Introduction. Retrouver la portée radicale des mobilisations noires
p. 21-40
Texte intégral
Les lieux de mémoire et les voix marginalisées du récit dominant
1L’histoire a longtemps oublié les Africains-Américains. La nation était définie restrictivement par le groupe des hommes blancs à l’origine de la colonisation, de la Révolution américaine et des institutions. Si la question de l’esclavage était débattue, pour autant les Noirs ne faisaient partie ni de la nation, ni du récit national1. La section deux de l’article premier de la Constitution, rédigée en 1787, comptait les esclaves pour la quotité de trois-cinquièmes du total de la population de chaque État, ceci uniquement afin d’accorder plus de poids politique aux États du Sud, proportionnellement à leur population. De même la présence des Noirs dans les écrits historiques était minime, pour ne pas dire nulle. William Wells Brown écrit ainsi que « l’Histoire a jeté l’homme de couleur dehors2 ». Ils n’étaient présents ni comme sujets, ni comme acteurs de leur propre récit3. Durant le premier xixe siècle, les Noirs libres étaient relativement nombreux (10 % en moyenne dans les États du Sud), mais ils restaient exclus des universités et, malgré quelques publications sur l’histoire africaine-américaine, ce sont le plus souvent d’autres sources, et notamment les récits d’esclaves, qui portaient leurs voix en faveur de l’émancipation. À la suite de l’abolition de l’esclavage différentes universités noires sont fondées dans le Sud. En 1895, W. E. B. Du Bois, le premier Africain-Américain à obtenir un doctorat à Harvard (en sociologie car il n’avait pu s’inscrire en histoire), écrit que « le problème du xxe siècle est le problème de la ligne de partage des couleurs4 ».
2Il existe une certaine fascination en France pour les mobilisations des Africains-Américains, sans doute pour des raisons diverses. Elles se sont déroulées au cœur de la première puissance mondiale, et ont contesté parfois radicalement son système politique. Par ailleurs, il existe une profusion d’images, de photographies à leur sujet, qui font désormais partie de l’imaginaire collectif. Le mouvement Black Lives Matter leur a donné un nouvel écho. Cependant, au-delà de quelques images d’Épinal, la réalité de ces mouvements reste mal connue, souvent limitée à quelques faits, dont la succession donne le sentiment d’une progression continue vers l’égalité. Nous proposons au contraire de faire apparaître la part de tensions, de clivages, qui traversent ces mobilisations, afin de déconstruire un récit souvent trop simpliste, qui fait disparaître leur portée radicale.
3Les luttes politiques internes au mouvement ont eu comme résultat de marginaliser certaines options, et de favoriser le consensus autour d’autres. Ce qui était discordant a été oublié, et n’a pas été mémorisé en tant qu’événement. Celui-ci n’existe pas en tant que tel, il est le fruit d’une construction sociale et historiographique, de ce « qu’il devient », de la manière dont il s’inscrit dans la mémoire, tout autant que ce qui est advenu5. Hannah Arendt l’a décrit comme une irruption du nouveau, capable de créer une borne temporelle qui délimite un avant et un après6. Quelles sont les logiques qui font qu’un fait est oublié, ou bien qu’au contraire il est considéré comme un événement majeur ? Le meurtre barbare d’Emmett Till en 1955, cet adolescent africain-américain de 14 ans, venu de Chicago pour rendre visite à sa famille dans le Mississippi, et lynché, après avoir été accusé d’avoir osé adresser la parole à une femme blanche, a été perçu comme un tournant majeur. La médiatisation de ce crime, et l’émotion soulevée par les photos du cadavre mutilé, ont marqué une génération et déterminé l’engagement futur de nombreux jeunes. Cependant d’autres faits, non médiatisés, ou jugés peu importants, ont été mis de côté. Ce tri n’est pas neutre politiquement et des processus de légitimation sont à l’œuvre qui disqualifient certains faits et certaines personnalités, tout comme le combat politique a marginalisé certaines options vaincues.
4Les premiers écrits historiques ont établi une vision du mouvement qui aujourd’hui encore domine, sinon l’historiographie, du moins l’histoire enseignée et les représentations les plus fréquentes. C’est celle, pour la résumer à l’excès, d’un combat au cours duquel quelques figures héroïques entraînent la population dans une mobilisation tenace. Cette quête héroïque est accomplie par quelques hommes – plus rarement des femmes – de grand courage, qui insufflent leur détermination à la masse des gens ordinaires et anonymes : les figures mythiques de Martin Luther King ou de Rosa Parks en sont des archétypes, désormais intégrées à une mémoire collective qui célèbre la réconciliation. Ces symboles présentent des images déformées, qui renvoient à des stéréotypes et confortent un récit national apaisé7.
5Selon l’historienne Renée Romano ce récit dominant, qui célèbre les progrès de la démocratie américaine, peut se résumer ainsi : « Des leaders masculins charismatiques et éloquents mènent un combat non-violent […] contre les barrières légales et sociales, plutôt que contre les obstacles économiques à l’égalité8. » Cette version simpliste de l’histoire mobilise une mémoire très éloignée de la réalité, caractérisée par d’importantes déformations : le mouvement ne se déroule que dans le Sud – les libéraux du Nord y apparaissent comme des libérateurs, une fois de plus9. Cela permet à la fois d’exonérer le Nord de tout soupçon de racisme et dans le même temps de condamner les mobilisations des ghettos qui se développent après 1965. La périodisation la plus répandue célèbre le mouvement pour les droits civiques, limité à une première phase « classique », celle des mobilisations dans le Sud, jusqu’en 1965. Bayard Rustin, un acteur essentiel dès 1945 et l’un des organisateurs principaux de la Marche sur Washington en 1963, aux côtés de Martin Luther King, définit dans un article, « From Protest to Politics: The Future of the Civil Rights Movement », ce qu’il nomme une phase classique, de 1954 à 1965 : « le terme classique apparaît particulièrement adapté pour définir cette phase du mouvement pour les droits civiques » durant laquelle selon lui, les fondements légaux du racisme ont été détruits10. Les développements de la période du Black Power sont renvoyés du côté de la légende noire, faite d’émeutes, de violences, de nationalisme, dont la quasi-disparition au fil des années 1970 prouverait la vacuité. Par ailleurs c’est une histoire qui ignore les divisions de classe, et dans laquelle seule la race compte, et la vertu des leaders, au travers d’un récit hagiographique autour de quelques figures, Rosa Parks, Martin Luther King Jr. Enfin il s’agit d’une histoire genrée, nettement dominée par les hommes.
6L’historien Vincent Harding écrit que « le processus qui a fait de Martin Luther King une icône nationale a requis un cas d’amnésie massive sur ce que King défendait réellement11 ». La tendance à le considérer comme un leader qui aurait suscité et dirigé le mouvement par la seule force de son pouvoir oratoire n’est pas « seulement une exagération de son rôle historique, mais une distorsion de son rôle véritable et considérable12 ». Ainsi ses positions, lorsqu’elles n’entrent pas dans le cadre de ce récit apaisé, sont passées silence, telle sa dénonciation virulente de la guerre du Vietnam, comme le décrit Sylvie Laurent :
« Réécrire le sens de son combat, et celui des milliers d’anonymes qui ont porté la révolution noire dans les années 1950 et 1960, a d’abord consisté à réduire celle-ci à une demande pour l’égalité formelle : le droit de vote dans les États du Sud qui l’entravaient par la ruse et la terreur, et la fin de la discrimination légale. Le rabotage et les élisions de la parole de King sont ainsi conformes au marché de dupes offert aux Noirs en 1965 : la fin des discriminations légales constituait l’égalité13. »
7Ainsi on ne peut comprendre la persistance du racisme dans la société états-unienne contemporaine sans étudier la manière dont le mouvement pour les droits civiques s’est déroulé, mais aussi et surtout la façon dont il a été mis en mémoire puis raconté. L’histoire des mémoires des mobilisations noires américaines reste encore largement à écrire, telle une histoire au deuxième degré14. Le philosophe et activiste Cornel West déclarait que « parmi cette nation fameuse pour sa volonté d’oublier l’histoire, les Africains-Américains sont ceux qui ne peuvent pas oublier15 ». Cependant la mise en mémoire de leurs mobilisations s’est faite au travers de nombreux oublis.
