puis, au fur et à mesure des progrès techniques, de plus grand format. Les fabricants de carton-pierre proposent également du mobilier religieux. Àl’exposition de 1823, Wallet et Huber présentent avec divers ornements un « Christ d’un très-bon style18 ». En 1834, Romagnesi expose au milieu d’une « riche collection des produits de sa manufacture », un tabernacle et des candélabres en carton-pierre19. Ce fabricant est mentionné à plusieurs reprises dans le journal L’Ami de la religion pour ses ornements religieux. En 1832, alors qu’il vient de réaliser deux candélabres en carton-pierre pour l’église de Saint-Étienne-du-Mont à Paris, le journal encourage le clergé à aller voir ces ouvrages dans l’église et à visiter les ateliers du fabricant, précisant qu’« on y trouve une grande quantité d’objets d’église en tout genre20 ». La même année, le journal annonce également à ses lecteurs que Romagnesi termine plusieurs modèles de lutrins de styles différents21. Lors de l’exposition de 1844, le sculpteur présente un ensemble d’objets en grande partie religieux, parmi lesquels se trouvent une statue de la Vierge à l’Enfant, un « Christ de grandeur naturelle22 », un chemin de croix en bas-relief et un autel décoré de statuettes23, et il se fait particulièrement remarquer à l’exposition suivante pour « un groupe de grande dimension, représentant la Vierge tenant le Christ étendu mort sur ses genoux24 » (fig. 4). Un catalogue de Romagnesi contient plusieurs autres modèles de statues religieuses en ronde-bosse de moyen et grand formats, qui donnent une idée assez précise des sculptures éditées en carton-pierre en ces années 1830-184025. On peut mentionner également le fabricant Tirrart, successeur de Benoiste et Sempé, qui présente en 1844 « la scène [sic], d’après Léonard de Vinci, [et] des anges adorateurs26 », ou encore Hardouin « un autel, partie en bois, partie en carton-pierre (xve siècle) » décoré de figures en ronde-bosse, ainsi qu’un porte-reliquaire, une table et un candélabre27.
Fig. 4. – « Statue, statuettes, ornements et objets divers en carton-pierre.

Par Romagnesi aîné ». J. Burat, Exposition de l’industrie française, 1844.
10Aux côtés de ces grandes manufactures d’ornements, plusieurs exposants présentent également des sculptures religieuses moulées dans diverses matières plastiques. En 1839, Hallé expose des « objets destinés à l’ornement des églises, tels que christ, vierge, châsses, candélabres, lampes et chandeliers » en « carton-poupée » : « ces objets sont d’une légèreté telle qu’une vierge de 4 pieds de haut ne pèse qu’une trentaine de livres et peut être facilement portée en procession28 ». En 1844, Guillaume présente des « statuettes et statues d’église en matière composée29 » ; en 1849, Cotelle, des « Chemins de la Croix en diverses grandeurs, peints et bronzés avec une diversité qui permet de satisfaire tous les goûts30 », fabriqués en « pâte plastique ». La vogue du plâtre aluné, qui reproduit l’aspect et la dureté du marbre, a touché les sculptures religieuses : les frères Vilcoq exposent en 1844 une « Vierge de 6 pieds » à côté d’un groupe représentant « une Bacchante et un Satyre31 », le mouleur Chardin « une collection de sujets religieux coulés en plâtre aluné32 » en 1849. Les liants hydrauliques ne sont pas en reste. En 1844, Solon présente des « sculptures d’église en ciment romain et carton-pierre33 ». De nouveau exposant lors de la manifestation suivante, il est cité cette fois uniquement pour son application du carton-pierre aux statues d’église, dont « une Vierge, des anges agenouillés, une figure en pied du Christ, ont fixé l’attention du jury34 ». Au début des années 1840, le ciment romain est également employé par la société Berthommé, Pellet et Cie, dont la courte existence explique peut-être son absence aux expositions industrielles, mais qui a laissé une liste de tarifs contenant plusieurs modèles religieux35. Enfin, on peut citer, lors de l’exposition de 1849, le fabricant Texier, successeur de Dedreux, qui exploite une pierre factice prétendue indestructible, le « ciment de porcelaine pilée », et qui présente, avec une « Bacchante faisant danser un Faune enfant », une « Vierge immaculée » de grande taille36.
11Ces différents exemples tirés des rapports de jury des expositions des produits de l’industrie française témoignent que, de 1823 à 1849, les modèles religieux ne cessent de se multiplier sur les stands des exposants spécialisés dans le moulage des matières plastiques, comme dans leurs catalogues. Or, si ces fabricants exposent des sujets religieux, c’est là encore le signe que le marché est attractif. Ces exemples montrent aussi que, classée par matériau plutôt que par destination, cette production est considérée dans le cadre de ces expositions principalement sous l’angle de la technique et de la matérialité. La statuaire religieuse en matières plastiques y apparaît innovante, moderne, attractive. Loin d’être systématiquement dénigrée à cause de son caractère sériel, elle séduit une clientèle friande de nouveauté et de progrès technique. Les grandes expositions nationales sont l’occasion privilégiée pour les fabricants, que la sélection préalable distingue a priori, de faire découvrir au public leur production et d’attirer de la clientèle. Les membres des fabriques paroissiales et le clergé les visitent et en profitent parfois pour passer commande. Le journal de la fabrique de la collégiale de Saint-Quentin rapporte par exemple que le trésorier du bureau des marguilliers ayant vu à l’exposition de 1844 le chemin de croix en carton-pierre présenté par Romagnesi et destiné à la cathédrale de Beauvais, le conseil de fabrique a sollicité l’artiste pour une commande similaire37. Celui-ci a d’abord envoyé des échantillons afin de permettre à ses clients de juger l’effet des stations à l’emplacement prévu. Puis un appel aux dons a été lancé auprès des fidèles pour acquérir le chemin de croix. Celui-ci, moderne et adapté à l’évolution des attentes des paroissiens et du curé, remplaçait un précédent ensemble, mis en place seulement dix ans auparavant mais qualifié depuis d’« ignobles images ».
12L’approche en tant que produit industriel, technique, induite par ces expositions, est par ailleurs révélatrice du regard porté sur le décor des églises au début du xixe siècle, tant du côté des fabricants que des clients. Les premiers ont, à cette époque, une production diversifiée dans laquelle les sujets religieux ont le même statut qu’un ornement ou une figure profanes destinés à la décoration intérieure privée. L’introduction des sujets religieux dans leur offre correspond à la volonté de se positionner sur un marché existant en proposant ces objets dans des matériaux modernes, nouveaux, ce qui leur donne un attrait et justifie qu’ils figurent dans le cadre d’expositions industrielles. Sujets religieux et sujets profanes se mêlent sur chaque stand et seule leur iconographie les distingue. Cette proximité ne semble pas poser problème, du moins dans un premier temps, au clergé qui porte un jugement globalement positif sur ces produits et en fait la publicité, comme l’évêque de Belley en 1836 dans un ouvrage destiné au clergé de son diocèse38. Mais le regard porté sur le décor des lieux de culte évolue rapidement durant cette période et la proximité entre les salons et les églises est bientôt remise en cause, contribuant à séparer distinctement les deux branches commerciales dans la seconde moitié du siècle39.
13Aux côtés des mouleurs en plâtre et des manufactures spécialisées dans les matières plastiques, qui tous proposent des modèles religieux parmi une production diversifiée, apparaissent dans les années 1840 de nouveaux professionnels qui d’emblée se spécialisent dans le domaine de la sculpture d’église moulée. C’est le cas par exemple de Léon Moynet dans l’Aube40, mais aussi, à Paris, de Julien François Solon, qui fonde en 1844 un « établissement de sculptures d’églises41 ». Ces entreprises spécialisées, encore peu nombreuses sous la Monarchie de Juillet, sont les prototypes des grandes manufactures de statuaire religieuse de la seconde moitié du siècle.
L’établissement de sculptures d’églises de Julien François Solon
14Solon est l’un des premiers fabricants parisiens spécialisés dans la sculpture d’église en matières plastiques. En activité entre 1844 et 1880, il est représentatif de cette période charnière de fort développement de l’édition de sculptures religieuses dont il a été un acteur central, quoique complètement oublié aujourd’hui. Le début de son parcours permet d’éclairer la manière dont s’est construit le succès de son entreprise, un succès qui doit certainement non seulement à un contexte favorable, mais aussi à sa personnalité d’entrepreneur dynamique, commerçant, adepte de la formule publicitaire, à la pointe des techniques les plus modernes comme de l’actualité religieuse. Né à Paris le 15 juillet 181142, Solon semble avoir travaillé un temps dans l’atelier de Romagnesi car il se dit son « élève ». En 1842, il tente sans succès d’être admis au Salon en présentant une statuette en plâtre intitulée Hallebardier sous François 1er, ainsi qu’un cadre de quatre médaillons en plâtre représentant des « portraits43 ». Cette démarche est le premier témoignage d’une pratique avérée de la sculpture. Elle révèle la velléité de Solon de se faire reconnaître comme artiste à part entière. Cet échec ne décourage pas le sculpteur qui s’installe à son compte deux ans plus tard au 4, rue de Paradis-Poissonnière, non loin de Romagnesi. Mais ce faisant, Solon tente une autre approche pour trouver le succès. Tandis que les sujets des sculptures proposées en 1842 étaient tout à fait profanes, il inaugure cette fois un « établissement de sculptures d’églises », comme il l’annonce dans la publicité qu’il fait paraître dans le journal L’Ami de la religion :
« Établissement de sculptures d’églises. Solon, élève de Romagnesi, rue de Paradis-Poissonnière, n. 4. Vingt statues nouvelles de Vierge Immaculée, Vierge à l’Enfant, saints de toutes grandeurs et décorations d’autel. Tous ces objets sont exécutés en ciment romain et carton-pierre, seules matières convenables pour les décorations d’églises. Les produits de l’établissement de M. Solon sont admis cette année à l’exposition de l’industrie française44. »
15Alors qu’il avait été refusé au Salon, Solon est en effet sélectionné pour participer à l’exposition industrielle de 1844 et il y est même récompensé par une mention honorable. L’exposition suivante confirme ses premiers succès ; il reçoit de nouveau les compliments du jury : « Son exposition est remarquable sous le rapport artistique ; elle est composée en partie de statues propres aux temples catholiques : une Vierge, des anges agenouillés, une figure en pied du Christ, ont fixé l’attention du jury45. » Solon ne propose pas ses modèles en plâtre ou en terre cuite comme le font les mouleurs classiques, mais en ciment romain et en carton-pierre : deux matières plastiques marquées du sceau de la modernité. Par la suite, il ajoute encore à sa gamme une autre matière innovante, le plâtre aluné. Or la combinaison de sculptures fabriquées en série, en matières modernes, destinées aux églises, s’avère gagnante dans ce milieu favorable à l’alliance des arts et de l’industrie, et Solon y trouve une reconnaissance durable. Celui-ci enchaîne, tout au long de sa carrière, les expositions industrielles et y reçoit régulièrement des récompenses. Il devient également membre de l’Académie de l’Industrie46, puis adhérent de l’Union centrale des Beaux-Arts appliqués à l’Industrie47. Son parcours apparaît ainsi étroitement lié au milieu des arts industriels, contribuant à associer un caractère moderne à la statuaire religieuse de série.
