Chapitre VI. La matrice primitive du pilori
p. 205-238
Texte intégral
1Derrière la diversité des sentences et coutumes évoquant le pilori se discerne, dès le xiie siècle, un imaginaire cohérent de la distribution légitime de la valeur et de la reconnaissance sociales, de leur garantie et, si elles ont été bafouées, de leur restauration.
2La vie publique médiévale se construit et s’organise à partir d’un système axiologique fondé sur la confiance entre des personnes qui se reconnaissent mutuellement un capital social et des droits1. Le tissu social est en premier lieu formé par les relations qu’entretiennent les gens honorables, dont l’intervention dans la vie civique paraît légitime et qui sont a priori dignes de confiance. Ces « bonnes gens », ou « prud’hommes », forment le vivier de recrutement des institutions municipales. Ce sont également leurs témoignages qui sont rassemblés en priorité par les enquêteurs pastoraux ou judiciaires recherchant des preuves jugées sûres2. Dans cette « société à honneur », les transactions prennent d’abord la forme d’une promesse orale sous serment, qui peut être complétée, mais pas remplacée, par un contrat écrit3. Entre gens perçus comme honorables, la confiance est telle que le serment suffit à garantir les contrats, au risque de profiter à des agents mal intentionnés, qui ne respectent pas les règles du jeu social.
3C’est cette fragilité structurelle des transactions interpersonnelles qui est à l’origine de l’invention de peines publiques capables de restaurer la confiance entre bonnes gens, après qu’un abus ait été commis et rendu notoire. Le pilori s’inscrit dans cette vue d’ensemble en tant qu’outil de réparation du crime scandaleux, cet événement qui déchire publiquement les relations sociales. Pour répondre à la peur du scandale, le pilori devient un des principaux instruments de la prévention du crime. Sa position centrale dans le paysage urbain et son bâti monumental sont censés « donner tremeur et doute » aux « mauvaises gens », tout en rassurant ceux qui n’ont rien à se reprocher. Mais c’est là une vue de l’esprit des justiciers et des bonnes gens plutôt qu’un moyen efficace de prévention. La mise au pilori ponctuelle d’un criminel permet tout de même de produire une vengeance socialisée, capable de réparer l’offense individuelle et de défendre le « commun profit ».
La déstabilisation du champ social par le scandale
4L’article fondateur d’Éric de Dampierre a fait entrer le scandale dans les études sociologiques en proposant une définition universelle de la notion4. L’esclandre naît lorsqu’un événement est constaté par un groupe social et jugé contraire à ses valeurs consensuelles. Il n’existe évidemment pas d’événement scandaleux par essence, puisque cette qualification réside dans le regard d’autrui5. Elle se forme lors de la réception de l’événement par un public, de sa confrontation avec les stéréotypes et valeurs sociales de ce groupe, puis de la transformation de l’information en émotion commune de dégoût ou de rejet. Les études sociologiques plus récentes insistent sur l’unanimisme qui doit présider à la formation d’un scandale, défini comme une « mise en accusation publique qui conduit sans coup férir au châtiment, unanimement reconnu comme légitime et souhaitable6 ». L’étude du scandale se combine avec celles de la rumeur qui préside à sa formation, des mœurs qu’il heurte, et de la répression, sociale ou judiciarisée, qui est son horizon.
5Les médiévistes ont travaillé ces articulations fines. Jérôme Devard a analysé les voies empruntées par la rumeur publique pour se métamorphoser en scandale à partir du cas concret de la vie matrimoniale compliquée de Philippe Auguste7. De son côté, Gilles Lecuppre démontre comment l’indignation peut être instrumentalisée par les princes jusqu’à devenir une ressource politique parmi d’autres8. Enfin, Thierry Dutour apporte une contribution historiographique décisive, parce qu’elle dépasse l’étude de cas pour insérer le scandale dans un modèle général des relations sociales9. C’est à la lumière de ce modèle qu’on peut comprendre les points d’achoppement entre esclandre et crime et comment une réponse pénale comme l’exposition infamante peut paraître justifiée, et même nécessaire.
Esclandre, offense et crime, des définitions poreuses
6La culture médiévale, par sa nature hybride, mélange des référents chrétiens et d’autres produits endogènement par la culture profane. La catégorie juridique de scandalum, produite par les canonistes, est bien documentée et étudiée10. Mais l’attrait pour les distinctions savantes ne doit pas faire oublier qu’en parallèle, les roturiers et les justiciers laïques ordinaires appréhendent ce qu’ils appellent au quotidien l’« esclandre » d’une tout autre façon. Même si la définition savante du scandale s’est, par le biais du renouveau de la pastorale et de la prédication au xiiie siècle, insinuée dans les représentations collectives des fidèles, il serait excessif d’affirmer que son élaboration serait avant tout l’œuvre des théologiens et aurait ensuite ruisselé dans la culture commune11. L’existence d’un tel transfert culturel est indéniable, mais il vient plutôt complexifier une représentation laïque autonome et antérieure du scandale et non la fonder.
7Les termes vernaculaires d’« esclandre » et d’« esclande », évolutions linguistiques du latin scandalum, coexistent avec celui de « scandale » et connaissent des acceptions dans les discours laïques qui ne renvoient que marginalement à un imaginaire chrétien. L’acte « esclandreux » se confond avec le déshonneur individuel, car le perpétrant fait l’objet d’une réprobation générale qui le prive de son capital social. En outre, les personnes dont l’attitude est dénoncée par la rumeur se disent elles-mêmes « scandalisées », ce qui renforce la polysémie du terme. On voit ainsi une adultère dire qu’elle a « paours d’estre scandalisée » si on apprenait qu’elle était enceinte12. Une lettre de rémission évoque élégamment le lien causal qu’entretiennent les deux concepts : « laquelle suppliante soy voyant ainsi esclandee et deshonnoree13 ». Lorsqu’ils sont exposés au risque du déshonneur, les agents médiévaux disposent de plusieurs expédients pour s’en protéger, dont les principaux sont le contrôle de l’information – cacher, mentir et démentir –, la vengeance contre les « haineux » qui colportent des rumeurs contre eux, ou l’obtention d’une grâce qui les « rend à leur bonne renommée14 ».
8Le préjudice symbolique causé par l’esclandre n’entache pas seulement l’individu mis en cause. Le public ne se contente en effet pas de caractériser le scandale ; il le vit comme une offense faite à toute la collectivité, certainement parce qu’il perçoit inconsciemment que cet événement fragilise des mécanismes fondamentaux de régulation sociale. Les bonnes gens considèrent que tout esclandre, y compris le plus indolore, ébranle la paix publique. L’« esclandreux », c’est celui qui ne pense pas aux consensus sociaux protégés par les « bonnes coutumes » ; c’est l’individu qui recherche son « profit singulier » et n’hésite pas à infliger à autrui un « dommage » pour l’atteindre15. Le scandale est donc perçu comme une preuve que la sécurité des relations sociales, garantie par la confiance mutuelle, est en péril.
9Cette idée que le scandale est « dommageable pour tout le monde16 » et offense le « commun profit », le fait entrer en contact avec le concept, tout aussi fuyant, de crime public. Les crimes qui perturbent le bien public, comme les « pilleries, roberies et autres abuz et exactions indeues », sont conçus comme étant menés « en grant mespris » du justicier17. Celui-ci est censé être le protecteur naturel de la paix, de la sécurité et du respect des droits de ses sujets. Pour accomplir ce devoir, le pouvoir doit sécuriser à la fois les lieux publics et s’assurer que « les bonnes gens [sont] seurs en leurs maisons18 ». Si l’opinion est persuadée de ne pas être protégée des agressions et intrusions, c’est le fondement de la légitimité de son justicier qui est mis en jeu. C’est pourquoi le mépris de l’autorité se mue vite, dans les discours du pouvoir, en « scandale et vittupère de nous19 ». C’est-à-dire que chaque crime public est un défi lancé au justicier et l’offense personnellement. Ce faisant, à mesure que la peur du crime gagne de l’ampleur et que le « murmure » devient une rumeur galopante20, le seigneur voit sa réputation se fragiliser et est contraint à l’action judiciaire pour la défendre.
10Le crime scandaleux se distingue par sa capacité à transcender le dialogue entre demandeur et défendeur : il déborde le cadre de l’offense personnelle requérant une réparation adéquate21. Qu’il soit réel ou fantasmé, il effraie les bonnes gens, nuit à la communauté et met en difficulté le justicier. Toutes les conditions sont alors réunies pour former une alliance objective d’intérêts entre le demandeur, l’opinion publique et le justicier, ce qui justifie le recours à des peines publiques spectaculaires. Ce portrait général s’enrichit d’une nuance de taille dans les régions du nord du royaume, dont le pilori est originaire. Pour les intellectuels flamands, la première des ignominies serait que la circulation des marchandises soit interrompue par des criminels, ou, plus généralement, que la sécurité des transactions économiques ne soit plus assurée22. Si le crime qui rompt la confiance dans les transactions est scrupuleusement réprimé par toutes les justices urbaines, il revêt une signification aiguë chez ces populations du nord, pour qui l’industrie et le commerce sont des marqueurs d’identité culturelle. Dans ce contexte, l’espace du marché, autant par sa fonction que parce qu’il est l’espace public par excellence, cristallise les risques de scandale.
Le marché, espace privilégié du scandale
11Le pilori n’est pas implanté dans un lieu neutre mais dans l’espace considéré par les gens du Moyen Âge comme le plus sensible aux scandales de toutes sortes. Dès la seconde moitié du xie siècle, les marchés du nord de la France sont devenus des centres d’échanges où se côtoient des vendeurs ou artisans locaux et des « marchands publics », commerçants étrangers qui doivent payer un droit de péage pour installer leur étal sur la place du marché23. La systématisation des échanges monétaires et la diffusion d’un commerce florissant engendrent tout autant la prospérité des populations urbaines que de nouvelles problématiques d’insécurité. L’angoisse la plus pressante des bonnes gens, relayée par la législation encadrant le commerce, est la garantie de la « loyauté » des transactions.
12Une marchandise est réputée loyale lorsqu’elle respecte l’ensemble des règles coutumières qui fixent ses procédés de production, sa qualité et son prix24. La régulation des transactions était traditionnellement assurée par une confiance mutuelle entre vendeur et acheteur, qui se reconnaissaient comme des gens d’honneur. Ce système d’entente tacite est cependant complexifié par l’arrivée de marchands étrangers dont les acheteurs ne peuvent pas évaluer a priori la réputation. Des officiers, choisis parmi les prud’hommes, sont alors chargés d’arpenter les étals du marché pour vérifier la qualité des marchandises. En parallèle, les législateurs laïques prennent des ordonnances qui mettent en garde contre la « déloyauté » des marchands étrangers. En 1319, le pouvoir communal d’Amiens statue par exemple « que nulz marchans de la ville ne puist mettre avant en vente derrées que il ait acatées à marcans de dehors, jusques li eswart estably oudit mestier [des coutelliers] les aront veus, assavoir se elles sont bonnes et loyaulx25 ». Les représentations collectives médiévales perçoivent donc le marché comme un lieu propice aux tromperies parce qu’il accueille des étrangers ; idée qui reprend la dialectique traditionnelle du dehors dangereux par opposition à un dedans sûr26.
13D’autres facteurs que la concentration des échanges font du marché un espace à scandales. Comme il se trouve être une des principales places publiques, le marché sert de scène à l’expression et à la résolution des conflits, quitte à scandaliser la communauté. Claude Gauvard explique à ce propos que « la publicité fait partie du système vindicatoire. Le cycle de l’honneur réclame doublement et symétriquement un public : au moment où se profère l’injure, comme au moment où elle se répare27 ». La vengeance légitime pour défendre son honneur et celui de sa parentèle, qui peut aller jusqu’à l’homicide, recherche la publicité du marché. En 1443, alors qu’Anthoine de Bisse arrive au marché de Nivelles, il voit « ses proimes se combattant », c’est-à-dire que des membres de sa parentèle sont en pleine rixe avec leurs ennemis28. Il tire immédiatement son épée et attaque, « courant sus le marchié ». De tels désordres se produisaient régulièrement et pas seulement dans l’enceinte du marché ; tout lieu public important pouvait servir de cadre à la vengeance. Cela étant, le marché devait concentrer une bonne part de ces rixes et homicides vindicatoires, vu qu’il est l’espace de passage et de rencontre le plus important du tissu urbain29.
14La densité de la foule, l’omniprésence des passants et de vendeurs de rue, sont enfin vécues comme un autre facteur de désordres. L’opinion publique semble persuadée que les « gens oyseux et vagabons » profitent de la confuse animation du marché pour commettre des « larcins, pilleries, pipperies et desrobies » au détriment des passants30. Ainsi, en plus du risque d’être arnaqué par un vendeur déloyal, ou que la place devienne le théâtre d’une faide sanglante, les bonnes gens redoutent la présence occulte de la « merdaille31 ». Évidemment, cette angoisse collective a pour principale origine un imaginaire du crime et de la marginalité que les bourgeois entretiennent en se répétant des stéréotypes éculés. Les sergents du Châtelet de Paris engeôlent bien de temps à autre des petits voleurs de rue, ou des pipeurs de dés, mais la fréquence modérée de ces arrestations semble sans commune mesure avec le sentiment d’insécurité qui secoue les bonnes gens32.
