Une société vertueuse. Images et pratiques du pouvoir dans la franc-maçonnerie européenne
p. 179-201
Texte intégral
1Le but de cette contribution est de mettre au jour le rapport que les francs-maçons entretiennent avec le pouvoir et avec le politique, dans les limites de l’Europe des xixe et xxe siècles, et dans une perspective socio-historique.
Des difficultés de la théorisation
2Le fait est là, incompréhensible pour beaucoup : certains hommes, certaines femmes, choisissent de se rassembler régulièrement pour partager ensemble les mêmes valeurs, au sein de locaux spécialement aménagés à cet effet et dans le cadre de rituels strictement définis, au demeurant pratiqués avec plus ou moins de respect et de scrupules par rapport aux règles établies. Maçons et maçonnes entendent pratiquer les vertus, se conformer à une morale évolutive, jadis qualifiée de naturelle, puis d’universelle et de laïque avant de se voir supplantée par le concept, « étriqué » selon le philosophe Michel Serres, d’éthique1. Maçons et maçonnes partagent un mode de vie en commun ; la liberté d’association dont ils jouissent aujourd’hui dans les pays démocratiques confère à leurs réunions une inévitable dimension politique, toujours là, irrécusable, quand bien même (et peut-être surtout) certains d’entre eux s’interdisent de parler politique dans leur loge2, et même s’il est entendu qu’il ne s’y fomente aucun complot. La liberté d’association fut, en France, une conquête de la Maçonnerie qui anticipa sur une législation qui n’aboutit qu’en 1901. Ne s’agit-il point d’une initiative éminemment politique, cette faculté de combler naturellement un vide juridique3 ? Comme si, en évacuant le politique, celui-ci ne demandait qu’à resurgir à la faveur du moindre débat d’idées. Pour autant, la Maçonnerie n’est ni de gauche, ni de droite, ni du centre. Elle ne peut, pour cette raison, ambitionner sérieusement de changer les sociétés, à l’instar de n’importe quel parti politique :
« Que fait la Franc-maçonnerie, qui se réclame de l’humanisme, pour changer ce monde, se demande Michel Noirret ? Rien. Ce n’est pas son rôle de changer le monde, la société ici et maintenant. C’est le rôle des citoyens eux-mêmes, francs-maçons ou non. Autrement, il faudrait que la Franc-maçonnerie devienne un parti politique et soit soumise, naturellement, à la sanction politique4. »
3On aurait tort, cependant, de se représenter ces agrégats d’individus simplement comme l’une des multiples manifestations d’un « tout-politique » que des théories marxisantes revisitées par le néolibéralisme ambiant voudraient voir à l’œuvre partout où dans les strates de la société globale s’affiche un retour aux valeurs, à l’éthique, à l’autonomisation de la conscience par rapport aux superstructures en voie de déliquescence. À bien des égards, la Franc-maçonnerie telle qu’elle est vécue par ceux qui en font partie (car parler de la Franc-maçonnerie en général comme d’une abstraction dégagée de toute dimension phénoménologique revient le plus souvent à disserter sur une réalité reconstruite), cette Franc-maçonnerie vécue s’écarte sans cesse du champ politique et rogne sur les terres inexplorées, préservées et secrètes de l’intériorité, voire de la spiritualité, en tout cas d’un tout autre indicible et d’un quant-à-soi fluctuant qui échappe à toute tentative de catégorisation5. Sans doute pareille tendance ira-t-elle en s’accentuant dans les années à venir, si le politique ne sort point de la crise de crédibilité qui le traverse et dont on ne doit plus faire la démonstration, tant elle est évidente. Dans ce contexte, l’apolitisme affiché de la Franc-maçonnerie ne constituerait-t-il pas, en définitive, le meilleur garant de son efficacité ?
4Que dit en effet l’engagement maçonnique, sinon le lien inextricable, la confluence insurmontable entre un parcours irréductiblement personnel et la fréquentation d’une société aux couleurs politiques légèrement passées, toujours en demi-teinte, parce qu’il ne s’y trouve ni mot d’ordre, ni manifeste idéologique, ni unanimisme ? Que tel franc-maçon célèbre soit devenu, au gré des modes ou à la faveur d’un ralliement soudain, le prototype d’un combattant revendicatif, de droite ou de gauche, conformiste ou anarchiste, conservateur ou progressiste, ne parvient point à épuiser la question de la nature politique de la Maçonnerie telle qu’elle se vit. C’est même le contraire qui se passe, au vu des engagements multiples et antinomiques des frères et des sœurs à travers l’histoire. On les voit, dans différents pays, tantôt libéraux, tantôt socialistes, tantôt républicains, quand ils ne s’affrontent pas dans des camps opposés : dans les troupes de Franco et dans celles de la République, dans les troupes de Bolivar et dans celles de Morillo, dans le soutien aux maçons chiliens Allende ou Pinochet…
5Tout ceci nous ferait volontiers dire que tout essai de théorisation serait voué à l’échec parce qu’il achopperait à la réalité vécue et à la multitude d’épiphénomènes qui la compose. Chemin faisant, en ouvrant les livres d’histoire, on découvrirait immanquablement l’inadéquation entre les lectures globalisantes d’un objet pluriel et les particularisations intempestives, qui sont le propre des individus et qui viendraient finalement brouiller les cartes, opacifier les règles d’un jeu qui n’a de ludique que le nom. La hantise de la « récupération » qui habite les esprits les plus critiques empêche en effet de se contenter de formules à l’emporte-pièce : plutôt que de déceler à tout prix une orientation politique improbable dans la fiction « la Franc-maçonnerie », sans doute vaudrait-il mieux développer une anthropologie philosophique qui prenne en compte la dimension politique de l’individu-maçon confronté à la question du pouvoir. Et interroger son comportement et sa pratique en fonction de cette question.
Un exemple : le Grand Orient de France
6Soit une obédience, le Grand Orient de France, fondée entre 1771 et 1773, aujourd’hui fédératrice de plus de 800 loges, regroupant elles-mêmes plusieurs dizaines de milliers de maçons (près de 40000). Une histoire politique mouvementée, dominée par l’attachement et la défense des idéaux républicains ; les xixe et xxe siècles en témoignent, dont les grands moments doivent être évoqués dans le but de montrer comment des francs-maçons d’une obédience majoritaire par rapport aux autres obédiences du pays ont le plus souvent épousé les grands idéaux de la démocratie6. Si, en 1849, le Grand Orient de France reprend à son compte le ternaire révolutionnaire « Liberté – Égalité – Fraternité » pour en faire sa devise et préciser qu’elle fut sienne « de tout temps », avant d’en faire l’acclamation au Rite français, il faut reconnaître qu’il ne s’agissait pas seulement là de la proclamation d’un attachement indéfectible aux valeurs fondatrices de la République, mais tout autant la manifestation d’une volonté de conformité à des catégories perçues comme universelles et supposées guider la morale du maçon et la vie à l’intérieur des loges.
7Sous le Consulat et sous l’Empire, la Maçonnerie du Grand Orient reprend quelque vigueur, après la Révolution et le Directoire qui l’avaient laissée étiolée et blafarde, mais ses dirigeants sont choisis directement dans les allées du pouvoir. Servante du régime, jusqu’à le magnifier en de pieuses images illustrant fièrement une complicité de raison plus que de cœur, elle bénéficie en retour de sa protection. La chute de l’Empire va à nouveau la secouer : sous Charles X, son rôle est d’opposition face aux ultras réactionnaires. Le court épisode des Trois Glorieuses fait naître des espérances dans les milieux maçonniques qui doivent cependant bien vite déchanter devant le retour des conservateurs au pouvoir, en 1831. Semblable attente vite déçue se renouvelle avec l’avènement de la Seconde République rapidement suivie par la réaction de la bourgeoisie, la présidence du prince Napoléon et en mars 1849 la victoire des monarchistes. Autour de 1851, la Maçonnerie est tenue en suspicion, de nombreux ateliers sont fermés et les maçons doivent composer. La solution qui s’impose alors, au Grand Orient de France, est de placer le prince Napoléon Murat à sa tête, manière de ne pas s’attirer la réprobation du pouvoir. Murat est Grand Maître de l’obédience de 1852 à 1861. Le maréchal Magnan, désigné par l’empereur, lui succède pour une période de quatre années, période pendant laquelle l’obédience retrouve une certaine autonomie par rapport à un pouvoir affaibli. Survient la défaite annoncée de Napoléon III, et avec elle la proclamation de la Troisième République en septembre 1870, suivie quelques mois plus tard du tragique épisode de la Commune de Paris : certains frères participent activement à l’insurrection anticléricale, d’autres prônent la pacification. Une image reste : les bannières maçonniques plantées sur les barricades, révélant à la fois l’appétit de liberté qui anime les maçons et le transfert de ces aspirations individuelles vers une société dont ils font partie et qui les incorpore, en laquelle ils se reconnaissent et qu’ils investissent de leurs attentes.