8Benedict Anderson suggère que l’un des mécanismes essentiels dans la construction de l’unité nationale est la tendance à résister à l’autorité du passé en oubliant les conflits internes, ou en les transformant en « querelles familiales », en « guerres fratricides rassurantes16 ». Notre hypothèse est qu’il en va de même au sein du mouvement noir américain. S’il est vrai que les nécessités du combat politique imposaient l’unité afin de l’emporter, les difficultés et les moments de tension ont aussi suscité de nombreux débats tactiques et de nombreuses dissensions stratégiques. Nous proposons d’explorer les récits vaincus ou marginalisés, les voix discordantes, qui ont été effacés du récit dominant ou bien déformés, au travers de figures héroïsées. Afin de retrouver l’écho de ces tensions internes, nous utilisons des sources constituées d’écrits autobiographiques qui ont été, comme souvent, des outils au service de la contestation du récit dominant. Nous les associons aux archives personnelles de leurs auteurs, et nous nous appuyons sur les apports récents de la recherche à propos de ces événements
Ruptures historiographiques
9À l’issue de la guerre de Sécession en 1865, l’esclavage est aboli, et la période de la Reconstruction, entre 1866 et 1877, semble ouvrir la possibilité d’une réelle émancipation, alors que les troupes du Nord occupent les anciens États esclavagistes et que les républicains les plus radicaux appuient les projets du Bureau des affranchis. Cependant, à la suite d’un accord avec les républicains, le Parti démocrate revient aux affaires dans le Sud en 1877, et la violence du Ku Klux Klan impose le retour à l’ordre raciste. Les Noirs sont exclus du vote. Les lois ségrégationnistes, dites Jim Crow, régissent désormais les relations interraciales, et un véritable système de terreur se met en place17. Finalement la Cour suprême entérine la ségrégation en 1896 par l’arrêt Plessy v. Ferguson, au nom du principe Separate but equal.
10C’est tout d’abord contre la ségrégation scolaire et celle des transports que le mouvement dit des droits civiques prend son essor dans les années 1950. Les premiers historiens à en proposer un récit sont des Blancs, souvent des sympathisants ou des participants actifs, tel Howard Zinn (1922-2010)18. Ces mobilisations s’étendent à tous les campus. D’ailleurs au fil des années 1960, et c’est un des résultats du mouvement, le nombre d’étudiants noirs augmente rapidement19. Ils imposent à la fin des années 1960 la reconnaissance de nouveaux départements universitaires, qui structurent un nouveau champ de la recherche, les Black Studies, reconnues comme une discipline à part entière20. Il s’agit de prendre le contrôle de son histoire, de sa littérature, dans une perspective noire, en se mettant au service des combats politiques. Le droit d’écrire sa propre histoire devait lui aussi être conquis.
11Dans un premier temps les mobilisations noires ont été présentées dans une opposition binaire, qui oppose un courant libéral-réformiste, intégrationniste et non-violent à une tendance radicale et nationaliste, qui serait supposée ne surgir que dans les années 196021. C’est le récit qui guide par exemple la trilogie de Taylor Branch, qui a fait beaucoup pour établir cette vision structurée autour de quelques événements saillants22. En 1954 l’arrêt de la Cour suprême, Brown versus Board of Education of Topeka, est le résultat du combat juridique mené par la National Association for the Advancement of Colored People (NAACP)23. Cet arrêt, rédigé par Earl Warren, déclare la ségrégation scolaire illégale, au nom d’« un effet nuisible à l’encontre des enfants de couleur24 ». En 1955, le boycott des bus à Montgomery propulse Martin Luther King Jr. (1929-1968), sur la scène médiatique nationale. Ce récit culmine avec la marche sur Washington en 1963, et les lois de 1964 et 1965, Civil Rights Act, et Voting Rights Act, qui établissent l’égalité des droits et sont présentées comme un aboutissement25. Au contraire la révolte du ghetto de Watts, en 1965, à Los Angeles, puis la multiplication de ce qui est désigné comme des émeutes à la fin des années 1960, ne serait qu’une radicalisation stérile, le signe de la fin d’un mouvement qui s’égare entre nationalisme radical et gauchisme. L’historien Peniel Joseph écrit :
« la séparation rigide entre les groupes impliqués a conduit à une célébration du mouvement des droits civiques comme le symbole d’un important sursaut démocratique, tandis que le Black Power était décrit comme destructeur, un mouvement égaré d’une manière flagrante, qui promouvait l’émeute plutôt que la législation, la violence plutôt que la diplomatie, et le séparatisme racial plutôt qu’un engagement interracial constructif26 ».
12Ce récit est marqué par le contexte de sa production, la guerre froide, qui voit le consensus libéral dominer aux États-Unis jusqu’aux années 1970. Il associe la volonté de progrès dans le domaine racial au libéralisme économique, dans un double refus du communisme et du fascisme. L’histoire du mouvement pour les droits civiques est alors écrite comme une histoire politique, dont les sources sont les archives présidentielles et celles des organisations noires : la NAACP, la plus ancienne, fondée en 1909, et la Southern Christian Leadership Conference (SCLC), créée par des pasteurs en janvier 1957 afin de donner une suite à la victoire du boycott de Montgomery27. Il s’agit d’une histoire « contributionniste » qui met en valeur les succès de pionniers, les premiers Noirs élus, les premiers scientifiques, et ainsi de suite28. Le combat pour les droits civiques est pensé comme la continuation du combat juridique, et les liens avec les mobilisations antérieures ne sont qu’assez peu évoquées29. Les lois de 1964-1965 auraient permis le triomphe de la démocratie, alors que les années du Black Power sont décrites selon le schéma d’un « récit du déclin », dans lequel les violences et le nationalisme, stériles et inutiles, conduisent à une impasse, du fait de l’abandon de la politique libérale30. Cette approche domine encore l’imaginaire collectif, tout comme les manuels scolaires, après avoir longtemps dominé la production scientifique31.
13Mais cette historiographie n’a été qu’une première étape avant d’autres paradigmes d’interprétation, que l’on peut distinguer selon quatre phases. Dans les années 1970-1980, certains questionnent les origines du mouvement, alors que se développe un intérêt pour ses acteurs anonymes32. Puis des interprétations radicales se développent, héritées de la nouvelle gauche, qui a ouvert la voie à des lectures marxistes ou liées aux études sur l’histoire des femmes et du genre33. En 1969, Before the Mayflower, de Lerone Bennett, rencontre un écho important : d’inspiration marxiste, il présente le racisme comme un outil au service de l’élite blanche34. Des sociologues valorisent le rôle des acteurs anonymes, issus de la classe ouvrière ou de régions rurales35. Le mouvement est alors pensé, selon le politiste Michael Dawson, comme le résultat des réseaux et des institutions noires qui l’ont préparé, un « contre-public noir36 ». Clayborne Carson propose d’élargir le champ de ces études sous l’appellation de Black Freedom Struggle, ce qui permet d’inclure les thématiques économiques et sociales37. Il reproche à l’expression « droits civiques » d’une part de présumer que les mobilisations dans le Sud d’après 1964 seraient restées dans le même cadre idéologique que celles de la période antérieure, et d’autre part de présenter la période classique entre 1954 et 1965 comme le résultat d’une campagne nationale cohérente, alors qu’elle n’est que la somme de mouvements locaux38. À sa suite nous utiliserons cette expression, ou simplement « le mouvement », afin d’inclure le combat contre les injustices sociales et économiques et de replacer ces mobilisations dans un contexte plus large, tant chronologiquement que du point de vue des espaces concernés, en évitant de séparer artificiellement différentes étapes.
14Les années 2000 voient se développer de nouvelles lectures, celles du Long Civil Rights Movement, inspirées par l’historienne Jacquelyn Dowd Hall. Cette dernière définit dans un article de 2005 un master narrative, ou récit dominant, qui édulcore l’histoire du mouvement pour mieux en neutraliser la portée contemporaine.
« Le récit dominant, en limitant la lutte pour les droits civiques au Sud à des héros “bowdlerisés”, à une seule décennie idyllique et à des objectifs non économiques limités, a pour résultat à la fois de magnifier ce mouvement, tout en le diminuant. […] Ce récit empêche qu’un des plus remarquables mouvements de masse de l’histoire américaine puisse répondre efficacement aux défis de notre époque39. »
15Cet article fondateur met en lumière les enjeux politiques contemporains de cette histoire40. Il s’agit désormais d’une histoire du Black Freedom Movement, en continuité avec, en amont les années 1930, et en aval avec le Black Power. Il ne s’agit plus de discuter de quand le mouvement a débuté, mais de s’interroger sur sa nature même, ses contours, désormais élargis pour inclure les revendications des femmes, des syndicats ou de la gauche américaine41. Dans cette nouvelle perspective, l’histoire du mouvement de libération noire histoire rencontre les efforts des historiens du mouvement ouvrier42.
