Chapitre IV. Andrée Duplat, épouse de PG
p. 197-244
Texte intégral
Andrée Duplat au camp de Coëtquidan : 9 mai 1941-avril 1943
Survivre au camp de Coëtquidan
Chargée de famille
1Le 9 mai 1941, Andrée Duplat se trouva seule avec ses deux enfants. Elle dut apprendre à affronter l’adversité et la solitude.
Les revenus
2Comme épouse de militaire, Andrée Duplat aurait dû percevoir, par délégation, la solde de son mari. Devaient s’y ajouter les charges militaires et comme allocations familiales les allocations de mère au foyer avec salaire unique1. L’état liquidatif des droits à solde et accessoires de solde établi le 16 décembre 1946 montrait qu’elle n’avait pas bénéficié de l’ensemble de ces rémunérations2. Si elle perçut bien la solde, les charges militaires, elle ne perçut ni le supplément familial de solde, ni la majoration des charges militaires, ni les allocations familiales comme mère au foyer avec salaire unique. À ces revenus s’ajoutaient les mandats que lui envoyait régulièrement son mari. Ceux-ci contribuèrent fortement à l’amélioration du budget familial3.
Tableau 38. – Les ressources financières d’Andrée Duplat à compter d’octobre 1941.
Nature de la rémunération (octobre 1941/mai 1945) | Montant en francs |
Solde | 31 575 |
Charges militaires* | 5 805 |
Somme payée au titre de la délégation | 126 160 |
Total | 163 540 |
Mandats | 24 699 |
Total général | 188 239 |
* Pour les charges militaires (1er décembre 1940-31 mai 1945).
3Au total en additionnant les rémunérations, 163 540 francs et les mandats, 24 699 francs, Andrée Duplat pouvait tabler sur un budget mensuel moyen de 4 290 francs (cote mal taillée sur une période courant d’octobre 1941 à mai 1945 et sur la base des informations collectées). Sans l’apport des mandats de son mari elle aurait touché 3 727 francs. À titre de comparaison, la Charte du travail adoptée le 4 octobre 1941, fixait, dans son chapitre iv, un minimum vital de rémunération pour les personnes sans charge de famille ni qualification4. Celui-ci pouvait varier en fonction des lieux de travail et du coût local de la vie mais avec un seuil minimum de 900 francs mensuels. Les prix à la consommation en 1943 à Angers donnent une idée de ce dont disposait Andrée Duplat pour assurer la vie quotidienne de la famille5.
Au jour le jour
Le logement
4Andrée Duplat garda le logement de fonction de son mari. Il se situait en limite sud du camp au lieu-dit « du bois de la basse lande » dans un lotissement dont la construction venait de s’achever à la veille de la guerre. Ce lotissement comprenait plusieurs bâtiments similaires, édifiés en pierre et couverts d’ardoises. Chaque bâtiment disposait de quatre appartements avec rez-de-chaussée et étage. On y accédait par un vestibule latéral qui desservait les deux niveaux d’habitation. Ces logements étaient destinés aux sous-officiers. Gaston Duplat les avait visités en avril 1939.
« “J’ai visité un logement de sous-officier. Tout y est étudié. Au rez-de-chaussée, grande cuisine, avec évier blanc, eau courante”, faisant aussi office de salle à manger “à côté une grande pièce, au premier étage deux grandes pièces avec parquet, cabinet de toilette et WC avec chasse d’eau”. »
Photographie 51. – Élévation du pavillon S6, domicile au camp d’Andrée Duplat.

© Service du génie, camp de Coëtquidan
5À cela s’ajoutait « une cave avec cuve en ciment pour laver, un foyer pour la lessiveuse6 » et un jardin donnant sur le sud. Au total l’appartement devait faire autour d’une cinquantaine de mètres carrés7.
Photographie 52. – Plan du rez-de-chaussée du pavillon S6.

© Service du génie, camp de Coëtquidan.
Photographie 53. – Plan de l’étage du pavillon S6.

© Service du génie, camp de Coëtquidan.
6Elle conserva donc son foyer et tous les meubles du ménage. Mais l’hiver venu, elle souffrit très rapidement du froid, chaque pièce devant être chauffée. Il fallait se procurer le bois et le charbon pour la cuisinière en fonte et les foyers de cheminée. Son mari s’en inquiétait régulièrement dans son courrier :
« As-tu bien du bois de chauffage8 ? » ;
« As-tu du charbon9 ? » ;
« J’ai lu ici dans un journal que le charbon doit être distribué pour les familles ne disposant pas de gaz à raison de 50 kg par mois : le perçois-tu, sans quoi il faudrait le demander10. »
7Devant l’impossibilité de chauffer l’ensemble de l’appartement, ils envisagèrent de se replier sur le rez-de-chaussée. « Je pense que tu pourrais descendre le lit de Jacky. Il prendrait le lit de Michèle qui dormirait avec sa maman11. »
L’alimentation
8Il fallait aussi pourvoir à l’alimentation de la famille ; elle se heurta comme tout un chacun à la raréfaction progressive des produits et à l’augmentation des prix.
9Un complément alimentaire venait de la culture des légumes et de la cueillette des fruits du jardin situé derrière l’habitation. Elle reprit l’exploitation du potager qui lui procurait des produits frais et lui permettait ainsi de faire des « conserves de légumes et de fruits12 ». Elle récolta des « haricots, des pommes de terre, de scorsonères, des oignons », avec plus ou moins de bonheur. Il approuva qu’elle prenne « quelqu’un pour faire le jardin » notamment pour « retourner la terre13 ». Il lui conseilla de « faire bien cultiver le jardin au maximum14 ». Une des difficultés consistait à se procurer des semences et les graines. « Trouveras-tu les graines pour le jardin ? » ; « la question des graines doit se poser » ; « As-tu trouvé des oignons de Mulhouse15 ? » Elle envoyait une partie de ses conserves à son mari afin qu’il « goûte aussi aux fruits du jardin16 ».
Les enfants
10Il fallait bien sûr s’occuper de ses deux enfants, Michèle, âgée de deux ans et six mois et Jacques âgé de près de cinq mois au moment du départ de leur père en captivité. Elle se retrouvait seule, sans famille proche, pour prendre soin de deux petits complètement dépendants. Elle bénéficiait d’un peu plus de liberté quand ses parents lui rendaient visite et quand, à partir de début 1943, Michèle put aller « à l’école qui se faisait à Saint-Raoul17 ».
11Il avait existé « au camp une école pour les enfants de militaires et agents du camp ». « Cette école ouverte en septembre 1932, entretenue par les autorités militaires, fonctionnait au camp à l’arrivée des troupes allemandes avec une cinquantaine d’élèves dont une trentaine d’enfants de militaires ou d’employés au camp. En juin 1940, elle dut quitter le camp pour s’installer dans un local extérieur au camp, d’abord dans une salle du café l’Huissier et ensuite dans un magasin contigu à cette salle ; en janvier 1942 elle comptait environ 25 enfants, tous enfants d’employés et ouvriers civils de la localité. » Cette école posait problème compte tenu de son statut car « elle ne fait pas partie administrative de la commune de Guer » et des « frais de fonctionnement (logement, chauffage, éclairage) relevaient du service des réquisitions allemandes du département ». Le préfet et l’inspecteur d’académie plaidèrent pour la fermeture et le transfert des enfants « vers l’école de Saint-Raoul distante de 1 km où il existe deux classes vides18 ». Et puis les autorités pouvaient-elles maintenir cette activité d’éducation et de scolarisation dans un tel environnement militarisé ?
Photographie 54. – Andrée Duplat, Michèle et Jacques au camp de Coëtquidan en août 1941.

© Duplat, C. Archives familiales.
12Les responsabilités de tous ordres, alimentaires, vestimentaires, sanitaires et autres s’accumulaient et les décisions devaient être prises et assumées. Gaston Duplat apprit ainsi en avril 1942 « la décision » qu’elle avait « prise de faire baptiser les petits ». Il lui répondit : « Je ne puis qu’approuver ; cela sera mieux ainsi19. » La cérémonie devait se dérouler le 25 mai. « Demain sera une date que nous n’oublierons pas. Les enfants seront baptisés20. » Mais la petite cérémonie eut finalement lieu le 19 juillet 1942 en la paroisse de Saint-Raoul en présence des grands-parents maternels et d’un témoin très proche, M. Guillotel21. Une fois de plus, Gaston Duplat put mesurer la présence précieuse de cet homme sur lequel il savait pouvoir compter. Oncles et tantes issus des deux familles devinrent parrains et marraines. Il fut « heureux que cela soit fait22 ».
Les démarches
13Elle devait aussi se débattre avec toutes les « écritures » et courriers tant auprès des administrations civiles que de l’administration militaire23.
Solidarités
La famille
14La famille ne joua pas un rôle similaire dans cette période d’éclatement. Elle ne put compter facilement sur le soutien de sa belle-famille retirée à Croix-de-Vie en Vendée. Ses beaux-parents âgés de 73 et de 71 ans ne disposaient que de peu de ressources et s’occupaient déjà de leur fille Léonie célibataire et sans emploi. Ils percevaient en tout et pour tout la retraite des douanes du père. De plus le beau-père tomba malade. Membre d’une fratrie de huit enfants, Gaston Duplat avait déjà perdu deux de ses frères morts en bas âge et un troisième, Gabriel, décédé, de la grippe espagnole au dépôt des équipages de Lorient24, deux mois avant l’armistice de la Grande Guerre. Ce dernier reposait à la nécropole nationale de Sainte-Anne-d’Auray. Quant aux autres frères, actifs et en charge de famille, Marcel, Roger et Camille ils ne pouvaient guère lui venir en aide et ne semblèrent pas avoir développé de liens très réguliers de soutien pour le couple. Le premier, sans aucun doute le moins démuni, résidait en zone sud à Montpellier ; le second, marin pêcheur à Saint-Gilles (Vendée) vivotait. Les marins souffraient des pénuries de rogue25, de cordages, de toiles, se trouvaient soumis à des horaires de sortie en mer, à des périmètres de pêche et à des prélèvements sur leur pêche par les Allemands. Par ailleurs, il avait dû déménager sur l’ordre des autorités allemandes. En effet, avant la guerre, il occupait une petite maison dans une avenue qui menait à la mer et aux dunes de la Garenne. Avec la mise en place d’une « zone côtière interdite » et la construction de casemates tout le long du littoral, il dut quitter son domicile pour se fixer dans le bourg26. Le dernier, résidant à Rezé, dans la banlieue nantaise ne touchait que sa maigre paye d’agent de la SNCF. Elle ne reçut que de rares aides et visites et ne semblait obtenir des nouvelles que par l’intermédiaire de son mari :
« J’ai reçu une carte de Marcel. Pour eux la santé est bonne. Ils s’ennuient d’une si longue séparation et nous complimentent pour notre petit Jacques. Toutes les cartes qu’ils nous ont adressées leurs sont retournées. Il faudra que tu leur donnes, ma chérie, une nouvelle adresse et quelques nouvelles ; je ne veux pas distraire de cartes qui ne sont pas trop nombreuses pour vous27. »
Photographie 55. – Les parents, son frère Jean et les enfants au camp de Coëtquidan en mai 1942.

© Duplat, C. Archives familiales.
15Ses parents, au contraire, la soutinrent par leur venue et leur séjour auprès d’elle. Dans les temps suivant la naissance du deuxième enfant, Jacques, le 2 février 1941 et après le départ de son mari en captivité, elle fut aidée par son père. Il partagea plusieurs mois avec elle au camp de Coëtquidan et l’assista à plusieurs reprises, notamment en mai 1942 et janvier 194328. Chaque départ de son père la plongeait dans la peine. « Le grand père partant je me rends compte que vous êtes bien privés29. » « Maintenant il y a la triste solitude. Je sens à ta lettre que tu es à la peine. Le papa ne peut-il pas faire le sacrifice d’être en permanence avec toi30. » Mais le grand-père éprouvait le besoin de souffler : « Ta maman me dit que le grand-père se sentait fatigué et aspirait à retrouver sa maison31. »
Les ouvriers du génie
16En dehors de ses parents, sur qui pouvait-elle compter ? « À Bellevue, rencontres-tu de la sympathie32 ? » s’interrogeait Gaston Duplat. À de nombreuses reprises elle put savoir compter sur les ouvriers du génie avec lesquels son mari avait noué des relations cordiales entre son arrivée au camp de Coëtquidan en 1938 et son départ en captivité en juin 1941. Elle sollicita notamment Eugène Duval mais surtout Armand Guillotel ; le premier occupait un poste de plombier, le second un poste de maçon et habitait le village de Saint-Raoul. Cela passait par les gestes du quotidien. M. Duval lui procura « de la graisse pour faire du savon33 » ; il fit « souder des boîtes pour mettre un peu de beurre34 ». M. Guillotel se « débrouillait pour trouver du bois35 ». Parfois ils pouvaient participer à des moments plus familiaux. M. Guillotel devint ainsi témoin du baptême des enfants qui se déroula en l’église paroissiale de Saint-Raoul36.
Les Œuvres
17Comme partout en France les réseaux de solidarité s’organisèrent pour venir en aide aux familles de prisonniers37. Il s’agissait le plus souvent de monter des manifestations au profit des prisonniers de guerre38. Chaque organisation fournissait à l’administration municipale et préfectorale un descriptif précis de l’action à mener pour transmission aux autorités allemandes ; le Sicherheistpolizei basé à Rennes prenait in fine la décision. Ces manifestations se tenaient dans de nombreuses communes du département. Georges Bretel, président du Centre d’entraide de Vannes, s’occupa régulièrement de matinées ou de soirées de gala au théâtre municipal. Le 4 avril 1943 se tint « au profit des familles de prisonniers » un spectacle musical. Au programme, pièces de musique et airs d’opéra. On y chanta entre autres « La Prière de la Tosca de Puccini, une sélection des airs de Manon de Massenet, des extraits de La reine de Saba de Gounod » ; on y joua « Les Préludes de Rachmaninov, Le Rondo brillant de Weber, des Valses viennoises de Strauss ». Le 16 juillet 1943, Bretel convia à « une grande soirée bretonne au profit du Colis du Prisonnier sous la présidence d’honneur de Monsieur Germain, maire de Vannes ».