15Cette peur diffuse du scandale et du crime contraint le justicier à faire montre, au moins symboliquement, de fermeté, pour répondre à la demande sociale. Peu importe qu’elle ne soit pas toujours appuyée sur des faits quantifiables ; il suffit que les honnêtes gens croient que ce risque existe pour qu’il devienne une réalité à laquelle le législateur se doit de répondre33. C’est au prisme de cette ambiance, à laquelle le seigneur justicier peut par ailleurs adhérer, qu’il faut comprendre les textes qui assignent au pilori le rôle prophylactique d’outil de prévention du crime.
Le mirage de la prévention du crime
16À partir du milieu du xive siècle, à mesure que le sentiment d’insécurité devient plus pressant dans les grandes villes, le pilori voit ses usages s’enrichir. En plus d’incarner le contrôle du seigneur sur le marché et les transactions, il tend à devenir un symbole de protection de la paix en général, qui se veut rassurant pour les bonnes gens. Cette évolution de sens s’observe au travers de deux stratégies discursives. D’une part, le pouvoir affirme désormais que la vue du pilori peut intimider a priori les malfaiteurs et les convaincre de ne pas mal agir. D’autre part, les justiciers multiplient les menaces de mise au pilori contre les catégories sociales qui effraient leurs bons sujets, sans pour autant que cette fièvre législative soit suivie d’une application judiciaire. Ce qui importe, c’est l’effet politique que ces annonces fermes doivent produire sur l’opinion publique.
« Donner tremeur et doute » aux criminels potentiels
17L’édifice du pilori n’est pas effrayant pour la masse des gens ordinaires, mais est au contraire perçu comme un symbole positif de pacification et de protection. Seuls ceux qui ont quelque chose à se reprocher, à l’instar des « gens oiseuses », sont censés être intimidés par sa présence. Cette nuance est explicitement évoquée par des lettres autorisant l’élévation de nouveaux piloris. La chancellerie de Philippe le Bon affirme ainsi, dans une lettre datée du 22 septembre 144934, que le nouveau « signe de justice […] nommé pilory » élevé sur la place du marché de La Clayette est instauré « pour donner tremeur et doute à ceux qui voudroyent commettre larrecins, ou autres tels malefices afin qu’ils s’en abstiennent et gardent de mal faire ». Cet objectif complète celui, plus traditionnel, de « faire sur les malfaiteurs quant ils le desservent executions et exploit d’haute justice ». Une telle rhétorique ne renseigne en rien sur l’efficacité du dispositif judiciaire, mais a tout de même le mérite de révéler une évolution des vertus pénales attribuées au pilori. Alors que les documents du début du xive siècle évoquent seulement son rôle punitif, à l’image de la lettre envoyée le 22 mai 1332 par Charles, garde du comté de Ponthieu, à son maître le roi d’Angleterre, qui « demande a faire un pillory pour faire aucun exploit de justice35 », cela devient un lieu commun aux siècles suivants de le présenter comme un outil de prévention du crime.
18Les justiciers expriment également cette ambition en faisant graver sur leur pilori des mises en garde. Le pilori en pierre conservé à Millau, qui ne peut pas être antérieur au xive siècle, en donne un exemple frappant36. Une inscription comminatoire, écrite dans un dialecte occitan du Rouergue, y est frappée à hauteur de regard : « Prie notre Seigneur// fais attention à ce que tu feras// avant de commencer37. » Plus généralement et dès le xiiie siècle, l’idée de l’efficacité de la terreur judiciaire est un passage obligé du discours seigneurial, peut-être produit par l’accroissement des procédures inquisitoires. Philippe de Beaumanoir perçoit ainsi un lien entre la fermeté du juge et l’effroi qui doit saisir les malfaiteurs : « bonne chose est que l’en queure au devant des maufeteurs et qu’il soient radement puni et justicié selonc leur mesfès que, pour le doute de la justice, li autres en prengnent essample et si qu’il se gardent de mesfere38 ».
19À partir du milieu du xive siècle, des théoriciens du droit liés au pouvoir royal se saisissent de l’idée pour en faire une des armes de l’affirmation de l’État moderne naissant. Ce courant intellectuel « réformateur39 » préconise de recourir intensivement à la peine capitale. Christine de Pizan, une de ses figures de proue, affirme par exemple dans son Livre de la paix que « les mauvais n’oseront persécuter les bons pour ce qu’ils saront bien que ta droiturière justice les pugniroit. Nul n’ara envie de devenir mauvais quant chascun sara que tu soies le pugnisseur d’iceulx, si aront cause d’eulx amender, laquelle chose est la gloire et augmentacion de tout royaulme40 ». L’exemplarité ne remplit alors plus seulement le rôle de pacificateur des relations sociales que lui assignaient les justiciers locaux, mais devient un instrument de moralisation des mœurs.
20Faut-il voir dans l’inscription de Millau une preuve que ce mouvement intellectuel a essaimé dans les juridictions locales ? La juxtaposition d’incitations à prier et à bien se tenir pourrait certes faire penser que l’auteur a à l’esprit la double nature du bien commun, qui permet l’avènement d’une harmonie tant sociale que religieuse. Il est cependant probable que l’inscription fasse plutôt référence à un topos plus ancien que la production réformatrice du règne de Charles VI, celui du châtiment divin menaçant les populations pécheresses. Comme il vaut mieux prévenir que guérir, la municipalité de Millau incite les habitants à prier régulièrement et à se garder du désordre, deux expédients jugés efficaces pour garantir la miséricorde divine. Le pilori se fait le support de cette crainte qui mêle sentiment chrétien et portée sociale, ce qui laisse entendre que le justicier considère qu’il est responsable d’une sécurité tant temporelle que spirituelle. En cela, la prévention du crime participe à la réduction de risques qui pourraient sembler, de prime abord, étrangers au champ judiciaire. Comme souvent avec l’imaginaire médiéval, il serait artificiel de vouloir dissocier les motivations profanes et chrétiennes qui animent les acteurs.
Promettre le pilori aux mauvaises gens
21Les autorités urbaines multiplient à la même époque les ordonnances qui menacent de la peine d’exposition des groupes sociaux soupçonnés d’être prompts au scandale, y compris en l’absence de méfait constaté. Tous ces actes législatifs sont criés aux places et carrefours de la juridiction, ce qui leur confère une efficacité immédiate41. Tout comme la vue du signe de haute justice doit rassurer les bonnes gens, annoncer que les personnes déshonorables subiront une peine exemplaire est un gage donné à la confiance publique. Les individus que l’on sait déshonorés sont évidemment les premiers concernés. Mais le plus frappant est que beaucoup d’actes prétendent contrôler des stéréotypes plutôt que de véritables criminels. On les voit ainsi ordonner de punir les « gens oiseuses », ces parangons d’infamie qui existent surtout dans les peurs des honnêtes gens42, et les « estranges homs », présumés dangereux en cela que leur réputation est impossible à évaluer.
22Dès les coutumes de Saint-Omer (1164), un des usages du pilori est de réprimer les personnes déjà réputées infâmes, et en particulier les « femmes querelleuses43 », profil négatif qui s’oppose aux gens de « bonne conversation », respectueux des convenances. Les coutumes de Cahors établissent la même distinction un siècle plus tard, en réservant le pilori à la « personne vile » qui injurie « homme honorable ou femme honorable44 ». Ces deux coutumes sont la trace d’un consensus pour envoyer au pilori ceux que la communauté identifie comme « viles », tels que les bannis repris dans la juridiction45. Les motivations qui sous-tendent cette première tradition législative sont cohérentes. Il s’en dégage une politique de ciblage des habitants que le justicier, en connaissance de cause, suspecte d’être dangereux. Leur réserver une peine comminatoire doit permettre d’étouffer les scandales dont on présume qu’ils se rendront coupables. Mais, à partir du milieu du xiiie siècle, ce thème fondateur se complexifie et devient plus englobant.
23Par analogie, ce ne sont bientôt plus seulement les infâmes reconnus qu’on menace d’une peine infamante, mais tous ceux qui correspondent peu ou prou à l’idéal-type du marginal tel qu’il est construit par l’opinion des gens intégrés. Les poncifs des « gens oiseuses », « ribauds », ou « gens diffamez », désignent ceux qui s’excluent eux-mêmes de la communauté par leur attitude jugée asociale. Peut-être en réaction au rassemblement de populations hétéroclites dans les pôles urbains, les autorités judiciaires légifèrent fiévreusement contre les individus interlopes46. Les Établissements de Saint Louis (vers 1272), comme d’autres coutumes, prévoient que les gens « de mauvaise vie » doivent être « bien geter hors de la vile47 ». Si le bannissement du suspect est partout l’instrument de prédilection pour écarter les gens scandaleuses, l’exposition infamante la complète de plus en plus, comme à Guînes où « on deffend à toutes ribauldes que elles ne demeurent dedens l’eschevinage après le soleil couchant, et aussi que elles n’y entrent devant soleil levant, sur paine d’estre mises au pillory48 ». Ce qui inquiète ici le législateur et justifie le durcissement pénal, c’est la prédisposition des mauvaises gens à vivre la nuit, cadre supposé du crime et des activités indécentes49.
24La rhétorique répressive va jusqu’à menacer de bannissement et pilori toute personne suspecte. À Saint-Omer, on fait crier en 1270 que « tout li ribaut et li houlier sont bani hors de le ville sor le pellorin50 ». Quelques décennies plus tard, les échevins réitèrent cet ordre aux mauvaises gens de partir, sous peine de pilori : « tout vallet oiseus qui n’ont de quoi vivre et ne savent leur mestier, que il vuident dedens tierch jour, ou on les prendera et metera ou pellorin, et fera widier le ville a honte51 ». Dans les deux cas, les « oiseux » sont considérés collectivement comme des bannis repris et c’est pour cela qu’ils sont passibles du pilori. Cela signifie que concrètement, le citadin suspecté de mener une mauvaise vie risque d’être emmené au pilori parce qu’il était censé avoir quitté la ville. Une mécanique discursive reprise telle quelle en 1350 par Jean II le Bon, agissant en tant que législateur de la prévôté de Paris. Après avoir ordonné l’expulsion des « gens oiseux, truandans ou mendians, joueurs de dez ou enchanteurs publics », il promet à toute personne correspondant à ces clichés négatifs d’être mise au pilori52. Au fil des sources, une série homogène se constitue. Le pilori s’articule au bannissement pour former son revers : l’exclusion visible de l’exposition confirme, rappelle et renforce l’exclusion invisible de l’expulsion.
25Reste une catégorie de personnes qui inquiète les bonnes gens et mobilise l’attention des autorités urbaines : l’« étranger ». Il s’agit d’une identité attrape-tout et ambivalente que les locaux assignent à toute personne dégageant un sentiment d’étrangeté, que ce soit par sa langue, ses vêtements ou son attitude53. L’étranger n’a pas besoin de venir de loin pour être suspect. Le préambule de l’ordonnance prise en 1481 par Jacques de Tourzel pour la paix du marché d’Ambert évoque ainsi les « complaints » des « pauvres gens qui fréquentent les foires et les marchés », sans cesse « trompés et déçus par les paysans portant des denrées gâtées ou fraudées54 ». Conformément aux représentations collectives du temps, la déloyauté provient d’abord des marges, dans le cas d’espèce du plat pays. L’image du commerçant déloyal justifie, par analogie, de durcir les peines contre les étrangers en général. Les coutumes de Lectoure55, comme celles de Bordeaux56, réservent au « hom estrani besi » (stupide homme étranger) qui frapperait un membre de la commune le supplice d’être « pueie en l’espillori », alors que les rixes entre bourgeois ne sont punies que d’une amende. Tous ces règlements prétendent assurer deux types de protection aux bourgeois jurés. D’un côté, ils délimitent deux mondes, celui des privilégiés et celui des gens du dehors, et réservent les peines infamantes à ces derniers. De l’autre, elles assurent aux bourgeois, par le rituel d’exposition, une réparation publique et communautaire de l’affront scandaleux.
26Se dégage au fil des sources une politique pénale assez constante dans l’espace et le temps, dont le principal objet est de protéger envers et contre tous les personnes honorables et privilégiées de la juridiction. Elle s’appuie sur un imaginaire qui associe deux lieux communs de la culture laïque. Un sentiment accusé d’obsidionalité tout d’abord : la communauté est pensée comme un îlot de vertu menacé par des êtres qui ont élevé le scandale à l’état de mode de vie. Une croyance ensuite en l’efficacité de l’exemplarité. Toutes ces lois ont pour but, nous dit-on, d’effrayer les mauvaises gens et de les éloigner du corps social. Mais ce ne sont là que des représentations véhiculées par les législateurs, dont on ne peut présumer qu’elles soient réellement efficaces. Il n’est à vrai dire pas certain que la recherche d’exemplarité soit la motivation première de ces ordonnances. Si on prend au sérieux l’inquiétude sociale relayée par ces textes, alors il faut en conclure que leur principal destinataire est l’opinion publique que le justicier espère calmer à grands coups d’annonces gratuites et peu appliquées.