8Le combat républicain et anticlérical est le lot quotidien des maçons de la Troisième République. Il s’incarne principalement dans la revendication d’une école obligatoire, gratuite et laïque et dans l’opposition belliciste à tout ce qui représente le cléricalisme, la religion, la monarchie, la droite conservatrice. Les maçons se recrutent parmi les radicaux, chez les modérés, au sein des divers courants du socialisme et jusque dans les milieux anarchistes. Résultats tangibles : la séparation des Églises et de l’État, la législation sur le divorce, la laïcisation du statut des infirmières et des instituteurs, la crémation autorisée, etc. Toutes les avancées sociales ne sont cependant pas à porter au crédit de l’action des maçons. On sait par exemple que le frère Jules Ferry, pourtant républicain engagé, se montrait aussi frileux que le conservateur Adolphe Thiers quand il s’agissait de revendiquer l’universalisation du droit de vote. Au total, un engagement politique intense qui va se poursuivre au-delà des années vingt, quoique de manière moins retentissante, jusqu’à ce qu’éclate la Seconde Guerre mondiale et que les maçons français souffrent des interdictions et des persécutions de l’occupant nazi, sans jamais pactiser ni collaborer.
9Cependant, Vichy traîne son lot de trahisons : le frère Camille Chautemps (1885-1963), député radical-socialiste plusieurs fois ministre dans les années vingt et trente, trente-troisième de surcroît et membre du Suprême Conseil, accepte d’être ministre de Pétain, puis son ambassadeur à Washington. Quand, le 13 août 1940, est promulguée la loi portant interdiction des associations secrètes et obligeant les fonctionnaires et les agents de l’État à souscrire une déclaration à leur sujet, Chautemps s’empressa de déclarer à Pétain : « Ah ! Monsieur le Maréchal, comme je vous remercie d’avoir pris cette décision. Pour ma part, il y a longtemps que je l’attendais7… » Et l’on pourrait épingler les noms de quelques autres frères – rares il est vrai – qui se sont compromis avec Vichy.
10On ne sait trop pourquoi, par exemple, un Jean Marquès-Rivière, qui fréquente les ateliers maçonniques jusque vers 1930, sert quelques années plus tard le régime de Pétain, allant même jusqu’à écrire le scénario de Forces occultes, ce fameux film de propagande antimaçonnique tourné en 1942 et présenté pour la première fois en 1943, réalisé de surcroît par le maçon Paul Roche, alias Jean Mamy. Mais on sait que le film est d’autant plus pernicieux qu’il évoque des événements réels, comme cette affaire Stavisky, du nom d’un escroc de grande envergure, juif mais point maçon, qui bénéficia des années durant de la protection active de maçons politiciens, magistrats et avocats, jusqu’à ce qu’il trouve la mort en 1934 dans des circonstances mystérieuses…
11Sous la Cinquième République, on doit aux maçons du Grand Orient d’avoir favorisé l’adoption de lois sur la libéralisation de la contraception et de l’avortement8, sur la suppression de la peine de mort, sur l’accession à la majorité dès l’âge de dix-huit ans, sur la décentralisation, etc. Le sénateur français Henri Caillavet, qui fut durant plus de douze ans président de la Fraternelle parlementaire, explique que quantité de projets de loi qu’il a déposés ont été auparavant travaillés et étudiés en loge. Il conclut son témoignage par ces lignes :
« […] nous n’avons pas le droit de parler d’un “pouvoir maçonnique”. Il n’existe pas. Par contre, nous ne saurions nier “une influence maçonnique” qui, elle, existe véritablement. Elle se situe au plan du seul profit de l’humanisme laïque, qui se caractérise par le respect de la dignité, de la responsabilité, de la solidarité et de la liberté de l’homme9. »
12On ne peut que saluer les efforts déployés par Henri Caillavet pour désambiguïser le fameux syntagme du « pouvoir maçonnique », l’antienne de tous les antimaçons. Mais si l’influence vient supplanter le pouvoir, il ne convient ni de la minorer ni de la majorer. Après tout, d’autres composantes de la classe politique que la fratrie maçonnique entrent en jeu quand il s’agit d’exalter et de défendre pied à pied cet humanisme laïque : on sait les scrupules qu’ont maints laïcs à ne pas laisser leurs associations se confondre dans l’esprit du grand public avec des institutions satellites de la Franc-maçonnerie progressiste, de même qu’une frange assez importante de la mouvance laïque répugne à fréquenter les ateliers maçonniques, pour diverses raisons qu’il ne nous appartient pas d’analyser ici10.
13Pour faire bref, on pourrait dire de la maçonnerie du xixe siècle qu’elle a parfois exercé une influence structurée sur le politique, tandis que la maçonnerie contemporaine n’exerce plus qu’une influence intellectuelle et morale sur des individus. Ce qui autoriserait dès lors à distinguer une influence directive, voire normative, d’une part et une influence par « capillarité douce11 » d’autre part. Comme l’explique bien Hervé Hasquin,
« […] la fragmentation des forces politiques en Europe occidentale, qui est une des grandes caractéristiques de la sociologie politique de la seconde moitié de ce siècle, rend illusoire de nos jours toute influence structurée pour la simple raison que les différentes obédiences maçonniques sont composées d’hommes et de femmes qui, dans la vie profane, se répartissent dans la quasi-totalité du spectre idéologique12. »
14À chaque fois donc, un combat, une militance, comme celui mené depuis plus d’un siècle pour la défense de l’école laïque et qui n’a pas fini de provoquer les manifestations publiques de maçons défilant dans la rue avec leurs insignes, aux côtés d’autres associations. Cet investissement symbolique est fort ; il témoigne non seulement de la réappropriation constante de la défense de la laïcité, mais aussi d’une volonté de reconnaissance d’une identité privée capable d’influer sur la sphère publique. En Italie, en France, en Belgique, la Maçonnerie eut toujours à cœur de défendre l’école publique. Comme l’écrit Aldo Mola, la Maçonnerie de ces pays « devint donc l’âme pédagogique de l’État, sa légitimation à éduquer13 ».
15Cependant, la tentation est grande de surinterpréter les faits et gestes de maçons en fonction de leur seule appartenance à la Franc-maçonnerie. On comprend aisément, par exemple, que l’institution maçonnique s’enorgueillisse de pouvoir inscrire à son actif l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises en 1848, due au frère Victor Schœlcher (1804-1893). Mais qui du franc-maçon, du républicain convaincu, de l’homme politique député et sénateur des Antilles, du lecteur de l’abolitionniste britannique Wilberforce, de l’écrivain utopiste et engagé signa le décret d’abolition de l’esclavage ? On voit bien qu’il y a chez Schœlcher convergence logique et unifiée d’appartenances similaires bien plus qu’entrecroisement d’identités divergentes. Sa seule qualité de maçon n’explique pas à elle seule le combat qu’il mena, non plus, a fortiori, qu’elle ne l’exclut. Entre-t-il alors dans cette appropriation de la défense des Droits de l’homme par la Maçonnerie comme un effet d’un surinvestissement propre à battre en brèche toute tentative de critique ou, plus positivement, à donner de l’institution une image progressiste ? Michel Godard pose la bonne question :
« L’idéal des droits de l’homme […] peut-il être considéré comme l’expression d’un “courant” qui s’en proclame dépositaire privilégié, alors qu’il s’agit de la base du contrat démocratique ? Une organisation fermée, et qui se veut secrète pour ce qui regarde les maçons, est-elle un outil approprié14 ? »
Des engagements politiques des maçons
16De ce panorama à peine esquissé de deux siècles d’histoire émerge l’idée qu’il y aurait plus d’un engagement politique spécifiquement maçonnique, à supposer qu’il y ait une spécificité de l’engagement politique des maçons, ce dont il est permis de douter15. Certes, c’est bien d’un seul et même combat pour une société toujours plus démocratique qu’il s’agit, mais un combat qui prend, à travers le temps, son parti de certaines modulations, de certains aménagements, voire de certaines compromissions avec le pouvoir en place, pourvu qu’il ne soit pas dictatorial. On assiste ainsi à la naissance de la République, soutenue par les maçons, et à ses agencements successifs, mais toujours dans le cadre d’une démocratie formelle dans laquelle la transformation radicale des structures sociales n’est que rarement envisagée. Bien plus, sous la Troisième République, beaucoup de maçons appartiennent à la nouvelle « classe dirigeante politique » – pour reprendre la terminologie de Gaetano Mosca16 – qui ne fonde plus son autorité sur une croyance surnaturelle, mais sur des principes rationnels. En ce sens, l’entrée des anarchistes dans les loges maçonniques de la seconde moitié du xixe siècle ne peut s’expliquer que par le caractère foncièrement apolitique de la Franc-maçonnerie. Que l’on sache, même à considérer les mêlées et les luttes de ses membres, le Grand Orient de France n’a jamais été une organisation politique. Cela ne signifie pas pour autant que l’incorporation d’anarchistes, rétifs à la présence de tout gouvernement, se déroule sans heurts et sans réserves. Emblématique est à cet égard le cas du pédagogue espagnol Francisco Ferrer, franc-maçon, qui a connu le théoricien français de l’anarchisme Elisée Reclus et qui, dans l’Espagne cléricale du début du siècle, fut injustement accusé et emprisonné sous prétexte d’une participation à la tentative de régicide de Madrid en mai 1906. Or, l’anarchiste espagnol ne sera pas soutenu par le Grand Orient Espagnol, lequel publie peu après un communiqué par lequel il condamne toute forme de violence et déclare respecter les institutions existantes. Comme en France, mais avec moins de succès, on voit cependant les maçons espagnols s’engager, aux xixe et xxe siècles, dans la lutte pour l’instauration d’une république. Plus confortable, parce que plus éloignée, est alors la réaction d’autres obédiences européennes qui n’hésitent pas à réagir publiquement à cette « affaire Ferrer » en train de naître.
