Chapitre VI. Les contre-récits féminins, troubles dans le récit
p. 151-172
Texte intégral
Rosa Louise McCauley Parks, cette inconnue
1Le récit le plus simplifié du boycott de Montgomery, tel qu’il est repris par les grands médias, peut aller jusqu’à oublier la mobilisation collective, pour décrire le refus de Rosa Parks comme un geste isolé, à tel point qu’elle apparaît comme une héroïne qui symbolise non seulement le boycott de 1955, mais aussi tout le mouvement des droits civiques1. Sans nier l’importance du boycott, son ampleur, sa durée, la victoire qui le conclut et son influence, son statut mémoriel, celui d’un événement majeur, est lié à la force dramatique du récit de la femme fatiguée, dont la force évocatrice a marqué, à juste titre, les esprits. Le récit passe du détail, le retour fatigué du travail, au sens symbolique résumé par ces paroles, souvent citées : « Les gens disent toujours que j’ai refusé de céder mon siège parce que j’étais fatiguée, mais c’est faux. Je n’étais pas fatiguée physiquement, ou pas plus que d’habitude à la fin d’une journée de travail. Je n’étais pas vieille, même si certains ont une image d’une vieille femme. J’avais quarante-deux ans. Non, ce dont j’étais fatiguée, c’était de céder2. » De la fatigue du travail, on passe à la lassitude d’une vie marquée par la ségrégation. Ainsi raconté, cet épisode associe l’empathie pour la salariée qui rentre chez elle, à la découverte de l’humiliation, du racisme mais aussi à celle de la résistance et de la dignité. Le sens d’un combat collectif est abordé à l’échelle individuelle. Mais par-delà ce récit personnel se met en place une construction mythique, dans laquelle Rosa Parks ne joue qu’un rôle accidentel. Peut-être qu’un aspect de la force de cette simplification, c’est de ne pas se présenter comme telle, puisque ce récit donne le sentiment de découvrir un sens caché derrière un fait banal, la dignité derrière la fatigue physique, le général derrière le particulier3. S’il reconnaît à Rosa Parks un courage exemplaire, il lui refuse aussi le rôle de leader. Élevée au rang de symbole démocratique, sa victoire et la réparation des torts permet la mise en place d’une mémoire nationale réconciliée.
2Les historiens décrivent eux la longue préparation qui a précédé le boycott de Montgomery et soulignent les épisodes antérieurs, notamment le boycott de Baton Rouge en 19534. Cependant le boycott de Montgomery est souvent choisi comme le point de départ des mobilisations, quand il ne s’agit pas du procès Brown v. Board of Education of Topeka, Kansas, qui met davantage l’accent sur l’action juridique de la NAACP. Rosa Parks n’a pas été l’objet de beaucoup d’ouvrages, hormis les nombreuses publications enfantines, qui vont du court récit illustré aux albums à colorier, et quelques livres écrits par des journalistes, souvent brefs et répétitifs. Seules deux biographies ont été écrites par des historiens, ce qui est bien peu comparé au plus de 200 ouvrages consacrés à Martin Luther King Jr. Le récit du boycott met le plus souvent au centre le rôle du leader, c’est l’« Amérique au temps de King », America in the King’s Years, selon le titre de l’ouvrage de Taylor Branch. À l’inverse, Ella Baker parle d’un « mouvement qui a fait Martin, plus que lui n’a fait le mouvement5 ». À propos de Rosa Parks, on dispose du livre de Douglass Brinkley, Rosa Parks, a Life, en collaboration avec Rosa Parks elle-même (malheureusement, l’absence de notes de bas de page ne permet pas d’y distinguer ce qui relève des interventions de Rosa Parks et ce qui est de la plume de Brinkley6), et d’autre part de l’ouvrage de l’historienne Jeanne Theoharis, The Rebellious Life of Mrs. Rosa Parks, qui s’efforce de déconstruire le mythe7. Elle y dénonce la manière dont le souvenir de Rosa Parks est figé dans l’instant d’un moment unique, qui aurait supposément permis au pays tout entier de prendre conscience de l’injustice, tout cela sans violence. Nous avons précédemment montré à travers différentes photographies comment ce mythe était genré et la relèguait à l’arrière-plan. Son autobiographie révèle une autre réalité.
3Rosa Parks signe en effet en 1992 l’ouvrage Rosa Parks, My Story, coécrit avec Jim Haskins, un auteur prolifique de plus de 100 livres, dont beaucoup sur les gloires africaines-américaines. Il pourrait sembler à première vue que ce texte enferme Rosa Parks dans le « programme scolaire des classes élémentaires8 », puisqu’il est publié dans une collection destinée à un public de jeunes adultes. Les choix typographiques de grands caractères, les nombreuses photographies des deux premières éditions, qui documentent la ségrégation dans le Sud d’une manière très générale, et un texte assez court de 190 pages, semblent destiner ce livre à la jeunesse. Mais il reste tout de même une source précieuse pour ce qu’il dit et pour ce qu’il tait.
4Sur la couverture de la première édition (1992), le titre Rosa Parks, My Story, redouble le nom de l’auteure, inscrit de nouveau plus bas. La participation de Jim Haskins est minorée par des caractères plus petits. La première couverture proposait un portrait, un visage souriant cadré assez serré, mais elle a été remplacée en 1994 par l’image iconique du bus qui permet de situer immédiatement l’action de l’héroïne, et qui semble indiquer que ce moment va effacer le reste. Cependant le texte prend cette attente à contre-pied : Rosa Parks consacre 110 pages à sa vie avant l’arrestation, puis 25 aux années qui ont suivi. Le récit de l’arrestation puis du boycott occupe 52 pages, et bien que central, il représente moins d’un quart du livre.
5La dédicace est adressée à sa mère, Leona McCauley, et au mari de Rosa, Raymond A. Parks. Elle remercie également son amie, l’agent littéraire Elaine Steele. Jim Haskins n’intervient ni dans la préface, ni par des notes de bas de page. Ceci se démarque de beaucoup d’ouvrages comparables, dans lesquels les notes, l’introduction, donnent l’occasion aux historiens de commenter. David Garrow intervient dans la préface de l’autobiographie de Jo Ann Robinson, The Montgomery Bus Boycott and the Women Who Started It, pour décrire sa gentillesse, sa timidité et d’autres qualités qu’il associe explicitement à sa féminité9. Rien de tel dans Rosa Parks, My Story, dans lequel elle conserve le contrôle entier de l’ouvrage.
6Il est illustré par des photographies très générales, à vocation visiblement pédagogique – une fontaine ségréguée, le Ku Klux Klan, et d’autres images du même type. Le livre inclut par ailleurs 13 photos fournies par Rosa Parks elle-même. La célèbre photographie de Rosa Parks assise dans le bus sert de couverture à la plupart des éditions. Dans cette image le portrait personnel rejoint la grande histoire. Pour le reste, les nombreuses photos de ses parents, grands-parents, de sa maison d’enfance, de son frère, relient les fils d’une vie, disparue derrière la médiatisation d’une seule journée. Cette part personnelle, largement présente dans le récit, caractérise souvent les autobiographies féminines. Les hommes développent plus longuement leur vie professionnelle, le contexte historique, tandis que les femmes mettent souvent l’accent sur leur réseau de relations, leur vie privée, et minimisent leur implication dans la vie publique10. Rosa Parks consacre les cinquante premières pages à son enfance et à sa prise de conscience de l’injustice.
7Rosa Louise McCauley naît à Tuskegee en Alabama le 4 février 1913. Elle présente cette petite ville comme un modèle de bonnes relations entre les Noirs et les Blancs. Son père, un charpentier qualifié, a choisi de vivre près du Tuskegee Institute, fondé en 1881 par Booker T. Washington, précisément pour cette raison. Sa mère, Léona Edwards, une institutrice, doit cesser de travailler après la naissance de Rosa. Pour la famille McCauley, Tuskegee est le meilleur endroit de l’Alabama pour recevoir une éducation. Sa mère souhaite y rester pour élever sa fille. Mais le père choisit de s’installer près de sa famille à Abbeville, également en Alabama. C’est auprès de son oncle George qu’elle apprend tout ce qu’elle sait de la famille de son père. Celui-ci est finalement parti travailler dans des chantiers lointains dans le Nord et sa mère décide de s’installer à Pine Level, dans la ferme paternelle, dans le comté de Montgomery. Rosa Parks ne revoit pas son père avant l’âge adulte. Ses parents n’« arrivaient pas à coordonner leurs vies », écrit-elle11. Rosa passe donc son enfance auprès de ses grands-parents maternels, dans une maison de bois (« log house ») sur l’ancienne plantation des Wright, où son grand-père continue de travailler pour la même famille blanche qu’au temps de l’esclavage, bien qu’il soit parvenu à acheter 12 acres de terres, soit presque 5 hectares. Ils sont les seuls à posséder des terres. Rosa, comme des millions d’autres enfants noirs, récolte le coton :
« C’était vraiment dur […]. On avait une phrase, “From can to can’t”. Ça voulait dire du moment où on y voyait quelque chose, jusqu’à ce qu’on n’y vît plus rien. Je n’oublierai jamais comment le soleil me brûlait à l’intérieur. Le sable brûlait nos pieds qu’on ait des chaussures ou non. […] À six ans j’étais assez grande pour réaliser que nous n’étions pas vraiment libres. Le Ku Klux Klan faisait des raids dans la communauté noire, brûlait des églises, battait des gens, en tuait d’autres. Au début je ne me rendais pas compte à quel point le Klan était actif, mais plus tard j’appris que c’était lié au retour des soldats afro-américains qui revenaient de la Première Guerre mondiale, et qui agissaient comme s’ils méritaient le droit à l’égalité, parce qu’ils s’étaient battus pour leur pays12. »
8Dès la génération du grand-père, l’éducation est tenue en haute estime. Les Africains-Américains la considéraient souvent comme le seul moyen d’échapper à une situation immuable et délétère dans le Sud. Son grand-père a donc voulu que sa fille devienne institutrice. Sa première école est une baraque, construite par les Noirs eux-mêmes. Plus loin, l’école des Blancs, un beau bâtiment de briques, avait été payée avec les impôts de toute la population, Noirs inclus. Son école à elle n’est ouverte que cinq mois par an, sans vitres aux fenêtres, sans bus scolaire. À 11 ans elle doit poursuivre ses études à Montgomery, à « l’école industrielle de Montgomery », appelée par tous « l’école de Miss White », du nom d’Alice L. White, sa cofondatrice et directrice. Ses enseignants étaient blancs mais ils étaient mis à l’écart de la vie sociale car ils travaillaient pour les Noirs. L’école est même incendiée à deux reprises.
