L’empereur construit pour le peuple1
p. 119-156
Texte intégral
1Sur la façade de la Glyptothèque à Munich le roi Louis Ier de Bavière fit placer une statue de l’empereur Hadrien, pour honorer ainsi cet empereur en sa qualité de mécène par excellence. Hadrien est représenté à la manière classique, en armure, à côté de Périclès ; il est d’ailleurs entouré des sculpteurs les plus éminents de tous les temps, de l’Antiquité à l’époque contemporaine. Ces deux bâtisseurs, objet d’admiration pour Louis Ier, représentent les modèles du roi dans sa fonction de commanditaire de bâtiments et mécène : un programme de construction d’ampleur extraordinaire aurait dû faire de sa capitale et résidence, Munich, une nouvelle Athènes. Dans son esprit il se concevait comme un épigone de ces grands hommes exemplaires de l’Antiquité et comme l’inspirateur et le mécène de l’art allemand réveillé. Sur un tableau jadis fameux de Wilhelm von Kaulbach, on voit le roi qui « descend de son trône, entouré d’artistes et de savants, pour examiner les œuvres qui lui sont offertes » – selon l’explication officielle de ce carton des fresques de la Nouvelle Pinacothèque Louis Ier, détruite pendant la Seconde Guerre mondiale (fig. 1)2. Des artistes enflammés rendent hommage au roi et présentent leurs œuvres apportées avec zèle. Derrière le roi on peut reconnaître la façade de la Glyptothèque, symbole de la renaissance de la Grèce. Je commence par cet exemple – d’une qualité douteuse – de l’art officiel de la cour de Munich parce que le tableau nous montre assez clairement, dans sa représentation presque caricaturale, la conception moderne du mécène qui s’identifie aux empereurs romains. Le prince amateur des arts se soucie personnellement des artistes qui l’adorent en tant qu’Être suprême ; il commande et juge les œuvres avec une expertise souveraine ; il reconnaît et favorise les grands génies et il crée ainsi un monument éternel à sa mémoire et à sa gloire.
2Ce stéréotype moderne du mécène diffère en réalité fondamentalement de toutes les démarches de ce genre entreprises par les empereurs romains. À la différence de l’époque moderne, les architectes et artistes romains ne partagèrent jamais la gloire du commanditaire impérial. À l’exception de quelques exemples accidentels, nous ne connaissons même pas leur nom et il aurait été inconcevable que l’empereur les honorât d’une statue : les empereurs romains ne soucièrent pas de la promotion de l’art et des artistes, mais ils agirent dans un sens très large comme bienfaiteurs de leurs sujets. En tant que tels, ils s’occupèrent de tous les besoins matériels et des plaisirs du peuple, c’est-à-dire des distributions en céréales ou en argent, et jusqu’à la construction de bâtiments publics et à l’organisation des jeux. C’est ainsi que Paul Veyne parle, de manière pertinente, d’Auguste comme « mécène des Romains3 ». Presque tout ce que nous appellerions promotion des arts et de la culture entra à Rome dans le cadre de la liberalitas et la munificentia, de la générosité des empereurs comme donateurs4. Les artistes, artisans et architectes embauchés ne disposaient pas d’un statut particulier, ils assistaient simplement le prince pour l’aider à accomplir ses grands projets, comme tous les autres employés.
3Le mot d’ordre panem et circenses revêt pour nous une connotation négative. On imagine une populace urbaine paresseuse, nourrie par l’État, maintenue tranquille par un empereur cynique et distraite ainsi de sa réalité quotidienne. Il se peut que cette image ne soit pas inexacte, mais elle ne montre qu’une seule face du phénomène. Il y avait certainement d’autres moyens moins onéreux pour ménager les foules séditieuses : il y avait par exemple la force menaçante des cohortes prétoriennes, dont les casernes se trouvaient à la limite de la ville. La plupart des Romains à Rome étaient obligés de travailler, même s’ils étaient inscrits sur la liste des 200 000 bénéficiaires des distributions frumentaires. Parmi eux se trouvaient beaucoup d’ouvriers du bâtiment qui érigeaient les grands édifices dont nous allons parler5.