16Dans le même esprit, Peniel Joseph s’intéresse aux mobilisations du Black Power, et met l’accent sur les liens entre celui-ci et la période antérieure. Il constate que les chercheurs mainstream n’ont pas traité sérieusement du Black Power, considéré comme le « double maléfique qui ruina le mouvement pour les droits civiques43 ». Par ailleurs, de nouveaux thèmes sont abordés, les sit-in, la violence44. Le rôle des femmes est mis en avant, par exemple avec Ella Baker (1903-1986), qui a milité depuis les années 1930, au sein de la NAACP, puis de la SCLC45. Elle est à l’origine en 1960 de la formation du Student Nonviolent Coordinating Committee, le SNCC, fondé lors d’une assemblée d’étudiants réunis à l’université de Shaw46. D’autres historiennes s’intéressent à Fannie Lou Hamer (1917-1977), une des représentantes du Mississippi Freedom Democratic Party (MFDP) – ce parti formé en 1964 en tant qu’alternative au Parti démocrate du Mississippi, partisan de la ségrégation47. Enfin certains se penchent sur les mobilisations dans les États du Nord48. En 1994-1995, la publication simultanée de plusieurs études locales marquent un tournant, avec des monographies ancrées dans le Sud au plus près des communautés locales49. Le point de vue des anonymes, mis en lumière par Robin Kelley et Horace Huntley est un peu l’ombre portée du succès public de l’histoire « populaire » initiée par Howard Zinn50. Nous souhaitons inscrire notre recherche dans la lignée de ces travaux, afin de faire sortir de l’oubli les options vaincues du mouvement, de manière à faire revivre les débats et les tensions qui l’ont traversé, une piste qui nous semble fructueuse au service d’une histoire « vue d’en-bas51 ».
Clivages et tensions au sein des mouvements noirs américains
17Les lignes de tensions, les débats qui ont agité ces militants, permettent de redonner leur complexité à cette histoire. Nous faisons l’hypothèse que différents mécanismes de production du consensus, tant externes au mouvement qu’internes, ont contribué à les masquer, particulièrement ceux qui menaçaient la domination du principe racial, qui unifie la minorité en minimisant les clivages. Ces tensions, étouffées dans les années 1950, resurgissent avec force après 1964.
18L’histoire du mouvement noir a souvent été pensée comme une histoire « vue d’en bas » de fait, puisque la minorité noire était en butte à la discrimination et majoritairement pauvre. Cette approche a pu conduire à un récit qui se concentre sur les « Noirs représentatifs », les leaders masculins politiquement modérés et issus de la classe moyenne, que les historiens ont longtemps considérés comme les représentants d’une communauté unie52. Il est vrai que face aux adversaires politiques, l’unité apparaissait nécessaire et elle a contribué à masquer les tensions, les dissensions, à faire disparaître les leaders locaux, les femmes, et d’une manière générale les moins éduqués. Si le mouvement fut une mobilisation pour l’égalité raciale du point de vue juridique, c’est que le principe racial l’emporta sur d’autres qui divisaient pourtant la minorité.
19Les divergences politiques ont été documentés, pour les résumer souvent à une opposition entre gradualistes et radicaux, réformistes contre-révolutionnaires, intégrationnistes contre nationalistes. Ralph Bunche (1904-1971), politiste et diplomate, fut un des premiers à opposer de cette façon les choix politiques, distinguant la notion d’accommodement à celle d’évasion, dans les quatre rapports qu’il rendit en préparation de l’enquête de Gunnar Myrdal53. August Meier a précisé ce clivage, en démontrant l’ancienneté du courant de pensée nationaliste54. Enfin en 1967, le succès de l’ouvrage d’Harold Cruse, La Crise des Intellectuels Noirs, a contribué à fixer cette opposition binaire dans l’imaginaire collectif55.
20La plupart des chercheurs s’accordent aujourd’hui sur une typologie plus complexe, en cinq tendances : nationaliste, intégrationniste, conservatrice, radicale et enfin celle du féminisme noir, apparu, selon Linda Burnham au sein de l’organisation étudiante SNCC dans les années 196056. Cette catégorisation montre cependant ses limites en fixant ce qui est mouvant et fluide. Ainsi le féminisme noir, qui remet en question non seulement les injustices raciales, mais aussi l’oppression des femmes au sein des organisations noires, participe également d’une critique radicale. Par ailleurs ces catégories idéologiques ne prennent pas en comptent le fait que les choix politiques dépendaient de la marge de négociation dont disposaient les acteurs. Ainsi les élites noires du Nord s’opposaient ouvertement et radicalement aux lynchages et à toute discrimination, ce qui était impensable dans le Sud au moins jusqu’aux années 195057.
21Il est nécessaire de penser ces courants de pensée en interaction comme le propose le sociologue Herbert H. Haines, qui décrit les relations entre tendances radicales et modérées à travers l’étude des soutiens financiers à la SCLC et au Congress of Racial Equality (CORE)58. Il constate que les fonds reçus augmentent proportionnellement à la crainte qu’inspirent les signes de radicalisation, telles les émeutes des années 1960 ou le développement des tendances nationalistes exprimées notamment par Malcolm X (1925-1965). Ce phénomène, qu’il nomme « effet de la frange radicale », peut pousser un groupe modéré à se radicaliser, ou à l’inverse à se replier vers le conservatisme, de crainte d’être assimilé aux plus radicaux59. Haines montre comment les organisations noires modérées ont été perçues et utilisées comme des contre-feux, alors que les émeutes se multipliaient.
22Cette typologie idéologique place les critères de différenciation sur un plan intellectuel, mais celui-ci ne reflète que très mal la réalité pratique. Les Africains-Américains se débattaient au jour le jour pour survivre et échapper à leur condition et trouvaient plus de solutions concrètes pour contourner le système oppressif que ne pouvaient en concevoir l’élite noire. La définition d’une action comme « politique » dépend de catégories préexistantes, qui décident de ce qui relève du politique au sens « noble » et ce qui en est exclu. Certains phénomènes sociaux sont considérés comme peu significatifs : l’anthropologue James Scott a défini la catégorie de l’infrapolitique pour les sortir de leur marginalité60. Ce concept peut être entendu « soit en termes de discrétion – ce qui passe politiquement inaperçu – soit en termes de signification, ce qui ne se qualifie pas en tant que politique61 ».
23Ainsi des normes sociales sont respectées à la lettre ce qui est une manière de revendiquer l’égale dignité face aux Blancs, dans une attitude que l’historienne Evelyn Brooks Higginbotham nomme la « politique de la respectabilité ». Elle a documenté la façon dont les femmes noires baptistes intégraient les normes vestimentaires, de morale et de politesse définies par la société américaine afin d’affirmer leur valeur62. De même pour les hommes, cette acceptation des normes impliquaient des comportements « modelés par l’idéologie de la virilité blanche, […] quand bien même celle-ci avait comme prémices leur exclusion en tant que Noirs63 ».
24Il faut aussi distinguer les positions des organisations et des leaders, des opinions de l’ensemble de la minorité noire, y compris de ceux qui participaient aux mobilisations. Les porte-paroles du mouvement maîtrisaient parfaitement l’usage des médias et situaient leur action au sein de la sphère médiatique64. Cependant, il est possible de chercher l’écart entre leurs positions et ce que d’autres, non médiatisés, en pensaient, y compris parmi ceux qui les suivaient, sans pour autant être toujours en plein accord. Alors même que la mobilisation semble unir l’ensemble de la population noire, d’autres courants politiques ou d’autres sensibilités continuent d’exister à la marge du courant majoritaire, et c’est ceux-ci que nous voulons explorer. Il est vrai qu’en se limitant aux acteurs marginaux, à des courants politiques minoritaires, les événements essentiels risquent d’être mis de côté. Gayatri Spivak nous alerte contre les dangers de l’intérêt actuel pour les marges, qui ne doit pas faire perdre de vue, à une autre échelle, ceux qui dominent la scène65. Cependant les expressions minoritaires sont révélatrices de ce qui aurait pu advenir, et de la manière dont le mouvement se constitue en se délimitant. Les mobilisations des années 1950 ont longtemps obscurci d’autres discours, et les mobilisations antérieures, celles-là même qui avaient pourtant permis l’émergence de la question des droits civiques comme une question nationale66. Les cadres idéologiques, les registres de mobilisation des années 1950-1960 s’inscrivent dans le droit fil de la génération précédente, de ses références, de ses modes d’action, ce fil que le maccarthysme a tenté de couper67. Cependant la génération formée politiquement dans les années 1930 n’avait pas disparu de la scène après la Seconde Guerre mondiale.
25Cette réflexion sur ce qui constitue la cohérence d’un mouvement, ce qui le délimite, nous conduit à interroger notre objet en tant que tel : si une mobilisation des Noirs a évidemment eu lieu, cela signifie-t-il qu’il faille définir un mouvement noir en tant que mouvement racial ? Ou de façon plus provocatrice, le mouvement noir est-il vraiment noir ? Le risque serait de considérer cet objet historique comme autonome, isolé des enjeux sociaux, de classe, de genre, d’inégalités spatiales. Il est évident que le facteur racial et l’injustice des lois discriminatoires sont au cœur de ces mobilisations, mais cela ne doit pas nous interdire d’interroger la façon dont la notion de race s’est imposée, dans les faits et dans les représentations, comme un facteur politique déterminant, et comment elle l’a emporté sur d’autres déterminations. En effet pour les activistes de l’après-guerre, la lutte des Noirs n’était qu’un aspect d’un combat plus large : l’internationalisme ouvrier pour certains, la lutte anticoloniale et panafricaine pour d’autres. Le mouvement a d’ailleurs entraîné de nombreux Blancs, tout comme des membres d’autres minorités68.
