Préface
p. 13-20
Texte intégral
1Les luttes des Africains-Américains dans les années 1950 et 1960 contre la ségrégation et toutes les discriminations ont été largement débattues aussi bien sur la scène politique que dans le champ historiographique, et elles ont fait l’objet de représentations populaires variées. Depuis plusieurs années les historiens ont élargi à la fois leurs recherches tant du point de vue de la période et des espaces que des acteurs et actrices considérés ; cependant la vision de ces mobilisations aux États-Unis – et en France d’ailleurs – est encore bien souvent circonscrite au mouvement des droits civiques, à quelques leaders et à quelques lieux emblématiques, habituellement dans le Sud anciennement esclavagiste, éludant la complexité des mouvements noirs, qu’il faut pourtant bien considérer dans leur pluralité, comme le rappelle fort justement cet ouvrage d’Olivier Mahéo.
2On ne peut nier bien sûr le rôle essentiel de quelques leaders noirs, dont la figure domine aujourd’hui encore le récit, tels Martin Luther King, Malcolm X, John Lewis ou Jesse Jackson, parmi d’autres. Les événements auxquels ils participèrent (du boycott des bus à Montgomery en 1955 à la Marche sur Washington pour les emplois et la liberté le 28 août 1963), leur charisme, leur éloquence, leur mort brutale (l’assassinat de King à Memphis le 4 avril 1968 ou celui de Malcom X à New York, le 21 février 1965), leur longévité politique (Jesse Jackson fut candidat à la présidentielle pour le parti démocrate en 1984 et 1988, puis sénateur de 1991 à 1997 ; John Lewis fut représentant au Congrès de 1987 à 2020, date de sa disparition) font d’eux des figures incontournables. Les hommages et commémorations contribuent à perpétuer cette focalisation sur un nombre restreint d’acteurs, mais cela conduit à gommer l’histoire complexe des activistes et des organisations noires au xxe siècle.
3La culture populaire, par des productions cinématographiques récurrentes tout comme de nombreux livres, a souvent renforcé cette image étroite et contribué à la fabrique d’héroïnes ou de héros et de mythes. Plusieurs films et documentaires, dont certains ont connu un large succès populaire et critique, s’attachent à un leader en particulier, telle la fiction de Spike Lee, Malcolm X, en 1992, ou le documentaire récent sur le harcèlement dont fut victime Martin Luther King de la part du FBI et de son directeur J. Edgar Hoover, MLK/FBI, réalisé en 2020 par Sam Pollard. Le genre du film biographique, focalise ainsi le scénario sur un individu, en faisant abstraction d’autres militants et militantes ou d’autres faits qui, pourtant, contribuèrent à faire avancer la cause de l’égalité raciale. Sam Pollard réalisa par ailleurs, pour la chaîne publique PBS, la série documentaire plusieurs fois primée Eyes on the Prize. La première partie, diffusée en 1987, est consacrée aux années 1954-19651. Elle débute avec l’arrêt de la Cour suprême Brown v. Board of Education of Topeka Kansas de 1954 qui devait mettre fin à la ségrégation des écoles dans le Sud. Le choix, classique, d’envisager le mouvement pour les droits civiques sur une période allant de 1954 à 1965 ne permet pas toujours à la série de tenir compte des luttes et des militants qui réclamaient la fin de la ségrégation depuis de nombreuses années et dont le long combat permit d’aboutir à l’arrêt Brown2.
4Pour sa part, le film franco-britannique Selma, réalisé par Ava DuVernay en 2014, sur la marche de Selma à Montgomery en Alabama en mars 1965 contre les restrictions du droit de vote des Noirs dans cet État et dans le Sud en général, se concentre avant tout sur la figure de Martin Luther King, même si l’organisation étudiante, le Student Nonviolent Coordinating Committe (SNCC) qui contribua à organiser cette marche y est – plutôt brièvement – représentée.