17Il est un autre point à considérer, s’agissant de l’entrée des anarchistes en Franc-maçonnerie, c’est que ceux-ci, hostiles à toute autorité, ne représentaient pas un danger réel pour l’institution maçonnique et pour ceux de ses membres appartenant à la classe politique. L’anarchisme, traversé par l’individualisme et l’aspiration « libertaire », ne s’institutionnalise qu’au prix d’un renoncement à ce qui le fonde. Peu structuré, il parvient à faire se rencontrer des individus que tout soupçon d’embrigadement irrite. Le maçon anarchiste français Léo Campion disait : « Si les maçons anarchistes sont une infime minorité, la vocation libertaire de la Maçonnerie est indéniable, elle est la seule association à laquelle puisse adhérer celui qui n’adhère à rien17. »
18Si l’on peut être anarchiste (ou libertaire) et franc-maçon, en revanche la question de la compatibilité entre communisme et Franc-maçonnerie se pose avec plus d’acuité. On sait que le troisième congrès de la Troisième Internationale avait interdit aux communistes l’entrée dans la Franc-maçonnerie, au même titre que l’appartenance à la Ligue des droits de l’homme, deux institutions qui passaient pour bourgeoises aux yeux des dirigeants communistes. Conséquence : dans les pays où le parti communiste était ou est au pouvoir, la Franc-maçonnerie est interdite, à la notable exception de Cuba. Dans les autres pays, on ne connaît pas d’interdictions de la double appartenance dictées par les partis à leurs membres18.
19Encore convient-il de souligner que cet aperçu ne prend nullement en compte les mutations internes d’une obédience et de ses loges : il y aurait beaucoup à dire sur les évolutions des règlements, des règles de fonctionnement, qui trahiraient sans doute une volonté de démocratisation toujours plus poussée des rouages administratifs et rituéliques par exemple (on est loin de la pratique des ventes des degrés et des charges, habituelles au xviiie siècle), mais dans lesquelles on découvrirait comme d’inévitables reculs tantôt les résultats de la résolution de conflits internes, tantôt la trace de luttes acharnées pour le pouvoir, bref quantité de déterminismes qui dessinent les limites de la construction d’une société fraternelle idéale.
20Il reste que des frères et des sœurs d’obédiences progressistes prennent conscience « de l’ardente nécessité de la réflexion politique en loge19 ». Sans rien renier de la tradition initiatique et symbolique de la Maçonnerie, ils entendent faire de leurs obédiences de véritables puissances critiques, « tant à l’égard du politique que vis-à-vis d’elles-mêmes ». C’est dans cette optique que, à la fin des années 1980, des frères et des sœurs engagés dans des organisations humanitaires (Amnesty International, Ligue des droits de l’homme, etc.), tous maçons ou maçonnes du Grand Orient de Belgique, de la Grande Loge de Belgique, du Droit Humain et de la Grande Loge Féminine de Belgique, se rassemblèrent pour créer le Cercle Bartholdi. En se réunissant le plus souvent en tenues interobédientielles pour réfléchir sur la place que doit occuper le travail maçonnique dans la construction effective du temple de l’Humanité – en d’autres termes sur les rapports entre le politique (au sens large) et la pratique maçonnique –, ils refusent toutefois de confondre appartenance maçonnique et militantisme. Tournant le dos à la langue de bois qui fait dire par exemple que « la Maçonnerie rayonne par l’action individuelle de ses membres », les frères et sœurs du Cercle Bartholdi souhaitent que la Maçonnerie de leur pays s’implique davantage dans la vie de la cité et redevienne, comme elle l’était au xixe siècle, un grand « laboratoire d’idées et de progrès social ».
De quelques compromissions
21Il y aurait beaucoup à dire également sur la crise qui a secoué récemment la plus grande obédience française. En septembre 1995, lors du convent annuel du Grand Orient de France appelé à désigner un nouveau Grand Maître, Patrick Kessel, Grand Maître sortant, se présentait pour un nouveau mandat : bien que son rapport fût approuvé par une très large majorité des délégués représentant les 800 loges de l’obédience, il était désavoué devant le Conseil de l’Ordre, c’est-à-dire devant les 33 membres formant l’exécutif. Il lui était notamment reproché de ne pas avoir engagé davantage l’obédience sur des questions sociales et politiques. D’aucuns déploraient même l’absence de soutien officiel au candidat président Lionel Jospin… Ces dissensions surgissaient dans un contexte délétère fait d’affairisme et de corruption chez certains hommes politiques francs-maçons. Une malheureuse coïncidence, eu égard aux idéaux moraux affichés en tous temps et en tous lieux par la société maçonnique, qui a entaché l’image de la Franc-maçonnerie française dans son ensemble et qui a replacé au centre des préoccupations de ses membres la question de l’éthique.
22On pourrait semblablement évoquer le scandale de la loge italienne P2 (Propaganda Due), qui a terni l’image de la Franc-maçonnerie dans son ensemble plus que n’aurait pu le faire une campagne antimaçonnique organisée. Rappelons que cette loge, dépendant du Grand Orient d’Italie et régulièrement constituée en 1877, avait été détournée de ses fins par un homme d’affaires véreux, Licio Gelli, qui dans les années 1970 parvint à en faire, en recrutant magistrats, officiers, politiciens et hauts fonctionnaires, une association paramaçonnique subversive dont on se demande aujourd’hui encore si elle ne servait pas l’extrême droite20. En tout cas, depuis l’affaire de la P2, « les francs-maçons discrédités par les scandales politico-financiers ont perdu toute influence21 ».
23Aldo Mola pose le même constat sur la Maçonnerie italienne d’aujourd’hui :
« En Italie, le débat sur le sort de l’école publique n’a presque jamais vu les maçons prendre position publiquement et de façon claire et décisive. À propos de l’instruction, même sous un grand maître qui était professeur d’université, le Grand Orient d’Italie eut un rôle mineur et alla jusqu’à poser la question de l’existence d’une “culture maçonnique” un siècle et demi après l’unification nationale et une longue tradition de laïcité libérale. »
24Et Mola de poser ensuite la question cruciale, sur laquelle nous reviendrons, celle du secret, ou si l’on veut de la discrétion :
« On se demande si la tendance à une action cachée, très prudente, n’a pas conduit à renoncer à prendre position publiquement sur les problèmes fondamentaux du pays. Pour ces mêmes raisons, on se demande de plus en plus si la Franc-maçonnerie a encore (ou n’a plus) une vraie fonction dans la société et dans son développement22. »
25Dans le même temps se pose de manière récurrente la question de l’opportunité de l’admission au sein des loges de candidats appartenant à la classe politique. Non point que leur présence ne soit pas souhaitée (elle ajoute au contraire au prestige de la loge qui les initie), qu’ils ne pourraient être, par nature, des hommes loyaux et probes, mais ce qui est mis en cause, ce sont plutôt d’une part les comportements électoralistes de certains qui portent ombrage à la sincérité d’une démarche initiatique soutenue par la fraternité et d’autre part les risques de compromission dans des affaires, néfastes pour l’image de la Maçonnerie dans son ensemble. Fred Zeller, ancien Grand Maître du Grand Orient de France, relate dans ses mémoires sa méfiance à l’égard des « vedettes politiques » entrées en loge :
« D’abord parce que certaines sont trop peu désintéressées pour s’appliquer vraiment à nos travaux ou pour respecter nos règles d’humilité et d’égalité. Ensuite parce que nous nous méfions de la réussite profane qui recouvre souvent une mentalité et des stratagèmes suspects […]. L’esprit de ceux qui font profession de politique nous incite à ne pas oublier que leur activité “professionnelle” est toujours inséparable du calcul et de l’opportunisme. Toujours prêts à voler au secours de la victoire, ils ne viennent (ou ne reviennent) qu’à une Maçonnerie triomphante et ainsi ils pensent qu’elle peut les aider23. »
26La France a toujours compté des ministres maçons, dans les gouvernements de gauche comme dans ceux de droite. Comme l’écrit Bernard Guillemain, « les ministres maçons sont nombreux et ne se reconnaissent guère que par une tendance humaniste […]. Au fond, un politicien maçon ne représente que son groupe et lui-même24 ». Exception : le Grand Orient de France interdit aujourd’hui la double appartenance à une loge de son ressort et à un parti d’extrême droite comme le Front national, ce qui est bien compréhensible au vu du caractère explicitement antimaçonnique de ce parti.