9Rosa Parks obtient son diplôme de fin d’études secondaires en 1933, à 20 ans. À cette époque, très peu de Noirs obtiennent un tel diplôme à Montgomery, cependant, cela ne lui permet pas de trouver un emploi. En 1941, elle est finalement embauchée sur la base militaire de Maxwell Field. Franklin Roosevelt vient de décider de la déségrégation des lieux publics et des transports au sein des sites militaires. Elle circule donc dans un bus non ségrégué dans les limites de la base fédérale ; à l’extérieur elle doit monter à l’arrière ou rester debout13.
10Sur le plan personnel, il est possible que l’autobiographie fasse silence sur différents épisodes douloureux, alors que Rosa Parks travaillait comme domestique dans les années 1930. Elle a écrit au début des années 1950 un autre texte, qui se présente comme une fiction, dont la narratrice n’est pas nommée14. Sa trame suit celle du roman Incidents in the life of a slave girl, récit de l’ancienne esclave Harriet Jacobs publié en 1861, et raconte comment la narratrice est parvenue à repousser des tentatives de viol. L’agresseur, nommé Mr Charlie, pourrait être n’importe quel Blanc, puisque ce nom était couramment utilisé pour désigner le pouvoir arbitraire des Blancs. La narratrice pourrait désigner Rosa Parks elle-même.
11En décembre 1932, Rosa McCauley se marie avec Raymond Parks, un coiffeur qui milite à la NAACP. Elle a 19 ans : « J’avais été impressionnée par le fait qu’il ne semblait pas avoir cette manière d’être soumis envers les Blancs, ce qu’on appelait l’attitude Oncle Tom15. » Raymond Parks lui plaît car il peut parler des heures durant de sujets fort intéressants, lié à son militantisme et à sa curiosité insatiable16. Esther Cooper, qui l’a rencontré au début de 1940, se souvient de lui comme l’un « des militants politiques les plus conscients au sein du mouvement syndical17 ». La NAACP de Montgomery est dominée par l’élite noire et n’est guère active. Ralph Bunche rappelle qu’il n’était pas inhabituel de voir les membres de cette élite reprendre à leur compte l’argument selon lequel la majorité des Noirs, non éduquée et illettrée, ne devrait pas être autorisée à voter18. Robin Kelley décrit la NAACP de Birmingham dans les années 1920-1930 comme se préoccupant plus des intérêts économiques de l’élite noire que de la question du droit de vote ou des violences raciales19. Au contraire, Raymond s’engage dans la campagne en faveur des « neuf de Scottsboro » avec l’ILD, et ses activités doivent rester clandestines. Lors des réunions auxquelles il participe, tous les participants se nomment « Larry », afin rendre les dénonciations plus difficiles20.
12Rosa Parks prétend ignorer avec quelle organisation Raymond militait. Elle prend même les devants en précisant que bien que les Blancs accusent tout militant noir d’être un communiste, elle n’a jamais pensé que quiconque dans le groupe de Raymond l’était. Elle ne mentionne pas Capitola Tasker, le leader du syndicat des métayers, un communiste qui participait aux mêmes activités que Raymond21. La discrétion est vitale et l’a sans doute empêchée dans un premier temps de connaître mieux ce groupe et leurs engagements. Mais elle adopte aussi une réserve et une prudence qu’elle conservera toute sa vie, en raison de la terreur qui régnait dans le Sud, et plus tard du fait du maccarthysme.
13En 1941, elle rencontre Edgar Daniel Nixon, un salarié des chemins de fer et un syndicaliste, qui a fondé la section du BSCP à Montgomery dans les années 1920, et qui est président de la NAACP de la ville. Il l’incite à s’engager avec lui dans des actions destinées à inscrire les Africains-Américains sur les listes électorales. En 1943 elle tente elle aussi de se faire inscrire sur ces listes, sans succès, avant d’y parvenir en 1945. À cette date elle est de plus en plus impliquée dans les activités de la NAACP.
14Celle-ci est devenue une organisation de masse, dont le fonctionnement n’a plus grand-chose à voir avec ce qu’elle était à ses débuts, des clubs un peu fermés qui réunissaient l’élite noire22. Des milliers de jeunes ont adhéré. Modjeska Simkins, qui faisait partie de la direction locale de la NAACP à Columbia en Caroline du Nord depuis 1939, rapporte dans une interview comment ces nouveaux militants cherchent à se débarrasser des anciens leaders : « Nous avons fait savoir et nous avons déclaré largement dans tout l’État que nous ne demandions à personne de mettre en péril sa position sociale ou son style de vie, mais que nous éliminerions tous ceux qui se mettraient en travers du chemin23. » Cette poussée militante a permis à E. D. Nixon d’être élu président de la section locale de la NAACP à Montgomery en 1945, contre les anciens leaders, plus éduqués, mais aussi plus modérés. Ella Baker écrit à propos d’E. D. Nixon que : « L’origine de son orientation vient de sa relation avec le Brotherhood of Sleeping Care Porters et avec la philosophie de Randolph sur l’action collective. E. D. Nixon est la force qui a véritablement pensé le boycott et conçu son projet24. »
15Du point de vue de la recherche historique, la NAACP a longtemps souffert de son image d’organisation conservatrice, et les recherches la concernant ont d’abord été assez rares. Par ailleurs, les tendances historiographiques des années 1980 privilégiaient l’histoire des anonymes, ce qui a aussi contribué au désintérêt pour la NAACP et ses leaders, Walter White (1983-1955) et Roy Wilkins (1901-1981), perçus comme « conservateurs et bureaucratiques25 ». Pourtant, la NAACP qui se développe depuis la fin des années 1930 est une organisation diverse et localement parfois très militante. L’ancien militant du SNCC Robert Moses insiste sur le fait que beaucoup de ses sections fonctionnent alors de façon autonome vis-à-vis des directives de la direction nationale et sont essentielles dans les mobilisations26.
16Malgré ce développement rapide, cela ne signifie pas que l’action de ses militants soit facile, ou qu’ils rencontreraient un large soutien spontané. Rosa Parks rapporte cette anecdote, alors qu’en 1943 elle fait face à un premier incident dans un bus, dans lequel elle est montée par la porte de devant alors que le chauffeur lui demandait d’emprunter celle de derrière. Le chauffeur la fait descendre, mais elle entend un passager noir dans le fond qui s’en prend à elle : « “Pourquoi est-ce qu’elle ne descend pas pour se mettre au fond ?” […] Je sais qu’ils marmonnaient et grommelaient contre moi alors que je me levais pour sortir du bus. […] Ils ne comprenaient pas pourquoi vous ne pouviez pas faire comme les autres Noirs. C’était dans les années 1940, et les gens supportaient beaucoup de choses sans répliquer27. »
17À Montgomery, deux femmes seulement participent aux réunions de la NAACP, Johnnie Carr et Rosa Parks, qui devient rapidement la secrétaire de son président, E. D. King. Selon lui, « La place des femmes c’est à la cuisine. [Elle] lui demandait : “Bon, et moi ?”, “Mais j’ai besoin d’une secrétaire et tu es parfaite pour cela”28. » Cependant, dans les dissensions qui déchirent la NAACP localement, et qui reflètent les différences sociales, Rosa Parks soutient E. D. Nixon29. Il n’a pas le niveau d’éducation, ni le statut social de son concurrent, Robert Matthews, qui représente plutôt les milieux diplômés et la bourgeoisie noire locale, mais il est plus militant.
18La guerre froide change la donne et se traduit par un recul sévère de toutes les organisations, y compris de la NAACP, pourtant peu suspecte de sympathie communiste. À Montgomery, ses effectifs diminuent de 1 600 à 148 en une année30. En 1949, E. D. Nixon n’est pas réélu président d’une section devenue exsangue. Rosa Parks poursuit cependant son travail de secrétaire de la NAACP et tient bon, envers et contre tout. Les temps sont durs politiquement : « C’était très difficile de continuer quand tout ce que vous faites a l’air inutile31. » Son autobiographie met en valeur à quel point le climat politique a changé après 1955 : les mêmes feront des kilomètres à pied pour boycotter les bus. Martin Luther King Jr. l’a souligné également : « Ceux qui auparavant tremblaient devant la loi étaient maintenant fiers d’être arrêtés32. » Mais entre 1945 et 1955 la situation est vraiment décourageante.