16La publicité publiée en 1844 dans L’Ami de la religion annonce d’emblée la personnalité bien particulière de Solon, qui ne craint pas l’emphase. Celui-ci ne lésine ni sur la longueur de ses annonces, ni sur les arguments de vente. Ce type de réclame appliqué à la sculpture religieuse est tout à fait original pour l’époque : Solon, l’un des premiers fabricants spécialisés, est aussi l’un des premiers à construire un discours publicitaire propre à sa spécialité. Plus globalement, c’est tout un ensemble de stratégies commerciales, adaptées à sa clientèle et à la destination des œuvres, que Solon développe au fil du temps et qui ont été largement reprises par les fabricants ultérieurs. Ainsi, dès sa première publicité, il n’hésite pas à affirmer que les matières qu’il emploie sont les « seules matières convenables pour les décorations d’églises ». En 1845, dans l’Annuaire général du commerce, son annonce met en valeur la récompense reçue à l’exposition des produits de l’industrie et vante les qualités de sa production, à la fois perfectionnée et économique :
« Solon, sculpteur, exposition de 1844 ; félicitation du roi et des princes pour la pure exécution d’objets d’églises en ciment romain et carton-pierre perfectionné par l’emploi des matières grasses ; collection de statues de vierges de six pouces en six pouces jusqu’à cinq pieds ; saints, christs, bénitiers, lampes, tabernacles, expositions, crédances, devants d’autel, chandeliers et tout l’ornement de l’église en général ; quantité de supports pour statuettes, depuis l’exposition ; nouveau procédé d’exécution de statues diminuant les objets d’un tiers du prix habituel, diminuant les frais de dorure et d’emballage pour la province, Paradis-Poissonnière, 4. (Aucun dépôt nulle part48.) »
17En commercialisant « tout l’ornement de l’église en général », Solon entend s’imposer comme un interlocuteur incontournable du clergé et des fabriques qui trouveront chez lui tout ce dont ils ont besoin. Dans la même perspective, il étend son répertoire en faisant l’acquisition « de la plus belle partie des modèles et moules de sculptures d’église provenant de la vente du matériel de la maison Romagnesi ; ces modèles, joints à ceux qu’il a créés précédemment pour son établissement, forment l’assortiment le plus complet de sculpture religieuse49. » Le clergé et les fabriques n’ont donc que l’embarras du choix, tant le fabricant dispose de « quantité », de « collection », d’« assortiment » complet et « de toutes grandeurs », reprenant ici un vocabulaire utilisé par les mouleurs en plâtre en l’appliquant à la sculpture religieuse.
18En 1854, l’abbé Moigno fait l’éloge de Solon dans sa revue Cosmos. « Sa collection est si riche, écrit-il, qu’il peut offrir au clergé les plus beaux modèles de l’art à des conditions inespérées50. » Il loue en particulier son utilisation de la photographie pour assurer la promotion de ses sculptures. À cette époque, Solon « est presque le seul dans l’industrie qui ait su se faire de la photographie un auxiliaire utile et louable51 » et cet emploi précurseur semble avoir concouru à son succès :
« M. Solon est en bonne partie redevable à la photographie de la vogue bien méritée dont il jouit. Dans un long voyage qu’il vient de faire, il avait emporté avec lui son album, contenant ses modèles très-bien photographiés. Il a pu donner ainsi une idée parfaitement exacte et fidèle des belles sculptures qui s’exécutent dans ses ateliers, de son admirable statue de l’Immaculée-Conception, par exemple, qui se vend par milliers, de ses magnifiques chemins de croix avec cadres romains, gothiques, renaissance, d’une pureté de style irréprochable, etc. Et nous ne sommes nullement surpris que ses photographies, belles comme celles des Bayard, des Bisson, des Belloc, lui aient valu un nombre prodigieux de commandes. Il expédie chaque jour pour toutes les parties du monde, comme nous avons pu nous en convaincre dans la visite que nous avons faite à son établissement52. »
19En dix ans, l’établissement de sculptures d’églises de Solon semble avoir connu une importante et rapide extension (fig. 5). Les récompenses reçues aux expositions, l’acquisition d’une partie du fonds Romagnesi, les publicités et les catalogues de vente, les articles laudateurs, les exportations, sont autant d’indices qui témoignent du succès de l’entreprise. Solon poursuit son activité jusqu’en 1880, date à laquelle il cède son fonds de commerce à la maison concurrente Froc-Robert53.
Fig. 5 – J. F. Solon, Vierge à l’Enfant et Saint Joseph, carton-pierre, église de Saint-Charles-de-Percy.

© Pauline Carminati.
20Cet aperçu du parcours de Solon à ses débuts complète le panorama des nouveaux acteurs qui investissent le marché de la sculpture religieuse dans la première moitié du xixe siècle et apporte un témoignage supplémentaire du dynamisme de ce secteur à partir des années 1840. Cette évolution de l’offre, si elle s’explique en partie par l’évolution du marché du moulage depuis la fin du xviiie siècle, suppose également que la demande évolue. Elle suggère que les acquéreurs des sculptures destinées aux églises, en l’occurrence principalement les curés, ont de nouveaux besoins, font face à de nouvelles problématiques qui les conduisent à se tourner vers les mouleurs et manufactures.
Le clergé et la décoration des églises
21Le regard du clergé sur la sculpture, comme sur l’ensemble du décor des églises, évolue au cours de la première moitié du xixe siècle. L’idée s’impose durant cette période que « le laid et le profane ont envahi le sanctuaire, ils ont pénétré presque partout et ont souillé la plupart de nos églises, surtout dans les campagnes54 ». Soucieux d’être respecté jusque dans ses choix de décoration, le clergé concordataire se montre sensible aux critiques extérieures, qui contribuent à définir de nouvelles attentes en matière de sculpture religieuse.
Le décor des églises en débat
22La production religieuse des mouleurs et manufactures prend place dans une actualité qui voit à partir des années 1830 la sculpture d’église se trouver à la croisée de différents enjeux contemporains. Celle-ci rencontre en effet à la fois les préoccupations concrètes du clergé qui est responsable du décor des églises paroissiales, le développement de l’archéologie chrétienne qui s’intéresse de près à l’architecture et au mobilier des églises, et les réflexions théoriques qui président au renouveau de l’art religieux en France. Cet intérêt concomitant d’une grande variété d’acteurs pour l’aménagement intérieur des églises s’exprime notamment à travers une profusion de publications traitant, directement ou indirectement, de ce sujet. Celui-ci suscite même un véritable débat de société dans lequel contempteurs de la religion, archéologues et rénovateurs de l’art religieux, malgré des approches et des objectifs différents, s’unissent pour vilipender les choix et les goûts du clergé en matière de mobilier. Certains aspects de ce contexte ont fait l’objet d’études approfondies55 et il ne s’agit pas ici de revenir en détail dessus, mais plutôt de donner un aperçu des riches débats qui dans les années 1830-1840 touchent directement au décor des églises et ont eu une influence significative sur l’évolution du marché de la sculpture religieuse.
23L’entretien et la décoration des églises paroissiales ainsi que les frais du culte sont des charges qui, du Concordat de 1801 jusqu’à la Séparation en 1905, incombent aux fabriques paroissiales. La fabrique est un établissement public du culte catholique qui relève de l’autorité ecclésiastique et dépend directement de l’évêque et du curé de la paroisse qui la dirige. Elle est composée de deux organes : le conseil de fabrique, organe délibérant, et le bureau des marguilliers, organe d’exécution des décisions du conseil. Les fabriques tirent leurs revenus des quêtes, du casuel, de la location des chaises, des pompes funèbres, sans compter les éventuels revenus tirés de la location de terres et d’immeubles. Dans les petites paroisses rurales, elles sont parfois pauvres et très dépendantes des financements publics. Elles sont soutenues par les communes qui ont à partir de 1809 l’obligation légale de suppléer aux charges qu’elles ne parviennent pas à assumer56. Le curé est fréquemment assimilé à la fabrique dont il est membre de droit57. Son rôle est en effet prépondérant dans les choix du conseil de fabrique, comme le révèlent les registres paroissiaux. Le curé, encadré par son évêque, apparaît comme l’acteur central de la décoration des églises paroissiales et de la commande d’art religieux58. L’achat d’une statue, même s’il est assuré par la fabrique, est généralement dirigé par le curé, qui a la responsabilité du décor de l’église. D’ailleurs, les fabricants de sculptures religieuses s’adressent presque toujours uniquement au clergé. Le regard que porte le clergé sur le mobilier des églises durant la première moitié du xixe siècle peut être appréhendé partiellement par le biais d’ouvrages écrits par et pour des curés afin de leur servir de guides dans « l’administration temporelle des paroisses59 ». Après les bouleversements de la Révolution et du Concordat, le clergé rural formé en urgence semble avoir besoin de guides pratiques qui présentent précisément ses droits et ses responsabilités matérielles, ainsi que celles des fabriques60. Ces publications apparaissent d’autant plus nécessaires que le contexte politique est changeant, comme le souligne l’abbé Dieulin dans son Guide des curés61. L’ouvrage est particulièrement révélateur du souci du clergé de la première moitié du xixe siècle de défendre la place de l’Église dans la société, notamment face à une opinion publique qui est décrite comme encore marquée par l’esprit irréligieux de la période révolutionnaire. Plusieurs de ces guides pratiques ont connu de nombreuses rééditions et semblent avoir été appréciés. Le mobilier des églises y apparaît comme une préoccupation sinon centrale, du moins importante. Les auteurs s’y intéressent non seulement d’un point de vue pratique, abordant les questions d’entretien et de financement, mais aussi d’un point de vue critique, décrivant ce qui convient ou non de prendre place dans le sanctuaire.
24En effet, le clergé et les fabriques ne sont pas les seuls à s’intéresser au mobilier des églises dans le second quart du siècle. Au même moment, l’architecture et l’aménagement des édifices de culte sont au centre de l’attention des archéologues. Ces érudits, engagés dans un mouvement de protection du patrimoine national et de réhabilitation du Moyen Âge, entendent sensibiliser « le clergé, les fabriques, les municipalités et les artistes62 » à l’archéologie afin, d’une part, de stopper les destructions d’églises et de mobilier anciens, et, d’autre part, de prescrire de nouvelles règles pour la construction, la restauration et l’aménagement des églises. Les curés formés après la Révolution, pour beaucoup issus de milieux populaires, sont en effet stigmatisés pour leur manque de culture historique et artistique. Aux côtés des revues spécialisées, des cours d’archéologie et des études d’iconographie chrétienne qui construisent et diffusent un discours savant63, plusieurs traités d’« application pratique » de l’archéologie à la restauration et à la décoration des églises voient le jour64. Ces manuels pratiques définissent les critères qui doivent régir ces travaux. Dans la continuité du siècle précédent, l’unité de style, l’harmonie et la convenance sont les maîtres-mots, par opposition aux « bigarrures », aux « décorations parasites ou inharmoniques », au « trivial » et au « vulgaire » qui sont régulièrement dénoncés. La question du style est omniprésente et l’idée d’un style approprié aux églises sous-tend ces publications. Le style gothique s’impose sur tous les autres comme l’expression parfaite d’un art rationnel, national et catholique. Il s’agit de rompre aussi bien avec les restaurations de style néoclassique des architectes académiques, qu’avec les aménagements des xviie et xviiie siècles jugés trop pompeux.
25Le regard critique des manuels d’archéologie pratique vis-à-vis des choix et du goût artistique du clergé se retrouve chez le comte de Montalembert, qui publie en 1837 un article intitulé De l’état actuel de l’art religieux en France65. Charles de Montalembert est partisan d’une réforme de l’art religieux, dont il considère, avec Alexis-François Rio, qu’il a subi une décadence progressive depuis la Renaissance66. Il serait redevenu « païen » en puisant son inspiration dans l’Antiquité gréco-romaine, et par conséquent de moins en moins « chrétien ». L’apogée du paganisme dans l’art religieux aurait été atteint au xviiie siècle, diabolisé comme une période d’immoralité et d’impiété qui a abouti à la Révolution. Cette dichotomie art païen /art chrétien se diffuse largement dans les années 1840 chez les archéologues. Mais tandis que ces derniers l’interprètent en termes de style (style païen – l’art baroque et néoclassique – versus style chrétien – l’art gothique), Montalembert s’attache quant à lui à dénoncer le manque d’esprit religieux tant des architectes et des artistes contemporains travaillant pour les églises, que des archéologues eux-mêmes. Le clergé est lui aussi visé et critiqué, tantôt pour son attachement au « goût païen des siècles de Louis XIV et de Louis XV », tantôt pour son « goût moderne ». Il est invité à ne faire appel qu’à des artistes nourris par « l’étude et l’amour des époques vraiment chrétiennes », sur le modèle d’Overbeck, figure de proue des artistes allemands dits Nazaréens67. Montalembert investit le clergé d’un rôle crucial : « nous regardons son intervention dans la renaissance de notre art chrétien et national, non-seulement comme prescrite par ses devoirs et ses intérêts, mais encore comme utile et indispensable aux progrès de cette renaissance et à sa véritable stabilité68 ».