26Nous avons discuté jusqu’à présent de la minorité noire sans remettre en question l’évidence de l’unité d’un tel groupe, superficiellement réuni par la couleur de peau et par l’expérience commune des discriminations, au risque de faire disparaître derrière des catégories les expériences qui sont d’abord individuelles. Si la minorité noire est unie par un même statut inférieur, elle est aussi divisée selon les lignes du colorisme, des inégalités sociales, spatiales, de genre69. Dès lors, comment le mouvement noir compose-t-il avec ces différences : les affronte-t-il, les dépasse-t-il, les assume-t-il ?
27Michel de Certeau dit de l’historien qu’« il tient trop vite pour une réalité de l’histoire ce qui est seulement la cohérence de son discours historiographique, et pour un ordre dans la succession des faits ce qui est seulement l’ordre postulé ou posé par sa pensée70 ». C’est une invitation à ne pas céder à l’évidence d’un mouvement, dont l’histoire a tout d’abord été écrite en marginalisant les voix discordantes. S’il existe un mouvement noir, c’est que les processus de racialisation ont pris le pas sur d’autres déterminations, à commencer par celles de la classe et du genre. Les sociologues Omi et Winant ont défini la racialisation comme « L’extension d’une signification raciale à une relation, une pratique sociale ou un groupe auparavant non classifié. [Elle] est un processus idéologique, inscrit dans l’histoire71. » Bien qu’elle soit un mythe, la race n’en a pas moins des effets bien réels : Henry Louis Gates Jr. la définit comme la « métaphore ultime de la différence » dont le seul objet est le maintien des relations de pouvoir72. Elle est une forme de métalanguage qui a la capacité d’englober comme un signifiant supérieur toutes les autres catégories73. Ainsi dans le contexte américain, la construction des catégories sociales du genre et de classe est-elle toujours racisée74.
28Dès lors, comment ces processus de racialisation ont-ils pris le pas sur la classe ou sur le genre ? Au lieu de postuler l’évidence du mouvement noir, il est possible de s’interroger sur la façon dont les déterminants raciaux l’ont emporté sur d’autres. L’identité raciale est un produit complexe, déterminé par le regard des autres, par le jeu des relations sociales. De fait, à chaque fois que la ségrégation refermait ses portes face aux Noirs, et qu’un combat commun aux côtés de Blancs devenait sinon impossible du moins improbable, cet isolement redonnait de la force aux courants nationalistes75. Ainsi le mouvement noir doit-il être abordé à l’intersection d’autres mobilisations sociales, syndicales ou féministes, que le principe racial a mis à l’arrière-plan : par exemple les militantes du mouvement noir étaient amenées à mettre en sourdine leurs revendications en tant que femmes. L’identité collective, qui sert de carburant à la mobilisation collective, est souvent exclusive d’autres appartenances. Pourtant dans l’action politique, l’acte militant est synonyme d’une traversée des frontières sociales et raciales, à la rencontre de l’autre. Notre recherche se fonde sur diverses sources parmi lesquelles les écrits autobiographiques occupent une place importante, par leur capacité à faire surgir des récits alternatifs.
Voix et regards : des sources pour renouveler le récit
29Bien des acteurs du mouvement dont les choix ont été minoritaires, ou marginalisés, ont pris la plume pour donner leur version des faits. Nous voulons nous appuyer sur ces parcours de vie, sous la forme aussi bien d’écrits autobiographiques, de témoignages oraux (collectés parfois lors de missions d’archivage), mais aussi de lettres ou de journaux intimes. Philippe Lejeune définit l’autobiographie comme « un récit rétrospectif en prose qu’une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu’elle met l’accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l’histoire de sa personnalité76 ». Les récits personnels occupent une place essentielle au sein de la production littéraire de la minorité africaine-américaine et selon Paul Gilroy ils « expriment de la manière la plus forte une tradition d’écriture où l’autobiographie devient aussi un acte ou un processus de création et d’autoémancipation77 ». Ils sont ainsi situés à l’intersection entre l’individu et le groupe et ne sont pas de simples récits d’expériences personnelles.
30L’utilisation de tels récits, souvent d’abord étudiés dans une perspective littéraire, a longtemps suscité une méfiance réciproque entre d’une part les historiens et d’autre part les acteurs et les témoins de ces événements. Les historiens des Annales ont critiqué la pratique du genre biographique, trop souvent réduite « à l’exaltation des gloires nationales78 ». Dans les années 1970, l’influence de Foucault conduisit à considérer les expériences individuelles avant tout comme des discours. Les territoires de l’historien sont ceux du fait vérifiable, une connaissance qui selon Marc Bloch doit être transmissible, vérifiable et rectifiable, et le plus subjectif des discours historiques ne peut s’émanciper de ces attendus. Or ces textes sont précisément à la frontière entre le réel et l’imaginaire. François Dosse met l’accent sur leur caractère hybride, entre fiction et vérité :
« Le genre biographique fait éclater la distinction entre l’identité proprement littéraire et l’identité scientifique. Par sa position médiane, il suscite du mélange, de l’hybridation et illustre par ses vives tensions cette connivence toujours à l’œuvre entre littérature et sciences humaines79. »
31Mais à ces critiques sur la subjectivité et la dimension fictionnelle du genre, répond le rejet de l’histoire de la part de certains auteurs de textes autobiographiques. Kathryn Nasstrom écrit ainsi que l’histoire fait face aux assauts des autobiographies80. Casey Hayden, ancienne militante du SNCC, déclare dans une rencontre des anciens du SNCC : « Ne croyez jamais à ce que vous lisez dans les livres d’histoire. Au mieux c’est une pâle approximation81. » De même l’historien Allen Matusow remarque que : « Les vétérans du mouvement [pour les droits civiques] ont clairement identifié deux ennemis : les policiers et les historiens82. » Il s’agit de donner leur version des faits « en examinant ce qui a été écrit par d’autres sur nos vies et en aboutissant à la sensation très nette que personne d’autre que nous ne pouvait raconter notre propre histoire83 ». Cette méfiance ancienne et réciproque entre les témoins des faits et leurs historiens participe de l’« ère du témoin » dans laquelle, selon Annette Wieviorka, nous sommes entrés, au travers d’une inflation des collectes d’archives orales et audiovisuelles84. Cependant l’histoire orale a aussi été un nouveau terrain pour la recherche. Elle a permis de réintroduire des voix marginalisées (de femmes, de subalternes) et a « fourni des contre-récits qui réfutent les généralisations erronées85 ».
32L’analyse des écrits autobiographiques permet de replacer le rôle de l’individu, et son agentivité (agency), dans la multiplicité de ses relations sociales et dans son contexte historique. Selon Charles Eagles, le récit biographique est sans doute la « forme la plus populaire d’analyse du mouvement des droits civiques86 ». L’historienne Jennifer Wallach considère de même que les écrits autobiographiques des Africains-Américains peuvent s’avérer « plus proches de la vérité que n’importe quel fait », par leur capacité à « capturer le monde tel qu’il apparaissait aux yeux des protagonistes87 ». La critique du biographique, faite et refaite jusqu’à l’« épuisement », laisse la place à un tournant biographique, dont témoigne notamment la publication en 2005 du Pari biographique88. Vincent Broqua et Guillaume Marche nous invitent à élargir ces démarches au travers d’une dimension « herméneutique du biographique89 ». Dès lors, il s’agit d’un mode d’analyse et de saisie de l’histoire et des parcours de vie, qui « déborde la biographie », et qui peut s’appliquer autant aux textes qu’à la photographie par exemple.
33Ces récits ne sont pas simplement des histoires individuelles : ils s’insèrent dans une forme historique donnée. Leurs structures narratives constituent une véritable tradition littéraire. Ainsi il est possible de retrouver dans l’Autobiographie de Malcolm X le plan de celle de Benjamin Franklin, mais aussi celui des récits de conversion religieuse90.
34À l’aspect du témoignage il faut ajouter celui de l’ambition militante, qu’il s’agisse de « témoigner » comme l’écrit Henry Louis Gates Jr., ou de produire des récits de vies exemplaires91. En 1932, Mike Gold, l’éditeur du journal communiste New Masses, sollicitait ainsi ses lecteurs : « Tout le monde en Amérique ressent l’oppression et souhaite s’exprimer. Racontez-nous votre histoire. Elle est sûrement significative92. » Le CPUSA diffuse alors des écrits de prison, tels ceux d’Angelo Herndon, un militant communiste noir de Birmingham dont le pamphlet, Let Me Live, sert en 1958 de modèle à Paul Robeson, acteur et chanteur et figure de proue du Parti communiste, avec Here I Stand, puis à l’Autobiographie de Malcolm X93. Depuis les années 1980, les autobiographies de militants du mouvement se multiplient dans un véritable « un moment autobiographique dans les études sur le mouvement des droits civiques94 ». Le genre de l’autobiographie politique, d’après l’expression proposée par Angela Davis, a rencontré un succès qui s’est prolongé notamment avec les autobiographies de militantes95. Les récits féminins occupent en effet une place première au sein de cette production, jusqu’à constituer une « tradition dans la tradition96 ».