19L’activité principale de Rosa Parks consiste à dresser des listes d’incidents liés à la ségrégation, à écrire des rapports à leur sujet, à documenter des injustices contre lesquelles elle ne peut rien, pour les communiquer à la direction de la NAACP, à New York, dans le cas où l’organisation accepterait de se saisir de telle ou telle affaire. Elle enquête ainsi sur plusieurs affaires liées à des accusations de viols. Le jeune Jeremiah Reeves, alors âgé de 17 ans, avait une liaison avec une Blanche. En 1952 ils sont surpris par des voisins et la jeune fille l’accuse de viol. Malgré les efforts de la NAACP, il est exécuté à l’âge de 21 ans33. Nous avons déjà mentionné les entretiens menés par Rosa Parks autour du cas Recy Taylor, dans le cadre d’une campagne nationale34. En 1947 elle emmène plusieurs jeunes visiter le Freedom Train, lors de son passage à Montgomery. Mais ensuite, des mois durant, la peur des représailles la terrorise. En 1949, elle fonde le Club des jeunes de la NAACP avec l’aide de Johnnie Carr. Quelques jeunes se réunissent tous les dimanches chez les Parks et, dans un contexte toujours plus difficile, leur enthousiasme est sa lueur d’espoir.
20Par l’intermédiaire d’E. D. Nixon, elle rencontre Virginia Durr, qui avait été la vice-présidente du comité pour les droits civiques au sein du SCHW. Rosa Parks est invitée à participer à un atelier de formation politique de deux semaines à la Highlander Folk School. Myles Horton a décidé de se saisir de la décision Brown v. Board de la Cour suprême en 1954, pour mettre en avant la cause de la déségrégation scolaire et souhaite associer plus de militants noirs. En août 1955, durant 15 jours, 48 activistes, dont environ la moitié sont des Africains-Américains, participent à cette formation. Pour Rosa Parks, le choc est d’abord de découvrir que l’école se situe dans une région peuplée uniquement de Blancs. Puis c’est la découverte d’une école intégrée, où Noirs et Blancs vivent côte à côte et se partagent les tâches. Pour la première fois elle entrevoit une possible coexistence harmonieuse entre Blancs et Noirs. « Un de mes plus grands plaisirs ce fut de profiter des odeurs du bacon qui frit et du café, et de savoir que c’étaient des Blancs qui le préparaient, pas moi35. » Elle quitte la Highlander Folk School rassérénée et conservera toujours son amitié aux époux Durr et à Septima Clark.
Fatigué d’être une héroïne
21Comme on le voit, Rosa Parks est une militante chevronnée lorsqu’elle se retrouve au centre de la mobilisation du boycott de 1955-1956. Les membres de la NAACP songeaient depuis des mois à contester la ségrégation des transports, contre laquelle les protestations se multipliaient à Montgomery. Au printemps 1955 ils pensaient avoir trouvé la personne idéale, Claudette Colvin, une adolescente, qui participe aux réunions dominicales avec Rosa Parks. Le 2 mars 1955, elle a refusé de céder sa place à un Blanc, et a été traînée hors du bus par la police. Mais il s’avère que Claudette Colvin est enceinte, et n’est pas mariée : la NAACP décide finalement de ne pas s’engager sur ce dossier, qui aurait prêté le flanc à la presse conservatrice. De tels incidents dans les bus n’étaient pas rares, et le sociologue Barry Schwartz dresse la liste d’au moins sept personnes qui avant 1956 contestèrent la ségrégation dans les bus de Montgomery et de villes proches, sans que ces cas aient eu d’écho36.
22Le 1er décembre 1955, c’est au tour de Rosa Parks elle-même d’être arrêtée. La présentation des faits est déformée selon deux récits opposés. D’une part, les partisans de la ségrégation décrivent un complot préparé secrètement par des organisations libérales venus investir Montgomery, dont Rosa Parks ne serait que l’instrument. D’autre part, les médias nationaux proposent le récit de la couturière fatiguée, que nous avons décrit. Ces deux récits ont en commun de nier son autonomie d’action. Il est vrai que c’est un concours de circonstances qui met Rosa Parks en situation de porter elle-même la cause de la désagrégation des bus, mais ce n’est nullement un hasard. Comme nous l’avons vu, elle préparait cette action et la possibilité d’un dossier en justice depuis des mois.
23Le reste est connu. Le Womens’ Political Council (WPC), un groupe d’Africaines-Américaines de la classe moyenne, fondé en 1949, est le premier à appeler au boycott des transports ségrégués, grâce à Jo Ann Robinson, enseignante à l’université, qui imprime 35 000 tracts en une nuit37. Cette dernière a publié en 1987 ses mémoires, qui font surgir de nombreux acteurs auparavant laissés dans l’ombre, auxquels elle dédicace l’ouvrage. Son titre met en avant les « femmes qui initièrent [le boycott] ». Mais les hommes le dirigèrent.
24Les responsables locaux de la NAACP et quelques pasteurs se réunissent dans ce qui n’est pas encore la Montgomery Improvement Association (MIA). Rosa Parks et Jo Ann Robinson ne sont même pas invitées lors de cette première rencontre38. Il leur apparaît qu’il s’agit du cas idéal qu’ils cherchaient : une femme de condition modeste, mais aussi une « lady » par la tenue et le comportement, injustement arrêtée, à même donc de fédérer toute la communauté. Rosa Parks reprend cette idée dans le titre d’un chapitre de son livre : « Ils ont cherché des problèmes à la mauvaise personne39. » Lors du meeting du premier jour du boycott, le soir du lundi 5 décembre, dans l’église de Martin Luther King Jr. une assemblée nombreuse approuve le boycott et la fondation de la MIA, qui désigne King pour son président. Personne ne donne la parole à Rosa Parks. On lui demande vers la fin si elle souhaite dire quelque chose, elle refuse et elle écrira qu’elle n’en ressentait pas le besoin. On attend d’elle qu’elle témoigne par sa présence de la discrimination dont elle a été victime, mais pas de prendre la parole.
25Le paradoxe de cette célébrité est qu’elle n’est possible qu’au prix de son silence : la pression du maccarthysme et des normes sociales impose que son passé militant soit tu, qu’elle devienne la timide et discrète couturière, fatiguée, voire même plus vieille qu’elle n’est en réalité. La politique de la respectabilité concourt à cette iconisation, en exigeant des femmes retenue et discrétion. Évidemment toute mention de son passage à la Highlander Folk School, au parfum sulfureux de communisme, est proscrite. Son militantisme à la NAACP passe de même sous le boisseau, elle ne doit présenter aucune trace d’un quelconque engagement militant.
26Le 8 décembre 1955, une délégation de trois membres du MIA rencontre les autorités. Ils ne revendiquent pas la fin de la ségrégation dans les bus, mais simplement un règlement plus clément, c’est-à-dire la règle du premier arrivé, premier servi, un traitement courtois de la part des chauffeurs, et l’embauche de conducteurs noirs. Aussi limité que cela puisse paraître, il s’agit d’une rupture importante, il faut rappeler que la NAACP refusait d’avoir recours à de telles mobilisations, pour privilégier les démarches juridiques. Les leaders de la MIA ne sont pas des radicaux, mais ils savent refléter l’état d’esprit de la population mobilisée, tandis que la NAACP ou la NUL refusaient jusqu’alors de soutenir les mouvements collectifs. C’est ce qui a rendu nécessaire la création de cette nouvelle organisation. Ainsi Medgar Evers (1925-1963), responsable de la NAACP dans le Mississippi, se trouve en butte aux dirigeants de son organisation à propos du boycott. Lors de la convention nationale de la NAACP en 1956, il rencontre pour la première fois King, venu en invité. Dans la chambre d’hôtel de Medgar des délégués rédigent une résolution en faveur du boycott des bus de Montgomery. Mais les dirigeants, Roy Wilkins et Thurgood Marshall, sont furieux, et lui rendent visite pour l’interroger fermement sur ses motivations. Thurgood Marshall est particulièrement hostile à toute politique qui enfreindrait d’une façon ou d’une autre la loi. Par ailleurs la concurrence avec Martin Luther King Jr. est vive. Finalement une motion de compromis déclare que « les peuples du monde civilisé se réjouissent de l’efficacité du boycott des bus40 ».