La fréquence d’occupation des piloris : l’exemplarité en question
27À la suite de Michel Foucault qui voyait dans les supplices médiévaux un « arsenal d’épouvante » formant une « politique de l’effroi57 », le thème de l’exemplarité pénale a servi d’angle privilégié pendant les décennies 1970 et 1980 pour étudier tout rituel judiciaire public58. Après avoir dépassé ce modèle théorique simplifié, l’historiographie s’est accordée à dire qu’il fallait découpler deux questions : la recherche d’exemplarité poursuivie par les acteurs judiciaires d’une part, et les effets de leur politique sur le public d’autre part, lesquels peuvent s’incarner par des processus d’adhésion, de participation ou de résistance. Il en découle que les supplices publics ne peuvent être seulement perçus comme une coercition sanglante dont le but serait d’effrayer l’ensemble du peuple, ou même sa partie supposée gangrenée. Du moins, s’en tenir à une telle thèse reviendrait à s’enfermer dans la rhétorique des théoriciens médiévaux. À vrai dire, l’équilibre social promu par les peines publiques repose plutôt sur une identification de la population non pas au condamné, mais à l’autorité qui le condamne.
28Claude Gauvard l’a bien montré en se penchant sur les réactions prêtées au peuple par les sources narratives lors des exécutions capitales59. Elle y démontre qu’il existe bien « un véritable accord avec l’autorité judiciaire sur le choix du condamné », sans lequel l’exécution ne saurait être légitime. D’où le fait que « les fourches patibulaires ne sont pas réellement un objet de crainte pour la communauté » : les bonnes gens soutiennent leur haut justicier, perçu comme leur protecteur et non leur tortionnaire. En cohérence avec la théorie de l’État gramscien60, le pouvoir se maintient tout autant par sa capacité à contraindre les corps qu’à générer des représentations positives auxquelles les individus peuvent adhérer. Claude Gauvard dépasse toutefois cette dialectique en analysant la capacité du public à interrompre les supplices, en prenant par exemple prétexte d’un signe de pardon divin61. Dans un monde où le monopole étatique de la violence physique légitime n’existe pas, le public s’avère être l’arbitre du bien-fondé du supplice. En cela, il est partie prenante du discours sur l’exemplarité. On pourrait dire qu’est exemplaire un supplice à propos duquel le justicier et l’opinion publique s’accordent à dire qu’il est justifié et proportionné. C’est cet imaginaire judiciaire partagé, plus que les formes réelles de la peine, qui déterminent son caractère exemplaire.
29À partir d’une telle grille d’analyse, il doit être possible de rassembler des traces documentaires qui permettraient d’évaluer si la peine d’exposition était conçue comme exemplaire par les acteurs du temps. Au quotidien, le pilori vide de condamné était vécu comme un élément du paysage parmi d’autres, que les passants regardaient sans le voir tant il était banal. Ce n’est que lors du supplice que le pilori attire l’attention de la population. De la même façon que les fourches patibulaires donnent corps à l’exemplarité en exposant les cadavres décomposés des pendus62, c’est surtout lorsqu’il accueille un condamné que le pilori exprime la force de son propriétaire.
30La comparaison entre les deux signes de justice souffre cependant d’une limite : les fourches tirent surtout leur exemplarité du fait qu’on y laisse les restes des criminels y pourrir pendant des mois63. Au contraire, les condamnés sont attachés au pilori pour quelques heures tout au plus, le temps de subir le rituel d’humiliation. Pris isolément, le rituel du pilori est d’ailleurs moins effrayant qu’amusant pour les badauds, qui y participent volontiers, se moquent du condamné, lui jettent une poignée de boue et partagent un rire communautaire à ses dépens. Dès lors, alors qu’une seule exécution peut garnir les fourches pour l’année, il faudrait que l’exposition soit très souvent infligée pour que le pilori puisse passer de l’état de spectacle ponctuel à celui de lieu de justice exemplaire.
31Or, nous l’avons vu, il s’agit d’une peine rare64. Pour évaluer, plus précisément, la fréquence d’occupation d’un pilori, seul l’exemple parisien est assez bien documenté65. En simplifiant le calcul et en prenant en compte que certains individus sont condamnés à plusieurs jours d’exposition, on parvient à une moyenne d’environ une mise au pilori par an, ce qui est peu. Cette moyenne cache d’importantes disparités. Comme on pouvait s’y attendre, les années 1389-1391, période couverte par le Registre criminel du Châtelet, connaissent une activité élevée : 4 expositions en 1389, 9 en 1390 et 7 en 1391, ce qui équivaut à une personne exposée tous les deux mois. D’autres périodes bien documentées incitent à penser que le pilori de Paris était utilisé plus d’une fois par an. On compte ainsi 13 actes pris entre 1345 et 1350, soit environ une exposition tous les cinq mois. Avec 7 expositions recensées entre 1385 et 1388, on observe une proportion proche d’un peu moins d’un condamné tous les six mois. En revanche, la période 1405-1410 ne renseigne qu’un cas tous les dix mois environ, ce qui est plus proche de la norme générale.
32Le taux d’un supplice par an peut ainsi sembler minoré par les lacunes de l’échantillon, qui laisse dans l’ombre des décennies entières. Aussitôt qu’une période est mieux documentée, elle révèle une fréquence entre 25 % et 50 % plus élevée. Les Parisiens devaient plutôt assister à un rituel d’exposition tous les six à neuf mois, avec de fortes disparités selon les années. Il est envisageable que certaines périodes connaissaient une activité plus soutenue, de l’ordre d’une exposition de quelques heures tous les deux ou trois mois, comme le laisse entendre le Registre criminel du Châtelet. Si on accepte cette ébauche d’intervalle, il faut en conclure qu’en même temps que l’exposition est assurément rare au sein de la documentation judiciaire, elle est aussi un spectacle familier pour le public. Les deux propositions ne sont pas antinomiques : un événement se reproduisant une à trois fois par an est a minima aussi cyclique qu’une fête civique ou liturgique.
33Quoique les passants pouvaient vivre une poignée de spectacles judiciaires chaque année, le pilori devait être, la majeure partie du temps, un monument vide. C’est peut-être pour compenser ce dépouillement que les justiciers attribuent à l’édifice lui-même le rôle de prévenir le crime. Il apparaît dans ces circonstances qu’il existe un écart notable entre une rhétorique politique prompte à promettre le supplice infamant à un grand nombre de déviants et une pratique judiciaire y recourant modérément. La prévention du crime par l’exemplarité est donc un discours qui s’articule imparfaitement à la peine du pilori. Antienne de la peine de mort66, l’exemplarité est assignée au pilori sous l’effet d’une analogie avec les fourches patibulaires, bien plus que parce que l’exposition serait réellement « exemplaire ».
Punir la déloyauté et la tromperie
34Bien qu’il vaille mieux prévenir que guérir, le justicier ne peut espérer prémunir la communauté de tous les scandales, ni même des pires. Garnir de temps à autre le pilori doit permettre de rendre tangible le risque qu’encourent les criminels tout en satisfaisant les honnêtes gens. Cela étant, l’exposition ne sanctionne originellement qu’une variété réduite de crimes. Au xiie siècle, l’arc dessiné par ses usages paraît à la fois concentré et cohérent. Il s’organise autour de deux pôles : d’une part le furtum, terme que les laïques traduisent volontiers par « larcin » et qui désigne les vols commis par ruse67, et d’autre part le falsonarium, calque latin du moyen français « faussonerie » qui désigne la fraude, sous toutes ses formes. Deux versants qui sont rassemblés par une même thématique, celle de châtier la « déloyauté », parfois appelée « tricherie » par les sources68, c’est-à-dire l’acte qui non seulement rompt les liens de la confiance publique, mais remet aussi en cause un ordre social qui se pense comme naturel69. En effet, le concept de tricherie est fortement associé à l’idée de dénaturation. Falsifier la vérité, c’est certes porter préjudice à la victime trompée, mais c’est aussi bousculer un ordre vrai et juste établi par Dieu.
35La restauration de la vérité nécessite l’humiliation maximale du perpétrant, afin de persuader tout un chacun que le bien l’a emporté sur le mal. C’est par une semblable association d’idées que le noyau primitif de l’exposition s’étend à partir du xiiie siècle au mensonge qui viole une vérité garantie par Dieu, à l’instar de la rupture d’un serment juré sur les saints ou les Évangiles70, ou du faux en cour de justice.
Réprimer le larcin
36Quatre des cinq grandes villes du nord de la France où l’exposition est attestée au xiie siècle la réservent aux voleurs, et plus précisément à ceux qui commettent un furtum. La charte d’Abbeville (1184) use abondamment de cette famille lexicale, en désignant le méfait comme un furtum, son perpétrant un fur et les objets dérobés des res furtivæ71. Celle de Péronne promet au fur d’être mis au pilori72, tandis que celle de Saint-Quentin charge les échevins d’agir « si quis furem cum furto ceperit73 ». En employant ce vocabulaire, ces trois coutumes expriment une compréhension médiévale et non romaniste de ce qu’est le furtum. Si ce mot désigne tout type de vol dans le droit romain, il se spécialise au Moyen Âge pour désigner les vols furtifs, perpétrés par ruse ou de nuit74.
37L’équivalent français de la catégorie du vol dissimulé se construit non pas à partir du mot furtum, mais latronicum. Le vol furtif, c’est le « larrecin », mot qui véhicule un magma de sens péjoratifs dérivés de l’idée de dissimulation. Les traducteurs du début du xiiie siècle des coutumes précitées ne s’y trompent d’ailleurs pas. Lorsque Guillaume, comte de Ponthieu, fait traduire les coutumes d’Abbeville en 1211 pour les octroyer à la ville de Villeroy75, c’est bien le « larron » et « li larres » qui sont menacés d’être « mis u pillori ». Quatre ans plus tard, les mêmes coutumes adaptées en français pour la commune d’Hesdin annoncent que « se aucuns est pris a tout larrechin », les échevins le « feront mettre el pellori76 ». En parallèle, certains copistes latins abandonnent le terme fur au profit de latro, qui, dans ce contexte, se comprend comme un calque du français « larron ». C’est le cas des Établissements de Rouen, tels qu’ils sont conservés par le pouvoir royal en 120477. De manière plus frappante, les coutumes dérivées du modèle de Péronne postérieures à l’année 1200 délaissent également le furtum au profit du latrocinium, vraisemblablement sous l’influence des clercs royaux. À Péronne même, la confirmation de 1209, accordée par Philippe Auguste, condamne désormais le latro au pilloricum là où la version de 1192 promettait au fur le pedioculum, nom local du pilori effacé par un vocabulaire royal plus universel78.
38Ce basculement lexical s’accompagne d’un renforcement de sens fondamental pour comprendre le rapprochement qui s’opère entre peine d’exposition et larcin. Dans les premières années du xiiie siècle, peut-être sous l’influence du droit féodal en cours de cristallisation, le larcin commence à être assimilé au champ de la déloyauté et de la trahison79. Les Livres de jostice et de plets insistent notamment sur le vol commis par l’officier aux dépens de son seigneur, qui est une félonie : « Si larrecin et traïson puent este apelé ensemble si comme serjant emble les choses de son seigneur, qu’il doit garder […] ce est larcin et traïson80. » Dans un autre passage, l’auteur jette des ponts conceptuels entre la notion de « tricherie » et de « larrecin » : « Se aucuns vent les choses à autrui, et il prent loer por la vente de fere, l’en a action contre lui de trecherie : et tel trecherie vaut autant que larrecins81. » En fait, la notion de larcin se place à la confluence de trois sens fondateurs. Le larcin est une dissimulation, car comme le dit Philippe de Beaumanoir, « li lerres espie l’eure et le point que nul ne le voie82 ». C’est une déloyauté ou tricherie, qui arrive par surprise et rompt la confiance publique. C’est enfin une trahison, car le larron est de plus en plus associé à la figure de l’espion, ennemi de l’intérieur de la communauté83. C’est en partie pour répondre à ce triple enjeu que le pilori s’impose, dans ces communes du nord de la France, comme un outil adéquat pour poursuivre les larcins.
39Le tropisme des justiciers à lier exposition et punition du larcin se maintient tout au long des deux derniers siècles du Moyen Âge, tant dans la documentation pratique que normative. Les 83 affaires recensées qui condamnent des voleurs à l’exposition infamante entre 1236 et 1516 ont pour point commun de concerner diverses formes de larcins, souvent menus mais toujours déloyaux. Le terme lui-même est fréquent sous la plume des justiciers de première instance. Les échevins de Châlons reprochent « certains larcins » à Ysabel la vagabonde et « plusieurs larcins et maléfices » à Jehanne Georget, deux femmes qu’ils condamnent au pilori en 147984. Dans les années 1440, le prévôt de Mâcon condamne un homme « pour certains et plusieurs larrecins […] à estre batu parmi la ville de Mascon, mis au pilory et banny85 ». Le Châtelet considère que le pilori est une réponse appropriée au « larrecin » dans quatre affaires distinctes86, y compris lorsque les « petites valeurs d’une chascune des parties de larrecins » devraient inciter le prévôt à la clémence87. On pourrait verser dans le catalogue en multipliant les exemples qui prouvent que le principal grief retenu contre les voleurs envoyés au pilori est d’avoir commis un vol honteux. C’est en conséquence moins la gravité du préjudice matériel infligé à la victime qui réunit ces cas que les conditions de déroulement du crime. D’où la grande diversité des biens et sommes volés, qui s’échelonnent de quelques oignons à des livres liturgiques précieux88, en passant par les bourses furtivement coupées au détour d’une ruelle89.