18La commune de Guer, dont dépendaient Saint-Raoul et le camp de Coëtquidan, disposait de son propre Comité local d’assistance aux prisonniers de guerre. Lui aussi contribuait à lever des fonds. Le 29 août 1943 un « gala de boxe » doublé d’une « quête » rapporta « 9 396 francs, déduction faite de la recette des taxes indirectes, des frais de transport des rings et dépenses de nourriture et de logements » pour les organisateurs et boxeurs. Cette somme alla « au Colis du prisonnier de la commune de Guer ». Le 5 septembre de la même année, le préfet autorisa avec « l’assentiment des autorités occupantes » l’organisation d’une « fête sportive ». À cette occasion « la souscription organisée par les enfants de Guer rapporta 11 130 francs » qui furent « versés au Comité d’assistance aux prisonniers de guerre de Guer ».
19Des prisonniers de retour des camps lançaient des initiatives, solidaires de leurs compagnons d’infortune. Ainsi « les prisonniers rentrés du Stalag XVIII C sont invités à envoyer leur adresse à leur camarade Yves Marlet, instituteur à Princé39, pour permettre l’envoi d’étiquettes qui serviraient à la confection des colis pour les nécessiteux du groupe breton du Stalag XVIII C40 ».
20Les familles de prisonniers et les prisonniers ne restaient pas insensibles à l’effort de solidarité qui se développait, qu’il vienne d’organisations reconnues ou d’initiatives individuelles. « Je suis bien heureux que tu touches pour moi quelque chose d’un comité », écrivait Gaston Duplat en octobre194241. En janvier 1944, même considération : « Je suis touché par les gestes de certaines gens de Bellevue ; leurs petits envois vous rendent bien service42. »
Rejoindre une association ?
21Au début de la guerre, les femmes de prisonniers ne possédaient pas d’organisations les fédérant. Cependant, dès novembre 1940, se constitua en zone non occupée, à Roanne, une première association intitulée « Femmes de Prisonniers » où se retrouvèrent épouses, fiancées ou sœurs de prisonniers. Il s’agissait pour ces femmes de se rencontrer, de s’entraider moralement et matériellement et de développer des liens plus directs avec les prisonniers. La multiplication d’associations entraîna la fondation, le 23 juin 1941, toujours en zone sud, à Lyon, d’une Fédération des associations de femmes de prisonniers. Cette fédération, apolitique et laïque, reçut des subventions du Secours national, de la Direction du service des PG et entra en relation avec différents organismes d’entraide ainsi qu’avec la Croix-Rouge. En zone occupée, une autre association, de sensibilité catholique, le Service des femmes de prisonniers naquit en 1941. Le 20 octobre 1944 ces deux organisations fusionnèrent et revendiquèrent 150 000 adhérentes, ce qui représentait à peu près 10 % de la population captive. Le mouvement se diffusa aussi en Afrique du nord. Une publication, Femmes de Prisonniers tirait à 130 000 exemplaires. Une autre organisation, fondée le 27 mars 1943, à l’initiative du commissaire général aux prisonniers de guerre, André Masson, l’Union des femmes de prisonniers, ne parvint pas à se développer. Andrée Duplat n’adhéra à aucune de ces associations.
Quitter le camp : « Tu es seule dans ce coin perdu où tout est hostile »
La guerre omniprésente
Des bois et des landes
22Andrée Duplat vivait difficilement cette épreuve. Aux contraintes quotidiennes rencontrées par toutes les épouses de prisonniers, elle ajoutait l’éloignement de sa famille et de sa belle-famille qui vivaient en Anjou et en Vendée. Il fallait par ailleurs accepter cette solitude dans un univers difficile : « Tu es seule dans ce coin perdu où tout est hostile43. » Le camp se trouvait éloigné de la petite ville de Guer ; le hameau de Bellevue et le village de Saint-Raoul ne présentaient guère de possibilités d’évasion. Tout autour, une campagne de bois et de landes que venaient noyer, l’hiver, les pluies et les brouillards.
Le camp dans la guerre
Une base stratégique
23Elle dut d’abord subir l’univers masculin et militarisé du camp. Selon le maire de Guer, plusieurs milliers d’hommes gravitaient autour du camp. En juillet 1943, évoquant le travail des boulangers du camp, il indiquait que ceux-ci fournissaient du pain pour « des collectivités dépassant 10 000 personnes alors que la commune de Guer ne comptait que 4 000 habitants44 ». Une grande part des 10 000 personnes appartenait aux prisonniers encore captifs, aux troupes allemandes et aux hommes employés sur le camp. En août 1941, on dénombrait encore au camp des « détenus indigènes : 313 Algériens, 120 Marocains et 18 Tunisiens y compris les détachés en Kommandos45 ». Par ailleurs les autorités d’occupation firent du camp une base aux diverses fonctions : « cantonnements pour les troupes », « foyer du soldat », accueil sanitaire, terrain « d’entraînement intensif de formations militaires46 » et « d’exécution de tirs ». La concentration d’hommes devait atteindre un certain seuil puisqu’il fallut, à plusieurs reprises entreprendre des « travaux de désinfection dans les cantonnements de l’armée allemande », notamment en 1942 et en 1944 à la libération du camp47.
24Les Allemands employaient des civils de tous les corps de métier : « Artificiers, mécaniciens et électriciens auto, chauffeurs, téléphonistes, charrons, forgerons, ajusteurs, monteurs, chaudronniers boulangers, cuisiniers et éplucheuses de légumes. » Pour l’entretien et le cantonnement, ils eurent recours à des « maçons, des menuisiers, des serruriers, des peintres, des couvreurs, des plombiers, des fonteniers, des épurateurs, des manœuvres, des matelassiers, des blanchisseuses et des femmes de ménage ». Ces civils devaient se conformer à une législation très stricte. Le 2 mai 1941, la Kommandantur avertit les populations que « toute pâture, récupération de bois, chasse sont formellement interdites sur le camp et que tout fraudeur sera fusillé ». Ils réglementèrent aussi la chasse autour du camp48.
25Ce camp constituait donc pour les Allemands un centre stratégique important de leur dispositif de défense et une base d’aguerrissement. Ainsi la Schwere Panzer Abteilung 502 dotée de nouveaux chars Tigre vint s’entraîner de mai à juin 1942 avant de partir sur le front de l’Est49. Le commandant Guillaudot50, alias « Yodi », membre du réseau « Coockle », transmettait au printemps 1943 à Londres les renseignements collectés sur l’armée allemande dans le Morbihan : ce dossier, connu sous le nom de code « panier de cerises » fut acheminé par une filière dans le département de l’Yonne. L’équipage d’un avion anglais vint prendre possession du document le 13 juillet 1943 :
« Camp de Coëtquidan, suivant les périodes troupes d’artillerie et des chars, actuellement 1 500 à 2 000 hommes d’artillerie et des chars ; il apparaît que le camp de Coëtquidan et la forêt de Paimpont abritent des réserves d’artillerie et de chars destinés à faire face aux points les plus menacés de la Bretagne51. »
Photographie 56. – Entraînement de blindés allemands au Bois du loup au camp de Coëtquidan en mai-juin 1942.

© Bundesarchiv Bild 101I-028-1609-16A.
26À une vingtaine de kilomètres du camp, à Gaël, les Allemands entretenaient un aérodrome tenu par près de 500 hommes, aviateurs et fantassins de l’air. Bombardiers « Dornier », transports de troupes « Junkers » et planeurs constituaient la flotte chargée d’intervenir notamment en cas d’ouverture d’un front Ouest52.
27Le camp constituait un enjeu important puisqu’ils envisagèrent même son extension en 1943. Il s’agissait de procéder à « l’évacuation de certains villages situés aux abords du camp sur les communes de Ploërmel, Campénéac, Augan, Beignon, Tréhorenteuc53 » pour élargir le champ de manœuvres. Cette opération affecterait « 147 familles dont plus de 100 fermes touchées54 ». Le préfet s’en offusqua auprès de l’ambassadeur de France, Secrétaire d’État, Délégué général du gouvernement français dans les territoires occupés :
« Je vous demande d’intervenir auprès des hautes autorités allemandes pour que ces mesures d’évacuation soient définitivement rapportées ou qu’un délai soit accordé aux familles. Je regrette que tous les arguments développés à la Feldkommandantur de Vannes pour que les mesures envisagées ne soient pas mises à exécution n’aient pas été prises en considération55. »
28Il obtint un report de la décision au 31 mars 1944. Il avertit les maires de ce report, leur faisant part d’une nouvelle intervention auprès du commandement militaire allemand en France tout en leur demandant de s’attendre au pire :
« Toutefois, pour le cas où l’intervention ne produirait pas d’amélioration à la situation, j’ai l’honneur de vous demander de vouloir bien dès maintenant procéder à l’élaboration d’un plan préparatoire à l’évacuation56. »
Arrestations et otages
29Andrée Duplat ne fut pas sans connaître la vague d’arrestations d’otages qui s’abattit en novembre 1941 sur les communes environnant le camp : Théorenteuc, Campénéac, Augan, Monteneuf, Porcaro, Guer, Beignon, Saint-Malo-de-Beignon, Plélan-le-Grand et Paimpont. Ces arrestations suivies d’emprisonnements à Vannes venaient consécutivement à la mort du capitaine allemand du génie Marquardt, tué le 31 octobre par de la chevrotine dans un mirador du camp de Coëtquidan lors d’une partie de chasse. Commencèrent fouilles et patrouilles menées par les Allemands et les Français. La gendarmerie française chargée de l’enquête sous les ordres du commandant Guillaudot plaida l’accident de chasse57. Les Allemands n’acceptèrent pas cette version et firent appel à la police de Rennes tout en procédant à l’arrestation de 85 otages qui furent emprisonnés à Vannes. Parmi ceux-ci, deux anciens ouvriers du génie : Jaillet Fernand, arrêté le 3 novembre, et Bonnerue Pierre arrêté le 6 novembre. 15 otages habitaient Guer. Les Allemands cherchaient des détenteurs d’armes et les auteurs de l’attentat. Le 11 novembre, les Allemands découvrirent le coupable. Les otages furent relâchés en plusieurs libérations dont Bonnerue et Jaillet le 16 novembre. Finalement André Meunier fut exécuté le 14 mars 1942, fusillé à Vannes à 34 ans.
L’angoisse et l’attente
30Andrée Duplat vivait aussi dans l’attente de nouvelles et dans l’inquiétude sur le sort de son époux. Le reverrait-elle ? Elle savait que certains ne reviendraient pas de cette captivité même si les décès ne semblaient pas élevés eu égard au nombre de prisonniers et aux conditions de détention et de travail58. Sur le canton de Guer, le nombre de prisonniers décédés entre le début de la captivité et juin 1943 atteignait cinq soldats (tableau 39).
Tableau 39. – Recensement des prisonniers décédés dans le Morbihan à la date de juin 1943.
Communes | Prisonniers de guerre décédés | Total |
Arrondissement de Vannes • Allaire • Arradon • Elven • La Gacilly • Guer Augan Beignon Guer Monteneuf Porcaro Réminiac Saint-Malo-de-Beignon • Malestroit • Mauron • Muzillac • Ploërmel • Questembert • La Roche-Bernard • Rochefort-en-Terre • Sarzeau • La Trinité-Porhoët • Vannes | 6 7 7 1 2 2 0 0 0 0 5 2 4 3 4 8 4 2 3 4 | 72 |
Arrondissement de Pontivy • Baud • Cléguer • Le Faouët • Gourin • Josselin • Locminé • Melrand • Pontivy • Rohan | 10 6 2 10 10 6 5 3 | 54 |
Arrondissement de Lorient • Auray • Belz • Carnac • Hennebont • Lorient • Le Palais • Plouay • Pluvigner • Pont-Scorff • Port-Louis | 0 8 2 6 0 6 2 7 3 | 35 |
Prisonniers de guerre décédés d’après le recensement de juin 1943 | 161 |
31Elle désespéra aussi de la libération de son mari quand arrivèrent sur le département les premiers convois en provenance d’Allemagne. Dès janvier 1942, des prisonniers des Stalags IV A, IV B, IV C, IV D, IV F, IV G, IX A, IX B, IX C, XII A, XII B, XII C rejoignirent Vannes59. Les convois se succédèrent alimentant la propagande gouvernementale et allemande ; le conseiller général du Halgouët saluait la Relève : « C’est l’appel de 1 800 000 voix françaises entendues par la France jamais insensible aux épreuves de ses enfants60. » Le maire de Lorient Gallois Montbrun y voyait « la promesse de mieux être pour les jours pénibles61 » et « son espoir de voir le millième libéré morbihannais rejoindre son foyer à Noël62 ». Les autorités allemandes exploitaient au mieux ces retours :
« Vous voici revenus d’une longue captivité en Allemagne grâce aux accords passés entre le gouvernement allemand et Pierre Laval, grâce aussi aux ouvriers qui, librement, s’en vont en Allemagne assurer ce que vous appelez la Relève. Rentrez dans vos foyers. J’espère que vous collaborerez loyalement et de toutes vos forces à la reconstruction de l’Europe nouvelle pour laquelle combattent l’Allemagne et beaucoup d’autres peuples européens qui ont pris place à ses côtés63. »
32Par les courriers qu’elle recevait, elle ne fondait pas beaucoup d’espoir sur une libération64. Un tel univers et une telle désespérance ne pouvaient que la pousser à partir.