27À la suite des 381 jours de boycott, différents animateurs de cette lutte, parmi lesquels une majorité de pasteurs, souhaitent prolonger cette victoire pour étendre leur combat à d’autres villes, et fondent en janvier 1957 la SCLC, pour soutenir les mobilisations non-violentes, que la NAACP, jalouse de son précarré, refusait d’appuyer. Cette dernière refuse la moindre collaboration, et fait pression sur Medgar Evers pour qu’il coupe les ponts. Il poursuit tout de même un travail collectif, qu’il doit dissimuler, et il écrit à Roy Wilkins ce que ce dernier souhaite lire – il est salarié de la NAACP et ne peut se permettre de se mettre en porte-à-faux. En juillet 1956 il s’adresse à King pour demander sa venue à Jackson. Puis en 1957 lors d’un meeting à la Nouvelle Orléans, Medgar Evers est élu secrétaire du leader de la SCLC de Baton Rouge, T. J. Jemison. Wilkins lui ordonne de démissionner de cette fonction, incompatible avec son travail pour la NAACP. Son frère, Charles Evers écrit à ce sujet : « NAACP un jour, NAACP toujours, Medgar obéit à Roy [Wilkins] et démissionna41. »
28La victoire de Montgomery pourrait laisser supposer que la situation des Africains-Américains a complétement changé dans cette ville, mais ce n’est pas le cas et l’historien J. Mill Thorton donne un tableau nuancé des suites du boycott : « De 1957 à 1961 la ville s’enfonça dans une dimension surréaliste où seules les opinions les plus extrémistes pouvaient s’exprimer publiquement parmi les Blancs, et où tout indice de déviation de l’orthodoxie suprémaciste blanche avait comme conséquence à la fois le harcèlement et l’ostracisme42. » Jo Ann Robinson est contrainte de quitter la ville après des mois de harcèlement43. Rosa Parks a perdu son emploi dans le grand magasin de la ville, sa santé est très mauvaise, celle de son mari plus encore. Personne au sein de la MIA ne lui propose d’emploi, parce que, selon David Garrow, elle continue de soutenir E. D. Nixon et celui-ci n’est pas apprécié par les autres leaders44. Dans son autobiographie elle ne mentionne de ses difficultés que le harcèlement continu des appels téléphoniques et autres menaces dont elle et sa famille sont l’objet. En 1957 elle n’a plus aucune ressource, hormis le produit de quelques collectes à son profit. Un chapitre entier de son autobiographie qui devait revenir sur cette période n’y a pas été inclus, car elle a jugé finalement préférable de ne pas remuer les conflits du passé. Seul son sujet est connu, l’année 1957. Il aurait dû s’intituler In the Shadows, et décrire la jalousie et les dissensions au sein du MIA, la perte de son emploi, et finalement son départ pour Detroit45. Le récit de ses années dans le Nord en dit plus sur Rosa Parks que l’icône construite après 1956, figée dans le temps.
29Entre 1957 et 2005 Rosa Parks a vécu et milité 48 ans dans le Nord, à Detroit, ce qui ne représente que 25 pages dans son livre. En effet, Jim Haskins est surtout intéressé par la période passée dans le Sud, il est lui-même originaire de l’Alabama. De même toutes les interviews de Rosa Parks durant ces années sont consacrées essentiellement à Montgomery, et lorsqu’elle est interrogée sur la situation présente, les questions portent sur le Sud, où elle ne vit plus depuis 195746. Elle a peu l’occasion de donner son avis sur la situation à Detroit ou sur le Nord en général. Pour l’anniversaire des dix ans du boycott, elle répond à une interview du Los Angeles Times : « Je ne peux pas dire que nous aimions Detroit plus que Montgomery47. » C’est sa manière de dire les choses, en demi-teinte, sans livrer d’informations personnelles, mais il s’agit bien de dénoncer les discriminations dans le Nord, et de laisser entendre qu’elles peuvent y être comparables ou mêmes pires.
30Dans le documentaire déjà mentionné, Eyes on the Prize, lorsqu’elle est questionnée sur son travail, elle répond simplement qu’elle a perdu son emploi en janvier 195648. À propos de son départ, E. D. Nixon raconte que personne ne voulait plus l’embaucher à Montgomery mais sans faire état de la possibilité d’un emploi à la MIA, ce qui fut pourtant le cas pour plusieurs militants licenciés. Pourtant il s’était lui-même démené afin qu’elle soit embauchée par la MIA, mais sans succès. Les pasteurs à la tête de cette organisation lui étaient hostiles et repoussaient ses demandes. Pour les journalistes, ces questions pratiques semblent ne pas exister, alors qu’entre 1957 et 1965 Rosa Parks traverse des difficultés financières parfois extrêmes. Seule la presse noire les aborde parfois : en 1960 le magazine Jet publie un article qui dénonce la misère à laquelle elle est réduite, « The Troubles of the Bus Boycott’s Forgotten Woman », puis c’est le tour du Pittsburgh Courier49. Dans son autobiographie, Rosa Parks mentionne rapidement deux emplois et un changement d’appartement, sans préciser que c’est leur situation économique qui les y a contraints, elle et son mari.
31Après 1956, Rosa Parks semble avoir été victime pendant de longues années d’un oubli collectif50. Lors de la marche sur Washington en 1963, elle raconte comment elle se souvient « d’avoir été poussée hors du cortège51 ». Elle était entrée dans une partie de celui-ci où les manifestants étaient supposés revêtir des vêtements d’une certaine couleur, qu’elle ne portait pas. Elle est littéralement expulsée, sans avoir été reconnue, avant de pouvoir défiler plus loin avec la chanteuse Odetta Holmes. La question du code vestimentaire n’est pas anecdotique. La tribune doit honorer six femmes assises sous un dais, mais qui ne prendront pas la parole. Il s’agit de Rosa Parks, de Myrlie Evers, la veuve du militant Medgar Evers, de Prince Melson Lee, la veuve d’Herbert Lee, un militant assassiné en 1961, de Daisy Bates de Little Rock, de Diane Nash du SNCC et de Gloria Richardson, à la tête du SNCC à de Cambridge dans le Maryland. Cette dernière, partisane de l’autodéfense, a été prévenue qu’elle devait éviter de porter un jean52. Elle se procure à la dernière minute une jupe en toile de jean qui lui permet de faire mine de se plier à la consigne tout en continuant de la défier. Les organisateurs refuse qu’elle siège avec les autres, et quelqu’un d’autre prend sa place. Rosa Parks relève que les femmes n’ont leur place ni dans la tête du cortège, ni parmi les oratrices. Les épouses des leaders défilent séparément. Comme elle l’écrit, « Aujourd’hui les femmes n’accepteraient pas d’être ainsi reléguées à l’arrière-plan53. »
32Différents facteurs concourent à l’oubli de Rosa Parks : elle est une femme, sans diplôme universitaire, ni mari célèbre parmi les leaders du mouvement. Mais surtout ses opinions politiques sont plus radicales que l’image-iconique dans laquelle elle est figée. Elle se rend de nouveau par deux fois à la Highlander Folk School, alors que l’école est la cible de l’HUAC54. Elle répond en 1957 à l’invitation du syndicat Local 600, section de l’United Auto Workers (UAW), le syndicat de l’automobile, réputé pour ses liens avec la gauche et son passé communiste. Dans son autobiographie elle affirme sa proximité avec Malcolm X : « Je l’admirais beaucoup, à cause de son origine sociale, d’où il venait et du combat qu’il avait dû mener pour parvenir à être respecté en tant que leader des Black Muslims. Globalement j’étais d’accord avec lui55. » Son autobiographie se conclut d’ailleurs par un court chapitre consacré à Malcolm X. La non-violence est pour elle une tactique efficace, mais dont elle n’est pas une inconditionnelle56. En 1968 lors de la convention démocrate, elle fait partie d’un groupe de militants noirs qui refusent de choisir entre les prétendants à la primaire, car aucun n’a montré sa volonté d’agir en faveur des Africains-Américains. Elle participe à la troisième conférence nationale du Black Power, à Philadelphie en août 1968, et à la National Black Political Assembly (NBPA) à Gary, dans l’Indiana, en 1972, qui rassemble plus de 10 000 participants57.
33Certains ont pu écrire que Rosa Parks aurait accepté d’être réifiée de son vivant, mais il est difficile de suivre ce point de vue, car elle n’a jamais caché ses opinions plus progressistes que celles de bien des leaders58. Les mécanismes qui ont permis cette transformation en un symbole national associent les déterminants du genre, de la classe, et de l’idéologie dominante pour faire entrer son image dans un récit lénifiant. En 2005, le transfert de son corps sous le capitole est l’occasion de parachever cette iconisation, dans laquelle son corps même devient l’objet d’un « pèlerinage » rédempteur pour ceux qui viennent le saluer59. Son nom fait oublier tous les autres et les commémorations participent de cette simplification60. Jacquelyn Dowd Hall remarque que « La mise en mémoire de Parks promeut une histoire très enfantine, et très improbable, du changement social : une femme, pas même en colère s’est assise, le pays a été galvanisé et le racisme et ses structures ont été vaincus61. » D’autres militantes qui n’ont pas subi cette annexion consensuelle de leur mémoire ont été marginalisées, comme Gloria Richardson. L’exemple d’Anne Moody, et son autobiographie Coming of Age in Mississippi, est une autre source passionnante pour comprendre ces phénomènes62. Il nous permet de suivre la génération des jeunes venus à l’action dans les années 1960, et nous fait changer d’espace pour entrer dans le delta du Mississippi, dans les petites villes et les campagnes du Sud profond.
Anne Moody, le mouvement vu d’en bas
34Anne Moody écrit son autobiographie entre 1966 et 1967, quelques mois seulement après les événements qu’elle relate. Elle s’est mise en retrait du mouvement, épuisée mais aussi déçue. Coming of Age in Mississippi est consacré pour une large part à sa jeunesse, avant d’aborder le mouvement dans son dernier tiers. C’est un ouvrage fréquemment utilisé par les enseignants du secondaire, cependant il n’a reçu que peu d’attention de la part des chercheurs63. Il s’agit du récit d’un apprentissage, celui du passage d’une enfant noire pauvre à l’âge adulte, dans lequel la lutte pour les droits civiques ne se distingue pas du combat féministe. C’est aussi un témoignage précieux sur les activistes du CORE et du SNCC, qui permet de découvrir leur action dans le Mississippi des années 1960. En 1988 le sociologue Doug McAdam a publié une étude importante au sujet du parcours des étudiants qui se sont rendus dans le Mississippi durant l’été 1964, lors de la campagne du Freedom Summer. Il a parcouru 720 questionnaires que ces derniers avaient complétés pour le SNCC, afin d’expliciter leurs motivations pour participer à cette campagne64. Coming of Age nous permet d’aborder ces événements du point de vue des militants locaux.
