Chapitre III. Les aléas d’un apprenti sultan
p. 75-112
Texte intégral
1La prise de Marrakech par le fils de Ma el Aïnin surprend douloureusement le tout nouveau protectorat. Cet événement contrecarre grandement les plans de Lyautey. En effet, il ne disposait pas de troupes suffisantes pour contrôler tout le bled makhzen d’où le danger pour lui de disperser ainsi ses hommes sur un front trop large.
2Cet état de fait l’obligeait à une conduite prudente. Il décida de limiter la présence militaire française dans les seules régions déjà occupées (Chaouïa essentiellement) et de mettre en échec la montée de Moulay Ahmed el Hiba par le biais des caïds de la région (el Madani Aglaou et Abdelmalek Atigui principalement) qui contrôlaient le Haouz de Marrakech et les cols montagneux qui conduisaient au Sous.
3Ses priorités étaient alors de ne pas provoquer les dangereuses tribus du Moyen-Atlas toutes proches et de concentrer ses efforts afin de maintenir les communications entre Fès et Rabat. Lyautey se proposait ainsi de maintenir un « front passif » dans le Sud en s’appuyant sur les grands caïds méridionaux.
4C’est au lendemain de la réunion de Talaïnt, où Cheikh el Hiba réussit enfin à convaincre le parti d’opposition mené par le caïd Abdeslam des Aït Jerrar, que le nouveau sultan promet aux Aït Sous de les mener victorieusement jusqu’à Marrakech. Il va sans dire que le but ultime du mouvement est Fès où Moulay Ahmed el Hiba souhaite obtenir la confirmation de son titre par les savants religieux de la cité de Moulay Dris.
5L’aguelid arabe invita toutes les tribus alentour à le rejoindre. Ces dernières y allèrent sans aucun empressement et il fallut une dizaine de jours pour toutes les réunir. Il semblerait que beaucoup parmi les grands notables du Sous doutait du succès d’une telle expédition, la jugeant prématurée. D’après le témoignage de son fils, l’un des tout premiers caïds hibistes nommés dans le Sous aurait suggéré à Moulay Ahmed el Hiba d’attendre un peu avant de se mettre en marche pour le Gharb : « Nous ne sommes pas préparés pour aller vers Marrakech, par Dieu laisse-nous encore du temps. Afin d’apprêter les tribus et de faire le tri entre ceux qui nous sont acquis et les autres1. » Il semble donc que, dans le camp hibiste, une certaine suspicion flotte sur les derniers ralliés de Talaïnt, de même qu’il faut souligner que quelques importants caïds du Sous n’ont toujours pas fait allégeance au sultan de Tiznit. Tel Haïda Ou Mouaïs, l’un des plus importants caïds du Haut-Sous qui ne s’est toujours pas décidé à rallier Tiznit. Ce qui a pour conséquence que certains, de crainte des représailles de ce terrible caïd, n’osaient faire allégeance à Moulay Ahmed el Hiba. Mais ce dernier n’en a cure, il a hâte d’accomplir sa destinée.
6Il met en place l’ébauche d’un gouvernement makhzen chargé de s’occuper de l’organisation de l’expédition et de son « sultanat », qui se réduit pour l’instant au Sous extrême. On l’a vu plus haut, il réorganise la justice avec la nomination de nombreux cadis appelés à appliquer désormais le chraa. Il laisse à l’un de ses frères, Cheikh Naama, la charge de tenir Tiznit et sa région en son absence. Il lui attribue le titre de khalifa pour tout le Sous extrême.
7Pour le poste de grand vizir (uzir), il nomme un homme du pays, qui fut un partisan de la première heure : Addi Ou Ahmed de Kerdous, ancien caïd makhzen d’une importante tribu proche de Tiznit, les Ida Oubaaqil. En vérité, il s’agit là d’un titre honorifique mais sans réel pouvoir. Il avait en fait pour rôle de faire le lien entre son aguelid et les tribus du Sous, de plus, c’est lui qui fournissait à Moulay Ahmed el Hiba une centaine de ses frères de tribu chargée de sa protection personnelle.
8Un de ses neveux – Mohamed Lamin – est nommé ḥajib, sorte de super chambellan qui s’occupe de l’organisation de sa maison. Il a aussi les responsabilités du poste makhzen de caïd el mechouar c’est-à-dire ; pour l’essentiel, d’introduire les personnalités qui sollicitaient une audience au sultan. On verra, à Marrakech, l’importance et les conséquences de cette dernière charge pour ce personnage et pour les Aït Sous.
9Aux fonctions militaires, il nomme deux grands caïds du Haut-Sous : Haïda Ou Mouaïs des Menabha – qui le rejoindra un peu plus tard – comme kebir el mehalla, chargé de l’organisation de la marche de son armée vers Marrakech, et el Arbi Ouderdour des Irhalen (Rehala en arabe) au poste d’allef (le payeur), sorte de ministre de la Guerre.
10Enfin, avec la nomination de Tayeb Ould Asnib, un de ses familiers et ancien tilmid de son père, au poste d’amin el kebir, il parachève l’organisation de son gouvernement sultanien. Ce dernier personnage a la responsabilité des finances de Moulay Ahmed el Hiba.
La marche du sultan du Sous : de Tiznit à Marrakech
11Les évaluations du nombre d’hommes constituant la mehalla, au départ de Tiznit, vont de 2 000 à 12 000. Tout d’abord, il faut savoir qu’elle se divise en deux colonnes : l’avant-garde, dirigée par son frère et khalifa, Merebbi Rebbo, prend la route de Taroudant qui longe le piémont de l’Anti-Atlas et dont la première étape est el Maader ; quant au reste des hommes, ils ont à leur tête le sultan du Sous et prennent la direction d’Agadir, avec Mast (Massa) comme première étape.
12Il semble que cette décision de séparation en deux groupements fut prise pour des facilités de subsistance, car, reprenant l’usage makhzen, les troupes vivent sur le pays. Les tribus qu’elles traversent, sont tenues de fournir la nourriture nécessaire à leurs besoins. Le fardeau est ainsi divisé car ce ne sont pas les mêmes tribus que traversent les deux colonnes.
13Avant son départ, Moulay Ahmed el Hiba avait appelé toutes les tribus du Sous à lever des contingents pour son expédition. Il demandait que les tribus lui fournissent vingt à cinquante cavaliers selon leur capacité. En tribu on fait l’appel, chaque foyer ou chaque hameau doit fournir un homme, piéton ou cavalier, selon leurs possibilités. Mis à part les principaux notables, il semble que la majorité des contingents réunis soient constituée de jeunes hommes non mariés ou n’ayant pas d’enfants. Pour une telle expédition, ayant un objectif lointain (Marrakech) et dont la réussite reste incertaine, on cherche à limiter les risques : les pères de familles restent auprès de leur foyer2. Pour ce qui est de la part des Beydan dans la composition de la mehalla, « il apparaît clairement que […] les gens du désert sont numériquement très peu représentés au sein de cette armée3 ».
14En effet, sur les milliers d’hommes que mène Moulay Ahmed el Hiba jusqu’à Marrakech, la part des Beydan est mineure. Des témoignages, contemporains de l’événement, nous parlent de « quelques centaines de telamid ardents4 » ou encore de « 500 arabes de Mauritanie5 ». Dans ces témoignages, il est vrai, on ne fait pas la distinction entre les tlamid, majoritairement originaire du trab el Beydan, et les contingents beydan venus expressément à l’appel du fils de Ma el Aïnin. Un rapport militaire, établi un an après la prise de Marrakech, nous parle de « 600 cavaliers » originaires des « tribus arabes du Sud6 » englobant les tribus hassanophones, nomades ou semi-nomades de l’Oued Noun et celle du pays beydan proprement dit (l’Ouest saharien), maintenant de ce fait la confusion. Dans les écrits de l’époque, on a l’habitude d’englober alors ces populations sous le terme générique et exotique d’hommes bleus.
15Quoi qu’il en soit, il semble bien que l’écho de l’appel du fils de Ma el Aïnin ne soit pas parvenu jusqu’à toutes les tribus du trab el Beydan ou alors avec quelque retard. Pour un notable des Ouled Bou Sbaa de Mauritanie, vers la fin du mois de juin 1912, le fils de Ma el Aïnin n’a pas été proclamé « sultan du Sous » comme le lui rapporte un officier français mais il a simplement été appelé par les tribus du Sous à arbitrer leurs conflits. Près d’un mois après la proclamation de Moulay Ahmed el Hiba, l’information n’est pas encore parvenue dans le trab el Beydan ; on est resté sur le premier titre obtenu difficilement au début du mois de mai et de son rôle de pacificateur reconnu alors.
16Malgré tout, c’est dans une ambiance joyeuse que la mehalla se met en branle : « Les gens étaient heureux et rieurs car ils avaient l’impression d’avoir entre leur main la possibilité de mettre un terme au danger qui menaçait le pays, et porter par l’enthousiasme d’un nouveau roi qu’ils avaient contribué à faire naître7. »
17Nous allons à présent tenter de retracer les différentes étapes de progression des Aït Sous vers Marrakech. Il faut souligner que nous avons rencontré quelques difficultés dans cette reconstitution des parcours empruntés car dans les sources que nous avons consultées, souvent la confusion était de mise entre le trajet suivi par Moulay Ahmed el Hiba et celui de son frère, Merebbi Rebbo.
De Tiznit à la vallée du Sous
18Merebbi Rebbo quitte Tiznit au début du mois de juillet. Il a, à ses côtés, les contingents d’el Madani Akhsassi (Lakhsas) et de Ahmed n Talb des Aït Abella (Aït Ba Amran). Il prend la route qui mène à Taroudant et longe le piémont de l’Anti-Atlas. Sa première étape se fait dans la tribu d’el Maader (une dizaine de kilomètres au nord de Tiznit) où, avant de franchir l’asif Oulghas (oued Massa), il envoya de nombreuses missives aux grands notables des Achtouken les appelant à venir à sa rencontre.
19Dans ses pourparlers avec les tribus, Merebbi Rebbo a, avec lui, le très influent fqih Mohamed Ou Abbou. Assez rapidement, il reçoit la soumission de nombreux contingents de cette importante confédération auxquels se sont joints ceux du Tazeroualt emmenés par Si Ali malgré l’opposition de son père (Mohamed Ou Lhousseyn).
20Après une étape chez les Aït Bekkou (Achtouken), vers mi-juillet il fait, assez facilement, son entrée à Taroudant d’où le pacha Ahmed Kabba avait envoyé son fils, quelques jours plus tôt, faire allégeance au sultan de Tiznit. Il y stationne pendant près d’un mois. C’est là qu’il reçoit la soumission des nombreuses tribus haouara qui rejoignent son camp. Des prospecteurs allemands s’y trouvaient encore quelques jours avant son arrivée. Le pacha Kabba prit la précaution de les renvoyer sous bonne escorte à Tassourt (Mogador). On rapporta alors, dans le Sous, que c’était la puissance magique du digne fils de Ma el Aïnin qui les avait poussés à fuir en jetant sur eux une myriade de punaises et de puces !
21Ce dernier, était sorti en grand appareil quelques jours après son frère. Il établit son campement devant l’une des portes de Tiznit (Bab Aglou) où il recevait les contingents des dernières tribus. Il prévoit de prendre la route assez rapidement lorsqu’il apprend l’arrivée prochaine de Haïda Ou Mouaïs venu lui faire allégeance. Il préfère alors retarder son départ de quelques jours afin de recevoir cet important caïd. Ce personnage a longtemps hésité à rejoindre le parti du sultan de Tiznit car à ses yeux cette aventure était vouée à l’échec mais devant l’enthousiasme des tribus et surtout après que ses rivaux du Haut-Sous (Ahmed Kabba de Taroudant et el Arbi Ouderdour des Irhalen) aient fait acte d’allégeance, il ne pouvait plus, sans danger, rester dans cette attitude de refus obstiné.
22Désormais bien encadrées par les hommes de Haïda Ou Mouaïs, fraîchement nommé kebir el mehalla, les troupes de Moulay Ahmed el Hiba se mettent en route le 15 juillet 1912.
23Une de ses premières étapes est la plaine de Smayssa, sur les bords de l’asif Oulghas (oued Massa) où se trouve un gué facilement franchissable qu’emprunte la fameuse route de l’Ouest qui mène d’ordinaire les caravanes commerciales vers Tassourt (Mogador).
24On l’a vu, au moment de la proclamation du fils de Ma el Aïnin en tant que muqaddem el mujahidin, deux navires français avaient été envoyés sur les côtes du Sous afin d’observer l’attitude des populations. Ils patrouillèrent durant quatre jours entre Agadir et Aglou mais à aucun moment ils ne firent usage de leurs puissants canons.
25La menace que faisaient peser sur eux les patrouilles incessantes des canonnières le long du rivage, poussa Moulay Ahmed el Hiba à changer son trajet initial. Il pensait, jusque-là, qu’une fois parvenu à Agadir, il continuerait à emprunter la route de communication habituelle entre le Sous et le Gharb qui passe sur le territoire des Ihahan où il comptait un appui solide dans la personne du caïd Abderahman, évitant ainsi l’Adrar Ndern tenu par les caïds Atigui et Outgountaft dont il se méfiait. Mais cette route, à partir d’Agadir et sur une assez longue distance, suivait désormais de trop près les sinuosités de la côte, ce qui les mettait à la merci d’une intervention des canons de la marine française.
26À partir de cette étape de Mast, la mehalla s’écarte le plus possible de la côte, devenue trop dangereuse, pour prendre la direction de Tagant Ougourram, forêt d’arganiers située près de l’actuel Biougra, chez les Ida Ou Mhend (Achtouken) à la limite des Haouara, où il établit son campement pour une dizaine de jours.
27Le 26 juillet, toujours installé au même point, il est signalé comme « bien décidé à envahir le Haouz où il aurait déjà de nombreux partisans et agents de propagande surtout parmi les confréries Aïssaoua et des Hamadcha, peut-être aussi des Derqaoua8 ».
28Il reprend sa marche pour faire étape à El Groun (tribu Kfifat), point le plus important de la confédération des Haouara dont il occupe le centre, où se trouve une ancienne place forte permettant une bonne défense en cas d’attaque et disposant de nombreuses sources. C’est là que Moulay Ahmed el Hiba est rejoint par les caïds du Haut-Sous, Si Ali du Tazeroualt et Ahmed Kabba pacha de Taroudant. Ils sont envoyés par son frère Merebbi Rebbo qui reste, quant à lui, toujours installé dans la vieille capitale du Sous.
29El Hiba reprend sa marche, prudemment, pour se porter près de l’asif n Sus (Oued Sous) au souk des Ouled Teima (Haouara) à quelques kilomètres à peine d’El Groun.
30Il appréhende la résistance qui pourrait lui être opposée dans les montagnes de l’Adrar Ndern (Haut-Atlas occidental), il ne bouge pas tandis que ses émissaires et propagandistes rayonnent dans le Haouz pour tâter le terrain. Pendant plusieurs jours, il attend la réponse de ses messagers pour prendre une décision quant au chemin à prendre.