Entre universalisme et européanisation
27Dans l’Europe latine, les maçons ont toujours appelé de leurs vœux et soutenu l’émergence des régimes démocratiques, qu’ils soient présidentiel (comme en France), parlementaire (comme en Belgique, en Espagne ou en Italie) ou directorial (comme en Suisse). Confrontée, dans ces pays, à l’influence d’une Église catholique souvent majoritaire, la Maçonnerie se pose généralement en antidote du cléricalisme et rares sont les maçons qui militent dans des partis démocrates chrétiens. En revanche, la défense d’idéaux supérieurs, relevant du respect des Droits de l’homme, fait naître des alliances inattendues, pour tout dire sacrées, comme celle surgie à Paris en 1985, un « appel commun à la fraternité » signé par plusieurs obédiences maçonniques et par les instances officielles des religions du Livre. L’appel se concluait en ces termes :
« Ensemble, ils déclarent qu’il est urgent de :
- Affirmer le respect de l’autre ;
- Se solidariser avec les personnes et les minorités victimes de discrimination, leur reconnaître les mêmes droits à la justice, à la liberté et à l’égalité ;
- Vivre ensemble dans la tolérance des différences et l’enrichissement mutuel pour une société meilleure de laquelle les immigrés ne sauraient être exclus. »
28L’intérêt des maçons pour le politique déborde cependant les limites des territoires nationaux. Certes, l’internationalisme maçonnique (un avatar de l’universalisme des Lumières ?) a fait long feu, depuis la fondation de la Société des Nations, qui porte son empreinte25, jusqu’à la fondation, en 1961 du CLIPSAS (Centre de liaison et d’information des puissances maçonniques signataires de l’appel de Strasbourg), en passant par l’épisode de la création d’une Alliance maçonnique internationale, soldé par un échec en 1950, au terme de 31 années d’existence. Mais l’internationalisme continue de se vivre au jour le jour, par des frères et des sœurs soucieux de soutenir des projets en faveur de pays en voie de développement comme en faveur de pays de l’Est de l’ancien bloc communiste. Plus récemment, face à la perte d’influence des États souverains et à la montée des institutions supranationales, face à une mondialisation qui avance à grands pas, le constat pourrait être fait que les obédiences maçonniques semblent peiner à entrer de plain-pied dans ce grand flux de l’universalisme.
29La dernière tentative en date, dont on ne sait aujourd’hui si elle connaîtra un sort heureux, est la création à Mannheim, en 1995, du Forum REFORM (= Réformateurs de l’Europe Franc-maçonnique Organisation Réformatrice Maçonnique). Fondée par des frères allemands (rejoints par des Français et des Belges notamment), cette association vise à promouvoir une Maçonnerie libérale européenne en rassemblant maçons et maçonnes de toutes obédiences autour du manifeste de Mannheim (voir l’annexe). « Elle désire une réforme de la Maçonnerie, le renouveau de la société, le rapprochement des peuples, initier une tolérance entre les obédiences, unifier tous les maçons dans l’esprit de l’hymne européen “Que tous les hommes soient des frères”26. »
30Mais penser l’universalisme maçonnique, ou sa traduction dans les multiples tentatives d’internationalisation, ne peut avoir pour effet d’occulter ou de nier les particularismes nationaux. En particulier, l’analyse du rôle de la Franc-maçonnerie ou des francs-maçons dans le processus toujours en cours de la construction européenne permet de prendre la juste mesure des rapports entre replis nationaux et avancées internationales. L’imaginaire du politique lié à la réalisation d’une Europe unie et démocratique repose à vrai dire sur l’idée, consensuelle et utopiste, du partage de mêmes idéaux inspirés par le Vrai, le Beau et le Bien. Que les Droits de l’homme viennent fonder, en un discours rationnel, le contrat social et politique que se donne la jeune Europe institutionnelle ne peut être contesté. Que la question éthique fasse à nouveau irruption dans le monde maçonnique est un constat lourd de significations si l’on considère que « la question éthique, propre au rapport de chacun à soi-même, est inséparable de la question politique, qui touche aux rapports mutuels des hommes entre eux dans la société élargie27 ». L’idéal européen véhicule des images symboliques propres, lesquelles touchent autant les milieux maçonniques que les milieux politiques ou religieux par exemple28.
31La question qui se pose face à ces images : quel est leur efficacité symbolique dans le chef des maçons européens ? Quel accueil leur est-il réservé ? L’idée d’Europe suscite-t-elle enthousiasme, réserve ou indifférence ? Lors d’un colloque organisé en mars 1991 par le Centre de sociologie des religions de l’université de Strasbourg, et qui avait pour thème « Religions et transformations de l’Europe », les sociologues Gilbert Vincent et Jean-Paul Willaime relevaient la difficulté « à connaître mieux et à mieux mesurer l’influence de stratégies “de l’ombre” – du type de celles que met en œuvre l’Opus Dei – ou de logiques de la “discrétion”, comme celles auxquelles s’obligent maintes familles franc-maçonnes29. » Outre le fait qu’elle associait implicitement et rapidement Opus Dei et Franc-maçonnerie, dans le mariage de l’ombre et de la discrétion, cette question pointait un problème majeur, celui des instruments qui permettraient de mesurer l’influence de la Maçonnerie dans le contexte de la nouvelle Europe plurielle, celle des religions, mais aussi celle des laïcités.
32Précisément, dans une étude remarquable, le maçon Raymond Rifflet remarque que l’engagement européen de nombreux maçons a longtemps été freiné par « le mythe de l’Europe vaticane », en clair par
« […] les prétentions de l’Église de Rome et des partis politiques d’obédience chrétienne d’apparaître comme les principaux promoteurs de l’intégration, donnant ainsi l’impression de confondre, consciemment ou non, presque comme au Moyen Âge, le rayonnement de l’Europe et celui de l’Église, ou du moins de la civilisation chrétienne30. »
33On ajoutera que le drapeau européen, avec ses douze étoiles dorées sur fond bleu, a pu apparaître comme un surplus symbolique assez fort pour qui sait le décrypter, ajouté au caractère prétendument catholique de la fondation de la nouvelle Europe : l’étendard de Marie n’allait-il pas flotter à nouveau sur l’Ancien Continent, après une époque de chrétienté que l’on croyait à jamais révolue ? Mais, comme l’écrit G. Vincent,
« […] il y a bien sûr quelque chose de profondément ironique dans l’adoption du drapeau, en toute ignorance de cause, en décembre 1955 ; dans l’ignorance du fait de l’emprunt, par un modeste fonctionnaire du Conseil de l’Europe, du drapeau de la Vierge (qui est tel par référence à un texte de l’Apocalypse)31. »
34Question subsidiaire : serions-nous dès lors en présence d’un archétype ?
35Il reste que, comme l’a montré Edgar Morin32, l’Europe est pluriculturelle et est habitée depuis des siècles par les dialogues interculturels. On aurait tort de ne considérer que son seul héritage chrétien alors que plusieurs courants, dont celui de la sécularisation, l’ont façonnée. La communauté européenne tient en une mosaïque d’États dont les liens sont plus souvent régionaux qu’européens. Il a été montré à plusieurs reprises que de cette diversité culturelle33 émergent les contours d’une identité européenne économique, caractérisée principalement par des systèmes de protection sociale développés, un chômage important, des réglementations communes, etc.34.