35Anne Moody est née le 15 septembre 1940 dans le comté rural de Wilkinson dans le Mississippi, entre Natchez et la Nouvelle-Orléans. Son prénom est en réalité Essie Mae, mais il a été modifié par une erreur de l’administration alors qu’elle effectuait une démarche, et elle est ainsi devenue Anne. Son enfance se passe dans la petite ville de Centreville, dans la région du Mississippi surnommée le Delta, qui s’étend entre la rivière Yazoo et le fleuve, au nord-ouest de l’État. Malgré son nom, il ne s’agit pas du véritable delta, mais d’une région définie par une identité culturelle forte, parfois décrite comme le Sud du Sud. Coming of Age in Mississippi est le texte le plus long d’Anne Moody65. Le récit débute alors qu’elle n’a que 4 ans et s’achève en 1964, alors qu’elle en a 24. Il s’ouvre sous le signe du traumatisme : « Je suis toujours hantée par les rêves du temps où nous vivions sur la plantation des Carter66. » Anne Moody grandit dans un univers violent et assiste à un incendie criminel qui provoque la mort d’une famille de voisins : « Ces cris, ces visages, cette fumée ne me quitteraient jamais67. »
36Progressivement, son univers enfantin se divise selon la couleur de peau, dans une société où l’on distingue trois catégories, les Blancs, les Noirs, et les Jaunes, c’est-à-dire les Africains-Américains dont la peau est plus claire. Au sein de sa famille, un conflit recoupe ces lignes de couleur, et les relations de sa mère avec la belle-mère sont détestables car cette dernière méprise ouvertement ceux qui ont la peau plus foncée qu’elle : « Pourtant ils étaient noirs et nous aussi. Je ne comprenais pas comment des Noirs pouvaient en haïr d’autres à ce point68. » Les enfants eux jouent ensemble, indifférents aux couleurs, mais ses anciens camarades de jeu blancs lui jettent désormais des pierres.
37Sa première école est Mount Pleasant School, liée à l’église voisine. C’est une seule pièce, de bois à moitié pourri. Les enfants y ont froid, le poêle est trop petit et les fissures dans les murs trop grandes. Sa colère après le meurtre d’Emmett Till, en 1954 marque un tournant dans sa conscience et de ce point de vue, Anne Moody est représentative d’une génération entière marquée par ce crime. Comme elle, beaucoup se sont engagés dans les mobilisations par la suite :
« Cet été je me sentais changer. Pour la première fois je pensais que quelque chose allait être fait contre les meurtres, les coups, les mauvais traitements faits aux Noirs. Je savais que quoi qu’il advienne, j’allais en faire partie69. »
38Emmett Till avait 14 ans comme elle. Elle exprime la terreur qu’elle ressent :
« Avant le meurtre d’Emmett Till, j’avais peur de la faim, de l’enfer et du diable. Mais maintenant je découvrais une nouvelle peur – la peur d’être tuée parce que j’étais noire. Et c’était la plus terrible de mes peurs. Je savais qu’une fois que j’aurai à manger la peur de mourir de faim disparaîtrait. On m’avait dit que si j’étais une fille gentille, je n’avais rien à craindre de l’enfer ou du diable. Mais je ne savais pas ce qu’un Noir devait faire ou ne pas faire pour éviter d’être tué. Sans doute suffisait-il d’être noir pour y passer70. »
39En grandissant elle découvre la colère :
« À quinze ans j’ai commencé à haïr. Je haïssais les Blancs qui avaient tué Emmett Till, et tous les autres responsables des innombrables meurtres dont m’avait parlé Mme Rice, et ceux dont je me souvenais vaguement de mon enfance. Mais je haïssais aussi les Noirs. Je les haïssais car ils ne faisaient rien contre ces meurtres. En fait, j’en voulais plus aux Noirs qui laissaient faire, qu’aux Blancs eux-mêmes71. »
40Comme elle fait des ménages chez des Blancs, alors qu’elle nettoie une salle de bain, elle entend sa patronne parler de la NAACP. Elle ne comprend pas de quoi il s’agit, mais elle rapporte la discussion à sa mère, qui refuse de lui expliquer. Ce n’est qu’en demandant à Mme Rice, une enseignante blanche, qu’elle obtient des réponses. Cette dernière l’invite à dîner et lui enseigne ce qu’elle sait de la NAACP et de la ségrégation, en lui recommandant de ne pas en parler, sous peine de les mettre en danger toutes les deux. À la fin de l’année Mme Rice est licenciée et Anne Moody suppose que c’est du fait de ses opinions.
41En 1959, alors qu’elle vit encore à Centreville, un militant de la NAACP de 58 ans, Samuel O’Quinn, est assassiné d’un coup de feu dans le dos devant chez lui72. Selon la rumeur, il aurait adhéré à la NAACP et cherchait à monter une section locale. Anne Moody se souvient :
« Sa mort fit surgir des souvenirs de tous les autres assassinats, violences et humiliations infligés aux noirs par les blancs. Je restais au lit deux jours, à me rappeler de l’incendie qui avait tué les Taplin, de Jerrry qui avait été battu, du meurtre d’Emmett Till, et de mon travail chez Mme Burke. […] Je voulais prendre toutes mes économies et m’acheter une mitrailleuse. Dans la rue principale de Centreville j’aurai flingué chaque Blanc que j’aurai rencontré73. »
42Elle se sent étrangère à la vie étriquée de sa petite ville, où la peur et les haines ne sont jamais loin de la surface, derrière le mythe d’un « Vieux Sud » toujours regretté. Elle décrit une parade lors de laquelle les habitants chantent à l’unisson l’hymne de la Floride, Swanee river, qui évoque le « bon vieux temps » d’avant la guerre de Sécession :
« Il y avait quelque chose dans Swanee River qui touchait la plupart des Blancs qui chantaient avec la fanfare. Et il y avait quelque chose qui rendait les vieux Noirs encore plus tristes. Je sentis qu’il existait une sorte de relation très forte entre les Noirs et les Blancs les plus âgés, que les plus jeunes ne percevaient pas ou ne pouvaient pas comprendre. Cette sensation liée à la chanson resta avec moi toute la soirée, et j’avais froid. Je tremblais pendant tout le reste du défilé74. »
43La musique produit une réminiscence involontaire et collective, et pour les plus âgés qui ont connu l’esclavage, elle les replonge dans le passé. On chante aussi Dixie, et les douceurs du Sud rural, et il semble que Centreville n’a pas tellement changé depuis l’émancipation. Anne ressent plus qu’elle ne comprend ce que ces chansons font resurgir et exprime son dégoût pour cette atmosphère étouffante qui contribue à perpétuer l’oppression raciale. De plus en plus révoltée, elle est en rupture avec sa famille. En 1959 elle obtient son diplôme de fin d’études secondaires, mais refuse de participer à la cérémonie de remise des diplômes.
44Financer son inscription universitaire est difficile, et c’est le basket-ball, qu’elle aime de moins en moins, qui lui ouvre la porte de l’université. Elle s’inscrit tout d’abord à Natchez, au Junior College, où elle étudie entre 1961 et 1962. C’est là qu’elle s’engage progressivement dans le mouvement. Les règles strictes la révoltent : « Jamais dans ma vie je ne m’étais sentie autant une prisonnière, même lorsque je travaillais pour des Blancs membres du Klan. Et cette discipline ne concernait d’ailleurs que les filles75. » Elles sont en effet surveillées constamment, alors que les étudiants sont beaucoup plus libres de leurs mouvements. Elle est dans l’attente de bouleversements, alors que la vague de sit-in, puis les Freedom Rides, font l’actualité : « Cet été je me sentais changer. Pour la première fois je pensais que quelque chose allait être entrepris contre les meurtres, les coups, les mauvais traitements faits aux Noirs. Je savais que quoi qu’il arrive, j’allais en faire partie76. » Elle consacre de plus en plus de son temps à la NAACP et son parcours universitaire doit être prolongé d’une année : « Un an auparavant cela m’aurait semblé un terrible désastre, mais maintenant j’étais à peine déçue77. » Son engagement compte désormais plus que tout : « J’étais de plus en plus impliquée dans le mouvement. […] J’avais trouvé quelque chose en dehors de moi qui donnait un sens à ma vie78. »
45Après ces années au Junior College de Natchez, elle est donc admise en septembre 1962 au Tugaloo College, et poursuit ses études à la Jackson State University, qui en fait partie79. Plus prestigieuse, cette université accueille un public plus aisé, et elle y a le sentiment d’avoir la peau trop foncée. Une amie avait d’ailleurs tenté de la dissuader de s’y inscrire : « Tu dois être jaune clair avec un père bourré de fric80. » Elle y rencontre une jeune adhérente de la NAACP et s’y engage elle aussi. Mais pour elle, l’affiliation à telle ou telle organisation importe peu, et elle milite indifféremment aussi bien avec la NAACP, qu’avec le CORE puis le SNCC. En mai 1963, elle participe à un sit-in particulièrement violent à Jackson, aux côtés de l’étudiante blanche Joan Trumpauer Mulholland (1941-) et de John Salter (1937-2019), un enseignant en sociologie d’origine Navajo par son père, auparavant membre du syndicat anarcho-syndicaliste Industrial Workers of the World, qui a rejoint la NAACP à Jackson – à la fin de l’année 1963 il quitte l’université pour se mettre au service du Southern Conference Educational Fund, le SCEF. Ce sit-in est l’une des plus violentes actions de cette période : durant trois heures les trois étudiants sont malmenés, jetés à terre et frappés. Anne Moody reçoit des coups de poing, elle est blessée par des bris de verre et brûlée par des cigarettes. Couverte de moutarde et de son propre sang, elle ne peut finalement sortir du magasin que grâce à l’intervention du président de l’université de Tougaloo, Daniel Beitel. La police refusait d’entrer dans la boutique car le gérant ne l’avait pas demandé. Une fois les étudiants sortis, les policiers sont contraints légalement de les protéger, ce qu’ils avaient refusé de faire jusque-là.