31Moulay Ahmed el Hiba cherchait à entrer en contact avec les tribus pour les inciter à se révolter contre les chrétiens et contre tous ceux qui les soutenaient de près ou de loin.
32Le fait d’avoir pu mener cette coalition des tribus jusqu’à la limite habituelle du Sous, est déjà un exploit pour Moulay Ahmed el Hiba. Il faut savoir que cela ne fut pas sans difficultés. De nombreux soubresauts, conséquences des alliances de leff traditionnelles, parcoururent la mehalla tout au long de sa marche. Le sultan de Tiznit en a d’ailleurs joué au tout début de son mouvement pour s’attacher ses premiers appuis dans le pays.
33Malgré la lame de fond populaire en faveur du fils de Ma el Aïnin, plusieurs notables refusaient obstinément de rejoindre le camp hibiste au prétexte que leur ennemi de leff l’avait déjà fait. Ainsi des Haouara, du caïd Abdeslam des Aït Jerrar, de Haïda Ou Mouaïs et plus tard du caïd Anflous des Ihahan qui ne rejoignirent que tardivement le camp de Moulay Ahmed el Hiba en même temps que celui de leur adversaire de toujours, respectivement le pacha Ahmed Kabba de Taroudant, les Aït Tznit, les autres caïds du Haut-Sous (en particulier el Arbi Ouderdour) et le caïd Abderahman Aguilloul des Ihahan.
34À l’étape d’El Groun, les nouvelles d’un conflit entre Aït Brayyim et Aït Jerrar parviennent à la mehalla. Tout de suite dans le camp, parmi les représentants des deux tribus, on se jette sur ses armes et des affrontements ont lieu. Les heurts sont violents et il y a quelques morts avant que les hommes ne soient séparés. Moulay Ahmed el Hiba réussit à calmer les esprits et les colères purent être contenues jusqu’à Marrakech.
35À cette même étape, Haïda Ou Mouaïs, l’organisateur de la bonne marche de l’expédition, demande l’autorisation de faire une dernière visite à sa famille avant de franchir les barrières de l’Adrar Ndern. Son sultan, méfiant, ne donnera pas suite à cette requête inattendue, craignant qu’il n’en profite pour l’abandonner.
36La décision est prise de franchir les montagnes par le col d’Amachou (Tizi Oumachou) tenu par le caïd Atigui. La mehalla de Moulay Ahmed el Hiba aborde cette route par le village d’Amskroud (tribu Imesguin) où on établit ce qui sera le dernier bivouac dans le pays du Sous.
37Là, c’est Moulay Ahmed el Hiba qui renvoie chez lui un ancien caïd makhzen et gros notable d’une tribu de l’Anti-Atlas (Imejjad). Ce personnage (Saïd Amejjoud), au temps où il dominait ses frères de tribu grâce à l’appui du makhzen, avait eu la main un peu lourde sur les siens. Et c’est sur leurs demandes, que le sultan le pousse alors à quitter la mehalla pour maintenir la cohésion des Imejjad et de ses troupes.
38Toujours à la même étape, Sidi Ali du Tazeroualt, à la tête des Aït Tzeroualt et des Aït El Maader, refuse quant à lui de continuer la route. Il dit avoir reçu une lettre de son père le suppliant de ne pas aller plus loin et surtout de ne pas entrer à Marrakech. Mais, après l’insistance de Moulay Ahmed el Hiba, appuyé par de nombreux grands personnages du Sous, qui lui font comprendre que la défection d’un personnage aussi important que lui mettrait à mal le succès de l’expédition, il accepte finalement de continuer la route.
39Enfin, la défection d’une autre personnalité importante de la mehalla se fait jour. Il s’agit d’el hajj Abd des Aït Ouadrim (Achtouken). Ce grand lettré, pourtant un des premiers et plus virulents soutiens du fils de Ma el Aïnin, refuse de franchir les limites du Sous, estimant peut-être qu’il était prudent de rester dans le Sous pour y entretenir le loyalisme des sujets du nouveau sultan. Celui-ci ne sut pas résister aux bonnes raisons du vieux fqih qui put rentrer chez lui.
40El Hiba organise très peu les tribus qui l’accueillent avec ferveur. Pour Soussi, il « ne cherchait que la soumission des grands chefs des régions qu’il traversait sans s’occuper de l’organisation de ces nouveaux territoires soumis9 ». Il se contente de nommer des représentants, qu’il choisit principalement parmi ses frères, sur les grandes régions du Sous.
41On l’a vu, Taleb Khiar a été placé au poste de khalifa à Taroudant par Merebbi Rebbo et Cheikh Naama khalifa à Tiznit. Toujours prudent pour lui et ses frères, il nomme un de ses beaux-frères et cousin, Cheikh Sidi Ahmed, khalifa sur la place dangereuse d’Agadir. Pour son frère, Cheikh el Ouali, il lui préfère le poste moins risqué, car à l’intérieur des terres, d’Agadir el Mzar chez les Aksimen (gros village sur la rive gauche de l’oued Sous qui contrôle la route de Tiznit à Agadir).
42Quant aux tlamid, tous les témoignages ou rapports coloniaux s’accordent sur leurs comportements désordonnés et marqués d’excès répétés. Ils profitent de leur position privilégiée auprès du sultan du Sous pour mettre littéralement en coupe réglée les régions que ce dernier honorait de sa présence bénéfique, de sa baraka.
43Lors d’une étape, chaque foyer de la tribu qui accueillait la mehalla avait à sa charge un nombre déterminé d’hommes à nourrir. Dans l’un de ces foyers, un groupe de tlamid reçoit un plat agrémenté de viande de poulet. Le met ne leur convient pas, ils exigent de la viande rouge, plus noble à leurs yeux, et s’emportent contre ceux qui ont la charge de les nourrir ce jour-là : « À cette époque les Arabes étaient véritablement des porteurs de calamités […] les Arabes leurs jurèrent qu’ils leurs feraient dérouler une natte pour le dromadaire. Ils leur dirent : “Par Dieu, nous ne mangerons pas le muezzin de l’Élu10.” »
44Le départ d’el hajj Abd à Amskroud ne fera qu’augmenter les débordements des tlamid. Moulay Ahmed el Hiba se contentait de leur faire de simples remontrances. Une fois le vieux hajj partit, plus personne dans la mehalla n’osa les critiquer, on verra plus loin les conséquences de cette façon de faire.
La marche sur Marrakech
45Dans les tribus où des notables avaient su garder une certaine autorité et dans d’autres où des caïds, au nom du makhzen, exerçaient encore leur pouvoir (essentiellement dans les régions d’Agadir, de Taroudant et du Haut-Sous), les révoltes paysannes grondaient depuis quelque temps. La déliquescence des derniers mois du règne de Moulay Hafid et les luttes régionales qui en découlaient y étaient pour beaucoup. Dans l’Adrar Ndern (Haut-Atlas occidental), sous la lourde poigne des gros caïds, tel Atigui ou Aglaou, le phénomène tournait parfois à une véritable jacquerie. Cette atmosphère de soulèvement populaire permettra à la vague hibiste de se nourrir de sa force et lui permettra de franchir l’obstacle au lieu de s’arrêter au pied de la barrière montagneuse.
46Un des premiers actes de Moulay Ahmed el Hiba fut d’organiser la justice canonique ; dans cette voie, il dénonce tous les prélèvements d’impôts non prescrits par l’islam. Dans les marchés ruraux, il fait proclamer par ses messagers : « Guerre sainte aux chrétiens. Soumission à Hiba. Plus de caïds. Plus de djari (collecteurs d’impôts). Il n’y a plus d’autre impôt que l’achour et la zeqqat. »
47Au sein des tribus, pour les potentats locaux et les caïds, il est d’habitude de prélever des cotisations exceptionnelles dites ferḍ (pl. friḍa, terme berbérisé en tachelhit sous la forme tfriṭ), ou encore d’organiser des corvées collectives à leurs profits dites kulfa.
48Le nouveau sultan du Sous apparaît aux yeux des tribus comme l’homme providentiel, le justicier qui va rétablir l’équité. Dans une cantilène du Sous, un trouvère nous décrit son arrivée chez les Achtouken où les gros notables offrent de nombreux présents, à titre d’hommage et d’allégeance, au nouvel aguelid qui, au lieu de les remercier pour leurs offrandes les interpelle par ces mots : « “Votre argent n’est pas ce qui m’amène ici. Mon père m’a laissé des chameaux et des biens. Retranchez seulement la dîme de vos biens. Fridas, droits des caïds, il n’y en aura plus11.” »
49La dénonciation des abus des notables prévaricateurs est aussi présente dans cette missive d’un lettré du Sous qui décrit les premiers mouvements de l’avant-garde hibiste conduite par Merebbi Rebbo. Ce dernier met ainsi en garde les gros notables : « Ce ferd que vous prélevez sur les gens n’est pas licite. Laissez les pauvres vivre tranquillement12. »
50Mais pour l’instant des décisions importantes attendent Moulay Ahmed el Hiba. La route côtière, qui passe sur le territoire du caïd Abderahman, devient dangereuse : d’où la décision de passer par la route de montagne la plus directe qui passe par le col d’Amachou.
51Depuis la vallée du Sous, pour joindre Marrakech par le Tizi Oumachou, habituellement on emprunte le col du Bibaoun (Tizi Bibaoun) sur le territoire des Ida Ouzal. C’est cette route qu’emprunte l’avant-garde menée par Merebbi Rebbo venant de Taroudant. Quant à Moulay Ahmed el Hiba, il prévoit, si son frère réussit à passer, de prendre la route du col d’Amskroud qui rejoint aussi le col d’Amachou. Les territoires traversés sur ce parcours sont sous la mainmise du caïd Abdelmalek Atigui qui est connu pour être attaché aux Français.
52Devant l’avancée du sultan du Sous, l’attitude de ce caïd en particulier, et des autres gros caïds du Haouz, reste une inconnue. Pour certains, ils ne feront rien pour s’opposer à la marche d’El-Hiba : « [L’Atigui] parce qu’il ne le veut pas, les autres parce qu’ils ne le peuvent pas13. »
53Ce vieux caïd hésite, dans son soutien et sa coopération avec les représentants français à Marrakech, il se demande « fréquemment s’il [suit] bien là la voie droite14 ». N’a-t-il pas déclaré quelque temps auparavant au consul Maigret, représentant de la France à Marrakech : « Je me demande […] si vraiment pour réparer les erreurs de ma jeunesse et obtenir la grâce de Dieu, je ne devrais pas terminer mes jours en faisant la guerre sainte. » Mais dans le même temps, il n’oublie pas que l’un des principaux mots d’ordre du sultan du Sous est la suppression de tous les prélèvements fiscaux autre que ceux prescrits par le Coran, sources de sa richesse, et la destitution de tous les caïds nommés sous l’égide des Français !
54Quand les nouvelles de la proclamation de Moulay Ahmed el Hiba à Tiznit parviennent à Marrakech, les principaux caïds de la place, Abdelmalek Atigui et el Madani Aglaou, mettant un terme au conflit qui les oppose. Ils se réunissent dans la maison du caïd Atigui et prennent la décision d’envoyer un homme mesurer l’autorité réelle du fils de Ma el Aïnin et juger de ses chances de réussite. Cet homme, c’est Moulay Ahmed Aïlougan, un important notable des Aït Ilougan (Achtouk). Arrivé auprès de Moulay Ahmed el Hiba, ce dernier le « charge de porter un message aux gens de Marrakech afin de les informer de ses intentions et de les rassurer sur sa capacité à les conduire [victorieusement] au jihad15 ».
55Il semble que, par la suite, le caïd Atigui ait maintenu le contact avec el Hiba puisque deux autres messagers du puissant caïd du Haouz sont envoyés au sultan du Sous à l’étape d’El Groun (Haouara). Ils lui demandent, au nom de leur caïd, de s’engager sur la route du littoral qui traverse le territoire des Ihahan, pour éviter le passage de la mehalla hibiste au milieu des tribus relevant de leur maître. Dans le cas contraire, le caïd Atigui se verrait obligé de s’opposer par la force à son avancée. Devant cette menace, on comprend mieux à présent les hésitations et les tentatives de défection qui eurent lieu à partir de cette étape au sein de la coalition hibiste.
56Du côté de Marrakech, devant la menace qui se précise avec Moulay Ahmed el Hiba, une réunion extraordinaire a lieu le 3 août. Elle se tient autour du consul de France, M. Maigret, et regroupe le pacha Dris Mennou, Abdelmalek Atigui et el Madani Aglaou. Ces grands notables prennent l’engagement solennel de tout faire pour s’opposer à l’avancée hibiste. Pour le caïd Atigui, responsable des tribus que doit traverser la mehalla du Sous, cela se traduit par l’envoi de son khalifa avec pour mission de bloquer la route au sultan venu du Sous.
57Face à cette mobilisation qui s’organise pour s’opposer à lui, Moulay Ahmed el Hiba envoie de nombreux messagers aux tribus. Il demande la levée de nouveaux contingents pour renforcer sa mehalla afin de faire face à l’affrontement qui lui paraît désormais inéluctable.
58Il reprend aussi une manœuvre politique souvent utilisée par les sultans pour soumettre, sans les affronter, des tribus qui s’opposaient à eux. En effet, on peut prendre l’exemple de Moulay Hassan qui ne se déplaçait jamais, lors de ses expéditions militaires, sans deux chérifs, chefs de file des deux plus importantes confréries du pays afin d’éviter la confrontation au profit de la négociation avec les tribus. Le chef de confrérie joue un rôle d’intercesseur, de négociateur.
59Moulay Ahmed el Hiba utilise, ici, les services de Mohamed Ou Ali dont l’autorité religieuse s’étend sur tous les Derqaoua du Sous. Il a succédé récemment (1910) à la tête de l’importante zaouïa de Dougadir Ilegh (Aït Abella Ou Saïd) en remplacement de son père décédé, el hajj Ali Derqaoui. Le sultan du Sous envoie ce personnage à son frère Merebbi Rebbo afin qu’il lui facilite la marche en avant. La colonne de ce dernier emprunte la voie du col de Bibaoun, entamant sa montée dans la montagne par el Mnizla (Ida Ouzal).
