Chapitre VIII. Rupture avec les libéraux : 1964, l’été du mécontentement
p. 201-224
Texte intégral
Bob Moses et le Delta du Mississippi
1Robert Moses (1935-2021), né à Harlem, est l’auteur de Radical Equations, coécrit avec Charles E. Cobb (1943-)1. Moses, jeune enseignant en mathématiques dans une école du Bronx en 1958, cherche à discuter avec Martin Luther King et se rend à Atlanta durant l’été 1960. Il y rencontre tout d’abord Ella Baker, dans le bureau de la SCLC, qui le convainc de s’impliquer plutôt dans le SNCC, qui vient de naître, et de parcourir le Sud durant l’été qui vient afin de donner une réalité à ce projet. Le second auteur, Charles Cobb (1943-), est en 1961 étudiant à l’université Howard à Washington, où il rejoint le NAG, un groupe qui bientôt s’affilie au SNCC. En 1962, Charles Cobb retrouve Robert Moses dans le Mississippi et milite à ses côtés jusqu’en 1967.
2David Dennis (1940-) a écrit la préface. Il était responsable du CORE dans le Mississippi et a coprésidé avec Robert Moses le Council of Federated Organizations (COFO), qui fédérait les organisations locales de la NAACP, de la SCLC, du CORE et du SNCC. Il décrit comment le projet du livre est né, au moins en partie en réponse au film d’Allan Parker en 1988, Mississippi Burning2. Ce film propose en effet une vision caricaturale des Africains-Américains du Sud comme complètement passifs politiquement, et finalement secourus par les agents blancs du FBI. Le succès du film a conduit différents « vétérans du mouvement » à se réunir, pour tenter d’y répliquer : « Nous étions tous motivés par le besoin de nous saisir de l’histoire du mouvement3. » Cela conduira David Dennis à participer au film Freedom Song, une fiction autour des militants du SNCC et du CORE en Louisiane4. Robert Moses réagit lui avec cette autobiographie, dont l’objet principal est de soutenir son association, Algebra Project, un programme de soutien à l’enseignement des mathématiques aux jeunes, projet qu’il a initié en 1981 à son retour de Tanzanie : « Les jeunes sont les métayers d’aujourd’hui5. » Enseignant, il constate que la plupart de ses élèves ignorent totalement ce qu’était la réalité du mouvement des années 1960 car « Nos histoires et notre parole sont largement absentes du récit historique dominant6. » Selon lui le grand échec du mouvement est de ne pas avoir réussi à transmettre cette histoire. Comme beaucoup d’autres, c’est le constat de cette nouvelle dépossession de leur histoire qui l’amène à témoigner.
3La première partie du texte de Bob Moses est consacrée au récit des années passées dans le Mississippi. Il met l’accent sur les racines radicales du mouvement et le rôle central qu’Ella Baker a joué pour leur transmettre « l’ancienne tradition, souvent ignorée, du community-organizing7 ». Cette forme de militantisme a été théorisée par Saul Alinsky (1909-1972), d’après ses expériences dans les quartiers industriels de Chicago dans les années 1930, comme une forme de « syndicalisme de quartier ». Cependant elle ne correspond pas exactement ce que le SNCC développe dans les communautés rurales du Mississippi, car son action est moins formalisée et repose d’abord sur l’activité d’une organisation qui agit à l’échelle nationale8.
4Le récit de Robert Moses fait apparaître des acteurs peu connus qui formaient un réseau militant préexistant à l’arrivée des jeunes du SNCC. Il faut évoquer par exemple C. C. Bryant (1917-2017), employé de la compagnie du chemin de fer d’Illinois qui préside la NAACP à McComb, dans le Pyke County, et son ami Webb Owens, un retraité des chemins de fer. Tous deux introduisent Moses auprès de la communauté de McComb, et lui présentent des lycéens qui cherchent à agir. Amzie Moore et Mr Bates sont tous deux gérants de station-service, tandis que Mrs Aylene « Mama » Quinn (1920-2001), de la NAACP, est propriétaire d’un restaurant – sa discrétion n’empêche pas que sa maison soit dynamitée en 1964. C. C. Bryant, c’est-à-dire Curtis Conway Bryant, connait Ella Baker depuis 1942, il est responsable de la NAACP dans le comté de Pyke9. Nous découvrons aussi E. W. Steptoe, un fermier dans le comté voisin d’Amite, qui forme les jeunes du SNCC aux réalités locales en leur expliquant par exemple : « Si vous leur parlez de vêtements ils viendront en courant, si vous leur parlez de voter ils courront en sens inverse », ceci en 1964 alors que le SNCC mène la campagne du Freedom Summer et distribue des aides aux populations les plus pauvres10.
5Robert Moses met l’accent sur ce qui selon lui est absent dans la plupart des travaux d’historiens : pour défier le pouvoir blanc, ces précurseurs devaient d’abord défier leur propre communauté, et se mettre en avant comme ils ne l’avaient jamais fait auparavant. Il souligne le rôle essentiel joué par les réunions, une autre dimension qui « a été presque totalement perdue dans l’imagerie des assemblées battant des mains et chantant, qui ont quasiment fini par définir ce qu’étaient les meetings des droits civiques des années 1960, autour des figures de des leaders dynamiques dont la voix puissante inspire l’auditoire11 ». Contre ces images caricaturales, il décrit des réunions menées de telle façon que les métayers, les fermiers et les gens ordinaires pouvaient participer et prendre la parole.
6C. C. Bryant, Mrs Aylene « Mama » Quinn, E. W. Steptoe, Medgar Evers, tous ont en commun une certaine indépendance économique, le fait de ne pas être liés au patronat local et donc de pouvoir agir. Mais cela ne suffit pas, et la plupart d’entre eux portent en permanence une arme. George Head, surnommé « supercool Daddy », tient un commerce illégal d’alcool et ne quitte jamais son revolver12. Charles Cobb a publié à ce sujet en 2014 une histoire des armes dans le mouvement, This Nonviolent Stuff’ll Get You Killed: How Guns Made the Civil Rights Movement Possible13. Robert Moses décrit comment la survie des plus jeunes activistes du SNCC ou du CORE n’a été possible que par le soutien de ces leaders locaux et, en fin de compte, de toute la communauté. « Nous avons survécu à la réaction violente des Blancs car nous étions entourés et absorbés dans ces communautés, et pas grâce à nos affiliations organisationnelles ou à nos relations14. » Selon lui la grande leçon d’Ella Baker est que la « population doit formuler elle-même ses revendications et pas seulement être défendue par des réformateurs radicaux et bien intentionnés. Il constate que seules les mobilisations qui sont venues d’en bas, celles des métayers, des journaliers, des domestiques, ont permis de réellement modifier la situation dans le Mississippi, à l’inverse par exemple de l’arrêt Brown de 1954. Le basculement a été permis car ils ont alors « trouvé leur propre voix15 ».
7Charles Payne dit du sud-ouest du Mississippi que si c’était le pays du Klan, c’était aussi celui de la NAACP16. Par ailleurs des organisations locales existent, qui ne sont pas liées à la NAACP, telle le Regional Council of Negro Leadership (RCNL), à Mound Bayou, au sud de Memphis, une ville au cœur du Delta, qui a la particularité de ne compter que des Noirs, une « All-Black-Town ». En 1951 un groupe d’activistes s’y sont associés, autour du Dr. T. R. M. Howard (1908-1976), chirurgien et homme d’affaires, qui a bâti une petite fortune autour de sa clinique, sa plantation et sa compagnie d’assurances, la Magnolia Mutual Life Insurrance Company, pour laquelle Medgar Evers travaille17. Howard entretient dans sa propriété la tradition du style de vie des planteurs blancs du Sud, avec une foule de domestiques, un chauffeur, un parc avec des faisans et des gardes armés. Aaron Henry (1922-1997) a décrit le RCNL comme une NAACP locale, qui atteste selon Charles Payne d’une « tradition organisatrice » dans le Mississippi18. Amzie Moore et Medgar Evers font partie du comité à la tête du RCNL. Cette organisation ne compte sans doute guère plus de 500 membres, cependant T. R. M. Howard a un certain talent pour regrouper les gens autour de lui : par exemple un barbecue géant en mai 1952 rassemble plus de 7 000 participants19. Le programme du RCNL, est assez similaire à celui de la NAACP, dont Medgar Evers, Aaron Henry et Amzie Moore sont aussi membres.
8Medgar Evers partage l’objectif mis en avant par Ella Baker et Robert Moses de former des leaders locaux (« preccint leaders »), au plus près de la population rurale, dans les plus petites communautés20. « Notre meilleur soutien ce sont les gens de la base, et ils sont sans cesse plus nombreux avec nous », ceux qu’il nomme « le sel de la terre21 ». Myrlie Evers raconte comment une femme arrivait tard le soir au bureau de Medgar à Jackson, fatiguée et en sueur, et sortait un dollar de son mouchoir : « C’est pour la cause. C’est tout ce que je peux faire cette semaine. Mais je reviens la semaine prochaine. Mr. Evers, si vous avez besoin de quoi que ce soit, de passer des coups de fil, des annonces dans mon église, je suis là22. » Au contraire Medgar Evers raconte ses échecs auprès des enseignants noirs, très mal payés, ou avec les pasteurs, terrorisés : « Ceux qui pensent qu’ils ont trop à perdre à rejoindre ce combat. […] Beaucoup de ces Oncle Tom obtiennent des postes élevés, directeurs d’écoles, intendants, ou même président d’université23. »
9Dans les conditions les plus difficiles du Mississippi les activistes locaux tendent à collaborer plutôt qu’à entrer en concurrence. Et lorsque les jeunes étudiants du SNCC s’installent dans le Mississippi, ils se mettent à l’école de cette génération de militants, non sans difficulté parfois. Ainsi à McComb, l’activité du SNCC finit par déboucher sur un conflit avec une partie des Africains-Américains qui les soutenaient au départ. Le 30 août 1961, 15 élèves du lycée débutent un sit-in à la station de bus Greyhound. Ils sont exclus du lycée et en réponse plus de 100 élèves défilent vers la mairie le 4 octobre. Les activistes du SNCC, qui après les Freedom Rides s’étaient concentrés à McComb, sont arrêtés : Bob Moses, Chuck McDew, Bob Zellner, et neuf autres. Mais de nombreux parents sont mécontents des risques qu’ils ont fait courir à leurs enfants, et en décembre 1961 le SNCC doit quitter McComb24. Cet échec sert de leçon de prudence et d’humilité à Robert Moses et lui apprend à rester à l’écoute des communautés locales.