Le départ
33Ce fut au mois de mars 1943 que la question du départ de la famille se posa. Andrée souhaitait quitter le camp. Si son mari comprenait qu’elle pouvait « passer quelques jours à Angers près [des siens] », que cela « serait un grand réconfort moral65 », il ne la voyait pas partir avec ses enfants en laissant sur Coëtquidan leurs biens :
« Le plus pénible serait d’abandonner tout, mais je ne crois pas que nous le retrouverions » ; « Si tu pars il est inutile de revenir tu pourrais regarder pour la dernière fois nos bibelots, toutes nos choses qui nous sont chères car à notre retour, il ne restera plus rien66. »
34Il préférait « une autre solution » :
« Le mieux serait que tes parents consentent à venir en permanence chez nous. Je ne crois pas à un bombardement. Ta solution, je ne la vois pas réalisable, nos petits à Angers et toi venant de temps à autre chez nous. Tu feras 10 fois, 20 fois ce déplacement et le 21e, celui qu’il faudrait, te sera impossible » ; « La deuxième solution serait pour toi de déménager complètement, mettre le mobilier en garde meuble et vous rester à Angers67. »
35Il craignait aussi des conditions de vie en ville beaucoup plus dures : « Vous serez privés de ravitaillement ; ce sera le froid68 ». Enfin, en cas de libération pourraient-ils rejoindre leur logement abandonné ?
36Gaston Duplat sut à la fin avril 1943 le départ définitif de sa femme du camp de Coëtquidan pour Angers. Il apprit avec soulagement que « la question déménagement est résolue » mais demeurait « tourmenté à vous savoir exposés au rationnement des villes qui est problématique si j’en crois les civils venus ici69 ». À partir du 24 du mois il adressa sa correspondance non plus à Bellevue mais à Angers au 43 rue Plantagenêt chez monsieur et madame Jaugey, ses beaux-parents.
37En fait il ne mesura que quelques mois plus tard la détresse dans laquelle se trouvait sa femme lorsqu’elle habitait le camp :
« Je suis malgré tout plus rassuré de te savoir près des tiens et tu as bien fait de quitter ce sale coin de Bellevue. Tu n’aurais pas dû rester seule si longtemps. Après t’avoir lue si longuement, je comprends mieux tes moments de dépression70. »
Andrée Duplat à Angers : avril 1943-3 juin 1945
Une ville sous occupation
Les Allemands dans la ville
38Les Allemands avaient pris la ville d’Angers le 19 juin 1940. Les négociations engagées entre le maire Victor Bernier (mandat de 1935 à 1945, modéré, centre droit), le préfet et le commandement allemand épargnèrent à la ville bombardements et combats. Déclarée ville ouverte, Angers vit arriver les premières troupes allemandes dans l’après-midi par la route de Paris. Le 21 juin, quasiment tout le département se trouva sous le contrôle de la Wehrmacht.
39Les Allemands firent d’Angers un centre administratif et militaire majeur symbolisé par l’installation progressive de services vitaux liés à son statut et, à partir d’avril 1941, à l’expansion de ses compétences géographiques (passage de onze à dix-sept départements notamment ceux du sud-ouest) : état-major de la Luftwaffe pour la zone Atlantique (terrain d’aviation d’Avrillé), service de renseignement de l’Abwehr relayée par le SIPO-SD (juin 1942)71, quartier général de la Kriegsmarine pour le secteur Atlantique-Manche (janvier 1943 au Château de Pignerolles), Propaganda Staffel Süd West et bien d’autres organismes de santé, de loisirs72. Les Allemands réquisitionnèrent hôtels, bâtiments scolaires (université catholique, lycées et écoles), maisons d’arrêt, hôpitaux et maisons particulières notamment dans les rues de la Préfecture, Desjardins, Paul Bert, Mirabeau, La Fontaine, Chevreul, des Arènes et Boulevard Foch. Le préfet régional, dans une correspondance datée d’octobre 1943, évoquait quelques 155 immeubles, 115 appartements et 51 locaux divers réquisitionnés73. La ville regroupa alors des centaines d’administratifs et quelques milliers de soldats allemands, entre 6 000 et 7 000 hommes.
40La ville d’Angers représentait aussi pour l’administration vichyste une place importante. En effet y siégeait le préfet régional d’Angers qui coiffait sous son autorité les préfets départementaux. Relais de l’État français et interlocuteur privilégié des Allemands, le préfet régional veillait sur les populations des départements du Maine-et-Loire, de la Loire-Inférieure, de la Sarthe, de la Mayenne et de l’Indre-et-Loire. Il s’appuyait sur un préfet délégué pour le Maine-et-Loire, les autres préfets et les sous-préfets départementaux. Jean Roussillon74, nommé préfet régional le 8 août 1940, prit ses fonctions le 16 août et les abandonna le 1er août 1943 au profit de Charles Donati en provenance de Dijon. Ce dernier occupa son poste jusqu’en août 1944. Daguerre Pierre (novembre 1941-juillet 1943), Sassier Michel (septembre 1943-février 1944) furent leurs adjoints comme préfets départementaux délégués75.
41Ces préfets exercèrent leurs responsabilités en administrateurs fidèles du régime. Le 10 août 1944, jour de la libération de la ville, le préfet Donati démissionna sous la contrainte. Michel Debré, alias Michel Jacquier, commissaire de la République pénétra le jour même dans les locaux de la préfecture et le destitua :
« Monsieur, je viens prendre, au nom du général de Gaulle, mes fonctions de Commissaire de la république. Je m’installe donc à votre place. Je vous précise qu’aucune poursuite n’est engagée à votre égard. Des hommes ont collaboré avec l’ennemi. D’autres ont servi sans collaborer. Vous êtes de ceux-ci. Vos fonctions cessent immédiatement mais vous êtes libre76. »
42Au printemps 1943 la ville d’Angers vivait le sort d’une ville en guerre, d’une ville occupée. La population subissait d’abord les contraintes imposées par l’occupant et l’administration vichyssoise : limitation à la liberté de circulation, couvre-feu, recensements de la main-d’œuvre, réquisitions, censure des journaux comme Le Petit Courrier ou L’Ouest, exercices de la Défense passive. Elle souffrait des pénuries et des restrictions qui affectaient aussi bien les produits alimentaires (lait, viande, café, sucre), énergétiques (électricité, gaz, charbon) qu’industriels (vêtements, chaussures). Il fallait composer avec la multiplicité des cartes de rationnement, la complexité des tickets de rationnement, s’accommoder de l’inflation qui rognait les salaires. Certains s’ingéniaient au troc, à la combine, à la récupération ou au marché noir. La dégradation de l’état sanitaire pesait sur les groupes les plus fragiles, populations ouvrières, personnes âgées ou enfants (mortalité infantile élevée). Les déplacements se heurtaient à des problèmes de logistique.
43Comment oublier la guerre quand, à partir de septembre 1943, les Angevins connurent les premières alertes aériennes et virent arriver de Nantes des réfugiés que le bombardement du 16 septembre avait épargnés77 ? Quand dénonciations et délations devenaient pratiques courantes ? Quand la ville connut à plusieurs reprises arrestations et déportations de juifs (juillet, septembre, octobre 1942, janvier 1944)78 ? Quand s’affrontaient l’activisme collaborationniste (propagande des Parti populaire français, Parti franciste, Groupe Collaboration) et l’activisme de la Résistance (renseignement, presse clandestine, distribution de tracts) décimée en 1943 par une série d’arrestations et de démantèlement de réseaux ?
44Une réalité que ne semblait pas percevoir le nouveau préfet délégué du Maine-et-Loire, M. Sassier qui rédigeait en septembre 1943 un premier rapport :
« La douceur angevine survit aux épreuves de la guerre mondiale. Nous sommes ici dans un pays de gens sages dont les passions ne s’exaspèrent pas facilement et je suis frappé par l’esprit de compréhension que je rencontre dans les milieux les plus divers.
Sans doute les effets lénifiants du climat angevin ne suffisent pas à expliquer cette étrange persistance du bon sens au milieu du désarroi des esprits. La guerre a, dans ce pays qui bénéficie d’une économie extrêmement favorable et d’une situation géographique favorisée, moins qu’ailleurs, resserré son étreinte et porté ses coups79. »
45Sans doute le département du Maine-et-Loire offrait-il à ses yeux une image plus flatteuse de celle du département du Nord qu’il venait de quitter mais la « douceur angevine » et « les effets lénifiants du climat » n’auraient pas dû lui faire oublier le malheur des gens.
Une nouvelle vie ?
Le logement
46Arrivée à Angers avec ses deux enfants, Andrée Duplat, née Jaugey, logea avec ses parents et son frère Jean au 43 rue Plantagenêt ; cette rue de centre-ville, à quelques pas de la place du Ralliement et de la cathédrale, partait du carrefour Rameau et descendait en pente raide jusqu’à la Maine. L’immeuble à étages datait du xviie siècle et présentait sa façade de tuffeau à l’ouest. Une double porte en partie travaillée, encadrée de commerces, donnait accès à un passage couvert qui desservait à droite et à gauche les appartements dont on gagnait les étages par deux escaliers en colimaçon, aux degrés de bois et protégés par une rampe métallique. D’autres escaliers menaient à de grandes caves voûtées. Une sortie arrière débouchait sur une rue parallèle.
Photographie 57. – Andrée Duplat et ses enfants au 43 rue Plantagenêt à Angers en 1944.

© Duplat, C. Archives familiales.
47La famille arrivée à Angers quelques années avant la guerre louait ici un appartement. Cohabitaient dans l’immeuble un monde de petits métiers et de petits patrons ou employés80. Certains tenaient boutique dans cette rue commerçante comme le marchand de couronnes mortuaires chez qui travaillait madame Jaugey mère ou le coutelier ; à proximité, la place de la République et ses halles dont le projet de restauration, rendu bien nécessaire par la dégradation de l’endroit, avorta en 1942, faute de moyens81.
Tableau 40. – Sociologie des métiers représentés au 43 rue Plantagenêt à Angers (1931-1946).
Recensement de population 1931 | Recensement de population 1936 | Recensement de population 1946 | |
Famille Jaugey | |||
Jules Jaugey : le père | Veilleur au parc d’artillerie | Veilleur au parc d’artillerie | Retraité |
Élisabeth Jaugey : la mère | Ouvrière de couronnes | ||
Andrée Jaugey : la fille | Employée contributions indirectes | Sténodactylo aux Ardoisières | |
Roger Jaugey : 1er fils | Serrurier | ||
Jean Jaugey : 2e fils | Ajusteur | ||
Autres résidents | |||
x | Expéditeur d’entreprise | Femme de ménage | |
x | Coutelier patron | ||
x | Coutelier patron | Cireur | |
x | Couronnes mortuaires patron | PTT | |
x | Balancier patron | Étudiant | |
x | Tapissier patron | Tisseuse | Tisserand |
x | Apprenti tapissier | Tailleur |
48Andrée Duplat partagea donc, à partir d’avril 1943, avec ses deux enfants, la vie de ses parents et de son frère cadet dans ce petit appartement. L’un des problèmes majeurs consistait à se procurer des combustibles pour le chauffage et la cuisine. Ainsi l’hiver 1943-1944, sans être trop dur, apporta ses journées de gelée ; le manque de charbon amena les Angevins à se tourner vers le bois :
« Tu me dis que le froid a fait son apparition à Angers. Je comprends ton angoisse devant la crise du chauffage surtout dans la maison si froide avec nos petits qui devraient être toujours au chaud ; je pensais que peut être le docteur nous ferait obtenir une distribution supplémentaire. Pour ce qui est du bois, ce serait encore une ressource si tu peux en avoir. Pour le prix ne regarde pas82. »
49L’hiver 1944-1945 fut particulièrement long et sévère : chute des températures au-dessous de zéro pouvant atteindre parfois les moins 10 oC, permanence de gel, précipitations neigeuses. La dégradation des approvisionnements en charbon, gaz, électricité et pétrole combinée à un hiver des plus rigoureux toucha durement la famille. Gaston Duplat en prit connaissance :
« Je sais qu’il est pénible de vivre moitié transi ; je ne cesse de souhaiter qu’une amélioration rapide vienne mettre un peu de bien être à la maison ; pour nous, nous ne connaissons pas cette extrémité quant au chauffage83. »
Les épreuves
50La famille Duplat-Jaugey devait composer comme la grande majorité des Angevins avec les difficultés d’approvisionnement. Les conditions climatiques (hiver rigoureux), logistiques (capacités des réseaux de transport), ou politiques (réquisitions par les Allemands) déterminaient les arrivages de produits sur la ville ; le rationnement s’imposait alors aux habitants avec la multiplication des cartes (alimentaires, tabac, jardinage, vêtement, charbon) et la variation des quantités allouées aux familles. Il fallait jongler avec le jeu complexe des tickets de rationnement.
51Ils souffrirent aussi de la cherté des produits et de l’envolée des prix que ce soit les produits alimentaires ou les produits d’habillement84. Ainsi la délégation à la famille pour la région d’Angers soulignait cette très forte inflation85.
Tableau 41. – Quelques prix à la consommation à Angers en 1943 (en francs).
Habillement | Produits alimentaires | ||
Paire de chaussures hommes | 280 | Une salade | 8 |
Ressemelage | 102 | 250 grammes de pâtes | 18,60 |
Robe pour femme | 1 500 | Un kg de viande | 63 |
Pull-over adolescent | 300 | Une livre de poissons | 40 |
Robe pour fillettes | 250 | 300 grammes de beurre | 75 |
Tableau 42. – Croissance des prix entre 1939 et le printemps 1944 à Angers (étude menée par la Délégation à la famille pour la région d’Angers).
Produits alimentaires | Habillement | Combustibles | |||
Pain | 45 % | Costume homme | 130 % | Charbon | 220 % |
Pomme de terre | 650 % | Robe dame | 650 % | Bois | 340 % |
Sucre | 200 % | Robe enfant | 650 % | ||
Beurre | 230 % | Tablier enfant | 300 % | ||
Œufs | 450 % | Galoches enfant | 325 % | ||
Viande | 250 % | Ressemelage | 375 % | ||
Lait | 150 % | ||||
Vin | 220 % | ||||
Fromage | 130 % |
52Pourtant les autorités françaises tentaient de contrôler l’évolution des prix. Le service général du contrôle économique dressait régulièrement une liste des produits à prix taxés que devaient respecter les commerçants.
Tableau 43. – Prix taxés à Angers pour la campagne 1943-1944 (recueil des actes administratifs, Préfecture du Maine-et-Loire, 11 novembre 1943).
