À propos des concours de l’Orient méditerranéen à l’époque hellénistique
p. 311-328
Texte intégral
1Il est communément admis que les conquêtes d’Alexandre eurent des effets notables sur l’institution des concours (agôn, pl. agônes). À l’époque classique, la Grèce continentale abritait tous les grands concours qui comportaient une trêve sacrée unanimement reconnue et accordaient comme prix aux vainqueurs non pas une somme d’argent ou un objet de valeur, mais une simple couronne de feuillage : les quatre concours de la périodos, dans les sanctuaires d’Olympie, de Delphes, de l’Isthme et de Némée, fondés à l’époque archaïque, auxquels s’étaient ajoutés les Hékatomboia d’Argos, pour Héra, et les Asklépieia d’Épidaure. Pour l’époque hellénistique, l’apparition de nouveaux grands concours dans la zone orientale de l’Égée a retenu l’attention des historiens qui l’ont reliée à la renaissance dans tous les domaines de la côte asiatique et des grandes îles proches. Dans son discours d’ouverture du VIIIe Congrès d’épigraphie, à Athènes en 1982, L. Robert déclare :
« À l’époque hellénistique, une évolution continue fit accéder de nombreux concours – jusqu’alors locaux ou de création nouvelle – au statut de concours sacrés, stéphanites, isolympiques, isopythiques, etc. Dès la seconde moitié du iiie siècle, plus encore au IIe, ne sont pas rares les cités qui célèbrent un tel concours : Asclépieia de Cos, Didymeia de Milet, Héliaia de Rhodes, Éleuthéria de la Confédération Thessalienne, Leucophryéna de Magnésie du Méandre. […] La première création d’un concours stéphanite [… avait été] celle des Ptolémaia d’Alexandrie par Ptolémée Philadelphe en l’honneur de son père. L’initiative d’un concours égal à ceux de la période fut une manifestation de la monarchie lagide, la plus stable et la plus riche des nouvelles monarchies1. »
2On trouve à plusieurs reprises dans les oeuvres de ce grand savant de longues listes de concours stéphanites (« à la couronne », stéphanos), témoignant de leur « foisonnement » à l’époque hellénistique. Ainsi, dans un ouvrage posthume, il cite des concours existant dans la partie orientale du monde égéen au troisième quart du iie siècle :
« Les Dionysia de Téos, les Éphéseia d’Éphèse, les Didymeia de Milet, les Héraia de Samos, les Leucophryéna de Magnésie du Méandre, les Athénaia de Priène, les Pythia et les Olympia de Tralles, les Théogamia de Nysa, et aussi les Asclépieia de Cos, les Panathénaia et Euméneia de Sardes et les Rômaia de Kibyra2 »,
3ces fêtes s’ajoutant aux Claria de Colophon en l’honneur d’Apollon. L. Robert a étudié ou signalé d’autres grands concours hellénistiques de la zone au fil de ses nombreuses publications, bien qu’il se soit beaucoup plus intéressé aux fêtes stéphanites de l’époque impériale. Le tableau est alors sensiblement différent, comme il le montre dans son discours de 1982. Il est clair, au seuil de notre étude, que les réalités et institutions de l’époque postérieure ne devront pas être transposées à l’époque hellénistique et qu’on doit s’appuyer seulement sur des sources datant des trois premiers siècles avant notre ère.
4La question fondamentale est celle du rayonnement des principaux concours orientaux : est-il de même grandeur que celui des concours stéphanites existant en Grèce continentale depuis l’époque archaïque et classique ?
L’état général de la vie agonistique dans l’Orient grec
5Tout comme en Grèce continentale, la vie agonistique de l’Orient grec était très active à l’époque hellénistique. Le développement de concours obtenant une large audience reposait sur le terreau que constituaient les multiples concours locaux.
6Dans les deux zones, naturellement, de l’importance d’une cité dépendait le nombre des concours qu’on y célébrait. On ne dispose d’un dossier épigraphique étoffé pour aucune petite cité de la Grèce d’Orient. Mais pour Délos, une micro-cité au coeur des Cyclades, où la documentation est d’une abondance exceptionnelle, Ph. Bruneau3 a montré que pendant la période 314-167 av. J.-C., outre les Dionysies, célébrées dans la plupart des cités grecques, il n’y avait qu’une fête dotée de compétitions, les Apollonia, à quoi s’ajoutaient des lampadédromies (courses aux flambeaux) lors des Hermaia ; le programme des Apollonia comprenait les épreuves gymniques usuelles, des lampadédromies pour garçons et pour adultes et des compétitions entre choeurs de garçons (paides). Beaucoup de petites cités d’Asie devaient être dans la même situation et simplement organiser une fois l’an, lors de la fête de leur divinité principale, des épreuves traditionnelles pour la population locale. En revanche, dans une cité peuplée et riche, les concours se multipliaient et certains n’étaient pas modestes. Ainsi Rhodes célébrait un grand concours en l’honneur du dieu, Halios, qui symbolisait l’unité de la cité, les Halieia, qui avaient non seulement une partie gymnique mais aussi des compétitions hippiques, ce qui était très peu fréquent dans l’Orient hellénistique, et avait plusieurs autres concours panrhodiens, les Poseidania, les Dioskouria, les Hérakleia et les Grands Éréthimia. La richesse de la vie agonistique rhodienne est une manifestation de la puissance et de la prospérité de la cité.
7Certains des concours rhodiens étaient réservés aux jeunes de la palestre et du gymnase, tels les Grands Éréthimia4 dont les épreuves étaient gymniques et thyméliques, c’est-à-dire musicales. De plus, comme les Grandes Panathénées d’Athènes, des fêtes organisées en l’honneur d’une grande divinité civique mettaient à leur programme non seulement les épreuves usuelles d’un concours complet, mais aussi des compétitions spécialement destinées à ces jeunes. À Cos, par exemple, des courses aux flambeaux5, une épreuve typique des éphèbes et des classes d’âge proches, avaient lieu à la fois lors de la fête du gymnase par excellence, les Hermaia6, et lors de la fête en l’honneur d’un grand dieu civique, Zeus Alseios, où sacrifiait notamment le magistrat éponyme de Cos, le monarchos. On ne peut pas sous-estimer, pour la vie socioculturelle, l’importance des concours destinés à la jeunesse, qu’il s’agisse des lampadédromies, des compétitions de prestance, d’endurance et de discipline ou des épreuves à connotation militaire, comme le tir à l’arc. On perçoit cette importance aussi bien en Orient qu’en Grèce continentale7 : on le voit, dans l’Égée de l’Est, par des décrets, comme ceux de Priène, et par plusieurs listes de vainqueurs, comme celles de Tralles qui citent les épreuves pour les néoi (les jeunes qui viennent de sortir de l’éphébie), course (dromos), prestance (euexia), tir au javelot et tir à l’arc8. On a même la chance, en Orient, à la différence de la Grèce d’Europe, de connaître, grâce à ces listes, des concours purement scolaires pour les garçons qui n’avaient pas encore atteint l’âge de l’éphébie : à Téos, des concours réservés aux paides répartis en trois groupes d’âge comportaient des épreuves de récitation, de lecture, de connaissances variées, de dessin, de course aux flambeaux, de jeu avec le plectre, de jeu de cithare, de chant accompagné de cithare (citharôdie), de dictée rythmique, de dictée mélodique, de comédie et de tragédie9. Le grand intérêt de la jeunesse pour le sport et la musique ne pouvait que susciter chez elle le désir, sinon de participer, du moins d’assister à des compétitions de plus haut niveau et de plus vif éclat.