26Au xixe siècle, le décor de l’église n’est pas seulement l’affaire de l’Église. Si, en règle générale, le curé et la fabrique prennent les décisions et financent les achats, les donateurs privés, les savants, les « gens de goût », même s’ils ne s’affirment pas comme catholiques, interviennent et influencent leurs choix. Les publications qui émanent de certains de ces acteurs et qui portent sur l’aménagement des églises fournissent des informations sur l’introduction des sculptures moulées et dessinent en creux, à travers des points de vue parfois très différents, l’approche du clergé de la première moitié du siècle vis-à-vis de l’art religieux. À partir de ces sources, il s’agit en particulier de mettre en lumière les dynamiques d’acquisition de mobilier, qui conduisent notamment à l’achat de sculptures d’édition et sont liées parfois au retrait d’autres œuvres déjà en place.
Une question de goût
27« Décorer une église, c’est disposer, selon les règles du goût et conformément aux traditions religieuses, les divers objets d’ornement qui peuvent rehausser l’éclat des cérémonies du culte69. » C’est en ces termes que l’abbé Jules Jacquin définit, en 1848, la décoration dans son Dictionnaire usuel du curé de campagne. Tableaux et statues font partie de ces « objets d’ornement ». Yves Gagneux, s’appuyant sur l’enquête épiscopale réalisée dans le diocèse de Paris en 1854, remarque que « le clergé parisien ne retient ni la fonction liturgique, ni la qualité pédagogique des œuvres, ni leur harmonie avec la sensibilité religieuse ; il les considère comme destinées à embellir l’église et n’ayant d’autre intérêt qu’un agrément visuel70 ». Cette approche, qui semble en apparence mettre de côté les fonctions dévotionnelle et catéchétique des objets, n’est alors pas limitée au clergé car les manuels d’archéologie pratique évoquent également la statuaire et les tableaux sous la rubrique « décoration ». C’est aussi dans des sections d’ameublement et de décoration qu’est classée la statuaire religieuse lors des expositions universelles de la seconde moitié du siècle. Pour autant, le rôle des œuvres d’art n’est pas tenu pour négligeable et leur présence dans l’église fait l’objet de recommandations précises. L’une des règles communément admises est le « bon goût », comme le souligne l’abbé Jacquin. Tous les auteurs à s’être intéressés au décor des églises dans les années 1830-1840, qu’ils soient laïcs ou ecclésiastiques, convoquent l’argument du goût. Il peut s’agir du « bon » ou du « mauvais » goût, du goût « moderne » ou « suranné », « pur » ou « dépravé », voire « païen ». En 1836, le trésorier de fabrique Gerbaut consacre au sujet un ouvrage, intitulé Essais sur le goût dans les décorations d’église, car dit-il « le mauvais goût […] règne dans beaucoup de décorations d’église71 ». Si cet opuscule qui reflète un certain nombre d’idées répandues à cette époque parmi le clergé et les marguilliers est vivement critiqué quelques années plus tard par l’archéologue Raymond Bordeaux, celui-ci n’en dresse pas moins un constat similaire : « la barbarie et le mauvais goût ont envahi l’église72 ».
28Le premier devoir des fabriques en matière d’ameublement est l’acquisition du mobilier indispensable à l’exercice du culte, ainsi que l’entretien des objets présents dans l’église73. Toutefois, les guides écrits par des ecclésiastiques sur l’administration des paroisses témoignent également du souci constant de l’« embellissement74 » du lieu saint. Sa nécessité semble s’être s’imposée fréquemment et à de nombreux titres. En premier lieu lorsque la convenance du culte réclame une décoration qui fait défaut. Gerbaut souligne à plusieurs reprises « le dénuement presque total, la pauvreté et la mesquinerie qui existent en trop d’endroits75 » et qui sont l’une des expressions de ce « mauvais goût » contre lequel il se propose de lutter. Le manque de mobilier, le dénuement des églises, est un point qui revient régulièrement chez différents auteurs. Montalembert évoque lui aussi la « pauvreté » et la « nudité actuelle » des églises et des cathédrales76. Cette observation récurrente fait écho à certaines gravures contemporaines représentant des intérieurs d’églises, qui montrent des espaces relativement vides, avec peu de mobilier et de décorations (fig. 6). Pour plusieurs auteurs, la Révolution serait la cause principale de cette situation. Schmit par exemple déclare qu’il était peu de lieux de culte qui n’aient été dévastés « par l’athéisme républicain77 ». La nécessité de reconstituer ce qui a disparu a donc pu contribuer à favoriser le développement du marché de la sculpture d’église au cours de la première moitié du xixe siècle. Pourtant, ce dénuement semble devoir être relativisé car, si l’on en croit les manuels, les curés et les marguilliers ne cessent tout au long du siècle de vider les églises des objets qui ne sont pas à leur goût pour les remplacer. L’acquisition de nouvelles sculptures répond ainsi bien souvent à la volonté d’adapter le décor au goût du jour.
Fig. 6. – C. Nodier, J. Taylor et A. de Cailleux, Voyages pittoresques et romantiques dans l’ancienne France. Dauphiné, 1854.

© BnF, Gallica.
29Au début du xixe siècle, il semble courant de remplacer le mobilier qui paraît vétuste et démodé78. Les manuels d’archéologie appliquée font état, sous un angle toujours critique, de ces pratiques fréquentes de renouvellement du mobilier religieux. Schmit dénonce en 1845 le « brutal amour du neuf », le « désir des nouveautés », qui font jeter ou vendre des objets anciens, détruire des églises pour en construire des neuves79. Fériel, en 1846, fustige à son tour « la manie désastreuse des embellissements » qui lui semble avoir fait plus de dégâts dans les églises que les « orages révolutionnaires80 ». Dans la continuité du siècle précédent, le mobilier et les statues « d’un goût gothique81 » sont bien souvent la cible de ces modernisations. Bordeaux en donne plusieurs exemples et rejoint Fériel pour déplorer des pertes qui ne sont pas dues à la Révolution82. Stigmatisé pour son manque de culture archéologique, le clergé est à partir des années 1830 visé par un ensemble de prescriptions, manuels et cours qui semblent en 1845 commencer à porter leurs fruits d’après Schmit83. Dès lors, le « goût moderne », c’est-à-dire néoclassique, laisse progressivement place dans les églises au néogothique. L’intérêt pour l’architecture médiévale ne se limite pas à la protection des monuments mais s’accompagne d’une volonté de restauration qui suscite de nouveaux aménagements intérieurs. Le principe d’unité de style réaffirmé par les archéologues se diffuse auprès du clergé, si bien que l’abbé Dieulin déclare en 1842 que « tous les objets accessoires d’une église, tous ses ornements, doivent être analogues à l’expression générale de son style84 ». Ainsi, « tout, dans une église gothique, doit correspondre à son genre de structure […], tout doit être de style gothique ». Peu à peu, ce n’est donc plus pour « moderniser » l’espace ecclésial que les curés et les fabriques entreprennent des travaux, acquièrent mobilier et statues, mais pour rétablir cette unité primitive idéale. C’est pourquoi Bordeaux déplore en 1852 que l’intérêt pour l’archéologie s’étant propagé, ce soit désormais le goût du gothique qui suscite des remaniements intempestifs :
« Dans beaucoup de séminaires, il est vrai, l’archéologie est maintenant enseignée, et, d’un autre côté, le clergé d’il y a vingt ans peut, en lisant des traités spéciaux, refaire sur ce point son éducation. Cependant, ces connaissances générales et purement théoriques sont devenues une autre cause de danger. Depuis dix ans, la fureur de restaurer, d’orner à neuf les églises, s’est allumée au souffle de ces notions encore superficielles. Sous prétexte de faire du gothique, on s’est laissé aller à plus d’une innovation85. »
30D’une manière générale, les curés semblent attachés à personnaliser les lieux où ils sont affectés, comme le rapporte le même auteur : « Beaucoup de nouveaux curés veulent à leur arrivée arranger l’église selon leur goût personnel, et il en résulte que beaucoup d’églises rurales ont, comme les maisons qui changent trop souvent de locataires, subi des remaniements que le zèle et la bonne intention ne sauraient justifier86. » La comparaison est significative : l’« amour du changement87 » qui touche à la même époque le décor privé des appartements bourgeois s’étend bien au-delà et s’applique également au décor intérieur des églises. Il constitue ainsi l’un des multiples ressorts de l’acquisition de nouvelles statues.
31Aussi divers soient les motivations et les critères de jugement, la décoration du lieu de culte apparaît à l’évidence comme une préoccupation importante pour le clergé. Si la Révolution a provoqué des destructions, si certains objets sont remplacés parce qu’ils sont en mauvais état, le mobilier a également été renouvelé pour des questions de goût et de mode. La production de série, économique, a rendu possibles ces aménagements successifs dans un grand nombre d’églises. Mais le décor ecclésial n’est pas jugé seulement à l’aune de son style. Sa décence est un aspect prépondérant dans les discours. Et à cet égard, la statuaire en place fait l’objet de vives critiques.
Le laid et le profane
32Le bon goût qui dirige le choix des embellissements de l’église se heurte dans les années 1830 à d’autres écueils que les objets « d’un goût suranné » ou dont le style ne s’accorderait pas avec celui de l’édifice. Le trésorier de fabrique Gerbaut, résumant ce qui déplaît dans le décor ecclésial du début du siècle, écrit que « trop souvent on voit, dans beaucoup d’églises, des objets qui choquent la vue d’un amateur des arts et même de tout homme qui fait quelqu’attention aux règles naturelles du beau88 ». Dans la continuité des prescriptions du concile de Trente, l’abbé Dieulin recommande particulièrement « qu’il n’y ait rien de grossier ni de bizarre, de grotesque ni de choquant dans les différents meubles et ornements d’une église89 ». Après avoir évoqué le cas des « mauvais tableaux exposés çà et là dans nos églises », il poursuit :
« Le choix des statues n’est pas moins important ; il y en a de si grossièrement taillées, d’une pose si roide, d’une physionomie si niaise, si peu expressive et parfois si dure et si repoussante, en un mot, de si informes, qu’on ne peut, en les regardant, se défendre d’un sentiment pénible90. »
33Les responsables de ces figures « tellement contrefaites, qu’elles ressemblent à de grotesques idoles venues de quelque pagode des Indes » sont, d’après Dieulin, les artisans locaux, aussi invite-t-il le clergé à ne pas s’adresser à eux91 :
« Il faut repousser les offres de service des menuisiers de village, qui s’en vont prôner leurs talents à des curés trop confiants qui les croient sur parole. Ces misérables, propres tout au plus à faire des meubles communs, s’érigent parfois en sculpteurs et en statuaires, puis ils viennent souiller nos églises de leurs ébauches grossières et informes, qui provoquent l’indignation ou la risée des gens de goût92. »
34Aux statues informes et grossières s’ajoutent les statues indécentes et indignes du sujet qu’elles représentent. Dieulin condamne la nudité des anges « qui offense les regards », le « volumineux embonpoint [et] la face luxuriante de santé » de certains saints, « les traits d’une femme de théâtre, au visage tout fardé, ou au regard hardi et effronté » donnés à la Vierge Marie. Quant aux saintes patronnes, « on les prendrait pour des déesses ou des nymphes du paganisme, si on ne les trouvait dans un temple chrétien ». C’est pour résumer ces différents reproches que l’auteur formule cette phrase, citée en introduction : « Le laid et le profane ont envahi le sanctuaire, ils ont pénétré presque partout et ont souillé la plupart de nos églises, surtout dans les campagnes93. » Ces propos rappellent évidemment ceux que tenait un peu plus tôt Montalembert dans son article De l’état actuel de l’art religieux en France, où il évoque « le règne du laid et du profane » et déclare que « le laid a tout envahi ; il a souillé jusqu’aux derniers recoins où pouvait encore se cacher le symbolisme catholique94 ». Cependant, alors que Dieulin vise les œuvres d’art populaire qui pourraient paraître pittoresques à un citadin érudit, Montalembert critiquait les statues et tableaux mis en place depuis la Restauration dans les églises parisiennes, et en particulier les dons de l’État, ces « énormes croûtes qui viennent chaque année, après l’exposition, déshonorer les murs de nos églises ».