60De son côté, le caïd Atigui rencontre des difficultés dans l’organisation de la défense de son territoire. S’il a bien envoyé son frère et khalifa, el Arbi, se positionner entre Imi n Tanout et Amskroud pour bloquer l’avancée du mouvement hibiste, ce dernier a du mal à mettre en place son dispositif de défense, il manque d’hommes. Les tribus, sur lesquelles le caïd Atigui avait, jusque-là, autorité, renâclent à lui fournir les contingents demandés. Elles sont fatiguées des exactions de leur caïd dont elles dépendent depuis trop longtemps. Une véritable jacquerie secoue les tribus de la région où l’on accueille avec beaucoup d’allégresse tous les envoyés du sultan venu du Sous. L’extrait d’un poème qui rapporte l’aventure hibiste, résume, on ne peut mieux, ce message d’espoir et de révolte que l’aguelid de Tiznit adresse alors aux tribus qu’il veut attirer à lui : « Que celui qui est Musulman, qu’il vienne à moi, Qui est Roumi, je le combats. Celui qui veut la guerre sainte, que celui-là vienne avec moi16. »
61Devant les progrès du mouvement hibiste, on s’affole à Marrakech et Tassourt (Mogador) où, pour inquiéter les tribus et les obliger à rappeler les hommes qu’elles ont fournis à el Hiba, l’on décide le bombardement de la citadelle d’Agadir, occupé par un contingent hibiste. Durant deux jours consécutifs (7 et 8 août) la place est canonnée.
62Cette action, loin de décourager Moulay Ahmed el Hiba, le renforce dans son choix d’emprunter la route du col d’Amachou. De son côté, le khalifa el Arbi fait appelle à la mobilisation de tous les hommes de sa tribu à l’almuggar de Taouloukoult (Intougga) qui doit avoir lieu, le 8 août. Après cela, il se porte aux limites de son territoire à Targant n Aït Moussi (Argana en arabe) chez les Ida Ouziki.
63Mais, très vite, il se rend compte que toute résistance est impossible, les tribus n’obéissent plus, et le travail de sape de Mohamed Ou Ali fait son effet. Obligé de reculer devant la situation quasi insurrectionnelle, el Arbi abandonne Targant n Aït Moussi à l’avant-garde hibiste qui y fait son entrée, le 10 août, au milieu de la liesse populaire qui incendie la nzala, symbole de l’oppression du caïd.
64Replié à l’étape de Timzgadiouine (Inbensiren), el Arbi reçoit l’ordre de son frère, le caïd Abdelmalek Atigui, d’attendre là l’avancée de la mehalla de Moulay Ahmed el Hiba pour se soumettre. L’avant-garde hibiste de son côté a quitté la route habituelle qui conduit directement à Marrakech pour faire un détour vers le nord et fait étape à Chichaoua (Ichichaoun en tachelhit).
65El Arbi accueille donc Moulay Ahmed el Hiba à Timzgadiouine « où il fit la hedya et se soumit au nom de son frère. Puis il organisa l’approvisionnement des hommes car les Ida Ouziki faisaient partie des tribus dépendantes de lui ». Malgré tout, il est très mal accueilli dans le camp hibiste où il est humilié et insulté par des tlamid et de nombreux Ida Ouziki et Inbensiren. Pour ces deux derniers groupes, « la raison principale était qu’el Arbi, en tant que khalifa avait eu la main très lourde sur ces tribus17 ».
66Quand la nouvelle de cette soumission parvint à Marrakech, ce fut un choc. Une série de rencontres ont alors lieu de nouveau dans la maison du caïd Atigui où se retrouvent notamment le consul Maigret, le pacha Dris Mennou et el Madani Aglaou. Tout ce monde est démoralisé. Devant la révolte populaire de leurs tribus, les caïds estiment que toute opposition au sultan du Sous est irrémédiablement vouée à l’échec. Le consul français les pousse à se ressaisir en organisant au plutôt la résistance mais les caïds lui répliquent qu’ils ne sont plus obéis, qu’ils sont isolés de leurs tribus où l’anarchie règne.
67Le lendemain, Moulay Ahmed el Hiba est signalé à Imi n Tanout (Affifen, Nfifa en arabe). Une nouvelle réunion a lieu à Marrakech lors de laquelle le consul Maigret demande au pacha Dris Mennou d’organiser l’évacuation des Européens de la ville. Le 12 août, c’est sous la conduite d’un caïd raha (officier makhzen), le caïd Najem, que la petite colonie européenne part sous bonne escorte en direction d’Asfi (Safi), la route pour Tassourt (Mogador) étant devenu trop dangereuse avec l’approche de l’avant-garde hibiste.
68Alerté par les rapports alarmant des consuls de Tassourt (Mogador) et de Marrakech, le général Lyautey envoie un officier (le commandant Verlet-Hanus) organiser la défense de la capitale du Haouz. Dans le même temps, il concentre un détachement militaire à Mechra Ben Abbou sur les rives du fleuve Mourebia (Oum Rebia selon la nomenclature officielle) pour une démonstration de force et de menace.
69L’arrivée de cet officier à Marrakech, le 13 août, et l’annonce de l’avancée des troupes de Mechra Ben Abbou redonne confiance aux caïds de la ville. La décision est prise que, dans un premier temps, des troupes soient rassemblées le 14 août sous les murs de la ville avant de se porter le lendemain à la rencontre de l’avant-garde de la mehalla hibiste. De plus, une missive signée par tous les notables de la ville est envoyée à Moulay Ahmed el Hiba, elle l’invite à passer au large de la ville qui déclarait vouloir rester fidèle au makhzen.
70Devant ces préparatifs militaires et la volonté affichée des caïds de Marrakech de s’opposer à lui, Merebbi Rebbo alors sur les bords de l’asif Ounfis (oued Nfis) chez les Aït Imour, hésite à franchir le gué. La peur de se heurter à une résistance sérieuse devant Marrakech, avec la menace d’un appui des troupes françaises, l’immobilise un temps sur les rives du fleuve.
71Il semble alors qu’à ce moment, Moulay Ahmed el Hiba, ait décidé de contourner l’obstacle dressé devant Marrakech par les caïds du Haouz. Depuis Imi n Tanout, où il se trouve, il envoie des messagers annonçant qu’il n’entrera pas directement à Marrakech mais qu’il se rendra d’abord par la Chaouïa et le territoire des Doukkala avant d’y revenir.
72Mais c’était compter sans la lame de fond populaire qui secouait tout le pays, atteignant à Marrakech jusqu’aux plus fidèles des hommes de poudre qui entouraient les grands notables résolus, jusque-là, à défendre la ville. Le témoignage de l’un d’entre eux, le pacha Dris Mennou, est à ce sujet édifiant : « En fait, il aurait été inconcevable aux yeux des masses qu’on puisse penser s’opposer à [Moulay Ahmed el Hiba]. La population était extrêmement montée contre le gouvernement. Alors que je me préparais à sortir de chez moi, pendant ces journées, j’entendis certains de mes hommes eux-mêmes dire que, par Dieu, ils ne combattraient pas les moujahidin et qu’à tout prendre, il était plus facile à combattre les Français plutôt qu’el Hiba. Si tel était l’état d’esprit de mes compagnons, on imagine ce que devait être celui des simples soldats et de la populace. Nous n’avions d’autres choix que d’accompagner le mouvement18. »
73Devant Marrakech, les caïds de la ville, avaient réussi, tant bien que mal, à réunir un millier d’hommes le 14 août. Mais déjà dans la nuit près de deux cents hommes de ce groupement désertèrent le camp pour rentrer à Marrakech. On était aussi en attente du retour d’un important chef militaire de la ville – le caïd Najem – qui avait eu pour mission de mettre en sécurité la petite colonie européenne de la ville.
74Et le matin du 15 août, c’est la débandade. À l’annonce de la défection dudit caïd, le groupement défensif se dissout presque totalement pour se rendre, à son tour, au campement de Merebbi Rebbo. Quant à Moulay Ahmed el Hiba, c’est dans la liesse populaire qu’il est proclamé dans l’après-midi à Marrakech.
75La petite colonie française19, avec à sa tête le consul Maigret, tente de quitter Marrakech mais la route d’Asfi (Safi) lui est coupée par les Rehamna et elle est obligée de retourner à Marrakech où elle trouve refuge, un temps, dans la maison du caïd Abdelmalek Atigui.
76Le lendemain matin, tous les caïds de la ville se rendent au campement de l’avant-garde hibiste. Apprenant la volonté de Merebbi Rebbo de s’installer au dar el makhzen de Marrakech, ils lui adjurent une dernière fois de ne pas pénétrer dans la ville. Le pacha Dris Mennou s’avance en tant que porte-parole des caïds et tente d’argumenter leur demande : « Laissez Marrakech derrière vous, […] et allez là où est l’objectif de votre jihad, dans la Chaouïa. À peine serez-vous entrés en ville que […] la crainte révérencieuse que vous inspirez s’évanouira20. »
77De tout cela, Merebbi Rebbo n’en a cure, il compte bien prendre possession de cette ville qu’il a, un temps, cru lui échapper par la faute de ces caïds qui lui font à présent obséquieusement allégeance. Et dans la soirée du vendredi 16 août 1912 (correspondant au 1er jour du mois de Ramadan), il fait son entrée dans la ville au milieu d’une certaine confusion. Toutes les maisons qu’avaient occupées des Européens sont systématiquement pillées. Tous ceux qui avaient un tant soit peu fréquenté les Européens de la ville furent molestés. Le mellah manque lui aussi d’être pillé mais l’ordre est rudement rétabli par les hommes des caïds Aglaou et Atigui, appuyés par ceux du caïd Najem envoyé par le khalifa Merebbi Rebbo.
78Après son entrée dans la ville, ce dernier, s’empare de la demeure officielle du khalifa, d’où il chasse Moulay Boubekr, jusque-là khalifa de son frère Moulay Hafid. C’est là que Merebbi Rebbo reçoit les premières visites des notables de la ville venus prudemment féliciter la nouvelle autorité officielle de Marrakech.
79C’est aussi dans la soirée du 16 août que parvint la missive officielle annonçant l’abdication de Moulay Hafid et la proclamation de Moulay Youssef. Mais il est déjà trop tard. Merebbi Rebbo tient Marrakech et son frère a été proclamé dans la ville depuis la veille. Le porteur de cette lettre l’apporta au pacha Dris Mennou qui lui expliqua que compte tenu de la situation, il n’était pas possible de rendre publique cette proclamation.
80Dans la matinée du dimanche 18 août, après être passé à Tamslouht où il fit un sacrifice propitiatoire sur le tombeau du saint Sidi Abdallah ben el Housseyn, Moulay Ahmed el Hiba fait son entrée dans la capitale du Haouz, « à la grande joie des musulmans qui l’acclamèrent partout21 ». D’ailleurs, bon nombre d’habitants de Marrakech étaient allés au-devant de la mehalla hibiste pour accueillir leur nouveau sultan venu du Sous. Voici ce que nous dit l’un d’entre eux : « Je suis allé l’attendre avec les gens de la ville à l’Asoufid. Quelle foule de gens du Sous et des Chenagta. Jamais trouble ne fut plus grand22. »
L’éphémère émirat de Marrakech
81Le choc est grand pour les caïds de Marrakech. Ce succès de Moulay Ahmed el Hiba a, en effet beaucoup surpris les gens du Haouz. Peut-être faut-il voir là une sous-estimation de la valeur de ceux qui l’entouraient : les Aït Sous principalement. Ils les pensaient incapable d’un tel exploit. Le vers d’un poème berbère traduit assez bien cet a priori négatif, voir ce mépris, à l’égard des gens du Sous, assez général à l’époque au nord du Haut-Atlas : « Ne vient du Sous autre nouvelle que de l’huile et des sauterelles et grand nombre de fausseté23. »
82Aux yeux des gens du Gharb, ils ne représentaient, jusque-là, que ces éternels miséreux chassés par les sécheresses qui frappaient régulièrement le Sous. Ces derniers, bravant les dangers de la route, venaient vendre leurs bras dans les contrées plus généreuses du Gharb.
83Une exploratrice française nous décrit ainsi ces hommes et ces femmes fuyant la famine au début du xxe siècle : « Un peu après Imin Tisgui, des bandes de Soussi, passent, haves, décharnés, décimés par la famine. Ils vont à Marrakech pour s’employer aux moissons, emportant pour tout viatique une peau de chèvre séchée24. »
84Quoi qu’il en soit, avec l’entrée de Moulay Ahmed el Hiba à Marrakech, la liesse populaire est à son comble. Le fils de Ma el Aïnin marque le renouveau, car l’événement est considéré comme un prélude au rétablissement total de l’équilibre des forces naturelles régissant le monde, perturbé jusque-là par l’intrusion du chrétien en terre d’islam.
Établissement à Marrakech et premières actions hibistes
85Dans l’organisation du dar el makhzen par Moulay Ahmed el Hiba, l’ombre de Moulay Hassan est omniprésente. C’est que, dans l’imaginaire populaire, ce dernier est considéré comme le dernier véritable sultan qui a su tenir tête victorieusement aux appétits européens.
86De nombreux poèmes de l’époque pleurent l’absence du grand souverain, l’un d’entre eux affirme que : « Le monde est cet orphelin de qui sont morts père et mère. Et c’était Moulay Lhassen qui était son père25. »
87Son règne est d’autant plus magnifié et idéalisé, qu’il l’est à l’aune de ceux de ses successeurs qui, dans la vision populaire, n’ont pas fait montre d’une grande volonté combative face aux chrétiens. Le vers d’une autre cantilène, cruel et sans appel, juge sévèrement ses fils qui n’ont pas su défendre Oujda, Casablanca, les Chaouïa et qui ont fini par vendre le pays aux Français : « C’est que Moulay Lhassen ne nous a pas laissé des hommes de valeurs26 ! »
88Dès sa proclamation à Tiznit, Moulay Ahmed el Hiba s’attache à suivre à la ligne les usages du makhzen. Les cérémonies d’allégeance qui s’y organisent, avec les arrivées des différentes délégations des tribus du Sous, le sont « à l’imitation de celles que Moulay Hassan [mit] en œuvre lors de ses deux expéditions dans le Sous27 ». Il est vrai non sans maladresse ou brutalité. Ainsi, la proclamation d’allégeance au sultan du Sous à Tiznit est-elle clamée en tachelhit et l’étendard officiel de la mehalla est arraché de force à un lettré, représentant une importante zaouïa de l’Anti-Atlas, venu faire allégeance à l’aguelid.
89Un autre exemple encore plus parlant est tout le cérémonial que met en place Moulay Ahmed el Hiba à Marrakech lorsque, pour la prière du vendredi, il se rend, en grand apparat, du dar el makhzen à la mosquée. Il accomplit ce trajet dans un équipage surprenant et pourtant symbole de l’autorité « hassanienne » : carrosse royal et fanfare militaire à l’européenne28.
90Une fois installé au dar el makhzen de Marrakech, Moulay Ahmed el Hiba s’organise. Il doit à présent intégrer à son mouvement toutes les nouvelles soumissions des tribus et des notables du Haut-Atlas et du Haouz. Mais il doit aussi mettre en application ses promesses de justice et d’équité mises en avant au tout début de sa proclamation et tout au long de sa marche victorieuse.