36Pour sa part, R. Rifflet plaide pour une Europe de la tolérance, de la liberté de conscience, de l’égalité et de la fraternité, quand bien même ce plaidoyer serait peu ou prou marqué par l’européo-centrisme, par l’isolationnisme culturel, voire par une forme de colonialisme « dans la mesure où cette Europe se présente comme un modèle pour les autres parties du monde et les autres civilisations, considérées alors, implicitement au moins, comme inférieures ». La tâche que Rifflet assigne dès lors à la Franc-maçonnerie n’est rien moins que de contribuer à la création d’un nouvel ordre universel capable de dépasser l’européo-centrisme culturel et politique, pour autant qu’elle en soit capable35. L’Union européenne est pluraliste par nature, son modèle doit être celui de la démocratie et de la laïcité tolérante. La construction européenne dépasse les seules considérations économiques, elle est ou devrait être sous-tendue par un véritable projet culturel. D’où l’appel lancé à Luxembourg en mai 1990, signé par plusieurs obédiences maçonniques, qui témoigne de la prise de conscience européenne de la Maçonnerie.
37En définitive, nonobstant les réticences passées – que l’on suppose dépassées – dans le chef de certains maçons, convaincus naguère d’un complot catholico-européen ourdi par le Vatican, force est de constater que la Maçonnerie d’aujourd’hui s’affiche comme pro-européenne dans son ensemble, ou, si l’on veut, « européiste ». Phénomène d’autant plus compréhensible que, comme l’écrit Guy Coq, « le mouvement vers la laïcité est commun à l’ensemble de l’Europe, il se marque dans sa culture36 ». L’époque semble lointaine et révolue où, en 1959, un maçon français comme Jacques Mitterrand, qui fut Grand Maître du Grand Orient de France de 1962 à 1964 et de 1969 à 1971, écrivait :
« Les partis catholiques sont au pouvoir et rejoignent, dans leurs visées politiques européennes, ceux qui s’y sont maintenus dans les pays fascistes survivant à la tempête […]. Il ne s’agit plus d’une rue des Prêtres remontant de Trieste à Hamburg, en passant par Vienne, c’est tout le Saint-Empire qui peut renaître sous l’Europe vaticane, sans présenter le danger de l’Empereur tenant tête au Pape37 ! »
38Mais il est vrai que le même Mitterrand se plaisait à attiser les conflits entre l’Église catholique et la Franc-maçonnerie et qu’il devait, une quinzaine d’années plus tard, récidiver en publiant La politique des francs-maçons, entreprise apologétique au terme de laquelle le lecteur devait se convaincre que « la philosophie et l’action de la démocratie coïncident avec la philosophie et l’action de la Franc-maçonnerie » tandis que « l’Église préconise naturellement la soumission aux volontés de Dieu et, puisque la société, même injuste, est l’œuvre de Dieu, il faut l’accepter, il faut se résigner38 ».
39Il vaut la peine de se pencher, à titre d’exemple, sur le rôle qu’une obédience à caractère international comme l’Ordre maçonnique mixte international le Droit Humain, né à la fin du xixe siècle, a pu jouer dans le développement de l’idée européenne. Lucette Schouters-Decroly note avec justesse que le seul caractère international de cette obédience peut « jouer un rôle dans l’amélioration des relations internationales même si celui-ci reste discret et lié à l’influence des personnes dans la sphère d’action qui leur est propre39 ». Il reste que, tous les sept ans, se réunissent à Paris les représentants de toutes les loges de l’obédience venus de près de 40 pays des cinq continents, dont 17 pays européens. Et il est patent de constater que le Droit Humain s’est toujours singularisé par une tradition de pacifisme, jusqu’à compter en son sein le sénateur belge Henri-Marie Lafontaine40 (1854-1934), prix Nobel de la paix en 1913. Certes, le Droit Humain n’a pas le monopole du pacifisme : d’autres pacifistes furent francs-maçons, fréquentant des loges d’autres obédiences41. Au vrai, le Droit Humain, par le mode de fonctionnement interne qui est le sien, favorise à sa manière et à son échelle l’intégration européenne en véhiculant les idéaux de paix, de tolérance et de fraternité entre les peuples. Le féminisme que cette obédience met en avant et pratique s’inscrit dans la nébuleuse laïque et progressiste des Maçonneries libérales42. Évidemment, le Droit Humain a bénéficié des revendications politiques des femmes en général plus qu’il n’a concouru à les faire aboutir : en 1918, les femmes de trente ans et plus obtiennent le droit de vote en Grande-Bretagne, alors que le suffrage masculin est universel, l’année suivante le suffrage est universel pour les deux sexes en Allemagne, en 1920 les femmes peuvent voter aux États-Unis, en 1931 en Espagne, puis en 1946 en France, sans que les obédiences mixtes ou même féminines aient pesé d’un poids déterminant dans ce processus revendicatif43. Et quel aurait pu être leur poids au demeurant, au vu des effectifs minoritaires de la Maçonnerie par rapport à la population d’un pays, plus encore de la Maçonnerie féminine et mixte, sous-représentée par rapport à la Maçonnerie masculine et dans la classe dirigeante politique ?
40La question qui se pose aujourd’hui est de savoir si l’élaboration progressive d’une citoyenneté européenne et l’édification d’une Europe transnationale sont de nature à provoquer, en retour, le renforcement de sentiments identitaires nationaux, comme cela semble se produire, y compris en Franc-maçonnerie, ou si au contraire elles permettront l’émergence d’une conscience politique plus large, grâce à l’insertion de l’individu-citoyen et du maçon dans une communauté marquée par une conception universaliste du devoir moral. La réflexion doit être menée qui fera le départ entre le choix d’une appartenance maçonnique, avec toutes les limites politiques, idéologiques et culturelles qu’elle suppose, et la capacité d’inclusion de la société maçonnique dans l’entité européenne, pour ne parler que de celle-là. En d’autres termes, si la koinonia d’Aristote se construit chaque jour devant nos yeux sous la forme d’une communauté européenne, il reste à évaluer comment les francs-maçons peuvent servir l’intérêt commun d’une nouvelle communauté politique sans qu’ils ne restreignent leurs engagements aux seuls enjeux nationaux de leur pays. La tentation est d’autant plus grande d’un repli sur les débats nationaux que chaque pays qui compose l’Europe présente une interaction propre et spécifique entre le politique et le religieux. Inéluctablement, la manière de concevoir le vivre-ensemble s’en ressent. Il n’est pas indifférent, en effet, pour un maçon européen, de vivre dans un pays monoconfessionnel, biconfessionnel. De ou pluriconfessionnel cela vont dépendre pour une part les thèmes de réflexion des loges et des obédiences, les engagements du maçon, sa façon de concevoir le religieux et son attitude devant les Églises, le clergé, etc.
Une dimension « économique » ?
41Et pourquoi un voile pudique devrait-il être jeté sur cet autre aspect de l’engagement international des maçons que sont les relations d’affaires, qui ne constituent certes pas la raison d’être de la société maçonnique mais qui ne peuvent être passées sous silence ? Ouvrons donc une courte parenthèse sur la dimension économique des associations maçonniques. Venues d’Angleterre et d’Écosse, les premières loges du xviiie siècle avaient été importées sur le continent européen notamment par des négociants. Ce sont déjà les échanges commerciaux qui avaient favorisé, à partir de la Grande-Bretagne, la diffusion de la société maçonnique sur le Vieux Continent, dans les colonies et au-delà.
« L’expansion de la Maçonnerie, écrit François Thual, se fera sur les rails du commerce international et les réseaux que fréquentent les milieux influents et dirigeants de la société de l’époque. Pour longtemps encore, l’impulsion de la Maçonnerie dans le monde puisera son dynamisme dans l’essor britannique, parti à la conquête du monde44. »
42Partant, des recherches devraient être menées dans cette direction, pour mieux appréhender l’émergence du politique et de l’économique dans les sphères maçonniques, savoir : si les lois et les déterminismes économiques suscitent toujours des symboliques d’organisation et de gestion45, il est permis de penser que des traces en sont perceptibles dans la Franc-maçonnerie. Il faudrait explorer ici l’incidence de certaines pratiques (le recrutement, les cotisations, l’entraide, la philanthropie, etc.) sur la symbolique mise en œuvre à travers l’organisation des ateliers, leurs rituels, leurs règlements. On découvrirait sans doute, en retour, que l’apparat archaïsant du corpus symbolique de la société maçonnique produit des effets indirects sur le mixte du politique et de l’économique constitutif de toute société. Peut-on raisonnablement penser, par exemple, que la tripartition du développement initiatique en phases successives (apprenti, compagnon, maître) serait totalement inintelligible et inopérante dès que l’on sortirait des considérations classiques sur les « trois premiers degrés », empreintes de psychologisme ou de spiritualité ? Cette taxinomie doit bien influer, d’une manière ou d’une autre, sur le croisement du politique et de l’économique. Un lexicographe averti débusquerait peut-être une évolution des mots apprenti, compagnon et maître dans le contexte qui est celui de la Franc-maçonnerie pour qu’un historien s’en empare et puisse retracer les signes d’une évolution des mentalités.
