Chapitre V. Les sensations visuelles
p. 237-256
Texte intégral
Leur importance esthétique
1La vue est le sens esthétique par excellence. C’est elle qui nous donne sur le monde extérieur les renseignements les plus amples, les plus détaillés, les plus précis, et qui par conséquent nous y fait percevoir le plus de beautés. Les plaisirs de la vue sont plus délicats que tout autre, plus éloignés de toute basse sensualité, moins accessibles à toute nature un peu vulgaire.
2Jamais d’ailleurs ils ne sont de simples jouissances physiques : toujours on y retrouverait quelques éléments intellectuels et moraux. Les couleurs ont une forme et une expression, de sorte que la sensation physique s’y trouve accompagnée d’éléments supérieurs, qui relèvent encore sa valeur esthétique. Les plaisirs de la vue sont en général des plaisirs complets, où il y a quelque chose pour l’intelligence et pour le cœur. Enfin nous les trouvons dans l’exercice du plus parfait de nos sens. La vue est vraiment hors de pair par la netteté, par la variété des sensations qu’elle nous donne ; d’un coup d’œil nous percevons une multitude d’objets, chacun avec sa forme et sa couleur distinctes. Ce que nous avons devant les yeux est très beau sans doute ; mais ce qu’il y a dans nos yeux est au moins aussi beau. Le plein jeu des sensations visuelles est aussi riche, aussi admirable que le plus magnifique spectacle de la nature. N’est-il pas ce spectacle même ? La beauté des objets visibles est dérivée de la beauté des sensations visuelles ; elle en est faite. Il ne peut y avoir dans celle-ci plus que dans celle-là ; et quiconque admire l’une doit admirer l’autre. Chaque sens trouvant son plaisir dans sa parfaite activité, le plaisir du plus parfait de nos sens doit avoir la plus haute valeur ; et c’est à n’en pas douter une sourde conscience de cette supériorité des perceptions visuelles qui nous fait attribuer aux plaisirs de la vue un caractère d’élévation, de dignité, de supériorité, en un mot un caractère esthétique.
3Nous n’avons donc pas à craindre que l’on sous-évalue l’importance esthétique de la vue ; on aurait plutôt une tendance à l’exagérer. Comme ce sont les perceptions visuelles qui éveillent en nous pour la première fois le sentiment du beau et qui continuent à l’exciter le plus fréquemment, ce sentiment reste invinciblement associé dans notre esprit à des images visuelles ; nous sommes donc assez disposés à croire que la beauté proprement dite, c’est la beauté visible, toutes les autres n’ayant de valeur que dans la mesure où elles ressemblent à celle-là. Cela est évidemment exagéré, et il y aurait de graves inconvénients à visualiser ainsi l’idée du beau. Nous en arriverions à ne pas comprendre ce qu’il y a de vraie beauté dans l’immatériel et l’invisible, dans de pures conceptions de l’esprit, dans des émotions toutes morales. De ce que la vue est le sens esthétique par excellence, il ne s’ensuit nullement que la beauté visible est au-dessus de toutes les autres ; car il y a des beautés qui ne relèvent pas des sens.
4Tous les plaisirs de la vue ont une valeur esthétique sans doute, mais tous ne sont pas pour cela équivalents. Il est intéressant de chercher quels sont ceux auxquels nous reconnaissons la valeur la plus haute, et de savoir si leur valeur réelle est proportionnée à celle que nous leur attribuons. Il est possible que nous prenions trop de plaisir à certains objets, et n’en prenions pas assez à d’autres. La chose est même probable. Il y a là, nous pouvons en être certains d’avance, des erreurs de goût à rectifier. Des distinctions s’imposent.
Beauté de la lumière
5Le plus puissant effet esthétique que nous puissions ressentir est celui que nous donnent les sensations lumineuses. La lumière ! Son charme est tel que la seule idée d’en être privés nous serre le cœur et nous retient plus fortement à la vie. L’admiration qu’elle excite est telle, que nous devrions lui attribuer résolument la suprême beauté, si nous ne consultions ici que nos impressions.
6Pour l’aimer et la trouver belle nous avons des raisons de tout genre. Elle est bienfaisante à tous. Hommes, animaux et plantes, nous tous qui vivons nous sommes les enfants de la lumière. Avec elle s’épandent la santé, la joie et la vie. On conçoit qu’elle ait été adorée comme d’essence divine. Plus spécialement, elle exerce sur la rétine une action stimulante ; elle nous procure des sensations variées et agréables. Mais sa vertu éminente, qu’il faudrait citer tout d’abord, c’est simplement la propriété qu’elle a d’éclairer les objets, de les rendre visibles.
7Telle étant sa fonction essentielle, nous pourrons en déduire ses conditions de beauté. La première qualité esthétique d’un objet visible, ce doit être la clarté, c’est-à-dire une luminosité suffisante pour qu’il soit nettement perceptible dans tous ses détails. Nulle autre qualité ne devrait nous être plus agréable à constater. Le plus grand plaisir de la vue ce doit être de bien voir. Tout autre plaisir devrait être subordonné à celui-là, puisque celui-là seul résulte de l’exercice normal de son activité. Chercher le plaisir des yeux dans la stimulation rétinienne ou dans le charme des colorations, c’est pure sensualité. La vue a ses fins pratiques, auxquelles elle doit se plaire avant tout.
8Notre idéal sera donc que les objets aient le degré de luminosité le plus favorable à la vision. Nous poserons en principe que la plus belle lumière est celle qui assure aux objets la parfaite visibilité.
9Nos impressions esthétiques sont-elles conformes à ce principe ? Dans une certaine mesure, qui est la mesure même de leur valeur.
10Voici tout d’abord un certain nombre d’impressions d’ordre divers, auxquelles on ne trouverait rien à redire. La vue a horreur des ténèbres, de la nuit opaque. L’ombre n’est agréable que par sa transparence et pour ce qu’il y reste de lumière. Le noir ne produit un effet esthétique que lorsqu’il est employé comme couleur et relevé par les contrastes qui le rendent voyant : mais alors il est tout aussi agréable à voir que les teintes les plus claires. Des caractères tracés en noir sur fond blanc font au moins aussi bon effet que feraient des caractères blancs sur fond noir, ce qui montre bien que ce que la vue recherche avant tout ce n’est pas la stimulation, mais la parfaite visibilité. Un objet même médiocrement éclairé produit de l’effet quand il se détache très nettement sur un fond obscur : c’est qu’alors il s’offre de lui-même à la vue, comme une perception toute faite, au lieu que s’il était entouré d’objets de teinte à peu près équivalente nous serions obligés de faire effort pour le discerner. On sait l’effet esthétique des contrastes en peinture : ils sont évidemment favorables à la vision distincte. Une lumière diffuse dans laquelle les objets sont comme baignés produit moins bon effet qu’une lumière rayonnante, qui éclairant fortement certaines parties des objets laisse les autres dans l’ombre et accentue ainsi leur relief. On dira que dans ce cas nous jouissons du contraste de la lumière avec l’ombre ; mais pourquoi ce contraste nous fait-il tant de plaisir, si ce n’est parce qu’il rend plus distincte la forme des objets ? – Dans un paysage où il y a de grandes parts d’ombres et de lumière, tout l’intérêt esthétique se concentre sur la zone lumineuse où les objets sont le mieux perceptibles. Un objet donné nous semblera toujours plus beau quand il sera plus éclairé. Ne font exception que les choses hideuses ou répugnantes, parce qu’elles gagnent à être vues le moins possible. Mais un objet simplement vulgaire se rachète de cette vulgarité par la beauté de l’éclairage. Des choses qui sembleraient triviales sous une lumière blafarde, par exemple des nippes accrochées à une fenêtre, du linge séchant à une corde, les haillons d’un mendiant, deviendront pittoresques et presque esthétiques quand un rayon éclatant viendra les frapper.
