Introduction
p. 11-18
Texte intégral
1Il n’est sans doute pas de lieu de culte catholique en France qui ne conserve encore aujourd’hui au moins une statue en plâtre polychrome du xixe ou du début du xxe siècle. Si la fabrication en série de sculptures n’est pas propre à l’époque contemporaine1, le xixe siècle constitue une période d’apogée pendant laquelle ce mode de production se développe dans des proportions inédites et transforme le décor intérieur des églises2. De véritables manufactures apparaissent alors pour offrir à une clientèle internationale « tout le Paradis en boutique3 ». Loin de se limiter à la sculpture, le phénomène touche tous les domaines de l’art religieux, du vitrail à l’image de piété, en passant par les ornements liturgiques et l’orfèvrerie4. Malgré son importance quantitative, cette production statuaire communément qualifiée de « saint-sulpicienne » n’a que peu suscité l’intérêt des historiens et elle n’a été étudiée que de manière parcellaire.
2Se démarquant de la démarche critique de disqualification qui prévalait depuis l’après-guerre5, les premiers travaux sur le sujet sont engagés au milieu des années 1970, à une époque où le clergé était en grande partie hostile à ces statues et profitait parfois de la mise en application de la réforme liturgique voulue par le concile Vatican II pour les supprimer6. Dans un article fondateur intitulé « À la recherche de l’art dit de “Saint-Sulpice” », Claude Savart se proposait alors de :
« déblayer le terrain, en bousculant quelques idées reçues […], essayer de cerner le domaine étudié, dans ses formes diverses comme dans ses dimensions chronologiques […], esquisser une interprétation, par laquelle art et spiritualité s’éclaireraient l’un l’autre, au bénéfice d’une meilleure connaissance d’une époque méconnue du fait même de sa proximité7. »
3Les chercheurs de cette époque, qui assistaient à la fermeture des dernières grandes entreprises d’édition de sculptures religieuses, s’attelaient à un sujet non seulement épineux mais qui leur paraissait déjà étranger, signe de la rupture qui avait eu lieu après la Seconde Guerre mondiale, dont témoigne également l’intitulé même des études ultérieures « d’archéologie du catholicisme français au xixe et au xxe siècle » de Philippe Bruneau dans la revue RAMAGE fondée en 19828. Ce premier mouvement d’intérêt n’a toutefois été suivi que d’études sporadiques, souvent en dehors du champ universitaire, certaines centrées sur un fabricant9, une thématique ou une problématique spécifique10, quelques-unes adoptant une perspective plus globale11.
4Ces travaux de recherche ont été accompagnés de réflexions sur la patrimonialisation de la statuaire religieuse d’édition. Claude Savart remarquait en 1976 :
« En dépit d’une abondance naguère presque obsédante, ces objets disparaissent aujourd’hui à une cadence telle, du fait de la modernisation des églises et plus généralement des mutations de la vie religieuse, qu’il faudra peut-être, avant qu’il ne soit trop tard, leur ouvrir le refuge de quelque musée12. »
5Au même moment, le musée national des Arts et Traditions populaires était sollicité par le département de l’Aube au sujet de la mise en vente du fonds de la « Sainterie » de Vendeuvre-sur-Barse par ses propriétaires. Son intervention a déterminé l’achat par le conseil général de ce fonds comprenant des archives, des moules, des modèles, des exemplaires en terre cuite et quelques éléments de mobilier. La création d’un musée dédié à sa valorisation était même annoncée. Ce musée n’a cependant jamais vu le jour et le fonds (à l’exception des archives déposées aux Archives départementales de l’Aube) est aujourd’hui conservé dans des conditions précaires. Dédié à « l’art des “œuvres” généralement considérées comme indignes de l’art13 », pour reprendre la formule de son directeur Jean Cuisenier, le MNATP a par la suite fait lui-même l’acquisition de statues représentatives des principaux ateliers, qui sont