8Née de l’esprit d’émulation, si fort chez les Grecs, l’institution des concours était aussi un moyen de structurer une communauté : concourir entre soi unit un groupe et en soude les éléments constitutifs, tout comme banqueter ensemble après un sacrifice. Il s’agit le plus souvent d’une cité, mais un koinon peut également organiser un concours. À l’époque hellénistique, c’est en Grèce continentale que les Confédérations jouaient un rôle politique prédominant ; on se souvient que L. Robert citait dans son discours les Éleuthéria de la Confédération thessalienne. En Orient, la seule Confédération de nature politico-militaire était le koinon des Lyciens ; les autres koina avaient des fonctions essentiellement religieuses. Trois concours organisés par des koina sont attestés en Orient à l’époque hellénistique.
9Le plus ancien est celui sur lequel l’information est la plus indigente. Ce sont les Alexandreia, un concours en l’honneur d’Alexandre le Grand et certainement créé de son vivant ; il était célébré par le koinon10 des Ioniens, formé de treize cités, Phocée, Smyrne, Clazomènes, Érythrées, Téos, Lébédos, Colophon, Éphèse, Priène, Milet, Myonte et les deux grandes cités insulaires de Chios et de Samos, et qui avait pour sanctuaire fédéral le Panionion consacré à Poséidon. Les Alexandreia sont connus par un palmarès d’un athlète de Messène, dans le Péloponnèse, qui a remporté la course en armes aux Alexandreia de Smyrne organisés par le koinon : cette inscription, trouvée dans la patrie du coureur, date de la seconde partie du iie siècle ou du début du ier siècle11. Selon Strabon (XIV, 1, 31), le concours avait lieu de son temps sur le territoire de Téos. On ignore si, à sa fondation, il avait déjà pour siège Smyrne et quand exactement, entre l’inscription de Messène et l’époque augustéenne, il a été transféré sur le territoire de Téos.
10Bien mieux connu, surtout grâce à une belle étude de Louis Robert12, le second concours régional, qui s’est tenu sans discontinuité à Ilion, remonte lui aussi au ive siècle. Il a été fondé sous Alexandre ou pendant la domination d’Antigone le Borgne, vers 310, date de la première attestation. La fête des Panathénaia, en l’honneur d’Athéna Ilias, était célébrée « par les Iliens et les cités qui participent au sacrifice (thysia), au concours (agôn) et à la panégyrie ». Les cités participantes étaient des cités de Troade (Ilion, Alexandrie de Troade, Assos, Skepsis et Gargara) et des cités situées plus au nord, sur les Dardanelles (Dardanos, Abydos, Lampsaque et Parion). La panégyrie était un élément très important de la fête, avec le rassemblement de très nombreux pèlerins et l’organisation d’une grande foire commerciale, dont la tenue nous est assurée par la présence d’un agoranome ou d’un collège d’agoranomes. Il en était de même pour le concours, comme le prouvent la dignité de la charge de gymnasiarque et l’existence d’un collège d’agonothètes (les magistrats organisant les concours). Le concours comprenait une partie gymnique et une partie musicale dotée d’épreuves théâtrales : un décret des synèdres (conseillers) du koinon honorant le gymnasiarque Kydimos à la fin du iiie siècle prévoyait la proclamation de la couronne honorifique « dans le concours des acteurs tragiques et le concours gymnique13 ». Le sport tenait une place non négligeable : les athlètes d’origine variée venus à Ilion pour le concours s’étaient groupés avec les néoi de la cité pour tenir une assemblée qui a voté au même Kydimos l’honneur d’une couronne d’or et d’une statue de bronze. On sait également qu’on avait mené de gros travaux au théâtre. La communauté des cités célébrant la fête a frappé les premiers tétradrachmes stéphanéphores (« à la couronne ») connus dans le monde grec, probablement avant 170 : ils portaient au droit la tête d’Athéna et au revers Nikè avec la légende « d’Athéna Ilias ». Cette fête avec son organisation complexe et fonctionnelle, son concours, sa panégyrie, avait manifestement un très grand rayonnement régional. On ignore si elle attirait en nombre des concurrents et des pèlerins extérieurs à la région et si la communauté organisatrice avait jugé bon de demander à l’ensemble des puissances grecques de reconnaître son concours comme stéphanite ; une telle démarche, si elle s’était produite, aurait eu lieu des décennies après la création de la fête, à un moment où elle jouissait d’un grand éclat dans sa région. La fête a survécu à la guerre de Mithridate, comme le prouve un décret datant de 7714 : lors de la guerre, Ilion avait beaucoup souffert du fait de Fimbria et Sylla, ennemi de ce dernier, avait octroyé la liberté à la cité. Ce grand concours s’est maintenu pendant toute l’époque hellénistique.
11Le troisième concours régional était organisé par un ethnos hellénisé15, une Confédération politico-militaire, le koinon des Lyciens. Il était célébré à Xanthos, la principale cité lycienne, renommée pour son grand sanctuaire de Létô. Il est attesté pour la première fois dans le décret en l’honneur d’Orthagoras d’Araxa16 : « Comme le koinon des Lyciens célébrait une panégyrie pentétérique en l’honneur de Rhômé déesse Epiphane. » Les savants ont longtemps attribué l’inscription au début du iie siècle et la fondation des Rhômaia aux années suivant immédiatement la défaite séleucide à Magnésie du Sipyle, entre 189 et 180. Mais A. Bresson17, à la suite de A. N. Sherwin-White et R. M. Errington, date le texte de 120 environ et situe la création de la fête aux environs de 140 (plus d’une vingtaine d’années après la libération des Lyciens de la domination rhodienne en 167) ; les arguments en faveur de la date basse sont convaincants. L. Robert18 a publié un palmarès du « concours des Rhômaia célébré par le koinon des Lyciens » qui énumère les vainqueurs des épreuves gymniques, musicales et hippiques ; dans la partie équestre, l’épreuve la plus prestigieuse, celle des quadriges tirés par des chevaux adultes, n’a pas trouvé de concurrents. L. Robert date ce texte par l’écriture de la fin du iie siècle ou plutôt du début du ier siècle. La fête semble dédiée uniquement à la déesse Rhômè dans la période qui va de 140 environ aux premières années du ier siècle, mais, dans une inscription d’Olympie, Léôn fils de Myônidès, peut-être un Rhodien, a été victorieux aux Rhômaia Létôa du koinon des Lyciens19. L. Robert pense que les Rhômaia sont devenus des Rhômaia Létôa. Or, la fête en l’honneur de Létô ne peut qu’être très ancienne, antérieure de plusieurs siècles à la fondation des Rhômaia vers 140 : faut-il supposer que, lors de circonstances critiques, les Lyciens ont décidé de fusionner en une seule leurs deux fêtes, celle qui honorait la grande déesse mère et celle qui honorait Rome personnifiée ? Le fait, s’il a eu lieu, a dû se produire dans le cours du ier siècle. Comme pour le concours des Panathénaia d’Ilion, on n’a aucune information sur une démarche visant à faire reconnaître le concours par les puissances extérieures au koinon.