35Le militant-auteur n’écrit pas tant sur lui-même que sur le personnage exemplaire qu’il a été. La question de la diachronie est essentielle surtout lorsqu’il s’agit d’ouvrages qui tirent un bilan, voire règlent des comptes97. Guillaume Marche démontre comment l’écriture de leurs mémoires permet aux militants de « reconstruire leur identité militante par la médiation de la mémoire. […] Et de projeter ainsi une interprétation subjective de leur propre implication militante » qui est elle-même le prolongement de l’acte militant dans le présent de l’écriture98. Il s’agit tout à la fois de tenter de contrôler ce que l’histoire retient des faits, mais aussi l’image de soi-même. Le récit d’une vie engagée donne à celle-ci sa cohérence a posteriori99.
36Du point de vue de l’histoire de ces livres, leur mode d’édition a été des plus variables. Il a été longtemps conditionné par le fait que l’essentiel des éditeurs et des imprimeurs étaient (et demeurent) blancs100. Le parcours du manuscrit au livre est souvent complexe et heurté, ce que les recherches en histoire du livre mettent en lumière101. Si quelques-uns de ces textes ont été régulièrement réédités telle l’autobiographie d’Angela Davis, d’autres sont accueillis chez des éditeurs marginaux, à compte d’auteur, ou hors des circuits de distribution. Plus l’auteur se situe à la marge du champ littéraire et éditorial, plus le processus de publication se révèle être collaboratif, entre celui qui détient l’histoire et celui qui choisit de la faire publier. David D. Hall développe le concept d’auteur collectif (social authorship), pour rendre compte d’un ensemble de pratiques collaboratives, comme l’anonymat ou le parrainage102. Nous retrouvons ces dispositifs dans de nombreuses publications de récits africains-américains, à commencer lorsque ceux-ci sont à mi-chemin entre le biographique et le pamphlet politique103. Cependant tous ces récits ne sont pas demeurés dans les marges du monde éditorial, et certains sont devenus des objets de la culture de masse, des succès de librairie, voire des références identitaires, à commencer par l’Autobiographie de Malcolm X ou plus récemment l’essai de Ta-Nehisi Coates104. Ils constituent ainsi des « lieux de mémoire » du mouvement noir, et sont devenus des pièces essentielles dans le puzzle de la mémoire collective105. Ainsi chaque génération bâtit le récit de sa trajectoire et celle qui a participé aux mobilisations des années 1960 a sans doute été la plus prolifique106.
37Nous nous appuyons également sur des sources orales importantes107. Michel Honey écrit que l’histoire orale « est la seule méthode disponible pour dévoiler une classe ouvrière noire active dans les usines […]108 ». Par la subjectivité des regards, une autre forme d’objectivité nous est rendue disponible, celle des acteurs, des témoins qui parfois s’opposent à l’histoire telle qu’elle est écrite. Daniele Voldman propose cette définition de l’histoire du temps présent : « une histoire où le passé, resté vivant par la chair et la voix de ses contemporains, donne à l’historien la possibilité d’utiliser des archives provoquées109 ». Ces témoignages participent de récits divergents, d’une histoire « vue d’en bas », au sens où elle est écrite sans la légitimation de l’institution. Les autobiographies militantes et les témoignages constituent notre source première, mais non exclusive, car l’image, et particulièrement la photographie, a joué un rôle essentiel dans ces événements110. Les Noirs américains se sont saisis précocement de la photo qui a été perçue comme un outil accessible au service du combat contre le racisme111.
38Le récit suit une double trame chronologique. Celle tout d’abord des parcours de vie de chaque autobiographie. Mais aussi celle des générations successives, qui permet de mettre en valeur les ruptures et les continuités politiques, et de distinguer des périodes politiquement différentes. Cela signifie que la structure du récit sera partiellement récursive, puisque chaque auteur a vécu l’ensemble de ces années. Le New Deal et la période de la guerre connaissent des mobilisations sociales importantes, au travers desquelles la gauche américaine rencontre un écho sans précédent. Après 1945 le maccarthysme constitue une rupture décisive, et le mouvement pour les droits civiques qui débute en 1955 est marqué politiquement par le contexte de la guerre froide, alors que la gauche a été effacée de la scène. Enfin les années 1960 voient une nouvelle génération s’engager dans l’action, et se radicaliser progressivement après 1964.
39Les trois premiers chapitres portent sur l’écho que le mouvement communiste rencontra au sein de la minorité noire. Les années 1930 sont le creuset d’une génération radicale et pionnière des combats pour les droits civiques. Nous suivons le parcours de deux militants communistes, les ouvriers Hosea Hudson et Harry Haywood, jusqu’aux années 1950. Mais aussi celui d’une intellectuelle, Esther Cooper Jackson, qui a été la dirigeante du Southern Negro Youth Congress, le SNYC, une organisation de jeunesse, de 1942 à 1946. Le SNYC a été écrasé par le maccarthysme ; cependant Esther Cooper a poursuivi son chemin militant, avec le journalisme au sein du magazine Freedomways, à partir de 1961. Ces textes permettent d’inscrire les mouvements de libération noire dans la longue durée et d’analyser le rôle que la guerre froide a joué dans la délimitation politique du mouvement des droits civiques112.
40La seconde partie retrace la façon dont le climat politique du maccarthysme a imposé d’étroites limites à l’action des femmes. Les organisations noires majoritaires les ont largement mis de côté, ce que montrent la photographie comme les écrits autobiographiques. Nous nous intéressons à deux générations, celle de Rosa Parks (1913-2005), dont la mise en mémoire, sous la forme d’une icône consensuelle, a été tout sauf fidèle à la réalité de son engagement, qui se laisse lire entre les lignes de son autobiographie113. Puis nous nous penchons sur le texte d’Anne Moody (1940-2015), Coming of Age in Mississippi: An Autobiography, une militante du Mississippi dont le parcours politique fait le lien entre le mouvement des droits civiques et la radicalisation du Black Power114.
41Enfin, à partir de 1960, l’action du Student Non-Violent Coordinating Committee (SNCC) bouscule le carcan que la guerre froide avait imposé et annonce les années de la radicalisation du Black Power. L’autobiographie de John Lewis, Walking with the Wind: A Memoir of The Movement, nous fait découvrir son évolution rapide entre 1960 et 1964115. Les photographies de Danny Lyon (1942-) et d’autres membres de l’agence photographique créée par le SNCC en 1962 marquent la rupture avec les photographies antérieures du mouvement116. Enfin les récits de Robert Moses (1935-), Radical Equations: Civil Rights from Mississippi to the Algebra Project, et de Stokely Carmichael (1941-1998), Ready for Revolution: The Life and Struggles of Stokely Carmichael (Kwame Ture), retracent la radicalisation du SNCC117.
42Différentes formes de tensions politiques expriment les clivages sociaux entre l’élite noire et les plus pauvres, entre les femmes et les hommes, entre les générations. Ces tensions peuvent prendre une forme politique, qui oppose la gauche noire aux organisations modérées, ou entre le féminisme noir et les organisations des droits civiques. Mais elles s’expriment aussi sur le terrain de l’infrapolitique118. Charles M. Payne écrivait en 2011 que l’histoire des « Africains-Américains en dit beaucoup sur leurs relations avec les Blancs mais très peu sur leurs relations entre eux119 ». Cet ouvrage espère contribuer à l’ouverture de nouvelles pistes sur les tensions et clivages internes au mouvement.
Notes de bas de page
1 Les termes utilisés pour désigner les Noirs américains n’ont cessé d’évoluer en relation avec leurs luttes et chacun d’eux est connoté à la fois historiquement et politiquement. D’abord African dans les premiers temps des colonies anglaises, ils sont nommés Negro à partir du xviie siècle. Black est alors fortement péjoratif. Au xixe siècle certains Noirs libres voulurent se désigner comme colored, puis parfois colored people. Au xxe siècle le nationalisme fait surgir Afro-American, puis dans les années 1960 Black, ou African-American et aussi African American, sans le tiret. La recherche française préfère le plus souvent utiliser les termes employés par la communauté africaine américaine elle-même : nous utiliserons donc « Africain-Américain » mais aussi « Noir » pour éviter les lourdeurs d’écriture. Le Dantec-Lowry Hélène, De l’esclave au président : discours sur les familles noires aux États-Unis, Paris, CNRS Éditions, 2010, p. 22-23.