40C’est assez rare pour le noter, les chartes de coutumes des xive et xve siècles retranscrivent l’importance de cette pratique judiciaire. Elles sont 14 à promettre le pilori au larron, soit en tant que peine principale, à l’instar des coutumes de Bordeaux (xive siècle) qui prévoit que « sy aucun home es atent en laironisy que sia estat feit de jorns, que, per lo prumey, es mes au pilloureu90 », soit en tant que peine subsidiaire, comme les coutumes de Tonneins (1301) réservent de « metut en lespillori » les coupables de « layronessi » qui « pagar no pot los lxv sols91 ».
41Un trait frappant de ce corpus tant pratique que normatif est l’absence criante du brigandage, l’autre grande forme du vol médiéval. Alors que la figure du larron est un être vil, méprisable et fourbe, celle du « robeor », puis, à partir du milieu du xive siècle, du « brigand », est bien plus ambivalente. Les activités ordinaires de l’homme d’armes de la guerre de Cent Ans, telles que le pillage, le rançonnement d’une communauté villageoise ou l’agression de marchands, se confondent avec celles du brigand, terme qui désigne d’ailleurs à l’origine un combattant à pied vêtu d’une armure de cuir, la brigandine92. Le même personnage peut ainsi être perçu par les uns comme un terrible criminel et par les autres comme un honorable guerrier s’étant mis en danger de mort pour frapper les ennemis de son seigneur. Même lorsqu’il est reconnu par tous comme un criminel, la documentation rend au moins au brigand l’honneur d’avoir attaqué de face et en plein jour sa victime. Un gouffre conceptuel sépare donc le larcin et le brigandage. Si le premier est toujours honteux et appelle en retour une peine honteuse, le second a le mérite de refléter, à sa manière, des valeurs guerrières jugées positives, telles que la vengeance armée ou le droit de prise.
42La punition du larcin est sans aucun doute un usage de l’exposition à la fois ancien, fréquent et durable93. De fait, ce crime correspond parfaitement au sens premier de la peine infamante, qui vise à identifier et humilier celui qui s’est déjà exclu de la confiance commune par ses actes honteux. Mais le larcin n’est pas le seul crime puni du pilori à incarner aussi significativement sa matrice de sens originelle. À partir du début du xiiie siècle, la fraude, autre manifestation flagrante de la déloyauté, est à mettre au nombre des crimes les plus fréquemment associés à la peine infamante. Nous verrons que ces deux méfaits, apparemment dissemblables, entretiennent dans l’imaginaire des justiciers une parenté forte qui explique qu’ils se côtoient au pied du pilori.
Protéger la loyauté des transactions
43Les premières traces de l’exposition appliquée aux fraudeurs se rencontrent dans la tradition des Établissements de Rouen, sous le nom de « falsonarium94 », latin vulgaire rendu dans les coutumes de Bayonne de 1215 par le provençal « faussari95 » et dans la copie de 1344 de celles d’Oléron par le français « faussoner96 ». Ce vocabulaire assez général permet d’englober l’ensemble des risques que courent les acteurs des transactions économiques, notamment la manipulation de la qualité du produit ou de ses modalités de fabrication. Lorsqu’une coutume précise les « faussoneries » passibles du pilori, c’est pour fustiger le boulanger qui détourne une partie de la farine que le client lui a donnée à cuire97, le fourbisseur qui fabrique des lames « deffectives et vicieuses98 », le spéculateur tentant de manipuler les arrivages de poisson99, le drapier qui parsème son produit de « fausses boulles100 », le crémier mélangeant son beurre à de l’eau, des cailloux ou des navets101. Tous ces exemples dessinent les contours flous de la « tricherie, chose que l’en ne doit mie soutenir102 », peut-être la forme la plus évidente et immédiate de rupture de la confiance interpersonnelle.
44Étant entendu que toutes les transactions quotidiennes se font de main à main, sans autre garantie que la parole du vendeur, la loyauté des transactions repose avant tout sur l’honneur perçu des parties. Comme cela ne suffit évidemment pas à éviter tout risque de fraude, il « apartient au baillis que droites mesures corgent », afin de « garder le repos dou peuple103 » et de s’assurer que « aucun ne puissent estre deceüz104 ». Malfaçon cachée et qui lèse le client de la valeur du produit, l’amalgame entre fraude et larcin se fait tout naturellement au xiiie siècle. Les Établissements de Saint Louis annoncent ainsi que le « marcheanz qui porte faus dras à vendre » est « comme lerres » et doit en conséquence être rudement puni105. Cette tendance est renforcée par le fait que la justice médiévale ne tient que rarement compte de l’élément moral du délit. Toute malfaçon, y compris involontaire, est alors jugée à l’égal d’une fraude106. Aux yeux du justicier, ce qui définit le mieux la fraude est, à l’identique du larcin, le subterfuge et la soustraction d’un bien au demandeur.
45Mais l’exposition n’est pas qu’une peine parmi d’autres prévues contre les fraudeurs. Elle est aussi la métonymie d’un signe de justice qui, du fait de sa centralité au sein du marché, devient le gardien des coutumes qui assurent la loyauté des échanges commerciaux. On l’a vu, le pilori fait partie des éléments de définition et de délimitation de l’espace du marché. C’est pour cette raison que plusieurs règlements condamnent moins la fraude proprement dite que les écarts pris avec le monopole de l’autorité judiciaire sur la définition des espaces et conditions des échanges. Le Conseil de Marmande se réserve le monopole de la garde des animaux et menace du pilori toute personne qui ne recourrait pas aux services du « porquey o aulhey cominal » (porcher ou berger communaux)107. De leur côté, les échevins d’Angers statuent que les « poulailliers et poulaillieres et regratiers de chevreaulx » devront perdre l’habitude, sous peine de pilori, d’acheter au marché le grain pour leurs bêtes tôt le matin, parce que la règle est de ne pas vendre « avant le temps de dix heures passées audedenz de la banleue108 ». Se détache ainsi un processus d’assimilation entre les intérêts du client et la légalité formelle des transactions. Ces deux idées se confondent, parce que les normes établies par l’autorité judiciaire se font au nom du « repos dou peuple » et de son droit à échanger en confiance. En définitive la « faussonerie » mêle la malfaçon, la fraude et l’irrespect des règles de vente, tous rapprochés du larcin par leur caractère déloyal et secret. Le pilori, marque de propriété du marché, se fait donc le protecteur symbolique des échanges qui s’y déroulent.
46Les deux facettes de cette législation volontariste se retrouvent dans les actes de la pratique, bien que les textes n’éclairent quasiment jamais les modalités du méfait. Il est donc impossible de déterminer si la part de scandales pris sur le fait est plus fréquente que les accusations en cour de justice. Ponctuellement, un chroniqueur affirme qu’un fraudeur a été pris en flagrant délit, à l’image de cette « allemande d’ung villaige nommé Budange » surprise au marché de Metz à bourrer ses mottes de beurre de « villains et ors drappiaulx109 ». Si elle échappe à la peine de mort, le tribunal des Treize la condamne tout de même à une mise au carcan « auquel elle fut quaitre heures d’horloge ». De même, quelques sentences des échevins d’Ypres contre des fabricants de faux draps déclarent qu’ils ont été repérés par les sergents alors qu’ils « estoient à la perche110 ».
47Mais la plupart des fraudes conduisant au pilori semblent avoir été découvertes incidemment, soit par le biais d’une plainte, soit parce qu’un criminel arrêté a dénoncé ses partenaires pour inciter son juge à la clémence. C’est au détour des confessions des larrons Jehan le Brun et Raoulet La Greue que les examinateurs du Châtelet de Paris découvrent que les boutiquiers Jehan et Ameline de Warlus, pourtant de bonne réputation, recèlent régulièrement le produit des vols parisiens111. Le recel n’étant pas strictement défini par le droit coutumier, il est ici perçu comme une déloyauté proche de la fraude. Cela étant, la majeure partie des sources ne donnent aucune information précise, sinon que tel marchand est châtié pour avoir vendu de fausses épices112, tel autre pour « du hareng infaict, mauvais et non digne d’estre vendu pour substentation de corps humain113 », tel autre pour des pains ne répondant pas aux ordonnances de poids et mesures114. En tout cas, les actes de la pratique retranscrivent nettement l’ubiquité de l’exposition pour fraude. Elle embrasse tous les types de marchandise et toutes les tactiques déloyales, y compris le recel, car ce qui la définit est moins un ensemble de pratiques dont on pourrait dresser une liste que l’idée générale d’une détérioration du contrat tacite qui unit acheteur et vendeur.
48Il est possible que ce soit la proximité de sens entre larcin et fraude qui ait originellement donné à ces deux crimes une peine commune. Mais l’extension rapide du châtiment aux irrégularités formelles des transactions laisse entendre que le pilori est plus qu’une simple réponse pénale. Toutes ces formes de déloyauté sont en effet réunies par le préjudice symbolique qu’elles infligent non pas aux demandeurs, mais au propriétaire du marché. Celui-ci garantit la loyauté, la sécurité et la légalité des relations commerciales sur son honneur et le pilori est le symbole visible de cette garantie. Par métonymie, il est le siège de l’honneur du justicier, d’où son association systématique aux scandales qui lèsent la paix du marché. Une telle dimension ne remplace en rien les autres interprétations. C’est à vrai dire un faisceau de causes qui pousse l’exposition et son monument à devenir des outils fondamentaux de la répression de la déloyauté. Il s’agit tout autant de répondre à une demande sociale, de réprimer à hauteur de l’esclandre, de restaurer la confiance. Il nous semble cependant que le contexte spatial du marché a servi d’incubateur à cette relation privilégiée, ainsi qu’à la confusion persistante entre larcin et fraude.
49Ce n’est que dans un second temps, à partir du début du xive siècle, que d’autres formes de déloyauté, comme le faux témoignage, la subornation de témoin ou le faux en écriture, sont entrés dans l’orbite de l’exposition.
Parjure et crimen falsi : scandale en cour de justice
50Exposer pour falsification en justice est l’emploi du pilori le mieux étudié par l’historiographie, certainement parce qu’il est le plus fréquent dans la pratique du Parlement de Paris. Kouky Fianu assimile la multiplication des expositions pour faux chez le Parlement du xive siècle à une volonté d’affirmation de l’État valois, visant à compenser son manque de légitimité par la sacralisation et la défense active de sa production écrite115. Une observation juste, mais qui peut être complétée. Premièrement, la question de savoir pourquoi l’exposition infamante a été retenue pour punir la falsification, plutôt que le bannissement ou tout autre supplice rigoureux, reste en suspens. Deuxièmement, s’il est certain que les conseillers du règne de Philippe VI sont plus prompts que leurs prédécesseurs à recourir à cet usage, il apparaît qu’ils ne l’ont pas pour autant inventé. Les conseillers du Parlement reprennent à leur compte une tradition plus ancienne.
51Peu de traces ont subsisté des racines du pilori pour faux en justice, à cause de la rareté des écrits judiciaires antérieurs à 1300. Deux coutumes du xiiie siècle révèlent tout de même ce qui devait être sa forme première : l’exposition pour faux témoignage. Les statuts de la bastide royale de Réalmont (1272) prévoient une peine hybride pour les falsi testes. Ils doivent être bannis et leurs biens confisqués, mais « s’ils sont pauvres, ils sont en outre mis au pilori pour deux heures avec un poinçon dans la langue116 ». Outre le fait qu’il s’agisse de la plus ancienne attestation d’une mise au pilori pour parjure, elle s’accompagne d’une mutilation réfléchissante, percer la langue pour punir le péché de bouche, à l’imitation de la pratique de Saint Louis. À la même époque, Philippe de Beaumanoir rapproche également pilori et faux témoignage. Pour le bailli royal, « qui porte faus tesmoins et en est atains, il doit estre tenus en longe prison et puis estre mis en l’esquele devant le pille ; et si est l’amende à la volenté du segneur. Et tout aussi est il de celi qui amaine les fax tesmoins à essient117 ».
52Alors que ces deux coutumes sont géographiquement éloignées, elles se trouvent réunies par la culture de droit royal de leur auteur respectif. Beaumanoir rend visible cette influence intellectuelle lorsqu’il définit le faux témoin comme quelqu’un « qui dist à essient menchongue en son tesmongnage après ce qu’il jure118 ». Le faux témoignage n’est pas qu’un mensonge intentionnel, c’est surtout une rupture d’un serment sacré, puisque le juge fait systématiquement jurer les parties sur les Évangiles, ou sur une figure divine119. En cela, le parjure est autant un péché, proche du blasphème120, qu’une déloyauté plus prosaïque qui grippe le fonctionnement judiciaire. Ce n’est alors pas étonnant de voir Philippe de Beaumanoir user du même vocabulaire et de la même peine que lorsqu’il traitait plus tôt du sort réservé aux blasphémateurs. C’est donc à l’occasion d’une assimilation entre blasphème et parjure que l’exposition commence à être retenue en tant que peine valide pour le faux témoignage.