désormais conservées au MuCEM. C’est donc par le biais d’un musée d’ethnographie, et non de beaux-arts, qu’a été envisagée en France la muséalisation de cette production, une prise en charge qui s’inscrivait dans la continuité des études sur la « religion populaire14 » auxquelles le musée avait été étroitement associé15 et qui ont sans doute contribué à associer, dans les représentations collectives, cette statuaire à la catégorie « art populaire » bien qu’elle ne relève pas strictement de ce corpus. La fermeture du musée a mis fin à ces acquisitions qui ne semblent pas avoir été poursuivies par son héritier, le MuCEM, ni par aucune autre institution française. Dans les années 2000, plusieurs initiatives de l’Inventaire général du patrimoine témoignent d’un vif intérêt pour le patrimoine religieux du xixe siècle16. Si les pratiques variaient d’un chercheur à l’autre, les sculptures d’édition commençaient à bénéficier de notices individuelles lors des inventaires topographiques. Certains services régionaux de l’Inventaire offrent ainsi aujourd’hui une très riche documentation accessible en ligne. Le contexte particulier du Québec, qui voit depuis de nombreuses années la vente massive d’églises avec leur mobilier, a fait naître une réflexion privilégiée sur les questions de patrimonialisation17, que l’on retrouve également dans une moindre mesure en Europe18. On note par ailleurs un intérêt du côté du grand public, parfois réuni en associations, qui organise des expositions et diffuse, notamment par le biais d’Internet, des informations issues de ses propres observations et recherches.
6Néanmoins, en dépit de ce travail d’inventaire et de réflexion sur leur patrimonialisation, les statues conservées en France dans les églises se dégradent souvent dans l’indifférence, sont fréquemment retirées des autels, repeintes, remisées, voire parfois détruites. En outre, les différentes marques d’intérêt des professionnels du patrimoine et du grand public, encore relativement marginales, ne compensent pas le manque de recherches historiques, en particulier universitaires. Cette lacune historiographique s’explique en partie par une certaine réticence et une difficulté à aborder la sculpture religieuse d’édition du xixe siècle, notamment du fait du poids de la critique héritée de l’entre-deux-guerres et de la persistance des jugements de valeur qui font obstacle à une approche scientifique. L’histoire de cette production est ainsi presque toujours envisagée comme celle d’un échec, d’une « maladie honteuse de l’art sacré19 ». Et c’est pourquoi le succès, bien réel, que ces statues ont rencontré par le passé n’a été analysé que comme un succès par défaut, ce qui en limite considérablement la portée historique, comme le soulignait à sa manière Claude Savart lorsqu’il écrivait :
« Si le Saint-Sulpice n’est qu’un regrettable accident dans l’évolution de l’art religieux, il n’a pas grand-chose à nous apprendre ; s’il répond au contraire valablement aux aspirations d’un moment de la catholicité, il risque de nous les révéler20. »
7Cette lacune dans l’historiographie universitaire tient sans doute aussi au fait que la sculpture religieuse d’édition est un objet de recherche à la frontière entre plusieurs champs d’étude. Régis Bertrand note ainsi qu’elle « a le défaut de se situer aux lisières des disciplines de l’histoire et de l’histoire de l’art21 ». En effet, ni le champ de l’histoire de l’art, ni celui de l’histoire religieuse ne se la sont appropriée. Les travaux très riches qui depuis une trentaine d’années s’intéressent à l’édition de sculptures au xixe siècle portent uniquement sur son versant profane et essentiellement sur le bronze d’art22. Histoire de l’art et histoire religieuse se croisent peu et les travaux interrogeant les relations de l’Église et du catholicisme aux images sont rares pour ce qui concerne le xixe siècle23. Une autre difficulté se situe dans le choix du vocabulaire à employer pour décrire et