5De même, les divers récits sur Rosa Parks, icône du mouvement aujourd’hui encore, tendent à représenter l’action de Rosa Parks comme celle d’une héroïne presque par accident, comme le montre finement l’analyse par Olivier Mahéo des biographies qui lui sont consacrées (voir son chapitre iv, « Des femmes disparaissent »). La figure de la couturière qui, fatiguée de sa journée, refusa courageusement de céder sa place à un Blanc dans un bus ségrégué, à Montgomery le 1er décembre 1955, fait oublier son militantisme constant depuis les années 1940, couronné en 1955 par cette action qui conduisit à un long boycott des bus par les passagers noirs, et aboutit un an plus tard à la fin de la ségrégation dans les transports de cette ville de l’Alabama. Le film The Rosa Parks Story réalisé par Julie Dash en 2002 montre certes l’engagement antérieur de Parks à la NAACP, mais minimise néanmoins la constance de ce militantisme pour, au final, décrire une femme modeste, comme beaucoup d’autres Noires de sa condition, qui se voit transformée en « mère du mouvement pour les droits civiques » presque par hasard. Cette description réductrice est aussi largement présente dans les très nombreux livres pour enfants sur Rosa Parks, publiés à ce jour3.
6Ces représentations ont tendance à perpétuer un récit tronqué des mouvements noirs des années 1950-1960, encore très présent dans la perception et les mémoires, individuelle ou collective, de nombreux Américains. Le mouvement non-violent et intégrationniste mené par King y est généralement opposé au mouvement séparatiste et nationaliste du Black Power, dans une lutte qui laisse peu de place aux alliances possibles entre les deux courants, aux leaders locaux moins médiatisés, à commencer par les militantes, effaçant alors les continuités entre les luttes radicales des Noirs des années 1930 et 1940 et celles des décennies suivantes.
7Olivier Mahéo le montre très bien, ces lacunes et simplifications occultent des pans entiers des mouvements noirs, en un récit qui se veut largement consensuel et apaisé. Comme il le rappelle dans une introduction très détaillée et particulièrement convaincante, depuis quelques années l’historiographie a tenu davantage compte d’un temps plus long pour mieux comprendre l’engagement des Noirs, dans le Sud comme dans d’autres régions des États-Unis, leurs choix idéologiques et stratégiques. Le concept d’un long mouvement pour les droits civiques (the long civil rights movement), formalisé par l’historienne Jacquelyn Dowd Hall dans un article de 2005, est désormais largement employé4.
8Pareillement, des publications se sont multipliées sur des aspects longtemps ignorés ou minorés par les historiens et historiennes : des militants et militantes, dont The Narrative of Hosea Hudson, ce récit sur le militant communiste Hosea Hudson par l’historienne Nell Irvin Painter, paru dès 1979 et l’ouvrage de Dayo F. Gore, Jeanne Theoharis et Komozi Woodward, Want to Start a Revolution?: Radical Women in the Black Freedom Struggle sur le rôle des militantes de gauche ; ou bien des productions politiques et culturelles avec par exemple Radical Intellect: Liberator Magazine and Black Activism in the 1960s de Christopher Tinson sur le mensuel radical The Liberator (1960-1971), qui combinait journalisme et militantisme ; ou encore des mobilisations locales, comme dans l’ouvrage de John Dittmer, Local People: The Struggle for Civil Rights in Mississippi5.