35L’abbé Dieulin s’attarde longuement pour invectiver les statues qu’il juge ainsi grossièrement faites, ces « parodies dérisoires et sacrilèges », « véritables caricatures qui flétrissent l’honneur de la religion, comme elles compromettent le discernement du clergé sous le rapport des arts ». L’enjeu en effet n’est pas seulement d’ordre esthétique : « Leur air difforme fait sourire de pitié, et l’on hausse involontairement les épaules, quand on songe qu’elles sont exposées à la vénération des fidèles pour recevoir leurs hommages, elles qui ne peuvent inspirer qu’un dégoût profond et frapper de ridicule la religion et le culte des saints95. » Pour le clergé concordataire soucieux de défendre l’Église dans un contexte politique incertain, il n’est pas question de prêter à rire à cause de décorations ne satisfaisant pas au bon goût ou de vieilles coutumes d’un autre temps. Diverses pratiques populaires sont également stigmatisées, par exemple les statues habillées ou les statuettes promenées en procession au bout d’un bâton, car elles pourraient « occasionner de mauvaises plaisanteries aux ennemis du culte catholique » (fig. 7). Dans les manuels, la pratique d’habiller les statues est fréquemment associée à celle de les « colorier », elle aussi fermement condamnée. Ces propos témoignent de l’existence d’un discours prescriptif à l’égard des décorations d’église au sein du clergé des années 1830-1840. Considérés comme des « embellissements », statues et tableaux n’en sont pas moins investis d’un rôle de représentation de l’Église catholique auprès de la société. La responsabilité des curés, « que trop souvent on accuse de défaut d’intelligence dans l’ornementation de leurs églises96 », est directement engagée :
« La conscience des curés et des fabriciens est donc intéressée à consulter des artistes de mérite ou des hommes éclairés, avant de commander, de leur chef, des restaurations, des embellissements, ou la confection d’ouvrages délicats, à des ouvriers ignorants, qui n’ont pas même les moindres notions de peinture ou de statuaire. Sans cela, ils s’exposeraient à tomber dans quelques-uns des ridicules que nous avons signalés, et qui ne nuisent pas moins à la décence du culte, qu’à la considération des administrateurs97. »
Fig. 7. – C. Nodier, J. Taylor et A. de Cailleux, Voyages pittoresques et romantiques dans l’ancienne France. Auvergne, 1829.

© BnF, Gallica.
36Ces craintes montrent que les critiques dénonçant la présence dans les églises de statues grossières, mal proportionnées et indécentes, reflètent un jugement contemporain qui ne se limite pas aux membres du clergé. Ce jugement contribue probablement à expliquer que le clergé rural, encouragé à retirer les statues « ridicules » et « coloriées » des églises et à rompre avec les ateliers locaux de menuisiers-sculpteurs, se soit tourné vers d’autres interlocuteurs tels que les mouleurs, construisant de nouveaux rapports avec la sculpture, en particulier de nouvelles attentes.
37La lutte au nom du bon goût, de la décence du culte et de l’honneur du clergé, touche aussi bien les statues anciennes que celles du siècle précédent, au grand dam des défenseurs du patrimoine. Les statues frappées d’anathème sont remisées ou vendues. Fériel exhorte les curés : « Reléguez dans le fond des sacristies ces statues informes qu’on affuble de vêtements ridicules, et n’admettez que des images dignes de la religion qui les vénère98 ». L’abbé Jacquin renchérit et conseille aux fabriques « de les chasser impitoyablement, ou de les vendre à tout prix et de consacrer les fonds à l’acquisition d’une œuvre due à un artiste de talent99 ». Cette « chasse » semble en effet avoir été active. Montalembert, en 1837, dénonce vigoureusement ces pratiques100. Bordeaux lui aussi témoigne en 1852 du retrait des statues jugées ridicules par le clergé. Il n’en remet pas en question la légitimité en ce qui concerne les « figures sans style et à peine dégrossies », mais reproche aux ecclésiastiques de ne pas savoir différencier les œuvres de valeur :
« Beaucoup d’ecclésiastiques, frappés du ridicule de ces figures difformes, ont cherché à en débarrasser leurs églises ; mais, confiants dans un goût personnel que n’éclairent pas toujours des connaissances artistiques et archéologiques, ils ont trop souvent compris dans la même réprobation le bon avec le mauvais, et de précieuses statues du moyen âge, parce qu’un barbouilleur les avait engluées de céruse, d’ocre ou de bleu de Prusse, ont été confondues avec leurs pitoyables voisines101. »
38Enfin, il ne s’agit pas seulement pour le clergé d’éliminer les statues condamnées, il faut ensuite les remplacer. Que l’église ne possède que peu d’ornements ou qu’elle ait été débarrassée des objets démodés, grossiers ou indécents, la question sous-jacente demeure le choix de nouvelles sculptures.
« Un bon style religieux »
39Pour remplacer les sculptures retirées de l’église, le clergé et les fabriques choisissent bien souvent des « moulages modernes », comme on l’apprend à travers les propos réprobateurs de Bordeaux :
« Malheureusement le nombre de ces Vierges diminue tous les jours : plusieurs ont été livrées à des brocanteurs en échange d’insignifiantes figurines en plâtre blanc. […] Dans une autre paroisse du diocèse d’Évreux, deux statues gothiques, coloriées et dorées, représentant des évêques vêtus de la chasuble antique avec orfrois incrustés de verre de couleur, sont reléguées sous le porche entre des gravois et des planches pourries, tandis que de fades moulages modernes sont offerts à la vénération publique. Je sais que les rituels prescrivant de ne point laisser exposées dans les églises des images gâtées, on alléguera qu’il est nécessaire de faire disparaître les statues mutilées. Mais une réparation est facile à faire sans altérer les parties anciennes, et d’ailleurs les sculptures que je viens de signaler étaient intactes lorsqu’on les a rejetées102. »
40Ce témoignage est très intéressant car il documente, sous l’angle critique, l’introduction des premières sculptures d’édition – encore dépourvues de polychromie à cette époque donc blanches – qu’il associe au retrait des statues anciennes. Or si celles-ci ne correspondent plus aux critères de goût du clergé ou sont mutilées, les nouvelles statues moulées présentent quant à elles des qualités recherchées.
41Puisque les statues « [donnent] lieu à tant d’abus et tant de fautes de goût103 », il convient d’être particulièrement vigilant dans le choix des nouvelles. Les critères d’une statue digne d’une église sont, selon Gerbaut : « ne pas manquer dans les proportions, être d’un travail passable et n’offrir rien de choquant à la vue, c’est au moins de ces sortes de statues que l’on doit chercher à se procurer quand on ne peut en avoir de meilleures104 ». Dieulin insiste lui aussi sur le souci de « l’anatomie bien rendue », par opposition aux statues informes. Dignité, gravité, décence doivent caractériser les statues afin qu’elles satisfassent à la convenance, qui est selon Bordeaux « la condition de l’art chrétien ». Or la nouvelle statuaire moulée se propose clairement de répondre à ces exigences tout en offrant des prix abordables. L’abbé Moigno rapporte par exemple que Solon, cet « habile sculpteur », « [s’est] posé le difficile problème de remplacer toutes ces statues, chemins de croix et ornements de mauvais goût qui déshonorent l’architecture de nos édifices religieux, par de belles créations de son art, accessibles à l’humble église du village comme à la plus riche cathédrale de nos villes105 ». La référence aux problématiques formulées dans les manuels de décoration d’églises contemporains est ici évidente. De même, la mention, lors de l’exposition de 1849, des « statues propres aux temples catholiques » présentées par Solon n’est pas neutre et elle renvoie implicitement aux statues « qui déparent nos églises106 ». Au tout début des années 1840, le catalogue de la maison Berthommé, Pellet et Cie met en avant une semblable volonté de répondre à la demande du clergé :
« Il est déplorable, il faut l’avouer, de voir dans nos églises les figures de saints en bois ou en plâtre que la piété des fidèles est allée loger dans des niches. Ce genre de statues a été fort négligé de tout temps et a attiré particulièrement l’attention de Berthommé, Pellet et Cie, qui possèdent de nouvelles statues religieuses tout-à-fait dignes par leur exécution des sujets qu’elles représentent107. »
42L’exemple cité précédemment du chemin de croix de Romagnesi acquis pour la collégiale de Saint-Quentin en 1845 illustre lui aussi ce souci de remplacer les « ignobles images108 » mises en place dix ans auparavant. Il faut souligner que, si l’on sait peu de choses des statues vendues par Frediani et les autres mouleurs en plâtre, celles de Solon et de Romagnesi sont quant à elles jugées « remarquables sous le rapport artistique109 » aux expositions industrielles, lieu où se définit désormais le bon goût, et elles font parfois l’objet de commandes prestigieuses.
43Les statues moulées constituent donc à l’évidence pour le clergé une alternative aux statues informes ou indécentes, en particulier lorsque la paroisse n’a pas les moyens de s’offrir une œuvre originale d’un sculpteur reconnu. Bien que certains archéologues ne manquent pas de critiquer les matières moulées, les jugeant inférieures aux matières taillées, l’aspect économique de la sculpture d’édition est un atout indéniable qui permet de dépasser les préventions110. En outre, le caractère de modernité attaché aux nouvelles matières plastiques et à la reproductibilité technique prenait certainement, par opposition aux statues anciennes décriées, une importance d’autant plus grande aux yeux des commanditaires. En 1867, après plusieurs décennies d’introduction progressive de sculptures d’édition en plâtre et en carton-pierre dans l’espace ecclésial, l’abbé Gareiso résume parfaitement la position d’une grande partie du clergé vis-à-vis de cette question de la matière et affirme la primauté d’un « bon style religieux » :
« Ce que nous désirons avant tout dans les statues destinées à nos églises, c’est la convenance religieuse […]. Après cela, peu nous importera la matière dont sera faite la statue ; c’est-à-dire qu’à nos yeux la forme doit passer avant tout ; et que, lorsqu’on ne peut pas avoir tout-à-la-fois, richesse de la matière et convenance religieuse de la forme, il ne faut pas balancer à préférer une statue en plâtre, d’un bon style religieux, à une statue en pierre ou même en argent, d’un style profane ou d’une mauvaise exécution111. »
44Ce regard porté sur la convenance de la statuaire se maintient durablement car jusqu’à la fin du siècle des statues anciennes jugées grossières ou indécentes sont remplacées par des sculptures d’édition112.
45Parallèlement à ces problématiques, d’autres dynamiques favorisent au même moment l’acquisition de ces nouvelles sculptures. Celle-ci s’inscrit en effet dans un vaste projet de renaissance de l’« art chrétien » partagé par les archéologues et le clergé.
Retrouver un art « populaire et chrétien »
46Aux yeux des archéologues du xixe siècle, l’art médiéval doit être étudié et copié dans l’objectif de purifier le goût, de le régénérer après la décadence de l’époque moderne113. Pour les catholiques en particulier, le Moyen Âge représente un idéal de chrétienté, un modèle de concorde théologico-politique, d’unité ecclésiale autour du pontife romain, en un siècle au contraire marqué par les déchirures religieuses, politiques et sociales114. Une nouvelle vision du décor des églises, et notamment de la sculpture, de sa place, de son rôle et de ses caractéristiques, naît de cet engouement vers le milieu du siècle, portant avec elle l’espoir d’une régénération religieuse de la France à travers la renaissance d’un art « populaire et chrétien115 » sur le modèle médiéval. Cette évolution des attentes en matière de sculpture d’église a des répercussions directes sur l’essor et le devenir de la statuaire religieuse d’édition.