53De son côté, Guillaume de Cohardon n’évoque pas aussi explicitement que Beaumanoir la référence à l’exemple royal, mais il est certain qu’il l’a à l’esprit. Il semble tiraillé entre la conservation du bannissement des faux témoins, qui doit être la peine coutumière locale, et l’application de la législation royale. Pour résoudre cette tension, le sénéchal propose une solution élégante. D’une part, il reprend en peine principale le principe coutumier, et d’autre part, il réserve l’exposition aux « pauvres » (pauperes)121, écho direct à l’ordonnance royale de 1268-1269 qui envoie le blasphémateur au pilori seulement « si il estoit si pour que il ne peust poyer la poine desusdite122 ». Pour faire bonne mesure, le sénéchal y ajoute la spectaculaire mutilation de la langue, dont Jean de Joinville dit qu’elle a été pratiquée par Saint Louis et qui avait fait grand bruit à l’époque.
54En conséquence, tout porte à croire qu’une des racines de l’exposition pour faux en justice est un amalgame fait entre parjure et blasphème. On voit les officiers du pouvoir royal adapter au faux témoignage les peines marquantes de la législation royale contre le blasphème, dont l’exposition fait partie.
55Ce n’est qu’à partir du début du xive siècle que l’exposition pour parjure commence à s’étendre à ce que nous appellerions aujourd’hui les faux en écriture. Alors que la proximité entre blasphème et parjure a initialement permis au pilori de se doter d’un nouvel usage, toute référence à cette origine disparaît rapidement et ce sont d’autres analogies juridiques qui justifient son extension progressive à toutes les formes de faux en justice. Une synthèse de ce processus adventice est donnée a posteriori par Jean Boutillier, à la fin du xive siècle. Pour le juriste, le « crime de faux que les clercs appellent crimen falsi est crime, ou delict, ou mesfait de faussenerie123 ». Un vocabulaire qui n’est évidemment pas sans rappeler le discours coutumier sur la fraude, ce dont Boutillier est parfaitement conscient vu qu’il cite, parmi les espèces de crimen falsi, le délit de « contrefaire autre seing, soit en fait de notairie ou de marchandise, ou en fait de mestier124 ».
56Ce faisant, la filiation avec la loi Cornelia des Institutes, que revendique plus loin Boutillier pour définir le crimen falsi et justifier le châtiment des faussaires, semble artificielle. Le droit romain est cité comme une sorte d’ornement savant, pour magnifier des pratiques coutumières qui lui sont étrangères. D’ailleurs, plusieurs siècles avant Boutillier, le juriste anglais Ranulf de Glanville analysait déjà le « crimen falsi » comme une synthèse de trois crimes coutumiers : la fausse charte, la fausse mesure et la fausse monnaie125. Il semble donc suspect d’affirmer que le droit romain ait inspiré la législation coutumière sur ce point.
57C’est plutôt par sédimentation, à partir de plusieurs racines coutumières, que l’exposition pour faux en écriture se construit. Il s’agit à la fois d’une faussonerie matérielle apparentée à la fraude, comme le dit Boutillier, d’une déloyauté vis-à-vis de la partie adverse, et d’un parjure, les pièces matérielles étant soumises à la même nécessité de vérité et au même serment que les témoignages. Toutes ces turpitudes ont en commun de faire partie du champ d’application de l’exposition infamante, pour certaines depuis plus d’un siècle. C’est peut-être en ayant cet univers de sens à l’esprit que plusieurs cours temporelles des années 1320-1330 décident d’exposer des faussaires d’actes judiciaires. Si la quasi-totalité de ces décisions d’avant 1350 viennent du Parlement de Paris, on peut douter que la haute cour en soit l’inventeur. Nous en voulons pour preuve que le registre de la justice ordinaire de Saint-Martin-des-Champs renferme un cas daté de 1338, période contemporaine de l’apparition de l’usage au Parlement126. On y apprend que « Colin [Lepiquart] avoit fait faire, autrement que à point, faussement et mauvesement, une quictance en la court l’official, scellé du scel de ladicte court ». Colin, procès fait, doit être « mis en l’eschielle, le dymenche que l’an chante oculi mei », réponse intéressante, parce qu’elle couple la symbolique profane de la peine infamante, voulue par le maire, à celle du temps sacré, pour signifier la réparation de l’honneur de l’official.
58Parallèlement, les registres criminels du Parlement du règne de Philippe VI présentent une curiosité : à l’exception d’une sentence, toutes les expositions pour faux proviennent du registre coté ANF X2A 4, et six sur neuf du fameux cahier de confessions de criminels cousu à la suite du registre d’arrêts proprement dit127. Le registre civil X1A 6 contient la dixième affaire, datée d’avril 1330, qui condamne un certain Baudelot à quatre séances de pilori pour avoir diffamé son adversaire et suborné des témoins128. Autant dire que sans la conservation subreptice du cahier des confessions, l’exposition pour faux serait restée quasi obscurcie pendant un demi-siècle supplémentaire. Il ressort de la série parlementaire une identité certaine entre les réponses pénales prévues pour faux oral et écrit. La filiation entre les deux emplois de la peine paraît d’autant plus probable. Par-delà ce premier noyau, le pilori combat en outre d’autres formes de tromperies commises en cour de justice, comme la subornation de témoins ou le refus de coopérer avec le juge, à l’image de Hannequin Lallemand « qui a sceu que maistres Robers li Anglois et II moine alemant machinoient en la mort du roy par mauvais art et par invocation du deable », mais n’en a rien dit à la justice royale129. Une diversification d’usages qui s’amplifie à mesure que les années passent.
59On voit par la suite des juridictions inférieures partout dans le royaume se saisir de cette variété d’usages et les réinterpréter à la guise des cas d’espèce. La fausse accusation se greffe rapidement au faux témoignage, puisque ce n’est jamais qu’une autre forme de parjure. Déjà en 1341, les échevins de Dijon envoient au pilori une certaine Juhannote de Nuiz qui « s’estoit clamee que Jehan Bourdereaulx l’avoit ravie », mais n’avait finalement « pehu prover130 ». Le Châtelet fait tourner au pilori Colette la Buquette en 1391 pour avoir prétendu que son bébé était le fils de Jean Le Mercier, un des principaux conseillers de Charles VI, dans l’espoir d’obtenir une pension à vie131. Dans le même ordre d’idées, les justiciers condamnent des fâcheux ayant frauduleusement demandé des biens, à l’instar de Jehan Bateman, un foulon qui déclarait aux échevins d’Ypres que le défunt Jehan de Cohniers lui devait 60 livres de grains132.
60Fait intéressant, lorsqu’ils ont affaire à une falsification techniquement complexe, les juges la ramènent par esprit de synthèse à sa caractéristique fondamentale, la déloyauté, et lui assignent en conséquence l’exposition. Les conseillers du Parlement désignent ainsi « comme faulx vendeur » un faussonnier dont le crime est à mi-chemin entre la fraude et la falsification d’acte : Jean de la Jaille avait manipulé les comptes d’une terre grevée de dettes pour la vendre à bon prix133. En conformité avec ce principe, toutes les falsifications matérielles, qu’elles concernent le sceau, la signature, ou l’acte tout entier, sont ramenées à la catégorie du crimen falsi et semblablement punis. Le lieutenant du bailli du Cotentin s’aperçoit en 1447 qu’un tabellion de Cherbourg, Guillaume Varengue, a falsifié ses minutes. Il charge son sergent Colin d’Aesy de l’arrêter et de l’envoyer au pilori, sans autre peine134. À la même époque, l’official de Bayeux impose un supplice identique à un homme ayant falsifié son sceau135. Quant à la fausse monnaie, autre crime traditionnellement fondu dans la catégorie du crimen falsi, elle tarde à être associée au pilori. En 1396, un arrêt du Parlement condamne Henri Gerude à l’exposition pour avoir été trouvé avec plus de sept livres tournois en fausse monnaie136. L’usage réapparaît par la suite ponctuellement, comme en 1444 à Châlons, date à laquelle la cour ordinaire de la ville envoie au pilori un homme pris avec de « mauvois escuz trouvez par les bourses137 ».
61Toutes ces ramifications démontrent la vivacité de l’exposition pour faux, qui s’avère être aussi bien représentée dans la documentation que celle pour larcin. Le parjure est de loin sa facette la plus ordinaire, avec 45 occurrences aux xive-xve siècles, dont 19 proviennent du Parlement de Paris. À l’orée de l’époque moderne, elle est attestée dans toutes les grandes villes du royaume, que ce soit à Rouen, Orléans, Troyes, Dijon, ou encore Toulouse. On peut en conclure qu’à la fin du Moyen Âge, la peine d’exposition est désormais compétente pour tout acte déloyal entrant, de près ou de loin, dans la définition lâche de la faussonerie. Le parjure, la diffamation, la subornation de témoin, la falsification d’actes, de sceaux ou de monnaie, sont autant de nouvelles attributions qui s’agglomèrent au larcin et à la fraude, à force de glissements de sens se nouant dans l’imaginaire des justiciers.
Amender l’injure infligée à la collectivité : l’usage réfléchissant du pilori
62Dès le xiie siècle, une famille secondaire d’usages se développe en parallèle de celle sanctionnant la déloyauté. Sa forme élémentaire, telle qu’elle se lit dans la charte de Saint-Omer (1164), est de poursuivre ceux qui « déshonorent quelqu’un par des paroles mordantes138 ». Au quotidien, l’injure est le mode normal de l’escalade des conflits et un prélude à la rixe ou à l’homicide139. Les hommes et femmes du Moyen Âge sont coutumiers des « noises et tençons », armes verbales servant à écraser publiquement leur « haineux », ou toute personne les ayant « dommagés », afin de défendre leur propre capital social. Cette vengeance verbale débouche sur l’attaque armée si la parole n’a pas suffi à clore le conflit.
63Les injures publiques ne sont en réalité que très rarement sanctionnées du pilori. La judiciarisation de l’injure oscille entre l’excuse – devant la cour ou ritualisée sous la forme d’une amende honorable – et l’amende pécuniaire, mais beaucoup ne sont à vrai dire pas poursuivies. Dans les faits, l’exposition infamante se spécialise dans la vengeance des honneurs collectifs et de leurs représentants. La commune, en particulier, s’impose comme une institution dont tous les membres doivent se mobiliser, au moins symboliquement, pour défendre sa dignité. L’exposition permet de mettre en œuvre une vengeance socialisée censée fédérer tous les bourgeois. Dans le même temps, une autre branche de cet usage pénal sanctionne les outrages au roi, puis par analogie, aux princes et aux officiers dépositaires de leur pouvoir.
Venger l’honneur communautaire
64Les deux chartes qui documentent l’exposition pour insulte n’évoquent que le cas du conflit entre un agresseur « vil » et une victime « honorable140 ». Mais les actes de la pratique mettent en valeur une tout autre distinction. Le pilori pour outrage y est réservé aux attaques publiques envers la communauté, par le biais d’injures soit impersonnelles, soit dirigées spécifiquement contre les représentants du groupe, comme les échevins. Dans les deux cas, une réaction collective est nécessaire pour faire pièce à la blessure collective. Au début du xve siècle, les échevins d’Amiens menacent par exemple du pilori une « grosse femme » qui n’arrêtait pas d’éructer « de jour en jour plusieurs opprobres, injures et vilenies aux gens d’estat et d’onneur de la ville141 ». Les échevins dijonnais n’apprécient pas beaucoup plus les injures proférées contre leurs honorables administrés. La femme de Le Jandelet est fustigée, exposée par trois fois et bannie car, « emportée d’un fol et maulvais courage », elle avait hurlé que les Dijonnais n’aimaient par leur duc et que le prince serait fou de venir les visiter142.
65Ces deux causes sont représentatives de l’ensemble des expositions pour injure publique en contexte communal. Le défendeur n’agresse jamais un individu isolé, mais toutes les bonnes gens de la ville, ou le Conseil qui les représente. À vrai dire, vouloir distinguer la dignité des bourgeois, des échevins et de la commune elle-même serait artificiel, car les trois se superposent et sont mutuellement solidaires. D’autre part, l’injure est publique et souvent répétée. Elle peut être le nom donné à une opinion politique scandaleuse, comme le montre l’affaire Le Jandelet, ou celle d’un Henri de Roye envoyé au pilori pour avoir accusé les échevins d’Amiens de gouverner « rigoureusement et tyranniquement143 ».
66Quoi qu’il en soit, même lorsque la fonction pénale est instrumentalisée politiquement par les autorités, elle tend à faire correspondre l’honneur des officiers à celui de toute la communauté. Il n’est en cela pas anodin que les cours échevinales soient de plus francs adeptes de l’exposition pour outrage que les cours seigneuriales. Alors que le seigneur tire ses droits et sa légitimité de son lignage et de l’hommage qu’il a prêté, le pouvoir des échevins provient de l’adhésion que leur portent les bourgeois, signifiée par le vote. Aussi, quand l’atteinte faite aux droits du seigneur est ordinairement comprise comme un affront personnel, celle qui remet en cause l’autorité des échevins se mue en blessure collective144. Dans ces conditions, l’amende honorable aurait une portée trop restreinte pour laver l’honneur ; les autorités optent donc pour un rituel auquel chacun peut activement participer. En cela, cet usage secondaire de l’exposition est fondé sur une conception réfléchissante de la peine, proche du modèle biblique de la loi du talion, puisque le condamné est soumis aux injures de tous ceux qu’il a injurié. Un mécanisme semblable peut s’observer dans quelques affaires qui usent de l’exposition pour venger l’honneur de personnages dépositaires du bien commun, jugés intouchables, au premier rang desquels se trouve le roi.