2 William Wells Brown était un leader abolitionniste noir. Il prononça ce discours devant l’American Anti-Slavery Society en mai 1860, [http://archive.org/stream/nationalantis18600526roge#page/n3/mode/1up], consulté le 7 juin 2017.
3 Quelques auteurs noirs se sont consacrés dès le début du xixe siècle à l’écriture d’une histoire des Noirs en Amérique, comme par exemple le pasteur et instituteur Jacob Oson. Bourhis-Mariotti Claire, Parfait Claire, Rossignol Marie-Jeanne, Le Dantec-Lowry Hélène, Renault Matthieu et Vermeren Pauline (dir.), Anthologie des historiens africains-américains (1850-1965) : écrire l’histoire en situation de ségrégation, Paris, Terra-HN Editions, coll. « SHS », 2018.
4 Du Bois William E. B., Les âmes du peuple noir, Paris, La Découverte, 2007.
5 Certeau Michel de, « Prendre la parole », Études, no 328, juin 1968.
6 Arendt Hannah, Penser l’événement : recueil d’articles politiques, Paris, Belin, 1989, p. 193.
7 Mahéo Olivier, « Jamais fatiguée : les représentations de Rosa Parks et le récit national états-unien », K. Revue trans-européenne de philosophie et arts, vol. 7, no 2, coll. « Le voyage de Rosa Parks », 2021, p. 50-67.
8 Romano Renée Christine et Raiford Leigh, The Civil Rights Movement in American Memory, Athens, GA, University of Georgia Press, 2006, p. xiv-xv.
9 Le terme « libéral » est utilisé dans son sens américain et désigne un libéralisme d’abord politique. Il prend ce sens sous le New Deal avec F. D. Roosevelt et associe la défense des libertés individuelles avec une volonté de progrès social.
10 Rustin Bayard, « From Protest to Politics: The Future of the Civil Rights Movement », Commentary Magazine, 1er février 1965.
11 Harding Vincent G., « Beyond Amnesia: Martin Luther King, Jr., and the Future of America », The Journal of American History, vol. 74, no 2, 1987, p. 468-476.
12 Carson Clayborne, « Martin Luther King, Jr.: Charismatic Leadership in a Mass Struggle », The Journal of American History, vol. 74, no 2, 1er septembre 1987, p. 449.
13 Laurent Sylvie, « Le dernier combat de Martin Luther King », Le Monde diplomatique, 1er avril 2018, p. 5.
14 Les historiens opposent souvent la mémoire, qui est du côté de l’affectif, à la construction d’un récit scientifique et raisonné, c’est-à-dire à l’histoire : « La mémoire est un phénomène toujours actuel, un lien vécu au présent éternel ; l’histoire une représentation du passé. » Nora Pierre, Les lieux de mémoire, t. I : La République, Paris, Gallimard, 1984.
15 Cité in Fabre Geneviève et O’Meally Robert, History and Memory in African-American Culture, New York, Oxford University Press, 1994, p. 3, note 1.
16 Anderson Benedict, Imagined Communities: Reflections on the Origin and Spread of Nationalism, Londres, Verso, 1986.
17 Les lois ségrégationnistes Jim Crow, qui restèrent en vigueur jusqu’au milieu des années 1960, tirent leur nom d’un personnage grimé en Noir des Minstrel Shows du xixe siècle. Ainsi le 13e amendement (1865) qui abolissait l’esclavage, ainsi que les 14e (1868) et 15e (1870) amendements qui donnaient des droits aux affranchis, sont qualifiés par l’abolitionniste Charles Sumner de « géants dormants ».
18 Son engagement pacifiste allait de pair avec son militantisme aux côtés du mouvement pour les droits civiques : en 1963 il est renvoyé du Spelman College d’Atlanta pour avoir pris le parti des étudiants. Zinn Howard, SNCC: The New Abolitionists, New York, South End Press, 1964.
19 Il existait de nombreuses universités noires avant 1964, désignées comme les Historically Black Colleges and Universities (HBCU). Ces universités, plus de 120 en 1935, jouaient un rôle essentiel au sein de l’élite noire. Roebuck Julian B. et Murty Komanduri S., Historically Black Colleges and Universities: Their Place in American Higher Education, Westport, CT, Praeger Publishers, 1993.
20 Rojas Fabio, From Black Power to Black Studies: How a Radical Social Movement Became an Academic Discipline, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2007.
21 Rolland-Diamond Caroline, Black America, Paris, La Découverte, 2016, p. 11.
22 Branch Taylor, At Canaan’s Edge: America in the King Years, 1965-68, New York, Simon and Schuster, 2006 ; Branch Taylor, Parting the Waters: America in the King years, 1954-63, New York, Simon and Schuster, 1988 ; Branch Taylor, Pillar of Fire: America in the King Years 1963-65, New York, Simon and Schuster, 2007.
23 Nous indiquerons dorénavant simplement « Brown ». La NAACP est fondée en 1909. L’intellectuel W. E. B. Du Bois (1868-1963) joue un rôle important dans sa création.
24 The Court’s Decision – Separate Is Not Equal, [http://americanhistory.si.edu/brown/history/5-decision/courts-decision.html], consulté le 27 août 2018.
25 Ces lois mettent fin à l’exclusion du vote noir près de cent ans après le 15e amendement à la Constitution voté en 1870.
26 Joseph Peniel E., « The Black Power Movement, Democracy, and America in the King Years », The American Historical Review, vol. 114, no 4, 2009, p. 1003-1005.
27 Franklin V. P., « Introduction: New Black Power Studies: National, International, and Transnational Perspectives », The Journal of African American History, vol. 92, no 4, 1er octobre 2007, p. 463-466.
28 Franklin V. P., « Introduction – Symposium on African American Historiography », The Journal of African American History, vol. 92, no 2, 2007, p. 214.
29 Lawson Steven F., « Freedom Then, Freedom Now: The Historiography of the Civil Rights Movement », The American Historical Review, vol. 96, no 2, 1991, p. 456 ; Cha-Jua Sundiata K. et Lang Clarence, « The “Long Movement” as Vampire: Temporal and Spatial Fallacies in Recent Black Freedom Studies », The Journal of African American History, vol. 92, no 2, 1er avril 2007, p. 266.
30 Joseph Peniel E., « The Black Power Movement: A State of the Field », The Journal of American History, vol. 96, no 3, 2009, p. 751.
31 Alridge Derrick P., « The Limits of Master Narratives in History Textbooks: An Analysis of Representations of Martin Luther King, Jr. », Teachers College Record, vol. 108, no 4, 2006, p. 662.
32 Morris Aldon D., Origins of the Civil Rights Movements, New York, Free Press, 1984 ; Chafe William H., Civilities and Civil Rights: Greensboro, North Carolina, and the Black Struggle for Freedom, New York, Oxford University Press, 1980.
33 La nouvelle gauche est associée au mouvement étudiant et à l’opposition la guerre du Vietnam. Stefani Anne, « Guerres historiographiques : interprétation et mémorialisation du mouvement pour les droits civiques aux États-Unis », in Nathalie Massip, Les guerres culturelles aux États-Unis, Paris, L’Harmattan, coll. « Cycnos », 2016, vol. 32, no 2 p. 117. L’« ancienne gauche » (Old Left), s’était développée dans les années 1930 au travers des mobilisations ouvrières face à la crise économique, avec principalement le Parti communiste, mais aussi le Parti socialiste de Norman Thomas et des organisations trotskystes, tel le Socialist Workers Party. Buhle Paul, Buhle Mari Jo et Georgakas Dan, Encyclopedia of the American Left, Urbana, University of Illinois Press, 1990.
34 Gordon Lewis R. et Gordon Jane Anna, A Companion to African American Studies, Oxford, Blackwell, 2004, p. 96 ; Bennett Lerone, Before the Mayflower; a History of Black America, Chicago, Johnson Pub. Co., 1962.
35 McAdam Doug, Political Process and the Development of Black Insurgency, 1930-1970, Chicago, University of Chicago Press, 1982 ; Lawson Steven F., « Freedom Then, Freedom Now: The Historiography of the Civil Rights Movement », art. cité, p. 457.
36 La notion de contre-public est proposée par l’historienne Nancy Fraser à partir de la notion de sphère publique proposée par Jurgen Habermas. Dawson Michael C., « A Black Counterpublic? Economic Earthquakes, Racial Agenda(s), and Black Politics », Public Culture, vol. 7, no 1, 1994, p. 195-223 ; Fraser Nancy, « Rethinking the Public Sphere: A Contribution to the Critique of Actually Existing Democracy », Social Text, nos 25-26, 1990, p. 56-80.
37 Carson Clayborne, In Struggle: SNCC and the Black Awakening of the 1960s, Cambridge, Mass., Harvard University Press, 1981.