10En septembre 1963 la direction du SNCC adopte le slogan, « One man one vote », et sa politique s’oriente vers les campagnes d’inscription sur les listes électorales. Il s’agit de sortir d’une forme d’impasse : les tentatives précédentes d’inscrire les électeurs noirs sur les listes n’ont remporté que très peu de succès et à l’été 1963 l’échec est visible25. Désormais le SNCC se concentre sur le Mississippi et organise en novembre 1963 le Freedom Vote, une élection symbolique proposée à tous les Noirs privés de la possibilité de voter : 80 000 participent à ce scrutin fictif qui démontre la capacité du SNCC d’intervenir à l’échelle de presque tout l’État, et la possibilité d’affronter les menaces de la terreur blanche, puisque relativement peu d’incidents ont eu lieu26. Cette démonstration constitue une étape importante.
11En novembre 1963 une réunion des militants du COFO, à laquelle participent sept responsables Blancs et plus de 35 Noirs, discutent des suites à donner au Freedom Vote. Plusieurs se plaignent de la présence des militants blancs dans le Mississippi, qui renforce les schémas racistes, par lesquels les Noirs du Mississippi obéissent à nouveau à des Blancs, fussent-ils militants des droits civiques. Cependant ceux qui sont natifs du Mississippi sont plutôt favorables à cette présence des activistes blancs. Fannie Lou Hamer (1917-1977), du Comté Sunflower, autour d’Indianola, est une métayère pauvre qui cueille le coton depuis l’âge de ses 6 ans. Elle déclare lors de cette réunion que pour briser la barrière de la ségrégation, le SNCC ne doit pas commencer par se ségréguer lui-même27. À 45 ans en 1962, elle a rencontré des militants du SNCC et a tenté de s’inscrire sur les listes électorales. Elle devient dès lors une militante infatigable qui symbolise l’engagement des plus pauvres et des plus opprimés.
12Le plan de Robert Moses est de généraliser l’intervention des Blancs à leurs côtés, en lançant un vaste projet de campagne pour l’été 1964, « Freedom Summer », qui consiste en la venue dans le Mississippi de mille volontaires, pour mener campagne durant deux mois28. Ce projet est adopté par le SNCC puis quelques mois plus tard par le COFO. Dans les universités du Nord le climat est favorable : la nouvelle gauche fait ses premiers pas avec l’organisation Student For a Democratic Society (SDS), fondée en 1960, il s’est donné en juin 1962 un programme, le Manifeste de Port-Huron29. Par ailleurs ceux que le maccarthysme avait réduits au silence trouvent dans le mouvement l’occasion d’intervenir de nouveau sur la scène politique, et ils sont nombreux, eux et leurs enfants, à vouloir y participer. L’historienne et ancienne militante du SNCC Sara Evans écrit que :
« Le mouvement des sit-in et les Freedom Rides eurent l’effet d’une décharge électrique sur la culture libérale des États du Nord. L’action romantique et audacieuse de la jeunesse noire donna aux progressistes une cause inattaquable. Les gentils semblaient tellement gentils […] et les méchants tellement irrécupérables30. »
13Les militants du COFO veulent s’appuyer sur cet enthousiasme libéral pour emmener des centaines de jeunes étudiants blancs dans le Sud. Leur calcul politique est simple : puisque l’administration Kennedy ne réagit pas lorsque des militants noirs sont assassinés, il faut l’y contraindre, en impliquant des centaines de jeunes Blancs.
Figure 17. – Un dépliant pour l’été de la liberté au Mississippi, réalisé par le Conseil des organisations fédérées, COFO, circa 1964.

Source : Collection of the Smithsonian National Museum of African American History and Culture, Gift from the Trumpauer-Mulholland Collection, domaine public, [https://collections.si.edu/search/record/ark:/65665/fd57f1c5d1a60f4467999592b62293e1493].
14Le 12 juin 1963, quelques heures avant la déclaration officielle de Kennedy à propos de la Marche, sur Washington du 28 août 1963, Medgar Evers est tué devant chez lui, et les réactions officielles se font attendre31. Le SNCC réclame du gouvernement qu’il agisse pour protéger les activistes dans le Sud. Moses escompte que la présence de Blancs l’y contraindra car « Ces étudiants amènent le reste du pays avec eux32. » L’été 1964, la campagne du Freedom Summer mobilise des centaines d’étudiants. Le sociologue Doug McAdam qui a étudié leurs dossiers de candidature auprès du COFO, écrit qu’ils présentent « un brassage remarquablement éclectique de visions du monde et de motifs de se rendre dans le Mississippi33 ». On compte plus de 800 étudiants blancs et plus de 200 noirs34. Ils doivent assumer financièrement leurs déplacements, et accepter de ne pas prendre de petits boulots d’été pour payer leurs études. Certains d’entre eux sont issus de familles très aisées. Avant d’être envoyé dans le Sud, ils sont formés et avertis des dangers, et la plus grande discipline leur est demandée. Par ailleurs, l’activité intense du SNCC durant l’été 1964 se traduit par la diffusion de 200 000 exemplaires par semaine du journal du SNCC, The Student Voice35. Alors que le Freedom Summer bat son plein, le SNCC déplace son quartier général à Greenwood, dans le Mississippi, ce qui est un défi à la fois en termes logistique mais aussi du point de vue de la sécurité.
« Nous n’avons pas fait tout ce chemin pour deux sièges, nous sommes tous fatigués » (Fanny Lou Hamer)
15Le projet Freedom Summer va de pair avec la création en avril 1964 du Mississippi Freedom Democratic Party (MFDP). Il s’agit d’un parti politique fondé en tant qu’alternative au Parti démocrate du Mississippi, blanc et partisan de la ségrégation. Quand le président Lyndon B. Johnson forme en 1964 une coalition avec les libéraux pour répondre aux revendications des Noirs, les démocrates du Sud encouragent leurs membres à voter pour le candidat républicain, Barry Goldwater. En réplique, les militants africains-américains forment le MFDP, afin de les représenter à la Convention démocrate de 1964, et nomment des déléguées parmi lesquelles Fannie Lou Hamer, Annie Devine (1912-2000), une camarade d’université d’Anne Moody à Canton, et Victoria Gray (1926-2006), d’Hattiesburg.
16Face au risque d’une mauvaise publicité faite aux démocrates, Lyndon B. Johnson cherche à négocier discrètement et propose deux sièges de « délégués invités » au MFDP, en promettant qu’il sera reconnu à part entière lors du prochain congrès démocrate en 1968. Lyndon B. Johnson souhaite que la convention se passe bien, de son point de vue, et son représentant, Joseph L. Rauh (1911-1992), le conseiller juridique de l’UAW, reçoit sans cesse des appels téléphoniques de Walter Reuther, au nom de Johnson. Le président était tellement inquiet que le MFDP lui fasse perdre l’élection qu’il avait fait placer tous ses délégués sur écoute36. Cependant ses plans sont déjoués : devant la commission d’accréditation du parti, qui se déroule dans une séance publique, Fannie Lou Hamer raconte les violences qu’elle a subies de la part de policiers dans la prison de Winona, les dommages qu’ils lui ont causé aux reins, et conclut son discours par une dénonciation qui marque d’autant plus les esprits qu’elle est retransmise en direct à la télévision :
« Tout cela parce que nous voulons nous inscrire, devenir des citoyens de première classe. Si le Freedom Democratic Party ne peut siéger immédiatement, je m’interroge sur l’Amérique. Est-ce cela, l’Amérique, le pays de la liberté, la patrie des braves, où nous devons dormir avec le combiné de nos téléphones décrochés, parce que nos vies sont menacées quotidiennement, simplement parce que nous voulons vivre décemment comme des êtres humains37 ? »
17Son témoignage bouleversant met à mal la politique attentiste de Johnson, et celui-ci fait interrompre la retransmission de l’émission38.
18Les pressions se multiplient sur la délégation du MFDP pour accepter un compromis. Un de ses délégués, Ed Brown, raconte : « Le point de vue de Bayard [Rustin] était que nous devions accepter et proclamer que c’était une victoire. […] C’était la rupture, complète39. » Les délégués du MFDP représentent fidèlement la population africaine-américaine du Mississippi, la plupart sont très pauvres, et leurs discours se démarquent de ceux tenus d’ordinaire par les leaders de la SCLC ou de la NAACP. Fannie Lou Hamer constate que ceux « qui acceptaient un tel compromis en cinq minutes, c’étaient ceux qui avaient reçu une bonne éducation40 », et pas les métayers du Mississippi. Finalement parmi les 68 délégués du MFDP, seuls deux envisagent d’accepter, Ed King et Aaron Henry41.