Produits | Prix taxés en francs (kg ou l) |
Huile de colza | 50 |
Huile de tournesol | 88 |
Haricots flageolets | 15,90 |
Haricots lingots blancs | 14,70 |
Lentilles vertes | 19,6 |
Pommes de terre (ordinaires) | 2,6 |
Raisin Muscat noir (Maine-et-Loire) | 15,2 |
Viande bovine ruban bleu | 33,3 |
Viande ovine ruban bleu | 44,7 |
Vin 11 oC rouge | 8,95 |
Vin blanc 11 oC blanc | 9,45 |
53Non seulement les autorités ne parvenaient guère à juguler cherté et inflation, mais elles se trouvaient confrontées au marché noir que ne manquaient pas d’exploiter les opportunistes en ne respectant pas les prix taxés, en détournant les produits des circuits officiels, voire en dérobant les biens dans les stocks86. Les services du Contrôle économique de la préfecture menaient des enquêtes débouchant parfois pour les contrevenants sur de fortes amendes, voire à des inculpations. Plusieurs affaires affectèrent directement les prisonniers de guerre victimes de vols dans les dépôts destinés à la confection de leurs colis87. Certains produits atteignaient au marché noir des prix extraordinaires : huit fois plus pour le sucre, quatorze fois plus pour l’huile, quarante-huit fois plus pour le café88.
Tableau 44. – Prix taxés et prix au marché noir (Le Petit Courrier du 9 avril 1943).
Produits | Prix taxés (franc) | Prix au marché noir |
Pain | 3,9 au kg | 20 |
Farine | 5 au kg | 15 |
Beurre | 63,90 au kg | 100 |
Œufs | 28,70 à la douzaine | 100 |
Pommes de terre | 2,5 au kg | 5 |
Haricots | 14,7 au kg | 50 |
Carré de veau | 23,9 au kg | 80 |
Gigot de mouton | 35 au kg | 150 |
Poulets | 100 à 150 la pièce | 200 à 300 |
Lapin | 32 au kg | 50 |
Lait | 3,25 au litre | 10 |
Café | 31,4 au kg | 1 500 |
Sucre | 12,5 au kg | 100 |
Huile | 21 au litre | 300 |
Vin rouge | 6,8 au litre | 30 |
54Ces conditions touchaient la famille. Andrée Duplat parlait de la « difficulté pour le ravitaillement89 », qu’elle avait « beaucoup à lutter », « qu’ils subissaient des privations de toutes sortes90 », que ses parents « tiraient sur la corde pour joindre les deux bouts91 ». Il fallait rogner sur tout et valoriser tout ce qui pouvait l’être. Ainsi pour les vêtements, Andrée Duplat transformait de vieux effets : « Je t’avais proposé une grande capote pour te faire un manteau. L’as-tu utilisée92 ? » « Je ne doute pas qu’il te faut utiliser tous les anciens vêtements susceptibles d’être transformés93. » Elle utilisait les rations de tabac pour obtenir en échange quelques produits. Ainsi les petites annonces de l’Intérêt public de Cholet proposaient, en échange de tabac, des « copeaux, de la tourbe, du fumier, un poste de TSF, un fer à repasser, un arrosoir ». Elle pratiquait ainsi le troc à l’image de ses semblables. En mai 1944, toujours à Cholet, un paquet de tabac pouvait s’échanger contre 4 kg de pain94. Et pourtant, manifestement, elle ne disait pas tout, au risque de se le faire reprocher : « Tu me parles un peu du coût de la vie, cela me fait plaisir mais j’aimerais mieux plus de détails95. » Plus claire encore cette remarque : « Je veux cependant te gronder pour m’avoir caché ta situation matérielle96. » En fait chacun dissimulait probablement une part de la vérité pour ne pas imposer à l’autre des sacrifices supplémentaires.
Les autres
55Si cette nouvelle vie rompait avec la solitude du camp, elle imposait promiscuité et travail. Andrée Duplat dut composer avec cette famille élargie dont elle assurait une partie des charges. En retrouvant ses parents, elle retrouva son papa qui « était occupé », sa maman qui « avait son occupation aussi toute la semaine » et son frère cadet, Jean, jusqu’à son départ pour l’Allemagne97. Et puis il fallait s’occuper des deux enfants qui nécessitaient encore beaucoup d’attention et occasionnaient soucis et inquiétudes (« que les petits sont diables98 »). Tout ceci entamait courage et moral quand il fallait à la fois assurer l’approvisionnement de la « maisonnée en labeur99 », veiller à la santé de chacun, se démener dans les démarches administratives et maintenir le lien avec son mari prisonnier.
56Pourtant elle mena sans doute une vie moins dure qu’au camp de Coëtquidan. Elle retrouva à Angers d’anciennes compagnes de travail100, des camarades de son mari prisonnier et reprit un peu goût à la vie. Gaston Duplat l’espérait : « Maintenant que tu es à Angers, tu vas pouvoir disposer de plus de temps pour ta toilette101. » Il l’encourageait dans ce sens : « Tu me dis redevenir coquette. Cela me fait plaisir car je vois que tu luttes victorieusement102. » Elle redécouvrit les promenades dans le Mail, beau jardin public sis en face de l’Hôtel de ville.
L’encadrement des familles de prisonniers
Les structures
57La perspective d’une guerre longue amena les autorités françaises à développer un certain nombre de services pour les prisonniers et leurs familles. Cette organisation se déclinait à tous les échelons de la hiérarchie administrative, de l’échelon ministériel à l’échelon départemental. Chaque famille de prisonnier se trouva, directement ou indirectement, liée à ces organismes.
Le Comité départemental des prisonniers de guerre
58À Angers le Comité départemental des prisonniers de guerre fut créé le 3 septembre 1942. Cette création répondait à la demande de la lettre circulaire qu’adressa le 22 juin 1942 le ministre de l’Intérieur au préfet du Maine-et-Loire. Le préfet ou son représentant présidait le Comité. L’assistaient comme vice-présidents l’Inspecteur régional du Commissariat, le délégué du Secrétariat à la guerre et le commissaire général à la libération et au reclassement. Le maire, les représentants des organisations du travail (office du travail, inspection du travail), de la propagande, des œuvres (Secours national, Comité d’assistance, Croix-Rouge, Comités des Centres d’entraide) et quelques représentants de la population (un caissier, un avoué, un maître verrier, un secrétaire, un polisseur) animaient le comité qui se réunissait en moyenne une fois par mois103. Le Comité coiffait l’ensemble des institutions mises en place au service des prisonniers. Ses statuts fondateurs ne laissaient planer aucune ambiguïté quant à ses responsabilités :
« – Coordonner tous les services publics et privés s’occupant des prisonniers de guerre.
– Accueillir les prisonniers et faciliter leur reclassement.
– Veiller à ce que les familles soient soutenues par une entraide effective des populations.
– Veiller à ce que les prisonniers de guerre en captivité soient assistés moralement et matériellement.
– Contrôler les services rendus par la Maison du prisonnier ; en faciliter le fonctionnement104. »
59Le Comité départemental, structuré autour de plusieurs commissions, jouait donc un rôle charnière entre les différentes parties prenantes : prisonniers et familles ; réseaux privés de solidarité, institutions publiques de soutien. En fait, ce Comité participait au contrôle et à l’encadrement de toutes les questions afférentes aux prisonniers. La composition même du Comité reflétait l’imbrication et la concentration du pouvoir aux mains des autorités.
La Maison du prisonnier
60Une deuxième institution devait jouer un rôle primordial pour les prisonniers et leur famille : la Maison du prisonnier105.
61Les premiers prisonniers rapatriés à Angers disposaient depuis septembre 1942 d’une Maison du prisonnier. Cette Maison assurait les formalités de rapatriement et préparait au mieux le retour des prisonniers dans les foyers et leur réadaptation à la vie sociale. Le commissaire général aux Prisonniers de guerre, Maurice Pinot en poste de 1940 à janvier 1943, présentait ainsi aux prisonniers cette institution dans une brochure de propagande :
« Depuis votre retour, sans doute avez-vous été aux prises avec des difficultés de la vie nouvelle et regardez-vous parfois avec inquiétude votre avenir.
Pour vous aider et vous permettre de vous adapter plus facilement aux conditions de la vie nouvelle la Maison du prisonnier de votre région qui a été créée pour vous et dont vous venez d’apprendre l’ouverture veut se mettre à votre disposition. Vous y recevrez l’accueil le plus cordial et le plus affectueux d’anciens prisonniers comme vous qui sont passés par les mêmes souffrances, les mêmes espoirs et souvent les mêmes espérances.
La Maison du prisonnier s’emploiera à vous fournir du travail […] elle vous conseillera et vous aidera à régler […] toutes les questions juridiques et pratiques.
Enfin si vous voulez vous dévouer à vos camarades qui sont encore en captivité et à leurs familles, vous aurez la possibilité à la Maison du prisonnier de collaborer à l’action des CENTRES D’ENTRAIDE ouverts à tous les rapatriés106. »
Photographie 58. – Affiche de propagande à la Maison du prisonnier d’Angers.

© ADML 18 W 76.
62La Maison du prisonnier avait été inaugurée à Angers le 24 septembre 1942. Le Délégué départemental du Secours national, le colonel de Sauveboeuf, prononça à cette occasion un discours où il rappelait que « tout sera mis en œuvre pour que tous ceux qui ont tant souffert en captivité et ont offert leurs souffrances pour le pays retrouvent à leur retour une existence normale et digne dans le plus bref délai possible107 ». Deux enfants, André Dhermy « dont le papa est au Stalag IX C » et Mauricette Puiroud « dont le papa est au Stalag XII B », prononcèrent à l’occasion un compliment au préfet :
« Mes petits camarades m’ont chargé de vous recevoir au seuil de la Maison des prisonniers [sic] pour vous dire en leur nom toute la reconnaissance que nous portons à notre cher grand Maréchal […]. Nous savons avec quelle sollicitude et avec quel amour il se penche sur tous les problèmes qui intéressent le sort de prisonniers, nos malheureux papas.
Il sait la souffrance qu’endurent nos bonnes mamans en leur absence, le travail opiniâtre qu’elles doivent accomplir pour les suppléer.
Rien de ce qui les préoccupe, rien de ce qui nous intéresse ne lui échappe.
Il a voulu que cette maison soit notre maison.
Pour tout cela nous l’en remercions de tout notre cœur.
Il sait bien le Maréchal, car il sait tout, qu’il peut compter sur nous pour lui être agréable et pour lui faire plaisir. Je prends au nom de tous les enfants des Prisonniers de guerre l’engagement d’être sage et de ne pas faire de peine à nos bonnes mamans.
Nous leur demanderons du reste, quand elles écriront à nos chers papas, de leur dire que cette journée sera pour nous inoubliable.
Nous désirons qu’ils sachent, car nous sommes les témoins, qu’ils ne sont pas oubliés et qu’au contraire beaucoup de dames et de messieurs unissent leurs efforts pour nous apporter aide et assistance.
Déjà chaque jour, depuis plus de deux années, les dames de la Croix-Rouge sont à notre disposition pour la confection de colis. À ce jour nous savons que les deux permanences d’Angers ont expédié plus de 80 000 colis.
Que tous ceux et toutes celles, qui participent à ce gigantesque effort, en soient sincèrement remerciés. Et pour terminer je vous demande, Monsieur le Préfet, puisque vous représentez le Maréchal, d’accepter ce baiser, hommage de nos petits cœurs reconnaissants108. »
63Le 24 octobre 1942, le maréchal Pétain, via son secrétariat particulier saluait la création de la Maison du prisonnier d’Angers. « Il vous remercie de veiller à ce que nos prisonniers reprenant contact avec le sol natal soient accueillis comme ils le méritent, avec cordialité, et qu’ils aient l’impression que leur retour était attendu et préparé109. » Pétain se plaçait ainsi, comme pendant la Grande Guerre, comme le père protecteur de ses soldats. La Maison du prisonnier placée sous le contrôle du Commissariat général aux prisonniers de guerre rapatriés et aux familles des prisonniers de guerre110, financée par le Secours national devait choisir son directeur parmi les prisonniers déjà libérés. La lutte fut âpre entre plusieurs prétendants qui usèrent de lettres de recommandations, de pressions, de curriculum vitae « enrichis » pour obtenir le poste. Finalement le président du Secours national et le commissaire général au Reclassement des prisonniers de guerre penchèrent le 3 juin 1942 en faveur de G. Géraut :
« Je le crois susceptible de donner toute satisfaction dans ses fonctions de Directeur de la Maison du prisonnier. Il est très honorablement connu à Angers. Sa famille est au pays. Il a un frère commandant en retraite au pays qui habite Angers. Il est médaillé militaire et chevalier de la Légion d’honneur. »
64Militaire de carrière, capitaine en 1937, fait prisonnier près de Saint-Dié et détenu à l’Oflag XVIII A à Lienz (Tyrol autrichien), il avait été rapatrié le 7 août 1941. Géraut présentait donc aux yeux des autorités la carrière, l’environnement familial, les qualités morales, et l’enracinement local nécessaires pour diriger la maison chargée d’accueillir les prisonniers rapatriés. Il percevrait 3 000 francs d’appointements mensuels111.
65La Maison du prisonnier qui occupait un immeuble sis au 5 boulevard Foch, propriété de M. Auguste Durand, fut mise « gracieusement depuis plus d’un an à la disposition du Comité d’Entraide aux Prisonniers de Guerre et à la Famille du prisonnier » et « c’est là que sont confectionnés les colis destinés aux prisonniers de guerre ». Le nombre de pièces, l’emplacement en plein centre-ville imposèrent le choix de cet immeuble. Un premier bail fut signé entre M. Auguste Durand, propriétaire à Angers, demeurant boulevard Foch, et le Secours national représenté par M. Gustave Pilon, contrôleur de l’armée, pour une durée de trois ans à compter du 24 juin 1942 résiliable avec préavis de trois mois par le preneur pour un loyer annuel de 24 000 francs, en quatre termes égaux de 6 000 francs. Ce premier bail fut dénoncé le 26 janvier 1943 pour des questions juridiques :
« Le Commissariat aux Prisonniers de Guerre rapatriés assurant lui-même à partir du premier janvier 1943 la gestion et l’administration des maisons des prisonniers, c’est au nom de cet organisme que le bail devra être établi. »
66Le bail désignait une entrée particulière au rez-de-chaussée, une cage d’escalier, un appartement au premier étage composé de dix pièces avec toilettes. L’occupation nécessita d’importants travaux de restructuration supervisés par l’architecte de la ville d’Angers Mornet et d’aménagement (peinture, menuiserie, plomberie, chauffage), travaux menés à bien après études de devis. Le fléchage interne orientait vers les nombreux services : Direction et secrétariat ; Inspection régionale ; Secrétariat départemental au reclassement ; Service rural ; Secrétariat des prisonniers libérés ; Secours national ; Centre d’entraide ; Service médico-social de la Croix-Rouge française. La propagande prenait toute sa place dans le décor.