43Pour le surplus, relations d’affaires et contacts commerciaux se trouvent parfois favorisés par l’appartenance maçonnique commune des interlocuteurs, en sorte que la Maçonnerie peut elle aussi, dans une certaine mesure, jouer un rôle comparable à celui d’un club comme le Lion’s, le Rotary ou le Kiwanis, mais davantage encore à une échelle internationale où les maçons « réguliers », les plus nombreux au monde et les mieux représentés sur les cinq continents, ont la possibilité de nouer assez facilement des liens économiques.
44Société philadelphique et philanthropique à la fois, la Franc-maçonnerie développe une entraide interne réelle et une solidarité à relents caritatifs externe. Ainsi, tantôt l’altruisme a sa face cachée, tantôt il s’expose et s’affiche au grand jour, manifestant le caractère surérogatoire d’une fraternité que l’on imagine à tort recroquevillée dans les limites d’un cercle restreint d’initiés. Inimaginable dans l’Europe latine, l’existence d’un masonic hospital au beau milieu d’une ville n’étonne guère dans les pays anglo-saxons. Mais le versant ostensiblement caritatif de la Maçonnerie anglaise, qui la confine dans l’image surannée d’un club de gentlemen, laisse voir une autre facette par laquelle elle se distingue fondamentalement de la Maçonnerie continentale : c’est qu’elle n’est que très peu une société de pensée, encore moins un laboratoire où se forgent les nouveaux projets sociétaux. Le constat de Pierre Noël, excellent connaisseur de la Maçonnerie d’outre-manche, le confirme :
« La Franc-maçonnerie anglaise n’a jamais joué de rôle politique comparable à celui attribué à ses homologues continentales qui lui doivent une grande part de leur notoriété. Rien d’étonnant à cela ! L’absence d’un projet de société, bâti sur la philosophie du siècle des Lumières ou sur tout autre système, l’absence surtout de l’opposition d’une puissance hostile telle l’Église catholique, lui ont épargné de devoir s’engager dans les luttes du Forum ou encore de se voir investie par des militants qui y auraient trouvé un refuge où préparer leur action. L’apolitisme de la Franc-maçonnerie anglaise est le fait des circonstances et de l’adéquation de son message aux aspirations des classes dirigeantes des siècles passés46. »
45Symptomatique à cet égard le fait que les conservateurs voient plutôt d’un bon œil la Maçonnerie de leur pays tandis que les travaillistes y sont souvent hostiles…
Pour conclure : le secret comme culture politique de la Franc-maçonnerie ?
46Dans son Dictionnaire des idées reçues, ouvrage posthume publié en 1911 et écrit vers 1847, Gustave Flaubert introduisait une entrée « Franc-maçonnerie », condensé de tous les clichés qui couraient à l’époque dans les milieux bourgeois et dont on n’oserait pas dire aujourd’hui qu’ils sont totalement obsolètes : « Encore une des causes de la Révolution ! Les épreuves de l’initiation sont terribles. Cause de dispute dans les ménages. Mal vue des ecclésiastiques. Quel peut bien être son secret47 ? »
47Au-delà de son aspect anecdotique et des enjeux qu’elle contient, cette définition plurielle pose la question préjudicielle du secret ; la réalité maçonnique bute à tout moment sur cette notion. Quel peut bien être le secret de la Franc-maçonnerie, sinon celui que partagent ses membres ? Secret d’appartenance, secret des initiations, secret des débats internes, voile posé sur une expérience intime et intérieure, indicible et intransmissible parce que profondément existentielle. Las, le profane ne peut se satisfaire de ces réponses et le questionnement de Flaubert revient en force, porté par trois siècles d’incompréhension, soutenu par les interdictions politiques et religieuses qui émaillent l’histoire d’une institution dont les membres ne souhaitent rien d’autre que se retrouver dans un havre de paix, un empyrée politique où se retrancher des passions et des aléas des mêlées de la politique. Se donner les moyens de penser en toute liberté, en acheminant progressivement la libre pensée, trop marquée par une époque, trop catégorielle, vers la pensée libre, affranchie de tous les dogmatismes, y compris celui de l’adogmatisme ou de l’antidogmatisme, tel est le vœu formulé par nombre de maçons européens. La Franc-maçonnerie, qui n’est ni une société clandestine, ni une société secrète – mais plutôt une société à secrets – cultive la discrétion. Ce goût pour la réserve est-il compatible avec la transparence d’apparence qu’affichent volontiers nos sociétés démocratiques occidentales lorsqu’on suit Pierre Nora pour lequel « toute la société contemporaine est une société secrète » et « la modernité n’en finira jamais de sécréter du secret »48 ? John Saul a pour sa part consacré des pages lumineuses à la place du secret dans nos démocraties occidentales. Une de ses thèses : « Notre civilisation ne cesse de vanter l’inviolabilité de la liberté de parole, mais elle opère comme si elle s’en méfiait plus que de toute autre chose. Ce penchant pour l’occulte a joué un rôle essentiel dans la déformation de la démocratie49. »
48On se souvient que la coalition du pouvoir et du secret était particulièrement patente dans la Maçonnerie du Grand Orient de France sous la Troisième République. Ainsi que l’a relevé l’historien Pierre Nora, le paradoxe vient de ce que cette société secrète se donne alors comme « avant-garde de la modernité », comme fer de lance de la démocratie, alors même qu’elle s’enfonce dans le secret. Pourquoi ? Nora l’explique et sans doute peut-on se rallier à cet essai de compréhension : « Tout se passe comme si ces micro-sociétés, marginales et périphériques, dressées contre la société globale, séparées d’elle par le mur du secret, incarnaient cependant en concentré la vérité de cette société tout entière50. »
49Si nos contemporains sont souvent heurtés par l’existence de secrets qu’ils ne sont pas admis à partager et sur lesquels ils brodent, encouragés qu’ils sont à soupçonner d’emblée le pire, c’est que nos sociétés fonctionnent comme des modèles où d’une part le jeu de la démocratie impose que toutes les cartes soient dévoilées et abattues sur table et d’autre part que des parts d’ombre subsistent pour empêcher des confrontations trop violentes et trop irréductibles. En sous-main, chacun en est convaincu, se déroulent les jeux d’influence, les compromis occultes, les rencontres informelles jusqu’à ce qu’un jour la vérité éclate au grand jour, à la faveur d’enquêtes judiciaires ou journalistiques. L’ambivalence de nos démocraties réside dans ce perpétuel hiatus entre des discours publics marqués au coin de la lumière et des comportements entachés de zones d’ombre.
50Or, ce que la Franc-maçonnerie donne à voir, c’est tantôt une absence de discours public, tantôt un discours que, le cas échéant, des pratiques viendraient mettre à mal. Mais là ne réside pas l’ambiguïté principale. Elle viendrait plutôt, de l’aveu même des maçons, de l’impossibilité pour une obédience de se trouver un porte-parole susceptible de parler au nom de tous les frères de l’obédience. Qui pourrait au demeurant prétendre exprimer le point de vue de milliers de frères ou de sœurs quand il n’y a point d’unanimité ou que celle-ci, en certaines matières, ne peut être supposée ?
51Il faut bien comprendre, dès lors, le danger intrinsèque que le mutisme recèle lorsque des maçons qui ne font pas mystère de leur appartenance sont amenés à prendre publiquement position sur des sujets d’actualité, lorsque ces maçons sont des hommes publics, des politiciens, des écrivains, des philosophes dont la parole fait autorité dans leur domaine et qui, le cas échéant, sont rompus aux techniques de la communication médiatique : le risque vient alors que leur discours soit, pour le public profane, assimilé au discours de tous les autres maçons et de « la Franc-maçonnerie ».
52Par ailleurs, le mutisme de l’institution maçonnique pourrait, en bien des circonstances, apparaître sinon comme une approbation du moins comme une molle indifférence devant les grands problèmes sociétaux, les injustices, toutes les dérives qu’il convient de dénoncer lorsque l’on adhère aux valeurs d’un humanisme laïque.