9Dans cette Histoire populaire des mouvements noirs, Olivier Mahéo réussit avec brio à rendre compte de tous ces éléments dans un même volume. Tout d’abord, il examine les mouvements des années 1950-1960 dans un continuum militant, en exposant avec précision le combat des Noirs durant le premier xxe siècle : pour la fin des discriminations, avant la Première Guerre mondiale, puis entre les deux guerres mondiales, souvent dans les organisations de gauche, dont le parti communiste américain (CPUSA), et au sein des syndicats, enfin en analysant leur mobilisation pendant la Seconde Guerre mondiale, à la fois contre le nazisme et le fascisme – en accord avec l’engagement des États-Unis dans le conflit mondial – mais aussi pour l’accès aux emplois et à un traitement égalitaire au sein de l’armée, sans oublier de mentionner les boycotts des magasins ségrégués dès la fin des années 1940. Ces luttes servirent de socle aux mouvements de libération des années 1950-1960 et, d’ailleurs, les militants et les militantes de ces générations précédentes y participèrent souvent eux-mêmes et transmirent parfois aux plus jeunes tactiques et formes de résistance (on pense à Ella Baker ou à Rosa Parks, impliquées dans la formation des militants du mouvement des droits civiques)6. Les échecs précédents aidaient aussi parfois à se repositionner, à repenser une stratégie. On comprend alors plus clairement comment, dès les années 1950, les demandes économiques des Africains-Américains furent marquées socialement et critiquées comme inspirées du communisme, alors que la guerre froide faisait peser sur la société américaine le poids d’un consensus oppressant. De même, les revendications féministes noires, avec l’action de militantes de gauche comme Anna Julia Cooper dès les années 1930, furent systématiquement écartées par les autorités, au niveau fédéral et local, et largement oubliées lors du mouvement pour les droits civiques et même, dans une moindre mesure, du mouvement du Black Power7. Les leaders à la tête du mouvement pour les droits civiques pratiquaient une politique de la « respectabilité8 » pour éviter d’être assimilés à la gauche militante alors proscrite, et afin de démontrer leur désir d’intégration dans la société américaine et dans son système politique à titre personnel. Ceux qui s’écartaient de cette politique n’avaient pas voix au chapitre, du moins en apparence9.
10Ces logiques ont effacé du récit longtemps dominant la place des femmes, et aussi d’ailleurs celle des homosexuels et des lesbiennes10. En accord avec les normes sociales en cours dans la société américaine, les femmes avaient souvent des rôles d’accompagnatrices, de soutien – y compris dans les tâches qui leur étaient dévolues dans les organisations militantes, qui reproduisaient celles alors réservées aux femmes dans la société. Les organisations féministes noires dénonçaient cette situation. Les définitions de la masculinité noire, l’idée qu’il fallait d’abord permettre aux hommes africains-américains de recouvrer un rôle de mari et de pourvoyeur des ressources mis à mal par la discrimination, renforcèrent cet effacement des revendications des femmes. À ces questions, s’ajoute dans le présent ouvrage une image plus complexe qui montre que de nombreuses Africaines-Américaines jouèrent des rôles majeurs en différents sites et organisations. On ne peut que louer cet apport.
11Ensuite, l’Histoire populaire des mouvements noirs met au jour la diversité des lieux investis par les mouvements de libération noire. Le Sud, pris dans son ensemble, a longtemps été décrit – et est encore souvent perçu – comme le lieu emblématique, voire unique, des mobilisations (sermons et discours, boycotts, manifestations et marches), mettant de côté les luttes que des groupes de militants organisaient dans les campus autour du pays, dans les ghettos du Nord, du Midwest et de la Californie. En outre, Olivier Mahéo démontre que cette vue pousse à négliger également l’hétérogénéité de l’engagement dans le Sud, qui, loin d’être unifié, différait grandement si l’on considère les campus universitaires, les grandes villes ou au contraire les zones rurales, soulignant par ailleurs les tensions entre les classes et entre les genres, mais aussi la diversité des objectifs pour lesquels les Africains-Américains se mobilisaient. Par exemple, un métayer du Mississippi avait des besoins économiques pressants et des aspirations différentes de celles d’un employé à Atlanta ou Miami. Malgré tout, ceci n’empêchait pas des interactions productives. On pense aux étudiants qui participèrent aux campagnes pour les inscriptions des Africains-Américains sur les listes électorales, dans les États du Sud, où la répression et les intimidations étaient particulièrement virulentes.