Tableau 45. – La Maison du prisonnier à Angers et la propagande de Vichy.
Lieu | Propagande |
Entrée | Inscription « Maison du Prisonnier » Décor Francisques encadrant l’inscription Écusson tôle : armes régionales |
Vitrine façade rue | Slogan « Sur l’impulsion et le contrôle du Commissariat général aux Prisonniers de guerre rapatriés et aux familles des prisonniers de guerre, sous le patronage du préfet du Maine-et-Loire et avec le concours du Secours national, la Maison du Prisonnier a été créée pour LES PRISONNIERS RAPATRIÉS ET LES FAMILLES DES PRISONNIERS » |
Salle de réception | Décor Panneau 1×60/1×60 : portrait du Maréchal encadré de chaque côté d’un groupe de sept étoiles (Draeger 301*) Slogans « Vous êtes ma première préoccupation » « Vous m’aiderez à faire une France plus forte » |
Couloir et pièces | Décor Portraits du Maréchal (Draeger 301 ; Desfossés**) Affiches Série standard de photos de camp Livres : « La vie au camp » |
* Studio fondé par un imprimeur spécialiste de l’affiche.
** Imprimeur parisien.
67Géraut fut remplacé à la Direction de la Maison du prisonnier en août 1943 par Georges Contellec. L’enquête des Renseignements généraux du 25 septembre 1943 présentait favorablement le postulant. Ce dernier dirigea la Maison du prisonnier au moins jusqu’à juillet 1944112 :
« Ex lieutenant d’active à l’école de cavalerie, prisonnier à Dunkerque le 4 juin 1940, libéré sanitaire le 12 décembre 1941, trésorier payeur du centre de libération des Prisonniers de guerre d’Angers le 20 mars 1942 ; les renseignements recueillis à son sujet sont bons et il jouit tant à Saumur qu’à Angers d’une parfaite considération. L’intéressé s’est toujours tenu à l’écart de la politique et son attitude est correcte envers le gouvernement113. »
Les solidarités
Le Secours national et les prisonniers : une Œuvre d’État
68Le Secours national, créé en août 1914, dès le début de Grande Guerre afin de soutenir les militaires et leurs familles, avait été ressuscité par un décret de Daladier du 19 octobre 1939 et placé sous la haute autorité du Maréchal Pétain114. Il détenait le monopole des appels publics à la générosité et coordonnait les actions de solidarité en faveur des victimes civiles. Cela excluait a priori les prisonniers placés sous la compétence du SDPG et des Comités d’assistance aux prisonniers. En fait, dès avril 1941, Pétain demanda que les activités du Secours national soient étendues aux familles de prisonniers. Le Secours national consacra donc une partie de ses activités aux prisonniers de guerre d’autant qu’il annexa « l’Œuvre de la famille du Prisonnier » qui fut « définitivement et complètement intégrée dans l’organisation du Secours national sous le nom de Service Prisonniers du Secours national115 ». Il venait donc en aide aux familles et aux libérés dans le besoin. Il se finançait par des subventions publiques (État et collectivités publiques), par le produit de la loterie nationale (août 1940) et diverses ventes (portrait du Maréchal, timbres et vignettes), par une ponction sur les manifestations privées et enfin par des dons ou des legs.
69Comme dans chaque département, le Secours national installa ses services en Maine-et-Loire. Le colonel François de Sauveboeuf présida le Secours national comme Délégué départemental jusqu’en mars 1943, date à laquelle il fut arrêté pour fait de résistance. En effet le colonel de Sauveboeuf participait à la lutte clandestine contre l’occupant116. Le 24 décembre 1943, le commandant Pinguet remplaça de Sauveboeuf. Recommandé par M. Ligot, délégué départemental adjoint exerçant la transition, le commandant Pinguet bénéficiait d’une bonne image car « très honorablement connu dans les milieux d’Œuvres et d’anciens combattants117 ». Après le bombardement de la Pentecôte 1944, le préfet demanda la démission de Pinguet ce qui occasionna une crise entre le Secours national et la préfecture118.
70Le Secours national mena dans le département de nombreuses actions pour venir en aide aux plus démunis119. Il organisa la solidarité par la levée de fonds et des collectes en nature et structura la redistribution : secours en espèces ou en nature, visites faites ou reçues, campagnes pour lever les fonds, mise en place d’activités et d’ateliers de soutien comme le montrait clairement le bilan de l’année 1942 présenté par ligne budgétaire.
Tableau 46. – La politique du Secours national en 1942 dans le Maine-et-Loire.
Nature | Actions |
Aide en espèces | Subventions aux Œuvres Prêts d’honneur, dépannage |
Aide en nature | Secours en nature (conserves viandes légumes pâtes chocolat) |
Aide technique | Conserverie familiale Cuisine d’entraide Ouvroirs et vestiaires Jardins ouvriers et familiaux |
Aide à la famille | Colonies de vacances Arbres de Noël Fêtes des mères Mouvements familiaux |
Aide aux déracinés | Populations évacuées Aide aux ouvriers en Allemagne Aide aux prisonniers |
71L’aide aux prisonniers reposait sur diverses campagnes qui pouvaient se succéder avec un rythme soutenu au risque parfois de tarir la solidarité ou provoquer des tensions entre les différentes œuvres120.
Tableau 47. – Quelques actions du Secours national en Maine-et-Loire en faveur des prisonniers.
Dates | Campagne | Nature de la campagne | But |
4 avril 1942 | Le Pécule du prisonnier Le Livret du prisonnier | Vente de vignettes et contributions d’entreprises | Constitution d’un pécule de 1 000 francs à remettre à chaque prisonnier à son retour |
18-25 octobre 1942 | La journée du livre pour la famille, la jeunesse et le prisonnier | Vente sur la voie publique et dans les lieux publics d’insignes ; Journée du livre pour la famille, la jeunesse, le prisonnier | Levée de fonds Envoi de livres aux prisonniers de guerre |
25 novembre 1942 | Le point du prisonnier | Remise par tout écolier d’un point textile | Envoi de vêtements |
Le Comité central d’assistance aux prisonniers : une Œuvre des prisonniers
72Un Comité central d’assistance aux prisonniers de guerre fut créé le 22 juillet 1940 à Paris sous l’égide de la Croix-Rouge et rattaché le 19 novembre 1940 à la sous-direction des Prisonniers de Guerre121. D’abord, il assista les prisonniers de la zone occupée et leurs familles, puis il s’occupa des prisonniers envoyés dans les Stalags et Oflags. Cette organisation se démultiplia en comités locaux chargés des envois collectifs dans les camps, de la transmission de documents officiels, du soutien matériel et moral aux familles. Sa responsabilité devait cesser « au moment où [les prisonniers] sont rentrés dans leurs familles, réintégrés dans leur vie professionnelle122 ».
Les Comités d’entraide aux prisonniers de guerre : une Œuvre privée ?
73En Anjou, comme dans toute la France, s’étaient constitués par village, par paroisse, par quartier, par entreprise ou administration des Comités d’entraide ou des Comités d’assistance destinés à soutenir les prisonniers de guerre et leurs familles. Pour collecter des fonds, ces comités organisaient des manifestations diverses : représentations théâtrales, galas, rencontres sportives, tombolas, vente d’insignes, vente aux enchères.
74L’organisation de ces manifestations dépendait de l’accord des autorités. Le recueil des actes administratifs de la préfecture en date du 19 mars 1943 (no 11) rappela les conditions requises pour ne pas être interdites :
la date : « par leur date, ne gêneraient pas les manifestations nationales » ;
la fréquence : « inutilement répétées dans la localité » ;
la pertinence : « appel non-conforme à l’intérêt bien compris des prisonniers et de leurs familles » ;
l’efficacité : « appel dont le rendement était insuffisant » ;
la neutralité : « la forme de manifestations d’une moralité contestable, d’opérations à but commercial ou à caractère politique123 ».
75Il fallait que les organisateurs de la manifestation fassent une demande circonstanciée (organisateur, nature, prix des places, objectifs) au moins un mois à l’avance auprès des services de la préfecture. La Commission épluchait d’ailleurs les appels publicitaires dans la presse pour voir si certaines manifestations ne se tenaient pas sans autorisation.
76Ensuite conformément à une lettre circulaire du chef du gouvernement en date du 27 octobre 1942, les recettes faisaient l’objet d’une répartition et d’un contrôle. Les organisateurs disposaient de 80 % de la recette à charge de justifier de son utilisation auprès de la Commission. Il ne fallait pas qu’elles soient détournées de leur objet ce qui arrivait parfois comme cet organisateur qui utilisa une partie des fonds pour rénover sa salle de spectacle ce qui occasionna une réponse adaptée de la préfecture. Quant aux 20 % restants ils partaient vers les caisses du « Fonds Commun départemental des Œuvres des prisonniers de guerre et leur famille ». Ces 20 % restants se ventilaient de la façon suivante : 1/5 pour la Maison du prisonnier, 2/5 au Secours national et 2/5 au Comité central d’assistance aux prisonniers de guerre. Cette répartition donnait parfois lieu à de véritables contentieux entre les comités locaux et les organes départementaux.
77Les Comités d’assistance destinaient leur aide aux familles dans le besoin, participaient à la confection et à l’envoi des colis pour les prisonniers.
La famille et la main-d’œuvre réquisitionnée
78La guerre toucha la famille par le biais de la réquisition de main-d’œuvre.
79Dès octobre 1940 des négociations se déroulèrent entre le Felfdkommandant d’Angers et le directeur de l’Office départemental de placement gratuit du Maine-et-Loire pour faire appel à une main-d’œuvre volontaire. Le service du travail allemand, sis au 15 boulevard Foch, sollicita les autorités françaises pour « l’embauchage éventuel d’ouvriers français et étrangers pour aller travailler en Allemagne ». Les premières inscriptions concernèrent « 21 hommes et 7 femmes qui occupaient les métiers d’ajusteur, métallurgiste, machiniste, lamaneur, cultivateur et corroyeuse124 ». En novembre 1940, les Allemands firent placarder en ville des affiches appelant les Angevins à aller travailler en Allemagne. Cet appel s’adressait « aux Français et aux étrangers » et à « toutes les professions ». Il énumérait tous les « avantages » liés à ce départ :
« Possibilité d’envoyer 125 RM à la famille pour les travailleurs mariés, 80 RM pour les travailleurs célibataires ; les volontaires et leur famille seraient assurés contre la maladie, bénéficieraient d’une correspondance postale, d’un congé après un certain temps, d’allers et retours gratuits. L’occasion est donnée à tous les chômeurs du département du Maine-et-Loire de trouver en Allemagne du travail et du pain aux meilleures conditions possibles de travail et de salaire125. »
80Cette propagande ne sembla pas provoquer l’afflux de main-d’œuvre escompté. Cette politique se poursuivit dans les années suivantes et s’inscrivit par la suite dans le cadre de la Relève (avril 1942). La pression allemande s’accentua à partir de novembre 1942. Le préfet, dans une circulaire datée du 16 novembre 1942, demanda aux maires du département de dresser « un recensement général des hommes de 18 à 50 ans » classés selon deux listes : « Une liste des jeunes de plus de 18 ans et moins de 21 ans ; une liste des hommes de plus de 21 ans » subdivisée en trois sous-listes : une « des célibataires, veufs sans enfant, divorcés sans enfant ; une des hommes mariés depuis plus de 2 ans sans-enfant ; une des hommes mariés depuis moins de 2 ans sans enfant ». Il s’agissait de repérer les hommes sans enfant. Par ailleurs, les maires devaient cocher, toujours selon les instructions du préfet les « noms de ceux qui pouvaient exercer des tâches de manœuvres ». Le 26 novembre le maire d’Angers fait parvenir au service de la préfecture ledit recensement (nom et prénom, état civil, année de naissance, adresse exacte, temps aux armées, profession) avec la précision suivante :
« Je n’ai aucun moyen pratique de savoir si les hommes que je vous signale appartiennent déjà à des entreprises déjà imposées par l’Inspection du travail. D’autres hommes n’ont pas été retenus en raison de la profession spécialisée qu’ils ont déclarée alors qu’ils ne sont peut-être que des manœuvres. Des vérifications s’imposeraient126. »
81Jean Jaugey, le plus jeune frère d’Andrée Duplat, fut recensé par les services de la mairie. Il exerçait alors la profession d’ajusteur. En fait il devait déjà se trouver en Allemagne après avoir signé un « contrat d’embauchage », probablement dès novembre 1942127. Le 13 décembre 1942, Gaston Duplat écrivait : « Jean est depuis trois semaines en Allemagne128. » La guerre venait d’éloigner à nouveau un membre très proche de la famille. Il dut se plier aux formalités d’usage. Un des certificats d’embauchage, en l’occurrence le no 4, qui recensait précisément l’état civil, la situation familiale, le domicile, la nature de l’emploi, le lieu de travail, l’employeur, la durée du contrat, la gare de destination, permettait à la famille de justifier de l’absence des jeunes gens. Par ailleurs, « sur la présentation de cette fiche signée par l’Office de placement allemand, les personnes à charge de l’ouvrier susnommé auront droit, à partir de son départ pour l’Allemagne, à une allocation qui sera versée par la Mairie » ; le taux des allocations variait selon la structure familiale et la taille de la commune. « Cette allocation sera versée jusqu’à réception de l’envoi d’argent par l’ouvrier et pendant douze semaines au maximum ; les sommes versées après les huit semaines devront être remboursées. Si pour une raison quelconque l’ouvrier revient en France pendant cette période le paiement de l’allocation cesse automatiquement129. »
Tableau 48. – Allocation hebdomadaire transitoire versée aux ayants droit (en francs).