11Ces impressions diverses sont justifiées par notre théorie et la justifient en même temps. Nous ne pourrions en effet nous défendre d’une certaine inquiétude si nous constations une divergence trop constante entre nos goûts et le principe esthétique que nous avons posé ; il prendrait de ce fait une allure paradoxale qui nous obligerait à vérifier encore une fois ses titres avant de nous engager plus à fond. Mais nous voyons au contraire qu’il y a ici harmonie entre la théorie et le sens commun. Cette coïncidence est faite pour rassurer. Quand des divergences se produiront sur des nuances d’impression, nous serons plus forts contre le goût spontané ; en lui demandant de céder, nous n’exigerons rien de lui qui soit contraire à ses tendances fondamentales ; nous lui demanderons plutôt de se mettre d’accord avec lui-même. Voici donc d’autres impressions qui s’écartent un peu de notre principe et doivent en conséquence être rectifiées.
12Il faut le reconnaître. Nous sommes un peu ingrats envers la lumière normale, comme nous le sommes envers la santé. Nous la regardons comme notre dû. Nous sommes tellement blasés sur son charme que nous en jouissons à peine. À l’état normal, la vue est le moins sensuel de nos sens. Dans l’usage de la perception, les sensations qu’elle nous donne n’ont pour ainsi dire aucune valeur affective ; nous ne faisons attention qu’à ce qu’elles peuvent nous apprendre du monde extérieur ; nous les objectivons absolument, nous n’avons même plus l’impression de les sentir. Notre goût d’ailleurs est ainsi fait, qu’il n’admire que ce qui l’étonne, et reste insensible aux beautés constantes. De là cette étrange et fâcheuse conséquence, que la lumière normale et parfaite, celle qui n’est ni trop faible ni trop intense, sera précisément celle dont nous jouirons le moins. Le point précis où la beauté réelle atteint son maximum se trouve être le point d’indifférence, le point mort du sentiment. Par un temps clair où tous les objets sont distincts, quand nous sommes en pleine possession de notre faculté de vision, admirons-nous ce qu’il y a d’esthétique dans cette parfaite netteté des images ? Nous en profitons sans y prendre plaisir. Figurons-nous pourtant que nous soyons nés aveugles, que la vue nous soit peu à peu donnée, et que nous commencions à apercevoir les choses, d’abord comme dans une brume, puis plus distinctement, toujours plus nettes, plus claires, enfin avec une parfaite lucidité, telles que nous les voyons en ce moment. O merveille ! Quelle explosion d’enthousiasme ! Et comme nous comprendrions bien ce qu’il y a, dans cette simple visibilité des choses, de souverainement esthétique !
13C’est en deçà ou au-delà de ce point de plus grande beauté que la lumière sera vraiment sentie et produira son plus grand effet esthétique. Il y aura donc pour le sentiment deux maxima, situés de part et d’autre de la zone neutre.
14Qu’une moindre lumière puisse paraître plus belle, au premier abord on sera tenté de s’en étonner. Le fait s’explique par les circonstances dans lesquelles elle nous est présentée, et qui la font valoir.
15Rappelons-nous les impressions que nous éprouvons quand nous assistons, le matin, à la résurrection de la lumière. L’image terne et grisâtre des choses s’éclaircit peu à peu aux pures lueurs de l’aube, prend des contours plus nets, se colore et enfin apparaît radieuse dans la féerie du soleil levant. Quel est le moment enchanteur ? Est-ce celui de la pleine lumière ? Non, c’est plutôt celui qui précède ; ce sont les premiers rayons, frais et rosés, qui se posent sur les collines lointaines. La lumière peut ensuite aller croissant, nos impressions sont émoussées, nous n’en jouissons plus autant. Quand il fait tout à fait jour, nous n’y pensons plus. Mais la lumière reprendra pour nous tout son intérêt, quand elle commencera à décroître. Comme nous l’avons admirée quand elle nous était rendue, nous l’admirerons de nouveau quand nous comprendrons qu’elle va nous être enlevée. Au regret qu’elle nous donne nous sentons mieux son prix. On pourrait se tromper à ces impressions. Si nous préférons la lumière du soir à celle du plein midi, n’est-ce pas parce qu’elle est à la fois plus colorée et plus douce ; ou bien parce que nos yeux, fatigués de l’éclat du jour, demandent eux aussi du repos ? En un mot, ne jouissons-nous pas précisément de la diminution de clarté ? En réalité je crois que, jusqu’à la fin, nous voulons voir. Aussi comme nous savourons esthétiquement la faible clarté du crépuscule, heureux de discerner encore les objets, poursuivant du regard les dernières lueurs qui se retirent ! La nuit est venue. Dans le ciel assombri s’allume une étoile. Avec quel ravissement nos yeux se posent sur ce petit point lumineux et scintillant, notre dernier espoir de lumière, et comme se concentrent en lui toutes nos admirations !
16Nous expliquerons de la même manière et évaluerons de même l’effet esthétique du clair de lune. Ce qui nous charme dans ce spectacle, c’est la poésie des choses à peine entrevues, le mystère de l’ombre ; mais je crois qu’ici encore ce que nous admirons vraiment, c’est plutôt la lumière. Elle est assez faible sans doute, mais les circonstances dans lesquelles nous la percevons lui donnent plus de prix. Elle nous semble quelque chose d’exceptionnel, d’anormal, de presque magique ; nous sommes émerveillés d’y voir si clair à pareille heure ; c’est l’impression étrange, presque contradictoire de la lumière au sein des ténèbres. Aussi sommes-nous disposés à nous exagérer la valeur esthétique de ce spectacle. Il nous semble plus beau que le plein jour ; pourtant pendant que nous l’admirons, évoquons la vision radieuse du monde illuminé par le clair soleil ; ou bien encore, pour réagir mentalement contre les effets de l’habitude, figurons-nous que nous soyons normalement au régime de cette pâle clarté lunaire, mais que parfois, par exception, pendant quelques heures, le soleil vienne à briller : ne serait ce pas autrement admirable ? Si la clarté de la lune est mille fois moins intense que la lumière solaire, je serais tenté de dire qu’elle est mille fois moins belle1. De même encore, nous pourrions établir qu’il y a quelque excès dans l’effet que produisent certaines lumières artificielles, lampes, lustres, feux de bengale, éclairage électrique ; nous faisant illusion sur leur réelle intensité, nous nous exagérons leur valeur esthétique. Ces illuminations qui nous semblent splendides équivalent à peine à un jour blafard.