Le moulage au service de l’art chrétien
47La réhabilitation du Moyen Âge et l’idée que le style gothique est le plus convenable à l’art d’église favorisent à leur manière le développement de la sculpture religieuse moulée. Le moulage apparaît en effet comme un auxiliaire utile à la diffusion de modèles conformes aux exigences archéologiques. Les matières et les techniques de la statuaire sont des sujets récurrents dans les manuels d’archéologie pratique. Si tous les hommes de goût érigent en modèle la statuaire médiévale taillée, en pierre ou en bois, certains n’en sont pas moins amenés à faire des concessions car, pour opérer la renaissance de l’art chrétien, il faut avant tout diffuser les modèles qui en sont les vecteurs. On assiste dès lors à une réévaluation tacite des critères de technique et de matière.
48En 1837, Montalembert encourage le clergé à se procurer des moulages de sculptures médiévales, « modèles exquis de la beauté chrétienne116 », sans s’arrêter à la question du matériau. Encore peu nombreux dans les années 1830, ces moulages se multiplient rapidement dans le répertoire des mouleurs à la faveur du développement de l’archéologie chrétienne et des grands chantiers de restauration117. Certains professionnels en font très tôt une spécialité, comme Micheli, qui était souscripteur des Annales archéologiques118. En 1844, la revue reproduit un article élogieux de Guilhermy sur les frères Virebent, à Toulouse, qui commercialisent eux aussi des moulages « des plus magnifiques œuvres du moyen âge119 », cette fois en terre cuite120 (fig. 8). Parallèlement à cette promotion des reproductions de sculptures médiévales, s’engage une réflexion sur la question de la matière. Guilhermy débute son éloge en cherchant dans le passé une justification à l’emploi de la terre cuite. Considérant que « les anciens estimaient, à l’égal des matières les plus précieuses, les sculptures et les ornements exécutés en terre cuite », il donne son aval à l’utilisation de cette matière qui, quoiqu’elle soit jugée moins noble que la pierre, demeure à ses yeux traditionnelle. La même année, Montalembert et Didron s’intéressent aux deux autels néogothiques que vient d’exécuter en terre cuite le jeune Léon Moynet à Magny-Fouchard, dans l’Aube121 (fig. 9). En réponse à leur demande d’informations, le curé rédige une longue lettre qui est publiée dans les Annales. Il y pointe les difficultés économiques qui entravent la « résurrection de l’art chrétien » dans toutes les paroisses :
« Si l’art chrétien est remis en honneur, peut-on dire qu’on l’a mis à la portée de tous ? […] la pauvre église de village, quand pourra-t-elle faire du gothique ? Est-ce avec ses faibles ressources qu’elle pourra élever son autel à la Vierge Marie, ou même faire menuiser votre magnifique confessionnal du xiiie siècle ? Non, elle ne le pourra ni avec le marbre, ni avec la pierre ; elle ne le pourra pas même avec le bois122. »
Fig. 8. – Virebent frères, moulage de la clôture du chœur de la cathédrale d’Albi.

Recueil de modèles, années 1840.
© musée Paul Dupuy, Toulouse.
Fig. 9. – L. Moynet, autel latéral sud de l’église de Magny-Fouchard,

1842-1843, détail.
© Pauline Carminati.
49Il s’enthousiasme pour les possibilités offertes par la terre cuite, grâce à laquelle « la belle architecture du moyen âge serait mise à la portée de tout le monde et de toutes les bourses ». Déjà séduit par les travaux de la manufacture Virebent, Didron, flatté du « zèle ardent » de ce prêtre de campagne, conclut à son tour en ouvrant la voie aux matières pauvres :
« Nous n’aimons guère, quand il s’agit d’architecture ogivale, d’art chrétien en France, que les matériaux employés par notre moyen-âge : la pierre de liais, le bois de chêne et les métaux. Cependant nous sommes dans une époque de transition, entre la mort complète et la résurrection véritable ; certains procédés, qui peuvent hâter cette renaissance, et au nombre desquels l’exécution de certains objets en terre cuite paraît se placer, doivent être pris en sérieuse considération123. »
50Didron s’engage dès lors résolument dans la promotion des techniques industrielles au service de la propagation d’un art chrétien répondant aux principes de l’archéologie124. Après avoir commencé par reproduire dans les Annales des objets considérés comme exemplaires pour qu’ils soient copiés, puis créé une « Agence archéologique » pour servir d’intermédiaire entre les clients et les fabricants125, il fonde en 1849 une manufacture de vitraux. Sa société a également pour objet « la fabrication et la commission de tous les objets qui concernent la construction, la réparation, l’ameublement et l’ornementation des églises126 ». Dans le même temps, il ouvre une galerie d’exposition qui se veut à la fois musée archéologique et vitrine de son entreprise, sur le principe des boutiques-musées des mouleurs (comme celle de Micheli qu’il fréquente), mais appliqué à tous les domaines de l’art religieux. Il y présente « tous les dessins, les modèles, les échantillons, les estampages, les objets que nous fabriquons ou que nous ferons confectionner ». Dans ce cadre, il établit un dépôt de statues religieuses en grès fabriquées par la manufacture Virebent et il en vante les avantages sur la sculpture en pierre. Précision, exactitude, bon marché sont les qualités associées à la technique du moulage dans le second quart du xixe siècle et Didron les met au service de ses objectifs. Les matières qui se moulent, en dépit de leur infériorité supposée par rapport aux matières qui se taillent, revêtent donc une importance non négligeable dans le projet de renaissance gothique des archéologues qui, comme lui, font preuve de pragmatisme et partagent le rêve d’un art (gothique) pour tous. La publicité faite par Didron porte ses fruits ; à sa suite, l’abbé Gareiso fait l’éloge des sculptures fabriquées par les Virebent et étend son approbation aux manufactures similaires :
« D’autres établissements semblables ont surgi depuis quelques années, ailleurs qu’à Toulouse ; et il en sort aussi des produits d’un bon caractère religieux. Toutes les fois donc qu’on ne pourra se procurer une belle statue en pierre par défaut de ressources ou par défaut d’artiste capable, on fera bien de s’adresser à ces établissements qui fourniront, à un prix peu élevé comparativement, des statues très-convenables, d’un style très-religieux127. »
51Après avoir mis en lumière les premiers travaux de Léon Moynet et vanté les statues de la manufacture Virebent, Didron fait également en 1851 la publicité d’un modèle de saint Joseph créé et édité par le sculpteur Pierre-Marie Froget :
« D’une grande statue de cinq pieds, dont le prix, en pierre, est de 2,000 francs, en plâtre de 300 francs, M. Froget a fait une réduction, une statuette de 60 centimètres qui, en plâtre, passé à la stéarine, ne s’élève qu’à 45 francs. Déjà plus de cent exemplaires de cette jolie figure se sont placés en France, en Angleterre, en Belgique et même aux États-Unis, et nous croyons que M. Froget n’est qu’au début de son succès. Le jeune artiste a bien voulu mettre en dépôt dans notre petite galerie cette charmante statuette qui figure à merveille parmi les autres statues du vrai xiiie siècle que nous possédons. Nous avons engagé M. Froget à exécuter de la même manière, dans le même style et dans les mêmes dimensions, une statue et une statuette de la sainte Vierge tenant Jésus128. »
52Au sein même du milieu archéologique, les bases sont donc jetées pour l’essor d’une statuaire religieuse fabriquée en série. Le rôle de Didron paraît à ce titre décisif dans l’orientation que prend à cette époque la sculpture d’église.
53Les archéologues ne réfléchissent pas seulement aux techniques et aux matières à employer pour les sculptures d’église, mais également aux critères iconographiques et esthétiques qui doivent guider leur conception. Le goût pour le Moyen Âge et le projet de renaissance de l’art chrétien définissent ainsi un nouveau cadre de création pour la statuaire religieuse, qui a été déterminant pour l’évolution de la sculpture d’édition et a contribué à favoriser le renouvellement du décor dans l’église.
Illustrer les litanies des saints
54Toutes les publications qui traitent d’art religieux au xixe siècle insistent sur les codes qui doivent régir les représentations. Dans son panégyrique de Léon Moynet publié en 1880, Mgr Fèvre, protonotaire apostolique, indique que les statues religieuses doivent être conçues comme « les litanies de Jésus, de la Vierge et des Saints écrites en signes hiératiques, suivant les règles de l’art catholique et de la tradition chrétienne129 ». La prégnance du respect de la tradition s’enracine dans les décrets du concile de Trente sur les saintes images, maintenus en vigueur par l’autorité de la Congrégation des Rites, en particulier la prescription de ne pas admettre de représentations insolites et nouvelles dans les lieux de culte130. Vient également à l’appui du respect des types traditionnels, l’idée largement répandue, depuis les travaux de Didron notamment131, que l’art d’église serait la « Bible des illettrés » ou « Bible des pauvres »132. Accessible et compréhensible de tous, l’art des églises médiévales apparaît aux yeux des archéologues et du clergé comme un art qui était au temps de sa création véritablement « populaire133 ». Sur le modèle idéalisé du Moyen Âge, la dimension didactique de l’image est réaffirmée et la statuaire religieuse est investie d’une mission d’enseignement134. « Instruire, édifier : tel est le devoir du chrétien dans toutes les professions et dans toutes les sphères de la vie. La plume des docteurs, les livres du prédicateur, le pinceau et le ciseau de l’artiste doivent retracer les mêmes enseignements135. » Pour que cette mission se réalise, il est nécessaire que les sujets représentés par le sculpteur ou le peintre soient lisibles, compréhensibles, qu’ils se réfèrent à des types connus et identifiés, comme le rappelle l’abbé Godard en 1854 dans son Cours d’archéologie sacrée :
« La fidélité aux règles iconographiques est un point capital. Nous les tracerons plus tard. Qu’il suffise de remarquer ici combien elles sont ignorées et méprisées. Non-seulement on oublie les signes distinctifs des personnages, les caractères historiques ou symboliques traditionnels des scènes que l’on traite ; mais on commet les plus énormes contre-sens. De sorte que les images, au lieu d’être un livre pour les ignorants, ne rappellent rien à l’esprit ou n’enseignent que l’erreur136. »
55L’importance de l’identification des images religieuses est systématiquement soulignée par les archéologues, qui font de l’étude des attributs l’une des bases de l’iconographie chrétienne. Dans ces conditions, « l’étude incessante des vies des saints, de l’iconographie137 » s’impose aux artistes qui travaillent pour les églises. Aux côtés des Annales archéologiques et de la Revue de l’art chrétien, qui « [offrent] aux yeux et à l’esprit les types d’un beau style chrétien138 », de multiples dictionnaires iconographiques et hagiographiques sont publiés dans la seconde moitié du xixe siècle, avec pour vocation de guider les artistes et les aider à composer des images répondant aux « principes de l’iconographie chrétienne139 ». Ces publications sont attentivement suivies par les sculpteurs travaillant pour l’édition, comme l’atteste par exemple la bibliothèque de Léon Moynet140. Elles font partie intégrante de la documentation rassemblée pour concevoir leurs modèles selon les règles édictées par les savants.