4En réfléchissant sur les différentes formes de la promotion de la culture, je me suis demandé si on ne pourrait pas considérer certains secteurs de la liberalitas impériale – et en particulier l’activité de construction pour le peuple et l’organisation des jeux – comme une sorte de promotion culturelle, c’est-à-dire comme la promotion d’une culture des loisirs et du divertissement de masse. La réponse sera contrastée. La promotion de la culture, ou plus exactement l’organisation par l’empereur des divertissements et des loisirs des Romains est fondamentalement différente de toutes les formes de mécénat ou de politique culturelle que nous connaissons aujourd’hui, parce qu’elle correspond à l’obligation de liberalitas du prince et est fermement ancrée dans le système politique du Principat. L’observation des traditions cultuelles, la conservation de l’héritage culturel classique, ainsi que la représentation et la vénération du pouvoir de l’empereur y sont inextricablement liés. L’empereur créait un monde sublime, rempli d’occasions à fêter qui permettaient au peuple romain d’éprouver, dans des formes très diverses, le sentiment communautaire. Ce système et son analyse sont le sujet de la présente étude.
5En tant qu’archéologue, je me concentrerai sur les constructions monumentales érigées pour le peuple romain et sur leur fonctionnalité dans le cadre de la liberalitas de l’empereur. Il est vrai que les empereurs firent ériger des bâtiments non seulement dans l’Urbs, mais aussi partout ailleurs dans l’empire. Mais le choix des projets fut autre à Rome que dans les villes d’Italie et dans les provinces. Hors de Rome, les empereurs contribuèrent surtout à la construction de remparts, de routes ou d’aqueducs, c’est-à-dire aux infrastructures, tandis que l’embellissement des villes resta à leur propre initiative ou plus précisément à l’initiative des bienfaiteurs locaux6. À Rome en revanche, ce sont les empereurs eux-mêmes qui agirent comme donateurs et bienfaiteurs. En tant que commanditaires de bâtiments, ils ne tolérèrent aucune concurrence. Les constructions pour le peuple engloutirent des sommes plus importantes que toute autre initiative. Les projets visèrent surtout à développer trois aspects des loisirs et des distractions de la plebs urbana : les promenades publiques dans les portiques, les bainsdans les thermes et les jeux. Je voudrais surtout donner un aperçu de ces « constructions pour le peuple7 », mais mes considérations concernent moins les édifices particuliers que la forme propre de la liberalitas impériale dans chaque secteur. Dans cette démarche, je suis pourtant obligé de me limiter à quelques aspects.
Les promenades pour la population urbaine
6De prime abord, on pourrait douter que les nombreux portiques publics, si caractéristiques de la physionomie du centre de la ville de Rome, soient réellement des constructions pour le peuple, car la majorité d’entre eux s’intègre dans un forum impérial, un sanctuaire ou un théâtre sur le Champ de Mars. Grâce aux auteurs antiques, nous savons cependant que les portiques servirent de promenoirs publics – au-delà de leur fonction primaire comme élément de l’ensemble dont ils font partie – et que les commanditaires eux-mêmes les avaient destinés à cette fin. Comme tels, ils constituaient un vaste système d’espaces couverts et richement décorés, qui parcourait les zones centrales de la vie publique citadine et était accessible à tous (plan I, p. 123).
7Les plus anciens de ces portiques furent érigés dès le iie siècle av. J.-C. par des généraux en guise de sanctuaires de leurs victoires. Ils voulaient ainsi faire don au peuple romain d’un élément de la culture urbaine des cités hellénistiques qu’ils admiraient tellement et, en même temps, lui donner sa part de butin. Les plus beaux de ces portiques furent alors construits par des architectes grecs et dans le style hellénistique le plus moderne. Le caractère grec et la décoration riche et précieuse, dotée entre autres des œuvres d’art enlevées comme butin, typiques des « constructions pour le peuple » ultérieures des empereurs, étaient déjà inscrits dans ces bâtiments8.
8Les empereurs rénovèrent et agrandirent les anciennes constructions et ajoutèrent de nouveaux portiques sur le Champ de Mars, d’une longueur de plusieurs centaines de mètres. Mais les galeries et exèdres des fora impériaux s’inscrivent eux aussi dans cette tradition9 (fig. 2, 3, 4).