Venger l’honneur du roi pour restaurer le bien public
67Dans les années 1140, après des siècles d’oubli, le crime de lèse-majesté refait surface à la faveur de la renaissance du droit justinien145. Ce n’est toutefois que dans le courant du xiiie siècle, bien après la célèbre décrétale d’Innocent III de 1199 assimilant l’hérésie au crime de lèse-majesté146, que les monarques séculiers s’approprient peu à peu cette notion pour mettre leur pouvoir hors de portée de toute remise en cause. En France, les légistes de Philippe le Bel s’emparent du concept de lèse-majesté pour asseoir l’autorité d’un roi en conflit avec la papauté. En mars 1303, c’est en partie sur la base de la décrétale de 1199, et en détournant la rhétorique canoniste, que le pouvoir royal accuse Boniface VIII d’hérésie et se pose en défenseur de la majesté divine. Ce faisant, la monarchie du xive siècle fait entrer dans son vocabulaire un concept servant de pilier idéologique à l’édification progressive d’un État moderne, centralisé et sacré.
68À l’échelle qui nous importe, celle de la justice quotidienne, l’intangibilité de la majesté royale s’incarne dans ses institutions, et ce jusqu’aux officiers les plus subalternes, tels que les sergents. Les acteurs judiciaires du milieu du xive siècle manient en pratique une interprétation littérale du concept de lèse-majesté : il est interdit de toucher, physiquement ou symboliquement, toute personne dépositaire du pouvoir royal, ses symboles, ainsi que les bénéficiaires de la sauvegarde royale147. Une expression banale du crime de majesté consiste ainsi à « injurier par main mise » un officier du roi, que ce soit en posant la main sur sa poitrine, son bras ou son épaule, pour signifier un désaccord avec ses commandements148.
69Au fil de son analyse des offenses les plus courantes aux officiers royaux, Romain Telliez démontre d’un côté que le crime de majesté se banalise à force d’être invoqué à tort et à travers dans des causes mineures, et de l’autre que les justiciables adoptent des stratégies ambivalentes face au risque d’être poursuivis149. Une lettre de rémission de mai 1356 donne une vive illustration du contenu que prend la lèse-majesté au quotidien150. Le tenancier d’un débit de boissons parisien s’apprête à lever la main sur un sergent qui refuse de payer sa consommation. Ce dernier se réfugie derrière la majesté royale en désignant les fleurs de lys qui ornent son capuchon. Le tenancier s’écrie alors : « Es-tu sergens du roy ? Se tu avoies quatre fleurs de lis sur toi dont l’une te fust sur le riboillon du vit et les autres ou pertus du cul, si ne paieras-tu ! » Injure aux armes royales qui lui vaut d’être poursuivi.
70Mais dans toutes ces affaires de lèse-majesté du quotidien, peu de traces d’exposition infamante. Alors pourquoi le juriste Jean Boutillier affirme-t-il que « qui parle du Roy ou de son Prince deshonnestement par forme de reproche ou iniure : sçachez qu’il chet en amende d’estre mis à l’eschelle par trois iours151 » ? L’auteur de la Somme rural n’a pas inventé cet usage pénal, qui existe bel et bien dans la documentation, mais il en a grandement exagéré la portée. Si le pilori est effectivement une ressource disponible pour traiter les outrages au sang royal, il n’est en réalité employé que lorsque les tensions et difficultés politiques amènent le pouvoir royal à durcir sa doctrine judiciaire. Trois actes de la pratique documentent cet usage circonstancié.
71Jean Roche, un boucher de Sens, se rend en 1382 aux assemblées tenues par sa ville pour protester contre le rétablissement par Charles VI des aides, abolies en 1380, sur son lit de mort, par Charles V152. Ulcéré par l’attitude des envoyés royaux, il « sache sa dague et dit certaines paroles de menaces », ce qui lui vaut d’être condamné à être « mis et tourné ou pillory audit Senz », mais surtout d’être privé à jamais « de toutes assemblées de ville ». On le voit, ce crime diffère des causes présentées auparavant non seulement par sa gravité, mais aussi par sa cause politique, directement liée au contexte des rébellions antifiscales des années 1380-1382. Quelques années plus tard, une affaire de janvier 1391 démontre que les princes bénéficiaient aussi, comme le dit Boutillier, d’une protection judiciaire spéciale. Au cours d’un dîner trop arrosé, « parolles contencieuses & rancuneuses se meurent » entre deux convers qui discutaient des mérites de leur parrain respectif153. Charlot, apprenant que son compagnon était filleul de Louis de Touraine, futur Louis d’Orléans, « dist que il valoit mieulx que ledit Loys » parce qu’il était filleul du roi. La conversation dérape lorsque Charlot ajoute : « Toy ne ton parrain n’avez que mengier se le roy ne le vous donne et n’est ton parrain que un ribaut putier. » Une telle injure, somme toute banale, revêt ici une tonalité acérée parce qu’elle fait écho à la rumeur qui accusait Louis d’Orléans d’être un coureur de jupons désaxé154. La gravité du crime et la grandeur de la victime amènent le Châtelet à envoyer au pilori Charlot, lui percer la langue et le bannir.
72Enfin, le surprenant délit reproché au maçon Pierre Thoroude par un Châtelet de Paris tenu par le pouvoir anglais est encore davantage empreint de contexte politique155. Le 10 juillet 1429, Thoroude discute aimablement avec ses voisins Oudart le Fer et Jehan Thomas devant la porte de ce dernier. Au détour de la conversation, le maçon aborde un sujet sulfureux : « icelui suppliant demanda par esbatement oudit maistre Oudart pour quoy il n’estoit alé au devant du duc de Bourgongne son maistre ». D’après le Journal du bourgeois de Paris, Philippe le Bon entre le 12 juillet dans la capitale pour tenir « moult grand conseil » avec le régent Bedford pendant cinq jours, au terme desquels il promet devant le peuple de « garder la bonne ville de Paris156 ». Oudart répond « qu’il y avoit eu assez de gens sans lui, et aussi qu’il avoit esté occupé », ce sur quoi Pierre se demande à haute voix « que venoit faire le duc de Bourgongne à Paris, et s’il vouloit empeschier que le Daulphin ne feust sacré ». Charles VII est parti pour Reims le 29 juin et y est sacré une semaine après l’arrestation de Pierre Thouroude, le 17 juillet. Ses compagnons l’ont en effet dénoncé pour avoir manqué de respect au duc de Bourgogne, en insinuant qu’il pouvait trahir son cousin et le sang royal ; l’affaire vaut à Thoroude d’être envoyé au pilori. Nul doute que la désolidarisation rapide des voisins et la vivacité de la réaction judiciaire sont dues à l’ambiance électrique qui secouait Paris depuis l’apparition de Jeanne d’Arc et la multiplication des succès armagnacs.
73Par capillarité, les princes de sang royal reprennent à leur compte dans leurs seigneuries l’exposition pour outrage. L’État bourguignon en construction y recourt déjà dans les années 1380. En 1382, Philippe le Hardi gracie un certain Ladone de Semur qui avait été incarcéré au château de Châtelgérard « pour certaines paroles injurieuses que redondoient en vitepure et grant constant de mgr157 ». Il devait être « mis en l’eschille par trois samedis et soigniés à la flour de lit », dispositions en tout point conformes à la définition donnée par Jean Boutillier, que ce soit par le support, la temporalité ou le sens, puisque la fleur de lis figure l’offense faite à la maison de France.
74L’exposition pour outrage au roi et à son sang est avant tout une peine théorique, qui est toujours disponible, parfois agitée mais souvent graciée. Elle peut être envisagée comme le produit de l’association de plusieurs usages antérieurs. Premièrement, elle vient punir une forme de déloyauté envers son maître naturel. Rompre ce lien peut aisément être conçu comme un méfait apparenté aux trahisons et tromperies qui fondent le champ principal du pilori. Deuxièmement, l’exposition pour outrage au roi prolonge, sous une autre forme, celle pour outrage aux gens honorables et aux institutions communales, qui existe depuis le xiie siècle. En injuriant un membre de la maison de France, le perpétrant se met en marge de la communauté des bons sujets, tout comme celui qui attaque les échevins s’exclut de la commune. L’atteinte au sang royal peut alors être comprise comme une autre forme de blessure collective ; chaque bon sujet doit faire bloc autour de son souverain et dénoncer puis punir le malfaiteur. Ce saut d’échelle est d’ailleurs confirmé par des textes qui entremêlent lèse-majesté et offense au royaume, à l’instar du discours écrit par Jean Petit en mars 1408 qui justifie le meurtre de Louis d’Orléans en l’accusant d’avoir été « tyrant, faulx et desloyal aux dis roy et royaulme et comme crimineux de lèse majesté158 ». Il est par conséquent improbable que cet emploi pénal hybride ait pu exister avant le début du xive siècle, parce qu’il découle à la fois de la réapparition du crime de majesté et de la construction du concept de « maison de France », au milieu du xiiie siècle. Plus encore, le développement de cet usage est intimement lié à l’émergence d’États modernes qui se cristallisent autour de la figure de leur prince.
Conclusion
75Les premiers usages pénaux de l’exposition forment un ensemble cohérent, articulé autour de quelques notions qui s’entrecroisent au fil du temps pour générer de nouvelles formes. À l’origine se situe l’idée qu’une réponse publique et collective est nécessaire pour réparer un scandale qui fragilise la cohésion du tissu social. Le peuple exerce une vengeance socialisée pour résorber une dérive qui affecte tout le monde, soit parce qu’elle enfreint le commun profit, soit parce qu’elle entame l’honneur de la ville. Plus concrètement, ce mécanisme se reflète d’abord dans l’assignation de l’exposition à la répression de deux crimes jumeaux, le larcin et la fraude, apparentés par leur caractère furtif, trompeur, déloyal. Puis le noyau premier de l’exposition foisonne peu à peu. Une arborescence d’emplois proches mais distincts s’élabore par un processus d’association d’idées et de glissements de sens. Répression du mensonge, de l’outrage, du parjure, de la lèse-majesté s’ajoutent peu à peu aux emplois du pilori. Cette famille arborescente d’usages maintient une cohérence thématique durable, centrée sur l’idée de déloyauté. Mais en dépit de l’amoncellement de ramifications nouvelles, l’ancien socle composé par le larcin et la fraude reste vivace : il représente encore, à la fin du xve siècle, entre 25 % et 30 % des peines d’exposition prononcées.
76Le signe de justice qui trône au centre de la place publique se fait, par une assimilation compréhensible, le défenseur, tant symbolique que judiciaire, des intérêts de son propriétaire et des honnêtes gens fréquentant l’espace du marché. La documentation insiste sur l’osmose qui se noue entre les justiciables et leur protecteur, tous portés à voir dans le pilori un monument tutélaire et utile à tous ceux qui n’ont rien à se reprocher. Du rassemblement du groupe autour de son justicier découle le rôle préventif attribué au pilori. Il est redressé, embelli, agrandi, orné d’inscriptions comminatoires, tout autant pour inspirer doute et crainte aux mauvaises gens que pour rassurer les bons sujets. À la fin du xive siècle, la mise en scène de la force du juge débouche sur une diversification quelque peu rhétorique des usages comminatoires de l’exposition. Les justiciers, pressés d’agir par une opinion urbaine agitée par un sentiment d’insécurité croissant, annoncent à grande trompe que toutes les personnes suspectes seront attachées au pilori, sans qu’on puisse en voir l’effet. Ce que démontre avant tout cette fièvre législatrice, c’est que l’imaginaire judiciaire médiéval charge le pilori de tracer la ligne de démarcation entre la communauté et l’étranger, l’intérieur et l’extérieur du corps social.
Notes de bas de page
1 Dutour Thierry, Sous l’empire du bien…, op. cit., p. 1-15.
2 Théry Julien, « “Fama” : l’opinion publique comme preuve judiciaire. Aperçu sur la révolution médiévale de l’inquisitoire (xiie-xive siècles) », art. cité, p. 119-147.
3 Guenée Bernard, « Non Perjurabis. Serment et parjure en France sous Charles VI », Journal des savants, 1989, p. 241-257 ; Lemesle Bruno, « Le serment promis : le serment judiciaire à partir de quelques documents angevins des xie et xiie siècles », Crime, histoire et sociétés, 2002, no 6, p. 5-28.
4 Dampierre Éric de, « Thèmes pour l’étude du scandale », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 1954, no 9/3, p. 328-336.
5 « L’objet d’enquête n’est pas l’acte scandaleux mais la réponse à cet acte car c’est elle qui le constitue en scandale », Dutour Thierry, Sous l’empire du bien…, op. cit., p. 461.
6 Blic Damien de et Lemieux Cyril, « Le scandale comme épreuve », Politix, 2005, no 71, p. 367.
7 Devard Jérôme, « Des rumeurs au scandale. Étude phénoménologique de la répudiation d’Ingeburge du Danemark », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 2012, no 23, p. 397-415.