12Enfin, Olivier Mahéo fait appel à des sources particulièrement intéressantes – qui, à ce jour, n’ont pas toutes été bien étudiées, ni envisagées dans leur ensemble pour un même ouvrage – des sources qui révèlent précisément le rôle des femmes et des militants de la gauche radicale et, par-là, les tensions de classe et de genre dans les mouvements de libération noire. Olivier Mahéo analyse ainsi des (auto)biographies militantes et des photographies.
13L’examen d’autobiographies pose nécessairement la question du recul dans le temps, des défauts de mémoire et la volonté de se mettre en scène. De leur côté, les biographies, écrites à deux voix ou par des tiers, conduisent à des questionnements sur la récriture et ses diverses raisons (éditoriales, de différences générationnelles ou militantes)11. Dans tous les cas, l’étude des récits de vie est un moyen pertinent pour prendre connaissance des activistes de gauche et des actions locales, que le maccarthisme et l’obsession du consensus avaient éloignés du récit dominant, y compris régulièrement dans la communauté africaine-américaine. Ces textes recentrent aujourd’hui le débat sur l’engagement des Noirs, leurs motivations et les effets de leur action, souvent sur le long terme ; ils permettent également de voir les interactions et les continuités ou ruptures d’une génération militante à une autre et offrent des contre-récits qui éclairent et qui peuvent contredire les actions des leaders reconnus et des mouvements de libération dans leur ensemble. Ces écrits à teneur militante remettent sur le devant de la scène les tensions de classe, de genre et d’espace qui furent longtemps tues.
14Olivier Mahéo émaille aussi régulièrement son ouvrage de photos d’époque, dont certaines sont peu connues, et qu’une recherche poussée en archive lui a permis de recouvrer. La photographie est un moyen efficace de donner un visage aux militants et militantes oubliés ou négligés dans l’historiographie ou d’en proposer un nouveau regard. Alors que les médias proposaient un nombre conséquent d’images dans les années 1945-1970, étaient mises en avant des images frappantes, choquantes ou émouvantes, qui construisaient le portrait de victimes. Celles de la pauvreté noire dans les zones rurales du Sud et des conditions iniques dans les ghettos urbains, celles de la ségrégation, ou bien celles de manifestants africains-américains victimes des violences blanches de la part de la police ou de citoyens ordinaires. Dans cette construction, les photographies forgeaient de l’empathie pour les Africains-Américains, en même temps qu’une prise de conscience au vu de nécessaires réformes. Toutefois elles pouvaient aussi présenter les Noirs comme des victimes impuissantes12. Ces photographies, souvent reproduites et exposées ont en outre participé à construire une mémoire collective dans un cadre étroit. En incluant des photographies produites par les Noirs eux-mêmes, et moins diffusées, Olivier Mahéo nous invite à repenser ce regard photographique. Les photos prises par le SNCC, au moyen de leur propre agence entre 1962 et 1968, avaient aussi pour but de témoigner de la répression envers les Noirs ; on y voyait également une histoire de résistance, l’évolution de l’engagement militant et la montée de leaders, y compris depuis la base, et l’espoir d’une société meilleure13. Un peu plus tard, comme SNCC, les Black Panthers cherchèrent à contrôler leur image et le récit de leurs demandes et actions : la photographie s’ajouta aux illustrations, aux posters et autres objets militants qu’ils élaboraient14.
15On le voit, en employant ces diverses sources, dont certaines n’ont pas été étudiées à ce jour, Olivier Mahéo donne corps aux militantismes noirs, dans leur complexité, et bâtit ainsi avec talent une histoire renouvelée des mouvements de libération noire, qui apporte grandement à l’histoire africaine-américaine et à celle de la gauche radicale aux États-Unis.