56Aux yeux des archéologues et iconographes du milieu du siècle, les types traditionnels de l’art chrétien doivent être recherchés dans le Moyen Âge et particulièrement dans le gothique du xiiie siècle. Pourtant, dans le domaine de la statuaire, ce modèle ne laisse pas d’embarrasser. En 1831, Ludovic Vitet, inspecteur général des monuments historiques, évoque la mauvaise réputation de la statuaire médiévale dans un rapport adressé au ministre de l’Intérieur sur les monuments du nord-ouest de la France et invite à la reconsidérer141. En 1849, les Annales archéologiques publient un article de l’abbé Texier consacré à la « statuaire chrétienne142 ». Près de vingt ans après le rapport de Vitet, les regards semblent n’avoir guère évolué en dehors d’un cercle restreint d’archéologues, et Bordeaux confirme, comme on l’a vu, que cette déconsidération se traduit auprès du clergé par le retrait de certaines statues médiévales des églises. « Plusieurs, même parmi les maîtres de l’enseignement public […] la condamnent en bloc », écrit Texier. En effet, en 1846, l’Académie royale des beaux-arts avait publié, sous la plume de Raoul-Rochette, son secrétaire, des Considérations sur la question de savoir s’il est convenable, au xixe siècle, de bâtir des églises en style gothique, dans lesquelles la statuaire est stigmatisée comme l’une des raisons qui s’opposent au choix du style gothique pour la construction des nouvelles églises143. Le principal reproche qui lui est fait est son manque d’« imitation de la nature », particulièrement difficile à accepter pour des savants et des artistes imprégnés des théories de Quatremère de Quincy144. Même parmi les défenseurs du gothique, la statuaire divise. Pour Bordeaux en revanche, le défaut de naturalisme est le signe d’un art véritablement religieux145. L’abbé Godard défend de même le « cachet d’affranchissement de la terre et de surnaturalité » de la sculpture gothique et avance avec Viollet-le-Duc l’idée d’un possible perfectionnement146. Sans remettre en question la pertinence du modèle médiéval, la nécessité de transiger avec la sensibilité contemporaine s’impose. Les types traditionnels de la statuaire gothique doivent être perfectionnés par une plus grande imitation de la nature147. Cette tension entre respect de la tradition et modernisation, entre idéalisation et naturalisme, caractérise la sculpture religieuse d’édition de la seconde moitié du xixe siècle, mais la référence à la statuaire du Moyen Âge reste durablement revendiquée tant par le clergé que par les fabricants comme la garantie d’un art vraiment chrétien.
57Ce modèle idéal de la sculpture médiévale est associé étroitement par les archéologues à l’idée de profusion, d’accumulation. Outre une réalité matérielle, les remarques évoquées plus haut à propos du dénuement des églises au début du xixe siècle peuvent traduire également une perception qui évolue. À mesure que la société porte de l’intérêt au patrimoine architectural national, la ruine des bâtiments et la nudité des intérieurs semblent sauter aux yeux. Surtout, les études des archéologues réhabilitent l’idée que les édifices religieux étaient au Moyen Âge richement décorés, ce qui semble faire ressortir, par contraste, la perception d’un vide. Cette opposition est sensible dans les propos de Schmit qui évoque des églises « dépouillées de leurs anciennes peintures murales, en grande partie de leurs splendides vitraux, de leurs magnifiques jubés, de leurs riches stalles, de leurs nombreux monuments148 ». Cet idéal du décor religieux médiéval s’impose au clergé sensibilisé à l’archéologie chrétienne. Même l’abbé Jacquin, pourtant loin d’être un archéologue rigoureux, cite l’Iconographie chrétienne de Didron sur ce point :
« Depuis le ixe siècle de notre ère jusqu’au xviie, le christianisme a fait sculpter, ciseler, graver, peindre, tisser une innombrable quantité de statues et de figures dans les cathédrales, les églises de paroisse et les chapelles ; dans les collégiales, les abbayes et les prieurés. […] Autrefois il n’y avait pas une seule église, tant petite fût-elle, qui ne possédât trente, quarante, cent figures sculptées. De ces personnages exécutés par des sculpteurs, des ciseleurs ou des peintres, les intempéries des saisons, la succession des siècles, les révolutions humaines en ont singulièrement diminué le nombre149 […]. »
58Cette idée qui se diffuse largement après 1850 renforce l’impression d’un manque, ou plus exactement d’une perte de décorations, et contribue à rendre nécessaires aux yeux du clergé les embellissements, notamment l’acquisition de nouvelles statues. La profusion supposée de la statuaire dans l’église est complémentaire de la fonction catéchétique qui lui est conférée et étroitement liée à l’imaginaire d’une illustration sculptée des litanies des saints. Au mitan du xixe siècle, c’est le retour de cet art « populaire et chrétien », capable de « peupler les sanctuaires et parler aux masses150 », que le clergé attend et qu’il va réaliser avec la statuaire religieuse d’édition.
59Durant les années 1840-1850, les archéologues contribuent à redéfinir le cadre de création des sculptures d’église. Investissant celles-ci d’une mission d’enseignement, ils affirment l’exigence de respect des types traditionnels et de lisibilité des attributs. Pour le clergé nourri de cette influence, la sculpture doit être une prédication par l’image, elle doit illustrer les litanies des saints. Bien plus qu’une question stylistique, la référence à la statuaire médiévale traduit une vision globale d’un Moyen Âge idéalisé qui imprègne tous les acteurs de la sculpture d’église. Cette vision s’exprime également à travers le renouveau des arts de la couleur, en particulier la polychromie de la sculpture151.
Les couleurs du Moyen Âge
60À la fin du xviiie siècle et au début du xixe, le marbre et le bronze sont les matières les plus appréciées en sculpture et considérées comme les plus nobles. Le marbre blanc en particulier triomphe dans la sculpture néoclassique, à l’image des œuvres de l’Antiquité prises pour modèles. Au même moment, les moulages en plâtre diffusent cette esthétique de la blancheur. Les sources techniques relatives aux matières plastiques font état de la recherche de matières blanches, imitant le marbre. Jusqu’au début des années 1840, il est quasiment inconcevable pour un homme de goût d’envisager qu’une sculpture soit polychrome ; aucune mention de couleur n’apparaît ni aux Salons, ni aux expositions industrielles. Depuis la Renaissance, en vertu du fameux paragone entre sculpture et peinture, l’art de la sculpture est considéré comme incompatible avec la couleur, réservée à la peinture152. La polychromie serait un artifice, une tromperie, accentuant le réalisme d’une statue au détriment de la beauté idéale. Ce jugement négatif est également répandu parmi le clergé de la première moitié du xixe siècle se voulant éclairé, alors même que les sculptures d’église étaient traditionnellement peintes. Il est par exemple diffusé par l’abbé Jacquin, qui considère que « les statues peintes [blessent] le bon goût ; on doit surtout se garder de donner au visage les couleurs naturelles et des teintes diverses aux vêtements. Les arts ont leurs limites qu’ils ne franchissent jamais impunément153. » On a vu en outre que le clergé associe la sculpture polychrome à des pratiques populaires susceptibles de jeter le ridicule sur la religion, aux statues grossières et indécentes qu’il souhaite bannir de l’église. Même si la fabrication locale de sculptures polychromes s’est poursuivie ponctuellement dans certaines zones rurales, nombre de statues anciennes sont recouvertes de badigeons monochromes durant la première moitié du siècle et celles achetées durant cette période aux artistes, aux mouleurs en plâtre ou aux manufactures de carton-pierre sont généralement blanches.
61Cependant, les découvertes archéologiques, sur les monuments antiques d’abord, puis sur les œuvres médiévales, conduisent à un renouvellement du regard sur la polychromie en sculpture et ouvrent la voie à de multiples expérimentations. Dans le domaine de la statuaire profane, l’influence des publications de Quatremère de Quincy et de Hittorff sur la polychromie de l’architecture grecque a été mise en évidence. Dans leur sillage, des reconstitutions de sculptures grecques, comme la Minerve chryséléphantine de Simart commandée en 1846 et exposée en 1855, et des créations, comme les trois Sapho en marbre peint présentées par Clésinger au Salon de 1859, intègrent la couleur par différents moyens. En matière d’art religieux, ce ne sont pas les monuments antiques, considérés comme païens, qui servent de référence, mais les monuments du Moyen Âge. Or l’intérêt porté au patrimoine médiéval s’accompagne lui aussi d’une redécouverte de la couleur. En 1801, Alexandre Lenoir envisageait déjà pour la salle du xive siècle du musée des Monuments français des décors polychromes rappelant ceux du Moyen Âge154. L’idée que l’architecture médiévale était peinte revient dans les années 1830 sous l’influence des découvertes faites en Grèce. Ludovic Vitet fait part de ses premières observations à ce sujet en 1831 dans son rapport sur les monuments du nord-ouest de la France et déclare : « On ne comprend pas l’art du moyen âge, on se fait l’idée la plus mesquine et la plus fausse de ses grandes créations d’architecture et de sculpture si, dans sa pensée, on ne les rêve pas couvertes du haut en bas de couleurs et de dorures155. » Alors que se poursuivent l’inventaire et l’étude des monuments médiévaux, les savants portent leur attention sur les « débris de peintures » conservés sur les parois. Ils sont alors amenés à constater que la statuaire était également peinte et parfois richement décorée. L’une des découvertes marquantes à cet égard est celle des sculptures de Saint-Germer. En 1841, le journal L’Ami de la religion rapporte la mise au jour de deux statues « entièrement peintes et dorées » dont les décors « [donnent] des renseignements précieux sur les étoffes brochées en or pendant le moyen âge156 ». Un retable sculpté provenant de la même église et découvert enfoui dans le cimetière fait à son tour l’objet de toutes les attentions car il possède une riche polychromie. Boeswillwald en fait le relevé et le présente au Salon de 1842, tandis que Viollet-le-Duc en décrit les décors dans la Revue générale de l’architecture, avec de belles illustrations en chromolithographie157. Peu après, le retrait du badigeon recouvrant la clôture du chœur de la cathédrale Notre-Dame à Paris est entrepris et fait apparaître des restes de couleurs, contribuant lui aussi à renouveler le regard porté sur la statuaire polychrome158.
62Cette redécouverte a été importante pour la connaissance et la sauvegarde du patrimoine médiéval, elle a eu également des conséquences directes sur la création contemporaine. L’article de L’Ami de la religion révèle que les décors observés à Saint-Germer sont appelés à servir de source pour la restauration prochaine des statues d’apôtres de la Sainte-Chapelle, « à peu près décolorées ». L’idée de peindre en couleurs des statues est donc présente dans le milieu archéologique dès le début des années 1840, même si la réalisation effective de ce projet n’a lieu semble-t-il qu’à la toute fin de la décennie. Le chantier de la Sainte-Chapelle apparaît comme un important laboratoire d’expérimentation des techniques de polychromie dans le style gothique appliquées à la statuaire, tout comme il l’est aussi pour le vitrail et la peinture murale à la cire159. L’intérêt pour la polychromie des statues s’inscrit donc dans un mouvement général de redécouverte de techniques anciennes liées à la couleur. Après plusieurs siècles d’abandon, ces techniques ne sont plus maîtrisées et nécessitent un temps d’apprentissage et d’adaptation aux applications modernes que l’on se propose d’en faire. Ces difficultés sont pointées par Schmit, qui déplore la laideur de certaines tentatives de polychromie à l’huile, épaisse et pâteuse, ou encore par Viollet-le-Duc, qui considère que « beaucoup d’essais tentés de nos jours ressemblent trop à des joujoux de Nuremberg pour ramener les gens de bonne foi à ce vieil usage adopté cependant aux belles époques de l’art160 ». En revanche, les résultats obtenus à la Sainte-Chapelle enthousiasment les amateurs et deviennent des modèles à suivre, diffusés notamment grâce aux nombreuses planches en couleur de l’Histoire archéologique, descriptive et graphique de la Sainte-Chapelle du Palais publiée en 1857161. Bien que les avis restent partagés et les critiques sévères à l’encontre de la polychromie162, la sculpture religieuse se pare de couleurs à partir des années 1840 et surtout 1850. À l’exposition universelle de 1855, Froget présente une Sainte Vierge tenant l’Enfant Jésus, « statue en pierre de grandeur naturelle, et polychrome163 ». La nouvelle église Sainte-Clotilde accueille à la même époque plusieurs œuvres polychromes, en particulier une Vierge à l’Enfant de Triqueti, une Sainte Clotilde et une Sainte Valère d’Eugène Guillaume164. Cet engouement donne au peintre-décorateur un rôle central, car c’est lui qui réalise aussi bien les peintures murales ornementales que les polychromies des statues, toutes deux concourant à donner un nouveau visage au décor des églises au xixe siècle.
63La redécouverte de la polychromie des statues antiques et médiévales, suivie par les expérimentations des architectes et des sculpteurs, diffusent l’idée d’une « alliance de la peinture avec la statuaire165 » auprès du clergé du Second Empire. Celui-ci fait restaurer les anciennes statues, reconstituer leurs décors disparus166. Il en commande également de nouvelles aux éditeurs qui s’adaptent à cette évolution du goût et proposent progressivement plusieurs choix de finitions. Contrairement au domaine des beaux-arts où la polychromie reste rare, les expérimentations des années 1840-1850 aboutissent à un véritable triomphe de la couleur dans le secteur de l’édition de statues à destination des églises.