53Si donc l’extériorisation de la Franc-maçonnerie peut apparaître comme une réponse à la question de la discrétion, et partant devenir un rempart potentiel contre l’antimaçonnisme51, les modalités d’une ouverture accrue sur le monde « profane » demeurent difficiles à mettre en place. Subséquemment, on passe du registre de l’extériorisation au domaine de l’intériorisation. Le maçon Casanova fut un des premiers, au xviiie siècle, à mettre en évidence le caractère inviolable et intransmissible du secret de la Franc-maçonnerie parce qu’il est de l’ordre d’une expérience intime, incommunicable par nature. Plus tard, au début du xxe siècle, le sociologue allemand G. Simmel52 étudia les formes et les fonctions du secret dans les sociétés dites secrètes, y compris dans la Franc-maçonnerie, explorant les liens entre secret et socialisation, les notions de séparation, d’inclusion et d’exclusion, d’égoïsme de groupe, etc. Ainsi, le secret inclut dans une même communauté ceux qui le partagent et exclut les autres, les profanes, ceux qui se tiennent à l’entrée du temple sans pouvoir y entrer53. On peut s’accorder ici avec Yves-Henri Bonello pour qui « à l’intérieur, il [le secret] produit une zone de transparence dans laquelle il appartient à tous ses membres ; pour ceux qui sont à l’extérieur, il constitue un obstacle54 ». Un obstacle, l’obstacle majeur sans doute qui empêche de penser qu’une culture politique du secret n’est pas l’apanage de la Franc-maçonnerie…
Annexe
Le Manifeste de Manheim
54« Tous les hommes sont nés libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont dotés de raison et de conscience et devraient se rencontrer dans un esprit de fraternité ». Déclaration des droits de l’homme – Nations Unies, 1948.
55Conscients que les innombrables francs-maçons de cette planète multiculturelle sont membres de différentes obédiences maçonniques,
56Considérant qu’un franc-maçon ne peut pas divulguer la doctrine ou les règles de son obédience à un membre d’une autre obédience,
57Convaincus que tous les francs-maçons – malgré les différences entre les obédiences autonomes – ont toujours été des frères et le seront toujours,
58Assurés que tous les francs-maçons ont le droit de chercher l’obédience maçonnique qui leur convient le plus,
59Convaincus de l’idée que la concurrence pacifique entre les doctrines maçonniques ne peut être obtenue que par un droit illimité de visiter les obédiences autres que la sienne,
60Moralement convaincus que la règle biblique de l’hospitalité dans la vie de tous les jours doit s’appliquer davantage encore dans les relations maçonniques,
61Certains que les principes universels de fraternité des Nations Unies mentionnés ci-dessus doivent s’appliquer aux francs-maçons,
62Etant tous les jours témoins de la tolérance croissante avec laquelle les églises chrétiennes ouvrent leurs temples à d’autres croyances chrétiennes,
63Vivant avec l’expérience qu’en Europe les droits constitutionnels du citoyen individuel ont de plus en plus d’influence sur le droit civil concernant les associations et les clubs ;
64Persuadés que nous sommes aussi les porte-parole des francs-maçons féminins, qui ne sont pas admises à nos tenues,
65Nous les soussignés, déclarons que toutes les limites imposées aux francs-maçons pour leur interdire la visite de loges d’autres obédiences sont incompatibles avec :
66Les lois bibliques
67En particulier avec les instructions de Jahweh (3.Moïse 19,33 f), avec la doctrine de Moïse (5.Moïse 24,17 f), avec les verdicts des Juges (Juges 19, 20-23) et avec les exhortations de Job (Job 31-32) ;
68La dignité humaine
69En particulier avec les réalisations socio-historiques de l’humanisme, avec les valeurs et les normes chrétiennes et celles du siècle des Lumières, et avec leur traduction dans la Constitution de l’Allemagne en son article 1.
70Le droit du citoyen à l’autodétermination informelle ayant été confirmé par un verdict de la Cour Constitutionnelle d’Allemagne en date du 15 décembre 1983, renvoyant au principe par lequel les droits constitutionnels ont une influence sur le droit civil (ce qui, à son tour, renvoie à la vie de la communauté des francs-maçons) ;
71Les droits de l’Homme
72Et en particulier avec la Déclaration des Droits de l’Homme des Nations Unies de 1948.
73Art. 1 (tous les hommes sont égaux en dignité et se rencontrent dans un esprit de fraternité).
74Art. 18 (sur la liberté de conscience et la liberté de religion).
75Art. 19 (sur le droit de collecter et de distribuer de l’information).
76Art. 20 (sur le droit d’association et de réunion paisible).
77Art. 27 (sur le droit de participation à la vie culturelle de la communauté).
78Art. 30 (sur l’interdiction des lois par lesquelles les droits mentionnés sont limités).
79Nous les soussignés, nous soumettons dès à présent à ces règles et estimons qu’elles ont priorité sur tout autre règlement administratif ou législatif établi par des organisations humaines et leurs représentants.
80Mannheim, le 25 novembre 1995.
Notes de bas de page
1 L’éthique deviendrait-elle la manière moderne, pudique et élégante de désigner la morale, trop encombrante et trop rigide ?
2 Il s’agit des loges dites « régulières », dont les obédiences sont « reconnues » par la Grande Loge Unie d’Angleterre. À titre d’exemple, on peut citer l’article 9 des Statuts généraux du Rite Écossais Ancien et Accepté sous l’obédience du Suprême Conseil pour la Belgique (1980) qui dit : « Il est interdit aux Corps et Ateliers du Rite toute action politique directe ou indirecte concernant soit le pays, soit les pays étrangers. Il n’est admis ni discussion, ni vote au sujet des opinions religieuses, politiques, philosophiques ou sociales des membres de l’Ordre. »
3 «Mais, ce qu’il convient de faire ressortir avec force, c’est qu’il [l’Ordre maçonnique] fut le premier à avoir mis en pratique le droit d’association et de réunion, en dehors de toute permission légale et d’avoir ainsi anticipé sur les dispositions en la matière, dont on rappelle qu’elles ne font partie de notre droit public que depuis la Troisième République. » P. Chevallier, « La Franc-maçonnerie et les pouvoirs », J. Coutura (dir.), La Franc-maçonnerie. Catalogue de l’exposition de Bordeaux. 11 juin- 16 octobre 1994, Bordeaux et Paris, musée d’Aquitaine et Dervy, 1994, p. 52.
4 M. Noirret, « Être de gauche, franc-maçon et libertaire », Cahiers marxistes, n° 193, Bruxelles, 1994, p. 89.
5 Dans Du nomadisme, vagabondages initiatiques, Paris, Le Livre de Poche, 1997, coll. « Biblio-Essais », n° 4255, Michel Maffesoli rend compte d’une époque où le flou règne en maître, où les repères traditionnels s’effacent et où les sociétés sont prises dans un mouvement de permanente transformation. Il montre aussi qu’à un morcellement croissant des sociétés correspond une autonomie renforcée de l’individu, qui n’est plus enfermé dans des rôles sociaux prédéfinis.
6 Pour le xixe siècle français, consulter la somme d’André Combes, Histoire de la Franc-maçonnerie au xixe siècle, t. 1, Monaco, Rocher, 1998.
7 Cité par P. Chevallier, Histoire de la Franc-maçonnerie française, t. 3, Paris, Fayard, 1975, p. 324.
8 Pierre Simon, ancien Grand Maître de la Grande Loge de France, relate le rôle des maçons, et le sien propre, dans l’offensive bioéthique que connut la France dès les années 1950, et jusqu’à nos jours, in La Franc-maçonnerie, Paris, Flammarion, 1997, coll. « Dominos ».
9 H. Caillavet, « Existe-t-il un pouvoir maçonnique ? », Panoramiques, n° 20, 1995, p. 149-152.
10 Voir à titre d’exemple le témoignage de Robert Joly, « Combats laïques et Maçonnerie : quelle complémentarité ? », Cahiers marxistes, n° 193, Bruxelles, 1994, p. 47-58.
11 L’expression est de F. Thual, Géopolitique de la Franc-maçonnerie, Paris, Dunod, 1994, p. 127.
12 H. Hasquin, « Franc-maçonnerie et politique. À propos du fantasme du complot judéo-maçonnique », J. Lemaire (éd.), Chrétiens et francs-maçons dialoguent = La Pensée et les Hommes, n° 23, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 1993, p. 17.
13 A. Mola, « Franc-maçonnerie et laïcisation de la vie publique (Italie, France, Belgique) », A. Dierkens (éd.), Pluralisme religieux et laïcités dans l’Union européenne, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 1994, coll. « Problèmes d’histoire des religions », t. 5, p. 49. C’est sans doute vrai pour la France et l’Italie, cela l’est moins, nous semble-t-il, pour la Belgique.
14 M. Godard, « Être de gauche et maçon ? », Cahiers marxistes, n° 193, Bruxelles, 1994, p. 8.
15 Dans un livre magistral, Jacqueline Lalouette vient de retracer l’histoire de la libre pensée en France sous la Troisième République. D’où il ressort que les libres penseurs, qui étaient de gauche ou d’extrême gauche, parfois francs-maçons, ont exercé une grande influence politique, dans le sens d’un combat pour la laïcité de l’espace public, pour le progrès et pour la diffusion des sciences. En réalité, les idéaux qu’ils défendaient n’étaient pas différents de ceux d’une frange majoritaire de la Maçonnerie de l’époque. Voir J. Lalouette, La libre pensée en France. 1848-1940, Paris, A.Michel, 1997, coll. « Bibliothèque Albin Michel Histoire ».