38 Carson Clayborne, « Civil Rights Reform and the Black Freedom Struggle », in David L. Lewis et Charles W. Eagles, The Civil Rights Movement in America: Essays, Jackson, University Press of Mississippi, 1986, p. 19-32.
39 La traduction française fait perdre le jeu de mot autour de master, qui est aussi le propriétaire d’esclave. Hall Jacquelyn D., « The Long Civil Rights Movement and the Political Uses of the Past », The Journal of American History, vol. 91, no 4, 1er mars 2005, p. 1234. Bowdler publia en 1818 une version expurgée de l’œuvre de Shakespeare, The Family Shakespeare, qu’il jugeait plus convenable que le texte original.
40 Sundiata Keita Cha-Jua et Clarence Lang contestent cette approche, lui reprochant de confondre Nord et Sud, mouvement des droits civiques et Black Power, et finalement de présenter le mouvement comme un vampire éternel et immuable. Cha-Jua Sundiata K. et Lang Clarence, « The “Long Movement” as Vampire: Temporal and Spatial Fallacies in Recent Black Freedom Studies », art. cité, p. 266-268.
41 Singh Nikhil Pal, Black is a Country: Race and the Unfinished Struggle for Democracy, Cambridge Mass., Harvard Univ. Press, 2005.
42 Particulièrement autour de la notion de civil rights unionism, un syndicalisme des droits civiques né avec le Congress for Industrial Organization, CIO. Lichtenstein Nelson et Korstad Robert, « How organized black workers brought civil rights to the South », in Eileen Boris et Nelson Lichtenstein (dir.), Major Problems in the History of American Workers: Documents and Essays, Boston, Wadsworth, 2003.
43 Joseph Peniel E., « Black Liberation Without Apology: Reconceptualizing the Black Power Movement », Black Scholar, vol. 31, nos 3-4, automne-hiver 2001, p. 2.
44 Cobb Charles E., This Nonviolent Stuff’ll Get You Killed: How Guns Made the Civil Rights Movement Possible, New York, Basic Books, 2014 ; Strain Christopher B., Pure Fire: Self-Defense as Activism in The Civil Rights Era, Athens, Ga, University of Georgia Press, 2005.
45 Elle s’est élevée contre le culte de la personnalité qui se construisait autour de King et le peu de place laissée aux femmes. Ransby Barbara, Ella Baker and the Black Freedom Movement: A Radical Democratic Vision, Chapel Hill, N.C., Univ of North Carolina Press, 2003.
46 Cette réunion de 126 délégués étudiants venus des différentes expériences de sit-in, se tient sous les auspices des principales organisations noires existantes. En 1969 son nom est modifié en Student National Organizing Committee, indiquant par-là l’abandon de la non-violence et le tournant vers le nationalisme noir.
47 Lee Chana K., For Freedom’s Sake: The Life of Fannie Lou Hamer, Urbana, University of Illinois Press, 2000 ; Mills Kay, This Little Light of Mine: The Life of Fannie Lou Hamer, Lexington, Ky., University Press of Kentucky, 1994.
48 Sugrue Thomas J., Sweet Land of Liberty: The Forgotten Struggle for Civil Rights in the North, New York, Random House Publishing Group, 2009 ; Theoharis Jeanne F. et Woodard Komozi, Freedom North: Black Freedom Struggles Outside the South, 1940-1980, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2003.
49 Payne Charles M., I’ve Got the Light of Freedom: The Organizing Tradition and the Mississippi Freedom Struggle, Oakland, CA, University of California Press, 1995 ; Dittmer John, Local People: The Struggle for Civil Rights in Mississippi, op. cit. ; Fairclough Adam, Race and Democracy: The Civil Rights Struggle in Louisiana, 1915-1972, Athens, GA, University of Georgia Press, 1995.
50 Kelley Robin D. G., Race Rebels : Culture, Politics, and the Black Working Class, New York, Free Press, 1996 ; Huntley Horace et McKerley John W., Foot Soldiers for Democracy: The Men, Women, and Children of the Birmingham Civil Rights Movement, Urbana, University of Illinois Press, 2009.
51 Feldman Lynne B., A Sense of Place: Birmingham’s Black Middle-Class Community, 1890-1930, Tuscaloosa, University of Alabama Press, 1999.
52 Painter Nell I., Exodusters: Black Migration to Kansas after Reconstruction, Lawrence, Ka., University Press of Kansas, 1986, p. 15.
53 Bunche Ralph, « Conceptions and Ideologies of the Negro Problem », Contributions in Black Studies, vol. 9, no 1, 1er janvier 1992. En 1938 la Carnegie Foundation avait commandé à ce chercheur suédois une recherche sur la situation des Noirs. Elle fut publiée à la fin de la guerre. Gunnar Myrdal, American Dilemma: The Negro Problem and Modern Democracy, New York, Harper, 1944.
54 August Meier, Negro Thought in America, 1880-1915: Racial Ideologies in the Age of Booker T. Washington, Ann Arbor, University of Michigan Press, 1988.
55 Cruse Harold, The Crisis of the Negro Intellectual from its Origins to the Present, New York, William Marrow & Company, 1967.
56 Cha-Jua Sundiata K., African-American Ideas, [https://www.encyclopedia.com/history/dictionaries-thesauruses-pictures-and-press-releases/african-american-ideas], consulté le 28 mars 2018 ; Burnham Linda, The Wellspring of Black Feminist Theory, Oakland, Women of Color Resource Center, 2001.
57 Rolland-Diamond Caroline, Black America, op. cit., p. 52.
58 Le CORE a été créé en 1942 en tant que Committee of Racial Equality, issu des organisations pacifistes regroupées dans la Fellowship of Reconciliation, FOR, et s’inspire du pacifisme radical, pour l’appliquer à la question raciale.
59 Haines Herbert H., Black Radicals and the Civil Rights Mainstream, 1954-1970, Knoxville, University of Tennessee Press, 1989, p. 3-5.
60 Scott James C., Domination and the Arts of Resistance: Hidden Transcripts, New Haven, Conn., Yale University Press, 1990.
61 Marche Guillaume, « Why Infrapolitics Matters », Revue française d’études américaines, no 131, no 1, 1er novembre 2012, p. 3-18.
62 Higginbotham Evelyn B., Righteous Discontent: The Women’s Movement in the Black Baptist Church, 1880-1920, New York, American Mathematical Soc., 1993, p. 49-50.
63 Richardson Riché, Black Masculinity and the U.S. South: From Uncle Tom to Gangsta, Athens Ga., University of Georgia Press, 2007, p. 75.
64 Ward Brian, Media, Culture, and the Modern African American Freedom Struggle, Gainesville, University Press of Florida, 2001.
65 Spivak Gayatri Chakravorty, « Theory in the Margin Coetzee’s Foe Reading Defoe’s Crusoe/Roxana », English in Africa, vol. 17, no 2, 1er octobre 1990, p. 1-23.
66 Sitkoff Harvard, A New Deal for Blacks: The Emergence of Civil Rights as a National Issue. 1, The Depression Decade, New York, Oxford University Press, 1978.
67 Le maccarthysme dure stricto sensu la période de 4 ans de 1950 à 1954 durant laquelle le sénateur républicain du Wisconsin Joseph McCarthy multiplie les enquêtes contre la supposée infiltration communiste au sein du gouvernement fédéral. Plus largement il désigne « un état d’esprit qui s’installe dès 1946 », alors que démocrates et républicains s’accordent autour d’un consensus libéral anti-communiste. Heffer Jean, Weil François et Ndiaye Pap, La Démocratie américaine au xxe siècle, Paris, Belin, 2000, p. 21-22.
68 Kurashige Scott, The Shifting Grounds of Race: Black and Japanese Americans in the Making of Multiethnic Los Angeles, Princeton, N.J., Princeton University Press, 2010 ; Stefani Anne, Unlikely Dissenters: White Southern Women in the Fight for Racial Justice, 1920-1970, Gainesville, University Press of Florida, 2017.
69 Ndiaye Pap, « Questions de couleur. Histoire, idéologie et pratiques du colorisme », Cahiers libres, 1er janvier 2006, p. 40-44.
70 Certeau Michel de, L’Écriture de l’histoire, Paris, Gallimard, 1975, p. 379.
71 Omi Michael et Winant Howard, Racial Formation in the United States: From the 1960s to the 1990s, New York, Routledge Chapman & Hall, 1986.
72 Gates Henry Louis Jr., « Race, » Writing, and Difference, Chicago, University of Chicago Press, 1986, p. 5.
73 Higginbotham Evelyn B., « African-American Women’s History and the Metalanguage of Race », Sign: Journal of Women in Culture and Society, vol. 17, no 2, 1992, p. 255.