19Le développement de ce parti marque la rupture de la coalition libérale, socialement tout d’abord, car ses délégués n’ont rien de commun avec les jeux politiciens, cet univers leur est complètement étranger, mais aussi politiquement, puisque la naissance d’un Parti démocrate « bis » représente une menace pour les démocrates. La haine raciale se double durant la convention d’un mépris de classe, que certains leaders noirs partagent d’ailleurs avec les Blancs, contre les plus pauvres des Noirs du Mississippi. Fannie Lou Hamer raconte combien elle a regretté son adhésion à la NAACP : « Nous avons payé nos deux dollars, et puis Mr Wilkins me dit que j’étais ignorante, que nous avions dit ce que nous avions à dire, et qu’on devait juste remballer nos sacs et rentrer chez nous42. » John Lewis l’admire tout particulièrement, il rappelle que dès 1962 elle fut une des premières à tenter de s’inscrire sur les registres électoraux à Indianola. Ces militants ne remettent pas en cause uniquement la suprématie blanche :
« Nous ne les défiions pas uniquement sur le terrain racial, cela c’est évident. Nous leur demandions aussi de répondre aux exigences de toute une population – blanche et noire, privée de ses droits – qui formait la classe inférieure du pays. Ce qui rebutait tellement le sénateur démocrate Humphrey à propos de Fanny Lou Hamer c’est d’abord qu’elle ne soit pas éduquée : “le Président ne permettra pas que cette femme illettrée prenne la parole depuis la salle43”. »
20Au sein du MFDP, Ed. Brown, qui avait milité avec les Jeunesses socialistes (YPSL) et Courtland Cox (1941-), lui aussi socialiste, argumentent en faveur d’un compromis. Fannie Lou Hamer raconte comment par la suite le SNCC a été accusé de les avoir poussés à refuser tout accord, ce qu’elle dément : « Je suis allé voir Bob [Moses], il m’a dit “vous êtes grands, prenez votre propre décision44”. » Ils refusent l’accord. Pire, Fannie Lou Hamer intervient de nouveau à la télévision et la force de son discours, les mots qu’elle emploie, son visage, marquent les esprits : « Nous n’avons pas fait tout ce chemin pour deux sièges45. » Finalement les 68 délégués du MFDP refusent à l’unanimité le compromis et quittent la salle de la convention démocrate, qui refuse de les laisser siéger selon les règles de la proportionnalité, tandis que Roy Wilkins de la NAACP les traite d’ignorants. Fannie Lou Hamer est en rage contre ces « soi-disant leaders ». Elle conseille à Dr. Aaron Henry (1922-1997), à la tête de la NAACP du Mississippi, « de rester dans le hall de conférence le reste de ta vie, parce que si tu sors je vais te trancher la gorge46 ».
21Le refus démocrate est un choc politique violent pour les militants noirs, qui depuis des années poursuivent l’objectif d’une vaste coalition réunissant les démocrates libéraux, les syndicats et les organisations des droits civiques. Un militant du SNCC, Robert E. Wright, se souvient qu’ils s’attendaient bien à l’hostilité des « Dixiecrats », les démocrates du Sud, mais pas à celle de quasiment l’ensemble du parti47. Un autre, Edward Brown (1941-2011) dit qu’après Atlantic City ils ont commencé à remettre en question toute la savante politique de construction de coalition telle que la menait Bayard Rustin48. Pour John Lewis aussi cet échec représente un moment clé :
« Selon moi, ce fut le véritable tournant du mouvement des droits civiques. J’en suis absolument convaincu. Jusque-là, malgré tous les échecs et toutes les déceptions depuis des années, nous croyions encore que le système changerait, qu’il nous écouterait et répondrait à nos revendications. Et là pour la première fois nous étions parvenus au cœur du système. Nous avions respecté les règles, nous avions fait tout ce que nous étions supposés faire, nous avions joué le jeu comme on nous demandait et, arrivés sur le seuil, on nous avait claqué la porte au nez […]. La crise de confiance, l’esprit cynique et soupçonneux contre les autorités qui aujourd’hui empoisonne l’esprit beaucoup d’Américains débuta, j’en suis convaincu, cette semaine-là, à Atlantic City. […] Ils se sentirent trahis. Ils se sentirent trompés. Cela en jeta plus d’un en dehors du système. Ils devinrent des radicaux, des révolutionnaires49. »
22Cleveland Sellers, militant du SNCC, écrit dans ses mémoires : « Après Atlantic City, notre lutte n’était plus pour les droits civiques, mais pour la libération50. » L’attitude des démocrates est une déception profonde et explique du point de vue politique la radicalisation qui s’ensuit. La leçon que beaucoup en tirèrent est qu’on ne pouvait pas faire confiance aux libéraux blancs, et pour certains qu’on ne pouvait pas faire confiance aux Blancs en général. Cinq mois plus tard, les membres du MFDP demandent à Malcolm X de venir s’adresser à leur congrès. La coalition entre les libéraux, les syndicats et le SNCC a vécu51.
23Pour Robert Moses le coup est dur, et il quitte Atlantic City en jurant de ne plus adresser la parole à un Blanc52. En février 1965 il décide de se faire désormais appeler Parris, son deuxième prénom, pour marquer la rupture avec ses choix politiques antérieurs. Un an après, pour refuser son appel à l’armée, il fuit au Canada, puis s’installe en Tanzanie en 1969, où il vit jusqu’en 1976. John Lewis est lui aussi moralement épuisé. L’invitation de Sékou Touré, qui lui demande de le rejoindre en Guinée, tombe bien, et il voyage en Afrique du 15 septembre à la mi-novembre 1964, accompagné de 10 autres membres du SNCC, parmi lesquels Fannie Lou Hamer53. Ce voyage auprès du promoteur guinéen du socialisme à l’africaine a une influence importante sur leurs conceptions : ils voient des Africains piloter des avions, diriger des banques et conduire des bus54. Par ailleurs, ils sont amenés à prendre position sur la politique américaine en Afrique, ce qui est une nouveauté pour eux : aux États-Unis personne ne se souciait de leur avis sur les enjeux mondiaux, ni ne les interrogeait au sujet de la politique extérieure américaine, comme si cela ne les regardait pas.
24En novembre 1964, une conférence du SNCC est convoquée en urgence, et se réunit à Waveland, dans le Mississippi. James Forman a sonné l’alarme car les caisses sont vides, il manque environ 40 000 dollars par mois pour fonctionner. Il demande une réorganisation du SNCC et des circuits nettement identifiés pour toutes les prises de décision. Il déclenche une tempête contre lui, on lui reproche de vouloir augmenter ses pouvoirs. Certains comme Stokely Carmichael et Courtland Cox proposent plutôt de se débarrasser des bureaux d’Atlanta, et de fonctionner comme une structure plus lâche, comme un réseau de militants. John Lewis est alors encore en Afrique. Selon lui, ces désaccords recoupent à peu près l’opposition entre les militants issus du Nord et ceux du Sud. Ceux du Nord « affirmaient le plus leur identité noire et se dissociaient des Blancs avec lesquels ils avaient grandi et dont ils avaient souvent été très proches. Ils désavouaient leurs origines55 », comme s’ils avaient un besoin plus fort d’affirmer leur conscience noire et de se tourner vers le nationalisme. L’ancienne militante et sociologue Joyce Ladner partage cet avis : elle distingue des militants qu’elle nomme les « cosmopolites », étudiants du Nord plus éduqués et plus politisés, et les « locaux », pour constater que les premiers, déçus par les résultats de l’été 1964, sont aussi les premiers à se tourner vers une nouvelle conscience nationaliste noire56. Lorsque John Lewis revient d’Afrique le 22 novembre 1964, le SNCC s’enfonce de plus en plus dans les dissensions et les luttes de factions. L’échec du MFDP à Atlantic City a démontré le peu de soutien que les démocrates offraient au mouvement, et a ouvert la voie aux plus radicaux.
Selma, Lord, Selma
25Lors des marches de Selma à Montgomery en 965, les conflits internes s’aggravent57. Le SNCC refuse de rejoindre la manifestation organisée par la SCLC, lassé par la façon dont King et son équipe monopolisent les médias et utilisent les snickers comme de vulgaires « petits soldats ». James Forman, Stokely Carmichael, Courtland Cox s’opposent à la participation du SNCC à la campagne de Selma. Les médias n’ont de cesse de titrer sur les tensions au sein du SNCC. Ivanhoé Donaldson répond à des journalistes qui l’interrogent sur les conflits entre le SNCC et la SCLC : « Dans le mouvement nous sommes une seule famille. Et dans toutes les familles il y a des disputes58. » John Lewis est l’un des rares à défendre l’engagement du SNCC au côté de la SCLC, car il espère que l’unité et la confiance seront restaurées dans l’action. Mais les autres membres de la direction s’y opposent, comme une nouvelle tentative de la SCLC pour les utiliser. Pour John Lewis l’essentiel n’est pas là : « Je pensais que c’était aux gens de Selma de décider s’ils marchaient ou non, et nous devions les soutenir quoiqu’ils décident59. » Pour lui le conflit avec la SCLC est secondaire, d’ailleurs c’est James Bevel, ancien du SNCC, mais aussi son ancien voisin de chambre à l’université et son ami de toujours, qui représente la SCLC à Selma. Comme en 1963, la direction du SNCC refuse d’apporter son soutien à Lewis et déclare que s’il marche, ce sera en son nom propre. Il est déchiré : « Cela me fit mal. Je n’avais jamais imaginé que mon organisation, le SNCC, pourrait se mettre de côté et me dire de marcher seul. Cela me touchait personnellement et cela me touchait encore plus de penser qu’ils abandonnaient ces gens de Selma60. »
26Les leaders de la SCLC ont sous-estimé l’écho rencontré par leur appel à manifester. La marche prévue, de Selma à Montgomery, représente plus de 50 miles (environ 80 km). King et Abernathy ne pensent pas que beaucoup de gens pourront parcourir cette distance, et ont prévu une participation assez limitée. Abernathy déclare lors d’une interview en 1978 : « Nous pensions que ce serait la routine. Mais le dimanche matin je reçois un appel de [Hosea] Williams qui m’annonce que des milliers de participants sont prêts à marcher. Je n’y croyais pas. J’ai appelé Martin et il a été surpris lui aussi. Mais il m’a dit d’appeler Selma et de leur dire de marcher tant qu’ils pensaient qu’il n’y aurait pas de problème. » Le dimanche 7 mars 1965, Hosea Williams, pour la SCLC, et John Lewis, à titre personnel, prennent la tête de six cents manifestants. Ils sont violemment matraqués sur le pont qui sort de la ville, Lewis a le crâne fracturé. La journée est nommée par la presse le « Bloody Sunday ». King se voit reprocher son absence et la manière dont la SCLC récupère médiatiquement le premier rôle. Elle a fait paraître un appel à contribution dans le New York Times, avec une photo de John Lewis matraqué, comme s’il était un membre de la SCLC, alors qu’il est toujours à la tête du SNCC. Cela ne peut que confirmer ce que les snickers pensent : ceux qui sont matraqués dans le Mississippi ne sont décidément pas ceux qui prennent la parole à la télévision.