16 Des auteurs comme F. Vecchini, C. Lottieri, E. Albertoni et B. Valade en France contribuent à redécouvrir l’oeuvre et la pensée du politologue et sociologue italien G. Mosca (1859-1941), tombé dans l’oubli, auteur d’une Storia delle Dottrine Politiche (1936), trad. franç. : Histoire des doctrines politiques depuis l’Antiquité à nos jours, Paris, Payot, 1937.
17 Voir Léo Campion, Le drapeau noir, l’équerre et le compas, Evry-Bruxelles, 1996, dans lequel l’auteur, avec l’humour qu’on lui connaît, trace le portrait de nombreux francs-maçons anarchistes, célèbres ou moins célèbres, tels Proudhon, Bakounine, Vallès, Clément, etc.
18 Voir l’article semi-biographique de Paul Van Praag, « Communiste et franc-maçon (au royaume de Belgique) », Cahiers marxistes, n° 193, Bruxelles, 1994, p. 107-116.
19 C’est le titre d’une plaquette de 50 pages, « réservée aux membres de l’ordre », éditée à Bruxelles par le Cercle Bartholdi en octobre 5996 (= 1996).
20 Sur cette affaire, toute la lumière n’a pas encore été faite. Cf. A. Mola, Storia della Massoneria italiana dalle origini ai nostri giorni, Milan, Bompiani, 1992.
21 E. Jozsef, « Italie : entre laïcité et culture chrétienne », Cahiers d’Europe, n° 1, Paris-Bruxelles, Félin et Luc Pire, 1996, p. 110.
22 A. Mola, « Franc-maçonnerie et laïcisation de la vie publique… », op. cit., p. 52.
23 F. Zeller, Trois points c’est tout, Paris, Robert Laffont, 1976, coll. « Vécu », p. 444-445.
24 B. Guillemain, « La Franc-maçonnerie depuis 1945 », Universalia 1994, Paris, Encyclopaedia Universalis, 1994, p. 126.
25 Voir à ce sujet l’étude de J. A. Ferrer Benimeli, « Masoneria y Pacifismo : La Sociedad de Naciones », La masoneria y su impacto internacional, Université Complutense de Madrid, 1989, p. 51-71. Notons qu’en France, il faut attendre le Second Empire pour voir se développer un véritable pacifisme maçonnique, « en réaction à l’alliance entre le sabre et le goupillon » (André Combes).
26 F. Langenaken, « Forum R.E.F.O.R.M. », Logos. Périodique du Grand Orient de Belgique, n° 1, novembre et décembre 5997 (= 1997), p. 23.
27 J.-J. Wunenburger, Philosophie des images, Paris, Presses Universitaires de France, 1997, coll. « Thémis Philosophie », p. 276.
28 Carole Lager, dans L’Europe en quête de ses symboles, Berne-Berlin-Frankfurt-New York-Paris- Vienne, Peter Lang, 1995, analyse le rôle des symboles dans le processus de légitimation et de socialisation politique de l’Union européenne. Comment cette symbolique, somme toute assez peu développée aujourd’hui (l’écu, le drapeau, l’hymne…), évoluera-t-elle dans ses rapports avec la montée d’une identité européenne ? L’ouvrage de C. Lager engage une réflexion stimulante sur ces questions.
29 G. Vincent et J.-P. Willaime (dir.), avant-propos à Religions et transformations de l’Europe,Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 1993, p. 13.
30 R. Rifflet, « Le rôle de la Franc-maçonnerie et des francs-maçons dans le développement de l’idée européenne », J. Lemaire (éd.), La Franc-maçonnerie et l’Europe = La Pensée et les Hommes, n° 19, Bruxelles, Éditions de l’université de Bruxelles, 1992, p. 14.
31 G. Vincent, « Instances européennes et légitimations métasociales », G. Vincent et J.-P.Willaime (dir.), Religions et transformations de l’Europe, op. cit., p. 80.
32 E. Morin, Penser l’Europe, Paris, Gallimard, 1987.
33 Un livre pose la question du risque de l’arasement culturel du Vieux Continent en face de son unification économique et politique. Si les singularités régionales et historiques subsistent et se développent, c’est en créant de nouvelles formes d’identité. Cf. V. Scardigli, L’Europe de la diversité. La dynamique des identités régionales, Paris, CNRS Éditions, 1992.
34 Voir l’ouvrage collectif dirigé par J.-P. Fitoussi, Entre convergences et intérêts nationaux : l’Europe, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1993, coll. « Références ».
35 Rifflet note en effet avec réalisme : « La diversité parfois hargneuse des diverses obédiences nationales et “idéologiques” ne fait-elle pas bien mal augurer, dans ce dernier cas, de la capacité de la Maçonnerie dans son ensemble à incarner ce nouvel universalisme ? », op. cit., p. 13.
36 G. Coq, « Laïcité à la française : repoussoir ou modèle ? », Cahiers d’Europe, p. 45.
37 J. Mitterrand, La politique extérieure du Vatican, Paris, Dervy-Livres, 1959, p. 108-109.
38 J. Mitterrand, La politique des francs-maçons, Paris, Roblot, 1976, p. 110 et 113. Ouvrages au ton délibérément polémique, ces deux livres de propagande amuseraient plus qu’ils n’étonneraient l’historien ou le sociologue s’ils ne présentaient, ad libitum, de lourdes et maladroites démonstrations d’un manichéisme pour le moins archaïque. Au total, ils finissent par saper les fondements du plaidoyer de leur auteur, constituant un contre-exemple parfait d’une approche critique et libre-exaministe.
39 L. Schouters-Decroly, « Par-delà l’Europe, une Maçonnerie de l’universel », J. Lemaire (éd.), La Franc-maçonnerie et l’Europe = La Pensée et les Hommes, n° 19, op. cit., p. 129.
40 Voir l’étude de Marinette Bruwier, « Henri La Fontaine, franc-maçon, internationaliste et pacifiste
», A. Despy-Meyer et H. Hasquin (éd.), Libre pensée et pensée libre. Combats et débats, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 1996, p. 87-99.
41 Citons le Français Léon Bourgeois, prix Nobel de la paix en 1920, le Suisse Elie Ducommun, prix Nobel de la paix en 1902, et d’autres prix Nobel comme Alfred Fried, Charles Richet, Théodore Roosevelt, Gustav Stressemann. Voir J. A. Ferrer Benimeli, M. A. de Paz Sanchez, Masoneria y pacifismo en la Espana contemporanea, Saragosse, Presses Universitaires de Saragosse, 1991, livre qui, en maints endroits, dépasse le cadre historique propre à l’Espagne étant donné le caractère international de cette problématique.
42 Voir J. Gotovitch, « Femmes pour la paix : une nébuleuse laïque », Cahiers marxistes, n° 193, Bruxelles, 1994, p. 29-37.
43 On lira à ce sujet le livre de Michèle Riot-Sarcey, La Démocratie à l’épreuve des femmes, Paris, A. Michel, 1994.
44 F. Thual, op. cit., p. 29.
45 Comme l’a montré le livre de René Heyer, Économie et symbolique, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 1994.
46 P. Noël, « La Franc-maçonnerie anglaise dans la société contemporaine », A. Dierkens (éd.), Pluralisme religieux et laïcités dans l’union européenne, op. cit., p. 145.
47 G. Flaubert, Dictionnaire des idées reçues, rééd. Paris, Mille et une nuits, 1994, p. 43.
48 P. Nora, « Simmel : le mot de passe », Nouvelle Revue de Psychanalyse, Paris, Gallimard, 1976, n° 14, p. 308-309.
49 J. Saul, Les bâtards de Voltaire. La dictature de la raison en Occident, traduit de l’anglais par S. Boulongne, Paris, Payot et Rivages, 1993, coll. « Essais Payot », p. 300.
50 P. Nora, « Simmel : le mot de passe », op. cit., p. 307.
51 Mais ne viendra-t-on jamais à bout de cet antimaçonnisme récurrent et si divers, au vu du caractère mythique de la Franc-maçonnerie, qui opère comme un fantasme pour ceux qui n’en font pas partie ?
52 G. Simmel, « La société secrète », traduit de l’allemand par Catherine Doucet, dans Nouvelle Revue de Psychanalyse, Paris, Gallimard, 1976, n° 14, p. 281-305. Voir sur ce sujet notre ouvrage Symboles et symbolisme dans la Franc-maçonnerie. T. 2 : Phénoménologie et herméneutique, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 1997, p. 159-173.
53 Étymologiquement, le profane est en effet celui qui se tient devant (pro) le temple (fanum).
54 Y.-H. Bonello, Le secret, Paris, Presses Universitaires de France, 1998, coll. « Que sais-je ? », n° 3244, p. 32.
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