12Tout montre que les concours ayant une assise régionale ont été une réussite : les fêtes attiraient de très nombreuses personnes, même si l’on ne parvenait pas toujours au ier siècle, une période difficile pour tout le monde grec, à faire venir à Xanthos tous les équipages de course qui auraient permis de respecter le programme. On comprend qu’en 221-220, Magnésie du Méandre, en Ionie, ait voulu créer un grand concours dédié à sa déesse Artémis Leukophryénè (aux blancs sourcils) « pour ceux qui vivent en Asie20 ». Cela ne signifie certainement pas que l’Asie souffrait en ce tempslà d’un manque criant de fêtes dotées d’un concours : les Magnètes voulaient simplement rassembler un groupe assez large de cités autour de leur déesse, comme Ilion le faisait depuis longtemps autour d’Athéna Ilias.
Les concours internationalement reconnus
13Certains concours ont été reconnus pendant la période hellénistique par des rois, des cités et des Confédérations à la suite de démarches des puissances organisatrices. La plupart, mais non pas tous, ont été qualifiés de « stéphanites ». Le terme de « sacré » (hiéros) était relativement rare ; il est utilisé pour les Claria de Colophon. Pour mener une analyse correcte, nous nous limiterons pour le moment aux cas totalement certains.
14Ils appartiennent à trois groupes chronologiques distincts. Le premier est formé de concours institués par des cités dans la période 242-189. Ce sont les Asklépieia de Cos, reconnus par de nombreuses puissances étrangères en 242 et célébrés pour la première fois en 241, soit l’année précédant immédiatement celle des concours d’Olympie ; les Didymeia de Milet, célébrés pour la première fois en 215 ou 211, soit l’année suivant immédiatement ceux d’Olympie ; les Leukophryéna de Magnésie du Méandre, reconnus en 208 par un très grand nombre de puissances et célébrés pour la première fois en 207, soit la même année que le concours de Milet ; on ne peut dater exactement les trois autres concours du groupe, les Hyakynthotropheia de Cnide, les Claria de Colophon et le concours de Cyzique, mais ils ont probablement été reconnus vers les dernières années du iie siècle21. Le fait que les Claria étaient célébrés à Colophon en une période où l’on y célébrait des Antiocheia assure que la fête a été reconnue avant 189. La fête de Cyzique, célébrée en l’honneur de Korè Sôteira (Salvatrice), est appelée les Sôtéria dans un oracle de Delphes, mais Strabon la nomme les Koreia quand il raconte qu’un peu avant 118 le fameux explorateur Eudoxe de Cyzique fut envoyé par sa cité annoncer à Alexandrie la prochaine célébration comme théôre (ambassadeur religieux) et spondophore (porteur de trêve). Le second groupe ne comporte que trois concours, tous fondés par les souverains attalides dans la période 189-133. Ce sont les Niképhoria de Pergame, reconnus en 182 et célébrés pour la première fois en 181, c’est-à-dire l’année précédant les concours d’Olympie, donc la même année que ceux de Cos ; le concours des Athénaia et Euméneia de Sardes créé après 166 ; et le concours des Sôtéria et Hérakleia de Pergame, dont la première célébration eut lieu très probablement en 153, soit l’année des concours des Asklépieia de Cos et des Niképhoria ; on avait placé la même année les deux concours de Pergame, la capitale des Attalides et la seule cité connue pour posséder deux concours de haut rang. Le troisième groupe, dans la période suivant la fin de la guerre de Mithridate, se réduit à un seul concours, les Hékatésia de Stratonicée de Carie, institué après le senatus-consulte de 81.
15Sur cinq concours dont nous connaissons la date de célébration, trois se tenaient une même année, deux une autre : deux ans séparaient les deux groupes de fêtes. Ce ne peut être l’effet du hasard. Une seule explication est possible : l’union fait la force et les puissances organisatrices en avaient conscience.
16Les sources dont on dispose sont très inégales sur les concours. Nous possédons deux très gros dossiers, sur les Asklépieia et les Leukophryéna, parce que les cités de Cos et de Magnésie ont voulu publier chez elles, pour l’admiration des visiteurs, la masse des textes des puissances étrangères reconnaissant leurs concours22. Sur deux autres concours, la documentation, bien que beaucoup plus réduite, est tout à fait exploitable. Le premier est le concours de Cnide en l’honneur d’Artémis Hyakinthotrophos Épiphane, connu par un décret de Delphes et surtout par des inscriptions trouvées à Cos et publiées en 1987 (un décret de Cnide suivi de l’acceptation de Cos)23. Le second est celui des Niképhoria, connu par un décret de l’Amphictionie delphique, un décret de la Confédération étolienne, une lettre du roi Eumène II à Cos et la réponse de cette cité24. Enfin, nous avons quelques informations limitées sur les Didymeia : un décret de Milet, gravé à Cos, demandant à cette cité de reconnaître son concours25. Pour aucun des cinq autres concours, on n’a un texte capable de soutenir une analyse sur l’institution. Remarquons simplement que, si l’on excepte les textes sur les Leukophryéna, l’essentiel de la documentation pour les quatre autres concours provient de Cos.
17Une analyse correcte n’est possible que si l’on traite séparément les concours fondés par les cités des concours institués par les rois.
18Analysons d’abord les caractères des concours civiques.
- 1. Tous sont définis comme pentétériques (périodicité de quatre ans), ce dès les Asklépieia de Cos jusqu’au concours en l’honneur d’Hékate Sôteira Épiphane et de Rhômè déesse Euergétis à Stratonicée26.
- 2. Aucun des très nombreux documents acceptant le plus ancien concours, celui de Cos, ne le qualifie de stéphanite. Cette qualité a été appliquée au second concours, celui des Didymeia : le peuple de Milet a demandé à celui de Cos « d’accepter le concours comme stéphanite et d’assigner aux vainqueurs les plus grands honneurs27 ». Le terme « stéphanite » revient dès lors pour chaque concours. Mais un passage d’un décret voté par Magnésie apporte des précisions : elle a établi son concours « en donnant une couronne valant 50 chrysoi28 ». Le prix remis aux vainqueurs du concours « stéphanite » des Leukophryéna était une couronne non de feuillage, mais de métal précieux. On ignore si c’était un cas particulier ou si la plupart des autres concours stéphanites de la Grèce d’Orient accordaient les mêmes prix que les Leukophryéna. Magnésie devait avoir conscience que la renommée de son concours ne serait pas suffisante pour attirer des concurrents brillants si elle ne les tentait pas par des prix intéressants. La couronne de métal imitait le feuillage : le laurier est attendu pour Artémis29.