8 Lecuppre Gilles, « Le scandale : de l’exemple pervers à l’outil politique (xiiie-xve siècle) », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 2013, no 25, p. 181-191.
9 Dutour Thierry, Sous l’empire du bien…, op. cit., p. 459-462.
10 Fossier Arnaud, « Propter vitandum scandalum. Histoire d’une catégorie juridique (xiie-xve siècles) », Mélanges de l’École française de Rome – Moyen Âge, Rome, École française de Rome, 2009, no 121-2, p. 317-348.
11 Lecuppre Gilles, « Le scandale : de l’exemple pervers à l’outil politique (xiiie-xve siècle) », art. cité, p. 186. L’auteur défend l’idée que la culture chrétienne savante a le monopole de la conceptualisation du scandale, laquelle se diffuserait ensuite chez les laïques. L’auteur semble interpréter comme une filiation causale le déséquilibre de conservation documentaire entre droit savant et droit coutumier. Il nous semble qu’il s’agit d’un biais de sources.
12 ANF AA 60. Lettre jointe au Cartulaire de Laval. Broussillon Bertrand de, La maison de Laval…, op. cit., t. 3, p. 286-287.
13 Lettre de rémission de 1452 citée par Du Cange, Glossarium mediae et infimae latinitatis, op. cit., t. 10, p. 92, entrée « scandalizare ».
14 Gauvard Claude, « De grace especial »…, op. cit., p. 753 sq.
15 Dutour Thierry, Sous l’empire du bien…, op. cit., p. 462.
16 Ibid., p. 462.
17 ANF JJ 199, no 509, fo 320, lettre de rémission de février 1465 accordée à Huet Yver, sergent royal prévaricateur. Guérin Paul, Recueil des documents concernant le Poitou contenus dans les registres de la chancellerie de France, op. cit., t. 11, p. 22.
18 Mémoire de la municipalité d’Amiens rédigé en 1461, cité par Dutour Thierry, Sous l’empire du bien…, op. cit., p. 475.
19 ANF JJ 199, no 509, fo 320. Guérin Paul, Recueil des documents concernant le Poitou contenus dans les registres de la chancellerie de France, op. cit., t. 11, p. 22.
20 Gauvard Claude et Altan Gokalp, « Les conduites de bruit et leur signification à la fin du Moyen Âge : le charivari », art. cité, p. 693-704.
21 Carrier Nicolas, « Une justice pour rétablir la “concorde” : la justice de composition dans la Savoie de la fin du Moyen Âge (fin xiiie-début xvie siècle) », in Gauvard Claude (dir.), Le règlement des conflits au Moyen Âge. Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public, 31e congrès, Angers, 2000, op. cit., p. 237-257.
22 Lecuppre-Desjardin Élodie et Van Bruaene Anne-Laure, « Le bien commun en Flandre médiévale : la lutte discursive entre princes et sujets », in Lecuppre-Desjardin Élodie et Van Bruaene Anne-Laure (dir.), De Bono communi: The Discourse and Practice of the Common Good in the European City (13th-16th c.), Turnhout, Brepols, coll. « Studies in European Urban History (1100-1800) », no 22, 2010, p. 253-266.
23 Barthélemy Dominique, Nouvelle Histoire des Capétiens, 987-1214, op. cit., p. 196-197.
24 Ces règles sont extrêmement précises et contraignantes, à tel point que la malfaçon involontaire est fréquente. Voir l’exemple de l’industrie du drap : Abraham-Thisse Simonne, « La fraude dans la production des draps au Moyen Âge », art. cité, p. 431-456.
25 Ordonnance de l’échevinage d’Amiens pour la corporation des couteliers, Thierry Augustin, Recueil des monuments inédits de l’histoire du Tiers-État, op. cit., t. 1, p. 378.
26 Gauvard Claude (dir.), L’étranger au Moyen Âge. Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public, 30e congrès, Göttingen/Paris, Publications de la Sorbonne, 2000, p. 7-9.
27 Gauvard Claude, « De grace especial »…, op. cit., p. 758.
28 Rousseaux Xavier, « La récidive : invention médiévale ou symptôme de modernité ? », in Briegel Françoise et Porret Michel (dir.), Le criminel endurci : récidive et récidivistes du Moyen Âge au xxe siècle, Genève, Librairie Droz, coll. « Recherches et rencontres », no 23, 2006, p. 55-80.
29 Ce tropisme a été remarqué par les historiens des échanges commerciaux : « site habituel des joutes organisées dans le Bourg, [la place du marché de Rodez] accueillait également prostituées et joueurs de dés, et était donc le théâtre de fréquentes rixes », Petrowiste Judicaël, « L’empreinte du commerce sur le paysage urbain. Une vue figurée du Bourg de Rodez de la fin du Moyen Âge », art. cité, p. 127.
30 BNF, ms. fr. 21803, fo 166, arrêt du Parlement de Paris de 1473 qui relaie les craintes qui habitent les bourgeois de Paris. Cité par Toureille Valérie, Vol et brigandage au Moyen Âge, op. cit., p. 105-106.
31 Nom donné aux mauvaises gens dans un factum de la justice temporelle de l’archevêque de Reims, 1327. Varin Pierre, Archives administratives de la ville de Reims…, op. cit., t. 2, p. 434.
32 Soman Alfred, Gauvard Claude, Rouse Mary et Rouse Richard, « Le Châtelet de Paris au début du xve siècle d’après les fragments d’un registre d’écrous de 1412 », Bibliothèque de l’École des chartes, no 157-2, 1999, p. 590-591.
33 Toureille Valérie, Vol et brigandage au Moyen Âge, op. cit., p. 178 sq.
34 Vaivre Jean-Bernard de, « Un bibliophile bourguignon au début du xve siècle : Louis de Chantemerle, seigneur de La Clayette et ses manuscrits », art. cité, p. 317.
35 AC Abbeville, ms. 114, fo 98, Livre blanc d’Abbeville.
36 Constans Léopold, « Le pilori de Millau », art. cité, p. 481-498.
37 « Pregas n senhor// Guara q faras// enant que comences », Soutou André, « Inscriptions en langue d’oc du Rouergue », Annales du Midi : revue archéologique, historique et philologique de la France méridionale, 1972, no 84, p. 320.
38 Philippe de Beaumanoir, Les coutumes du Beauvoisis…, t. 1, p. 429.
39 Gauvard Claude, « Grâce et exécution capitale : les deux visages de la justice royale française à la fin du Moyen Âge », Bibliothèque de l’École des chartes, no 153-2, 1995, p. 275-290.
40 Christine de Pizan, The « Livre de paix », éd. Charity Cannon-Willard, La Haye, Mouton & Co, 1958, p. 95. Cité par Gauvard Claude, Condamner à mort au Moyen Âge, op. cit., p. 121-122.
41 Offenstadt Nicolas, En place publique…, op. cit., p. 140 sq.
42 Dutour Thierry, Sous l’empire du bien…, op. cit., p. 150 sq.
43 Hemptinne Thérèse de et Verhulst Adriaan, De oorkonden der graven van Vlaanderen…, op. cit., p. 360-363, art. 32.
44 Dufour Émile, La commune de Cahors au Moyen Âge : documents historiques et coutumes, Cahors, Imprimerie de J.-P. Combarieu, 1846, p. 251, art. 64.
45 Usage du pilori qu’on trouve par exemple dans le statut des « fileresses de soie » de Paris au xiiie siècle, Depping Georges Bernard, Règlements sur les arts et métiers de Paris…, op. cit., p. 378.
46 Dutour Thierry, Sous l’empire du bien…, op. cit., p. 152-153.
47 Viollet Paul, Établissements de Saint Louis, op. cit., t. 2, p. 54, art. 34.
48 Tailliar Eugène, Le livre des usaiges et anciennes coustumes de la conté de Guysnes, Saint-Omer, Typographie de Chanvin Fils, 1856, p. 41, art. 60.
49 À propos des représentations médiévales autour des crimes perpétrés de nuit : Toureille Valérie, Vol et brigandage au Moyen Âge, op. cit., p. 110-111.
50 Registre aux bans municipaux de Saint-Omer, daté de mai 1270. Giry Arthur, Histoire de la ville de Saint-Omer et de ses institutions jusqu’au xive siècle, op. cit., p. 509, art. 104.
51 « Commandemens fais le vendredi après l’éphifaine par coutume », Saint-Omer, daté de 1319. Pagart d’Hermansart Émile, Documents inédits contenus dans les archives de Saint-Omer, op. cit., p. 77, art. 47.
52 Ordonnance de police pour « la Ville de Paris, & autres Villes de la Prevosté & Vicomté d’icelle » du 27 février 1350. Ordonnances des roys de France de la troisième race, op. cit., t. 2, p. 350, art. 1.
53 Bottin Jacques et Calabi Donatella (dir.), Les Étrangers dans la ville. Minorités et espace urbain du bas Moyen Âge à l’Époque moderne, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1999, p. 1-10.
54 AD Puy-de-Dôme, B 754. Ordonnance de Jacques de Tourzel pour la police du marché dit du Pontel, à Ambert, 1481.
55 Druilhet Paul, Archives de la ville de Lectoure : coutumes, statuts et records du xiiie au xvie siècle…, op. cit., p. 63, art. 25.
56 Barckhausen Henri, Le livre des coutumes de Bordeaux, op. cit., p. 35, art. 23.
57 Foucault Michel, Surveiller et punir…, op. cit., p. 41.
58 Chiffoleau Jacques, Les justices du pape…, op. cit., p. 72.
59 Gauvard Claude, « Le peuple et l’exécution capitale au Moyen Âge », Toulouse, Association française pour l’histoire de la justice, 1990.
60 La domination coercitive s’accompagne d’un « consensus actif des dominés » associé à des formes d’intériorisation de la domination, susceptibles de donner lieu à des attitudes de légitimation. Voir Gramsci Antonio, Cahiers de prison. Cahiers 14-18, t. IV, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de philosophie », 1929-1990, p. 120.
61 Gaiffier Baudouin de, « Un thème hagiographique : le pendu miraculeusement sauvé », Revue belge d’archéologie et d’histoire de l’art, no 13, 1943, p. 123-148.
62 Gauvard Claude, Condamner à mort au Moyen Âge…, op. cit., p. 223-224.
63 Neuf mois par exemple pour le cadavre du routier Sauvage de Frémainville, pendu en 1428. Voir Beaune Colette, Journal d’un bourgeois de Paris, op. cit., p. 240-241, item 475.
64 Telliez Romain, « Per potentiam officii »…, op. cit, p. 647.
65 206 cas entre 1320 et 1507. La plus ancienne mention se trouve dans une chronique : Hellot Amédée, Chronique parisienne anonyme du xive siècle, op. cit., p. 44-45 ; la plus récente retenue est un arrêt du Parlement de Paris daté du 31 décembre 1507 : Saulcy Félicien de, Recueil de documents relatifs à l’histoire des monnaies frappées par les rois de France depuis Philippe II jusqu’à François Ier, op. cit., t. 4, p. 91.
66 Gauvard Claude, Condamner à mort au Moyen Âge…, op. cit., p. 120 sq.
67 Toureille Valérie, Vol et brigandage au Moyen Âge, op. cit., p. 10.
68 Chabaille Polycarpe, Li livres de jostice et de plet, Paris, Typographie de Firmin Didot Frères, 1850, p. 108, titre IV, « de tricherie ».
69 Guenée Bernard, Un meurtre, une société. L’assassinat du duc d’Orléans 23 novembre 1407, op. cit., p. 25 sq., « Hiérarchies ».
70 Guenée Bernard, « Non Perjurabis. Serment et parjure en France sous Charles VI », art. cité, p. 241-257.
71 Charte de la commune d’Abbeville, 1184, Thierry Augustin, Recueil des monuments inédits de l’histoire du Tiers-État, op. cit., t. 4, p. 10, art. 2.
72 Charte de la commune de Péronne, 1192, Berger Élie, Recueil des actes de Philippe Auguste, roi de France, op. cit., t. 1, p. 398.
73 Charte de Philippe Auguste confirmant celle d’Aliénor, 1195, Martin Henri, Le livre rouge de l’hôtel de ville de Saint-Quentin, op. cit., p. 6.
74 Toureille Valérie, Vol et brigandage au Moyen Âge, op. cit., p. 10 sq.
75 Charte de la commune de Villeroy en Picardie, 1211, Fossier Robert, Chartes de coutume en Picardie (xie-xiiie siècle), op. cit., p. 303.
76 Charte de loi de la commune d’Hesdin, 1215, dérivée de celle d’Abbeville, Tailliar Eugène, Recueil d’actes des xiie et xiiie siècles en langue romane wallonne du nord de la France, Douai, Adam d’Aubers, imprimeur, 1849, p. 49.