Notes de bas de page
1 La seconde partie, diffusée en 1990, s’intitule Eyes on the Prize II: America At the Racial Crossroads, 1965-1985.
2 L’année 1965 est associée notamment à la loi fédérale sur le droit de vote du gouvernement démocrate de Lyndon B. Johnson qui renforce les xive (1868) et xve (1870) amendements à la Constitution après la guerre de Sécession. 1965 s’inscrit aussi dans une période d’émeutes dans différentes villes des États-Unis, menées par des Noirs qui voyaient peu de changements dans leur quotidien en termes d’emploi, d’accès à l’éducation, de harcèlement policier, et cela malgré des lois majeures en 1964 et 1965 sur les droits civiques, lois censées mettre fin aux discriminations raciales (le Civil Rights Act, puis le Voting Rights Act). On pense bien sûr aux émeutes à Watts, quartier noir de Los Angeles, du 11 au 16 août 1965, quelques jours seulement après le passage de la loi sur le droit de vote, le 6 août.
3 Il est vrai, les livres pour enfants plus récents insistent davantage pour décrire Rosa Parks comme une activiste qui se bat pour les droits des Africains-Américains. Voir par exemple Rosa Parks écrit par Lisbeth Kaiser et illustré par Marta Antelo, paru dans la collection « Little People, Big Dreams » chez Frances Lincoln’s Children Books en 2017.
4 Hall Jacquelyn D., « The Long Civil Rights Movement and the Political Uses of the Past », The Journal of American History, vol. 91, no 4, mars 2005, p. 1233-1263. Olivier Mahéo s’ouscrit à l’idée de tenir compte des luttes passées pour comprendre le mouvement pour les droits civiques ; il n’en oublie pas pour autant de voir les limites de l’article de Hall, qui n’insiste pas suffisamment sur la diversité des points de vue et des espaces de lutte au sein de ce mouvement.
5 Painter Nell Irvin, The Narrative of Hosea Hudson, Cambridge, Mass, Harvard University Press, 1979 ; Gore Dayo F., Theoharis Jeanne et Woodard Komozi, Want to Start a Revolution?: Radical Women in the Black Freedom Struggle, New York, NYU Press, 2009 ; Tinson Christopher M., Radical Intellect: Liberator Magazine and Black Activism in the 1960s, Chapel Hill, N.C., University of North Carolina Press, 2017 ; Dittmer John, Local People: The Struggle for Civil Rights in Mississippi, Urbana, University of Illinois Press, 1994.
6 Sur les possibles interactions entre différentes générations de militants et de militantes, voir Le Dantec-Lowry Hélène et Ivol Ambre (dir.), Generations of Social Movements: Remembering the Left in the US and France, New York, Routledge, 2015, et lire notamment le chapitre iv, Marable Manning, « Black Radical Through Over Time: From Marxist Traditions to the Hip-Hop Generation », p. 69-86, dans lequel l’auteur examine la persistance du radicalisme noir au fil des générations. Sur l’hétérogénéité sociale – et on pourrait ajouter ici sur les différences idéologiques et de positionnement politique – au sein d’un mouvement politique, lire l’article de Sirinelli, Jean-François, sur mai 68, « Générations, génération », Vingtième Siècle – Revue d’histoire, no 98, vol. 2, 2008, p. 113-124, [https://0-www-cairn-info.catalogue.libraries.london.ac.uk/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2008-2-page-113.htm], consulté le 22 septembre 2022.
7 Alors que les revendications féministes étaient dévalorisées sous le maccarthisme, dans les années 1960-1980 les voix de la gauche radicale d’Angela Davis et du groupe féministe lesbien, le Combahee Collective (1974-1980), parmi d’autres, s’élevèrent pour faire entendre à nouveau les revendications féministes noires. De son côté, la Third-World Women’s Alliance (1968-1980) rassemblait des « femmes de couleur » autour du socialisme, de l’anti-impérialisme et du sexisme. L’approche intersectionnelle, qui met au jour l’oppression triple – de race, de classe et de genre – que subissent les femmes des minorités ethnoraciales, prenait pied fortement dans les groupes féministes, souvent dans la logique des voix militantes qui les avaient précédées, ce que cet ouvrage démontre clairement.