- 3. Seuls les Leukophryéna avaient mis à leur programme des compétitions hippiques : la plupart des cités, voulant un grand concours reconnu, n’avaient pas d’illusions sur son rayonnement futur et savaient bien qu’il serait beaucoup plus malaisé de faire venir des chevaux, des biges et des quadriges que des athlètes et des musiciens.
- 4. Les concours connus accordaient la prédominance à la partie musicale sur la partie gymnique. Le concours des Leukophryéna est défini régulièrement comme « musical, gymnique et hippique30 ». Les Asklépieia de Cos avaient un concours « musical et gymnique » ; il en est de même des Hyankinthotropheia de Cnide31. On note cependant que les Claria avaient « un concours gymnique et musical thymélique32 ».
- 5. Deux des concours étaient définis comme isopythiques, c’est-à-dire « égaux aux Pythia de Delphes » : les Leukophryéna et les Hyankinthotropheia. Le choix des Pythia, parmi les concours de la périodos, était normal pour des concours institués en l’honneur de la soeur d’Apollon et donnant la primauté aux épreuves musicales. Il faut noter que seuls les Leukophryéna avaient prévu les trois types d’épreuves présents aux Pythia, les Hyankinthotropheia n’ayant pas de compétitions hippiques : un concours isopythique ne comportait pas pour autant la totalité du programme des Pythia. Comme L. Robert l’a rappelé à de multiples reprises, un concours isopythique se définissait par le fait que les puissances qui le reconnaissaient octroyaient à leurs concitoyens victorieux dans ce concours les mêmes honneurs que s’ils avaient gagné aux Pythia. Pour les Leukophryéna, un nombre assez important de puissances ne parlent pas simplement de « concours isopythique », mais de « concours isopythique par les honneurs (timai) ». Certaines cités, comme Gonnoi en Thessalie, décident même « de donner aux citoyens de Gonnoi qui seront vainqueurs à ces concours ce qui est donné aux vainqueurs aux Pythia33 ». Deux faits sont à relever. Le premier est que les premières cités à avoir demandé une reconnaissance internationale pour leurs concours, Cos et Milet, n’ont pas tenté de rendre leur fête égale à une des fêtes de la périodos. Ce n’est pas un des aspects originels du phénomène. Le second est qu’aucune fête civique n’a eu l’ambition de se mettre sur le même plan que le concours le plus prestigieux, celui d’Olympie en l’honneur de Zeus.
- 6. La qualité de stéphanite n’est pas originelle ; celle d’isopythique n’est ni originelle ni généralisée. Que trouve-t-on alors dès l’origine ? outre le caractère pentétérique commun à tous, le fait que le concours a une trêve sacrée, une ékécheiria. Les nombreuses puissances qui ont reconnu le plus ancien concours, les Asklépieia de Cos, le disaient pentétérique, musical et gymnique, et doté d’une ékécheiria. Notons que parmi les cités mentionnant la trêve sacrée des Asklépieia se trouvait Élis34, la cité qui organisait les concours d’Olympie dont la trêve sacrée était particulièrement célèbre. L’ékécheiria est mentionnée dans les reconnaissances des concours ultérieurs. On se souvient que Cyzique envoyait à l’étranger des spondophores pour annoncer la fête de Coré. C’était en fait la trêve sacrée qui établissait une distinction nette entre ces concours-là et les autres concours civiques, même brillants. Elle assurait la protection de pèlerins et des concurrents se rendant à la fête : une lettre royale, qui a peut-être pour auteur Séleukos II, reconnaît « l’asylie pour ceux qui se rendront aux Asklapieia35 ». On ignore si l’ekécheiria impliquait une cessation d’hostilités pour la cité organisatrice pendant une durée déterminée : cela existait pour les concours de la périodos. Il est assez probable que les cités organisatrices désiraient être protégées des hostilités pendant une certaine période autour de la fête. Mais si les cités et les Confédérations n’ont montré aucune réticence à reconnaître l’ékécheiria du sacrifice et de la panégyrie, quel que soit le bénéficiaire, aucune lettre royale ne mentionne l’ékécheiria, à une époque où les guerres importantes étaient provoquées principalement par les rois ; la lettre royale citée plus haut, notons-le, ne s’intéresse qu’à la sécurité des pèlerins. Il n’empêche que certains concours civiques partageaient avec certains concours de la périodos le privilège prestigieux de bénéficier d’une trêve sacrée reconnue par maintes puissances.
19Ce privilège pouvait se lire dans les décrets d’acceptation. Pour qu’il se maintienne vivant, il était nécessaire que la cité organisatrice envoie régulièrement tous les quatre ans des théôres ou des spondophores annoncer la fête, ce qui pouvait être une lourde tâche si les destinataires étaient nombreux et éloignés. Plus généralement, le prestige de la fête tenait au succès qu’elle ne cessait d’obtenir au fil des célébrations ; il était facile de faire venir du territoire de la cité et de ceux des cités avoisinantes concurrents, dévots, commerçants et clients pour la foire. La présence de concurrents ayant parcouru de longues distances pour participer aux compétitions est la seule preuve possible qu’une fête avait un réel rayonnement international. Le regroupement d’une partie des concours sur la même année (une année qui, de plus, n’était celle ni des concours d’Olympie ni de ceux de Delphes) était un élément favorable. Nous ne connaissons que très peu de vainqueurs dans ces concours, et ceux que nous connaissons, quand ils n’étaient pas des autochtones, étaient venus en voisins. Au iie siècle, un périodonique milésien a été victorieux à la boxe chez lui, aux Didymeia, dans la catégorie des paides et des adultes36. Un autre sportif, probablement Milésien lui aussi, a gagné aux Didymeia, aux Leukophryéna (ce qui ne l’éloignait guère) et aux Asklépieia de Cos (toujours dans la région, mais un peu plus au sud) ; il a de plus remporté un grand concours de Grèce continentale, si les Sôtéria sont bien celui de Delphes37. Une troisième inscription de Didymes nous fait connaître un coureur qui a remporté le stade, dans la classe des paides, aux Didymeia et aux Hyakinthotropheia38. Les Leukophryéna, qui ont vu la victoire d’un voisin milésien, ont aussi vu celle d’un Rhodien, un athlète brillant qui a remporté le pentathlon dans les deux concours mineurs de la périodos, ceux de l’Isthme et de Némée : il a été victorieux dans la plus grande fête de sa propre cité, les Halieia, et à Magnésie39. Quand on pense aux efforts déployés par les Magnètes pour rendre mondialement célèbres leurs Leukophryéna, les résultats ne peuvent paraître que décevants. Dans les faits, malgré l’ambition qui a animé des cités qui n’ont négligé aucun des moyens de publicité à leur disposition, aucun des concours civiques qui ont obtenu une reconnaissance internationale n’a approché, même de très loin, la renommée de ceux de la périodos.