46À la suite du sit-in, elle doit quitter Jackson qui est devenue trop dangereuse pour elle, et doit donc abandonner ses études. Elle s’installe à Canton, selon elle un des pires comtés du delta du Mississippi du point de vue de la violence raciale. Elle est de plus en plus critiques des leaders nationaux, elle a le sentiment que leur seul objectif est de capter l’attention des médias, dans des campagnes de courte durée, à la suite desquelles ils disparaissent aussitôt que la presse n’est plus là. Au contraire elle est fière d’être une militante locale, ancrée dans sa région d’origine du Delta, ce qui se passe à Washington est bien loin. Elle juge avec sévérité les préparatifs de la marche sur Washington, prévue pour le 28 août 1963. Complétement absorbée par ses activités militantes à Canton, elle a oublié que la date de la marche approchait, et ce n’est que deux jours avant qu’elle s’en préoccupe. Elle fait tout de même partie de la délégation du Mississippi et est appelée à la tribune pour chanter. Alors que la manifestation débute, elle critique sévèrement les discours qu’elle y entend, y compris celui de King :
« C’était plutôt drôle de voir les leaders courir pour se mettre en tête. Au vu de la manière dont certains d’entre eux avaient dirigé le peuple dans le passé, peut-être aurait-il mieux valu que le peuple se dirige lui-même. […] Assise sur la pelouse je découvris en écoutant les discours qu’au lieu de leaders nous avions des rêveurs pour nous guider. Absolument tous rêvaient. Martin Luther King parlait et parlait encore de son rêve. Pour ma part, je pensais qu’à Canton nous n’avions jamais le temps de dormir et encore moins celui de rêver81. »
47Les conceptions d’Anne Moody et son radicalisme l’éloignent des organisations modérées, telle la NAACP, mais elle ne se sent pas non plus représentée par King, pas plus qu’elle partage tous les choix du SNCC. Son récit décrit l’impatience des plus jeunes, de plus en plus critiques envers les leaders plus âgés, comme après le meurtre en 1963 de Medgar Evers :
« Le SNCC et le CORE devenaient plus militants et faisaient pression pour organiser encore plus de manifestations. Beaucoup des jeunes de Jackson voulaient que les Blancs sachent qu’en tuant Medgar ils n’avaient pas atteint le cœur du Mouvement. Pour la NAACP et les groupes plus anciens et plus conservateurs, l’inscription sur les listes électorales était devenue la principale activité. Dès lors que la NAACP exerça son influence dans plusieurs réunions de direction, les plus militants perdirent la bataille82. »
48Ces conflits reflètent les tensions entre les générations, mais aussi les clivages sociaux et spatiaux. En octobre 1963, Anne Moody assiste à une réunion de la coalition des organisations actives dans le Mississippi, la Council of Federated Organizations (COFO), formée en 1961. Les participants discutent de l’utilité d’organiser une élection à laquelle seraient appelés à voter les seuls Africains-Américains du Mississippi, y compris ceux qui ne sont pas inscrits sur les listes électorales. Anne prend la parole contre cette idée d’une « fausse campagne », mais elle est critiquée par une militante plus âgée, qui vient du Nord : « Je ne crois pas que cette jeune femme [Anne Moody] ait jamais travaillé avec les Noirs du Mississippi. » Attaquée dans sa fierté militante, Anne Moody réplique :
« Cela me rendit tellement folle de rage que je me levais avant qu’elle ne se soit rassise. Pour votre information, Mme P, non seulement je suis née dans le Mississippi, mais il se trouve que je suis du Comté de Wilkinson, dans le sud-ouest, le coin le plus dur de l’État. À cause de mes activités à Tugaloo depuis deux ans j’ai été bannie du Comté. Et depuis cinq mois, je milite à Canton, un autre fief du Klan. Je crois que cela devrait me qualifier pour avoir une opinion sur ce sujet et me permettre de l’exprimer83. »
49Elle s’oppose aux tentatives des plus âgés, souvent membres du NAACP, qui veulent modérer les plus jeunes, et fixer comme unique objectif la question de l’inscription sur les listes électorales. Anne Moody se sent dépossédée de son combat par des militants qui ne viennent que ponctuellement dans le Sud, en fonction des événements, alors qu’elle est toujours « sur le front », à Canton, où personne ne semble vouloir venir l’aider.
Vers l’autodéfense
50Durant cette période, elle se détache progressivement de la religion. Les violences des Blancs la font douter, puis rejeter la foi : « Il me semblait maintenant qu’il devait y avoir deux dieux, ou plusieurs, ou pas de dieu du tout84. » La situation fait de plus en plus apparaître la politique de non-violence comme dépassée. En 1960, le massacre de 69 manifestants anti-apartheid à Sharpeville en Afrique du Sud a marqué les esprits, en particulier car il a été filmé : soixante-neuf Sud-Africains ont été assassinés alors qu’ils manifestaient pacifiquement. Les images des Noirs désarmés face aux tirs de la police ont un impact considérable aux États-Unis. Le 15 septembre 1963, le jour de l’anniversaire d’Anne Moody, un attentat à Birmingham tue quatre fillettes noires dans une église. Au-delà de sa rage contre ce crime, c’est l’ensemble de la politique de non-violence qu’elle rejette avec force. Comme ces quatre enfants, elle avait suivi le cours de religion du Baptist Training Union les dimanches matin :
« Aussi longtemps que je ne vivrai, jamais plus je ne serai battue par un Blanc. Comme je l’ai été à Woolworth. Jamais plus. C’est fini. Tu sais quoi, Dieu ? La non-violence c’est terminée. Je suis sûre que Martin Luther King s’adresse à toi lui aussi. S’il est en train de le faire, dis-lui que la non-violence a rempli son rôle. Dis-le-lui pour moi, Dieu, et pour beaucoup d’autres Noirs qui doivent s’interroger aujourd’hui. Si tu n’es pas d’accord avec ça, c’est que tu es Blanc toi aussi. Et je le comprends maintenant, j’en ai fini avec toi. Si tu es noir, je ferai de mon mieux pour te tuer quand j’irai au ciel. J’en ai fini avec toi. Je vais te laisser tomber. À partir de maintenant, je suis mon propre dieu. Je vais vivre selon mes propres lois. Je rejette tout ce qu’on m’a appris sur toi. Et je serai toi. Je serai mon propre dieu, je vivrai ma vie comme je l’entends. Pas à la manière dont Mr. Charlie déclare que je devrais vivre, ni à la manière de ma mère, ni de personne85. »
« Si ces filles n’avaient pas été dans cette église, peut-être qu’elles seraient vivantes. […] Ça fait trop longtemps que nous prions. En tant que race, tout ce qu’on a, c’est de la religion et encore de la religion. Les Blancs ont tout le reste, y compris la dynamite. Si Martin Luther King croit encore que la non-violence va fonctionner pour le Sud, comme ça a fonctionné en Inde, il a perdu la tête86. »
51Cette colère reflète celle de beaucoup des Africains-Américains, particulièrement les plus jeunes, qui se radicalisent et se tournent vers l’autodéfense. Malcolm X dénonce la non-violence dans son discours du 26 mars 1964, dans lequel il répète « par n’importe quel moyen » (« by any means necessary »)87. La possibilité de la violence signifie la rupture avec l’Amérique, c’est-à-dire pour Malcolm X avec les Blancs et le système.
52Cependant à travers le récit d’Anne Moody, on découvre comment cette opposition entre la non-violence et son refus perd son sens dans le Mississippi, comme dans d’autres États du Sud profond : « L’autodéfense était largement acceptée et faisait partie intégrante des mouvements locaux88. » Il s’agissait d’ailleurs d’une « tradition ancienne, en accord avec la culture américaine et elle avait été pratiquée depuis des siècles dans le mouvement pour la libération noire89 ». Dès le début du xxe siècle, la journaliste Ida B. Wells, en lutte contre les lynchages, recommandait la possession d’une carabine par foyer. Harry Haywood décrit comment dans les années 1930, les métayers noirs de l’Alabama venaient aux réunions politiques ou syndicales avec leur fusil90. Le militant du Mississippi Amzie Moore détient un véritable arsenal chez lui91. Mais l’élite noire avait adopté le légalisme, ce que la politique de la NAACP reflétait par son refus de critiquer la justice, du moins lorsqu’elle n’était pas expéditive92.
53Par-delà la violence physique, Anne Moody détaille les menaces permanentes qui pèsent sur les militants. Tous ceux qui l’aident à Canton risquent de perdre leur travail, leurs économies, leur maison, voire leur vie. Certains jeunes ne parviennent plus à se faire embaucher l’été, car ils se sont affichés avec elle : « Beaucoup des adolescents qui avaient travaillé avec nous n’avaient pas pu retourner en cours car leurs parents avaient été licenciés et qu’ils ne pouvaient plus leur acheter de vêtements pour l’école. Ça me rendait malade de voir ces enfants sans école et affamés tout le jour durant. Je me sentais coupable, même si nous n’étions pas responsables93. » Elle dort avec deux autres militantes dans la Freedom House, ainsi qu’étaient nommés les logements où les militants du SNCC vivaient collectivement, et elles se couchent une arme à leurs côtés, en se prévenant mutuellement durant la nuit si elles se réveillent, de peur de s’entretuer. Le soir, des voitures braquent leurs phares sur la maison durant des heures pour les intimider.