27Après cet échec, deux jours plus tard, le 9 mars 1965, de nouveau les manifestants s’engagent sur pont de Selma. Cette fois-ci King conduit la marche, après avoir beaucoup hésité. Après quelques centaines de mètres il s’arrête et demande aux manifestants de prier. Les policiers ont ouvert leurs rangs et donnent l’impression qu’ils laisseront la manifestation progresser. En réalité, un accord a été passé secrètement avec King, et ce dernier a accepté de s’arrêter à cet endroit précis. Plus tard dans la journée il est contraint de révéler cette négociation préalable avec la police. Cet épisode est vite surnommé par la presse le Turnaround Tuesday, le Mardi du demi-tour. Parmi les snickers, beaucoup sont choqués, comme l’écrit John Lewis :
« Ils étaient déçus, beaucoup étaient vraiment en colère. Jim Forman était absolument livide. Quand il apprend, comme tout le monde, que King avait passé un arrangement avec les représentants fédéraux le matin même pour ne pas aller plus loin et s’arrêter devant le pont en un geste symbolique, puis revenir et attendre la décision du juge Johnson plus tard dans la semaine, il explose, et dénonce la duplicité du Dr. King, déclare que c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Le SNCC en avait assez, il ne travaillerait plus avec la SCLC61. »
28Le SNCC initie alors dans une série de manifestations à Montgomery à partir du 11 mars, ce qui est une manière de répondre à la SCLC. Des briques sont jetées sur la police, ce qui témoigne de la montée de la colère des plus jeunes. Le soir du 16 mars, James Forman déclare durant un meeting : « Si nous ne pouvons pas nous asseoir à la table de la démocratie, nous lui briserons les pieds. » King est de plus en plus critiqué, accusé d’avoir fait preuve à Selma d’une « délicate compréhension » envers les autorités de l’Alabama et l’État fédéral. Il répond en argumentant sur la difficulté à prendre des décisions qui peuvent conduire à un massacre. Mais en 1966 à Chicago, il est hué, sifflé, par des jeunes du ghetto, qui le voient comme un Oncle Tom de plus.
29Les dissensions traversent aussi le SNCC, et lorsque la campagne de Selma s’achève, en août 1965, il est au bord de l’éclatement. Lewis souligne que : « C’était Selma qui nous avait maintenus ensemble aussi longtemps. Après, nous nous séparâmes62. » Les décisions, qui étaient auparavant prises à l’unanimité dans l’esprit du circle of trust, sont de plus en plus formalisées. Différentes factions se critiquent et se soupçonnent, reprochant à tel ou tel membre de ne pas être véritablement actif, ou d’être un Oncle Tom. John Lewis est mis en cause pour ses compromis avec la SCLC et son pacifisme indéfectible :
« Certains des nouveaux membres du SNCC m’avaient vu à Selma traverser ce pont et me faire frapper et ils remuaient la tête, me rejetaient comme “un dingue, un fou de dieu, un anachronisme”. Ils n’avaient lu ni Gandhi, ni Thoreau. Ils préféraient les philosophes existentialistes comme Camus, et les écrits radicaux des Noirs séparatistes, comme Malcolm X et Frantz Fanon […]63. »
30Il estime que ces conflits sont un véritable gâchis et que le SNCC a perdu durant cette année les principes qui lui avaient donné le jour. La camaraderie, la fraternité du circle of trust, ont fait long feu. La direction du SNCC avait toujours été collégiale et si deux responsables sont formellement à sa tête, un président, John Lewis, et un secrétaire exécutif, James Forman, ils ne prenaient pas de décision qui ne soit approuvée à l’unanimité. Cependant le SNCC a changé, de nombreux membres l’ont rejoint récemment, les anciens de Nashville ou d’Atlanta sont pour la plupart partis. Après le Freedom Summer, les effectifs des permanents salariés dépassent deux cents. Les décisions qui se prenaient auparavant par consensus, lors de conventions, ou lors des « soul sessions », sont désormais l’objet de votes formels. En 1965, le SNCC compte trop de membres pour continuer à fonctionner sur la base de l’unanimité, beaucoup ne se connaissent pas entre eux. Il n’est plus simplement l’organisation étudiante du départ, mais rassemble surtout des militants de terrain (field workers), parmi lesquels John Lewis distingue deux groupes différents :
« D’un côté vous aviez beaucoup de Noirs du Sud, des gens qui étaient vraiment le sel de la terre. Des militants locaux qui n’avaient que peu d’éducation formelle mais qui étaient dévoués corps et âmes à la cause – des gens comme Fannie Lou Hamer. De l’autre côté, vous trouviez les intellectuels du Nord, qui avaient été à l’université, comme Cox et Carmichael, dont les perspectives étaient plus larges et plus sophistiquées du point de vue politique et du point de vue militant. Ces derniers adoptaient les positions du nationalisme noir qui émergeait alors64. »
31Selon lui, seul Robert Moses aurait pu avoir suffisamment d’autorité pour imposer un fonctionnement commun. Mais il se refusa à jouer ce rôle, contraire à sa philosophie. Il déclare lors d’une « soul session » qu’« il y a trop de leaders et que certains devraient quitter le mouvement, car ils sont devenus les créatures de médias », tout en fixant du regard Forman, Carmichael, Lewis65. Il refuse donc de prendre la tête du SNCC, bien qu’il soit unanimement respecté et reconnu pour son engagement et quitte les États-Unis en 1966.
32Un autre débat interne porte sur les « floaters », les « flotteurs », ces membres qui n’ont pas d’assignation particulière et se déplacent au gré de leurs envies. Cette indiscipline irrite profondément les militants du Sud. Lewis déclare que les membres doivent s’adapter ou partir (« Shape up or ship out »). Mais selon lui, « Malheureusement cette décision alla trop loin. Il fut décidé d’examiner précisément et de juger le travail de plus de cent permanents, un par un. Ce fut une purge66. »
33Pour faire un bilan de cette période, on peut dire que les années 1964-1965 marquent une rupture décisive, avec l’éclatement de la coalition libérale. Les lois votées en 1964 (Civil Rights Act) et en 1965 (Voting Rights Act) semblent signifier le succès de cette coalition, qui n’a plus d’objectif à même de maintenir son unité. Désormais le combat pour les droits ne peut plus être invoqué comme la priorité, alors qu’il est patent que les inégalités économiques ne vont pas disparaître comme par enchantement, pas plus que les discriminations. Un militant du SNCC, Ed Brown, exclu de son université pour ses activités, exprime son désarroi : si la majorité des Noirs est extrêmement enthousiaste après ces succès, à l’inverse les militants sont amers et critiques67. L’attitude des libéraux et de la presse nationale se modifie vis-à-vis du mouvement. Les mobilisations sont désormais présentées sous un jour défavorable, les médias deviennent de plus en plus critique contre le SNCC.
34John Lewis est resté fidèle à l’organisation non-violente des premiers sit-in, mais le SNCC est en train de changer68. L’élection en 1966 de Stokely Carmichael à sa tête marque cette évolution vers les thèmes du Black Power, dont son autobiographie, Ready For Revolution, rend compte69.
Stokely Carmichael : « Il n’est plus temps de fuir »
35Après les événements de Selma en mars 1965, suivi de la révolte du ghetto de Watts en août, il est visible qu’un nouveau chapitre s’ouvre et que le mouvement uni pour les droits civiques a vécu. Les lois sur les droits civiques, votées en 1964 et 1965, ont levé l’hypothèque de l’inégalité civique. Elles rendent plus pressante encore la question des inégalités sociales. Ce succès sur le plan légal signifie aussi que la coalition libérale, unie autour de cet objectif, n’a plus de raison d’être. Les émeutes des ghettos et les réactions qu’elles suscitent, démontrent l’ampleur des divergences et sonne le glas de cette alliance.
36Le livre de Carmichael est né dans l’urgence, quand en 1996 ses médecins diagnostiquent une fin proche. Il entreprend une série d’entretiens avec Mike Thelwell, un ancien du SNCC, qui se charge de les mettre en forme après son décès en 199870. La courte préface de Carmichael déclare : « Ce que nous écrivons ici c’est l’histoire. Ou du moins le récit personnel d’un témoin direct de cette histoire71. »
« Beaucoup a été écrit sur les Freedom Rides. Je ne sais pas ce que je peux ajouter. Mais en tant que participant depuis presque le début, je veux dire l’exacte vérité sur ces événements. […] Regarder en arrière vers un mouvement qui fait déjà partie de l’histoire peut fourvoyer celui qui cherche à comprendre. Tout d’abord presque rien ne s’est passé de la façon dont l’histoire officielle le raconte72. »
37Le Black Power est souvent associé aux organisations nées dans les ghettos, à commencer par le BPP à Oakland. Cependant après l’échec de MFDP à Atlantic City en 1964, et la rupture de la coalition libérale, c’est l’ensemble des militants qui évoluent, y compris ceux du Sud, comme nous l’avons vu avec Anne Moody et John Lewis. Le récit de Stokely Carmichael, Ready For Revolution, permet de comprendre comment le SNCC a progressivement adopté les thèmes et les mots d’ordre du Black Power. Le Nonviolent Action Group (NAG), affilié au SNCC, que Carmichael rejoint à l’université d’Howard, est nettement orienté à gauche. Certains militants sont aussi membres de la Young People Socialist League, l’YPSL, l’organisation de jeunesse socialiste liée à Norman Thomas, tandis que d’autres sont influencés par Bayard Rustin. Le NAG donne la priorité à des revendications économiques radicales sur l’emploi et la terre, plutôt qu’aux projets de campagnes d’inscription sur les listes électorales.