20Parmi les concours reconnus internationalement, la différence était grande entre ceux qui ont été fondés par les rois attalides et ceux qui l’ont été par les cités. Ils n’ont pas été institués sur le même modèle. Les documents sur les Niképhoria d’Eumène II présentent les mêmes éléments que le décret du koinon des Insulaires reconnaissant les Ptolémaia créés par Ptolémée II en 279-278 en l’honneur de son père40, bien qu’un siècle sépare la fondation des deux fêtes royales pentétériques, celle d’Alexandrie et celle de Pergame, et que plusieurs fêtes civiques aient obtenu leur reconnaissance dans l’intervalle. Tout d’abord, ni Ptolémée II ni Eumène II n’ont demandé l’ékécheiria. Les rois n’étaient pas intéressés par la trêve sacrée, alors que c’était le souci primordial des cités, plus sensibles aux dangers extérieurs.
21C’était la première et principale différence entre les deux groupes de fêtes. Les deux rois, d’autre part, souhaitaient un concours complet, comportant, outre les compétitions sportives et musicales, les épreuves hippiques, les plus prestigieuses de toutes ; Magnésie du Méandre a été la seule cité à avoir eu cette prétention. Surtout, les deux rois ont désiré un concours qui fût « isolympique », égal au concours d’Olympie, ce qu’aucune cité n’a cherché à avoir à l’époque hellénistique. Le concours des Ptolémaia a été défini comme « isolympique, gymnique, musical et hippique », ce qui négligeait la différence de programme puisque Olympie n’avait pas d’épreuves musicales, sauf pour les hérauts et les trompettistes. Les Insulaires disaient : « Que le concours soit isolympique et que ceux des Insulaires qui seront victorieux obtiennent les mêmes honneurs que ceux qui sont prescrits par les lois chez chacun des Insulaires pour les vainqueurs d’Olympie », ce qui rappelle les implications fondamentales du titre « isolympique ». Le Lagide avait l’ambition de célébrer une fête magnifique avec de nombreux concurrents de valeur, écuries de course, athlètes, musiciens, attirés par la renommée de la fête et les honneurs exceptionnels qu’ils pouvaient espérer à leur retour. Il attendait également à Alexandrie maints théôres dépêchés par les puissances subordonnées ou amies : le koinon des Insulaires a décidé d’envoyer trois théôres qui sacrifieraient en son nom et, une trentaine d’années plus tard, Boulagoras de Samos, envoyé comme archithéôre, dépensa plus de 6 000 drachmes pour sa mission41. Comme Ptolémée, Eumène II voulait dans sa capitale une fête superbe avec un concours à la fois complet et isolympique, mais, plus soucieux de la différence des programmes, il a établi une distinction entre les épreuves en créant un concours « pour les épreuves musicales isopythique, pour les épreuves gymniques et hippiques isolympique ». La Confédération étolienne dit dans son décret42 : « Que ceux des Étoliens qui seront vainqueurs obtiennent les honneurs et tout le reste de ce qui est prescrit par les lois pour les Pythia et les Olympia. » Eumène a eu la satisfaction de posséder le second concours isolympique du monde grec, tout en manifestant son respect au dieu de Delphes et à la fête des Pythia, citée en première position. Lui aussi attendait à Pergame des théôres en grand nombre. Même si le décret de Cos n’a pas conservé les décisions votées par la cité, la lettre d’Eumène II43 apprend qu’avant même la transformation de la fête en 182 Cos envoyait des théôres sacrifier à Athéna Niképhoros ; cette tradition a sans aucun doute continué, et bien d’autres cités devaient montrer leur loyauté, leur déférence ou leur amitié au roi de Pergame par l’envoi d’une délégation officielle qui offrirait une victime à la déesse et assisterait à la fête. Le roi n’a pas cherché à donner une stature égale aux Athénaia Euméneia célébrés non dans sa capitale, mais à Sardes : ils ne comportaient pas d’épreuves hippiques et avaient seulement le titre d’isopythiques44 ; on ne peut juger de leur rayonnement. Mais le troisième concours stéphanite attalide, les Hérakleia Sôtéria de Pergame, avait très probablement une belle réputation45. Les concours royaux avaient un renom bien supérieur aux concours civiques reconnus internationalement et les fêtes attiraient certainement beaucoup plus de monde. Mais on peut légitimement douter que le rayonnement des Niképhoria ou des Hérakleia Sôtéria ait été de l’ordre des concours d’Olympie ou de Delphes.
De quelques problèmes
22Si l’on regarde la minceur de la documentation disponible sur certains concours reconnus internationalement et le faible rayonnement de la plupart d’entre eux, plusieurs fêtes de ce type peuvent avoir existé en Grèce d’Orient et ne pas avoir laissé de traces. Il y a tout lieu de penser que notre connaissance des concours d’Asie Mineure à l’époque hellénistique est très incomplète.
23Aucune source ne mentionne un concours fondé par un roi séleucide. Après la création par Ptolémée II d’un concours isolympique qui manifestait sa richesse et son prestige et après la procession stupéfiante de la deuxième célébration des Ptolémaia46, il semble assez étonnant qu’aucun des premiers rois séleucides n’ait essayé de rivaliser avec le roi d’Égypte. L’existence des concours attalides rend le fait encore plus surprenant. Une fête séleucide instituée sur le modèle des fêtes lagide et attalides pourrait s’être tenue en Syrie près d’Antioche, à Daphné, réputée pour son sanctuaire d’Apollon et la fameuse panégyrie exceptionnelle qu’y célébra Antiochos IV en 16647. Mais il est impossible sans preuve de supposer l’existence d’un tel concours.
24Rien n’indique non plus qu’Éphèse, la cité d’Asie la plus importante, ait fait reconnaître par les autres puissances sa fête en l’honneur de sa grande déesse, Artémis. La tradition attribuait à cette fête une grande ancienneté et l’on sait que les Grands Éphéseia comportaient un concours gymnique dans la seconde moitié du iie siècle ou au début du ier : un coureur de Messène y a remporté la course du stade dans la catégorie des agéneioi48.
25Éphèse a pu vouloir obtenir pour ses Éphéseia la même reconnaissance que Cos ou Milet pour leurs fêtes. Mais ce n’est pas certain. Une cité qui avait la fierté de posséder une fête séculaire et prestigieuse pouvait estimer n’avoir nul besoin, pour continuer à attirer les dévots, les concurrents, les commerçants et les acheteurs de la foire, de se livrer, comme Magnésie pour les Leukophryéna, à des efforts diplomatiques à objectif publicitaire. Nous ne savons quel choix a fait Éphèse. De même, nous ignorons si des démarches ont été effectuées par Rhodes pour sa grande fête civique en l’honneur d’Halios, qui remontait au synoecisme de la fin du ve siècle, ou encore par Samos pour les Héraia, célébrés dès la haute époque archaïque49. Nous sommes dans la même ignorance pour le concours à assise régionale en l’honneur d’Athéna Ilias.