17Voici maintenant des cas où notre admiration est excitée par l’extrême luminosité. Le maximum de beauté, avons-nous dit, devrait se trouver au degré le plus favorable à la vision distincte. Passé ce degré, notre admiration devrait décroître. Et pourtant, c’est au-delà de ce degré qu’elle atteint son maximum. La lumière que nous trouvons la plus belle est celle qui nous éblouit par excès de splendeur.
18Cet attrait de l’excessive lumière s’explique en partie par un plaisir d’excitation. Comme nous l’avons reconnu, la clarté la plus favorable à la vision est à peine sentie ; elle nous fait voir les choses, sans nous donner conscience qu’aucune impression soit faite sur la rétine. C’est seulement au moment où nous commençons à être éblouis que nous avons vraiment la sensation de lumière. Aussi nous délecterons-nous à cet éblouissement avec une imprudente sensualité. Nous en voulons connaître le plaisir aigu, il y a là encore une sorte d’entraînement du goût ; la lumière étant à n’en pas douter une belle chose, nous nous réjouissons qu’elle devienne de plus en plus intense, et l’admirons davantage à chaque recrudescence d’éclat. La restreindre aux stricts besoins de la vision, cela nous semblerait une parcimonie. Il faut qu’on la prodigue. Nous n’admirerons d’elle que ce qu’on nous en donnera en excès. Éclairer, ce n’est rien, il faut éblouir. Que nos yeux souffrent, peu nous importe, tant ici le sentiment d’admiration est désintéressé. Cette souffrance même prend une valeur esthétique ; c’est comme un aveu d’impuissance à percevoir une beauté qui n’est pas faite pour nous ; c’est comme un cri de douloureuse admiration. Parfois nous éprouvons cette impression quand en plein jour, malgré nous, notre regard s’aventure aux régions éblouissantes du ciel, cherchant d’instinct le soleil et craignant de l’apercevoir. Tout à coup son disque apparaît, d’un blanc mat, dans une fournaise de lumière. Déjà nous ne le voyons plus. Il s’est perdu dans son propre rayonnement, invisible par excès d’éclat. Mais dans le court instant où nos yeux meurtris l’ont contemplé, il nous a donné l’impression de la suprême beauté lumineuse. Nous l’avons admiré pour notre souffrance et parce qu’il nous aveuglait ; nous l’avons admiré par-delà notre vision, pour cette lumière que nous étions impuissants à percevoir, pour cet excès de lumière qu’il épandait encore sur nos yeux aveuglés. – Mais ces explications ne me semblent pas encore tout à fait suffisantes. Dans cet attrait de ce qui brille, je crois qu’il y a comme un vertige de l’attention. Si nos yeux vont ainsi vers l’extrême lumière, ce n’est pas parce qu’ils ont plaisir à la voir, c’est parce qu’ils ne peuvent s’en empêcher. Tout objet brillant, scintillant, vivement éclairé, exerce sur le regard une fascination presque irrésistible. De ce fait, la beauté qu’il peut avoir prend une plus value extraordinaire, et produit un effet évidemment hors de proportion avec sa réelle valeur esthétique. L’éclat est-il vraiment une beauté ? Il est plutôt une réclame à la beauté. Les objets qui valent par la perfection de la forme, par la délicatesse et l’harmonie des colorations, risquent de passer inaperçus ; ils attendent qu’on les remarque et qu’on les apprécie. La beauté voyante, au contraire, ne se laisse pas oublier. Elle s’impose. C’est moi, dit-elle, regardez-moi ! Et nous regardons, hypnotisés dans une sorte d’extase admirative.
19Il serait difficile, en somme, d’approuver sans réserves cette intense admiration que nous éprouvons pour l’extrême luminosité. Les raisons par lesquelles nous expliquons cet effet ne le justifient pas complètement. Dans la mesure où notre goût s’affine, il se contente de stimulations de plus en plus légères. Si notre rétine est suffisamment délicate, nous n’attendrons pas, pour admirer la lumière, qu’elle nous crève les yeux. De moins en moins nous nous laisserons prendre aux beautés voyantes, au luxe criard, au clinquant et aux verroteries. Ce ne sera pas en portant l’excitation lumineuse à sa plus haute intensité, mais bien plutôt en la ménageant que nous en tirerons des effets esthétiques. Arrivés à la plus haute culture, c’est sans doute à la lumière normale que nous trouverons le plus de charme et de beauté.
20Peut-être s’étonnera-t-on que m’étant appliqué plutôt à exalter la valeur esthétique des sens inférieurs, je fasse ici tant de réserves, comme si je craignais qu’on ne se laisse aller à trop d’enthousiasme pour les plaisirs de la vue. C’est qu’il faut remettre les choses au point. L’esthétique rationnelle a parfois le devoir ingrat de réagir contre des admirations excessives. Notre tâche n’était pas de chanter la lumière, mais de chercher aussi objectivement que possible quelle est la valeur esthétique de la lumière.
21Le maximum de beauté doit se trouver au degré le plus favorable à la vision distincte.
22En suivant ce principe de la plus grande visibilité, on pourrait déterminer bien d’autres valeurs esthétiques que celle de la lumière. On trouverait que tout ce qui nuit à la vision est anti-esthétique : brouillard dense, poussière, contours mal arrêtés, teintes ternes et sombres. Tout ce qui la facilite, au contraire, a sa beauté. La brume produit un effet esthétique quand elle est légère, et surtout à l’instant où elle se retire. Nous nous plaisons et avons raison de nous plaire aux transparences de l’air et de l’eau, aux formes simples, régulières, qui se perçoivent d’un coup d’œil, aux contours nets, aux couleurs tranchées et claires qui détachent l’objet de son fond, aux larges horizons, aux vastes plaines. La beauté de l’espace, c’est qu’il est un champ immense ouvert à la vision.
Beauté des couleurs
23La couleur a pour nous un tel charme, que nous serions assez disposés à admettre qu’elle est faite uniquement pour le plaisir de la vue. On nous demanderait quelle est la couleur que nous estimons la plus belle : immédiatement nous cherchons quelle est celle qui nous donne l’impression la plus agréable. Mais est-il vrai que la couleur soit faite uniquement pour la joie des yeux, et que par conséquent toute sa beauté consiste à nous donner le maximum d’agrément ? Je crois que nous devons nous en faire un autre idéal. Nos préférences devraient être déterminées par d’autres raisons, autrement sérieuses et objectives que celles-là. Nous ferons à l’agrément sa part. Nous admettrons que l’on en tienne compte dans l’évaluation esthétique des couleurs, mais seulement en dernier lieu, et encore sous certaines réserves.