nommer cette production statuaire. Depuis le début du xxe siècle, celle-ci est couramment désignée par les expressions « de Saint-Sulpice », « sulpicien » ou encore « saint-sulpicien », en référence au quartier de l’église Saint-Sulpice à Paris où les commerces d’art religieux étaient concentrés24. Ces qualificatifs sont pleinement chargés d’une connotation péjorative et renvoient historiquement aux critiques formulées à l’encontre de cette production. D’autres formulations se voulant plus neutres ont été employées dans de précédents travaux, sans tenir compte cependant de la terminologie technique existante en usage en histoire de l’art. Afin de réinscrire la statuaire religieuse dans le phénomène global de l’édition de sculptures au xixe siècle, c’est donc le terme de sculpture « d’édition », ou celui, plus usuel, « de série », qui a été privilégié dans cette étude car il rend compte du statut de multiple de ces objets et a en outre l’intérêt de n’induire ni technique particulière, ni caractéristique stylistique, permettant d’envisager une acception large de cette typologie d’œuvres, plus à même de mettre en évidence les différentes formes et phases de ce phénomène. Les termes d’édition et d’éditeur sont employés pour la sculpture à partir des années 1830, l’édition étant entendue au sens large de « reproduction et diffusion commerciale d’une œuvre par un éditeur ». De la même façon, on se réfère selon les catégories du xixe siècle au terme « modèle » pour désigner une composition sculptée déterminée destinée à être reproduite à l’identique et à l’« exemplaire » pour identifier sa reproduction destinée à la commercialisation. Dans le domaine de l’édition, le modèle est d’abord une représentation : il peut être décliné en plusieurs dimensions, néanmoins il s’agit toujours d’un seul et unique modèle. Mais, matériellement, le modèle est aussi dans le fonds d’un éditeur une sculpture, le plus souvent une épreuve en plâtre, sur laquelle sont réalisés les moules qui servent à la fabrication des exemplaires.
8L’histoire de la sculpture religieuse d’édition du xixe siècle a été abordée jusqu’à présent principalement par le biais de l’étude monographique de fabricants ou de revendeurs, une approche fréquemment motivée par l’histoire régionale ou encore la mémoire familiale. Ces travaux ont permis d’apporter des repères chronologiques indispensables à une étude plus globale et donnent un aperçu des principales facettes de l’activité (fabrication, méthodes de vente, réseaux commerciaux, etc.). Cependant, ils manquent souvent de précision dans le détail du fonctionnement de l’édition, laissant de nombreux aspects dans l’ombre. Des pans entiers de l’activité restaient donc à décrire. Par ailleurs, ces travaux n’offraient encore qu’une vision très incomplète du secteur professionnel et de son évolution générale au cours du temps. Les facteurs de développement et de succès de cette production, en particulier, restaient à approfondir. Si les critiques dont la statuaire de série a été la cible au milieu du xxe siècle ont été bien étudiées, les conditions de son essor demandaient à être précisées. La nécessité de redécorer à moindre coût les églises après les pertes causées par la Révolution suffit-elle à expliquer le développement massif de l’édition de sculptures religieuses et l’introduction de ces statues par dizaine dans tous les édifices de culte ? Quelles conditions techniques, économiques et sociales, artistiques, intellectuelles et religieuses, ont permis ce développement ? Quelles en ont été les principales étapes ? Enfin, l’Église et notamment la papauté sont-elles restées à l’écart de ce phénomène ? Face à ces questions, la présente étude se propose de retracer l’émergence, le rayonnement et le déclin de la sculpture religieuse d’édition du xixe siècle. Elle entend en particulier éclairer le succès de cette production, qui contraste tant avec le regard dépréciatif généralement porté dessus aujourd’hui.