74 Ibid., p. 256-260.
75 Shawki Ahmed, Black and Red. Les mouvements noirs et la gauche américaine 1850-2010, Paris, Syllepse, 2012, p. 102.
76 Lejeune Philippe, Le Pacte autobiographique, Paris, Le Seuil, 1975, p. 14.
77 Gilroy Paul, The Black Atlantic: Modernity and Double Consciousness, Cambridge, Mass., Harvard University Press, 1993, p. 69.
78 Piketty Guillaume, « La biographie comme genre historique ? Étude de cas », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, vol. 63, no 1, 1999, p. 119-126.
79 Dosse François, Le pari biographique. Écrire une vie, Paris, La Découverte, 2011, p. 72.
80 Nasstrom Kathryn L., « Between Memory and History: Autobiographies of the Civil Rights Movement and the Writing of Civil Rights History. », Journal of Southern History, vol. 74, no 2, mai 2008, p. 325-364.
81 Greenberg Cheryl Lynn, A Circle of Trust: Remembering SNCC, New Brunswick, N.J, Rutgers University Press, 1998, p. 193.
82 Cité in Greenberg Cheryl Lynn, A Circle of Trust: Remembering SNCC, op. cit., p. 193.
83 Curry Constance, Deep in Our Hearts: Nine White Women in the Freedom Movement, Athens, GA, University of Georgia Press, 2002, p. xiv-xv.
84 Wieviorka Annette, L’ère du témoin, Paris, Hachette Littérature, 2002.
85 La notion de contre-récit a été développée par les théoriciens de la narration pour désigner le point de vue de dominés, subalternes qui s’opposent à la domination d’un récit qui leur est imposé. Bamberg Michael et Andrews Molly, Considering Counter-Narratives: Narrating, Resisting, Making Sense, Amsterdam, John Benjamins Publishing, 2004 ; Maynes Mary Jo, Pierce Jennifer L. et Laslett Barbara, Telling Stories: The Use of Personal Narratives in the Social Sciences and History, Ithaca, Cornell University Press, 2008, p. 1.
86 Eagles Charles W., « Toward New Histories of the Civil Rights Era », Journal of Southern History, vol. 66, no 4, novembre 2000, p. 825.
87 Wallach Jennifer J., Closer to the Truth than any Fact: Memoir, Memory, and Jim Crow, Athens, Ga., University of Georgia Press, 2010.
88 Dosse François, Le pari biographique, op. cit. ; Broqua Vincent et Marche Guillaume, L’épuisement du biographique ?, Newcastle upon Tyne, Cambridge Scholars Publisher, 2010.
89 Broqua Vincent et Marche Guillaume, L’épuisement du biographique ?, op. cit., p. 6.
90 Ohmann Carol, « The Autobiography of Malcolm X: A Revolutionary Use of the Franklin Tradition », American Quarterly American Quarterly, vol. 22, no 2, 1970, p. 133-137 ; Eakin Paul John, « Malcolm X and the Limits of Autobiography », Criticism, vol. 18, no 3, 1976, p. 230.
91 Chamorand Élisabeth, Collomp Catherine, Debouzy Marianne, Gibault Michèle, Perrier Hubert, Stewart Danièle et Ullmo Sylvia, « Quand les militants deviennent autobiographes. Table Ronde autour d’un genre, son fonctionnement littéraire, sa portée historique », Revue française d’études américaines, no 14, 1er mai 1982, p. 305 ; Gates Henry Louis Jr., Bearing Witness: Selections from African-American Autobiography in the Twentieth Century, New York, Pantheon Books, 1991.
92 Mostern Kenneth, Autobiography and Black Identity Politics: Racialization in Twentieth-Century America, New York, Cambridge University Press, 1999, p. 115.
93 Robeson, émigré en Grande-Bretagne, rentre aux États-Unis en 1939. Il refuse de plier face au maccarthysme et figure sur la liste noire des acteurs à partir de 1950. Herndon Angelo, Let Me Live, Ann Arbor, University of Michigan Press, 1937 ; Robeson Paul, Here I Stand, Boston, Beacon Press, 1988 ; X Malcolm et Haley Alex, The Autobiography of Malcolm X, New York, Grove Press, 1965 ; Horne Gerald, Paul Robeson: the Artist as Revolutionary, Londres, Pluto Press, 2016.
94 Nasstrom Kathryn L., « Between Memory and History: Autobiographies of the Civil Rights Movement and the Writing of Civil Rights History », art. cité.
95 Sur l’expression autobiographie politique : Phelps Carmen L., Visionary Women Writers of Chicago’s Black Arts Movement, Jackson, University Press of Mississippi, 2013, p. 7 ; Perkins Margo V., Autobiography as Activism: Three Black Women of the Sixties, Jackson, University Press of Mississippi, 2000, p. xiii.
96 Braxton Joanne M., Black Women Writing Autobiography: A Tradition within a Tradition, Philadelphia, Temple Univ. Press, 1989.
97 Chamorand Elisabeth, Collomp Catherine, Debouzy Marianne, Gibault Michèle, Perrier Hubert, Stewart Danièle et Ullmo Sylvia, « Quand les militants deviennent autobiographes. Table ronde autour d’un genre, son fonctionnement littéraire, sa portée historique », art. cité, p. 292.
98 Marche Guillaume, « Remembrances of Political Things Past: Memoirs of Gay Militancy as Militant Memoirs », in Ambre Ivol et Hélène Le Dantec-Lowry (dir.), Generations of Social Movements: The Left and Historical Memory in the USA and France, New York, Routledge, 2015.
99 Perkins Margo V., Autobiography as Activism, op. cit., p. xiii, 25.
100 Cottenet Cécile, Race, Ethnicity and Publishing in America, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2014, p. 4.
101 Cossu-Beaumont Laurence et Parfait Claire, « Book History and African American Studies », Transatlantica. Revue d’études américaines. American Studies Journal, no 1, juin 2009 ; Young John K., Black Writers, White Publishers: Marketplace Politics in Twentieth-century African American Literature, Jackson, University Press of Mississippi, 2010.
102 Hall David D., Ways of Writing : The Practice and Politics of Text-Making in Seventeenth-Century New England, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2012, p. x.
103 Williams Robert Franklin, Negroes with Guns, Detroit, Wayne State University Press, 1962.
104 Coates Ta-Nehisi, Between the World and Me, New York, Random House, 2015.
105 Halbwachs Maurice, La mémoire collective, Paris, Presses universitaires de France, 1950 ; Joutard Philippe, « Mémoire collective », in C. Delacroix, F. Dosse, P. Garcia et N. Offenstadt (dir.), Historiographies : concepts et débats, Paris, Gallimard, 2010.
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108 Honey Michael K., Black Workers Remember: An Oral History of Segregation, Unionism, and the Freedom Struggle, University of California Press, 1999, p. 2.
109 Voldman Danièle, La Bouche de la vérité ? La recherche historique et les sources orales, Paris, Cahiers de l’Institut d’histoire du temps présent, 1992, p. 34.
110 Bond Julian, Carson Clayborne, Herron Matt et Cobb Charles E. Jr, This Light of Ours: Activist Photographers of the Civil Rights Movement, Jackson, University Press of Mississippi, 2011 ; Berger Martin A., Freedom Now! Forgotten Photographs of the Civil Rights Struggle, Berkeley, University of California Press, 2014 ; Berger Martin A., Seeing Through Race: A Reinterpretation of Civil Rights Photography, op. cit., 2011.
111 Stauffer John, The Black Hearts of Men, Cambridge, Mass., Harvard University Press, 2009, p. 56-57.
112 Haywood Harry, Black Bolshevik: Autobiography of an Afro-American Communist, Chicago, Liberator Press, 1978 ; Hudson Hosea, Black Worker in the Deep South: a Personal Record, New York, International Publishers, 1972.
113 Parks Rosa et Haskins James, Rosa Parks: My Story, New York, Paw Prints, 1992.
114 Moody Anne, Coming of Age in Mississippi: An Autobiography, New York, Dell Publishing, 1968.
115 Lewis John et D’Orso Michael, Walking with the Wind: A Memoir of The Movement, New York, Simon & Schuster, 1998.
116 Lyon Danny et Bond Julian, Memories of the Southern Civil Rights Movement, Santa Fe, NM, Twin Palms Publishers, 2010.
117 Carmichael Stokely et Thelwell Michael, Ready for Revolution: The Life and Struggles of Stokely Carmichael (Kwame Ture), New York, Scribner, 2003 ; Moses Robert P. et Cobb Charles E., Radical Equations: Civil Rights from Mississippi to the Algebra Project, Boston, Beacon Press, 2001.
118 Scott James C., Domination and the Arts of Resistance, op. cit.
119 Payne Charles M., « “Sexism is a Helluva Thing”: Rethinking our Questions and Assumptions », in Emilye Crosby, Civil Rights History from the Ground Up: Local Struggles, a National Movement, Athens, Ga, University of Georgia Press, 2011, p. 323.
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