38Le MFDP était un premier pas dans le sens du « pouvoir noir », même s’il visait initialement à obtenir la reconnaissance du Parti démocrate. Après son échec, les projets pour doter la minorité noire d’un parti politique n’ont jamais été aussi nombreux. En 1965, tandis que Martin Luther King et la SCLC participent à la marche de Selma à Montgomery, Carmichael s’installe dans le Comté rural de Lowndes, où 80 % de la population est noire, mais où pas un seul n’a pu s’inscrire sur les listes électorales73. Il veut démontrer que la SLCL, à Selma comme ailleurs, ne construit pas dans la durée, qu’elle propose des actions spectaculaires après lesquelles, comme à chaque fois, ses leaders repartiront. Le SNCC, lui, est là pour rester : le Comté de Lowndes se situe précisément entre Selma et Montgomery et symboliquement Carmichael oppose ceux qui ne font que traverser ces espaces délaissés, comme la SCLC, à ceux qui militent sur le terrain et n’abandonnent pas les communautés locales une fois qu’ils les ont sollicitées.
39John Hulet (1927-2006), un ancien militant de la NAACP, est revenu vivre dans ce comté et il joue un rôle essentiel aux côtés de Carmichael dans la création du Lowndes County Freedom Organization (LCFO)74. Cette organisation politique, contrairement au MFDP, ne se rattache pas au Parti démocrate et se veut la première d’une lignée de partis politiques indépendants, désignés par le SNCC comme les Freedom Organizations75. L’accent est mis sur les revendications économiques. Alice Moore (1924-2007), candidate au poste de percepteur déclare : « Taxez les riches pour nourrir les pauvres76. » Ella Baker, lors d’une conférence du SNCC en avril 1960, alertait sur les difficultés à venir, pour aller au-delà des revendications portées par les sit-in. Son discours avait marqué, particulièrement son expression, « Bigger than a Hamburger77. » En 1965, certains soulignent avec humour que désormais leurs objectifs ont évolué « des hamburgers au pain », pour pointer les inégalités sociales, auxquelles la conquête des droits civiques n’a pas apporté de solution. Le Nonviolent Action Group évolue vers des positions socialisantes, et Carmichael revendique que le gouvernement prenne le contrôle des grands groupes industriels78.
40Le slogan de Black Power, lancé par Stokely Carmichael en 1966, a souvent été compris d’une manière très générale. Mais il doit être replacé dans ce contexte des activités du LCFO, et de ses efforts pour créer un parti noir dans un comté rural, afin de donner un sens concret au Voting Rights Act. L’accent est mis sur l’implantation locale. Le LCFO abandonne de fait la politique de non-violence et choisit un symbole, la panthère noire, qui évoque l’autodéfense – il sera repris un an plus tard par le BPP. John Jackson, du SNCC, relève que tout le monde avait son fusil et seuls les militants venus de l’extérieur « semblaient non-violents79 ».
41D’autres militants du SNCC se lancent dans des campagnes électorales, tel Julian Bond en Géorgie, durant l’été 1965. Un juge fédéral venait de contraindre cet État à revoir sa carte des circonscriptions électorales, un savant découpage qui privaient les Africains-Américains de la possibilité d’obtenir des élus. De ce fait, trois nouvelles circonscriptions majoritairement noires sont dessinées autour de Birmingham. Bond mène une campagne au plus proche des plus pauvres et est aisément élu face à un candidat de la SCLC. Cependant, la Chambre des représentants de Géorgie refuse de le laisser siéger en incriminant les positions du SNCC contre la guerre du Vietnam. En janvier 1966, Sammy Younge Jr. (1944-1966), un jeune activiste qui venait de rentrer du Vietnam, a été assassiné, parce qu’il avait utilisé les toilettes réservées aux Blancs dans une station-service80. Le SNCC réagit par une déclaration contre la guerre : « Young a été tué parce qu’aux États-Unis la loi n’est pas appliquée. […] Les Vietnamiens sont assassinés parce que les États-Unis poursuivent une politique d’agression en violation de la loi internationale81. » Finalement Julian Bond gagne en appel devant la Cour suprême et prend place au sein de la Chambre des représentants de Géorgie, où il sera réélu durant plus de vingt ans. Le déroulement du procès galvanise les militants locaux du SNCC, qui souhaitent reproduire ce succès. En février 1966, le SNCC définit le Projet Atlanta, qui marque un tournant vers la conquête du pouvoir noir dans les villes82.
Le SNCC face au Black Power
42Après 1965, comme le constate John Lewis, « Il y a eu un changement radical parmi les nôtres […]. Je pense que les gens cherchent une sorte d’identité et qu’ils la découvrent maintenant83. » Le succès de l’autobiographie de Malcolm X, publié en 1965 après son assassinat, témoigne de cette recherche d’une nouvelle fierté noire. Ses premières pages, dans lesquelles Malcolm X décrit sa prise de conscience d’une véritable haine de soi, développée du fait du racisme, servent de modèle à ceux qui désormais affichent fièrement leur coupe afro. Malcolm X y raconte ses premiers succès scolaires, et se décrit comme « un caniche rose » : « À ce moment-là j’avais à peine conscience du fait que j’étais noir ; j’essayais par tous les moyens d’être blanc. C’est pourquoi je passe maintenant mon temps à dire au Noir qu’il perd son temps à vouloir s’intégrer84. » Sur le plan politique, ses dénonciations de l’élite noire sont reprises par les jeunes des ghettos. Ceux qu’il nomme les « bourgeois noirs » sont « contents d’eux et remplis d’idées fausses – le type même du noir intégrationniste, obsédé par son standing et ses signes extérieurs de richesse85 ». Selon Malcolm X, le mouvement pour les droits civiques consiste en une manipulation des « masses noires » : « Le miracle c’est que les “leaders” noirs (ces marionnettes du Blanc), les pasteurs noirs du Blanc, ces Noirs instruits, croulants sous les diplômes, ont réussi à tenir les masses tranquilles jusqu’à présent86. » Malcolm X est assassiné en 1965, mais son évolution et ses discours reflètent l’état d’esprit des jeunes des ghettos, et de plus en plus de snickers se reconnaissent désormais dans sa politique. John Lewis lui-même déclare en 1965 lors d’un gala destiné célébrer le 67e anniversaire de Paul Robeson : « Nous sommes les enfants spirituels de Paul Robeson. Nous aussi, nous avons rejeté le gradualisme et la modération87. »
43Martin Luther King n’a rencontré Malcolm X qu’à une seule occasion, et ils n’ont eu le temps d’échanger que quelques mots. Il analyse le parcours de Malcolm X comme le résultat du système racial : « un produit de la haine et de la violence. […] Un homme qui a vécu le tourment de connaître le viol de sa grand-mère et le meurtre de son père à cause de l’ordre social existant ne peut accepter facilement cet ordre ou réclamer de s’y intégrer88. » King comprend parfaitement que l’impatience grandit alors que les promesses de changement tardent à se réaliser : « En réalité, le développement du nationalisme noir était symptomatique d’un mécontentement profond, de la frustration de nombreux noirs devant la continuation des discriminations raciales89. »
44La SCLC et King cherchent à reprendre la main et à développer leurs activités au Nord, dans de nouveaux milieux, pour ouvrir une troisième voie, entre l’émeute et la passivité :
« J’ai commencé à penser que je me trouvais au centre de deux forces opposées dans la communauté noire. L’une est la passivité des Noirs qui du fait d’années d’oppression sont tellement privés du respect d’eux-mêmes qu’ils se sont adaptés à la ségrégation. Une partie des bourgeois noirs, à cause d’un diplôme et de la sécurité économique, parce qu’ils profitent d’une certaine manière de la ségrégation, sont devenus insensibles aux problèmes des masses. L’autre force est l’amertume, la haine, qui nous conduisent dangereusement à la violence. Elle s’exprime dans les divers groupes nationalistes qui se développent un peu partout90. »
45Mais la voie médiane qu’il veut tracer est difficile à emprunter. La ségrégation, en tant que réalité légale, était circonscrite au Sud. Le racisme et les inégalités sociales sont omniprésentes, et bien plus difficiles à déraciner. L’opposition entre ces deux espaces, un Sud ségrégué et le reste du pays, ne doit pas masquer les responsabilités de l’État fédéral, dans le maintien y compris au Nord, de la discrimination. Certes une série de lois antidiscriminatoires ont été obtenues dans l’immédiat après-guerre dans plusieurs États du Nord, comme celui de New York, en même temps que différentes lois fédérales sur l’emploi (State Fair Employment Law) ou le logement (Fair Housing Law)91. Cependant l’État fédéral a largement contribué au maintien de la ségrégation spatiale, en acceptant les « clauses raciales restrictives » (racial restrictive covenants) pour les prêts gouvernementaux, et en les acceptant comme condition des prêts immobiliers jusqu’en 1948 mais aussi en finançant le développement de quartiers ségrégués réservés aux Blancs après 194892. L’exclusion raciale n’était pas légale mais les pratiques racistes des propriétaires, y compris ceux subventionnés par l’État de New York l’étaient93. Lorsque King se tourne vers les ghettos du Nord il découvre cette réalité :
« Pour ceux d’entre nous qui vinrent de Géorgie, du Mississippi, de l’Alabama vers Chicago, ce fut une année vitale d’éducation. Nous fûmes confrontés aux dures réalités d’un système social bien plus difficile à changer que le Sud rural94. »
46L’audience d’organisations telles que la SCLC ou la NAACP est bien faible dans les ghettos, qui voient à partir de 1965 se multiplier les éruptions de colère. Le rôle que ces violences ont joué est complexe, car elles permettaient aux plus modérés de se poser implicitement en tant que derniers recours avant le chaos, pour tenter d’arracher des concessions. Les premières émeutes jouent un rôle d’épouvantail, et amènent parfois les autorités à suivre les recommandations des organisations modérées, ce que des sociologues ont désigné comme l’« effet de la frange radicale95 ». Roy Wilkins, de la NAACP, déclarait parfois, à voix basse, que même les Musulmans Noirs sont utiles96. Randolph expliquait ainsi à Kennedy qu’étant donné que les Noirs étaient déjà dans la rue et qu’il « était très probablement impossible de les en dissuader, […] il valait mieux qu’ils soient menés par des organisations qui avaient comme but les droits civiques, plutôt que par d’autres leaders qui se moquaient des droits civiques et de la non-violence97 ».