64Au cours de la première moitié du xixe siècle, et plus particulièrement à partir des années 1830, le marché de la sculpture d’église connaît par rapport au siècle précédant plusieurs évolutions convergentes qui annoncent et préparent le tournant à venir. Le clergé, principal responsable du décor des églises, commence à se fournir auprès d’un nouveau type d’interlocuteur : l’éditeur de sculptures. La spécialisation de ce milieu professionnel et les mentions de ces moulages dans les manuels d’archéologie en témoignent. Soucieux de l’image de l’Église, les desservants portent un regard critique sur les œuvres qui ornent l’espace ecclésial au prisme du goût mais aussi de la convenance et de la décence, ce qui les amène à retirer certaines sculptures et à se rapprocher d’une production plus en phase avec leurs attentes. Dans le même temps, renouvelant les débats du siècle précédent autour de l’aménagement intérieur des églises, les archéologues et les partisans d’une rénovation de l’art chrétien contribuent à façonner un nouvel idéal du décor ecclésial, dans lequel la statuaire, inspirée des formes et des couleurs du Moyen Âge, doit assurer une mission d’enseignement, de prédication par l’image, redevenir « populaire » et non plus « aristocratique », c’est-à-dire accessible à tous et compréhensible par tous.
Notes de bas de page
1 Sur la commande dans le décor des églises paroissiales rurales, voir notamment S. Duhem (dir.), L’art au village : la production artistique des paroisses rurales, xvie-xviiie siècle, Rennes, PUR, 2009.
2 Bazar parisien, 1826, rubrique « Moulures en plâtre, en carton-pierre, etc. ».
3 Almanach du commerce de Paris, 1810, rubrique « Sculpteurs ».
4 Archives nationales, MC/ET/XXVIII/737, Inventaire après le décès de M. Bourolleau, 25 février 1819.
5 Almanach du commerce de Paris, 1827, rubrique « Sculpteurs ».
6 Almanach du commerce de Paris, 1828, rubrique « Sculpteurs ».
7 Annuaire général du commerce, 1852, rubrique « Sculpteurs ».
8 Annuaire général du commerce, 1842, rubrique « Sculpteurs ».
9 Annuaire général du commerce, 1851, rubrique « Sculpteurs ».
10 Annuaire général du commerce, 1843, rubrique « Mouleurs-figuristes ».
11 Annuaire général du commerce, 1852, rubrique « Mouleurs-figuristes ».
12 H. Lauzac, Galerie historique et critique du dix-neuvième siècle, t. 2, Paris, Bureau de la Galerie historique, 1859-1861, p. 243. Vital-Dubray devient le gendre de Cecconi en 1839.
13 Annales de la propriété industrielle, artistique et littéraire, t. 19, no 12, 1874, p. 56.
14 Exposition universelle. Système de classification, Paris, Schiller, 1855, p. 78.
15 Exposition universelle de 1855. Rapports du jury mixte international, Paris, Imprimerie impériale, 1856, p. 1243.
16 Exposition universelle de 1867 à Paris. Catalogue général publié par la Commission impériale : Mobilier, Paris/Londres, Dentu/Johnson, 1867, p. 5.
17 Recueil des dessins d’ornements d’architecture de la Manufacture de J. Jph. Heiligenthal à Strasbourg, successeur de Mr. Beunat, s. l., s. n., s. d. (1824-1833).
18 L. Héricart de Thury et P.-H. Migneron, Rapport sur les produits de l’industrie française, présenté, au nom du jury central, à S. E. M. le Comte Corbière, Paris, Imprimerie Royale, 1824, p. 420.
19 C. Dupin, Rapport du jury central sur les produits de l’industrie française exposés en 1834, t. 3, Paris, Imprimerie royale, 1836, p. 408.
20 L’Ami de la religion, t. 72, 1832, p. 336.
21 L’Ami de la religion, t. 73, 1832, p. 512.
22 L’Industrie. Exposition des produits de l’industrie française en 1844, Paris, Curmer, 1844, p. 31.
23 Exposition des produits de l’industrie française en 1844. Rapport du jury central, t. 3, Paris, Fain et Thunot, 1844, p. 48 ; J. Burat, Exposition de l’industrie française, année 1844. Description méthodique accompagnée d’un grand nombre de planches et de vignettes, t. 2, Paris, Challamel, s. d. (1844), n. p.
24 Rapport du jury central…, op. cit., p. 368.
25 Recueil des dessins représentant les sculptures qui se trouvent dans l’établissement de L. A. Romagnesi, s. l., s. n., s. d. (années 1830).
26 Exposition des produits de l’industrie française en 1844, op. cit., p. 50.
27 Ibid., p. 51.
28 Exposition des produits de l’industrie française en 1839. Rapport du jury central, t. 3, Paris, Bouchard-Huzard, 1839, p. 68-69.
29 Exposition des produits de l’industrie française en 1844, op. cit., p. 53.
30 Rapport du jury central…, op. cit., p. 378.
31 Catalogue explicatif et raisonné des produits admis à l’exposition quinquennale de 1844, Paris, Aubert et Royer, 1844, p. 232.
32 Rapport du jury central…, op. cit., p. 379.
33 Exposition des produits de l’industrie française en 1844, op. cit., p. 216.
34 Rapport du jury central…, op. cit., p. 373.
35 Berthommé, Pellet et Cie…, op. cit.
36 Rapport du jury central…, op. cit., p. 371.
37 Dossier IM02004690 de l’Inventaire Général du Patrimoine Culturel de la région Hauts-de-France.
38 A.-R. Devie, Manuel de connaissances utiles aux ecclésiastiques sur divers objets d’art, Bourg/Lyon, Bottier/Pélagaud, 1836, p. 412.
39 Voir par exemple J.-J. Bourassé, Archéologie chrétienne ou Précis de l’histoire des monuments religieux du Moyen Âge, Tours, Mame, 1842, p. 309.
40 J. Durand, Une manufacture d’art chrétien…, op. cit.
41 L’Ami de la religion, t. 121, 1844, p. 208.
42 Archives de Paris, état civil reconstitué, 5Mi1 2097.
43 Archives nationales, 20150431/37, registres des Salons, no 1034-1035.
44 L’Ami de la religion, t. 121, 1844, p. 208.
45 Rapport du jury central…, op. cit., p. 373.
46 9e exposition des produits des membres de l’Académie de l’Industrie, à l’Orangerie des Tuileries, en 1846. Catalogue des produits présentés pour figurer à cette exposition, Paris, Guiraudet et Jouaust, 1846, p. 37.
47 Palais de l’Industrie, Union centrale des Beaux-arts appliqués à l’Industrie, exposition de 1869. Catalogue des œuvres et des produits modernes, Paris, Union centrale, 1869, p. 28.
48 Annuaire général du commerce, 1845, rubrique « Carton-pierre ».
49 Annuaire général du commerce, 1851, rubrique « Carton-pierre ».
50 F. N. M. Moigno, « La photographie et M. Solon », Cosmos, t. 4, 1854, p. 662-664.
51 Ibid., p. 662.
52 F. N. M. Moigno, « Sculptures et photographies. M. Solon », Cosmos, t. 7, 1855, p. 507-508.
53 D’après une publicité insérée dans la Revue de l’art chrétien, t. 31, 1881, p. iii.
54 J.-S. Dieulin, Guide des curés dans l’administration temporelle des paroisses, Lyon, Mothon et Pincanon, 1842 (1re éd. 1839), p. 236.
55 On renverra en particulier à J.-M. Leniaud, La révolution des signes…, op. cit., et I. Saint-Martin, Art chrétien/art sacré…, op. cit.
56 Ce soutien disparaît sous la IIIe République.
57 Sur les prêtres au xixe siècle, voir notamment P. Boutry, Prêtres et paroisses au pays du curé d’Ars, Paris, Cerf, 1986 ; M. Launay, Le bon prêtre. Le clergé rural au xixe siècle, Paris, Aubier, 1987 ; C. Langlois, « Le temps des séminaristes. La formation cléricale en France aux xixe et xxe siècles », dans Problèmes de l’histoire de l’éducation, Rome, École Française de Rome, 1988, p. 229-255.
58 S. Duhem et M. Salvan-Guillotin (dir.), Pasteurs des âmes, passeurs des arts : les prêtres et la production artistique dans les provinces françaises, xvie-xxe siècles, Toulouse, CNRS, 2013.
59 Notamment D.-A. Affre, Traité de l’administration temporelle des paroisses, Paris, Le Clere, 1827 ; J.-S. Dieulin, Guide des curés…, op. cit. ; J. Jacquin et J. Duesberg, Dictionnaire usuel du curé de campagne, Paris, Plon, 1848.
60 Voir par exemple le Journal des conseils de fabrique, périodique publié à partir de 1834.
61 J.-S. Dieulin, Guide des curés…, op. cit., p. ii. Sur cette figure, voir P. Barral, « Un témoin du clergé concordataire. Le vicaire général Dieulin », Revue d’histoire de l’Église de France, t. 67, no 178, 1981, p. 33-54.
62 J.-P. Schmit, Nouveau manuel complet de l’architecte des monuments religieux, Paris, Roret, 1845.
63 C. Denoël, « La naissance de l’iconographie religieuse au xixe siècle. Le milieu des archéologues et des sociétés savantes », Bulletin archéologique du CTHS, no 31-32, 2005, p. 195-205.
64 En particulier J.-P. Schmit, Nouveau manuel…, op. cit. ; R. Bordeaux, Principes d’archéologie pratique appliqués à l’entretien, la décoration et l’ameublement des églises, Caen, Hardel, 1852 ; T. Pierret, Manuel d’archéologie pratique, Paris, Didron, 1864 ; X. Barbier de Montault, Traité pratique de la construction, de l’ameublement et de la décoration des églises, Paris, Vivès, 1878.
65 C. de Montalembert, « De l’état actuel de l’art religieux en France », Revue des deux mondes, t. 12, 1837, p. 592-617.
66 Sur ces deux grandes figures, voir I. Saint-Martin, Art chrétien/art sacré…, op. cit.
67 Sur les Nazaréens et leur réception en France, voir B. Foucart, Le renouveau de la peinture religieuse…, op. cit. ; M. Caffort, Les Nazaréens français. Théorie et pratique de la peinture religieuse au xixe siècle, Rennes, PUR, 2009.
68 C. de Montalembert, « De l’état actuel… », art. cité, p. 616.
69 J. Jacquin et J. Duesberg, Dictionnaire…, op. cit., p. 198.
70 Y. Gagneux, « Le goût des curés parisiens d’après l’enquête épiscopale de 1854 », Revue de l’art, no 164, 2009, p. 14.
71 D.-F.-J. Gerbaut, Essais sur le goût dans les décorations d’église, Nancy, Hinzelin, 1836, p. 9.
72 R. Bordeaux, Principes d’archéologie pratique…, op. cit., p. 11.
73 J.-S. Dieulin, Guide des curés…, op. cit., p. 251-253.
74 Si ce terme est utilisé au xviiie siècle pour désigner les interventions de modernisation des églises médiévales, il prend un sens plus large au siècle suivant, équivalent à « décoration ».
75 D.-F.-J. Gerbaut, Essais sur le goût…, op. cit., p. 9.
76 C. de Montalembert, « De l’état actuel… », art. cité, p. 594.
77 J.-P. Schmit, Nouveau manuel…, op. cit., p. 2.
78 D.-A. Affre, Traité…, op. cit., p. 186.
79 J.-P. Schmit, Nouveau manuel…, op. cit., p. 1, 3, 62.
80 J. Fériel, Résumé d’archéologie spécialement appliquée aux monuments religieux, Langres, Laurent, 1846, p. 171.
81 D.-A. Affre, Traité…, op. cit., p. 148.
82 R. Bordeaux, Principes d’archéologie pratique…, op. cit., p. 244.
83 J.-P. Schmit, Nouveau manuel…, op. cit., p. 9-10.
84 J.-S. Dieulin, Guide des curés…, op. cit., p. 232.
85 R. Bordeaux, Principes d’archéologie pratique…, op. cit., p. 14.
86 Ibid., p. 57.
87 M. Charpy, Le théâtre des objets…, op. cit., p. 1083.
88 D.-F.-J. Gerbaut, Essais sur le goût…, op. cit., 1836, p. 3.
89 J.-S. Dieulin, Guide des curés…, op. cit., p. 234.
90 Ibid., p. 238.
91 Voir N.-J. Chaline, « Marbre, or et plâtre… », dans C. Bouchon, C. Brisac, N.-J. Chaline et J.-M. Leniaud, Ces églises…, op. cit., p. 182.