9César et Auguste, en construisant leurs fora, voulurent explicitement créer non seulement des sanctuaires et des tribunes pour les actes officiels, mais aussi répondre au besoin urgent d’espaces polyvalents. Dans la vie quotidienne les portiques et exèdres des fora impériaux furent affectés surtout à l’activité judiciaire et administrative. Le forum d’Auguste et celui de Trajan sont devenus en outre, par suite de présentations et de conférences de toutes sortes, des centres de la vie intellectuelle. Sur le forum de César en revanche, on trouvait aussi, comme sur le Forum Romanum, les comptoirs des banquiers. S’y ajoutèrent encore une multitude d’actes officiels et manifestations, sur lesquels nous n’avons que peu de détails.
10Nous avons de la peine à imaginer l’impact produit sur la communication sociale du fait que toutes ces activités – entre autres aussi les actes essentiels de la justice et de l’administration – ne se déroulaient pas comme chez nous à l’intérieur de salles et de bâtiments administratifs mais sous les portiques ouverts et accessibles à tout le monde, dont les sections destinées à une activité particulière étaient à la rigueur délimitées par des rideaux10. Cela ne contribuait pas seulement à faire courir les bruits mais produisait également une situation exceptionnelle de familiarité entre citoyen, pouvoir et justice. L’empereur lui-même siégeait de longues heures en public. Suivant le modèle républicain, on fit aussi des nouveaux fora impériaux un lieu où on mettait en scène, outre la religion et la politique, la justice, l’école et toutes sortes de manifestations culturelles, devenues un spectacle pour le citoyen-promeneur. Il faut faire des efforts d’imagination pour se représenter ces espaces avec leurs visiteurs rassemblés en groupes plus ou moins importants : des gens qui courent pour arriver à une audience, d’autres qui cherchent un ami ou encore des oisifs, qui traînent et regardent. Une gravure de l’année 1644, figurant la bourse de Londres, peut stimuler notre imagination (fig. 5).
11Aux promenades du Champ de Mars (fig. 6) en revanche, la vie se manifestait différemment que sur les fora d’Auguste et de Trajan11. Là les portiques voisinaient avec les théâtres, les jardins et des terrains de sport. Certaines parties des salles étaient occupées par des boutiques qui offraient surtout des articles assez sophistiqués ou même de luxe. Aux Saepta par exemple, que César fit jadis construire comme enclos de vote, on trouvait des meubles précieux, des vases à boire, des bijoux, des petites figures en bronze et de beaux esclaves domestiques aux cheveux longs (Mart., 10, 80 ; 2, 57 ; 9, 59). Ailleurs il y avait des boutiques où acheter des livres ou des antiquités. Particulièrement fréquentées étaient les Porticus Vipsania ou Europa proche de zones résidentielles densément peuplées. Marcus Vipsanius Agrippa avait construit ce portique à l’époque d’Auguste dans le quartier du Corso actuel, en face de la Piazza Colonna. C’est là qu’il avait fait exposer la célèbre carte du monde (Mart., 2, 14). De là on pouvait observer les jeunes gens qui s’entraînaient dans le voisinage. Pendant toute l’époque impériale le Champ de Mars continua d’accueillir les amateurs de sport qui couraient par exemple le long de l’Aqua Virgo (Mart., 7, 32 ; Hor. Carm., 1, 8). Aux portiques du sanctuaire d’Isis, le visiteur se retrouvait dans le monde mystérieux de l’Égypte et il pouvait en même temps rencontrer des jeunes femmes. Ovide recommande ces portiques aux lecteurs en quête d’aventures amoureuses :
« Visitez les autels où brûle l’encens offert à la génisse de Memphis »
(Ovide, Ars am., 3, 393).