47En effet, les déceptions successives qu’ont été les expériences du MFDP et de Selma, poussent à la recherche de solutions radicales, qui prennent diverses formes, comme autant de nuances du nationalisme noir. Roy Wilkins de la NAACP dénonce cette évolution vers le nationalisme, et pour lui le « Black Power, c’est le Mississippi à l’envers, Hitler à l’envers, le Ku Klux Klan à l’envers98. » L’impatience, mais aussi le sentiment d’avoir été dupé par les leaders modérés, tel Wilkins, sont le terreau sur lesquels le nationalisme noir prend un nouvel essor. De nouvelles revendications se font jour, dans tous les domaines, des droits économiques à la question scolaire. Le Black Power est une expression ouverte à toutes les interprétations, et peut aussi bien signifier une stratégie d’empowerment, d’autonomisation, ou l’espoir d’une révolution nationaliste noire99. Il devient la bannière dont s’emparent de nombreuses organisations, nouvelles ou anciennes100.
48Le nationalisme culturel, porté notamment par Amiri Baraka, refuse la politique d’intégration au nom de l’unité du peuple noir, dont l’art et la poésie doivent révolutionner les esprits, des idées portées notamment par le Black Arts Movement. Les Black Panthers qui revendiquent le droit à l’autodéfense, le port d’armes et un marxisme revisité par le nationalisme noir, connaissent un essor fulgurant. Dans les usines de Detroit, de jeunes ouvriers noirs déclenchent des grèves sauvages et dénoncent le manque d’action des syndicats. Ils fondent en 1968 à Detroit le Dodge Revolutionary Union Movement (DRUM) et la League of Revolutionary Black Workers (LRBW)101.
49Les révoltes urbaines des années 1960 ne doivent pas être analysées comme la simple extension dans les villes du Nord du mouvement des droits civiques. Les mobilisations en dehors du Sud ont leur propre histoire et des logiques d’abord liées aux situations locales102. Les émeutes de Watts, à Los Angeles, le 11 août 1965 et les jours suivants, inquiètent les élites politiques, y compris les leaders noirs. Alors que King parcourt Watts avec Bayard Rustin et Andy Young, un jeune les aborde : « On a gagné ! » « Trente et quelques morts, tous des Noirs sauf deux, vos biens détruits. Qu’est-ce que vous voulez dire avec “on a gagné” ? » ; « Ils ont été forcés de s’occuper de nous103. » John Lewis se démarque aussi de ces violences : « Je crois que c’est une erreur de considérer les actions inorganisées, le chaos, les attaques contre d’autres personnes et contre les biens, comme l’extension d’un mouvement, quel qu’il soit. Il ne s’agit pas de cela. C’est simplement l’explosion des émotions. C’est tout. Il n’y a rien de constructif là-dedans, c’est purement destructeur104. » Cependant au sein du SNCC, son opinion n’est plus majoritaire, à commencer sur la question de la violence.
50Les positions du SNCC sur la question de l’autodéfense ont évolué au contact de la réalité du Mississippi. Charles Cobb décrit les armes comme une évidence, qui ne donnait pas lieu à des débats pour les habitants du Mississippi, tous avaient des fusils et s’en servaient105. L’autodéfense avait toujours cohabité avec la non-violence. Julian Bond rapporte des discussions dès 1964 afin de déterminer s’il était acceptable d’être hébergé dans une maison dont les occupants possédaient des armes. Finalement il s’avère que plusieurs des snickers se sont déjà armés, sans le signaler106. Le SNCC installe ses quartiers généraux à Greenwood en 1964, et Forman fait placer des armes dans les locaux, qui sont surveillés nuit et jour : « Cela montrait la différence d’attitude et de comportement entre nous et la génération plus âgée du CORE et des pasteurs, qui étaient réellement pacifistes. Notre attitude globale était non-violente évidemment, mais elle n’était pas pacifiste107. » Le terme employé par le SNCC est alors d’« action directe non-violente108 ». Mais du refus de la passivité à la riposte ouverte, la limite s’estompe, alors que la violence est désormais revendiquée. Le 3 mai 1964, après son retour de La Mecque, Malcolm X déclare dans un discours prononcé à Cleveland, « The Ballot or the Bullet » :
« Si l’homme blanc ne veut pas que nous soyons contre lui, qu’il cesse de nous opprimer, de nous exploiter et de nous humilier. Que nous soyons chrétiens, musulmans, nationalistes, agnostiques ou athées, nous devons d’abord apprendre à oublier nos différences. […] Nous allons être contraints d’employer le bulletin de vote ou les balles. […] Je ne me considère pas comme un Américain. Je ne suis pas un Américain. Je suis l’une de vingt-deux millions de personnes noires qui sont les victimes de l’américanisme […]. Il y aura des cocktails Molotov ce mois-ci, des grenades à main le mois prochain, et autre chose le mois suivant. […] Ce sera la liberté ou la mort. C’est la liberté pour tous ou pour personne109. »
51Le SNCC doit s’orienter dans ce nouveau contexte. Avant 1966 l’élection des responsables du SNCC était une pure formalité, et le plus souvent un seul candidat était élu informellement, dans un poste qu’il occupait en réalité déjà. James Forman est secrétaire exécutif depuis 1961 et John Lewis président depuis 1963, mais les années 1964 et 1965 ont mis son discours modéré en porte-à-faux. Il est critiqué pour son implication dans l’organisation d’une conférence de la Maison-Blanche sur les droits civiques et pour un projet de voyage en Europe pour y lever des fonds, à l’appel d’un syndicat étudiant norvégien110. Au contraire Stokely Carmichael est porté par le succès du LCFO en Alabama. Le 8 mai 1966 lors de la conférence de Kingston Springs près de Nashville, les partisans de la tendance dite séparatiste, qui souhaitent faire du SNCC une organisation uniquement noire, sont absents, ils participent à Atlanta à l’Afro-American Festival, un événement culturel. Robert Moses, qui a rompu avec le SNCC, déclare à cette occasion qu’il cesse toute relation avec les Blancs. Lors de son voyage en Afrique en 1965, il a découvert la manière dont les autorités américaines présentaient leur combat aux Africains, en donnant le rôle essentiel à des Blancs libéraux et bienveillants, et cela a sans doute joué un rôle dans son évolution vers un séparatisme radical111. Il n’est pas le seul à rompre de cette manière, les snickers sont déçus et amers après les épisodes du MFDP et de Selma, et les réunions sont souvent houleuses. Les militants originaires du Nord tendent à mettre en avant une identité noire en conflit avec les Blancs de l’organisation. Selon John Lewis ces attitudes répondent au besoin d’affirmer leur fierté pour compenser leur jeunesse :
« Pour beaucoup des nouveaux membres du SNCC, issus du Nord, le radicalisme en termes de conscience raciale était inversement proportionnel au degré avec lequel ils avaient, pour une raison ou une autre, mis de côté leur couleur quand ils étaient jeunes. […] Vous ne constatiez pas ce genre d’attitude parmi les Noirs du Sud. […] Ils ne ressentaient pas le même besoin de découvrir et d’affirmer leur identité noire. Je me souviens de Bob Mants, […] qui dans un meeting avait dit : “Un Noir du Sud n’a pas besoin de porter un badge qui déclare qu’il est noir. Nous n’avons pas besoin de la coupe Afro pour démontrer que nous sommes noirs. Nous le savons, c’est tout112.” »
52Les tensions s’accroissent autour de la participation des Blancs au SNCC. Un des problèmes est l’absence de réaction de la presse lorsqu’un Noir est blessé, tandis que s’il s’agit d’un Blanc, il fait aussitôt la couverture des journaux. Les journalistes interviewent les jeunes étudiants blancs qui sont arrivés depuis quelques jours dans le Mississippi, sans jamais tendre leurs micros aux Africains-Américains qui vivent sur place. John Jackson, militant du SNCC dans le Comté de Lowndes, décrit les problèmes posés par la présence de militants Blancs, qui déclenchent le retour de réflexes anciens d’obéissance : « Si un Blanc propose une réunion tout le monde vient au meeting, parce que c’est un Blanc qui l’a demandé113. » Il se prononce pour leur départ du SNCC, et ne pense plus qu’un travail commun soit possible114.
53En décembre 1966, plus d’une centaine de militants du SNCC, réunis dans la salle d’un centre de vacances des Catskill Mountains dans l’État de New York, le Peg Leg Bates Club, votent le fait que le SNCC est désormais une organisation exclusivement noire115. Les Blancs sont invités à le quitter, et c’est un drame pour beaucoup d’entre eux116. De même, lors de son congrès en 1966, le CORE déclare renoncer à l’intégration et qualifie l’action non-violente de « philosophie à l’agonie ». Les Blancs du CORE sont également invités à faire leurs bagages117.
54Les émeutes ont modifié la donne et conduit le gouvernement comme le patronat à réagir rapidement pour tenter d’éteindre l’incendie, notamment avec une plus large ouverture aux études et à des emplois qualifiés. Dès 1964, la situation des ghettos préoccupait l’administration Johnson, qui initia la « Guerre contre la pauvreté », lors du discours sur l’état de l’Union le 8 janvier 1964118. Un militant du CORE à Canton, dans le Mississippi, George Raymond, décrit cette politique comme à peine une aumône destinée à calmer la situation, sans rien régler sur le fond : « Autrement dit si vous donnez sa tétine à un bébé, il cessera de pleurer. Vous donnez de la petite monnaie à un Noir, et il arrêtera de même119. » Selon lui il s’agit de programmes qui ont d’abord comme vocation d’intégrer les activistes noirs dans les projets gouvernementaux. C’est aussi l’opinion d’Hollis Watkins, un ancien militant du SNCC, qui explique le refus en 1966 d’un programme d’aide aux enfants, le Child Development Group of Mississippi, qu’il percevait comme « une tentative d’acheter le mouvement120 ».