91Il fait libérer tous les prisonniers de droit commun des geôles et décrète la suppression de tous les impôts illicites (droits de marché, frida et autres kulfa) pour ne laisser subsister, comme promis, que les seules zakkat et achour coranique ainsi que l’impôt de capitation sur les populations juives de la ville. Dans son élan rigoriste, il interdit aussi toute espèce de luxe.
92Mais une atmosphère de suspicion règne dans cette nouvelle cour, autour de ces puissants et riches caïds de Marrakech qui ont voulu un moment s’opposer au nouveau sultan. La lettre, qu’adresse un vieux fqih de la ville à Moulay Ahmed el Hiba, est à ce sujet très significative. Il conseille au fils de Ma el Aïnin d’écarter « tous les gens makhzen qui ont servi avec Moulay Hafid car, dit-il, ce sont eux qui ont contribué à la pénétration française dans leur pays », de donner ensuite l’ordre « à el Madani Glaoui d’aller combattre l’infidèle, ce sera une preuve s’il nourrit de bonnes intentions pour l’islam » et enfin de « se faire une réserve de ses contingents du Sous qui sont tout dévoués à sa cause. Il peut s’en servir pour en encadrer les contingents des autres tribus. Les Soussis doivent être bien armés et bien payés29 ».
93Une valse de notables, venus de toutes les tribus du Haouz, s’organise au dar el makhzen. Elle est régie, sans état d’âme, par le hajib Mohamed Lamin. Chaque audience au nouveau sultan est négociée contre de fortes sommes d’argent. De courts billets circulent entre la porte et l’intérieur. Prenons l’exemple de celui-ci : une demande venant de trois notables des Rehamna. Sur le papier, d’une phrase courte et directe, est présenté l’objet de leur demande : « Louange à Dieu seul. Le serviteur Si Mohamed Ben Tahar des Rehamna, El Behlouli, El Boubekri sollicitent une audience de Sa Majesté. » En réponse, sur le même billet mais d’une encre et d’une écriture différente, comme un couperet, on a écrit rapidement : « Chacun d’eux 2 000 dirhem sans compter les chevaux et le reste30. » Plus succinctement encore, un autre billet porte seulement le nom des notables avec en face la somme qu’ils doivent verser pour obtenir l’audience sollicitée : « Louange à Dieu seul. Bou Selehame El Oudiyi 100 réaux. Caïd Mohamed Ben Achir 300 réaux31. » C’est dès le 16 août en fait, avec l’entrée de Merebbi Rebbo à Marrakech, que nombre de notables sollicitent déjà la bienveillance et les faveurs du nouveau sultan.
94On retrouve aussi dans les documents saisis au dar el makhzen, la liste de plusieurs notabilités de la ville ayant eu maille à partir avec les chrétiens, indiquant leur richesse supposée ou réelle et les sommes qu’ils sont susceptibles de verser au nouveau maître de Marrakech. Le fait qu’ils aient le statut de protégé d’une puissance européenne ou qu’ils avaient réalisé des échanges commerciaux avec les Européens, les condamnaient automatiquement à verser de fortes amendes au sultan du jihad.
95Enfin, à l’annonce de la prise de Marrakech par Moulay Ahmed el Hiba, de nombreux chefs de guerre du Moyen-Atlas, entre autres Moha Ou Hemmou des Izayan et Moha Ou Saïd des Aït Ouirra, demandent au nouveau sultan de leur adresser des dahir de commandement sur leurs tribus.
96Du côté des puissants caïds de Marrakech, qui s’affrontaient encore quelques mois auparavant pour le contrôle de la ville, la division régnait. On peut ainsi observer l’attitude obséquieuse de certains pour se faire pardonner leur tentative première de résistance.
97Ainsi du caïd Abdelmalek Atigui qui se voit reprocher vertement, par Moulay Ahmed el Hiba et son entourage, ses hésitations à le rejoindre et toutes les plaintes élevées contre lui par les tribus de son commandement. On a vu comment son frère et khalifa, el Arbi, fut humilié par les tlamid du sultan. Un poème raconte ainsi la première entrevue du sultan du jihad avec le caïd. Ce dernier aurait présenté, comme justification de son attitude, sa crainte pour lui et les siens face à la jacquerie de ses tribus : « C’est que Moulay Lhassen ne nous a pas laissé des hommes de valeurs. Faute d’aguellid j’ai pris ceux qui portent des chapeaux. Parce que les Musulmans me veulent du mal et non pas un peu. Or l’aguellid le crut. Et telle est son histoire32. »
98Les caïds de Marrakech endorment quelque peu la suspicion dont les entoure Moulay Ahmed el Hiba par de nombreuses offrandes d’allégeance, le versement de grosses sommes d’argent et une attitude de soumission totale en sa présence. Si l’on en croit le témoignage de Dris Mennou, lors de la cérémonie d’allégeance, la plupart d’entre eux adoptent une attitude de servilité affichée : « J’exhortai les présents à ne pas se comporter à l’égard d’Al-Hiba comme en présence du sultan, mais de le considérer comme le chef des moujahidin, sur quoi nous nous accordâmes. […] En sa présence, je me comportai comme lors de mes premières visites, avec amabilité, courtoisie et le respect que l’on doit aux marabouts vénérés. Voyant qu’il faisait comme s’il avait oublié mes compagnons, je lui dis qu’il convenait de ne pas négliger tous ces grands caïds car ils avaient position, pouvoir et prestige parmi les gens. Il les autorisa à entrer et je fus consterné de constater que l’un après l’autre ils se prosternèrent, en faisant bouffer les pans de leur burnous, comme c’est la coutume en présence des sultans. Quand il les vit se comporter de cette manière, il se mit à me regarder d’un œil noir et je compris qu’il m’en voulait de ne pas lui avoir manifesté les mêmes égards33. »
99En ce qui concerne le petit groupe de Français réfugié dans la maison du caïd Atigui, le sultan du jihad accepta dans un premier temps de les laisser partir. Cette attitude de Moulay Ahmed el Hiba, peut, à première vue, paraître contradictoire avec ses objectifs de jihad contre les chrétiens. Surtout aux yeux des petites gens de Marrakech qui font circuler des histoires fabuleuses à ce sujet : le sultan du Sous « se faisait suivre d’un troupeau de chrétiens transformés par lui en tortues. Tous les infidèles devaient subir cette métamorphose à sa vue34 » ou encore, d’autres avançaient qu’il avait opté pour une solution plus radicale en prenant l’engagement, avec ses frères, de tuer tout européen qu’il rencontrerait.
100Mais les caïds de Marrakech ont bien fait comprendre au nouveau sultan que, s’il arrivait malheur aux otages français, les représailles seraient terribles pour la ville. Dans le pays, on a encore en mémoire le meurtre du docteur Mauchamp qui entraîna l’occupation militaire, par les Français, d’importants territoires.
101Au lendemain de l’entrée de Merebbi Rebbo à Marrakech, el hajj Thami Aglaou invite les Français à quitter la maison du caïd Atigui pour la sienne. Il craint une trahison de ce dernier, qui pourrait être tenté de se racheter auprès du nouveau sultan en lui livrant les otages. Le petit groupe espère tenir là, le temps qu’une colonne militaire française vienne les délivrer. Mais finalement, dans la soirée du 18 août, un groupe de tlamid, conduit par Haïda Ou Mouaïs et le caïd Najem, somme Thami Aglaou de leur livrer les Français. Après s’être rendu compte que toute résistance était inutile, ils sont conduits sous bonne garde au dar el makhzen. Ils resteront emprisonnés dans un pavillon du palais pendant toute la durée du séjour de Moulay Ahmed el Hiba à Marrakech.
102Ce serait le propre frère d’el hajj Thami – el Madani – qui aurait vivement conseillé au sultan de s’emparer des otages. Ce dernier aurait agi ainsi « pour tenter de se rapprocher d’Al-Hiba et pour battre en brèche l’engagement de les protéger pris par son frère, à qui l’opposait une rivalité de tous les instants35 ».
Premiers revers du nouveau sultan
103D’après le témoignage d’un des proches lieutenants de Moulay Ahmed el Hiba, c’est l’attitude scandaleuse des tlamid lors de leurs séjours à Marrakech qui fut l’une des causes de l’échec du mouvement hibiste.
104L’occupation de la ville par le sultan du Sous correspond, pour les commerçants, à la mise en place d’un véritable rançonnage organisé. Afin de favoriser ses gens, le nouveau sultan imposa à tous les marchands de Marrakech d’accepter de ses tlamid toutes les monnaies qu’ils leur présentaient, quelle qu’elle soit : monnaie dépréciée et fausse-monnaie.
105Depuis leur entrée à Marrakech, chacun de ces « bédouins stupides et véhéments » s’était « transformé en un lion prédateur à l’affût d’une proie quelconque36 ». Quand ils n’avaient plus d’argent, ils se répandaient dans la ville, semant le désordre en se faisant donner par les commerçants toutes les marchandises qui leur plaisaient pour s’en retourner sans bourse délier. À tel point que nombre de négociants cessèrent toute activité commerciale durant cette période où les tlamid régnaient en maître dans les rues de Marrakech. Plusieurs commerçants se plaignirent au sultan de l’attitude de ses tlamid mais si celui-ci leur ordonna bien de cesser leurs déprédations, dans les faits, il fut incapable de se faire obéir.
106Parmi les commerçants qui subirent les agissements des tlamid figurait un certain el hajj Ahmed el Qostali qui, malgré son affiliation à la confrérie de Ma el Aïnin, ne fut pas, pour autant, épargné. Pour les tlamid, l’appât du gain demeurait plus important que toute solidarité confrérique.
107Certains gros notables de la ville n’étaient pas non plus ménagés par les tlamid qui avaient pris pour habitude de s’installer devant leur maison « pour faire pression sur eux et les contraindre à les amadouer par des dons37 ». D’autres, regardés comme des traîtres vendus aux Français, étaient, chaque fois qu’il venait rendre visite au sultan, entouré par des tlamid qui les insultaient copieusement allant parfois jusqu’à leur jeter des pierres.
108Leurs actions néfastes ne se résumaient pas seulement à quelques rapines ou autres appropriations forcées. Ils s’en prirent aussi aux femmes de la ville. Parmi ses premières mesures, Moulay Ahmed el Hiba, avait proscrit tout célibat, ainsi « les veuves, divorcées, prostituées [furent] recensées et mariées aux disciples fidèles et aux guerriers38 ». Ces pratiques se faisaient sous le prétexte du mariage temporaire avec dot symbolique.
109Certains allaient jusqu’à frapper aux portes des maisons pour y prendre toutes les femmes qui s’y trouvaient. Si elles étaient déjà mariées les tlamid avançaient l’argument selon lequel ces unions maritales se trouvaient caduques car établies dans une ville où la présence des chrétiens les avait rendues illicites !
110Le fils de Ma el Aïnin, lui-même, s’associa d’une certaine manière à ces déprédations. Il voulut, un temps, se marier à tout prix avec une des filles de Moulay Hassan qui se trouvait au dar el makhzen. Le pacha Dris Mennou réussit à l’en détourner en lui affirmant que toutes ces dernières avaient déjà convolé en justes noces. Devant son insistance, et pour le détourner de ce projet, le pacha évoqua la présence à Marrakech des filles du chérif de Tamslouht.
111Tous ces évènements eurent lieu durant le mois sacré du Ramadan, période qui est habituellement celle du recueillement et de la piété. Les tlamid, prenant pour prétexte leur statut de moujahidin, de combattant pour la foi, s’étaient d’eux-mêmes dispensés de respecter cette période d’abstinence et allait même jusqu’à se permettre de manger en plein jour au su et au vu de tous. Aggravant d’autant plus leur image négative aux yeux des habitants de la ville.
112Mariages de plaisirs, non-respect du jeûne, rançonnage des commerçants de la ville, à quoi est due cette attitude des tlamid ? S’agit-il d’une chose nouvelle dans les relations entre les Id Ma el Aïnin et les villes du Gharb ? Seraient-ce des exemples de l’éternelle animosité nomades/sédentaires ?
113Tout d’abord, il faut signaler que même dans le domaine beydan (Ouest saharien) ces tlamid étaient mal vus et ce dès l’époque du père d’el Hiba. La missive d’un lettré beydan dénonce déjà le comportement que ces derniers adoptaient sous couvert du jihad : « Des ignorants de tout bord, piétinent aujourd’hui l’honneur (huram) des musulmans faibles, pillent leurs biens, et démolissent leurs habitations tout en chantant à haute voix la formule rituelle (tahlil). Parmi (ces brigands), il y a des gens qui portent le chapelet et font leurs ablutions et disent aux victimes, le shaykh Ma el Aïnin et ses fils nous ont ordonnés de ne rien laisser chez vous, que vous êtes devenu des Français39. »
114Ensuite, rappelons que lors d’un voyage de Ma el Aïnin à Marrakech, quelques années auparavant (novembre 1906), on retrouve exactement les mêmes déprédations, les mêmes excès. Jugeons plutôt : « Les Hommes Bleus se sont montrés prodigues de violences que leur chef tolérait, s’il ne les encourageait pas, même envers les Musulmans. À Marrakech, ils prétendirent régenter en armes d’abord le quartier où se trouve leur zaouiya, puis toute la ville. On les vit faire main basse sur les marchandises exposées pour la vente. Un propriétaire musulman voulait-il résister, ils déclaraient le punir pour avoir toléré la présence des infidèles. Ils poussèrent l’audace jusqu’à pénétrer en nombre dans les maisons particulières de leurs coreligionnaires, en demandant du thé et des femmes. […] En même temps qu’ils se dispensaient de jeûner, en plein Ramadan, sous prétexte de voyage40. »
115Il est clair que nous avons affaire ici à une reproduction des comportements que les populations nomades adoptaient vis-à-vis des sédentaires. Les tlamid ne voient dans ces populations, en particulier ceux des villes, que des populations tributaires sur lesquelles ils ont le droit de prélever l’itaouat, sorte de droit de protection imposé. Dans une société nomade voisine, celle des Touareg, on retrouve les mêmes pratiques à l’égard des populations citadines : « Pendant leur séjour en ville, les Imouchar’ traitent un peu les habitants en peuple conquis, entrant sans façon dans les maisons et se faisant donner à manger d’autorité41. »
116À la violence des tlamid, Moulay Ahmed el Hiba ajoute des pratiques qui lui font perdre, peu à peu, le soutien populaire de Marrakech. Comme lors de sa marche, il impose à tous les habitants de la ville (musulmans et juifs) l’entretien de sa mehalla.
117Non content de s’être aliéné la population citadine, le sultan, retranché dans le dar el makhzen, se coupe doucement des tribus du Sous qui l’ont porté jusque-là. S’il a bien écouté les conseils d’un notable de la ville en ne faisant pas participer les contingents du Sous aux expéditions militaires qui reprennent quelques jours après son entrée triomphale du 18 août ; il se laisse très vite griser par les cadeaux somptueux des riches caïds du Haouz, et met de côté ceux qui avaient été, jusque-là, le fer de lance de son mouvement.