12À en croire les poètes, et surtout Ovide et Martial, les portiques du Champ de Mars étaient des lieux parfaits de rencontre. Les uns cherchaient les filles ou les garçons, les autres un ami disposé à les inviter à dîner. Martial (2, 14) raconte, à propos d’un de ces chasseurs de tables hospitalières, qu’il « ratissait » les grands portiques l’un après l’autre :
« Il n’est rien que ne tente, rien que n’ose Selius toutes les fois qu’il se voit à la fin de la nécessité de dîner chez lui. Il court au portique d’Europe et te prodigue, Paulinus, ainsi qu’à tes pieds, rivaux de ceux d’Achille, ses flatteries sans fin. Si le portique d’Europe ne lui a rien rapporté, alors il prend le chemin des Saepta pour voir si le fils de Philyra ou celui d’Aeson lui seront plus propices. Déçu encore sur ce point, il se rend au temple des deux déesses de Memphis et va s’asseoir, ô génisse éplorée, sur les sièges de tes fidèles. De là il se dirige vers le toit que supportent cent colonnes et ensuite vers le monument dû à la générosité de Pompée, avec ses deux bouquets d’arbres12… »
13Malheureusement les images de genre représentant des scènes de la vie quotidienne dans la Rome antique sont très rares. Si seulement on avait une source précieuse comparable à la peinture de genre vénitienne du xviiie siècle avec ses nombreuses représentations de la vie sur les places et dans les rues de la ville ! Il y a quand même une exception. Dès le xviiie siècle, on a retrouvé dans l’atrium d’une maison de Pompéi (la Villa de Iulia Felix) une série très originale d’une douzaine d’images environ avec des scènes de la vie quotidienne13 (fig. 7, 8). L’action se déroule devant et à l’intérieur de portiques sur un forum richement décoré par des monuments. Les scènes de vente sont significativement les plus fréquentes. On offre des souliers, des tissus, des outils ou des vases métalliques, mais aussi du pain et des plats préparés. On peut reconnaître la classe d’une école avec son maître et un esclave qui est battu, un groupe de citoyens en toge qui lisent une sorte de journal mural déployé sur les bases de trois statues équestres, ou d’autres qui discutent. Toujours devant une statue équestre une femme et une jeune fille debout devant deux hommes en toge assis négocient une quelconque affaire juridique. Au milieu de toutes ces scènes, un cynique avec son chien demande la charité à une dame accompagnée de sa servante ; à côté on voit une charrette et un mulet. Les images montrent la proximité de toutes ces activités. Dans toutes les scènes, les portiques sont constamment visibles au fond et jouent le rôle d’un code générique pour indiquer la place publique. Il faut noter dans ce contexte que le peintre montre très souvent autour des groupes des personnages qui sont là pour observer ou écouter.
14D’après ce que disent les poètes, on a l’impression que le public des portiques du Champ de Mars était principalement composé de fainéants, d’acheteurs fortunés et de leur compagnie de parasites, du public des théâtres et de bouffons. Pour faire une comparaison, on pensera aux grandes galeries marchandes du xixe siècle avec leurs cafés et leurs restaurants, peuplées par un nouveau type de flâneur. C’est alors que la bourgeoisie commença à faire des « courses » une forme culturellement sublimée d’oisiveté14. Mais au contraire des portiques romains, les galeries du xixe siècle sont des espaces totalement sécularisés et dépolitisés, où le « Tiers État » allait en famille, comme à l’opéra.
15Les portiques des fora impériaux, du Champ de Mars et de Subure représentaient pour le promeneur dans la ville un ensemble cohérent, aussi et surtout du fait de leur décoration similaire. Vers l’extérieur des quartiers résidentiels parfois immédiatement voisins, les portiques étaient clos par des murs sans décor, comme plus tard les grandes mosquées. Le passant, qui sortait des bruits et des foules des rues étroites, y trouvait un autre monde. Des portails solennels marquaient l’entrée, comme on le voit entre les zones résidentielles populaires à l’arrière du forum d’Auguste et la place avec son temple de Mars et des portiques spacieux qui se situent à un niveau plus bas. Partout où l’on regardait, on voyait des ordres grecs avec des éléments richement décorés, et tout cela en marbre pur devenant progressivement plus multicolore et plus précieux. Je reviendrai plus tard sur cette question. On a de la peine à imaginer l’effet de cette décoration en marbres polychromes, vu que dans la plupart des cas seuls les murs en brique, spoliés, ont été conservés. Au Panthéon seulement on peut encore se faire une idée de l’ancienne splendeur (fig. 9).
16Animés d’un souci scientifique faussement compris, les archéologues et architectes contemporains s’interdisent de reconstituer des perspectives hypothétiques des espaces, parce qu’ils seraient obligés d’intégrer des éléments inconnus. La conséquence en est un affadissement regrettable de l’imagination. Heureusement, on commence à prendre conscience que l’on ne peut pas faire l’histoire sans avoir recours à l’imagination. En attendant que cette nouvelle tendance soit aussi reconnue par les archéologues, on peut recourir aux « envois » que les jeunes architectes français ont dessinés pendant qu’ils étaient pensionnaires à l’Académie à Rome (fig. 10)15.