55À l’automne 1968 le nombre d’étudiants noirs augmente fortement, et il est évident qu’il s’agit d’une forme de réponse politique aux émeutes urbaines du printemps, qui ont fait suite à l’assassinat de King : « La réponse institutionnelle a été “ouvrons le chemin à la classe moyenne”. Ce n’est pas la non-violence, ce n’est pas le mouvement pour les droits civiques, ce ne sont pas les gens du Sud [qui ont permis cela]. C’est l’éruption de la colère nationale, urbaine121. » À l’heure du bilan en 1967, James Forman écrit dans une brochure du SNCC qu’il faut désormais se tourner vers les questions basiques, les besoins vitaux de la population noire, jusqu’à toucher le fond, « Rock Bottom122 ». Il se reproche l’échec des Freedom Schools et constate que depuis 1965 la politique du SNCC a profondément changé, avec l’abandon de la politique de coalition :
« La question n’est plus celle du droit de vote, mais la nature des politiques que nous devrions développer. La question n’est plus celle de la ségrégation, mais de répondre aux besoins les plus élémentaires. Par exemple le problème des logements insalubres, de l’éducation d’un niveau inférieur, des défaillances du système social et des systèmes de santé, du caractère infâme et raciste de la politique extérieure américaine. […] À notre meeting de décembre 1966 à Peg Leg Bates nous avons décidé de beaucoup de choses, mais nous avons aussi reconnu que la nature de notre combat avait changé. Et nous avons voté la création de Freedom Organizations dans tout le pays. Nous avons décidé que ces Freedom Organizations seraient des partis politiques au sens plein du terme123. »
56Martin Luther King Jr. évolue dans la même direction : il déclare lors d’une « retraite collective » de la SCLC en 1966 que « quelque chose ne fonctionne pas dans le capitalisme » et évoque la lutte de classe124. Il établit un lien entre « trois maux, le racisme, la pauvreté et la guerre125 ». Son engagement est aujourd’hui replacé par les historiens dans le contexte de ses convictions sociales-démocrates, des idées qu’il avait sans doute masquées dans un premier temps, mais qui s’affirment dans les années 1960, particulièrement contre la guerre du Vietnam126.
57Les tensions au sein du SNCC, qui restaient enfouies auparavant, deviennent des divergences ouvertes au tournant du milieu des années 1960. Le vote des lois Civil Rights Act et Voting Rights Act en 1964 et 1965 a déplacé le terrain des mobilisations vers la question des inégalités, que les émeutes des ghettos entre 1964 et 1968 posent aussi brutalement127. À l’échec du MFDP, perçu comme une trahison des démocrates, s’ajoute l’attitude de Martin Luther King Jr. à Selma, que les militants du SNCC dénoncent comme une compromission inacceptable. Cette évolution vers les positions du Black Power compte sans doute pour beaucoup dans l’oubli relatif dont le SNCC a été victime, au profit des figures de King ou Rosa Parks, des symboles plus à même de s’intégrer au grand récit démocratique.
58Les oppositions idéologiques qui séparent les différentes tendances du Black Power sont inscrites dans la longue durée d’une histoire des idées, depuis le xixe siècle et les premières formes de nationalisme noir. Mais elles prennent leur source immédiate dans les dynamiques récentes qu’a connu le mouvement de libération noire à partir de 1960. L’historien Robert Self dit du Black Power qu’il a été trop longtemps présenté « en termes de figures charismatiques et de déclarations idéologiques afin de marquer une rupture nette, voire fatale avec le mouvement des droits civiques128 ». Au contraire, l’histoire du SNCC au tournant des années 1965-1966 montre la continuité entre le mouvement des droits civiques et le Black Power, tel qu’il s’est par exemple développé dans le comté de Lowndes.
Notes de bas de page
1 Robert Moses écrit que « les sans-voix ont trouvé leur propre voix ». Moses Robert P. et Cobb Charles E., Radical Equations, op. cit., p. 21.
2 Parker Alan, Mississippi Burning, New York, Orion Pictures, 1988.
3 Moses Robert P. et Cobb Charles E., Radical Equations, op. cit., p. viii.
4 Robinson Phil A. et Glover Danny, Freedom Song, Burbank Ca, Warner Home, 2000.
5 Moses Robert P. et Cobb Charles E., Radical Equations, op. cit., p. vii.
6 Ibid., p. 84.
7 L’expression community-organizing n’est pas traduite en français, et des traductions telles « auto-organisation », ou « organisation d’une communauté » ne permettent pas d’en rendre véritablement compte. elle désigne une forme de militantisme initié dans les années 1930 par Saul Alinsky. Ibid., p. 4, 17.
8 Alinsky Saul David, Rules for Radicals: A Practical Primer for Realistic Radicals, New York, Vintage Books, 1989 ; Petitjean Clément, « “Us Career Organizers”: The Making of Professional Community Organizers in Chicago », Revue française d’études américaines, no 151, 2017, p. 23-35.
9 SNCC Digital, « C.C. Bryant », [https://snccdigital.org/people/c-c-bryant/], consulté le 30 septembre 2018 ; Moses Robert P. et Cobb Charles E., Radical Equations, op. cit., p. 45-46.
10 Steptoe Elridge. W., « Interview », [https://snccdigital.org/people/e-w-steptoe/], consulté le 3 avril 2017 ; Moses Robert P. et Cobb Charles E., Radical Equations, op. cit., p. 25-26, 49.
11 Moses Robert P. et Cobb Charles E., Radical Equations, op. cit., p. 81.
12 Ibid., p. 45.
13 Cobb Charles E., This Nonviolent Stuff’ll Get You Killed, op. cit.
14 Moses Robert P. et Cobb Charles E., Radical Equations, op. cit., p. 85.
15 Ibid., p. 20.
16 Payne Charles M., I’ve Got the Light of Freedom, op. cit., p. 113.
17 Beito David T., Beito Linda Royster et Mitchell Jerry W., T.R.M. Howard: Doctor, Entrepreneur, Civil Rights Pioneer, Oakland CA, Independent institute, 2018.
18 Il est pharmacien et devient le président de la NAACP du Mississipi. En 1961 il est aussi à la tête du COFO puis participe au MFDP en 1964 où il fait partie de la délégation au congrès démocrate. « Aaron Henry » ; Payne Charles M., I’ve Got the Light of Freedom, op. cit.
19 Dittmer John, Local People, op. cit., p. 33.
20 Ibid., p. 63.
21 Evers-Williams Myrlie et Marable Manning, The Autobiography of Medgar Evers, op. cit., p. 118.
22 Ibid., p. 135.
23 Ibid., p. 147. Les enseignants noirs étaient payés autour de 5 000 dollars par an.
24 SNCC digital, « SNCC leaves McComb », [https://snccdigital.org/events/sncc-leaves-mccomb/], consulté le 30 septembre 2018.
25 McAdam Doug, Freedom summer, luttes pour les droits civiques, Mississippi 1964, op. cit., p. 62.
26 Ibid., p. 98.
27 Ibid., p. 99.
28 Ibid., p. 97.
29 Hayden Tom et Students for a Democratic Society (U.S.), The Port Huron Statement: Vision Call of the 1960s Revolution, New York, Thunder’s Mouth, 2006.
30 Evans Sara M., Personal Politics, op. cit., p. 60.
31 Kennedy John F., Statement by the President on the March on Washington for Jobs and Freedom, [http://www.presidency.ucsb.edu/ws/?pid=9383], consulté le 30 septembre 2018.
32 Carson Clayborne, In Struggle, op. cit., p. 113.
33 McAdam Doug, Freedom summer, luttes pour les droits civiques, Mississippi 1964, op. cit., p. 79.
34 Stoper Emily, « The Student Nonviolent Coordinating Committee: Rise and Fall of a Redemptive Organization », art. cité, p. 22.
35 Bond Julian et Britton John H., Julian Bond interview, op. cit., p. 31.
36 Rolland-Diamond Caroline, Black America, op. cit., p. 317.
37 Mills Kay, This Little Light of Mine, op. cit., p. 121.
38 Brooks Maegan P., A Voice That Could Stir an Army. Fannie Lou Hamer and the Rhetoric of the Black Freedom Movement, Jackson, University Press of Mississippi, 2014.
39 Brown Edward et Lewis Harold O., Edward Brown interview, op. cit., p. 42.
40 Hamer Fannie L. et Wright Robert, Fannie Lou Hamer interview, Moorland-Spingarn Research Center, RJB 282, août 1968.
41 Lewis John et D’Orso Michael, Walking with the Wind, op. cit., p. 290.
42 Hamer Fannie L. et Wright Robert, Fannie Lou Hamer interview, op. cit., p. 27a.
43 Moses Robert P. et Cobb Charles E., Radical Equations, op. cit., p. 83.
44 Hamer Fannie L. et Wright Robert, Fannie Lou Hamer interview, op. cit., p. 28.
45 Déclaration de Fannie Lou Hamer lors de la Convention démocrate de 1964. Mills Kay, This Little Light of Mine, op. cit., p. 5.
46 Hamer Fannie L. et Wright Robert, Fannie Lou Hamer interview, op. cit., p. 29-30.
47 Wright Robert E., Wright Robert E. interview, Moorland-Spingarn Research Center, RJB 239, 22 juillet 1968.
48 Brown Edward et Lewis Harold O., Edward Brown interview, op. cit., p. 31.
49 Lewis John et D’Orso Michael, Walking with the Wind, op. cit., p. 291.
50 Sellers Cleveland et Terrell Robert L., The River of No Return: The Autobiography of a Black Militant and the Life and Death of SNCC, Jackson, University Press of Mississippi, 1990, p. 111.
51 Hodgson Godfrey, America in Our Time, op. cit., p. 216-217.
52 Lewis John et D’Orso Michael, Walking with the Wind, op. cit., p. 366.
53 Dona Moses, Stokely Carmichael, Prathia Hall, Julian Bond, Ruby Dorris Robinson, Bill Hansen, Donald Harris et Fannie Lou Hamer participant à ce voyage africain.
54 Hamer Fannie Lou, Lester Julius et Varela Mary, To Praise Our Bridges, Jackson, Miss., Kipco, 1967, p. 21.
55 Lewis John et D’Orso Michael, Walking with the Wind, op. cit., p. 306.
56 Ladner Joyce, « From Activism to Rhetoric: What Black Power Means to Negroes in Mississippi », in August Meier, The Transformation of Activism: Black Experience, Chicago, Aldine Pub. Co., 1970 p. 131.
57 Webb Sheyann, West Nelson Rachel et Sikora Frank, Selma, Lord, Selma: Girlhood Memories of the Civil Rights Days, Tuscaloosa, University of Alabama Press, 1997.