118Certains de ces Aït Sous étaient logés dans les maisons vides appartenant au makhzen, d’autres durent se contenter des caravansérails (funduq) de la ville ou de maisons locatives.
119Les céréales (blé ou orge) qu’ils recevaient de la part du sultan, pour leur subsistance quotidienne, étaient tirées des silos du dar el makhzen, mais elles étaient si anciennes qu’elles en étaient gâtées. Ceux qui les recevaient étaient obligés de les vendre pour acheter du pain frais. La situation, de certains Aït Sous, était très précaire. Sans le sou, c’est grâce à la solidarité tribale, de commerçants originaires du Sous et installés à Marrakech, qu’ils purent s’en sortir. L’un d’entre eux écrit amèrement dans une lettre : « Quant aux Arabes, ils nous ont abandonnés à notre sort dès notre entrée dans la ville. […] Ils ont pris la tête des Ahl Sous mais ils les ont humiliés, rabaissant leur honneur42. »
120De plus, impossibilité était faite aux Aït Sous de faire appel à leur aguelid pour améliorer leur situation car son hajib, Mohamed Lamin, chargé d’organiser l’accès au dar el makhzen, ne laissait entrer que ceux qui étaient porteurs de riches présents.
121Les Aït Tznit en particulier étaient bien amers. Au début du mouvement, Moulay Ahmed el Hiba avait promis qu’une fois arriver à Marrakech, il prendrait à sa charge de refaire ferrer tous les chevaux des cavaliers qui l’avaient accompagné. Mais une fois sur place, leur sultan devient inaccessible alors que les tlamid allaient et venaient sans aucun problème dans le dar el makhzen. Devant cette situation, se sentant humiliés, les Aït Tznit reprirent le chemin du retour sans prendre la peine de prévenir Moulay Ahmed el Hiba de leur départ. D’autres Aït Sous les accompagnèrent sur le chemin du retour. Certains d’entre eux, une fois parvenu dans le Sous, furent emprisonnés par Cheikh el Ouali toujours positionné à Agadir el Mzar (Aksimen) pour les punir de leur défection. Malgré cela, fin août 1912, la majorité des Aït Sous avaient quitté Marrakech pour rentrer chez eux.
122Un intéressant document retrouvé dans le sillage de la fuite du fils de Ma el Aïnin nous indique, que le contingent achtouk, à son arrivée à Marrakech, se composait de mille cinq cents hommes environ. Une dizaine de jours plus tard, ils ne sont plus que six cent ! En fait, il ne restait plus que les notables et leurs proches, plus à l’aise matériellement pour prendre patience et espérer un changement d’attitude du sultan à leurs égards.
Le complot des grands caïds
123Une fois installée dans la ville qui s’est offerte à lui sans combat, Moulay Ahmed el Hiba avait désormais une grande confiance en sa destinée. Il était persuadé ou cherchait en tout cas à convaincre son entourage que plus rien ne pourrait arrêter sa marche triomphante. Il se disait alors manṣur bi yad illah, expression que l’on pourrait traduire par « le victorieux par la grâce de Dieu ». Lors d’une conversation qu’il eut un jour à Marrakech avec un des principaux cadis de la ville, et devant les doutes que ce dernier avançait dans l’issue de son jihad, Moulay Ahmed el Hiba affirma avec une grande assurance, en secouant devant ses yeux son chapelet : « C’est par la force de ce rosaire que j’ouvrirai les portes du Caire et de Damas43. » Alors qu’à son départ de Tiznit, conscient des faiblesses de son mouvement, il avait humblement avoué à Haïda Ou Mouaïs qu’il mettait son destin entre ses mains afin de le soutenir et de le guider dans cette marche sur Marrakech qui s’annonçait périlleuse. À Marrakech, il pérore désormais et se voit déjà comme le libérateur des grandes villes du monde musulman.
124Pour ce qui est de l’organisation du jihad, ses conseillers le poussent à faire appel aux tribus qui se trouvent entre lui et le détachement français : les Doukkala, les Abda et les Rehamna. Il nomme une série de nouveaux caïds sur ces tribus chargés de lever de nouveaux contingents pour s’opposer aux chrétiens.
125La colonne française, jusque-là en concentration à Mechra Ben Abbou, fait mouvement sur les Rehamna, les premières escarmouches ont lieu aux environs des Skhour où elle compte une trentaine de blessés mais maintient ses positions en repoussant l’adversaire.
126Dans le camp hibiste, malgré cette première défaire, on reste optimiste. Les Rehamna envoient une lettre rassurante à l’un des cousins du sultan chargé d’organiser les actions militaires. Ils lui décrivent un dur combat où après avoir infligé « des pertes incalculables » à l’ennemi, ils l’ont enfin repoussé « jusqu’à l’extrême limite des Doukkala ».
127Mais très vite, suite à de nouveaux combats où le camp hibiste subit défaite sur défaite, le ton des missives a changé. C’est le 22 août, que l’on apprend que « l’ennemi impie [a pénétré] dans le pays des Rehamna, il y [a brûlé] quelques campements. Les Rehamna vinrent demander secours au Sultan qui envoya alors 1 200 cavaliers et leur Khalifa44 » pour les guider et leur rapporter un peu de la baraka de Moulay Ahmed el Hiba, nécessaire dans leurs combats contre les chrétiens. Quelques jours plus tard, dans une autre lettre, on perçoit qu’un certain affolement a saisi les troupes du sultan de Marrakech : « Il se confirme aujourd’hui que le chrétien dispose de 1 700 hommes. Tout le monde me demande des cartouches et réclame l’envoi d’armes, de munitions et de soldats. Faites le nécessaire sans tarder alors qu’il est encore temps45. »
128De leur côté, les gros caïds de Marrakech, qui n’ont pas cessé de rester en contact avec les troupes françaises menées par le colonel Mangin, et devant l’hostilité de plus en plus forte des notables et des commerçants de la ville, s’organisent pour trouver le moyen de précipiter la chute de ce sultan inconscient des périls qu’il fait peser sur la ville et ses habitants. Ils se réunissent de plus en plus souvent afin de trouver le moyen le plus approprié pour se débarrasser des Id Ma el Aïnin. Jour après jour, le complot grandit doucement au cœur de Marrakech.
129Une des principales causes de cette « trahison », est l’attitude intransigeante de Moulay Ahmed el Hiba vis-à-vis des otages français. Il refuse toutes les propositions, avancées par les caïds de la ville, pour le rachat de leur liberté.
130En effet, le petit groupe de Français, suite à sa tentative de quitter la ville, est retourné à Marrakech pour trouver refuge dans la maison du caïd Abdelmalek Atigui tandis que leurs habitations étaient pillées par la foule. Lorsque les grands caïds de Marrakech allèrent à la rencontre de Moulay Ahmed el Hiba, ce dernier refusa leur proposition d’évacuation des Français mais consent à ce que, pour l’instant, ils demeurent sous la responsabilité du caïd Atigui.
131Le lendemain, sur l’insistance d’el hajj Thami Aglaou, ils quittent la maison du caïd Atigui pour celle de l’Aglaou. Ce dernier craint en effet une possible trahison du caïd Abdelmalek Atigui. Mais au lendemain de l’entrée de Moulay Ahmed el Hiba à Marrakech, le 19 août, Thami Aglaou se voit obliger de livrer ses hôtes étrangers au nouveau sultan. Ils sont conduits au dar el makhzen, sous prétexte d’une entrevue avec le souverain, où ils resteront prisonniers jusqu’à l’entrée des troupes françaises dans la ville.
132Des rançons importantes sont offertes par les gros notables de la ville, notamment par le caïd el Ayadi Rehamni et le pacha Dris Mennou, afin d’obtenir la libération des otages français. Mais toutes ces propositions sont, après quelques hésitations, refusées en bloc par le nouveau sultan. Cette intransigeance fait craindre le pire aux grands caïds de Marrakech qui craignent d’être désignés comme responsables s’il arrivait malheur aux prisonniers. Ils ont tous encore en mémoire l’assassinat du docteur Mauchamp et de ses désastreuses conséquences.
133Les caïds de la ville changent alors de tactique et tentent de détacher de Moulay Ahmed el Hiba plusieurs des contingents du Sous qui restent encore auprès de lui. Le plus actif dans cette nouvelle action est sans conteste Thami Aglaou qui réunit dans sa maison tous les représentants des Aït Sous. Pour se les attacher, il fait appel à la solidarité régionale, allant jusqu’à prétendre être originaire du Sous. Il avance une filiation lointaine avec Sidi Ouaggag, célèbre saint du Sous, dont le tombeau se trouve à Aglou. Il joue sur l’apparente homonymie de ce territoire tribal du Sous et de son ethnique, « Aglaou » en tachelhit (el Glaoui en arabe). Il leur demande d’appuyer sa proposition faite à Moulay Ahmed el Hiba qui consiste à ce que celui-ci libère les otages français en échange de quoi el hajj Thami s’engage à jouer « le rôle d’intermédiaire entre [el Hiba] et la France afin de conclure un traité de paix pour 50 ans46 ».
134Dans les derniers jours de la période hibiste, Thami Aglaou, dont les contacts avec la colonne française qui approche n’ont pas échappé au nouveau sultan, se tient chez lui de peur d’être arrêté s’il se montrait au dar el makhzen, d’où cette demande faite aux Aït Sous de jouer le rôle d’intermédiaires. Une atmosphère de suspicion règne désormais entre le sultan venu du Sous et les grands notables de la ville. Moulay Ahmed el Hiba organise, autour de leurs maisons, la mise en place de groupes de surveillance chargés de lui rapporter tous les va-et-vient qui se font aux alentours de leurs demeures. Ainsi un groupe de veilleur s’installe-t-il au sommet du minaret de la Koutoubia afin de surveiller la résidence du caïd Abdelmalek Atigui établi dans le quartier de la célèbre mosquée. Inversement, un réseau de guetteurs est mis en place par les grands caïds de la ville autour du dar el makhzen pour surveiller les agissements de Moulay Ahmed el Hiba et de ses hommes.
135Mais de nouveau le fils de Ma el Aïnin refuse toute libération des otages français, au désespoir de certains membres de son gouvernement qui redoutent une issue fatale à ce refus obstiné de libérer les otages français. Devant cette attitude entêtée, les grands caïds de Marrakech comprennent que seule la force pourra faire plier le fils de Ma el Aïnin. Ils remplissent leurs maisons de leurs gens et commencent à réunir armes et munitions dans l’attente du moment propice pour organiser un coup de force décisif c’est-à-dire à l’arrivée des troupes françaises près de Marrakech.
136Un jour avant son entrée dans Marrakech, Moulay Ahmed el Hiba annonçait ouvertement son programme de guerre sainte en proclamant une vaste offensive sur le contingent militaire français établi sur les rives du fleuve Mourebia (Oum Rebia). Mais une fois installé dans la ville, il s’abandonne vite aux plaisirs de la vie et ce n’est que sur les appels successifs des Rehamna, qui subissent les premières attaques de la colonne française, que le nouveau sultan s’emploie à réactiver le jihad.
137Deux importantes rencontres ont lieu sur le territoire des Rehamna, à Ouham (22-23 août) et Ben Guerir (29 août), qui jalonnent l’avancée du colonel Mangin sur Marrakech. À chaque fois c’est une cuisante défaite pour les troupes hibistes.
138Malgré ces déroutes militaires successives, la croyance populaire dans la baraka de Moulay Ahmed el Hiba perdure. Si ceux qui ont participés aux combats contre les Français sont découragés, les autres continuent à penser que la puissance bénéfique du fils de Ma el Aïnin fera changer les balles des Français en « scarabées et [fera] cracher de l’eau [à leurs] canons47 ».
139En effet, de nouveaux contingents, attirés par l’écho de la prise de Marrakech, continuent d’affluer sur la ville.
140De plus, Moulay Ahmed el Hiba n’a pas pris part lui-même aux combats, « il n’a pas été battu en personne ce qui explique qu’il puisse trouver encore des gens qui aient foi en lui et soient disposés à combattre pour sa cause48 ».
141Mais il a pris conscience du danger de cette colonne française qui, depuis les rives du Mourebia (Oum Rebia), a déjà parcouru la moitié de la distance qui la sépare de Marrakech. Elle se trouve alors à une cinquantaine de kilomètres de la ville et désormais les 2/3 des Rehamna se sont soumis à elle.
142Moulay Ahmed el Hiba fait remplacer l’ancien commandant des troupes, jugé incapable suite aux défaites qui s’enchaînent, par son frère Merebbi Rebbo. Dès le 31 août, la concentration des troupes s’organise aux portes de Marrakech. Cette fois-ci, il s’agit de frapper un grand coup, la suite du mouvement hibiste dépend de cette bataille décisive qui se prépare.
143Jusque-là, les différents renforts envoyés depuis Marrakech aux Rehamna s’étaient élevés, à chaque fois, à environ un millier de cavaliers levés pour l’essentiel sur les tribus guich du Haouz, les Ouled Bou Sbaa et les Rehamna eux-mêmes. Mais cette fois-ci, il s’agit d’obtenir une victoire qui s’est trop fait attendre et le sultan fait alors appel à toutes les tribus de la région. Tous les grands caïds s’exécutent et chacun envoie un contingent qui les représente. Le caïd Atigui y envoie même son frère et khalifa (el Arbi) pour mener ses hommes à la bataille. De son côté, le sultan décide de se défaire d’une partie de ses contingents venus du Sous avec lui : les Haouara, Achtouken et les Gens du Haut-Sous.
144La masse d’hommes groupée devant le col de Sidi Bou Otman49 s’élève alors à environ dix mille hommes constitués de sept à huit mille fantassins et de deux à trois mille cavaliers répartis sur les ailes du groupement. En guise d’artillerie, la mehalla dispose de quelques canons (deux à quatre) tirés de l’arsenal de Marrakech et dirigés par un renégat espagnol.
145Au milieu de ces hommes armés, se trouve aussi des enfants et des vieillards de Marrakech armés de simples bâtons pour achever l’ennemi, convaincu que la baraka et les pouvoirs surnaturels de leur sultan seront suffisants pour défaire les maudits chrétiens ! Malgré les exactions de ces tlamid dans la ville, les croyances dans les pouvoirs magiques de Moulay Ahmed el Hiba perdurent au sein de Marrakech. Dans le camp hibiste, on est persuadé qu’il « est infaillible, [qu’]il va d’un mot jeter les Français à la mer, d’un geste soulever et régénérer l’Islam qui se dressera triomphant en face de la Chrétienté50 ». Le jour de la rencontre décisive, il a persuadé les habitants de la ville de rester cloîtrés chez eux car il avait fait appel à la puissance des jnoun, « esprits méchants [qui] allaient sortir bientôt pour combattre les Roumi51 ».
146La bataille a lieu en terrain dégagé, un peu au nord du col de Sidi Bou Otman, dans la matinée du 6 septembre 1912. Les adversaires se font face. Numériquement, les troupes menées par Merebbi Rebbo sont deux fois plus nombreuses que celles du colonel Mangin (quatre mille quatre cents hommes environ).