92 Ibid., p. 235.
93 Ibid., p. 236.
94 C. de Montalembert, « De l’état actuel… », art. cité, p. 599.
95 J.-S. Dieulin, Guide des curés…, op. cit., p. 236.
96 Ibid., p. 242.
97 Ibid., p. 240.
98 J. Fériel, Résumé d’archéologie…, op. cit., p. 169.
99 J. Jacquin et J. Duesberg, Dictionnaire…, op. cit., p. 584.
100 C. de Montalembert, « De l’état actuel… », art. cité, p. 599.
101 R. Bordeaux, Principes d’archéologie pratique…, op. cit., p. 243.
102 Ibid., p. 244-245.
103 J. Jacquin et J. Duesberg, Dictionnaire…, op. cit., p. 584.
104 D.-F.-J. Gerbaut, Essais sur le goût…, op. cit., p. 119.
105 F. N. M. Moigno, « La photographie et M. Solon », art. cité, p. 662.
106 F. N. M. Moigno, « Sculptures et photographies… », art. cité, p. 508.
107 Berthommé, Pellet et Cie…, op. cit.
108 Dossier IM02004690 de l’Inventaire Général du Patrimoine Culturel de la région Hauts-de-France.
109 Rapport du jury central…, op. cit., p. 373.
110 F. N. M. Moigno, « Sculptures et photographies… », art. cité, p. 507.
111 J. Gareiso, L’archéologue chrétien ou Cours élémentaire d’archéologie catholique à l’usage du clergé, t. 2, Nîmes, Soustelle, 1867, p. 319.
112 Voir par exemple dans le Bulletin d’histoire et d’archéologie religieuses du diocèse de Dijon, 1883, p. 145.
113 J.-M. Leniaud, « Le rêve pour tous : néogothique entre art et industrie », Sociétés et représentations, no 20, 2005, p. 120-132.
114 Sur les liens entre modèle esthétique médiéval, chrétienté idéale et espoirs de rechristianisation de la société post-révolutionnaire, voir notamment : J. Pirotte, « Néo-gothique et fantasmes de chrétienté, du 19e au 20e siècle », dans J. De Maeyer et L. Verpoest (dir.), Gothic Revival. Religion, Architecture and Style in Western Europe, 1815-1914, Leuven, Universitaire Pers Leuven, 2000, p. 255-265 ; P. Boutry, « Y a-t-il une spiritualité néogothique ? Réflexions sur un “passage à l’acte” », Sociétés & Représentations, no 20, 2005, p. 41-58 ; B. Berthod, « Retrouver la foi par la beauté : réalité et utopie du mouvement néogothique dans l’Europe du xixe siècle », Revue de l’histoire des religions, t. 227, no 1, 2010, p. 75-92.
115 J. Sagette, Essai sur l’art chrétien, son principe, ses développements, sa renaissance, Périgueux, Lenteigne, 1853, p. 227.
116 C. de Montalembert, « De l’état actuel… », art. cité, p. 612.
117 S. Lagabrielle, « Mouler, créer. L’utilisation des moulages dans les restaurations des monuments au xixe siècle », dans G. Barthe (dir), Le plâtre, l’art et la matière, Paris, Créaphis, 2001, p. 119-127.
118 J.-M. Hofman, « Rencontre avec un illustre inconnu… », art. cité, p. 14.
119 A.-N. Didron, « Sculptures et ornements d’architecture en terre cuite », Annales archéologiques, t. 1, 1844, p. 130.
120 Sur les Virebent, voir N. Desseaux, La dynastie Virebent : une histoire de terre, Toulouse, Terrefort, 2015.
121 A.-N. Didron, « Mouvement archéologique en France », Annales archéologiques, t. 1, 1844, p. 239.
122 A.-N. Didron, « Mouvement archéologique », Annales archéologiques, t. 2, 1845, p. 56.
123 Ibid., p. 59.
124 C. Brisac et J.-M. Leniaud, « Adolphe-Napoléon Didron ou les “médias” au service de l’art chrétien », Revue de l’art, no 77, 1987, p. 33-42.
125 A.-N. Didron, « Agence archéologique », Annales archéologiques, t. 8, 1848, p. 61-64.
126 A.-N. Didron, « Création d’une manufacture de vitraux à Paris », Annales archéologiques, t. 9, 1849, p. 354.
127 J. Gareiso, L’archéologue chrétien…, op. cit., p. 324.
128 A.-N. Didron, « Mouvement archéologique à Paris », Annales archéologiques, t. 11, 1851, p. 373.
129 J. Fèvre, Vie et travaux de M. Léon Moynet, statuaire à Vendeuvre, Saint-Dizier, Carnandet, 1880 (1re éd. 1877), p. 75.
130 D. Menozzi, Les images. L’Église et les arts visuels, Paris, Cerf, 1991.
131 A.-N. Didron, Iconographie chrétienne. Histoire de Dieu, Paris, Imprimerie royale, 1843, p. 4.
132 I. Saint-Martin, « L’image “bible des pauvres”, du postulat grégorien au mythe romantique, l’efficacité d’un argument fondateur », dans C. MacLeod, V. Plesch et J. Baetens (dir.), Efficacité/Efficacy: How To Do Things With Words and Images, Amsterdam, Rodopi, 2011, p. 27-38.
133 J. Sagette, Essai sur l’art chrétien…, op. cit., p. 227 ; J. Fèvre, Vie et travaux…, op. cit., p. 42 et 76.
134 I. Saint-Martin, Voir, savoir, croire…, op. cit.
135 J. Fèvre, Vie et travaux…, op. cit., p. 31-33.
136 L.-N. Godard, Cours d’archéologie sacrée, t. 2, Paris, Poussielgue-Rusand, 1854, p. 31.
137 J. Fèvre, Vie et travaux…, op. cit., p. 37.
138 J. Sagette, Essai sur l’art chrétien…, op. cit., p. 209.
139 J.-B. Malou, Iconographie de l’Immaculée Conception de la Très-Sainte Vierge Marie, Bruxelles, Goemaere, 1856, p. i.
140 J. Durand, Une manufacture d’art chrétien…, op. cit., p. 132-133. S’y trouvait notamment l’ouvrage classique du jésuite C. Cahier, Caractéristiques des saints dans l’art populaire, Paris, Poussielgue, 1867.
141 L. Vitet, Études sur l’histoire de l’art. Moyen Âge, Paris, Lévy, 1868, p. 344.
142 J. Texier, « Statuaire chrétienne », Annales archéologiques, t. 9, 1849, p. 193-205.
143 E. Viollet-le-Duc, « Du style gothique au xixe siècle », Annales archéologiques, t. 4, 1846, p. 325-353. Voir J.-M. Leniaud, La révolution des signes…, op. cit., p. 57-84.
144 A. C. Quatremère de Quincy, Essai sur la nature, le but et les moyens de l’imitation dans les Beaux-Arts, Paris, Treuttel et Würtz, 1823.
145 R. Bordeaux, Principes d’archéologie pratique…, op. cit., p. 28.
146 L.-N. Godard, Cours d’archéologie…, op. cit., p. 317 ; E. Viollet-le-Duc, « Du style gothique… », art. cité, p. 345.
147 S. Lagabrielle, « “Perfectionner” l’art du Moyen Âge ou la mission de Geoffroy-Dechaume », dans F. Chappey (dir.), De plâtre et d’or. Geoffroy-Dechaume, sculpteur romantique de Viollet-le-Duc, cat. exp., Nesles-la-Vallée, Val d’Oise Éditions, 1998, p. 102-125.
148 J.-P. Schmit, Nouveau manuel…, op. cit., p. 64.
149 J. Jacquin et J. Duesberg, Dictionnaire…, op. cit., p. 322.
150 J. Fèvre, Vie et travaux…, op. cit., p. 42.
151 Sur le renouveau de la sculpture polychrome au xixe siècle, voir en particulier A. Blühm (dir.), The Colour of Sculpture, 1840-1910, cat. exp., Zwolle, Waanders, 1996 ; E. Héran, « L’évolution du regard sur la sculpture polychrome », 48-14, no 18, 2004, p. 62-71 ; É. Papet (dir.), En couleurs. La sculpture polychrome en France, 1850-1910, cat. exp., Paris, Hazan, 2018.
152 W. Sauerländer, « “Quand les statues étaient blanches” : discussion au sujet de la polychromie », dans D. Verret et D. Steyaert (dir.), La couleur et la pierre : polychromie des portails gothiques, Paris, Picard, 2002, p. 28.
153 J. Jacquin et J. Duesberg, Dictionnaire…, op. cit., p. 584.
154 Charles Percier, Projet de décoration pour le mur ouest de la salle du xive siècle au musée des Monuments français, musée du Louvre, inv. RF 5279.21.
155 L. Vitet, Études sur l’histoire de l’art…, op. cit., p. 354.
156 « Nouvelles ecclésiastiques », L’Ami de la religion, t. 110, 1841, p. 438-439.
157 E. Viollet-le-Duc, « Costumes des figures sculptées sur le rétable de la chapelle de Saint Germer (étoffes, peintures) », Revue générale de l’architecture et des travaux publics, vol. 10, 1852, p. 369-371 ; E. Viollet-le-Duc, « Retable de la chapelle de Saint-Germer », Revue générale de l’architecture et des travaux publics, vol. 11, 1853, p. 436. Le rôle essentiel des techniques d’impression en couleur dans la diffusion des découvertes archéologiques relatives à la polychromie a été souligné par E. Héran, « L’évolution du regard… », art. cité.
158 Voir notamment J.-P. Schmit, Nouveau manuel…, op. cit., p. 138-139.
159 J.-M. Leniaud et F. Perrot, La Sainte Chapelle, Paris, Nathan, 1991.
160 E. Viollet-le-Duc, « Costumes des figures… », art. cité, p. 371.
161 A. P. H. Decloux et Doury, Histoire archéologique, descriptive et graphique de la Sainte-Chapelle du Palais, Paris, Malteste, 1857.
162 Voir C. Barbillon, « Polylithe ou polychrome ? Les résistances à la couleur chez les théoriciens de la sculpture : Charles Blanc et ses sources », dans G. Extermann et A. Varela Braga (dir.), Splendor Marmoris, I colori del marmo, tra Roma e l’Europa, da Paolo III a Napoleone III, Roma, De Luca editori, 2016, p. 469-476.
163 C. Lavergne, Exposition universelle de 1855. Beaux-Arts, Paris, Bailly, Divry et Cie, 1855, p. 134.
164 L’exécution des statues est confiée en 1852 à Eugène Guillaume et la polychromie réalisée en 1854 par Alexandre Denuelle (É. Papet [dir.], En couleurs…, op. cit., p. 25).
165 L.-N. Godard, Cours d’archéologie…, op. cit., p. 24.
166 Voir notamment D. Steyaert, « La restauration de la sculpture médiévale vue par la Gilde de Saint-Thomas et de Saint-Luc (1863-1913) », dans P.-Y. Kairis, B. Sarrazin et F. Trémolières (dir.), La restauration des peintures et des sculptures : connaissance et reconnaissance de l’œuvre, Paris, Armand Colin, 2012, p. 67-83.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un constructeur de la France du xxe siècle
La Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) et la naissance de la grande entreprise française de bâtiment (1924-1974)
Pierre Jambard
2008
Ouvriers bretons
Conflits d'usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968
Vincent Porhel
2008
L'intrusion balnéaire
Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008