9La sculpture religieuse d’édition recouvre aussi bien des statuettes, crèches, crucifix et enfants Jésus en cire destinés à l’espace privé, que des statues d’églises, de chapelles et d’oratoires, des calvaires et certains monuments aux morts. Les matières qui les constituent sont multiples : plâtre, carton-pierre, terre cuite, bronze, fonte de fer, bois, pierre, cire, etc. Plutôt que se limiter à une typologie d’objets définie par une destination ou un matériau, le parti a été pris d’aborder le sujet par le biais d’une entreprise, la maison Raffl, spécialisée dans la création et l’édition de sculptures religieuses et également fabricant de mobilier d’église. L’approche monographique a été retenue comme un moyen d’étudier un phénomène historique de grande ampleur, encore difficile à appréhender dans son ensemble et manquant de repères. Cet éditeur parisien emblématique du quartier Saint-Sulpice n’avait jusqu’alors jamais fait l’objet d’étude. Issue d’un atelier de moulage fondé à Paris au début du xixe siècle, la maison Raffl était considérée en 1899 comme « le plus grand et le plus célèbre atelier de statuaire religieuse du monde25 » et elle fut sans doute par son envergure, et par l’absorption successive de nombre de ses concurrents, l’entreprise française la plus importante de son secteur jusqu’à sa mise en liquidation en 1953. Sa longue période d’activité offrait en outre la possibilité d’embrasser l’évolution de la statuaire religieuse d’édition sur un siècle et demi, de son essor jusqu’à son déclin. Si le prisme de la monographie a été retenu, l’histoire de ce fabricant a été autant que possible mise en perspective avec celle d’autres entreprises du même secteur qui avaient fait l’objet de précédentes études ou qui ont été documentées dans le cadre de cette recherche, mais aussi d’autres branches de l’édition profane en plâtre, en carton-pierre, en terre cuite et en bronze. À partir de cette étude de cas, on a ainsi cherché à poser les jalons d’une histoire de l’industrie de la statuaire religieuse entre le Concordat et le concile Vatican II, tout en réinsérant cette production dans l’économie générale du multiple au xixe siècle.
10Les sources exploitées pour cette enquête sont plurielles. Il a semblé important d’adopter une approche combinant l’étude des archives et l’analyse matérielle des statues, qui permet à la fois de rectifier une approche trop souvent fondée sur les représentations et les discours, mais aussi d’ancrer la recherche dans la réalité du temps présent, de relier l’objet d’étude à ses traces matérielles et aux questions qu’elles posent aujourd’hui. La matérialité de l’objet, considéré comme document, est au cœur de ce travail, conjointe à la mobilisation des archives qui gardent la trace de sa conception et de ses usages26. La disparition des archives de la maison Raffl a conditionné l’orientation des recherches. Malgré la lacune irrémédiable que constitue cette perte, une entreprise laisse des traces dans les archives de l’administration publique, dans les sources imprimées et dans certains fonds privés. Les sources archivistiques sollicitées pour retracer l’histoire de la maison Raffl et de plusieurs de ses concurrents sont essentiellement les actes d’état civil, les archives notariales (contrats de mariage, inventaires après décès), les archives du tribunal de commerce de la Seine (actes de société, registre du commerce) et les archives topographiques de la ville de Paris (plans parcellaires, sommier foncier, casier sanitaire, dossiers de voirie, etc.). Ces différents documents ont été complétés par un ensemble de sources imprimées : annuaires commerciaux, catalogues de vente, annonces légales, presse catholique, littérature juridique, catalogues d’expositions. Certaines facettes de l’activité de la maison Raffl ont été précisées grâce à des fonds complémentaires. Celui des archives du sanctuaire de Lourdes a permis notamment de documenter une série de commandes adressées sur plusieurs décennies à la maison Raffl. Certains aspects techniques ont pu être étudiés à l’aide des archives de l’Institut national de la propriété industrielle qui conserve les brevets d’invention et les marques déposées. Un ensemble de lettres et de factures issu des archives d’un marchand établi à Metz a été acquis aux enchères afin de préciser le rôle de ces revendeurs et leurs relations avec les fabricants. Enfin, deux fonds d’entreprises concurrentes, encore largement inexploités, ont apporté de riches informations sur le fonctionnement de ce type de fabriques : celui de la maison Moynet, conservé aux Archives départementales de l’Aube, et celui de la maison Bouriché, déposé aux Archives municipales d’Angers. Ils contiennent des documents exceptionnels car rarement préservés : livres d’inventaires, carnets de commandes, albums de photographies, documentation iconographique, croquis, etc., qui permettent de documenter de l’intérieur l’activité des fabricants de sculptures religieuses.