Qualité objective
24Avant tout, nous devrons attribuer une valeur esthétique aux colorations qui dénotent dans l’objet lui-même quelque perfection. En y regardant d’un peu près, on reconnaîtra que nos jugements esthétiques sur la couleur sont dans une certaine mesure déterminés par des raisons de ce genre. Si nous estimons à si haut prix certaines qualités de coloration, c’est pour des raisons objectives et désintéressées, parce qu’elles nous semblent correspondre à une qualité intrinsèque des choses. Un objet de couleur originale nous semble fait de substance plus rare et plus précieuse qu’un autre, à la condition bien entendu qu’il n’ait pas été artificiellement coloré. La douceur et la transparence des teintes nous décèle la pureté de la matière ; ainsi la teinte bleue de l’eau produit un effet esthétique non pas tant par son agrément optique que comme signe de parfaite limpidité ; de même pour la teinte azurée du ciel. Quand nous regardons une fleur de couleur très délicate, très finement nuancée, nous ne pouvons nous soustraire à l’idée qu’elle est faite d’une matière exquise, qui a les qualités mêmes de cette couleur. Nous admirons le teint d’une jeune fille : nos yeux y trouvent certainement un plaisir de sensation ; nous jouissons en coloristes de ces nuances délicates, fondues l’une dans l’autre, allant du blanc au rose par transitions insensibles ; mais en même temps nous admirons ce sang jeune et pur qui coule sous l’épiderme délicat ; ce teint charmant devient pour nous le signe d’une réelle beauté physiologique2. La vivacité même des couleurs, dans les êtres organisés, produira un effet esthétique comme signe d’activité physiologique et de parfaite santé : ainsi une plante nous semblera plus vigoureuse quand son feuillage sera d’un vert intense, quand ses fleurs seront de couleurs éclatantes ; les couleurs vives qui ornent certains animaux nous sembleront le signe d’une sorte d’exubérance organique, comme si la vie en eux s’embrasait jusqu’à devenir rayonnante. Par contre, toute couleur terne et sale nous est signe de déchéance ou d’impureté.
25On sait la propriété qu’ont les couleurs d’évoquer en nous, par association d’idées, des impressions d’ordre tout différent : elles peuvent par exemple nous sembler froides ou chaudes, lourdes ou légères, acides ou amères, appétissantes ou nauséabondes, etc.3. De là vient en grande partie l’effet esthétique que produisent les couleurs, l’attrait des unes et la répulsion que nous inspirent les autres. Mais si ces impressions sont ainsi associées dans notre esprit, c’est que maintes fois elles ont été associées dans la réalité. Les couleurs auxquelles nous trouvons, sans trop savoir pourquoi, un certain charme poétique, ont été perçues à l’origine dans des objets qui nous plaisaient pour des raisons très sérieuses et très positives ; celles qui nous inspirent une vague et étrange répugnance visuelle se sont rencontrées le plus souvent dans des objets déplaisants ou malfaisants. L’expression qu’ont les couleurs, l’effet qu’elles produisent sur l’imagination est donc une sorte de réminiscence de la signification très réelle qu’elles avaient dans la nature. Accordant une certaine valeur esthétique à cette expression, il serait assez juste d’en accorder une plus formelle encore à leur signification réelle. Dans la nature, nous ne devrions aimer et trouver belles que les couleurs qui signifient délicatesse, pureté, état normal, santé. Notre vue, tout comme nos autres sens, devrait avant tout se plaire à ce qui est signe de perfection dans l’objet. Nous nous sommes élevés à ce degré de goût dans quelques cas particuliers, c’est ainsi par exemple que nous apprécions les colorations du visage humain : nous ne trouvons de beauté qu’aux nuances du teint qui indiquent propreté, pureté physiologique, parfaite santé ; au contraire, les changements même très légers que peuvent produire l’absence de soins hygiéniques, un état morbide, une altération passagère ou profonde de l’organisme nous font l’effet d’une altération de la couleur même et nous déplaisent à voir. Notre éducation esthétique est ici assez avancée pour que nous sachions discerner jusqu’aux différences de coloration correspondant à de simples dispositions morales. Sur la figure d’un enfant, que nous savons regarder parce qu’il nous est cher, nous voyons passer les nuances de la bonne ou de la mauvaise humeur ; selon qu’il est joyeux, expansif, tendre, ou triste, renfrogné, maussade, jaloux, haineux, son teint s’éclaircit ou s’assombrit. Parlant d’enfants qui se mettent gaiement à table, Victor Hugo admire « leur appétit vermeil ». À chaque disposition morale correspond ainsi une nuance de teint caractéristique ; les nuances correspondant aux dispositions les plus heureuses nous semblent les plus belles. C’est là un exemple significatif de ce goût rationnel, de cette juste beauté de la couleur que nous recommandons. Si notre éducation esthétique était aussi avancée sur d’autres points, si nous étudiions la physionomie de la nature avec la sympathie clairvoyante que nous avons pour le visage humain, nous établirions le même accord entre l’effet esthétique de ses colorations et leur signification objective. Nous n’attribuerions la beauté de couleur qu’à l’objet qui a sa coloration normale, c’est-à-dire les nuances correspondant à son état le plus désirable.
26On objectera que la même couleur peut se rencontrer dans des objets très différents, de sorte qu’il nous serait très difficile de lui assigner une signification objective déterminée. S’il est des tons, comme le rose, qui dans la nature ne se rencontrent guère que dans des objets frais et agréables et qui à ce titre peuvent être dits objectivement jolis, il en est d’autres qui pourront nous rappeler des objets de valeur esthétique très inégale. Il est certains verts par exemple qui peuvent se rencontrer indifféremment dans le feuillage printanier, dans d’excellents légumes, dans des substances très vénéneuses, dans des matières corrompues, et qui prenant ainsi des significations tout à fait contradictoires devraient laisser notre goût indécis. Il jugera un peu au hasard, sur une impression quelconque qui l’aura frappé davantage, sur une image qui nous passe par l’esprit, et cette couleur nous plaira ou nous déplaira pour des raisons toutes subjectives. À cela je réponds que pour un œil suffisamment exercé, il n’y a pas deux objets de nature différente qui aient exactement la même teinte. La différence de coloration peut être assez petite pour échapper à toute définition verbale, ou même à la conscience ; mais la différence d’impression est suffisante pour provoquer des suggestions diverses. Ainsi s’explique que des couleurs presque indiscernables puissent agir si différemment sur le goût. Les peintres savent bien comme la même teinte, pour une infinitésimale altération de nuance, peut brusquement changer d’expression et par conséquent de valeur esthétique. Je doute donc que la même couleur puisse réellement avoir des significations si contraires. – Mais admettons le fait. On n’en saurait conclure que cette couleur n’aura pas de valeur esthétique déterminée ; il en faudra conclure seulement que dans un cas elle aura certaine valeur, et que dans des cas différents elle en aura une autre, autrement dit que les couleurs ne sont pas belles en elles-mêmes, abstraction faite de l’objet dans lequel nous les considérons, mais par position. Or c’est précisément ce que nous voulons établir. Considérées isolément et en elles-mêmes, c’est-à-dire comme simples sensations, les couleurs peuvent être agréables ou désagréables, excitantes ou calmantes ; mais elles ne sont ni belles ni laides ; ou du moins, au point de vue esthétique, ne peut-il y avoir entre elles que des différences tout à fait insignifiantes. Elles ne prendront un caractère esthétique bien déterminé que lorsqu’elles seront perçues dans un objet auquel elles seront plus ou moins appropriées, dans lequel elles signaleront une qualité ou un défaut. La même couleur pourra donc prendre par position des valeurs esthétiques très diverses. Est-il beau d’être rouge ? Cela dépend. C’est une belle couleur pour un coquelicot, c’est une laide couleur pour un nez humain. Les mêmes tons, qui nous enchantent dans certains cas, devront nous sembler affreux dans d’autres. La plus belle couleur n’est pas celle qui nous convient le plus, mais celle qui convient le mieux à l’objet.