Ayants droit principaux (épouse) | Toute autre personne à charge | |
Commune de plus de 15 000 hab. | 110 | 65 |
Commune de moins de 15 000 hab. | 90 | 45 |
82Une autre formalité s’imposait : l’établissement de documents autorisant la circulation entre la France et l’Allemagne. Il fallait d’abord demander un passeport de travail pour l’Allemagne. Le préfet départemental, s’appuyant sur des informations du maire, de la police ou de la gendarmerie dressait une fiche de renseignements (avec « enquête de moralité » et « d’attitude politique », « relations familiales » et « personnes susceptibles de fournir des renseignements » et détails anthropomorphiques) qu’il adressait à la préfecture de police de Paris, Bureau des passeports (2e section), administration habilitée à délivrer le document130. Il fallait aussi remplir auprès des autorités allemandes des imprimés spéciaux de police et de résidence délivrés en France jusqu’en novembre 1942 puis directement sur le lieu de travail après cette date. Tout aller-retour entre les deux pays faisait l’objet d’un contrôle de départ et d’arrivée et en cas de manquement l’appareil policier se mettait en action.
83Manifestement Jean Jaugey, jeune homme de vingt-deux ans, connut en Allemagne de pénibles conditions de travail. Il travaillait dur pour un salaire sans doute modeste. « Tu me dis un mot sur la situation pécuniaire de Jean ; de cela aussi je suis au courant et je sais qu’il ne peut guère que joindre les deux bouts131. » En décembre la situation se confirmait : « Je pense bien à ce pauvre Jean qui est bien mal partagé dans cette loterie. Lui aussi doit attendre avec impatience la fin du cauchemar. Ce qui est pénible à son âge, c’est de travailler l’estomac creux alors qu’il aurait le plus besoin132. » Enfin il devait se trouver probablement dans une région déjà touchée par les bombardements alliés : « Ce qu’a vu Jean est bien triste ; ici, nous sommes dans une région favorisée et tout ici est calme133. » Une situation bien loin des conditions vantées par les services de propagande.
Réfugiée à Champigné
Le bombardement d’Angers : la nuit du 28 et 29 mai 1944
84Si Angers connut quelques bombardements allemands en 1940, au début de la guerre, la ville se trouva épargnée dans les années suivantes et bénéficia d’une certaine quiétude par rapport à cette menace. Jusqu’en mai 1944, Angers échappa aux bombardements que les Alliés planifiaient pour désorganiser la défense allemande et affaiblir leurs capacités de résistance. Le directeur de la Défense passive rapportait le 18 février 1944 : « Pas de bombardement en Maine-et-Loire du 20 novembre 1943 au 20 janvier 1944134. » Il écrivait plus tard « Période calme jusqu’à la fin mai ». Certains pouvaient croire au peu d’intérêt stratégique que représentait la ville : rien de comparable avec les villes portuaires ou grands centres industriels de l’Ouest visées par les aviateurs anglais et américains : Saint-Nazaire, Brest, Nantes. En septembre 1943, la ville de Nantes subit deux bombardements successifs faisant près de 1 500 morts, 2 500 blessés et 10 000 sans-abris.
85Gaston Duplat pensait cela ou feignait de le croire quand il écrivait dans sa lettre du 5 mai 1944 : « J’ai de bonnes raisons d’espérer que vous ne risquez pas grand-chose à Angers à part Bessonneau et la gare135. » Le 28 mai il commença à pressentir le danger. « J’ose espérer que votre coin ne connaîtra jamais les bombardements mais je vois cependant avec terreur que vous êtes entourés et que les villes environnantes n’y échappent pas. » En fait, Angers constituait un centre administratif majeur pour les Allemands et un point de passage sur la Loire136, le seul permettant de franchir le « système Loire » en évitant la plupart de ses affluents de rive gauche.
86Dans la nuit du 28 au 29 mai 1944, soir du dimanche de Pentecôte, à la veille de minuit, les Lancaster britanniques prenaient pour cible Angers. Le commandant [X] assista au bombardement et rapporta les événements. Le préfet du Maine-et-Loire reprit ce rapport dans une lettre à Monsieur le chef du gouvernement, ministre, Secrétaire d’État à l’Intérieur le 2 juin 1944137.
Chronologie du bombardement
« Aucun indice préalable activité anglo-américaine normale plus pont de Pentecôte
11 h 40 : nuit claire, un avion survole Angers
11 h 45 : premier signal d’alarme ; avions vers le nord
11 h 50 : fusées parachutes éclairantes semblent encadrer l’objectif supposé, la gare Saint-Laud et ses dépendances
11 h 55 : premières bombes ; bombardements jusqu’à 0 h 15 puis lâchés isolés diminués de quelques avions retardataires
0 h 20 : fin du bombardement. »
Description du bombardement
« La lueur de nombreux incendies monte des quartiers de la gare tandis que de tous côtés surgissent les agents de la défense passive qui rentrent immédiatement en action dans les zones atteintes et procèdent aux premières opérations de sauvetage. Les incendies font rage dans la zone de la gare ; la caserne des pompiers située à cent mètres de la gare a été atteinte presque de suite et brûle. Les pompiers réfugiés dans la cave sont miraculeusement sauvés mais tout le matériel local, 4 autopompes et 5 000 mètres de tuyaux sont la proie des flammes. Il ne reste plus que les motopompes de la Défense passive heureusement réparties dans la ville. La dispersion du matériel avait fait l’objet, à 2 reprises d’un ordre formel donné au capitaine des sapeurs-pompiers d’Angers, ordre qui n’a pas été exécuté. Le capitaine Kerninon est donc responsable de la destruction du matériel d’incendie et j’ai dès le 29 mai prononcé l’internement de cet officier des sapeurs-pompiers. Appel se fait aussitôt aux corps des sapeurs-pompiers du département Saumur, Baugé, Ponts-de-Cé, Chemillé, Chalonnes. Les grosses conduites ont été coupées par les bombes. On est obligé de prendre l’eau très loin jusqu’à la Maine ou dans les entonnoirs des torpilles remplies de l’eau des conduites crevées. Les secours s’organisent avec le concours des équipes de la Croix-Rouge, des équipes de la Défense passive complémentaires et au petit jour toutes les victimes susceptibles d’être touchées sont relevées et hospitalisées. Ils sont gênés dans le secteur de la gare touchée par les incendies et les bombes à retardement qui risquent d’exploser. Des groupements secondaires et assez dispersés les uns des autres et de distances variables font que la zone d’arrosage représente 5 à 6 km de longueur du NO au SE et 2 km de largeur et traverse la ville : Gare Saint-Serge, Centre, Cathédrale, quartiers Brissac et Lafayette, quartier Lycée et dans la périphérie d’Angers, les Fouassières et Pruniers. »
Informations techniques et bilan
« 120 à 150 avions, altitude approximative 2 000 mètres, 700 à 800 bombes de 150 à 500 kg dont bombes à retardement et bombes incendiaires, 45 bombes non explosées, 20 à retardement non explosées.
Morts : 264
Supposés encore enfermés : 60
Blessés hospitalisés : 212
Immeubles atteints : 500 dont 150 complètement détruits, 150 inhabitables, 200 très endommagés. »
87Il serait tombé cette nuit-là sur Angers 800 bombes de différentes natures dont des charges à retardement. Ce bilan, dressé dès le 2 juin, à chaud, se trouvait sans doute en dessous de la réalité, (exception faite des décédés). En effet les estimations ultérieures précisèrent les conséquences du bombardement : 254 morts, 236 blessés, 351 immeubles détruits, 530 inhabitables et 574 endommagés138. Par ailleurs la lutte contre les incendies provoqués par les bombardements s’avéra plus que difficile. En effet la caserne des pompiers fut touchée directement par les frappes. Or elle concentrait l’essentiel des moyens de lutte contre les incendies, notamment les pompes : il fallut donc attendre l’intervention des brigades des communes voisines. Le capitaine Kerninon, chef des pompiers, fut interné dès le 29 mai, rendu responsable d’une incurie qui sans aucun doute le dépassait139.
88Les autorités locales cherchèrent aussitôt à retourner l’opinion publique contre les Alliés par la propagande qui dénonçait les bombardements, écartait la question d’un futur débarquement et promettait aux Français la sécurité dans une Europe allemande140.
Texte 6. – Tract anti-allié publié après les bombardements de mai 1944
ANGEVINS
Combien de morts peut avoir coûté cette nuit la « libération » d’Angers ?
Combien de familles françaises vont encore être anéanties avant que ces brigands entreprennent l’invasion qu’ils annoncent depuis des années ?
Qu’adviendra-t-il alors ?
Vos villes et villages seront détruits, vos compatriotes tués par milliers.
Ce sera là cette « libération » tant promise.
Celui qui croit que les assassins sont dans leur droit peut se compter parmi ceux qui sont coupables du malheur de la France.
Mais que celui qui ne veut pas assister à la destruction complète de la Patrie donne son adhésion à l’Europe qui est seule capable par son unité d’en finir une fois pour toute avec cette barbarie.
89Par ailleurs la gestion des conséquences du bombardement sur les populations entraîna une crise entre le préfet et le Comité départemental du Secours national
90Le 1er juin 1944, le préfet, dans un courrier confidentiel à M. le Président du Secours national à Paris, demanda la démission du commandant Pinguet, le délégué départemental du Secours national141. « Ses qualités ne sont pas à la hauteur de son dévouement. Le Secours national n’était pas en mesure de remplir sa mission de ravitaillement des sinistrés et des équipes de secouristes142. » Il avait obtenu la démission de Pinguet et son remplacement par son adjoint M. Paul, « à la satisfaction générale » mais cette démission, acceptée par Pinguet, ne trouva pas l’approbation du comité de direction du Secours national du Maine-et-Loire. Ce dernier considérait qu’il ne fallait pas changer de responsable en situation de crise. Cela plaçait le préfet dans une situation délicate. Il s’adressa alors aux autorités supérieures dans une lettre confidentielle adressée au secrétaire d’État à la Solidarité nationale en date du 28 juillet 1944 pour que fût « tranché entre le Secours national et moi un débat qui, se prolongeant, risque de compromettre gravement mon action sur le plan des Œuvres de solidarité143. » Il rappela dans son courrier :
« [Il avait] dû à la suite du premier bombardement inviter le délégué départemental en Maine-et-Loire du Secours national, le commandant Pinguet, à cesser son action […] qui était conduite avec si peu de bonheur que trois jours après le sinistre, ni le ravitaillement des sinistrés, ni celui des équipes de déblaiement n’était assuré et que les doléances les plus vives me parviennent de tous les côtés à la fois. Le commandant s’est incliné et par une lettre du 31 mai prié son Comité directeur d’accepter sa démission. […]. Le comité avec un entêtement inexplicable s’obstine dans sa détermination et insiste d’autant plus vivement pour que le délégué reste à son poste […]. Je demande que l’on ne m’impose pas la collaboration du titulaire et que l’on mette un terme à cette situation ambiguë144. »
Une attaque planifiée
91Ce bombardement préfigurait toute une série d’opérations dont les objectifs apparaissaient clairement à l’analyse des bombardements qui suivirent. Aux yeux des Alliés cette opération ressemblait à beaucoup d’autres. Le compte rendu fut consigné dans le registre de la base (Exning localisée dans le Suffolk) sur un ton froid et technique qui contrastait bien évidemment avec la relation faite par les victimes du bombardement145.
Texte 7. – Rapport d’opération de la RAF ; bombardement d’Angers des 28-29 mai 1944
Operation record books Headquarter no 3 group RAF Form 540 Page 7.
Place : Exning.
Date : 28/29 may.
Target : ANGERS X/Y detailed 98 Lancasters* cancelled 14, abortive 2, missing.
The operation was carried out at short time notice, take off at approximately 1 800 hours and in consequence number of aircrafts were not bombed in time.
* Bombardier de la RAF, de 4 à 10 tonnes de bombes en charge.
92Il s’agissait de paralyser les axes de communication, notamment les voies ferrées, les gares de triage, les ponts sur la Loire et enfin l’aéroport militaire d’Avrillé. L’opération « Overlord » s’accompagnait d’une attaque en profondeur des systèmes logistiques allemands. Entre le 29 mai et le 17 juin 1944 pas moins de trente-trois bombardements eurent lieu dans la région angevine. Quelques localités subirent plusieurs bombardements comme Angers, Saumur, Chalonnes-sur-Loire ou Montjean-sur-Loire. Il fallait à nouveau bombarder en cas d’échec relatif ou réel de la mission précédente146.
Tableau 49. – Les bombardements en Anjou entre le 13 mai et le 17 juin 1944.
Date | Localisation | Objectifs |
29 mai | Angers | Gares |
1er juin-2 juin | Saumur | Gare de triage |
5 juin | Montsoreau | Pont |
7 juin | Montjean-sur-Loire | Pont |
Tiercé | Trains | |
Champtoceaux | Pont | |
Vivy gare | Train | |
8 juin | Angers | Gare Maître-École, Saint-Laud triage, aérodrome Avrillé |
Briollay | Pont | |
Champtoceaux | Pont | |
Chalonnes-sur-Loire | Pont | |
Noyant | Nationale 766 | |
Beauvau | Convoi | |
Brissarthe | Départementale 173 | |
9 juin | Saumur | Tunnel ferroviaire |
10 juin | Morannes | Pont |
Chalonnes-sur-Loire | Pont | |
12 juin | Le Lion-d’Angers | Gare |
13 juin | Cheffes | Pont |
Châteauneuf | Pont | |
Lézigné Huillé | Pont | |
Corzé | Nationale 23 | |
Chalonnes-sur-Loire | Pont | |
Montjean-sur-Loire | Pont | |
Tiercé | CD 74 | |
14 juin | Étriché | Gare |
Grez-Neuville | Convoi | |
15 juin | Chalonnes | Pont |
Saint-Germain-des-Prés | Convoi | |
17 juin | Grez-Neuville | Départementale 191 |
Montreuil-Belfroy | Usines* | |
Avrillé | Terrain d’aviation |
* Il s’agit des Tréfileries et Laminoirs du Havre contrôlés par des techniciens allemands pendant l’Occupation.