26On a tenté d’identifier par deux procédés de nouveaux concours civiques internationalement reconnus. On a d’abord relevé les fêtes que des théôres étrangers ont honorées de leur présence ; les théôres étaient des ambassadeurs religieux envoyés par leur communauté pour sacrifier une victime lors de la fête d’une autre puissance. Un tel procédé est légitime, si l’on prend les précautions voulues. On ne peut rien apprendre de la mention d’un envoi de théôres par une seule cité lors de la fête principale d’une autre communauté : ce pouvait être un geste à l’égard d’une voisine avec laquelle elle n’avait pas de différends, d’une cité amie ou d’une puissance à laquelle elle voulait montrer de la déférence. On peut démontrer cette évidence par quelques exemples. Ainsi, avant 218-217, Séleucie (le nom alors porté par Tralles par métonomasie) envoyait « chaque année » des théôres participer au sacrifice pour Apollon Didyméen50 : ce geste amical et pieux avait lieu avant la transformation des Didymeia en concours pentétérique et stéphanite reconnu. Selon Polybe51, en 220, Prusias Ier de Bithynie était furieux contre Byzance parce qu’elle avait « expédié à Attale des théôres pour les concours (agônes) d’Athéna mais ne lui avait envoyé personne pour les Sôtéria ». En 220, nul n’avait encore songé au concours isolympique des Niképhoria et il y a de bonnes chances pour que la fête de Pergame soit les Panathénaia attestés dès Eumène Ier ; quant aux Sôtéria bithyniens52, on n’en a pas d’autre mention, mais il ne saurait s’agir d’un concours royal à la manière des Ptolémaia53. En revanche, l’envoi de théôres venus de plusieurs cités pour une seule fête est un fait significatif ; il est complété par l’institution par la cité organisatrice de théarodoques chargés de les recevoir. Cela se trouve à Priène pour une fête stéphanite et pentétérique appelée les Panathénaia : au début du ier siècle, un notable de Priène, Kratès, qui fut notamment agonothète, a accueilli lors de la fête « au foyer commun de la cité les théôres des cités et leurs théarodoques54 ». Le caractère de la fête a été établi par L. Robert55 qui l’a bien étudiée. Priène avait certainement demandé la reconnaissance de la fête honorant sa déesse poliade à la même époque que les autres cités d’Asie, Milet, Magnésie ou Colophon, dans les deux dernières décennies du iiie siècle.
27Pour déceler d’autres grandes fêtes, on a souvent recours à l’étude des palmarès agonistiques : si un athlète a remporté des concours de la périodos ou des fêtes de bon renom, on suppose que les autres victoires dont l’inscription lui fait gloire ont été obtenues dans des compétitions de même niveau. Un tel document ne permet pas de dire si les concours cités ont fait l’objet d’une reconnaissance internationale ; il permet seulement d’estimer éventuellement l’importance d’un concours. Les palmarès d’époque hellénistique mentionnant des concours de Grèce d’Orient sont peu nombreux. Ils sont de plus délicats à analyser, parce que chacun d’entre eux est un cas particulier. Le plus significatif pour nous est le palmarès, gravé à Olympie, du Rhodien Léôn fils de Myônidès56, lutteur et pancratiaste ; il date de la basse époque hellénistique, probablement du ier siècle. Sur le continent grec, Léôn a été périodonique en obtenant la couronne dans les quatre concours à plusieurs reprises (classes d’âge différentes) et a remporté les Héraia d’Argos, un concours dont la trêve sacrée remontait à l’époque classique, ainsi que les Hérakleia de Thèbes. En Orient, il a gagné le concours « isopythique » des Hyankinthotropheia et l’important concours organisé par les Lyciens en l’honneur de Létô et de Rhômè. Il a été également victorieux aux Dieia de Tralles et aux Théophaneia de Chios, deux concours beaucoup moins connus de nous. Le fait que Léôn se glorifie de ces deux victoires à Olympie, le plus haut lieu agonistique, prouve que les Dieia et les Théophaneia étaient des concours renommés. Nous ne savons rien sur la fête de Chios ; seul son nom implique qu’elle honorait des divinités Théophanes. Le concours de Tralles était célébré en l’honneur de Zeus Larisaios ; on sait que, peu après 130, Priène avait dépêché à Tralles comme théôre un notable, Moschiôn57 ; l’envoi du théôre n’aurait pas suffi par luimême à nous assurer de la reconnaissance internationale de la fête, mais, joint à la mention du palmarès d’Olympie, il prouve de façon presque certaine que les Dieia avaient non seulement une belle réputation, mais qu’ils avaient aussi fait l’objet d’une action diplomatique réussie de la part de Tralles.
28Les résultats fournis par ce palmarès d’Olympie sont exceptionnels. Les autres apportent moins. On peut s’en rendre compte avec un palmarès, gravé à Cos et datant de l’époque augustéenne58. L’athlète de nom inconnu a remporté le pentathlon, catégorie adultes, aux Isthmia et aux Grands Éleusinia. Parmi les concours où il a obtenu la couronne, catégorie paides, se trouvent des concours orientaux internationalement reconnus, les Grands Claria de Colophon et les Hékatésia de Stratonicée de Carie. Dans la même classe d’âge, il a eu la victoire aux Théogamia de Nysa et aux Archégésia d’Halicarnasse. Les Théogamia étaient un concours ordinaire, car Strabon (XIV, 1, 44) nous apprend que la fête qui commémorait les noces de Ploutôn et de Korè était célébrée annuellement ; toutes les grandes fêtes de la Grèce d’Orient étaient pentétériques. Adulte, tout en recevant des couronnes à l’Isthme et à Éleusis, il a gagné les Apollônieia de Myndos, une fête obscure. Dans ce palmarès publié à Cos, on n’a pas seulement énuméré les victoires glorieuses, on a voulu aussi faire connaître aux habitants et aux personnes de passage les concours auxquels l’athlète avait participé en voisin, le concours d’Halicarnasse, juste en face de l’île, celui de Myndos, toute proche, celui de Nysa dans la vallée du Méandre. On voit là combien il est difficile d’apprécier le rayonnement des fêtes citées dans un palmarès. À mon sens, aucun palmarès de l’époque hellénistique, sauf celui d’Olympie, ne nous assure qu’une fête était très réputée et encore moins reconnue internationalement59.
29Mais l’Orient célébrait-il un très grand nombre de fêtes de ce type à l’époque hellénistique ? Rien ne l’indique. S’il y avait eu un véritable foisonnement de concours brillants et largement connus, ne le verrait-on pas plus nettement dans nos sources ? Un des traits permanents de l’hellénisme est que les sanctuaires, les offrandes aux dieux, les fêtes, les concours sont très présents dans les inscriptions. Les deux gros dossiers que les cités ont veillé à faire passer à la postérité, celui des Asklépieia et celui des Leukophryéna, ne doivent pas faire illusion. Les autres concours civiques sont peu documentés, et c’est là peut-être le plus important. Ajoutons qu’un concours est une compétition et aussi un hommage à la divinité. Et les Grecs d’Orient ont voulu aussi accroître les honneurs de leurs dieux en bâtissant des temples magnifiques, comme ceux de Didymes, de Claros, d’Alexandrie de Troade ou de Magnésie. Ces constructions étaient, au moins autant que les concours, des actes à la fois de piété et de fierté civique.