27Ces conclusions, je le reconnais, ne seront pas admises sans résistance. En parlant ainsi, je scandaliserai les esthètes raffinés, qui se mettent au-dessus de ces considérations utilitaires. Qu’importe, diront-ils, où nous trouvons notre plaisir ? S’il est délicat et esthétique en soi, oublions tout le reste pour en jouir en paix. Ce que vous nous proposez, c’est un retour à ce goût vulgaire, qui obstinément identifie le beau et le bien, et ne saurait voir aucune beauté dans ce qu’il juge anormal, malsain ou morbide. Si une couleur est charmante en soi, admirons-la, quand elle se rencontrerait dans l’objet le plus déplaisant en soi ou le plus vulgaire ! Regardons ces choses avec le regard du peintre, qui savoure en elles la splendeur ou l’harmonie de la couleur, sans s’inquiéter de l’impression qu’elles peuvent faire sur les autres sens, ou de leur usage pratique ! – Il y a en effet antagonisme complet entre ce point de vue et le nôtre. Nous devons nous attendre à choquer plus d’une fois encore les esthètes. Nous ne pouvons entrer dans leur façon de voir. Tout apprécier à son point de vue personnel, se plaire avant tout au superflu, rompre tout rapport entre le beau et le bien, isoler autant que possible le sentiment esthétique des grands intérêts de la vie, et le mettre même en conflit avec eux, tel est leur programme. Le nôtre est tout opposé. Et nous nous proposons justement de réagir contre cet étrange désintéressement, où nous ne voyons qu’une déviation du goût.
Visibilité
28Accessoirement, et quand nous n’aurons aucune raison sérieuse d’estimer que pour l’objet telle coloration serait préférable à telle autre, nous pourrons tenir compte de nos convenances personnelles. Mais ici encore nous devrons faire passer l’utile avant l’agréable, c’est-à-dire notre intérêt majeur avant nos intérêts secondaires.
29À quoi nous sert la couleur ? N’est-elle faite que pour nous procurer des sensations agréables, ou bien avons-nous à la percevoir un intérêt pratique ?
30Nous sommes assez habitués à la regarder comme un ornement, comme un décor, comme un jeu d’apparences fait pour varier le spectacle de la nature. Je trouve cette idée formellement exprimée dans l’excellent traité de Rood sur la Théorie scientifique des couleurs. « La perception des couleurs n’est pas une des facultés les plus indispensables de notre race ; quand même nous en serions privés, nous pourrions encore non seulement exister, mais même arriver à un haut degré de culture intellectuelle et esthétique. La couleur n’est d’aucun secours pour faire reconnaître la forme ; elle l’orne et en même temps la déguise légèrement4. » À ce compte, le sens des couleurs serait vraiment un sens de luxe, qui ne nous serait nullement indispensable dans la pratique de la perception.
31Il nous importe beaucoup de savoir si cette thèse est fondée. S’il était en effet prouvé que les couleurs sont faites uniquement pour le plaisir de la vue, nous ne devrions leur demander qu’une chose, c’est de nous donner ce plaisir dans toute sa pureté. Telle étant leur fin, telle serait leur beauté. Mais si nous devons leur assigner une fin différente, leur esthétique ne sera plus la même. Si par exemple il est démontré qu’elles ont dans la pratique de la perception une fonction bien déterminée, ce que nous devrons leur demander avant tout ce sera de remplir le mieux possible cette fonction. Toute l’esthétique de la couleur devra être subordonnée à cette fin pratique. Quand nous avons reconnu que l’usage de la lumière était, non de stimuler agréablement la rétine, mais de nous faire percevoir distinctement les objets, nous en avons immédiatement déduit que la plus belle lumière devait être celle qui assure le mieux la visibilité des choses. Il est probable qu’au sujet de la couleur nous allons aboutir à des conclusions analogues.
32Il serait étrange en effet que le sens de la couleur se fût ainsi développé, non seulement dans l’espèce humaine, mais encore dans la plupart des espèces animales, s’il était de luxe pur. Selon la très juste remarque de Helmholtz5, « la finalité observée partout dans la structure des organismes vivants, quelle qu’en soit l’origine, ne permet pas de croire qu’il se développe et se maintienne, dans la majorité des individus bien portants, un instinct ne servant pas à des buts déterminés ». À plus forte raison ne peut-on comprendre que ce sens se soit formé, s’il avait été plus nuisible qu’utile aux fins pratiques de la perception. Son existence nous restera donc inexplicable, tant que nous ne lui aurons pas assigné une fonction suffisamment importante, et telle que l’être qui en est doué ait à le posséder un intérêt vital. En suivant cette idée, Helmholtz nous montre quelles indications nous donne la couleur sur la forme des objets, dont elle nous fait comprendre le modelé par ses dégradations de teinte. Ce n’est pas assez dire encore. La couleur n’est pas seulement expressive de la forme. Elle nous donne bien d’autres renseignements sur les choses. Avant tout, elle a la propriété de détacher nettement dans le champ visuel la silhouette de chaque objet : chacun d’eux, ayant en général sa couleur propre dont il est teint tout entier, forme sur son fond une tâche distincte ; du premier coup d’œil on le perçoit dans sa totalité. Ainsi je distingue un objet bleu sur fond jaune aussi nettement que s’il était vivement éclairé sur fond obscur ; la différence de coloration équivaut à une différence de luminosité. La couleur a encore cette propriété éminente, de nous indiquer immédiatement de quelle matière les objets sont faits : chose au moins aussi importante dans la pratique que la perception de la forme. Toute substance ayant sa teinte caractéristique, la couleur d’un objet nous permet de le classer du premier coup d’œil. Je sais que ceci est de la terre, cela du sable, cela une prairie. Voici une maison dans l’éloignement ; je pourrai dire, à mille mètres de distance, si son toit est de tuile ou d’ardoise, si ses murailles sont de brique ou de pierre. Supposez qu’au lieu de cette image colorée que je perçois on me présente une simple photographie, où les différences de teintes seront remplacées par une différence de valeurs ; peut-être arriverai-je encore par induction à reconnaître dans cette image monochrome un certain nombre d’objets ; mais comme cette interprétation exigera d’efforts ! Comme je serai mal renseigné sur la nature de maint objet ! Tel serait l’état de ma vision, si je n’avais pas le sens de la couleur : on voit comme mes perceptions seraient défectueuses. Quand on se rend compte de tout ce que nous apprend la couleur, on conçoit combien un être qui ne la percevrait pas aurait peine à se reconnaître dans le monde extérieur, à découvrir sa proie, à discerner ses ennemis, et comme il serait mal armé en somme dans la lutte pour l’existence. Il est donc vraiment dérisoire de regarder la perception de la couleur comme une chose de luxe dont nous pourrions nous passer sans grand inconvénient. C’est une chose utile entre toutes.