Bombardements et prisonniers
93Les autorités françaises prirent conscience rapidement de l’inquiétude que pouvaient susciter chez les prisonniers de guerre la connaissance des bombardements et des enjeux qui en découlaient. Elles cherchèrent à maîtriser l’information par la presse diffusée dans les camps et à contrôler les nouvelles qui pouvaient affecter directement les prisonniers. Le préfet du Maine-et-Loire adressait dès le 5 juin 1944 une lettre circulaire aux maires :
« Devant l’intensité croissante des bombardements aériens subis par le territoire français, les prisonniers de guerre éprouvent les plus légitimes inquiétudes sur le sort de leur famille et de leur foyer.
Aussi convient-il de les tenir informés dans la mesure du possible et avec le maximum de ménagements des deuils dont ils pourraient être atteints ou des dommages que leur famille pourrait avoir subis.
Le gouvernement a estimé que d’aussi fâcheuses nouvelles ne devaient pas, pour de simples raisons psychologiques leur être apportées par des messages familiaux ordinaires mais leur être transmises par des organismes intermédiaires susceptibles d’en atténuer les effets. Monsieur l’ambassadeur de France Scapini a décidé que désormais les prisonniers de guerre recevraient des nouvelles par l’intermédiaire du service diplomatique des prisonniers de guerre qui les centraliseraient et les transmettraient ensuite aux Hommes de confiance et aux aumôniers des camps147. »
94Les maires devaient faire parvenir à la préfecture les renseignements concernant les familles de prisonniers : « Familles avec des tués, familles avec des blessés, familles sinistrées complètes, familles ayant leur maison endommagée mais restant habitable. »
95Le 11 juin, Gaston Duplat apprit la nouvelle du bombardement d’Angers : « J’ai sous les yeux le journal L’Œuvre du 30/5 et je lis que les vitraux de la cathédrale sont endommagés. Vous habitez si près que je suis dans l’angoisse. » La famille Duplat Jaugey habitait en effet au 43 de la rue Plantagenêt à proximité de la cathédrale. Cette nuit-là, des bombes atteignirent, à moins de cent mètres de la cathédrale, le siège de la gendarmerie nationale (sept morts) et détruisirent aussi le pensionnat de la Sagesse (vingt-sept morts).
96Il ignorait qu’à cette date toute la famille avait été épargnée ; elle s’était abritée dans les caves de l’immeuble et dès le lendemain, femme et enfants étaient partis pour la campagne.
Champigné
97Andrée Duplat quitta Angers le lundi 30 mai 1944 : elle voulait échapper aux bombardements et à la peur148. Elle suivait en cela beaucoup d’Angevins qui, au lendemain du bombardement fuirent la ville. Mais beaucoup ne la fuyaient que pour la nuit, revenant le jour dans la cité149. Elle se réfugia dans un petit village situé à 25 kilomètres au nord d’Angers, à la croisée des départementales Angers, Sablé-sur-Sarthe, Segré, Durtal : Champigné150. Ce petit bourg rural, de plus d’un millier d’habitants, vivait essentiellement de l’agriculture (élevage bovin, arboriculture, horticulture), d’une quarantaine d’entreprises artisanales et commerciales (hôteliers et cafetiers, épiciers et boulangers, cordonniers et bourreliers, charrons, grainetiers) et s’animait chaque année au moment des foires aux bestiaux ou des activités organisées par la paroisse ou l’amicale laïque.
98La guerre n’avait pas épargné le village. Il fallut, au début du conflit, mobiliser les hommes et organiser le travail des champs, accueillir des réfugiés venus du Nord et de Belgique, collecter pour les villes sinistrées. Les familles payèrent ensuite leur tribut à la guerre : quarante prisonniers de guerre, neuf morts dont le Comte Xavier de la Poype chef d’escadron à l’État-major de la IXe armée, mort le 18 mai 1940 et l’instituteur Marius Briant décapité à la hache à Berlin le 29 mars 1944 pour fait de résistance. Les Allemands installèrent pendant quelque temps un campement en haut de la côte du moulin.
99Andrée Duplat et ses enfants trouvèrent refuge auprès de Louis et Marie Priou ; le couple, âgé d’une cinquantaine d’années et parents de deux enfants (Claude né en 1928 et Cécile née en 1931), tenait deux commerces151. Monsieur Priou, un salon de coiffure, madame Priou un café, le Café de la Paix. Les deux activités cohabitaient à l’angle de la rue de Châteauneuf et de la place du village, à côté du bourrelier-sabotier152. Ils possédaient une solide maison à étage coiffée d’un toit mansardé, pourvue d’une cave, maison manifestement suffisamment grande pour pouvoir héberger des visiteurs. On accédait au rez-de-chaussée par quelques degrés de pierre. Des fresques, attribuées au peintre Henri Lebasque décoraient la façade du café153. Andrée Duplat logea à l’étage au-dessus du salon de coiffure. Les Priou l’accueillirent comme ils accueillirent au début de la guerre des réfugiés belges puis plus tard, une autre famille angevine154. Andrée Duplat inscrivit les enfants à l’école mais souffrait une fois encore de ce déracinement : « Je te comprends quand tu me dis que c’est dur de ne pas avoir de chez soi. »
Photographie 59. – La Maison Priou à Champigné, Maine-et-Loire, rue de Châteauneuf.

© Duplat, C. Archives familiales.
100Gaston Duplat n’apprit que le 6 juillet le départ de sa femme vers Champigné.
« Tu devines mon cœur gros de vous savoir courir les routes sans jamais trouver un coin intime. Je devine bien ton affolement après de si durs moments. Aussi je t’approuve d’être partie. Certes tu vas te trouver dans un dénuement complet. Je souhaite que les gens qui t’abritent seront gentils pour vous et que la bonne impression qu’ils t’ont faite sera par la suite confirmée ; je suis plus tranquille de vous savoir à la campagne où vous trouverez sans aucun doute à mieux vous nourrir. Je suis donc complètement rassuré et le manque de confort est une bien petite chose à côté de la vie155. »
101Il approuvait donc son départ et espérait qu’elle resterait jusqu’à la fin des hostilités :
« Tu me dis qu’Angers est susceptible de devenir ville sanitaire. Même dans ce cas, je ne te conseille pas d’y retourner si tu peux vivre dans ton petit coin tranquille156. »
102Son épouse resta à Champigné jusqu’à la libération d’Angers. Début août 1944, les Allemands commencèrent à évacuer leurs services devant l’avancée de la 5e division d’infanterie américaine commandée par Patton. Le 8 août, les troupes américaines atteignirent la Maine à Pruniers, s’engagèrent dans des combats à Sainte-Gemmes-sur-Loire et Avrillé et, appuyées par les FFI, délivrèrent la ville le 10. Le premier septembre 1944, l’ensemble du département était libéré157.
103Dans un courrier triplement daté du 9, du 10 et du 14 août 1944, Andrée Duplat narra à son mari la libération de Champigné et d’Angers :
« 9 août 1944. Ce matin, vers midi (ancienne heure allemande) les premiers Américains sont passés à Champigné. Ils ont été reçus avec des fleurs, du vin, des fruits. Enfin nous avons revu des uniformes kakis, nous espérons que bientôt nous reverrons les nôtres ce sera alors seulement que je pourrai être heureuse, le jour de ton retour, mon petit que j’attends depuis si longtemps. Hier, à la même heure, commençait l’état de siège, portes et volets clos, défense de circuler. Nous avons ainsi passé quelques heures entendant à quelques kilomètres d’ici le canon et la fusillade. La rencontre a eu lieu à l’endroit dit “les Quatre routes”, direction Sablé. Cela a duré quelques heures. À la soirée, les gens guettant derrière les volets ont vu les derniers soldats partir, alors nous nous sommes enhardis à sortir et gagner chacun nos domiciles respectifs. Aujourd’hui, après le passage des Américains, il a fait chaud et le vin d’Anjou a coulé, trop peut-être. Il y aura des règlements de compte. Parfois, on n’est pas fier d’être Français. Que peuvent penser de nous les étrangers. Je ne sais rien d’Angers. On dit que l’on se bat dans les rues. J’attends anxieusement des nouvelles. Pour nous-mêmes, je ne suis pas trop rassurée. On dit que les SS sont encore à Feneu à 6 km.
10 août : Toute la nuit les avions ont passé et ont bombardé probablement sur Angers. Hier soir on m’apprenait que l’on se battait dans les rues d’Angers. Était-ce un bobard mais les bombes et les coups de canon de cette nuit semblent indiquer que cela dure. Je suis angoissée pour mes parents. Enfin on vient de m’apprendre que le combat a pris fin ce matin à 6 h 1/2. C’est bien l’heure où l’accalmie est revenue. J’attends anxieusement des nouvelles. La prise d’Angers nous préserve d’un retour. Les avions rodent toujours. Le Mans est pris le 9/8, ils sont à 130 km de Paris.
14 août : J’ai eu ce soir, par Paulette, des nouvelles d’Angers. Tout s’est bien passé pour eux158. »
104Elle ne donnait aucune information sur les membres de sa famille. Se trouvaient-ils à Angers ? Évacués à l’extérieur ? Toujours est-il qu’ils se retrouvèrent tous sains et saufs à la libération de la ville.
Angers libérée
Un vent de liberté et de changement
105La libération de la ville par les Américains entraîna immédiatement un certain nombre de changements majeurs. Si le maire resta en place jusqu’aux élections municipales des 29 avril et 13 mai 1945, le préfet Donati dut céder son poste au représentant du général de Gaulle, Michel Debré, alias Michel Jacquier. Ce dernier destitua le haut fonctionnaire de Vichy dès le 10 août et prit les fonctions de commissaire de la République159. Il prit alors en charge les responsabilités politiques et administratives du département. Il s’appuya par ailleurs sur un nouveau préfet, le préfet de la Libération Michel Fourré-Cormeray. Le Petit Courrier, quotidien au service de la Collaboration, cessa toute publication dès le 11 août et son rédacteur en chef fut condamné quelques mois plus tard par les tribunaux de l’épuration à 20 ans de travaux forcés, à la confiscation de ses biens et à l’indignité nationale. Lui succéda dès le lendemain un nouveau titre, Le Courrier de l’Ouest, qui finit par atteindre le tirage notable de 100 000 exemplaires. Les symboles de Vichy et de l’occupant disparurent du paysage urbain : portraits, panneaux indicateurs et noms de rue dédiés à Vichy. Des actes de pillage notamment dans des bâtiments délaissés par les Allemands, des règlements de compte et quelques opérations d’épuration sauvage laissèrent la place à l’épuration légale. Au 31 janvier 1946, la cour de Justice du Maine-et-Loire, ayant traité 349 dossiers, avait prononcé 31 condamnations à mort dont 17 par contumace160.
106Les habitants célébrèrent très vite la liberté retrouvée. À plusieurs reprises ils saisirent l’occasion d’organiser commémorations et cérémonies, manifestant ainsi leur attachement à la France et au gouvernement provisoire. Les Angevins célébrèrent le 11 novembre 1944 la commémoration de l’armistice de la Grande Guerre, puis le 3 décembre la libération de l’Alsace-Lorraine. Le 14 janvier 1945 ils acclamèrent la venue de de Gaulle et son discours au balcon de l’Hôtel de ville. Ce dernier en appelait à la réconciliation nationale :
« Nous voulons que la France groupe autour d’elle tous ses enfants, tous ses fils et toutes ses filles afin d’être mieux servie et d’être mieux aimée. Nous ne faisons d’exception pour personne du moment qu’il s’agit d’hommes et de femmes de bonne volonté, c’est-à-dire de l’immense majorité des Français et des Françaises. Les bons Français, les bonnes Françaises n’ont jamais pensé à autre chose qu’au bien et à la grandeur de la Patrie, même quand les événements ont pu faire que tel ou tel s’est égaré sur l’abominable route. Oui, c’est un rassemblement des Français qu’il faut à la France aujourd’hui. Je sais que c’est l’avis de la cité d’Angers car je vous ai vus et entendus tout à l’heure, tous et toutes. Qui que vous soyez, les uns et les autres, dans vos yeux et dans votre voix, je voyais la même lumière et j’entendais le même écho. Allons, tous ensemble, chantons notre Marseillaise. »
107Les 7 et 8 mai 1945 la capitulation des armées allemandes à Reims et à Berlin provoqua la liesse populaire. Chaque fois, les Angevins firent sonner les cloches et hurler les sirènes, se rassemblèrent par milliers et défilèrent. Ils apprirent aussi à retrouver le chemin du Mail pour y assister à des concerts, à regagner les salles de cinémas où se jouaient Les Lanciers du Bengale, Trois de Saint-Cyr, La Ruée vers l’or ou les Mystères de Paris.
108Enfin, ils purent goûter à nouveau à la démocratie en s’exprimant dans les urnes lors des élections municipales du printemps 1945, dont les deux tours encadrèrent la signature de la capitulation des Allemands161. Pour la première fois dans l’histoire de la République, les femmes votèrent et entrèrent au conseil municipal : trente-six conseillers municipaux élus dont trois femmes. Le socialiste Auguste Allonneau devint maire, premier maire de gauche dans une ville votant traditionnellement à droite.