11Les statues elles-mêmes ont représenté une source de premier ordre. Sans viser une impossible exhaustivité, un large corpus a été constitué à l’occasion de cette recherche pour servir à l’analyse historique, technique et iconographique. Comme pour la plupart des entreprises similaires, le fonds de modèles de la maison Raffl n’a pas été conservé27. Seuls quelques modèles destinés à la fonte sont présents dans le fonds Ferry-Capitain. En revanche, de nombreux exemplaires sont encore en place dans les églises, même si certains sont en mauvais état ou ont été repeints. Malgré les transformations liées à la laïcisation de l’espace public, de multiples statues en fonte de fer sont également visibles en extérieur dans les bourgs ou le long des routes de campagne. Le cas des statuettes est plus complexe car beaucoup ont disparu, tandis que celles qui subsistent ne sont plus conservées dans leur environnement d’origine et, pour la plupart en mains privées, sont difficilement accessibles. Il en est de même pour les nombreuses sculptures qui appartenaient aux établissements tenus par des congrégations religieuses dont beaucoup ont dû s’exiler au début du xxe siècle. Quelques statues sont conservées en musée, mais elles ont évidemment un intérêt moindre que celles demeurées in situ. De toutes les sculptures religieuses d’édition encore préservées aujourd’hui et accessibles au chercheur, celles présentes dans les églises offrent la plus grande variété de modèles, de techniques, de matières et de décors. Elles constituent en outre un observatoire privilégié des discours et des pratiques sociales, publiques et collectives, qui leur étaient associés, permettant d’aller au-delà d’une approche individuelle et intimiste de la dévotion. Si les sculptures sont encore nombreuses, toute la difficulté est de pouvoir les rattacher à un fabricant et les dater28. L’observation des signatures, cachets et estampilles complète l’étude des catalogues commerciaux, en particulier pour la seconde moitié du xixe siècle, période peu représentée par ces derniers. Raffl et ses successeurs sont parmi les fabricants qui signent le plus régulièrement leur production, facilitant son identification. Les statues d’église portent souvent la trace des pratiques de dévotion passées : les mains et pieds salis rappellent les contacts répétés ; le voile noir qui obscurcit les polychromies, la fumée des cierges ; les rayures sur le front ou les cheveux, les couronnes et nimbes aujourd’hui disparus ; les percements sous les bases, l’utilisation en procession. Certaines inscriptions mentionnent également le nom de donateurs. Le contexte de conservation apporte lui aussi de nombreux renseignements lorsqu’il n’a pas ou peu été modifié. Ainsi les emplacements, les accessoires, les ex-voto, les socles, les autels, les vitraux, les statues à proximité, les plaques commémoratives ou votives, les bouquets, les troncs, etc., tout est porteur d’informations et concourt à rendre plus compréhensible l’histoire de cette production.
12Étudier l’édition de sculptures religieuses au xixe siècle suppose de multiplier les angles d’approche pour documenter cette activité à la fois commerciale et artistique, spécifiquement dévolue au monde catholique. Par une approche croisée empruntant à l’histoire de l’art, à l’histoire religieuse et à l’histoire de l’entreprise, ce travail espère contribuer à mettre en lumière un pan longtemps négligé de l’art religieux et du décor des églises. Afin de mettre en évidence les différentes étapes de développement de cette production statuaire au cours du temps tout en faisant ressortir certaines problématiques-clés, une approche chronologico-thématique a été retenue. Une première partie examine d’abord, en s’appuyant sur l’histoire de la maison Raffl, les conditions préalables ayant rendu possible l’essor de la statuaire religieuse d’édition, et les premières manifestations de celle-ci durant la première moitié du xixe siècle. Le fonctionnement pratique de cette industrie entre 1850 et 1950 est ensuite décrit à travers les principales facettes de l’activité d’éditeur de sculptures religieuses : la gestion d’un fonds de modèles, la fabrication et la commercialisation des épreuves, chacune supposant des compétences spécifiques nécessaires à la réussite d’une entreprise. Enfin, la période traversée dans les deux parties précédentes est de nouveau parcourue au prisme de l’histoire religieuse afin d’étudier les usages et les fonctions des sculptures d’édition à la lumière des enjeux contemporains de l’Église catholique romaine.