54Dans ces circonstances, suivre à la lettre une philosophie non-violente serait suicidaire. Medgar Evers l’avait compris également, et son frère Charles Evers est même convaincu qu’il faut répondre les armes à la main et lui écrit à ce sujet en 1957 : « Pourquoi ne pas créer un Mau Mau dans le Mississippi94 ? » Ils ont même acheté des munitions, car ils pensent que la guerre raciale est une possibilité concrète et prochaine dans la région du Delta. Myrlie Evers rapporte comment il expliquait que « vous devez toujours être prêts. Nous parlions des fusils, des armes, et nous rassemblions ce dont nous aurions besoin dans le cas où une guerre raciale aurait éclaté. […] [Medgar] réfléchissait à comment construire une nation noire95 ».
55Cependant il était aussi évident que dans le cas d’un basculement dans la violence, la population noire se ferait massacrer, et le choix de la non-violence découlait de la prise en compte du rapport de force. Mais le débat se développe dans le SNCC où beaucoup pensent qu’il faut s’armer, alors que la plupart des Africains-Américains du Sud qui les hébergent et les aident le sont déjà. De fait la non-violence du SNCC ne peut exister qu’à l’abri des armes des Noirs du Mississippi. John Lewis, qui milite au SNCC, est toujours resté fidèle à la philosophie non-violente. Mais lorsqu’il se retrouve encerclé dans l’église de Selma, il constate que tous les hommes ont des fusils, ce qui le rassure plutôt.
56Les activités d’Anne Moody à Canton au sein de la NAACP et du CORE sont finalement connues dans sa ville natale. Le Shérif de Centreville rend visite à sa famille pour les menacer, et Anne ne peut désormais plus retourner chez elle. L’avertissement est précis, et son oncle est violemment battu car il la défendait : « Les autres savaient que je ne pouvais plus rentrer chez moi, mais personne ne savait la souffrance que c’était pour moi96. » Elle ne répond plus aux lettres de sa mère, car celle-ci tente de la décourager d’un engagement qui met en péril tous ses proches. Son oncle Clift est assassiné, et Anne suppose que ce meurtre est en lien avec ses activités. Elle s’effondre. Épuisée physiquement et psychologiquement, elle perd connaissance, et dort plus de vingt heures.
57Finalement elle quitte provisoirement Canton en 1964 et retourne à la Nouvelle-Orléans, dans le restaurant où elle avait auparavant travaillé et où elle est accueillie en héroïne. Ses anciens amis se pressent autour d’elle, la « rebelle » comme ils la nomment, car ses exploits sont connus en ville. La Nouvelle-Orléans apparaît comme une ville différente où la ségrégation n’est pas aussi rigide, et les militants du SNCC viennent y prendre un peu de repos quand la pression ou les menaces sont trop fortes.
58Elle découvre par ailleurs que son nom figure sur une liste que fait circuler le Klan, avec sa photo. Les autres personnes dont les noms sont citées sur cette liste, ont pour la plupart déjà quitté l’État, ou bien ont été assassinées, comme Medgar Evers. Anne Moody dit son épuisement : « J’avais l’impression de porter tout le poids du monde sur mes épaules. C’était une charge trop lourde pour moi97. » Le soir du résultat du vote organisé par le COFO, elle annonce qu’elle pense quitter le projet pour un moment, car elle est au bord de l’écroulement nerveux et physique. Elle retourne encore une fois à la Nouvelle-Orléans, où elle peut échapper aux menaces et où les militants noirs et blancs peuvent paraître ensemble. Mais elle ne supporte pas non plus cette facilité : « Je savais que j’allais retourner dans le Mississippi, là où les Noirs ne s’amusaient pas tous les jours98. » Cependant ces années sans trêve ni repos finissent par réclamer leur dû, la fatigue s’installe, alors qu’elle est de plus en plus déçue par le cours des événements.
59Plus tard, elle dira son amertume dans une interview :
« Au départ je ne me voyais pas vraiment comme un écrivain. Avant toute chose j’étais une activiste dans le mouvement des droits civiques du Mississippi. Lorsque je ne suis plus parvenue à voir ce que notre travail là-bas pouvait accomplir, je suis partie dans le Nord. Je suis revenue pour constater que quels que soient les efforts que nous faisions, rien ne semblait changer. Nous avions obtenu quelques avancées, mais fondamentalement la situation restait la même. Le mouvement ne contrôlait pas sa propre destinée, pas plus que nous étions en mesure d’en garder le contrôle. Nous étions comme des chiens au bout d’une laisse, en colère contre leur maître. Le chien peut aboyer, hurler, mordiller, mordre même parfois, mais c’est toujours le maître qui dirige99. »
60Nous laissons Anne Moody en 1964. Après l’obtention de son diplôme au Tougaloo College, elle monte dans un bus qui conduit un groupe de jeunes activistes à Washington afin d’y témoigner de la situation dans le Mississippi. Cependant elle doute de la possibilité du succès et s’interroge sur la suite. Comme le note Melissa Flanagan, son autobiographie est « idéologiquement en équilibre à l’intersection du mouvement des droits civiques et du Black Power » et elle illustre les continuités entre deux périodes trop souvent opposées termes à termes100. En fin de compte Anne Moody se met à l’écart, déçue et amère, et prend la plume pour raconter.
61Son exemple témoigne de la capacité de la jeunesse à s’engager quelles que soit les difficultés, L’enthousiasme de la jeunesse pour ce qu’elle perçoit comme entièrement nouveau a permis de bousculer la donne. Le maccarthysme avait restreint terriblement les possibilités de contestation. Les courants radicaux et féministes avaient été marginalisés et le mouvement pour les droits civiques s’était défini d’une manière restreinte, en écartant les revendications économiques, féministes, ou encore toute dimension internationale. La nouvelle génération militante surgie dans les années 1960 bouscule ce cadre, et ouvre de nouvelles possibilités, dont nous voulons maintenant discuter.
Notes de bas de page
1 Ce phénomène, la reconnaissance d’un individu exceptionnel au détriment de tous les autres, a un fondement lié au fonctionnement de la mémoire humaine. Schwartz Barry, « Collective Forgetting and the Symbolic Power of Oneness: The Strange Apotheosis of Rosa Parks », Social Psychology Quarterly, vol. 72, no 2, 1er juin 2009, p. 123-142.
2 Parks Rosa et Haskins James, Rosa Parks, op. cit., p. 116.
3 Kohl Herbert, « The Myth of “Rosa Parks the Tired.” Teaching about Rosa Parks and the Montgomery Bus Boycott », Multicultural Education, vol. 1, no 2, 1993, p. 6-10.
4 Le boycott des bus de Baton Rouge, en 1953, dont l’initiateur fut le Révérend Theodore Jefferson Jemison, décédé en décembre 2013, reste largement ignoré. Il donna lieu à l’organisation d’une milice pour l’autodéfense, l’United Defense League (UDL). Fields Jamahl et Harry Williams Center for Oral History, The Baton Rouge Bus Boycott of 1953, Baton Rouge, McKinley High School Summer Oral History Project, 1998.
5 Garrow David, Bearing the Cross, op. cit., p. 625 ; Branch Taylor, Parting the Waters: America in the King Years, 1954-63, op. cit.
6 Brinkley Douglas, Rosa Parks: a Life, New York, Penguin, 2000.
7 Theoharis Jeanne, The Rebellious Life of Mrs. Rosa Parks, op. cit.
8 Ibid., p. xi.
9 Allison Berg met en relation ces préfaces avec celles que les historiens blancs faisaient aux récits d’exclaves abolitionnistes, où leur plume donne sa valeur au récit qui s’ensuit et atteste de sa véracité. Berg Allison, « Trauma and Testimony in Black Women’s Civil Rights Memoirs: The Montgomery Bus Boycott and the Women Who Started It, Warriors Don’t Cry, and From the Mississippi Delta », Journal of Women’s History, vol. 21, no 3, 2009, p. 84-107 ; Robinson Jo A. G., The Montgomery Bus Boycott and the Women who Started it. The Memoir of Jo Ann Gibson Robinson, Knoxville, University of Tennessee Press, 2011, p. ii.
10 Jelinek Estelle C., Women’s Autobiography: Essays in Criticism, Bloomington, Indiana University Press, 1980, p. 9.
11 Parks Rosa et Haskins James, Rosa Parks, op. cit., p. 11.
12 Ibid., p. 30, 35.
13 Ibid., p. 65.
14 Il s’agit d’un document scanné, II A 1, dans le Rosa Parks Archives Inventory, créé par la société Guernsey Auction, New York. In Theoharis Jeanne, The Rebellious Life of Mrs. Rosa Parks, op. cit., p. 252, note 77.