33Je dirai donc que le sens de la couleur nous a été donné avant tout pour nous permettre de distinguer les objets. Telle étant sa fin, c’est à l’exercice normal de son activité que nous devons prendre le plus de plaisir. Ce que nous devons souhaiter avant tout de la couleur, c’est qu’elle nous facilite cette perception distincte. Nous accorderons donc une valeur esthétique aux couleurs nettes, bien tranchées, faciles à distinguer les unes des autres, et réparties sur les objets d’une manière assez uniforme pour les rendre immédiatement perceptibles. Il n’est pas nécessaire que les couleurs soient très vives ; par excès d’éclat elles fatigueraient bien vite la vue, sans donner de perceptions plus distinctes ; il suffit qu’elles soient assez claires pour se nettement différencier les unes des autres. L’effet esthétique le plus heureux sera obtenu quand l’objet le plus intéressant sera plus vivement coloré que les autres, de manière à s’en nettement distinguer, et à nous présenter pour ainsi dire toute formée l’image qu’il nous faudrait sans cela découper et isoler par un effort d’attention. Quand par un hasard heureux il se trouve que les spectacles de la nature sont disposés suivant ce principe, ils prennent un charme particulier, et produisent, non seulement un effet esthétique, mais une véritable impression d’art. Le peintre qui compose pour l’effet une scène ou un paysage aura soin de répartir ainsi ses couleurs, par larges oppositions, par grands partis qui du premier coup d’œil mettent chaque objet à son plan et rendent le tableau immédiatement perceptible. Le décorateur qui orne un objet de couleurs variées aura soin que ce jeu de colorations ne distraie pas le regard de la forme, mais l’accentue plutôt et la rende plus distincte. Sous prétexte que dans la nature les colorations seraient reparties sans aucun égard pour la forme des objets, mais suivant une loi tout à fait indépendante et pour le simple plaisir des yeux, Ruskin6 conseille à l’architecte de ne jamais chercher à souligner la structure d’un édifice par la couleur de ses divers matériaux. C’est un contre-sens esthétique. Il est tout d’abord inexact que dans la nature il y ait si peu de rapport entre la coloration des objets et leur forme. Pour quelques objets matériels, pour quelques plantes et quelques animaux qui nous apparaissent en effet comme bariolés au hasard de couleurs diverses, combien d’autres pourrait-on citer dont la structure est au contraire admirablement indiquée par la coloration, chaque partie du corps affectée à des fonctions distinctes ayant sa nuance propre, et qui produisent grâce à ce parti d’ornementation un effet particulièrement esthétique ! Au reste, quand la nature n’aurait pas réalisé ces correspondances, est-ce une raison pour que notre art les néglige ? Cette indépendance du décor, qui semble n’obéir qu’à son caprice et se jouer de la forme, peut produire par exception un effet piquant : on ne saurait en faire la règle, surtout dans l’architecture monumentale, qui est astreinte à une logique plus sévère.
Agrément
34En dernier lieu enfin nous jugerons de la valeur esthétique des couleurs par leur agrément sensible. Entre plusieurs couleurs qui conviendraient aussi bien l’une que l’autre à l’objet et qui assureraient aussi bien la commodité de la perception, il est raisonnable de choisir celle qui nous plaît.
35Le plaisir que nous donne la couleur a une vivacité extrême. Figurons-nous que l’univers visible perde la variété de ses teintes, et ne nous apparaisse plus qu’en couleur uniforme, avec de simples différences de valeur ; quel désenchantement ! C’est l’impression que l’on éprouve quand on fait pour la première fois de la photographie ; de l’image que nous offrait la nature à celle que nous obtenons, il y a un tel déchet esthétique, que cette épreuve serait faite pour nous révéler, si nous ne l’avions pas encore senti, le charme de la couleur.
36Les variations dans l’effet esthétique des couleurs peuvent être déterminées par des raisons très nombreuses. Toute qualité que nous reconnaissons à la couleur, toute épithète favorable que nous pouvons lui attribuer, nous la rend plus agréable à voir et lui confère une valeur esthétique. Nous dirons seulement quelques mots de ses qualités principales, de celles qui lui donnent le plus grand attrait, et que notre goût en exige avant tout : la variété, l’éclat et l’harmonie.
37Avons-nous une préférence esthétique pour une couleur ou pour une autre, prise isolément ?
38Je n’ai pas de doute sur la couleur que nous devrions préférer. Ce serait le blanc. Objectivement, elle a cette supériorité de répondre à une plus riche excitation, puisqu’elle nous fait percevoir non seulement une certaine catégorie d’ondes lumineuses, mais l’infinie multiplicité des rayons solaires. Physiologiquement, bien qu’elle se traduise à la conscience comme une sensation simple, elle met à la fois en jeu les diverses activités rétiniennes ; elle assure ainsi leur équilibre, que les autres excitations compromettent, et doit être par conséquent la moins épuisante de toutes. Elle est la plus favorable à la perception, les détails de la forme n’étant jamais mieux perceptibles que dans le blanc. Elle représente donc vraiment l’excitation normale. Figurons-nous que nous n’ayons vu jusqu’ici que des fleurs rouges, bleues ou jaunes, et qu’un beau jour nous apparaisse une fleur blanche, toute blanche : un narcisse, une anémone, un lys ! Cette couleur pure, éclatante, exquise ne nous semblerait-elle pas d’une beauté incomparable ? Vraiment n’est-elle pas la plus belle ? Mais le blanc, peut-être par cela même qu’il correspond à l’excitation normale, nous laisse d’ordinaire assez indifférents. L’usage s’est même établi de ne pas le compter parmi les couleurs. Laissons-le donc de côté ou plutôt mettons-le hors pair, et passons aux couleurs proprement dites.
39Demandez à plusieurs personnes quelle est la couleur qu’elles estiment la plus belle, vous obtiendrez des réponses diverses ; et vous constaterez que les préférences indiquées tiennent toujours à des associations d’idées, au caractère plus ou moins poétique que l’on attribue aux couleurs, à leur expression morale. On désignera le vert parce qu’il évoque des idées de prairie et de forêt ; ou le bleu parce qu’il a quelque chose de céleste, d’idéal ; ou le rouge comme une teinte chaude, opulente et magnifique. Dans tout cela il n’y a rien de bien net. Si l’on accordait la préférence aux teintes qui agissent le plus fortement sur la rétine, on devrait mettre en tête de la liste le vert, puis le violet, le bleu, le rouge, l’orangé, et enfin le jaune7. Mais d’autre part, celles qui ont l’avantage d’agir le plus fortement ont l’inconvénient d’épuiser plus vite, ce qui fait compensation. Dira-t-on que la plus esthétique doit être celle qui produit la plus vive stimulation avec la moindre fatigue ? Le problème ainsi posé serait insoluble, la fatigue étant en raison de la stimulation. Il faudrait adopter une formule plus vague, dire par exemple que nous nous plairons surtout à une couleur qui nous excitera suffisamment sans trop nous fatiguer ; et alors on tombera sur une couleur d’action moyenne, telle que le bleu ou le rouge, qui semblent en effet avoir été employés de préférence comme décor. Peut-être le rouge l’emporterait-il décidément, pour la propriété qu’il a d’exercer non seulement sur la rétine, mais sur la sensibilité générale, une action plus stimulante. On ne peut en somme attacher beaucoup d’importance à ces prédilections subjectives, qui sont trop peu accusées.