Notes de bas de page
1 A. Hughes et E. Ranfft (dir.), Sculpture and its Reproductions, Londres, Reaktion Books, 1997.
2 C. Bouchon, C. Brisac, N.-J. Chaline et J.-M. Leniaud, Ces églises du dix-neuvième siècle, Amiens, Encrage, 1993 ; M.-H. Froeschlé-Chopard, Espace et sacré en Provence (xvie-xxe siècle). Cultes, images, confréries, Paris, Cerf, 1994 ; J.-M. Leniaud, La révolution des signes : l’art à l’église, 1830-1930, Paris, Cerf, 2007.
3 F. Thiébault-Sisson, « Les Paradis », L’Illustration, no 2704, 22 décembre 1894, p. 527.
4 Voir notamment C. Rosenbaum-Dondaine (dir.), L’image de piété en France, 1814-1914, cat. exp., Paris, musée-galerie de la SEITA, 1984 ; L. de Finance (dir.), Un patrimoine de lumière, 1830-2000, Paris, Éditions du patrimoine, 2003 ; A. Chatard, « Les ornements liturgiques au xixe siècle : origine, fabrication et commercialisation, l’exemple du diocèse de Moulins (Allier) », In Situ, no 11, 2009 [https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/insitu/5308] ; B. Berthod, G. Favier et É. Hardouin-Fugier, Dictionnaire des arts liturgiques du Moyen-âge à nos jours, Châteauneuf-sur-Charente/Lyon, Frémur/Descours, 2015 ; D. Lerch, K. Mitalaité, C. Rousseau et I. Séruzier (dir.), Les images de dévotion…, op. cit.
5 D. Gamboni, « De “Saint-Sulpice” à l’“art sacré” : qualification et disqualification dans le procès de modernisation de l’art d’église en France (1890-1960) », dans O. Christin et D. Gamboni (dir.), Crises de l’image religieuse de Nicée II à Vatican II, Paris, Maison des sciences de l’homme, 2000, p. 239-261 ; F. Caussé, La revue « L’Art sacré ». Le débat en France sur l’art et la religion (1945-1954), Paris, Cerf, 2010 ; I. Saint-Martin, Art chrétien/art sacré. Regards du catholicisme sur l’art, France xixe-xxe siècle, Rennes, PUR, 2014.
6 C. Savart, « À la recherche de l’art dit de “Saint-Sulpice” », Revue d’histoire de la spiritualité, no 52, 1976, p. 265-282 ; J. Durand, Une manufacture d’art chrétien : la « Sainterie » de Vendeuvre-sur-Barse (1842-1961), Villy-en-Trodes, Durand, 1978 ; S. Forestier, « Art industriel et industrialisation de l’art. L’exemple de la statuaire religieuse de Vendeuvre-sur-Barse », Ethnologie française, t. 8, no 2-3, 1978, p. 191-200.
7 C. Savart, « À la recherche… », art. cité, p. 265-266.
8 Philippe Bruneau considérait ainsi que les temples grecs étaient finalement mieux connus que les églises et sanctuaires catholiques. Voir notamment P. Bruneau, « Linéaments d’une archéologie du catholicisme en France aux xixe et xxe siècles », Revue d’archéologie moderne et d’archéologie générale, no 4, 1986, p. 127-149.
9 En particulier J. Durand, Les statues dites de Saint-Sulpice à Vendeuvre (Aube) et à Vaucouleurs (Meuse), Bar-sur-Aube, Durand, 1982 ; M. Vaissier, Henri Bouriché, sculpteur angevin, Beaucouzé, Ménard et Garnier, 1981 ; H. Fruneau, Un atelier de statuaire, mémoire de 2e année, École du Louvre, s. d. (années 1980) ; C. Rouillard, « Le purgatoire de tous les saints. Un siècle de statuaire religieuse, 1860-1962 », 303 Arts, recherches, créations, no 36, 1993, p. 4-15 ; M.-G. Furic, « La manufacture Giscard, 150 ans d’histoire de sculpture en terre cuite à Toulouse », L’Auta, 2013, p. 94-104 ; N. Desseaux, Auguste & Gaston Virebent : l’Église et l’art sacré, Toulouse, Terrefort, 2020.