147Au tout début du combat, les troupes françaises avancent lentement et sans tirer un coup de fusil, ce qui surprend joyeusement les troupes hibistes. Le sultan leur a annoncé que, lors de la confrontation contre les chrétiens, les fusils roumis se trouveront dans l’incapacité de fonctionner et leurs canons « chanteraient la gloire d’Allah52 ». Le miracle s’est accompli devant leurs yeux et elles avancent à leur tour, désormais confiantes dans l’issue du combat, en psalmodiant la profession de foi musulmane53.
148Malheureusement pour elles, les troupes hibistes massées sur plusieurs rangs dans cette plaine nue constituent une cible idéale pour l’artillerie du colonel Mangin, qui, en près de trois heures, les taille littéralement en pièces. Merebbi Rebbo ne trouve son salut que dans une fuite éperdue, laissant sur le terrain près de deux mille hommes blessés, tués sur le champ de bataille ou morts de fatigue et de soif dans la débandade, contre vingt-huit hommes morts ou blessés pour le camp français.
149Comment expliquer une défaite aussi écrasante et sans appel ? Le déséquilibre de l’armement en faveur de la colonne Mangin, qui dispose d’une importante force d’artillerie, est-elle la seule cause dans la déroute hibiste ?
150Il faut souligner tout d’abord que dans leurs combats au Maroc, très vite, les troupes françaises prennent l’habitude d’utiliser au maximum l’artillerie « afin d’éviter des pertes à l’infanterie. Cette tactique économique est d’ailleurs devenue d’un usage général, ainsi s’expliquent les pertes considérables infligées aux Marocains alors que les [leurs] sont généralement très faibles54 ». De plus, par cette façon de faire, le feu de l’ennemi perd de son efficacité car maintenu à bonne distance par les canons français.
151Pourtant, on l’a vu, Merebbi Rebbo dispose, lui aussi, d’une d’artillerie, toute relative il est vrai car composée d’une poignée de canons modernes ; cependant, lors de la bataille, leurs « projectiles éclatent trop haut ou tombent dans le carré [des troupes françaises] sans éclater55 ». Apparemment, les artilleurs des sultans rencontrent, semble-t-il, toujours le même problème puisque c’est exactement le même résultat que nous décrit un officier français lors des combats qui ensanglantèrent, quelques années plus tôt, la plaine des Chaouïa. Son constat sur la valeur de l’artillerie des mehalla hafidienne, qu’il affronte alors, est sans appel : « Cette artillerie ne fut jamais très redoutable. Le pointage assez précis aurait pu rendre le tir très dangereux si les obus avaient éclaté ; mais, à part quelques rares exceptions, ils s’y refusèrent constamment, les Marocains ne connaissant pas l’emploi de la fusée56. »
152L’erreur fatale qui est donc à l’origine de l’écrasement des forces hibistes, est ce déploiement des troupes hibistes en plaine, alignées sur plusieurs rangs car jusque-là « les Marocains ne se [présentaient] jamais au combat en masse ou en lignes », empêchant l’artillerie française de « mettre en valeur complète ses qualités57 ». Cette formation de la mehalla hibiste surprend d’ailleurs le colonel Mangin : « Il est à remarquer que les Marocains fanatisés n’ont pas présenté les formations fluides qui leur sont habituelles, mais ont combattu en groupes compact58. » On ne peut expliquer cette attitude que par la confiance aveugle qu’avaient les moujahidin dans la baraka protectrice de Moulay Ahmed el Hiba ! On peut aussi y voir une stratégie d’intimidation de la part de Merebbi Rebbo qui espérait, peut-être, qu’en étalant ainsi sa force numérique aux yeux des Français, il amènerait ces derniers à solliciter des négociations pour une trêve et éviter ainsi l’affrontement redouté. En effet, Merebbi Rebbo avait reçu comme consigne de son frère de ne négocier que si les Français faisaient la première démarche car disposant toujours de l’atout des otages. Si tel est le cas, on ne peut que s’étonner de cette attitude naïve de la part de Merebbi Rebbo !
153Quant aux grands caïds de Marrakech, ils étaient depuis longtemps en communication avec le colonel Mangin et lui avaient affirmé que dès que les troupes françaises seraient en vue, ils soulèveraient la ville contre el Hiba59. Après la victoire de Sidi Bou Otman, au soir du 6 septembre, le colonel Mangin envoie des messagers aux notables de Marrakech. Il leur adresse une lettre dans laquelle il les met en garde : « S’il tombe un cheveu de la tête de nos compatriotes, la population sera passée au fil de l’épée, la ville sera rasée ; là où il y a des palais il ne restera que des ruines, et le châtiment sera tel que tout le Maroc en tremblera60. »
154En recevant cette lettre de menace certains, saisi de terreur, prennent immédiatement la fuite, d’autres hésiteront longtemps avant de se rallier au camp du plus fort. De son côté, le pacha Mennou, après avoir vérifié que les otages étaient toujours en vie, envoya des hommes prendre position autour de leur prison afin d’empêcher Moulay Ahmed el Hiba de les tuer ou de les emmener avec lui dans sa fuite.
155Quant aux caïds Aglaou et El Ayadi, ils prirent immédiatement contact avec la colonne de cavalerie du commandant Simon, envoyée en avant-garde sur Marrakech.
156Ce dernier arrive près de la ville dans la soirée du 6 septembre, aux alentours de 8 heures du soir au lieu de 5 heures comme il l’avait prévu. Il juge alors qu’il est trop tard pour tenter une action de nuit. Il décide, en concertation avec les grands caïds de Marrakech, d’exécuter, le lendemain matin, un assaut du dar el makhzen. En attendant les premières lumières de l’aube, lui et ses hommes se cachent dans la végétation des rives de l’oued Tensift.
157Pour ce qui est de Moulay Ahmed el Hiba, il apprend vers midi la défaite de son frère à Sidi Bou Otman. Les premiers fuyards commencent à refluer sur la ville, informant tout le monde de l’approche menaçante des chrétiens. Avec cette nouvelle, Moulay Ahmed el Hiba prenait enfin conscience que tous ses rêves et ses espoirs de pouvoirs s’évanouissaient et que la seule solution serait dans la fuite.
158En effet, il sait pertinemment que les grands caïds, qui complotent depuis des jours vont saisir l’occasion pour se retourner contre lui. Inquiet pour sa sécurité, il s’enferme dans son palais et refuse d’accueillir, dans la soirée du 6 septembre, une députation des grands caïds venus sans doute lui conseiller de fuir sans plus tarder mais surtout lui demander de libérer immédiatement les otages français. Avant de prendre toute décision, il attend avec anxiété l’arrivée de son frère qui ne parvient à Marrakech que très tard dans la nuit. On a vu que l’avant-garde du commandant Simon est arrivée autour de 8 heures du soir, il faut donc croire que Merebbi Rebbo a multiplié les détours afin d’échapper aux hommes qui avaient décimé ses troupes.
159Certains à Marrakech, parmi ses plus fidèles alliés, espèrent encore une réaction de leur sultan. On attend de lui qu’il réorganise son armée avec les contingents restés à Marrakech afin de lancer une contre-attaque ou tout du moins d’organiser la défense de la ville.
160Il ne prend la décision de fuir qu’après l’arrivée d’un Merebbi Rebbo paniqué qui a découvert la présence des hommes du commandant Simon, à l’affût, au bord du Tensift : « Quand on lui ouvrit et qu’il se trouva en présence d’Al-Hiba, ils se laissèrent submerger par la panique au point qu’ils ne se reconnaissaient pas mutuellement61. »
161À un moment, il semble même que, Moulay Ahmed el Hiba, convaincu d’avoir été pris en tenaille avec d’un côté les grands caïds et de l’autre les troupes françaises, croit que pour conserver la vie, il ne lui reste plus que la reddition pure et simple. Dans cette optique, il pense un moment utiliser les otages français comme avocats plaideurs pour le bon traitement qu’ils subirent durant toute leur période de captivité.
162D’après une phrase sibylline, trouvé dans la lettre d’un proche du fils de Ma el Aïnin et adressé au caïd el Madani Aglaou (el Glaoui) un an après la fuite de Marrakech, il semblerait que ce dernier personnage ait joué un rôle primordial dans la fuite de Moulay Ahmed el Hiba : « Jamais je ne mettrai fin au pacte qui nous lie et n’oublierai tes bienfaits jamais, jamais […] Je suis certains que le Chérif [Moulay Ahmed el Hiba] a en toi une confiance plus grande qu’en tout autre car il t’a mis à l’épreuve l’année dernière et a fort apprécié ton intelligence, toi qui prévient si bien le danger62. »
163On a déjà vu que c’est ce personnage qui avait poussé Moulay Ahmed el Hiba à récupérer les otages français cachés dans la maison de son frère el hajj Thami. Ici encore c’est dans le cadre de cette opposition, constante et ancienne, à son frère puîné, qu’el Madani prévient le fils de Ma el Aïnin des possibilités de fuite. Thami Aglaou était résolument engagé dans la collaboration avec la colonne française qui approchait et son frère craint alors qu’il n’en tire tous les bénéfices pour lui seul. La capture de Moulay Ahmed el Hiba par el hajj Thami, homme de poudre de la famille, aurait été une action d’un trop grand éclat qui aurait pu éclipser son aîné, plus politique.
164Finalement, c’est dans un grand désordre, que Moulay Ahmed el Hiba prend la fuite, entouré de ses proches. Il prend la direction de la vallée de l’Oued Nfis (asif Ounfis) pour franchir la montagne et se réfugier dans le Sous. Il est un temps poursuivi par les cavaliers des grands caïds.
À Taroudant
165Suite à la défaite de Sidi Bou Otman, la panique est donc générale dans le camp hibiste.
166Moulay Ahmed el Hiba, quant à lui, prend la fuite par la route qui traverse les territoires du caïd Tayeb Outgountaft (el Goundafi). Ce dernier, s’il ne s’est pas rendu de lui-même faire allégeance à l’éphémère sultan de Marrakech y avait envoyé l’un de ses fils pour lui faire hommage en son nom. El Hiba préfère éviter la route du col d’Amachou d’où il avait surgi, craignant désormais une trahison du caïd Atigui qui contrôlait cette dernière passe. Tout au long du chemin, Moulay Ahmed el Hiba trouve les bagages abandonnés par ceux qui l’avaient précédé dans la fuite. Tous les beaux et vigoureux étalons, qu’il avait reçus en hommage à Marrakech, tombaient l’un après l’autre, peu habitués à la chaleur et aux lourdes charges qu’on leur imposait. En entrant dans le territoire du Tagountaft (Goundafa), le caïd du pays « envoya ses hommes pour faire savoir qu’el Hiba et ceux qui l’accompagnaient étaient sous sa protection, il fit ouvrir ses vergers aux fuyards pour se ravitailler en fruits, noix et amandes63 ». C’est la première étape où le sultan déchu pu souffler un peu avant de reprendre la route pour Taroudant.
167D’autres groupements de fuyards hibistes, moins importants, sont impitoyablement pillés par les Iglioua (Glaoua), les Intougga (Mtougga) et leurs alliés. Certains, tel Mhamed Iraa et le caïd Najem rejoignent le Sous en passant par le territoire des Ihahan (Haha), d’autres empruntent la route du col d’Amachou.
168À Marrakech, plusieurs grands personnages du gouvernement hibiste ont, de leur côté, choisi d’attendre l’arrivée des troupes françaises pour se soumettre. Parmi eux, on retrouve le pacha Ahmed Kabba de Taroudant, Haïda Ou Mouaïs et Omar Asktou (Sektani). En choisissant le camp du vainqueur, ils tournent définitivement la page hibiste. On pourrait placer, dans la bouche de certains d’entre eux, ces paroles désabusées d’un poète berbère : « La guerre des gens du Sous, on dit que c’est Marrakech seulement qui la guérit. Ils ont tous voulu commander, l’obéissance n’existe pas parmi eux. Si dans leur pays, l’un s’était soumis à l’autre, la paix aurait régné64. »
169Enfin, d’autres contingents du Sous, surpris par la fuite de leur aguelid, se terrent à Marrakech toute la journée du 7 septembre avant de prendre la route du Sous, aux premières lueurs de l’aube, sous la protection qui du caïd Atigui, qui d’el Madani Aglaou, qui encore du pacha Mennou.
Menaces persistantes de Moulay Ahmed el Hiba
170Malgré sa fuite, Moulay Ahmed el Hiba constitue toujours une menace dans le Haouz. Le 11 septembre, les coups de canons tirés à Marrakech pour annoncer la proclamation de Moulay Youssef ont pour conséquence inattendue de susciter un regain d’hostilité des tribus voisines (Imesfioun et Rehamna) et du petit peuple de la ville qui interprètent la canonnade comme « le signal du retour prochain d’El Hiba65 ». Le témoignage d’un voyageur français, dans Marrakech libéré depuis quelques mois par Mangin, est encore plus éloquent à ce propos : « Il arrive aussi que, devant le Roumi, le nom du saint patron légendaire soit remplacé par celui de Sidi El-Hiba, le mjahid, le prophète de la guerre sainte, qui n’a fait semblant de se laisser battre que pour mieux attirer les Français à Marrakech. À Taroudant, derrière l’Atlas, il prépare contre eux ses maléfices, et suivant les derniers bruits des souks, il s’occupe en ce moment à dresser une harka de moustiques qui, passant d’un trait les montagnes, va s’abattre sur leurs camps pour leur inoculer la mort. Il est le serviteur de Dieu. Il confondra les idolâtres66. »
171Ce dernier, installé à Taroudant, entreprend une grande activité épistolaire en adressant de nombreuses missives aux tribus, les encourageant à la révolte et annonçant son retour imminent à la tête d’une nouvelle mehalla. Malgré la terrible défaite de Sidi Bou Otman donc on continue, au sein même de la cité de Marrakech, de croire en la puissance surnaturelle du fils de Ma el Aïnin. De plus, dans de nombreuses zaouïa ou médersa de la campagne du Haouz, la prière est encore accomplie au nom de Moulay Ahmed el Hiba durant quelques semaines.
172Vers la fin du mois de septembre, le caïd Tayeb Outgountaft (el Goundafi) lui présente la situation dans la région de Marrakech comme particulièrement à son avantage : « Toutes les tribus du Haouz sont encore intacte et attendent un représentant de votre part. […] Les tribus de la plaine comme les Mesfioua, les Réghia, Ourika et leurs voisins sont encore intacts et sincères à votre cause67. »
173Le 10 septembre, le vieux pacha Ahmed Kabba, qui avait reçu pour mission de rejoindre Taroudant avant le sultan déchu, par la route du Tizi Oumachou et du Bibaoun, est assassiné à el Mnizla (sur le territoire des Ida Ouzal, à cinq heures de marche de la capitale du Sous) par des partisans hibistes. Pour des raisons de propagandes évidentes, sa tête ornera longtemps les murailles de la casbah de Taroudant où naguère il avait régné avec autorité. Il était temps pour Moulay Ahmed el Hiba qui fait son entrée dans la place le 11 septembre, précédé la veille par son frère Merebbi Rebbo qu’il a envoyé en avant-garde pour prendre de vitesse le pacha Kabba et ainsi éviter que celui-ci ne s’y enferme et n’en interdise l’accès au groupement hibiste.