Mais toujours les difficultés
109La libération de la ville soulagea les populations de l’Occupation mais ne mit pas fin à ses difficultés quotidiennes. Le commissaire de la République Michel Debré prit rapidement la mesure de cette situation. Le 11 novembre 1944 il s’adressa aux agriculteurs dans le « Bulletin officiel du commissariat régional de la République162 » :
« Il nous faut par nos propres moyens mettre fin à l’effroyable sous-alimentation qui règne dans les villes et qui ruine notre race. Aujourd’hui il ne peut malheureusement pas encore être question d’augmenter considérablement la quantité et la qualité de notre production. Il ne peut donc s’agir que d’un effort extrême pour donner à la population ce qu’il lui faut pour vivre. Pas une denrée alimentaire ne doit être détournée de sa destination. Pas une denrée alimentaire ne doit être soustraite au ravitaillement. Paysans, refusez-vous au marché noir. Par un dernier effort, nourrissez la population affamée. La France attend dans une grande mesure de votre attitude loyale l’apaisement de ses souffrances et par conséquent le maintien de la paix sociale163. »
110Lucide, Michel Debré constatait la dégradation du ravitaillement et en appelait au patriotisme et à la solidarité des paysans. Les Angevins souffraient en effet toujours des pénuries : manque d’eau dans les premiers jours de la libération, manque de combustibles (bois, charbon), d’électricité et de gaz notamment pendant l’hiver 1944-1945 où les températures descendirent souvent en dessous de zéro et où il neigea souvent. Le ravitaillement alimentaire posait toujours problème. À l’exception du pain, les produits de base (sucre, beurre, pommes de terre, huile, pâtes) manquaient ; même chose pour le savon. Ces pénuries nourrissaient une sévère inflation et créaient les conditions du maintien d’un marché noir que dénonçait Michel Debré. Les dernières opérations militaires entraînèrent aussi la destruction et la paralysie des moyens de transport. Les ponts coupés sur la Loire, les bombardements des infrastructures ferroviaires, la pénurie d’essence, tout contribuait à la difficulté de circulation. Ainsi pour Andrée Duplat et sa famille les conditions d’existence demeuraient très dures.
Notes de bas de page
1 Hesse Jean-Philippe et Le Crom Jean-Pierre, La protection sociale sous le régime de Vichy, PUR, 2007.
2 Voir tableau no 59.
3 Voir p. 254.
4 Attributions corporatives générales, article 54.
5 Voir p. 219.
6 Lettre du 12 avril 1939.
7 Plans conservés au service du génie, camp de Coëtquidan.
8 Lettre du 16 octobre 1941.
9 Lettre du 14 décembre 1941.
10 Lettre du 17 mai 1942.
11 Lettre du 23 novembre 1941.
12 Lettre du 12 avril 1942 ; pendant la guerre chacun essaya de se lancer au mieux dans les cultures potagères.
13 Lettre du 13 septembre 1941.
14 Lettre du 22 mars 1942.
15 Lettre du 23 novembre 1941, du 19 avril 1942, du 29 novembre 1942.
16 Lettre du 25 janvier 1942.
17 Lettre du 7 mars 1943 ; Saint-Raoul, petit village à proximité du camp, disposait d’une école.
18 ADM 7 W 4884, Cabinet du préfet, dommages de guerre, lettre de l’intendant stagiaire Béthoux au préfet le 8 janvier 1941 ; lettre du préfet à l’Inspecteur d’académie le 29 janvier 1942 (liasse reclassée depuis consultation).
19 Lettre du 5 avril 1942.
20 Lettre du 24 mai 1942.
21 Actes de baptême no 7 et no 8 du registre paroissial de Saint-Raoul (Morbihan).
22 Lettre du 26 juillet 1942.
23 Voir p. 163.
24 Voir p. 17.
25 Rogue : appât à base d’œufs de morue utilisé pour la pêche à la sardine.
26 Nocquet Gérard, La Vendée de l’occupation à la libération, Recherches vendéennes no 3, 1996, Société d’Émulation de la Vendée, Centre vendéen de recherches historiques.
27 Lettre du 13 juillet 1941.
28 Lettre du 24 mai 1942 et lettre du 11 janvier 1943.
29 Lettre du 20 septembre 1942.
30 Lettre du 8 février 1942.
31 Lettre du 4 octobre 1942.
32 Lettre du 26 novembre 1941.
33 Lettre du 10 septembre 1941.
34 Lettre du 13 juillet 1941.
35 Ibid.
36 Registre paroissial de Saint-Raoul, actes de baptême.
37 ADM 19 W 365.
38 Voir p. 143.
39 Commune d’Ille-et-Vilaine.
40 L’Ouest Éclair du 16 avril 1943, BnF.
41 Lettre du 24 octobre 1942.
42 Lettre du 9 janvier 1944.
43 Lettre du 12 avril 1942.
44 ADM 18 W 186, Lettre du maire le 21 juillet 1943.
45 ADM 18 W 186.
46 ADM 7W 4884, le 17 novembre 1942.
47 ADM 7W 4884, Le chef de la Libération à Bannières, chef du bureau de liaison du camp le 10 juillet 1944.
48 Peter René, op. cit.
49 Engagée en septembre 1942 dans le secteur de Leningrad, elle connaît des revers initiaux.
50 Guillaudot Maurice (1893-1979) officier de gendarmerie ; refuse en juin 1941 à Rennes de charger la foule qui veut honorer les morts du bombardement du 17 juin 1940 ; muté le 19 juin 1941 à Vannes comme commandant de compagnie du Morbihan ; organisateur de filières d’évasion, de collecte d’armes, de collecte de renseignements ; arrêté par la Gestapo le 10 décembre 1943 ; déporté à Neuengamme le 31 juillet 1944 ; libéré en mai 1945.
51 Leroux René, Le Morbihan en guerre, 1939-1945. Imprimerie de la manutention, Mayenne, 1978.
52 Peter René, op. cit.
53 ADM 7W 4884, Lettre du préfet le 17 janvier 1944.
54 Ibid.
55 Ibid.
56 Ibid.
57 Rappelons l’engagement du commandant Guillaudot dans la Résistance ce qui explique la thèse de « l’accident ».
58 ADM 18 W 344, Recensement des prisonniers de guerre décédés juin 1943.
59 L’Ouest-Éclair, Vannes, le 22 janvier 1942.
60 Le Nouvelliste de Bretagne, le 29 octobre 1942, Vannes.
61 Ibid.
62 Le Phare, le 26 décembre 1942.
63 Le Phare, 14 août 1942, Discours d’un officier allemand.
64 Voir p. 163.
65 Lettre du 7 mars 1943.
66 Journal de captivité de Gaston Duplat, le 22 mars 1943.
67 Lettre du 28 mars 1943.
68 Journal de captivité de Gaston Duplat, le 3 avril 1943.
69 Lettre du 18 avril 1943.
70 Lettre du 22 décembre 1943.
71 Services de sécurité.
72 Bergère Marc, Marais Jean-Luc, Le Maine-et-Loire aux xixe et xxe siècles, Picard, 2009.
73 ADML 18 W 132 ; Lavaud Édouard, Angers occupée. Les formes de l’occupation allemande, 19 juin 1940-10 août 1944, mémoire de maîtrise, Angers, 1998.
74 Le Moigne Frédéric, La Préfecture régionale d’Angers de 1941 à 1944, mémoire de maîtrise, Angers.
75 Marais Jean-Luc, Les préfets de Maine-et-Loire, PUR, 2000.
76 Mémoires de Michel Debré, texte cité par Marchand Raymond, Le temps des restrictions, la vie des Angevins sous l’occupation, Cheminements, 2004, p. 462.
77 Le bombardement de Nantes du 16 septembre 1943 fit plus de 1 000 morts.
78 Jacobzone Alain, L’éradication tranquille. Le destin des juifs en Anjou, 1940-1944, Vauchrétien Davy, 2002.
79 Marchand Raymond, Le temps des restrictions. La vie des Angevins sous l’occupation, Cheminements, 2004, p. 397 ; à propos du « climat lénifiant », les hivers de guerre furent souvent rigoureux en Anjou, notamment celui de 1941-1942.
80 AMA, registres des recensements : 1931, 1F 59 folio 262 ; 1936, 1F 65 folio 246 ; 1946, 1F 68 folio 284.
81 Chroniques historiques, Mairie d’Angers [http://www.angers.fr.]
82 Lettre du 5 janvier 1944.
83 Lettre du 7 janvier 1945.
84 Potier Bertrand, Aspects de la vie économique dans le Maine-et-Loire sous l’Occupation allemande, mémoire de maîtrise, Angers.
85 Marchand Raymond, op. cit., p. 385-386.
86 ADML 140 W 38, Comité départemental des prisonniers de guerre.
87 Voir p. 251.
88 Marchand Raymond, op. cit., p. 343.
89 Lettre du 31 juillet 1943.
90 Lettre du 26 mars 1944.
91 Lettre du 20 juin 1943.
92 Lettre du 25 juillet 1943.
93 Lettre du 6 février 1944.
94 Marchand Raymond, op. cit., p. 349-350.
95 Lettre du 27 juillet 1943.
96 Lettre du 3 octobre 1943.
97 Lettre du 22 décembre 1944.
98 Lettre du 12 décembre 1943.
99 Lettre du 22 décembre 1944.
100 Avant-guerre, Andrée Duplat avait travaillé aux Ardoisières, aux contributions indirectes comme sténodactylo.
101 Lettre du 16 mai 1943.
102 Lettre du 7 novembre 1943.
103 ADML 24 W 14, Préfecture/Comité départemental des PG.
104 ADML 140 W 38, Prisonniers de guerre, Manifestations, Comité départemental et ADML 24 W 14, Préfecture/Comité départemental des PG.
105 La première Maison du prisonnier fut ouverte à Paris le 9 janvier 1942.
106 ADML 18 W 76.
107 ADML 71 W 3, Secours national et Entraide française.
108 ADML 12 W 25.
109 ADML 71 W 3 ; à noter la dernière phrase : « L’impression que leur retour était attendu et préparé. »
110 Le Commissariat au reclassement des prisonniers de guerre créé le 2 septembre 1941 puis transformé en Commissariat général aux prisonniers de guerre rapatriés et aux familles de prisonniers de guerre par la loi du 20 juillet 1942.
111 ADML 71 W 3.
112 ADML 140 W 38, Prisonniers de guerre : manifestations, Comité départemental.
113 ADML 18 W 76.
114 Hesse Jean-Philippe et Le Crom Jean-Pierre, La protection sociale sous le régime de Vichy, Rennes, PUR, 2007, p. 184-236.
115 Ibid.
116 Le colonel de Sauveboeuf (1880-1944), ancien combattant de la Grande Guerre, ancien Croix de feu, entra en résistance. Il accomplissait des missions de transmission d’informations entre Londres et Paris (cf. Saillot Jacques, Dictionnaire des rues d’Angers, 1976). Arrêté en mars 1943, il fut déporté à Flossenbürg où il décéda le 25 novembre 1944. Son réseau reste à ce jour inconnu. (Cf. Bergère Marc, Des Angevins en Résistance, ADML, 2016.)
117 ADML, 18 W 109, Secours national.
118 Voir p. 235.
119 ADML 18 W 109, Secours national.
120 ADML 80 W 41, Œuvres sociales.
121 Voir tableau no 5.
122 Affiche du CAPG.
123 ADML 140 W 38, Prisonniers de guerre, Manifestations, Comité départemental.
124 ADML 25 W 2, Travail volontaire en Allemagne.
125 ADML 25 W 1, STO Travailleurs français en Allemagne.
126 ADML W 69, STO recensement des hommes de 18 à 50 ans à Angers.
127 Gaston Duplat écrivit à sa femme le 29 novembre 1942 : « Au sujet de Jean, il a raison de le prendre du bon côté. »
128 Lettre du 13 décembre 1942.
129 ADML 17 W 10, certificat d’embauchage.
130 ADML 7 W 4 et 15 W 44, demande de passeport pour aller travailler en Allemagne ; je n’ai trouvé aucune trace de demande de passeport de Jaugey Jean dans les archives alors qu’elles en recèlent de nombreuses.
131 Lettre du 18 juillet 1943.
132 Lettre du 22 décembre 1943.
133 Lettre du 5 septembre 1943.
134 ADML 97 W 45.
135 Grande entreprise industrielle centrée principalement sur le textile.
136 Voir p. 212.
137 ADML 35 W 39.
138 Chauvigné Olivier, La Défense passive à Angers face aux bombardements de la Seconde Guerre mondiale, mémoire de maîtrise, université d’Angers Belle-Beille, 2002.
139 Ibid.
140 Lemesle Michel, Chroniques d’Angers sous l’Occupation, 1939-1945. Rennes, Éditions Ouest-France, 1981.
141 ADML 71 W 1, Secours national, Entraide française.
142 ADML 18 W 109, Secours national.
143 Ibid.
144 Je n’ai pas trouvé comment cette affaire fut réglée ; elle révélait les dissensions entre l’administration préfectorale et les responsables du Secours national qui échappaient statutairement au contrôle du préfet.
145 Lemesle Michel, op. cit.
146 ADML 35 W 39.
147 ADLA 97 W 45.
148 Bombardements ultérieurs : 8 et 17 juin 1944, 17 juillet 1944.
149 Chauvigné Olivier, op. cit.
150 Champigné 2001, imprimé par Doc d’Anjou pour le compte de « cheminements ».
151 Louis Priou (1894-1974), Marie Priou née Guérin (1897-1974) : Tombe sise dans le cimetière de Champigné.
152 Actuelle rue Henri Lebasque.
153 Henri Lebasque : Peintre postimpressionniste né à Champigné (1865-1937).
154 Source orale : Priou fils, entretien du 15 mai 2007, Les Ponts-de-Cé.
155 Lettre du 9 juillet 1944.
156 Lettre du 23 juillet 1944.
157 Lemesle Michel, op. cit.
158 Archives familiales, lettre d’Andrée Duplat du 9 août 1944 ; il s’agit d’une des rares lettres conservées par la famille.
159 Alain Savary le remplaça en avril 1945.
160 Marchand Raymond, op. cit., p. 536.
161 Élections municipales des 29 avril et 13 mai 1945. La première consultation nationale se déroula le 21 octobre 1945 sur les questions constitutionnelles.
162 Ce « Bulletin » fut édité entre le 19 août 1944 et le 8 avril 1945 pour y transcrire lois, décrets et arrêtés destinés aux administrations et aux municipalités.
163 ADML 20 W 1.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un constructeur de la France du xxe siècle
La Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) et la naissance de la grande entreprise française de bâtiment (1924-1974)
Pierre Jambard
2008
Ouvriers bretons
Conflits d'usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968
Vincent Porhel
2008
L'intrusion balnéaire
Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008