8 Dans son étude sur l’engagement des Africaines-Américaines dans l’Église baptiste au tournant du xixe siècle, l’historienne Evelyn Brooks Higginbotham explique que celles-ci encourageaient une forme de respectabilité chez les Noires les plus pauvres et les moins éduquées pour contrer les perceptions racistes et pour favoriser le progrès du groupe noir dans son ensemble. Elle parle alors d’une « politique de la respectabilité », que l’on retrouve sous une autre forme dans le mouvement des droits civiques et par laquelle les militants se devaient de toujours avoir une attitude digne et une tenue soignée de mêmes que des comportements sans reproche (dans leurs pratiques religieuses et familiales par exemple), et ce pour démontrer qu’ils étaient en accord avec les valeurs fondatrices états-uniennes et pour ne pas prêter front aux critiques. Cette stratégie devait donc permettre de « lisser » les apparences et les slogans, dans une visée consensuelle moins aisément critiquable. Voir Higginbotham Evelyn B., Righteous Discontent: The Women’s Movement in the Black Baptist Church, 1880-1920, Cambridge, MA, Harvard University Press, 1993. Pour une critique de la politique de la respectabilité dans les luttes africaines-américaines et son lien, aujourd’hui avec le néolibéralisme, voir Harris Fredrick C., « The Rise of Respectability Politics », Dissent, hiver 2014, [https://www.dissentmagazine.org/article/the-rise-of-respectability-politics], consulté le 19 septembre 2022. Un autre critique aborde la question depuis les mobilisations noires récentes, Mcdougall Harold A., « Class Contradictions in the Civil Rights Movement: The Politics of Respectability, Disrespect, and Self-Respect », Howard Human and Civil Rights Law Review, vol. 1, no 45, 5 mai 2017. Howard Law Research Paper no 17-2.
9 Cette insistance sur la respectabilité du mouvement et celle de ses membres a aussi éclipsé la complexité des positions des leaders reconnus ou leur évolution. Ainsi, la vision majoritaire de Martin Luther King est encore souvent celle d’un chantre de l’intégration des Noirs, qui cherchait avant tout à obtenir l’égalité formelle devant la loi. On met alors en sourdine son opposition ferme à la guerre du Vietnam à partir de 1967 ou la Poor People’s Campaign de 1968, par laquelle il recherchait la justice économique pour tous les pauvres aux États-Unis, des prises de position qui, pour certains, menaçaient par ailleurs l’unité du mouvement et l’éloignaient de ses priorités concernant le groupe noir. Sur King et la Poor Peolple’s Campaign, voir par exemple Freeman James et Kolozi Peter, « Martin Luther King Jr. and America’s Fourth Revolution: The Poor People’s Campaign at Fifty », American Studies Journal, no 64, 2018, [http://www.asjournal.org/64-2018/martin-luther-king-jr-americas-fourth-revolution-poor-peoples-campaign-fifty/], consulté le 19 septembre 2022.
10 Nous reprenons ici les formulations en vigueur à l’époque considérée.
11 Sur la question du récit biographique, voir Lejeune Phillipe, Le Pacte autobiographique, Paris, Le Seuil, coll. « Points », 1989 (1975) ; Broqua Vincent et Marche Guillaume (dir.), L’épuisement du biographique, Newcastle upon Tyne, Cambridge Scholars Publishing, 2010.
12 Berger Martin A., Seeing Through Race: A Reinterpretation of Civil Rights Photography, Berkeley, University of California Press, 2011.
13 Raiford Lee, « “Come let Us Build a New World Together”: SNCC and Photography of the Civil Rights Movement », American Quaterly, vol. 59, no 4, 2007, p. 1129-1157, p. 1130.
14 On peut noter ici le rôle de l’illustrateur Emory Douglas, qui fut ministre de la Culture des Black Panthers à partir de 1967 et dessina nombre de leurs affiches et les dessins dans leur revue, le Black Panther. Il développa aussi une iconographie aisément reconnaissable, qui accrut la visibilité de cette organisation noire radicale.
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