40Si notre œil était ainsi constitué, qu’il reçût de telles ou telles couleurs une impression plus agréable, cette raison toute subjective nous autoriserait à les employer de préférence aux autres ; et l’objet qui naturellement serait ainsi coloré aurait une certaine supériorité esthétique. Mais notre œil a dû s’adapter de manière à percevoir avec une égale facilité et par conséquent avec un égal plaisir toutes les couleurs que nous offre la nature. Je ne vois aucune raison subjective ni objective pour qu’une couleur quelconque ait une valeur esthétique particulière.
41Qu’une teinte se présente, ou une autre, cela nous est indifférent. Celle qui se présentera sera toujours la bienvenue. Celle qui fera défaut sera toujours regrettée. Celle que la nature nous offrira plus rarement sera recherchée de préférence, prodiguée dans l’ornementation, jusqu’à ce que nous soyons blasés sur son attrait, et nous éprenions de colorations inverses. De là ces oscillations du goût qui de saison en saison, d’année en année, mettent telle nuance à la mode dans le vêtement ou dans la décoration.
42Cet attrait de la variété nous explique l’heureux effet que produit dans la décoration l’emploi des teintes complémentaires. Un objet bleu produira meilleur effet quand il se détachera sur un fond jaunâtre. Sur un tapis dont la nuance dominante est le rouge, l’œil aura plaisir à trouver des détails d’ornementation d’un vert exactement complémentaire. C’est que les couleurs opposées sont celles qui mettent dans notre perception le plus de variété possible.
43L’effet esthétique le plus favorable sera obtenu quand le champ visuel nous offrira à la fois le jeu le plus riche de couleurs variées, de manière à exciter simultanément ou à tour de rôle toutes les activités de la rétine. S’ensuit-il qu’un objet donné sera aussi beau que possible quand il sera bariolé, au hasard, de toutes les couleurs ? Non sans doute, car il faut tenir compte d’autres exigences. On doit craindre de fatiguer la vue par un insupportable papillotage de tons ; il faut aussi songer aux nécessités de l’expression. Chaque couleur ayant son ton de sentiment propre, des couleurs opposées réparties en proportions égales produiraient des effets contradictoires, qui se neutraliseraient, et l’ensemble resterait sans caractère.
44L’artiste qui combine ses couleurs est ainsi obligé de trouver un compromis entre des convenances en apparence inconciliables, compromis qui ne peut être établi qu’à force de tact et d’ingéniosité. Mais son idéal serait certainement d’introduire dans sa composition le plus grand nombre possible de nuances variées, et s’il était possible, de n’en oublier aucune. Un simple jeu de deux couleurs bien assorties, c’est déjà une joie pour la vue ; mais des combinaisons plus complexes, si l’on peut les obtenir en sauvegardant l’harmonie, auront plus d’attrait encore. Nous aimerons que les nuances qui ne pourront trouver place au premier plan de la composition soient rappelées au moins de quelque manière. Notre œil trouvera enfin son plaisir parfait dans ces compositions chromatiques où toutes les couleurs sont représentées, les unes avec éclat, les autres en accords plus sourds, et qui donnent à la vue l’équivalent d’un superbe effet d’orchestration.
45Les couleurs produisent un indéniable effet esthétique par leur éclat.
46Si nous ne tenions qu’à la commodité de la perception, nous devrions préférer les teintes d’intensité modérée, qui suffisent pour distinguer nettement les objets et donnent à la vue le minimum de fatigue. Pour notre plaisir, nous exigeons davantage ; il faut que les colorations augmentent de vivacité jusqu’à nous donner la sensation positive d’une stimulation de la rétine : et même, allant de plus en plus loin dans cette voie, nous commencerons à jouir vraiment de la couleur quand elle deviendra presque éblouissante à force d’éclat. On peut constater que les couleurs usitées dans la décoration et en peinture sont d’ordinaire plus vives, plus montées de ton que ne le sont en moyenne les colorations naturelles des objets. Il y a moins de lumière dans nos tableaux que dans la nature ; mais il y a d’ordinaire plus de couleur. Parmi les objets qui se présentent à lui, l’artiste fait d’instinct un choix de ceux qui sont les plus colorés, et en les reproduisant accentue encore leur coloration pour en tirer un maximum d’effet esthétique. Il cherchera même à faire vibrer la couleur par de véritables artifices, par exemple en martelant sa toile de tons un peu différents du ton principal, ou bien encore, à la manière des pointillistes, en dissociant les tons pour agir sur la rétine par petites louches de couleurs franches. Comme exemple de beauté obtenue par un maximum d’éclat, je citerai l’effet produit par les vitraux colorés quand ils sont frappés du plein soleil.
47Que devons-nous penser de cet effet esthétique produit par les couleurs éclatantes ? En y réfléchissant, on trouvera qu’il y a dans l’admiration qu’elles nous inspirent quelque chose d’étrange. Le plaisir de stimulation, l’agrément sensible qu’elles peuvent nous procurer ne suffisent pas à expliquer un tel effet esthétique. Les sensations sonores sont plus stimulantes encore ; les sensations de l’odorat et du goût peuvent être autrement voluptueuses ; et pourtant elles produisent un bien moindre effet. L’enfant accueille l’apparition d’objets vivement colorés avec des transports de joie ; il en est émerveillé. Il me paraît difficile de ne pas voir dans ce fait la manifestation d’un instinct spécial. On peut dire que vraiment la couleur tient une place abusive dans nos préférences esthétiques. Nous l’aimons trop, ou plutôt, en comparaison, nous n’aimons pas assez le reste. Il nous faut un effort pour admirer à sa juste valeur la perfection de la forme, qui a pourtant une plus grande valeur : d’emblée nous admirons la couleur.
48Du bleu, du rouge, c’est bien beau sans doute, mais vraiment est-ce aussi beau que cela ? Je me suis longtemps tourmenté pour m’expliquer cette impression de beauté féerique que donne la couleur. J’avoue que je n’y suis pas parvenu. Peut-être est-ce simplement parce que cette impression n’est pas raisonnable. Jusqu’au moment où l’on m’aura donné quelque bonne raison qui la justifie, je la tiendrai pour un entraînement de goût. Je dirai qu’en nous prenant ainsi à l’éclat des couleurs nous cédons à l’attrait de l’extraordinaire, à cette tendance qui nous pousse à admirer davantage ce qui nous étonne. Naïvement, nous nous laissons fasciner. Par un déplacement d’épithètes, par une confusion d’impressions dont on trouverait plus d’un exemple dans nos jugements esthétiques, la beauté des couleurs éclatantes nous fait l’effet d’une éclatante beauté. Nous prenons notre éblouissement pour de l’admiration. Ce goût des couleurs voyantes est irrationnel. Sauf dans le cas où il y aurait difficulté et par conséquent mérite à porter la couleur à un maximum d’intensité, que pouvons-nous trouver, dans cette extrême exaltation des tons, de vraiment admirable ? Nous devons donc blâmer, comme primitif et antiesthétique, le goût des couleurs voyantes qui font tapage. Nous devons nous en garder.