15 Parks Rosa et Haskins James, Rosa Parks, op. cit., p. 59.
16 Ibid., p. 59-61.
17 Theoharis Jeanne, The Rebellious Life of Mrs. Rosa Parks, op. cit., p. 16.
18 Kelley Robin D. G., Hammer and Hoe, op. cit., p. 183.
19 Ibid., p. 9.
20 Ibid., p. 125.
21 Ibid., p. 95 ; Davis Angela Y., Women, Race, & Class., New York, Random House US, 2011, p. 158.
22 Sullivan Patricia, Lift Every Voice: The NAACP and the Making of the Civil Rights Movement, op. cit., p. 267.
23 Simkins Modjeska et Hall Jacquelyn D., Oral History, « Interview with Modjeska Simkins », Southern Oral History Program Collection, Chapel Hill, NC, 1976, Southern Historical Collection, Wilson Library, University of North Carolina, [https://docsouth.unc.edu/sohp/G-0056-2/G-0056-2.html], consulté le 20 décembre 2016.
24 Baker Ella et Britton John H., Ella Baker Interview, op. cit.
25 Verney Kevern, The Debate on Black Civil Rights in America, op. cit., p. 68.
26 Meier August, « Vers une synthèse de l’histoire de la conquête des droit civiques », in Jean Heffer, François Weil et Pap Ndiaye, La Démocratie américaine au xxe siècle, op. cit., p. 269.
27 Parks Rosa et Haskins James, Rosa Parks, op. cit., p. 79.
28 Ibid., p. 82-83.
29 Theoharis Jeanne, The Rebellious Life of Mrs. Rosa Parks, op. cit., p. 26.
30 Ibid., p. 29.
31 Ibid., p. 47.
32 Carson Clayborne, The Autobiography of Martin Luther King, Jr, New York, Warner Books, 2001, p. 87.
33 Parks Rosa et Haskins James, Rosa Parks, op. cit., p. 85-86.
34 McGuire Danielle L., At the Dark End of the Street, op. cit., p. 39.
35 Parks Rosa et Haskins James, Rosa Parks, op. cit., p. 105.
36 Schwartz Barry, « Collective Forgetting and the Symbolic Power of Oneness: The Strange Apotheosis of Rosa Parks », art. cité.
37 Robinson Jo A. G., The Montgomery Bus Boycott and the Women who Started it. The Memoir of Jo Ann Gibson Robinson, op. cit., p. 1.
38 Rolland-Diamond Caroline, Black America, op. cit., p. 232.
39 Parks Rosa et Haskins James, Rosa Parks, op. cit., p. 125.
40 Evers-Williams Myrlie et Marable Manning, The Autobiography of Medgar Evers: A Hero’s Life and Legacy Revealed Through His Writings, Letters, and Speeches, New York, Basic Civitas Books, 2006, p. 51.
41 Ibid., p. 52.
42 Thornton J. Mills, Dividing Lines: Municipal Politics and the Struggle for Civil Rights in Montgomery, Birmingham, and Selma, Tuscaloosa, University of Alabama Press, 2002, p. 96.
43 Robinson Jo A. G., The Montgomery Bus Boycott and the Women who Started it: The Memoir of Jo Ann Gibson Robinson, op. cit., p. 171.
44 Garrow David, Bearing the Cross, op. cit., p. 88.
45 Theoharis Jeanne, The Rebellious Life of Mrs. Rosa Parks, op. cit., p. 139.
46 Jeanne Theoharis parle d’une focalisation sur le Sud. Ibid., p. 170-171.
47 Parks Rosa, « “I’d Do It Again” Says Rights action initiator », Latimes.com, 16 décembre 1965, p. 8.
48 Interview de Rosa Parks in Hampton Henry, Bagwell Orlando, Fayer Steve, DeVinney James A., Crossley Callie, Bond Julian, Blackside Inc et PBS Video, Eyes on the Prize. America’s Civil Rights Movement, vol. 2, Alexandria, Va., PBS Video, 2006.
49 Poinsett D., « The Troubles of the Bus Boycott’s Forgotten Woman », Jet, 14 juillet 1960, 14 juillet 1960 p. 7 ; « Rosa Parks », The Pittsburgh Courier, 2 juillet 1960, p. 8.
50 Schwartz Barry, « Collective Forgetting and the Symbolic Power of Oneness: The Strange Apotheosis of Rosa Parks », art. cité, p. 123.
51 Parks Rosa et Haskins James, Rosa Parks, op. cit., p. 170-171.
52 Gloria Richardson a été oubliée car elle n’entrait guère dans le cadre du récit dominant, ni chronologiquement, ni politiquement. Harley Sharon, « “Chronicle of a Death Foretold”: Gloria Richardson, the Cambridge Movement, and the Radical Black Activist Tradition », in Bettye Collier-Thomas et Vincent P. Franklin, Sisters in the Struggle, op. cit.
53 Parks Rosa et Haskins James, Rosa Parks, op. cit., p. 166.
54 Theoharis Jeanne, The Rebellious Life of Mrs. Rosa Parks, op. cit., p. 129.
55 Les musulmans noirs, Black Muslims, sont organisés dans la Nation de l’Islam, une organisation politique et religieuse radicale, qui associe le refus du christianisme au nationalisme africain-américain. Parks Rosa et Haskins James, Rosa Parks, op. cit., p. 139.
56 Ibid., p. 175, 176-179.
57 Theoharis Jeanne, The Rebellious Life of Mrs. Rosa Parks, op. cit., p. 220-221 ; Veroni-Paccher Lisa, « Black Power 1968: “To Stumble is Not to Fall, but to Go Forward Faster”. The 1968 Philadelphia Black Power Conference and the process from protest to electoral politics », L’Ordinaire des Amériques, no 217, 15 décembre 2014.
58 Letort Delphine, « The Rosa Parks Story », art. cité, p. 33.
59 Holsaert Faith S., Noonan Martha P. Norman, Richardson Judy, Robinson Betty G., Young Jean S. et Zellner Dorothy M., Hands on the Freedom Plow: Personal Accounts by Women in SNCC, Urbana, University of Illinois Press, 2010, p. 287-288.
60 Schwartz Barry, « Collective Forgetting and the Symbolic Power of Oneness: The Strange Apotheosis of Rosa Parks », art. cité, p. 132.
61 Hall Jacquelyn D., « The Long Civil Rights Movement », art. cité.
62 Moody Anne, Coming of Age in Mississippi, op. cit.
63 Nelson Emmanuel S., African American Autobiographers: A Sourcebook, Westport, Greenwood Press, 2002, p. 284.
64 Il examine les dossiers de ceux qui se sont finalement effectivement rendus dans le Sud. McAdam Doug, Freedom summer, luttes pour les droits civiques, Mississippi 1964, Marseille, Agone, 2012, p. 61 ; McAdam Doug, Freedom Summer, New York, Oxford University Press, 1988.
65 Elle a aussi publié un recueil de nouvelles. Moody Anne, Mr. Death: four stories, New York, Harper & Row, 1975.
66 Moody Anne, Coming of Age in Mississippi, op. cit., p. 11.
67 Ibid., p. 22.
68 Ibid., p. 60.
69 Ibid., p. 276.
70 Ibid., p. 126.
71 Ibid., p. 187.
72 « New Article: The Legacy of a Murder », [http://hungryblues.net/2008/03/02/new-article-the-legacy-of-a-murder/], consulté le 19 septembre 2018 ; « Samuel O’Quinn – Notice to Close File », 4 avril 2017, [https://www.justice.gov/crt/case-document/samuel-o-quinn-notice-close-file], consulté le 22 septembre 2018.
73 Moody Anne, Coming of Age in Mississippi, op. cit., p. 187.
74 Cette chanson, écrite par Stephen Foster en 1851, s’intitule aussi « Old Folks at Home ». Elle a été popularisée par Gershwin et ses paroles ont été révisées en 2008, notamment pour supprimer le terme « darkies », remplacé par « brothers ». Moody Anne, Coming of Age in Mississippi, op. cit., p. 109.
75 Ibid., p. 224.
76 Ibid., p. 254.
77 Ibid., p. 263.
78 Ibid.
79 Une Historically Black College and University, ainsi que sont nommées ces universités noires fondées avant 1964.
80 Ibid., p. 239.
81 Ibid., p. 307.
82 Ibid., p. 282.
83 Ibid., p. 330.
84 Ibid., p. 339.
85 Ibid., p. 318.
86 Ibid.
87 X Malcolm et Breitman George, By Any Means Necessary: Speeches, Interviews, and a Letter, New York, Pathfinder Press, 1970 ; X Malcolm et Breitman George, Le pouvoir noir: textes politiques, Paris, Éditions L’Harmattan, 1993.
88 Crosby Emilye, Civil Rights History from the Ground Up: Local Struggles, a National Movement, op. cit., p. 3.
89 Isaac Larry, « Movement of Movements: Culture Moves in the Long Civil Rights Struggle », Social Forces, vol. 87, no 1, 1er septembre 2008, p. 45.
90 Haywood Harry, Black Bolshevik, op. cit., p. 197.
91 Hogan Wesley C., Many Minds, One Heart: SNCC’s Dream for a New America, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 2007, p. 36-37.
92 Rolland-Diamond Caroline, Black America, op. cit., p. 120.
93 Moody Anne, Coming of Age in Mississippi, op. cit., p. 310.
94 Evers-Williams Myrlie et Marable Manning, The Autobiography of Medgar Evers, op. cit., p. 11.
95 Ibid.
96 Ibid., p. 275.
97 Ibid., p. 356.
98 Ibid.
99 Interview extraite de Black Writers, Gale Research, « Anne Moody », 1989, [http://www.mswritersandmusicians.com/writers/anne-moody.html], consulté le 10 novembre 2010.
100 Flanagan Melissa A., Autobiography as Political Resistance: Anne Moody’s Coming of Age in Mississippi, Tempe, Arizona State University, 2011, p. ii.
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