58 Lewis John et D’Orso Michael, Walking with the Wind, op. cit., p. 349.
59 Ibid., p. 331.
60 Ibid., p. 332.
61 Ibid., p. 348.
62 Ibid., p. 362.
63 Le recueil, Malcolm X speaks, qui rassemble ses écrits les plus radicaux, était particulièrement populaire. Ibid., p. 365.
64 Ibid., p. 301.
65 Lewis John et D’Orso Michael, Walking with the Wind, op. cit., p. 366.
66 Ibid., p. 368.
67 Brown Edward et Lewis Harold O., Edward Brown interview, op. cit., p. 56-57.
68 Carson Clayborne, In Struggle, op. cit., p. 95.
69 Carmichael Stokely et Thelwell Michael, Ready for Revolution, op. cit.
70 Stokely Carmichael (1941-1998), qui adopte plus tard le nom de Kwame Ture, était étudiant à Howard, où il rejoint le Nonviolent Action Group (NAG), qui devient bientôt un groupe local du SNCC. Il participe aux premières Freedom Rides en 1961, et en 1966 est élu à la tête du SNCC, ce qui marque la radicalisation de cette organisation. Il démissionne en 1967 pour être ensuite de plus en plus associé avec le Black Panther Party. En 1969, il quitte les États-Unis pour s’installer avec sa femme, Miriam Makeba, en Guinée-Conakry.
71 Ibid., p. 3.
72 Ibid., p. 178, 144, 139.
73 Rolland-Diamond Caroline, Black America, op. cit., p. 335.
74 John Hulet preside une association de défense des droits, la Lowndes County Christian Movement for Human Rights (LCCMHR).
75 Rappelons aussi qu’en 1963 le Freedom Now Party a été fondé suite à la marche sur Washington, soutenu notamment par le SWP.
76 Jeffries Hasan K., Bloody Lowndes: Civil Rights and Black Power in Alabama’s Black Belt, New York, NYU Press, 2009, p. 197.
77 « Ella Baker “Bigger than a Hamburger” », One Person One Vote (blog), 2018, [http://onevotesncc.org/stories/ella-baker-bigger-hamburger/], consulté le 2 mars 2017.
78 Carson Clayborne, In Struggle, op. cit., p. 104.
79 Ibid., p. 18.
80 Forman James, Sammy Younge, Jr.: The First Black College Student to Die in the Black Liberation Movement, New York, Grove Press, 1986.
81 SNCC Digital Gateway (blog), « Murder of Sammy Younge & SNCC’s Statement on Vietnam », [https://snccdigital.org/events/murder-of-sammy-younge-snccs-statement-on-vietnam/], consulté le 27 septembre 2018.
82 Rappelons que dans les années 1966, 1967, les premiers maires noirs sont élus à Gary, puis Cleveland, soutenus par le Parti démocrate.
83 Interview avec John Lewis, Dialogue Magazine, printemps 1964, in August Meier, Elliott M. Rudwick, Francis L. Broderick et Francis L. Broderick (dir.), Black protest thought of the twentieth century, Indianapolis, Bobbs-Merrill, 1971, p. 357.
84 X Malcolm et Haley Alex, L’autobiographie de Malcolm X, op. cit., p. 59.
85 Ibid., p. 27.
86 Ibid., p. 211.
87 Lewis John et D’Orso Michael, Walking with the Wind, op. cit., p. 163.
88 Carson Clayborne, The Autobiography of Martin Luther King, Jr, op. cit., p. 268.
89 Ibid.
90 Carson Clayborne, The Autobiography of Martin Luther King, Jr, op. cit., p. 197.
91 Chen Anthony S., The Passage of State Fair Employment Legislation, 1945-1964: An Event-History Analysis with Time-Varying and Time-Constant Covariates, Los Angeles, University of California, 2001, [https://escholarship.org/uc/item/2jp343hf], consulté le 13 mai 2018.
92 Gonda Jeffrey D., Unjust Deeds: The Restrictive Covenant Cases and the Making of the Civil Rights Movement, Chapel Hill, N.C., University of North Carolina Press, 2015 ; Taylor Keeanga-Yamahtta, Race for Profit: How Banks and the Real Estate Industry Undermined Black Homeownership, Chapel Hill, N.C., University of North Carolina Press, 2019.
93 Biondi Martha, « (Pre)figuring the 1960s “Urban crisis” », art. cité, p. 47.
94 Carson Clayborne, The Autobiography of Martin Luther King, Jr, op. cit.
95 Haines Herbert H., Black Radicals and the Civil Rights Mainstream, 1954-1970, op. cit.
96 Zinn Howard et Shannon Katherine, Howard Zinn interview, Moorland-Spingarn Research Center, RJB 99, 1967.
97 Schlesinger Arthur M., A Thousand Days: First Portrait of Kennedy by a member of his Team, New York, Time, Inc., 1965, p. 884-885.
98 Marable Manning, Race, Reform, and Rebellion, op. cit., p. 95.
99 Heffer Jean, Weil François et Ndiaye Pap, La démocratie américaine au xxe siècle, op. cit., p. 26.
100 Lors d’un meeting le 17 juin 1966 à Greenwood, dans le Mississipi, Carmichael lance ce slogan qui est repris par la foule.
101 Geschwender James A., Class, Race, and Worker Insurgency: The League of Revolutionary Black Workers, New York, Cambridge University Press, 1977 ; Georgakas Dan et Surkin Marvin, Detroit: I Do Mind Dying: A Study in Urban Revolution, New York, St. Martin’s Press, 1975 ; Mahéo Olivier, « Radical Motown, Radical Heritage: The League of Revolutionary Black Workers », USAbroad – Journal of American History and Politics, vol. 3, 2 mars 2020, p. 35-52.
102 Biondi Martha, To Stand and Fight. The Struggle for Civil Rights in Postwar New York City, op. cit. ; Sugrue Thomas J., Sweet Land of Liberty, op. cit.
103 Carson Clayborne, The Autobiography of Martin Luther King, Jr, op. cit., p. 293.
104 Lewis John et D’Orso Michael, Walking with the Wind, op. cit., p. 363.
105 Ibid., p. 21.
106 Bond Julian et Britton John H., Julian Bond interview, op. cit., p. 41.
107 Carmichael Stokely et Thelwell Michael, Ready for Revolution, op. cit., p. 193-194.
108 Ibid., p. 166.
109 X Malcolm et Breitman George, By Any Means Necessary: Speeches, Interviews, and a Letter, op. cit.
110 Carson Clayborne, In Struggle, op. cit., p. 200.
111 Ibid., p. 330, n. 11.
112 Lewis John et D’Orso Michael, Walking with the Wind, op. cit., p. 307.
113 Jackson John et Wright Robert, John Jackson interview, op. cit., p. 38.
114 Ibid., p. 38-39.
115 Peg Leg Bates est le nom de scène d’un célèbre danseur de claquettes noir, Clayton Bates (1907-1998), qui fut propriétaire de ce club, de 1951 à 1987, lieu de villégiature célèbre parmi les Africains-Américains, dans les Catskill Mountains, à Kerhonkson, NY.
116 Comme en témoigne Dorothy Zellner in Holsaert Faith S., Noonan Martha Prescod Norman, Richardson Judy, Robinson Betty G., Young Jean S. et Zellner Dorothy M., Hands on the Freedom Plow, op. cit., p. 324. Sur la conférence de Peg Leg Bates Club : Digital SNCC, « SNCC staff meeting at Peg Leg Bates club », [https://snccdigital.org/events/sncc-staff-meeting-peg-leg-bates-club/], consulté le 2 octobre 2018.
117 Sitkoff Harvard, The Struggle for Black Equality, 1954-1992, op. cit., p. 195.
118 Parmi ces programmes, on peut citer l’Economic Opportunity Act de 1964, le Food Stamp Act et le Social Security Act.
119 Raymond George, George Raymond interview, Moorland-Spingarn Research Center, RJB 333, 1968.
120 Watkins Hollis et Wright Robert, Hollis Watkins interview, Moorland-Spingarn Research Center, RJB 285, août 1968.
121 Payne Charles M., « “Sexism is a Helluva Thing”: Rethinking our Questions and Assumptions », art. cité, p. 322.
122 Forman James, « Rock Bottom », janvier 1967, [https://www.crmvet.org/info/670000_sncc_forman_rockbottom.pdf], consulté le 27 septembre 2018.
123 Ibid., p. 4.
124 King Martin L., « Speech to Mississippi Leaders on the Washington Campaign » (15 février 1968), in Martin Luther King et Clayborne Carson, The Papers of Martin Luther King, Jr, Berkeley, Calif./Londres, University of California Press, 2005, p. 6. La citation sur la lutte de classe est extraite d’une interview à un journaliste du New York Times en 1968, citée par Michael Dyson : Dyson Michael Eric, I May Not Get There with You: The True Martin Luther King, Jr., New York, Free Press, 2000, p. 6. Voir aussi Fairclough Adam, « Was Martin Luther King a Marxist? », History Workshop, no 15, 1983, p. 117-125 ; Laurent Sylvie, Martin Luther King: une biographie intellectuelle et politique, Paris, Le Seuil, 2015.
125 Discours en 1967 au Hungry Club Forum, établi par la YMCA de Butler Street à Atlanta. King Martin Luther Jr., « America’s Chief Moral Dilemma », The Martin Luther King Jr. Center for Nonviolent Social Change, [http://www.thekingcenter.org/archive/document/americas-chief-moral-dilemma], consulté le 14 juillet 2018.
126 Laurent Sylvie, Martin Luther King, op. cit.
127 Rolland-Diamond Caroline, Black America, op. cit., p. 325-328 ; Horne Gerald, Fire this Time: The Watts Uprising and the 1960s, New York, Da Capo Press, 1997 ; Belknap Michal R., Urban Race Riots, New York, Garland, 1991 ; Rucker Walter C. et Upton James N., Encyclopedia of American Race Riots, Westport, Conn., Greenwood Press, 2007.
128 Self Robert O., American Babylon, op. cit., p. 217.
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