49Je n’irai pas jusqu’à dire que nous devrions exclusivement nous plaire aux couleurs pâlies, mourantes, atténuées. Un œil sain doit être capable de supporter des impressions fortes. Le vrai coloriste n’est pas obligé de peindre en sourdine ; il a le droit de faire joyeusement chanter la couleur, et par instant d’user franchement des tons les plus intenses qu’il ait sur sa palette. Mais il ne doit pas oublier que la qualité importe beaucoup plus ici que l’intensité. Qu’il se contente de porter la vivacité des nuances au point où l’on jouit pleinement de la sensation colorée : son idéal ne doit pas être de l’élever au maximum d’éclat tolérable. Les couleurs d’un tableau devraient être équilibrées de telle sorte qu’on pût le contempler indéfiniment sans fatigue. Peut-être l’habitude de travailler pour les musées et les Salons porte-t-elle de nos jours les peintres à trop poursuivre l’éclat de la couleur. On sait comme une toile, composée avec amour dans le jour favorable de l’atelier, semble baisser brusquement de ton quand elle est exposée dans une galerie, pêle-mêle avec d’autres toiles. Pour compenser cet inévitable déchet, l’artiste qui tient au succès d’exposition sera tenté de forcer d’avance ses effets.
50Les couleurs nous plaisent enfin par leur harmonie. Deux couleurs, qui considérées isolément nous laisseraient indifférents, placées à côté l’une de l’autre peuvent former un accord qui nous enchante.
51Cette impression d’harmonie tient à des raisons très diverses. Deux couleurs nous sembleront avoir l’une pour l’autre une sorte d’affinité, tantôt quand elles présenteront un contraste suffisant pour se faire valoir réciproquement, tantôt quand elles seront assez rapprochées pour pouvoir être considérées comme les diverses variétés d’une même nuance ; ou bien quand elles seront de même valeur, pâlies ou rabattues au même degré ; ou bien encore, harmonie plus délicate, quand elles seront d’expression morale équivalente, c’est-à-dire de nature à nous suggérer des sentiments et des images de même ordre. On se perd vite à poursuivre la raison de ces affinités. La couleur a dans l’âme de l’artiste une résonance profonde ; elle éveille des échos qui se répondent comme des voix de plus en plus lointaines et qui établissent d’une nuance à l’autre de mystérieuses correspondances.
52Le plaisir que nous donne l’harmonie des nuances est le plus délicat, le plus esthétique que les couleurs puissent nous donner. C’est aussi celui qui donne la moindre part à la sensualité physique : c’est presque une pure impression d’art.
53À quoi devons-nous attribuer en effet l’impression si désagréable que nous éprouvons à voir dans un tableau des couleurs froides et dures, rapprochées en contrastes criards ?
54Notre rétine en est péniblement affectée, cela est certain. Mais ce malaise après tout est très tolérable. En admettant même que nous ayons cultivé jusqu’à l’hyperesthésie notre sensibilité rétinienne, notre déplaisir ne devrait pas aller jusqu’à cet excès de nervosité, et provoquer une réaction aussi violente. Nos yeux, vraiment, en ont vu bien d’autres ; à chaque instant il se rencontre dans la réalité des contrastes de tons, autrement violents, que pourtant nous percevons de sang-froid. Dirons-nous alors que cette soi-disant souffrance est factice, exagérée à plaisir, et que nous affectons d’être plus émus que nous ne le sommes, pour faire parade de délicatesse ? Je ne le crois pas. Nous sommes sincères.
55Il faut donc que dans le sentiment éprouvé il y ait autre chose qu’une sorte de répulsion physique. Analysons de plus près notre émotion, nous n’aurons pas de peine à y découvrir un élément tout moral : un sentiment, et très intense, de réprobation. Ce qui nous est intolérable, ce n’est pas le léger malaise que nous éprouvons, c’est l’impéritie du peintre qui n’a pas su nous l’éviter. Que ces tons sont mal combinés ! Cela est rude, cela est grossier, cela ne doit pas se faire, c’est une lourde faute ; et nous sommes indignés. Nous serions indulgents aux rencontres de nuances les plus fâcheuses si elles étaient purement accidentelles ; mais ce qui nous révolte ici c’est que ces tons aient la prétention de former une harmonie. De là toute cette effervescence, qui autrement serait inexplicable.
56Faisons la contre-épreuve. Analysons le plaisir que nous prenons à regarder une toile de vrai coloriste. Nous constaterons que l’agrément purement sensible n’entre que pour une faible part dans l’émotion éprouvée. Certes nous jouissons par nos yeux de ces accords de nuances, mais par-dessus tout nous sommes émerveillés que l’artiste ait si bien atteint son but. Ce qui domine, et de beaucoup, dans la satisfaction ressentie, c’est ici encore un élément tout moral ; c’est une impression d’art.
57Ainsi, dans ce cas où l’on pouvait croire notre jugement esthétique uniquement déterminé par le plaisir des sens, nous voyons apparaître des raisons de finalité, le sentiment d’un but à atteindre, d’un idéal réalisé. Et je dis qu’à cette condition seule notre plaisir prendra un caractère esthétique. Tant que nous ne ferons que savourer nos sensations, l’objet nous paraîtra agréable, mais nous n’aurons aucune velléité de le trouver beau ; on ne verra même pas poindre en nous le germe d’un sentiment d’admiration. Ici l’attrait sensible, si léger qu’il soit, prend une haute valeur esthétique parce qu’il peut être interprété comme le signe d’une perfection de l’objet.
Notes de bas de page
1 Suivant les mesures de Wollaston, la lumière solaire serait 800 000 fois plus intense que le plus beau clair de lune. Mais la différence dans l’intensité des sensations et dans la visibilité des choses est certainement moindre, l’œil ayant une étonnante facilité d’accommodation à des éclairages très divers. Il est évidemment impossible de donner ici des nombres précis ; les valeurs esthétiques ne sont pas de ces choses qui peuvent se chiffrer.
2 Tout objet coloré nous semble l’être dans sa masse. Un corps dont la peau est très blanche nous semble pétri de neige. Cette illusion contribue beaucoup à augmenter l’effet esthétique de la couleur. Elle est cependant à rectifier. Nous ne devons pas nous laisser prendre à l’apparence, mais nous assurer qu’elle correspond à une réalité.
3 Voir notre Imagination de l’artiste, symbolisme des couleurs, p. 95.
4 Page 362. (Bibliothèque scientifique internationale, Paris, Félix Alcan.)
5 Principes scientifiques des beaux-arts, Bibliothèque scientifique internationale, p. 213 (Paris, Félix Alcan).
6 Je ne voudrais pas critiquer ainsi certaines idées particulières de Ruskin sans dire l’admiration profonde que j’éprouve pour son esthétique, inspirée tout entière de sentiments si généreux, et par endroits si rationnelle.
7 Rood, Théorie scientifique des couleurs, p. 255.
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