174Moulay Ahmed el Hiba garde l’espoir que les tribus du Gharb vont se révolter et lui permettre ainsi de pouvoir revenir à Marrakech. On trouve ses missives enflammées « jusqu’au Tadla et à l’Est de Fez68 ». S’adressant à des tribus de la région du Tadla, il les invective par des mots empreints d’une ferveur jihadiste toujours intacte : « Activez le mouvement du côté de Marrakech, que cette ville soit l’objet de votre but, c’est elle l’objet du désir. […] Ne modifier pas votre conduite et ne préférer pas le mal au bien, la religion de l’Islam est bien préférable à la religion de l’infidèle69. »
175Cette facilité, avec laquelle Moulay Ahmed el Hiba parvient à faire parvenir ses messages à plus de cinq cents kilomètres de son lieu de résidence du Sous, ne cesse d’étonner le makhzen français qui ne comprend pas comment les émissaires hibistes peuvent ainsi traverser si facilement des régions qu’il est censé contrôler. Il faut dire que l’aguelid du Sous dispose d’un relais important dans la région du Tadla dans la personne de son oncle Sidi Ali qu’il a nommé khalifa pour cette région et à qui il a fait parvenir un sceau en son nom (Sidi Mohamed el Hiba ben Ma el Aïnin) qui lui permet de démultiplier les messages aux tribus du Gharb.
176Cependant, malgré toute cette activité épistolaire, il est incapable de fournir des renforts armés et ainsi les tribus du Haouz se soumettent, les unes après les autres, aux troupes françaises. Un sursaut hibiste a pourtant lieu à la fin du mois de décembre ; ce que l’on a appelé la « révolte » des Ihahan (Haha), soumis jusque-là au makhzen des Français. Un poème berbère rapporte alors : « Du pays de Mogador, il est venu un marchand. Qui dit : “Seuls les Haha sont encore des Musulmans70.” »
177Menée par les caïds Mohamed Anflous et Abderahman Aguilloul – qui pour l’occasion font taire leurs dissensions – cette révolte est rapidement réduite en un mois mais elle a menacé, un temps, le port de Mogador (Tassourt) d’où les tribus révoltées n’étaient plus distantes que de dix-huit kilomètres. Il semble que, si Moulay Ahmed el Hiba ne put envoyer les importants renforts qu’il avait promis, il parvient à leur envoyer, tout de même, son frère Cheikh el Ouali à la tête d’un « petit nombre d’hommes du Sous et de Sahariens71 ». De plus, il est avéré « que les révoltés se plaçaient sous l’égide du Prétendant ; les attaques de nuit […] se faisaient au cri de “Dieu donne la victoire à Moulay Hiba”72 ».
178Quant à la situation matérielle du sultan de Taroudant, si elle ne peut être équivalente à celle qu’il avait après la prise de Marrakech, elle restait satisfaisante. Et ce, malgré la disette qui sévissait alors dans le Sous : « Son trésor était entretenu, assez maigrement il est vrai, par les offrandes de ses fidèles, la vente des réserves d’orge maghzen de Taroudant et d’Agadir, [ainsi que par] le produit des Nézalas qu’il avait instituées à Agadir et au débouché d’Amesgroud73. »
179Le Sous est littéralement mis en coupe réglée par ses lieutenants. Son cousin, Cheikh Sidi Ahmed, tient toujours la place forte d’Agadir. Les tribus voisines, Aksimen, Imesguin et Ida Outanan, si elles restent toujours fidèles au sultan de Taroudant, sont, malgré tout, rançonnées par des bandes armées se revendiquant du fils de Ma el Aïnin et se livrant au brigandage.
180On assiste aussi à une démultiplication des nzala autour d’Agadir : « Les Ida Ou Tanan en contrôlent trois sur la côte dont une à Aghroud ; les [Imesguin] contrôlent celle de [Tamraght] et les [Aksimen] sont installés à la porte de Founti. [Cheikh Sidi Ahmed], pour son propre compte, en a installé une à la porte du fondouk de Sidi Bou Knadel. Les souks sont pillés, l’insécurité règne et les caravanes de plus en plus rares passent par la mer, sur des barques74 » pour éviter les taxes des nzala et les guet-apens des brigands.
181De son côté, Cheikh el Ouali, fuyant les Ihahan (Haha), s’est installé désormais à Agadir el Mzar au cœur des Aksimen, en sa qualité de khalifa du sultan du Sous. Il n’hésite pas, lui non plus, à parcourir les tribus voisines pour les pressurer.
L’étau se resserre autour de Taroudant
182Il faut souligner que le retour de Moulay Ahmed el Hiba dans le Sous ne se fait pas sans difficulté. Aux yeux des Aït Sous, plus personne ne lui donnait de l’importance comme à Marrakech. Il subissait là les conséquences de son action odieuse et de ses exactions sauvages accomplies lors de son séjour dans la capitale du Haouz. Pour l’un des principaux fqih du Sous, qui accompagna son aguelid jusqu’à Marrakech, toute la faute de l’échec du mouvement hibiste venait des mauvais conseils que l’entourage du sultan lui prodiguait.
183Un autre fqih des Achtouken, el hajj Abd, qui avait suivi Moulay Ahmed el Hiba jusqu’aux limites du Sous, vint retrouver son sultan dont il avait appris le retour. Tout au long de sa route vers Taroudant, il croisa nombre d’Aït Sous qui étaient revenus de Marrakech. Tous reprochaient l’attitude méprisante qu’avait eue à leur égard le hajib du sultan Mohamed Lamin. Ils le désignaient comme seul responsable de leur situation matériel désastreuse tout du long de leur séjour à Marrakech, l’accusant de s’être toujours interposé entre eux et leur aguelid.
184Devant ces nombreuses critiques que lui rapporta alors el hajj Abd, Moulay Ahmed el Hiba comprit que pour se rattacher les Aït Sous, il devait sacrifier son hajib et néanmoins neveu. Il lui fit donner la bastonnade en public puis le jeta en prison. Il désigna alors à sa place el hajj Abd pour qui les Aït Sous avaient un grand respect. Ce dernier organise aussitôt une grande réunion des tribus du Sous afin d’apaiser les tensions et de renouer les liens distendus.
185Mais pour certains, la rupture avec le mouvement hibiste était désormais définitive. Ainsi des Aït Tznit, qui, apprenant la déroute de Sidi Bou Otman et le retour de Moulay Ahmed el Hiba au Sous, n’hésitèrent pas à chasser de la place Cheikh Naama, jusque-là khalifa de son frère pour tout le Sous extrême.
186Comme on l’a vu plus haut, les Aït Tznit ont été parmi les premiers à quitter Marrakech et leur sultan du fait des promesses non tenues et de l’attitude de Moulay Ahmed el Hiba à leurs égards. Quand ils parviennent à Tiznit, ils trouvent la population fort mécontente de l’attitude de Cheikh Naama qui s’appuyait, dans toutes ses actions, sur un notable de la tribu voisine des Aït Jerrar, Ayad Ajerrar (el Jerrari en arabe), avec lesquels les Aït Tznit ont de lourds et anciens contentieux notamment à cause de la source des Reggada dont nous avons déjà parlé. Ainsi, le caïd Ajerrar « n’oubliait pas ce qui l’opposait aux [Aït Tznit] et se servi de Naama en l’influençant pour brimer sans relâche ses ennemis les [Aït Tznit]. Le mettant en garde constamment contre une traîtrise de leur part. Le persuadant que ce genre d’hommes ne méritaient que l’humiliation et l’asservissement75 ».
187Ainsi, le 21 novembre 1912, les principaux notables (inflas) de Tiznit, après s’être concertés, signifièrent à Naama d’avoir à quitter la cité avec tous ses tlamid. Ils lui interdirent d’emmener avec lui toutes les offrandes et dons qu’avaient fait les tribus à son frère et qui se trouvaient entreposées dans sa maison. Naama dut céder à la force. La maison et les biens de la famille de Ma el Aïnin furent pillés consciencieusement76. Il trouve refuge dans la maison du Cheikh Moussa n Id Bakkas de Ouijjan « où El Heiba avait laissé un certain nombre de tentes et de troupeaux dans les pâturages [avoisinant] de Miheï et de Lemcheïbik77 ».
188Les poètes pro-hibiste dénonçaient alors la déloyauté de Tiznit par ce vers : « Par Tiznit proclamé mais trahis par Tiznit », ce à quoi pourrait leur répondre un notable pro-makhzen de la région : « La royauté n’est pas faite pour les porteurs d’aferoual78. »
189À Taroudant, apprenant la nouvelle, Moulay Ahmed el Hiba fait mettre en prison l’un des principaux notables de Tiznit, Mbark Boulbakour, qu’il avait gardé auprès de lui, estimant à tort que sa présence lui garantirait ainsi la fidélité de Tiznit.
190Pendant longtemps, le parti hibiste tenta de reprendre la place sans succès. En février 1913, Tiznit ouvre ses portes à l’ancien symbole de l’indépendance du Sous, Mohamed Ou Lhousseyn du Tazeroualt qui a réaffirmé son attachement au sultan des Français depuis novembre 191279. C’est à son instigation qu’à Tiznit, dès le commencement d’avril 1913, on introduit « dans la prière du vendredi la formule reconnaissant Moulay Youssef comme Prince des Croyants80 ». Les inflas de Tiznit entretiennent désormais « de nombreuses relations avec les commerçants et les autorités de Mogador et réclament avec insistance une intervention » des troupes françaises81.
191Ils demandent aussi l’envoi rapide d’un représentant makhzen. C’est el Habib Baqqa, ancien chef de la garnison de Tiznit jusqu’en 1908, qui est choisi pour cette mission. Il se trouve alors à Marrakech.
192Nommé Pacha de Tiznit en 1911 par Moulay Hafid, il « n’avait jamais pu prendre possession de son commandement, mais y conservait des relations nombreuses et une influence considérable. Serviteur déjà ancien du Maghzen, possédant une grosse fortune, il paraissait tout à fait l’homme de la situation82 ». Pour rejoindre son nouveau poste, il embarque à Tassourt (Mogador) le 7 mai 1913, mais en arrivant devant Aglou, la barque qui devait le mener au rivage est renversée au passage de la barre et « les flots engloutirent le caïd Bakka83 ».
193Depuis Taroudant, Moulay Ahmed el Hiba tenta d’exploiter cet échec makhzen en affirmant que c’était par la grâce de son souffle que les vagues avaient fait chavirer l’embarcation du caïd. Malheureusement pour lui, ses partisans étaient de moins en moins enclins à croire en la puissance de sa baraka qui ne les avait conduits, jusque-là, que de déroutes en défaites, et c’est avec beaucoup d’irrévérence qu’on lui répliquait : « Souffle donc sur les harkas qui sont là, […] ou plus simplement souffle pour que l’eau revienne dans les seguias84. » Le siège de Taroudant a en effet commencé et les troupes menées par Haïda Ou Mouaïs ont détourné les rigoles qui permettaient l’irrigation des vergers de la ville.
194Une certaine nervosité, due à plusieurs défections, parcourt le camp hibiste. Celle de Haïda Ou Mouaïs paraît avoir beaucoup perturbé Moulay Ahmed el Hiba à tel point que, pendant quelques jours, il envoie missive sur missive au caïd des Menabha pour tenter de le faire revenir sur sa décision.
195Haïda Ou Mouaïs et les grands caïds de Marrakech ont pour mission de combattre la mouvance hibiste dans le Sous et pour ce faire, ils tentent de détacher de Moulay Ahmed el Hiba ses principaux partisans. Cette approche des grands caïds a pour conséquence directe de semer la méfiance et la suspicion dans le camp hibiste, ce qui détermine le fils de Ma el Aïnin à des actes d’autoritarisme et de violence, comme l’emprisonnement de notables Haouara et Achtouken, en fin avril 1913, qui portèrent à sa cause le plus grave préjudice. En octobre 1912 déjà, craignant une trahison de quelques notables de la région d’Agadir, Moulay Ahmed el Hiba envoie des hommes chez les Imesguin et les Aksimen pour s’emparer d’eux, sans succès devant la résistance armée des tribus visées. Ainsi, les défections se multipliaient et s’accéléraient autour du sultan du Sous.
196C’est dans ce cadre que s’engagent, en mai 1913, les dernières opérations autour de Taroudant menées par les grands caïds, sous la conduite nominale d’un frère du sultan, Moulay Zin. Le 17 mai, ce dernier arrivait chez les Menabha (Haut-Sous) où il fut reçu par Haïda Ou Mouaïs puis par le représentant d’une importante zaouïa de Taroudant venu au camp pour solliciter le pardon. Les oulémas de Taroudant avaient même décidé officiellement d’abandonner el Hiba et de ne plus dire la prière en son nom.
197« [Moulay Ahmed el Hiba] était sommé, [le 21], d’avoir à évacuer la ville le 24 mai au plus tard ; il était abandonné par tous les notables roudana qui se réfugiaient auprès de Moulay Zin, tandis que la populace s’ameutait contre les Sahariens85. »
198Tout était prêt pour la prise de Taroudant, les habitants de la ville devaient ouvrir la porte sud (Bab Zourgan) à l’approche de la mehallamakhzen et, dans le même temps, devaient fermer toutes les autres portes à Moulay Ahmed el Hiba pour l’empêcher de fuir.
199Rappelons néanmoins, qu’en quittant le Haouz, les grands caïds avaient affirmé au commandement français de Marrakech que s’ils iraient bien à Taroudant pour en chasser « l’imposteur », ils ne pouvaient « promettre de s’emparer de sa personne et de le ramener à Marrakech86 ». Ils étaient conscients que, si dans leur rang beaucoup étaient prêts à combattre pour le camp makhzen, c’est-à-dire du côté du plus fort, d’autres, tout autant nombreux, avaient des scrupules à livrer le fils de Ma el Aïnin aux chrétiens !
200Le même dilemme avait empêché, à Marrakech, le pacha Dris Mennou de profiter de la panique qui régnait dans le dar el makhzen, à l’approche de la colonne française, pour s’emparer de la personne de Moulay Ahmed el Hiba. Le pacha avait justifié son attitude en affirmant : « nous n’avions pas l’intention de faire du tort à des frères musulmans affaiblis87 ». De même, lors de la fuite de Marrakech, le caïd Atigui avait-il clamé à ses hommes partis à la poursuite du sultan hibiste : « Laissez donc les pauvres arabes et [occupez-vous] plutôt de l’ennemi bleu, les [Ihahan]88. »
201Revenons au Sous. C’est ainsi que, dans la nuit du 23 au 24 mai 1913, malgré toutes les précautions prises, Moulay Ahmed el Hiba réussit à fuir de Taroudant.