30La Grèce d’Orient n’avait pas été le berceau des grands concours, tout en ayant une vie agonistique ordinaire tout à fait active et des fêtes civiques nombreuses et souvent anciennes. Même avec un goût très vif pour les activités sportives et musicales, même dans une période de prospérité, comme celle dont elle a joui aux iiie et iie siècles, il lui était très difficile de rivaliser avec la Grèce continentale, forte de ses grands concours traditionnels (ceux d’Olympie, de Delphes, de l’Isthme, de Némée, d’Athènes, d’Argos) et de ceux qu’elle avait su créer plus récemment (les Éleuthéria de Platées et les Sôtéria de Delphes notamment). Comment lutter dans la civilisation grecque contre le prestige du passé ?
31L’Orient a réussi au cours de l’époque hellénistique à développer quelques grandes fêtes dotées de compétitions. Mais cette réussite était plus le fait des rois et des koina que des communautés civiques. Les cités qui ont cherché à avoir un concours reconnu internationalement appartenaient à une région très restreinte, en Ionie et en Carie : la plus septentrionale est Colophon, la plus méridionale Cnide. Même en plaçant une partie au moins de leurs fêtes la même année, il était impossible de développer sur une zone aussi petite un aussi grand nombre de concours qui se voulaient célèbres. La rivalité entre les cités a fait échouer leurs ambitions. Il était beaucoup plus judicieux de se réunir comme les cités de Troade et des Dardanelles qui vénéraient Athéna Ilias ou le koinon des Lyciens qui célébrait Létô et Rhômè. Les rois, quant à eux, voyaient beaucoup plus grand : les Attalides rivalisaient avec les Lagides et peut-être avec les Séleucides et non avec de simples communautés civiques, même celles qui avaient un sanctuaire connu de tous les Grecs, comme ceux d’Apollon à Didymes, d’Artémis à Éphèse ou d’Asklépios à Cos.
32Enfin, nous devons nous demander ce qui, aux yeux des Grecs, faisait l’importance d’une fête. Les Grandes Panathénées d’Athènes devaient leur célébrité à leur grand concours, mais surtout à leur splendide procession et au nombre des victimes sacrifiées à Athéna. La procession de la deuxième célébration des Ptolémaia d’Alexandrie a stupéfié le monde grec60. Il est probable que les actes rituels jouaient le rôle principal aux Héraia de Samos, bien avant le concours. La foire également attirait souvent beaucoup de visiteurs à une fête. On se souvient que la panégyrie tenait une place considérable aux Panathénaia d’Ilion. On ne peut savoir, pour chaque fête, quels actes les fidèles accomplissaient ou regardaient avec le plus d’émotion et d’intérêt. Il devait s’agir du concours dans certains cas, mais non dans tous.
Notes de bas de page
1 Robert L., OMS, VI, p. 710-711.
2 Robert J. et L., Claros I. Les décrets hellénistiques, 1989, p. 20.
3 Bruneau Ph., Recherches sur les cultes de Délos à l’époque hellénistique et à l’époque impériale, 1970.
4 Ces concours en l’honneur d’Apollon Éréthimios ont été étudiés par Kontorini V., BCH, 99, 1975, p. 97-117.
5 Sur les lampadédromies à Cos, voir Gauthier Ph., BCH, 108, 1995, p. 575-586.
6 Lors des Hermaia de Cos, il y a une lampadédromie pour les paides désignés par le pédonome.
7 Surtout dans les beaux décrets de Sestos et de Béroia ; voir Gauthier Ph. et Hatzopoulos M. B., La loi gymnasiarchique de Béroia, Mélétémata, 16, 1993, surtout p. 95-123.
8 Syll.3, n° 1062.
9 Michel Ch., Recueil d’inscriptions grecques, 1900, n° 913.
10 Il est surtout connu à l’époque hellénistique par la lettre, publiée à Milet, qu’Eumène II lui a envoyée en 167-166 : cf. RC, n° 52.
11 Voir Gauthier Ph., REG, 113, 2000, p. 630-635.
12 Robert L., Monnaies antiques de Troade, 1966, p. 18-46.
13 Ibid., p. 26-28 (texte et trad. du décret).
14 Ibid., p. 15-17.
15 On ne connaît pas de concours célébré par la seconde communauté ethnique hellénisée, celle des Cariens, bien qu’ils aient eu des sanctuaires unificateurs, comme celui de Zeus Chrysaoreus.
16 On trouvera commodément le texte et la traduction française dans Pouilloux J., Choix d’inscriptions grecques, 1960, n° 4. Le commentaire repose sur une datation trop haute.
17 Bresson A., « Rhodes and Lycia in Hellenistic times », Gabrielsen V. et alii (éd.), Hellenistic Rhodes : Politics, Culture and Society, 1999, p. 98-131.
18 Robert L., OMS, VII, p. 681-694.
19 Habicht Chr., « Inschrift des periodoniken Leon », VII. Bericht über Ausgraben in Olympia, 1956- 1961, p. 218-223. Robert J. et L., BullÉp, 1962, 153, ont restitué le nom du concours que Chr. Habicht n’avait lu que partiellement, mais ils se demandent pourquoi la fête ne porte pas le nom, plus attendu, de Létôa Rhômaia. Chr. Habicht a daté l’inscription par l’écriture du iie siècle, mais Robert L., OMS, VII, p. 693, pense qu’on ne peut préciser à l’intérieur de la basse époque hellénistique.
20 I. Magnesia, 16, l. 17 (Rigsby, n° 66).
21 Sur les Hyakinthotropheia, voir n. 23. Sur les Claria, voir Robert J. et L., Claros I. Les décrets hellénistiques, 1989, p. 51-53. Sur la fête de Cyzique, voir Strabon, II, 3, 4 (C98-100) ; l’oracle de Delphes, connu par deux exemplaires mutilés, a été établi et expliqué par Robert L., Documents d’Asie Mineure, 1987, p. 156-173.
22 On trouvera de façon commode ces deux gros dossiers dans Rigsby, p. 106-153 (Cos) et p. 179- 279 (Magnésie, dont on peut aussi consulter les textes dans I. Magnesia).
23 Fouilles de Delphes, III, 1, 308 (un décret de Cnide et un de la cité de Delphes, tous deux inscrits sur le trésor de Cnide) ; les documents de Cos ont été publiés par Pugliese-Carratelli G., Parola del Passato, 42, 1987, p. 110-119.
24 L’ensemble peut être consulté dans Rigsby, p. 363-383.
25 Syll.3, n° 590.
26 Pour Cos, cela apparaît dans les décrets d’acceptation de Géla et de Camarine. Pour Hécate et Rhômè, le mot pentaétéris apparaît dans I. Stratonikeia, 505, l. 5.