10 S. Civelli, « Heilige im Dutzend. Die Heiligenfiguren “dit de Saint-Sulpice” und ihre Funktion als Stützen katholischer Sinnenwelt », Schweizerisches Archiv für Volkskunde, vol. 83, no 3-4, 1987, p. 177-203 ; J.-J. Michaud, « L’image mariale au xixe siècle à travers la statuaire des églises de l’Entre-Deux-Mers bordelais », Revue archéologique de Bordeaux, t. 87, 1996, p. 219-242 ; S. Zalesch, « The Religious Art of Benziger Brothers », American Art, vol. 13, no 2, 1999, p. 58-79 ; B. Mugnier, La statuaire johannique, s. l., Mugnier, 2011 ; A. Fontaine, Die religiösen Terrakotta-Bildnisse aus den « Kunstanstalten » des 19. Jahrhunderts, Merzig, Provesa, 2015.
11 R. Bertrand, « Pour une étude de la statuaire religieuse de moulage de l’époque contemporaine », Annales de l’Est, 6e série, 57e année, no 1, 2007, p. 165-186 ; C. Pacco, Sur la terre comme au ciel. La statuaire de dévotion en plâtre en Namurois (1850-1950) : études historique et iconographique, cat. exp., Namur, Société archéologique de Namur, 2010 ; J. Lubos-Kozieł, « Der Markt für katholische künstlerische Massenproduktion in der zweiten Hälfte des 19. Jahrhunderts und am Anfang des 20. Jahrhunderts », Opuscula historiae artium, vol. 68, no 1, 2019, p. 22-39.
12 C. Savart, « À la recherche… », art. cité, p. 265.
13 J. Cuisenier, L’art populaire en France, Fribourg, Office du Livre, 1975.
14 Voir notamment B. Plongeron (dir.), La religion populaire dans l’Occident chrétien : approches historiques, Paris, Beauchesne, 1976 ; G. Duboscq, B. Plongeron et D. Robert (dir.), La religion populaire, Paris, CNRS, 1979. Et pour une analyse rétrospective, D. Julia, « “Un faiseur d’embarras”. Les historiens et les débats autour de la culture et de la religion populaires (1960-1980) », Archives de sciences sociales des religions, no 176, 2016, p. 119-136.
15 Le colloque de 1977 était organisé au sein du musée, où se tenait également une exposition (F. Lautman [dir.], Aspects du catholicisme populaire, cat. exp., Paris, musée national des Arts et Traditions populaires, 1977) qui préfigurait la suivante : J. Cuisenier, F. Lautman et J. Chamarat, Religions et traditions populaires, cat. exp., Paris, RMN, 1979.
16 I. Saint-Martin, Répertoire des catalogues du mobilier et des objets religieux des xixe et xxe siècles, (Rapport de recherche) ministère de la Culture, Inventaire général du patrimoine culturel, 2021 (2002) [https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03409897] ; L. de Finance, « L’inventaire des objets mobiliers religieux des xixe et xxe siècles : méthodologie », In Situ, no 11, 2009 [https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/insitu/4468] ; N. Heinich, « Ex-votos et curés d’Ars : l’inventaire de la dévotion en série », In Situ, no 12, 2009 [https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/insitu/6424].
17 É. Prégent, Préservation des objets religieux. La statuaire religieuse en plâtre du Québec, Québec, Presses de l’université du Québec, 2016.
18 J. Lubos-Kozieł, « Ambiguous Heritage: “Plaster Saints”, Cast-iron Christs and other Mould-made Catholic Sculptures from the Second Half of the 19th and the Early 20th Centuries », Muzeológia a Kultúrne Dedičstvo, t. 7, no 2, 2019, p. 77-94 ; M. Vottero, « Faut-il restaurer la statuaire saint-sulpicienne », dans V. Massol-Kremer et J. Le Pottier (dir.), Regards sur le patrimoine multiple, Arles, Errance/Actes Sud/ACAOAF, 2020, p. 229-235.