202C’est Haïda Ou Mouaïs qui avait pour mission de conduire les opérations. Mais ne pouvant se résoudre à livrer celui qui fut un temps son sultan, il expliqua à ses troupes ses objectifs pour la bataille : « Cet homme, c’est nous les Aït Sous qui hier l’avons mis là où il est aujourd’hui, j’ai été parmi ceux qui l’ont porté au pouvoir. N’est-ce pas honteux de capturer et de livrer ce musulman aux chrétiens ennemis de la religion ? Si aujourd’hui il décide de fuir, je ne l’en empêcherai pas. Mon but est simplement de l’éloigner lui et ses partisans89. »
203Mais parmi ses hommes, quelques-uns n’étaient cependant pas d’accord et s’en tinrent au plan initial qui était la capture de Moulay Ahmed el Hiba.
204Avec l’attaque et l’entrée des troupes makhzen par la porte sud (Bab Zourgan), le dernier carré des fidèles du fils de Ma el Aïnin se dirigèrent vers la porte nord (Bab el Khemis) qu’ils trouvèrent close. Dans la panique et sous le feu des habitants de la ville révoltés, ils parvinrent à briser la porte et à fuir, bousculant sur leur passage les quelques groupements makhzen qui n’avaient pas suivi le mot d’ordre d’Haïda Ou Mouaïs. Le caïd Najem qui se trouvait alors auprès de Moulay Ahmed el Hiba, lors de la fuite, confirme que : « Si Haïda avait souhaité [les] affronter, [ils n’en seraient] pas sorti indemne car il disposait d’une troupe nombreuse avec laquelle il aurait pu facilement [leur] barrer la route90. »
Notes de bas de page
1 Entretien avec feu Ahmed Akhsassi, fils du caïd el Madani Akhsassi, Bou Izakarn le 8 septembre 2002 (traduction personnelle). Voici le texte en tachelhit : « Urta ngi ma iteddun s Merrakš, ɛla Rebbi ad aġ tajjt. Arkiġ ndber i lqbil, a ndber a nssen ma daḥ iran ula ma daḥ ur irin. »
2 Entretien avec Afqir Hassan des Id el Arba (Lakhsas), le 25 décembre 2005. A contrario, dans les guerres tribales, tous les hommes en âge de jeûner sont appelés pour se battre. C’est un devoir auquel ils ne peuvent échapper. Il s’agit alors de défendre le territoire contre une agression extérieure ou encore d’organiser une expédition à courte distance, sur une tribu voisine.
3 Caratini Sophie, Les Rgaybat (1610-1934). Territoire et société, op. cit., p. 140.
4 Simon Henri, Un officier d’Afrique : le Commandant Verlet-Hanus, Paris, Peyronnet, 1930, p. 255.
5 AIU, Loubaton Léon, Lettre au Président de l’AIU, Mogador le 1er septembre 1912, Maroc XXXVII bis E 630.1a (microfilm).
6 SHD, lieutenant Bourguignon, Ma el Aïnin et El Heiba, Notice d’après des renseignements indigènes, Marrakech le 31 juillet 1913, 3H581.
7 Soussi el Mokhtar, El Maassoul, 4, op. cit., p. 126.
8 Weisgerber Frédéric, Au seuil du Maroc moderne, Casablanca, La Porte, 2004, p. 256.
9 Soussi el Mokhtar, El Maassoul, 4, op. cit., p. 130.
10 Entretien avec feu el hajj Salm des Id el Arba (Lakhsas), le 13 septembre 2002 (traduction personnelle). Voici le texte en tachelhit : « Awa ġakudan aɛrabn gan id waš […] Ggalin asn waɛrabn as ra tssam agertil i uram. Nan as: “Ullah ma nakul lmudn dial el musṭafa”. »
11 Justinard Léopold, « L’histoire d’el Hiba », traduction d’une cantilène retraçant la proclamation d’el Hiba, son arrivée à Marrakech et sa défaite de Sidi Bou Otman, document manuscrit d’un projet d’article du colonel Justinard finalement non publié, don gracieux de feu Pierre Justinard (Paris le 12 juin 2006). Voir annexe 15.
12 Fonds Arsène Roux, Text on al Hayba (177), (traduction personnelle). Voici le texte en tachelhit : « Innasn han el ferḍ-an li tumẓm ġ midn iḥarm. Adjat el masakin ad ka ɛišn d wiyaḍ. »
13 Weisgerber Frédéric, Au seuil du Maroc moderne, op. cit., p. 263.
14 Cornet Charles, À la conquête du Maroc-Sud avec la colonne Mangin : 1912-1913, Paris, Plon, 1914, p. 118.
15 Soussi el Mokhtar, El Maassoul, 4, op. cit., p. 87.
16 Justinard Léopold, « L’histoire d’el Hiba », op. cit.
17 Soussi el Mokhtar, El Maassoul, 4, op. cit., p. 128-129.
18 Soussi el Mokhtar, traduction de Roussillon Alain, Autour d’une table d’hôte, op. cit., p. 154.
19 Ce petit groupe se compose de six Français ; le consul Maigret et son adjoint M. Monge, le commandant Verlet-Hanus envoyé par Lyautey, le docteur Guichard, le lieutenant Haring qui commande le petit Tabor de la ville et le maréchal des logis Fioris. Il faut ajouter le sous-lieutenant Kouadi, l’interprète Mohamed Marrakchi et le tirailleur Belkheir. Le kateb du consulat, Abdeslam Kabbaj, chargé de la rédaction des documents en langue arabe, est tombé, de son côté, entre les mains des Rehamna lors de leur sortie pour quitter Marrakech.
20 Soussi el Mokhtar, traduction de Roussillon Alain, Autour d’une table d’hôte, op. cit., p. 155.
21 AIU, Danon Raphaël, Lettre au Président de l’AIU, op. cit.
22 Justinard Léopold, Un grand chef berbère. Le Caïd Goundafi, Casablanca, Éditions Atlantide, 1951, p. 248.
23 Ibidem, p. 231.
24 Ladreit De Lacharriere Reynolde, Le long des pistes moghrébines, Voyage au Maroc (1910-1911), Paris, Larose, 1913, p. 158.
25 Justinard Léopold, Un grand chef berbère. Le Caïd Goundafi, op. cit., p. 239. Voici le texte en tachelhit : « Ddunit tga tgigilt mu tmmut innas. Ula ɛad babas, igat Mulay el Ḥasan. »
26 Justinard Léopold, « L’histoire d’el Hiba », op. cit.
27 Soussi el Mokhtar, El Maassoul, 4, op. cit., p. 120.
28 Pour ce qui est du carrosse, il s’agit d’un présent de la reine d’Angleterre à Moulay Hassan qui, très vite, prend l’habitude de venir en voiture à la mosquée le vendredi et ne monte à cheval que pour rentrer au dar el makhzen. La fanfare militaire est un héritage des nombreuses missions militaires européennes qui se sont succédé à la cour de Moulay Hassan. Elle est devenue, à l’instar du traditionnel parasol, un symbole du pouvoir sultanien.
29 ADN, Mohamed el Habib, Lettre de mises en garde et de conseils à Moulay Ahmed el Hiba, sans date, RDM 610. Voir annexe 7.
30 ADN, Traduction manuscrite d’une demande d’audience de Mohamed Ben Tahar, El Behlouli et El Boubekri à Moulay Ahmed el Hiba, sans date, RDM 610.
31 ADN, Traduction manuscrite d’une demande d’audience de Bouselham El Oudiyi et du caïd Mohamed Ben Achir à Moulay Ahmed el Hiba, sans date, RDM 610.
32 Justinard Léopold, « L’histoire d’el Hiba », op. cit.
33 Soussi el Mokhtar, traduction de Roussillon Alain, Autour d’une table d’hôte, op. cit., p. 157.
34 Cornet Charles, À la conquête du Maroc-Sud, op. cit., p. 71.
35 Soussi el Mokhtar, traduction de Roussillon Alain, Autour d’une table d’hôte, op. cit., p. 160.
36 Soussi el Mokhtar, El Maassoul, 4, op. cit., p. 169.
37 Soussi el Mokhtar, traduction de Roussillon Alain, Autour d’une table d’hôte, op. cit., p. 159.
38 ADN, René de Segonzac, El Hiba fils de Ma el Aïnin, février-mars 1917, RDM 610.
39 Boubrik Rahal, Saints et société en Islam, op. cit., p. 164.
40 Al Moutabassir, « Ma el Aïnin ech Changuity », Revue du Monde Musulman, janvier 1907, p. 347.
41 Hanoteau Adolphe, Essai de grammaire de la langue tamachek’, Alger, Jourdan, 1896, p. xxi.
42 Soussi el Mokhtar, El Maassoul, 4, op. cit., p. 169.
43 Soussi el Mokhtar, El Maassoul, 4, op. cit., p. 148.
44 Ibid., p. 143.
45 ADN, Lettre de Mohamed Laghdaf Ould Mesbah à Merebbi Rebbo, 26 août 1912, RDM 610.
46 Soussi el Mokhtar, El Maassoul, 4, op. cit., p. 146.
47 SHD, colonel Mangin, Rapport sur combat de Sidi Bou Othman et entrée à Marrakech, 13 septembre 1912, 3H579.
48 Ibid.
49 La nzala de Sidi Bou Otman est la dernière étape sur la route de Marrakech pour qui vient du nord.
50 ADN, René de Segonzac, El Hiba fils de Ma el Aïnin, op. cit.
51 AIU, Danon Raphaël, Lettre au Président de l’AIU, op. cit.
52 Cornet Charles, À la conquête du Maroc-Sud, op. cit., p. 42.
53 Botte Louis, Au cœur du Maroc, Paris, Hachette, 1913, p. 160.
54 Simon Henri, Le Commandant Verlet-Hanus, op. cit., p. 157.
55 Cornet Charles, À la conquête du Maroc-Sud, op. cit., p. 40.
56 Grasset Henri Joseph, À travers la Chaouïa avec le corps de débarquement de Casablanca (1907-1908), Paris, Hachette, 1911, p. 167-168.
57 Ibidem, p. 177.
58 SHD, général Franchet d’Esperey, Journal de marche du Corps de débarquement de Casablanca du 3e trimestre 1912 (1er juillet 1912 au 30 septembre 1912), op. cit.
59 ADN, colonel Mangin, Lettre au Général de Division commandant les troupes débarquées au Maroc, Rapport politique, Marrakech le 25 septembre 1912, DAI32 D.
60 Cornet Charles, À la conquête du Maroc-Sud, op. cit., p. 44.
61 Soussi el Mokhtar, traduction de Roussillon Alain, Autour d’une table d’hôte, op. cit., p. 162.
62 ADN, Lettre de Abdellah Ould El Adib Chinguitti à Si el Madani Aglaou, 3 octobre 1913, RDM 610.
63 Soussi el Mokhtar, El Maassoul (4), op. cit., p. 159.
64 Montagne Robert, « Une tribu berbère du sud marocain, Massat », Hespéris (4), 1924, p. 392.
65 Cornet Charles, À la conquête du Maroc-Sud, op. cit., p. 58.
66 Chevrillon André, Marrakech dans les palmes, Paris, Édisud, 2002, p. 54.
67 ADN, Lettre de Tayeb Outgountaft à Moulay Ahmed el Hiba, 22 septembre 1912, RDM 610. Voir annexe 8.
68 Armatte, « Les opérations militaires au Maroc », Questions diplomatiques et coloniales, 1er août 1913, p. 164.
69 ADN, Lettre de Moulay Ahmed el Hiba aux tribus Beni Moussa, Beni Amr et Ouardigha, 18 novembre 1912, RDM 610. Voir annexe 6.
70 Justinard Léopold, « Poèmes chleuh recueillis au Sous », op. cit., p. 89. En tachelhit : « Inna ya usebbab da d ikkan Taṣṣurt. Iḥaḥan ka sul igan imuslmn », p. 107.
71 SHD, anonyme, Rapport mensuel d’ensemble du Protectorat, janvier 1913, 3H154.
72 SHD, général Franchey d’Esperey, Opérations autour de Mogador (décembre 1912-février 1913), Casablanca le 14 mars 1913, 3H580.
73 SHD, général Brulard, Premières harkas, Marrakech le 8 juillet 1913, 3H90.
74 SHD, capitaine Auboin, Historique sommaire des tribus Ksima et Mesguina, 1936, 3H2004.
75 Soussi el Mokhtar, El Maassoul (4), op. cit., p. 173.
76 Entretien avec el Housseyn des Id Zekri, Tiznit le 26 octobre 2009.
77 SHD, lieutenant Bourguignon, Ma el Aïnin et El Heiba, Notice d’après des renseignements indigènes, op. cit.
78 Traduction personnelle d’un extrait du témoignage de Moussa ben Tayfour d’el Aouina recueillit par Abderrahman Lakhsassi le 9 août 1982 et qui m’a aimablement permis d’en prendre connaissance. En tachelhit : « Han tageldit ur tlli s iferwaln ». L’aferwal (pl. iferwaln) est cette longue tunique d’indigo porté par les populations nomades du monde beydan qui caractérise les populations hassanophones et nomades de l’Ouest saharien.
79 Voir lettre de soumission au Makhzen de Mohamed Ou Lhousseyn Outzeroualt en annexe 9.
80 Armatte, « Les opérations militaires au Maroc », Questions diplomatiques et coloniales, 1er août 1913, p. 166.
81 SHD, Rapport mensuel d’ensemble du protectorat, Mars 1913, 3H154.
82 SHD, lieutenant-colonel de Lamothe, Rapport général sur les Harkas du Sous, Marrakech le 8 juillet 1913, RDM 628.
83 SHD, lieutenant Bourguignon, Ma el Aïnin et El Heiba, Notice d’après des renseignements indigènes, op. cit.
84 SHD, général Brulard, Premières harkas, op. cit.
85 Armatte, « Les opérations militaires au Maroc », Questions diplomatiques et coloniales, 1er août 1913, p. 167-168.
86 SHD, général Brulard, Premières harkas, op. cit.
87 Soussi el Mokhtar, traduction de Roussillon Alain, Autour d’une table d’hôte, op. cit., p. 163.
88 Soussi el Mokhtar, El Maassoul (4), op. cit., p. 165.
89 Soussi el Mokhtar, El Maassoul (20), op. cit., p. 105.
90 Ibidem. Quelques années plus tard (1917), Moulay Ahmed el Hiba n’aura pas les mêmes scrupules que son ancien lieutenant. Au lendemain de la défaite d’une colonne mené par Haïda Ou Mouaïs, où ce dernier perdit la vie, il orna son refuge de Kerdous de la tête du vieux serviteur makhzen.
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