27 Syll.3, n° 590, l. 39-41.
28 Rigsby, n° 66, l. 29.
29 Le laurier est le feuillage d’Apollon et de sa soeur Artémis. « Trois fois le Didyméen a placé la couronne sacrée de laurier autour de sa chevelure », dit une épigramme pour un vainqueur des Didymeia datant du iie siècle (Robert L., Hellenica, VII, 1949, p. 114). Le laurier est certainement présent lors des concours pour Apollon Clarios et pour Artémis Hyakinthotrophos.
30 La formule « gymnique, musical et hippique » se trouve dans un seul décret d’acceptation, celui de Cnide (I. Magnesia, 56 ; Rigsby, n° 105).
31 Pour les Asklépieia, décret d’acceptation de Camarine (Rigsby, n° 48). Pour les Hyankinthotropheia, voir Pugliese-Carratelli G., Parola del Passato, 42, 1987, p. 114, l. 10.
32 SEG, XXXIII, 973, l. 8-9 ; Rigsby, n° 172.
33 I. Magnesia, 33, l. 20-22 ; Rigsby, n° 83.
34 Rigsby, n° 17.
35 RC, n° 26 ; Rigsby, n° 9.
36 I. Didyma, 97 a.
37 I. Didyma, 97 b.
38 I. Didyma, 77 a ; cf. Robert L., Hellenica, VII, 1949, p. 114-116.
39 IG, XII, 1, 73 a.
40 Syll.3, n° 390. Le texte a été découvert dans l’île de Nicourgia près de Samos.
41 On trouvera texte et traduction dans Pouilloux J., Choix d’inscriptions grecques, 1960, n° 3.
42 Fouilles de Delphes, III, 340 ; Rigsby, n° 178.
43 Rigsby, n° 176.
44 Décret de la cité de Delphes, OGIS, n° 305. Les épreuves musicales sont mentionnées avant les épreuves gymniques.
45 Voir Robert L., OMS, VI, p. 457-467.
46 Longue description de Kallixeinos de Rhodes dans Athénée V, 196 a-203 b. Voir Rice E. E., The Grand Procession of Ptolemy Philadelphus, 1983.
47 Polybe, recueilli par Athénée V, 194 c et X, 439 b. Signalons que Moschiôn de Priène a été envoyé comme « théôre » auprès du roi Démétrios Ier (I. Priene, 108, l. 152-155), mais on ignore à quel endroit il s’est rendu.
48 Les « imberbes », une catégorie située entre celle des paides et des adultes ; elle existe dans de nombreux concours, dont Delphes.
49 Les Héraia ont chance d’avoir été plus remarquables par leurs cérémonies cultuelles et par leur marché de panégyrie que par leur concours. Ce dernier est connu par une stèle d’Ionie (sans provenance précise) honorant un athlète vainqueur dans « les Héraia de Samos » et dans les concours des Didymeia et des Rhômaia d’Éphèse : voir Robert L., Hellenica, IX, 1954, p. 73-76. Une autre inscription, trouvée à Samos, datant du iie siècle, est une liste de vainqueurs dans un concours qui est peut-être les Héraia : cf. Michel Ch., Recueil d’inscriptions grecques, 1900, n° 910, texte republié par Dunst G., ZPE, 1, 1967, p. 225-239 (voir Robert J. et L., BullÉp, 1958, 398, qui, de façon significative, parlent « d’un concours » et non pas précisément des Héraia). La plupart des épreuves relèvent de la sphère théâtrale, mais il s’y ajoute des courses aux flambeaux, sans aucun doute réservées à la jeunesse locale, et des épreuves gymniques, avec deux classes d’âge, les paides et les adultes. Tous les vainqueurs dans ces compétitions sportives sont Samiens, sauf trois : un Éphésien (coureur du stade, pais), un Magnète du Méandre (lutteur, pais) et un Apaméen du Méandre (lutteur, adulte) ; on ignore si ces étrangers résidaient habituellement à Samos ou s’ils étaient venus pour le concours.
50 Delphinion, 143, l. 9-10.
51 Polybe, IV, 49, 3.
52 Ils étaient peut-être dédiés à Zeus, le principal dieu de la région.
53 Les théôres envoyés par Jérusalem en 172 à Tyr pour les Hérakleia ne font naturellement pas de cette fête un concours stéphanite reconnu de tous (Macchabées, II, 4, 19).
54 I. Priene, 111, l. 188-189 ; la fête est dite « pentétérique », l. 168 ; « les couronnements des vainqueurs » sont mentionnés l. 179.
55 Robert L., Hellenica, IX, 1954, p. 75-76. Cette bonne étude a été faite à l’occasion de la publication d’une pierre errante, une inscription du Ier siècle citant les victoires de Zeuxis qui pratiquait la course longue (dolichos). Curieusement, le nom du concours est « les Athénaia » de Priène, alors que, dans toutes les inscriptions de Priène, la fête est appelée Panathénaia.
56 Voir n. 19.
57 I. Priene, 108, l. 160. Les Dieia sont la seule fête de Tralles pour laquelle un théôre ait pu venir au iie siècle : les Olympia et les Pythia ne sont pas attestés avant l’époque impériale et portent des noms difficiles à concevoir à une époque aussi ancienne. Moschiôn est aussi allé comme théôre à Magnésie (évidemment pour les Leukophryéna) et à Kibyra. L. Robert a démontré qu’il existait un concours des Rhômaia à Kibyra, mais nous ignorons l’importance de ce concours et nous ne savons pas à l’occasion de quelle fête Moschiôn a sacrifié à Kibyra au nom de sa cité.
58 Syll.3, n° 1066.
59 Prenons le cas du palmarès de Messène étudié par Gauthier Ph., REG, 113, 2000, p. 631-635. L’athlète messénien a, dans la catégorie des paides, concouru en Grèce et remporté deux concours de la périodos et les Lykaia de la Confédération arcadienne, ce qui implique qu’il avait à cet âge de grandes qualités. Agéneios, il a concouru en Asie où il a remporté deux concours réputés, les Grands Éphéseia et les Panathénaia en l’honneur d’Athéna Ilias. Adulte, il a remporté un seul concours en Grèce continentale, les Hémérésia de Lousoi en Arcadie, qu’on considère usuellement comme reconnu internationalement sur la foi de palmarès, mais qui est assez peu renommé. Sinon, il a concouru en Orient. Le seul concours de bon niveau qu’il y ait remporté est les Hérakleia de Pergame. Pour les autres concours asiatiques, ils ne sont mentionnés nulle part ailleurs. Le concours d’Éphèse en l’honneur d’Apollon était probablement assez obscur. On ignore quel était le rayonnement des Alexandreia célébrés par les Ioniens. Restent les Smintheia d’Alexandrie de Troade : la cité avait élevé un très grand temple à Apollon dont elle mettait l’effigie sur ses monnaies. Les Smintheia ont pu avoir une belle renommée : le palmarès de Messène ne suffit pas à l’assurer.
60 Voir n. 46
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