19 C. Savart, « À la recherche… », art. cité, p. 265.
20 Ibid., p. 279.
21 R. Bertrand, « Pour une étude… », art. cité, p. 167.
22 Voir notamment J. de Caso, « Serial Sculpture in Nineteenth-Century France », dans J. Wasserman, Metamorphoses in Nineteenth-Century Sculpture, Cambridge, Harvard University Press, 1975, p. 1-27 ; C. Chevillot, « Édition et fonte au sable », dans La sculpture française au xixe siècle, cat. exp., Paris, RMN, 1986, p. 80-94 ; F. Rionnet, L’atelier de moulage du musée du Louvre, 1794-1928, Paris, RMN, 1996 ; F. Chappey, M. Hilaire et A.-L. Sol (dir.), Joseph Le Guluche (1849-1915) et les terres cuites de L’Isle-Adam, cat. exp., Paris, Somogy, 2008 ; É. Voillot, Créer le multiple : la Réunion des fabricants de bronze (1839-1870), thèse d’histoire de l’art, dir. S. Le Men et C. Chevillot, université Paris-Nanterre/École du Louvre, 2014 ; F. Rionnet, Les bronzes Barbedienne. L’œuvre d’une dynastie de fondeurs (1834-1954), Paris, Arthena, 2016 ; S. Lubliner-Mattatia, Le bronzeland parisien : un monde disparu, Paris, Les Indes savantes, 2022.
23 Voir en particulier C. Langlois, « Mariophanies sculpturales et modèle provençal sous le Second Empire », dans Mélanges Michel Vovelle, volume aixois : sociétés, mentalités, cultures (France, xve-xxe siècles), Aix-en-Provence, Publications de l’université de Provence, 1997, p. 297-315 ; I. Saint-Martin, Voir, savoir, croire. Catéchismes et pédagogie par l’image au xixe siècle, Paris, Champion, 2003 ; P. Boutry, « L’iconographie des apparitions mariales dans la France du xixe siècle : l’Unique et ses représentations », dans B. Béthouart et A. Lottin (dir.), La dévotion mariale de l’an mil à nos jours, Arras, Artois Presse université, 2005, p. 347-364 ; G. Capitelli, Mecenatismo pontificio e borbonico alla vigilia dell’Unità, Roma, Viviani, 2011 ; I. Saint-Martin, Art chrétien/art sacré…, op. cit. ; D. Menozzi, « Rappresentazioni del religioso e dottrina cattolica. Da Pio VI a Giovanni XXIII », dans M. Bolaños, I. Saint-Martin et R. Serrano (dir.), Imágenes, devociones y prácticas religiosas. La Europa del Sur (1800-1960), Valladolid, Associación de Amigos del Museo Nacional de Escultura, 2018, p. 45-60.
24 Les épithètes « sulpicien/ne » et « saint-sulpicien/ne » appliquées à l’art religieux se répandent à la toute fin du xixe siècle. Une enquête conduite en 1899 par la revue Le Sillon auprès d’écrivains, ecclésiastiques et critiques d’art, emploie l’expression « art dit de Saint-Sulpice » qui paraît alors consacrée (I. Saint-Martin, Art chrétien/art sacré…, op. cit., p. 158-160).
25 « Cronaca Contemporanea », La Civiltà Cattolica, 50e année, vol. 5, 1899, p. 100.
26 G. Bernasconi, « L’objet comme document. Culture matérielle et cultures techniques », Artefact, no 4, 2016, p. 31-47.
27 Quelques rares ensembles ont pu être sauvés, comme le fonds de la « Sainterie » à Vendeuvre-sur-Barse, celui de la maison Giscard à Toulouse ou ceux des fonderies Durenne et Denonvilliers (Ferry-Capitain) qui comportent des modèles religieux.
28 L. de Finance, « La datation des objets : quelques exemples concrets », In Situ, no 9, 2008 [https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/insitu/3513].
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