77 Giry Arthur, Les Établissements de Rouen…, op. cit., t. 2, p. 16.
78 Ramon Gustave, Coutumes, ordonnances et usages locaux de la ville de Péronne avant 1789, op. cit., p. 72.
79 Toureille Valérie, Vol et brigandage au Moyen Âge, op. cit., p. 13.
80 Chabaille Polycarpe, Li livres de jostice et de plet, op. cit., p. 297.
81 Ibid., p. 108.
82 Philippe de Beaumanoir, Les coutumes du Beauvoisis, op. cit., t. 1, p. 108.
83 Toureille Valérie, Vol et brigandage au Moyen Âge, op. cit., p. 14.
84 Grignon Louis, La justice criminelle et le bourreau à Châlons et dans quelques villes voisines, op. cit., p. 57.
85 Canas Marcel, Documents inédits pour servir à l’histoire de Bourgogne, Châlon-sur-Saône, Imprimerie de J. Dejussieu, 1863, t. 1, p. 418-420.
86 Marion du Val, condamnée le 7 février 1389 à un mois de prison et au pilori. Gilete la Large, condamnée le 7 juillet 1390 au pilori, à l’essorillement et au bannissement. Denisot Fromont, condamné le 18 mars 1391 à l’exposition puis à être « executé comme larron ». Colette la Buquette, condamnée le 26 juin 1391 au pilori et au bannissement. Duplès-Agier Henri, Registre criminel du Châtelet de Paris, op. cit. Respectivement : t. 1, p. 195-201 ; t. 1, p. 305-310 ; t. 2, p. 70 ; t. 2, p. 130.
87 Ibid., t. 1, p. 201.
88 ANF JJ 129, no 88, lettre de rémission de mars 1390 au profit du voleur des livres de la cure de Mâcon. Il devait être mis au pilori, essorillé et banni. Cité par Gauvard Claude, « De grace especial »…, op. cit., p. 888.
89 ANF X2A 3, fo 25 vo, mandement du 22 août 1335 au prévôt de Paris lui ordonnant d’exposer Jeannot de Limoges et Guillemin de Limousin, deux coupeurs de bourse parisiens.
90 Barckhausen Henri, Le livre des coutumes de Bordeaux, op. cit., p. 32, art. 17.
91 Lagarde Alphonse, Note historique sur la ville de Tonneins, op. cit., p. 126.
92 Toureille Valérie, Vol et brigandage au Moyen Âge, op. cit., p. 46.
93 Les 83 sentences pour larcin représentent 19 % des expositions connues. Elles se répartissent uniformément entre le xive et le xve siècle, sans qu’une tendance puisse s’en déduire.
94 Giry Arthur, Les Établissements de Rouen…, op. cit., t. 2, p. 16.
95 Ibid.
96 Ibid., t. 2, p. 17.
97 Coutumes de Lunel (1367), Bondurand Édouard, Les coutumes de Lunel, texte de 1367, Paris, Alphonse Picard, 1886, p. 69, art. 62.
98 Ordonnance qui définit les statuts des fourbisseurs d’Amiens, 1482. Thierry Auguste, Recueil des monuments inédits de l’histoire du Tiers-État, op. cit., t. 2, p. 392, art. 4.
99 Ordonnance qui définit le métier de poissonnier de la commune d’Amiens antérieure à 1383. Ibid., t. 2, p. 140.
100 AD Nord, B 1198, règlements de Guillaume Ier de Hainaut pour la draperie de Valenciennes. Espinas Georges et Pirenne Henri, Recueil de documents relatifs à l’histoire de l’industrie drapière en Flandre, op. cit., t. 3, p. 18, art. 5.
101 AD Puy-de-Dôme, B 754, ordonnance de Jacques de Tourzel concernant les fraudes sur les marchés de Pontel, 1481.
102 Chabaille Polycarpe, Li livres de jostice et de plet, op. cit., p. 108.
103 Ibid., p. 70.
104 Charte de la commune de Saint-Jean-d’Angeli, 1204. Les marchands de denrées « faulses et affectiées » doivent subir le pilori. Ordonnances des roys de France de la troisième race, op. cit., t. 4, p. 676, art. 8.
105 Viollet Paul, Établissements de Saint Louis…, op. cit., t. 2, p. 286-287, livre 1, art. 152.
106 Abraham-Thisse Simonne, « La fraude dans la production des draps au Moyen Âge », art. cité, p. 431-356.
107 « Statuts et établissements de la ville de Marmande », art. cité, p. 226, art. 79.
108 ANF P 1334(4), fo 131 vo. Du fait des poulaillers d’Angiers, pièce 80. Beautemps-Beaupré Charles-Jean, Coutumes et institutions de l’Anjou et du Maine, op. cit., t. 2, p. 111.
109 Affaire du 12 juin 1511, Metz, Bruneau Charles, La chronique de Philippe de Vigneulles, t. 4, p. 97-98.
110 AM Ypres Reg. Diverse Memoirien, fo 22, sentence du 23 décembre 1360 contre Michiel de Lauvwen, Stasin Ruussin, Pierre le Vroede, Jaquème de Thoroud et Willame de Seachtelweghe. Tous ont participé à un réseau de falsification de draps. Espinas Georges et Pirenne Henri, Recueil de documents relatifs à l’histoire de l’industrie drapière en Flandre, op. cit. t. 3, p. 646.
111 Affaire du 28 octobre 1389. Les deux revendeurs sont condamnés au pilori et au bannissement. Duplès-Agier Henri, Registre criminel du Châtelet de Paris, op. cit., t. 1, p. 157-164.
112 Sentence de 1480, Béthune. Win Paul de, De schandstraffen in het wereldlijk strafrecht in de zuidelijke Nederlanden, op. cit., p. 150.
113 AD Seine-Maritime, G 691. Registre aux comptes de la justice de Louviers, 1490. Vernier Jules-Joseph, Inventaire-sommaire des archives départementales antérieures à 1790 : Seine-Inférieure – Archives ecclésiastiques – Série G (1 à 1566), op. cit., t. 1, p. 212.
114 ANF X2A 16, fo 391 vo-392 vo, arrêt du 7 août 1420. Jehan Godeffroy, boulanger parisien, avait été condamné au pilori par le Châtelet de Paris. Il obtient une lettre de rémission qui est recopiée dans cet arrêt d’entérinement.
115 Fianu Kouky, « Le faussaire exposé. L’État et l’écrit dans la France du xive siècle », art. cité, p. 127-130.
116 Portal Charles, La Charte de Réalmont (Tarn, 1272), Albi, Imprimerie G.-M. Nouguiès, 1891, p. 40.
117 Philippe de Beaumanoir, Les coutumes du Beauvoisis…, op. cit., t. 1, p. 424, chap. 30, § 45.
118 Ibid., t. 1, p. 424, chap. 30, titre 46.
119 Guenée Bernard, « Non Perjurabis. Serment et parjure en France sous Charles VI », art. cité, p. 242.
120 Pour une distinction fine entre parjure, « vilain serment » et blasphème : Leveleux-Texeira Corinne, La parole interdite…, op. cit., p. 192 sq.
121 Portal Charles, La Charte de Réalmont (Tarn, 1272), op. cit., p. 40.
122 Ordonnances des roys de France de la troisième race, op. cit., t. 1, p. 100.
123 Jean Boutillier, Somme rural : ou le grand coustumier général de practique civil et canon, Paris, Barthélémy Mace, 1611, p. 173, titre 28.
124 Ibid.
125 Yver Jean, « Contribution à l’étude du développement de la compétence ducale en Normandie », Annales de Normandie, 1958, no 8, p. 140.
126 Tanon Louis, Histoire des justices des anciennes églises…, op. cit., p. 506.
127 Langlois Monique et Lanhers Yvonne, Confessions et jugements de criminels au Parlement de Paris (1319-1350), op. cit., p. 125, 145, 148, 160, 182 et 188.
128 ANF X1A 6, fo 157 vo, avril 1330. Furgeot Henri, Actes du parlement de Paris – Deuxième série – De l’an 1328 à l’an 1350, op. cit., t. 1, p. 39.
129 Langlois Monique et Lanhers Yvonne, Confessions et jugements de criminels au Parlement de Paris (1319-1350), op. cit., p. 146-147.
130 AM Dijon, B 128, fo 113, no 8. Lebel Paul, Extraits du registre de l’échevinage de Dijon pour l’année 1341-1342, op. cit., p. 3.
131 Sentence du 26 juin 1391. Duplès-Agier Henri, Registre criminel du Châtelet de Paris, op. cit., t. 2, p. 130.
132 AM Ypres, Reg. Diverse Memoirien, fo 49 vo, sentence du 18 novembre 1377. Espinas Georges et Pirenne Henri, Recueil de documents relatifs à l’histoire de l’industrie drapière en Flandre, op. cit., t. 3, p. 655.
133 ANF JJ 158, n. 202, fo 102 vo, citée par Texier Pascal, « “Offrir plus grant que son vaillant”, réparation et rémission à la fin du Moyen Âge », art. cité, p. 6.
134 AD Manche H 2027, lettre exécutoire de 1447. Dubosc François, Inventaire-sommaire des archives départementales antérieures à 1790 : Manche – Archives civiles – Série A, Saint-Lô, A. Jacqueline, imprimeur-libraire, 1865, t. 1, p. 307.
135 BNF, nouv. acq., Livre Noir de l’Évêché de Bayeux, fo 112 vo, sentence de 1439, citée par Neveux François, « Les marginaux et le clergé dans la ville et le diocèse de Bayeux aux xive et xve siècles », Cahier des Annales de Normandie, 1981, no 13, p. 33.
136 ANF X2A 13, fo 128, sentence du 27 mars 1396.
137 Saulcy Félicien de, Recueil de documents relatifs à l’histoire des monnaies frappées par les rois de France depuis Philippe II jusqu’à François Ier, op. cit., p. 175.
138 Hemptinne Thérèse de et Verhulst Adriaan, De oorkonden der graven van Vlaanderen…, op. cit., art. 32.
139 Gauvard Claude, « De grace especial »…, op. cit., p. 707 sq.
140 Hemptinne Thérèse de et Verhulst Adriaan, De oorkonden der graven van Vlaanderen…, op. cit., p. 251, art. 64.
141 AM Amiens, BB 3, fo 63 vo, février 1427, cité par Gauvard Claude, « De grace especial »…, op. cit., p. 744.
142 AD Côte-d’Or, B II 362/01, Papier rouge de l’échevinage de Dijon, fo 36, 1410. Garnier Joseph, Chartes de communes et d’affranchissement en Bourgogne, op. cit., t. 4, p. 468.
143 ANF X2A 16, fo 81 vo, août 1410, arrêt du Parlement cassant en appel le jugement des échevins d’Amiens.
144 Hamel Sébastien, La justice dans une ville du nord du Royaume de France au Moyen Âge…, op. cit., p. 28-31.
145 Chiffoleau Jacques, « Sur le crime de majesté médiéval », in Bresc Henri, Rosenberger Bernard et Veauvy Christiane (dir.), Genèse de l’État moderne en Méditerranée. Approches historique et anthropologique des pratiques et des représentations. Actes des tables rondes de Paris (24-26 septembre 1987 et 18-19 mars 1988), Rome, École française de Rome, coll. « Collection de l’École française de Rome » no 168, 1993, p. 190-192.
146 Vergentis in senium, 25 mars 1199, décrétale adressée au clergé de Viterbe. Pour une étude de ce document : Clarke Peter, « Innocent III, Canon Law and the Punishment of the Guiltless », in Frances Andrews (dir.), Pope, Church and City: Essays in Honour of Brenda M. Bolton, Aldershot, Ashgate, 2004, p. 77-97.
147 Hoareau-Dodinau Jacqueline, « Les injures au roi dans les lettres de rémission », in Congrès national des sociétés savantes, La faute, la répression et le pardon. 107e congrès national des sociétés savantes, Brest, 1982. Actes du Congrès national des sociétés savantes. Section de philologie et d’histoire jusqu’à 1610, Paris, Librairie Douin, 1984, t. 1, p. 223-240.
148 Telliez Romain, « “En grand esclandre et vitupere de nostre majesté”. L’autorité royale bafouée par le rire en France à la fin du Moyen Âge », art. cité, p. 257.
149 Telliez Romain, « Per potentiam officii »…, op. cit., p. 250.
150 ANF JJ 85, fo 46, n. 90, vidimus du 10 avril 1357 d’une lettre de rémission du 8 mai 1356. Ibid., p. 251.
151 Jean Boutillier, Somme rural, op. cit., p. 866.
152 ANF JJ 124, n. 180, lettre de rémission du 8 mars 1384. Porée Charles, « Inventaire de la collection de Chastellux », art. cité, p. 193-194.
153 Paris, 7 janvier 1391. Duplès-Agier Henri, Registre criminel du Châtelet de Paris, op. cit., t. 2, p. 20-27.
154 Fargette Séverine, « Rumeurs, propagande et opinion publique au temps de la guerre civile (1407-1420) », Le Moyen Âge, 2007, no 113, p. 321.
155 ANF JJ 174, no 336. Paris, 10 juillet 1429. Longnon Auguste, Paris pendant la domination anglaise (1420-1436)…, op. cit., p. 300.
156 Beaune Colette, Journal d’un bourgeois de Paris, op. cit., p. 261-262.
157 AD Côte-d’Or, B 2772. Prost Bernard et Prost Henri, Inventaires mobiliers et extraits des comptes des ducs de Bourgogne de la maison de Valois (1363-1477), Paris, Ernest Leroux, 1902-1913, t. 1, p. 140-141.
158 Guenée Bernard, Un meurtre, une société. L’assassinat du duc d’Orléans 23 novembre 1407, op. cit., p. 87.
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