17Les différents ensembles formaient chacun un espace individuel et fermé et ne permettaient pas une traversée par hasard. Parfois on trouve néanmoins un passage d’un ensemble de salles à l’autre, comme le montre la porte à trois arcs représentée sur la Forma Urbis qui permettait de passer de la Porticus Meleagri sur le coté est des Saepta au Serapeion du sanctuaire d’Isis (voir fig. 6)16. Chaque ensemble avait ses propres images et ses inscriptions qui racontaient l’histoire des donateurs respectifs, et chaque ensemble respirait une atmosphère particulière. On pouvait donc aussi concevoir la juxtaposition des complexes comme une juxtaposition de différents lieux de mémoire historique individuelle. On se promenait ainsi à la fois dans le présent et dans le passé. Cela signifiait une invitation à la comparaison, par exemple entre les anciens triomphateurs et les empereurs « d’aujourd’hui », et on verra aussi que l’aujourd’hui se révélait toujours être plus magnifique ou au moins plus grand que le passé. Il suffit de comparer les dimensions du forum de Trajan avec celles du forum d’Auguste ou d’un des portiques de la fin de la République.
18Suivant le modèle des triomphateurs, les empereurs firent placer partout dans les portiques et dans les temples attenants, à côté d’images à caractère politique, les plus célèbres des œuvres d’art grecques, des statues et des tableaux ainsi que d’autres objets de butin et des trophées17. Certains portiques étaient même nommés d’après les œuvres d’art qui y étaient conservées, comme par exemple les portiques d’Europe, des Argonautes, de Méléagre ou des Nations. Ces noms d’origine certainement populaire révèlent non seulement la perception consciente des œuvres d’art, au moins dans un premier temps, quand les constructions étaient neuves, mais aussi le fait qu’on les considérait comme des parties essentielles de la décoration de ces bâtiments. Le Templum Pacis érigé par Vespasien en offre un bon exemple. Son plan est conservé sur la Forma Urbis et une reconstitution simplifiée peut en donner une représentation axionométrique (fig. 11). Avec ses fontaines et ses plates-bandes, ce forum était un lieu de repos, comparable au portique de Pompée derrière son grand théâtre sur le Champ de Mars ou au portique de Livie dans la Subure densément peuplée. Comme dans ces modèles, Vespasien a utilisé les portiques avec leurs niches et exèdres comme salles d’exposition18. Même dans ce beau lieu pourtant, la présentation esthétique ne manquait pas de connotations politiques, parce que les œuvres d’art exposées provenaient d’une part de la Domus Aurea et de l’autre du butin ramené du Temple de Jérusalem. Ce grand nombre d’œuvres d’art donnait aux constructions une noblesse culturelle supplémentaire. Mais précisément, la comparaison avec notre conception actuelle du musée et de l’exposition montre encore plus clairement la fonction différente des statues et des images le long des promenades. Les œuvres d’art sont conçues au premier chef comme des ornamenta précieux qui conféraient dignité et splendeur aux salles et à la vie qui s’y déroulait, et devaient en même temps rappeler les donateurs et leurs exploits. À propos des ornamenta on pourrait évoquer la fonction des collections d’antiquités dans les châteaux de l’Europe des xviie et xviiie siècles : là aussi le plaisir esthétique était inextricablement lié à la représentation du prince et à l’aveu solennel de la tradition classique.
19En résumé, dans les promenades somptueuses, les empereurs mettent en scène la vie publique – de la politique à l’administration de la justice et à l’activité commerciale – et font de tout un objet de distraction pour les promeneurs. Les ordres des colonnes et les œuvres d’art rendent compte de la participation du peuple à la culture grecque. En même temps l’empereur offre aux Romains une part de ce qui jadis était réservé aux riches dans leurs villas. Les objets précieux apportés à Rome depuis toutes les régions de l’Empire et les magnifiques matériaux de construction provenant des régions les plus reculées proclament que Rome est devenue, grâce aux empereurs, le centre du monde et procurent aux citoyens l’impression et l’orgueil d’être les maîtres du monde. « Dans ce temple furent rassemblés et déposés tous les objets pour la contemplation desquels des hommes avaient antérieurement sillonné toute la terre habitée, désireux de les voir alors qu’ils étaient disséminés, celui-ci dans un pays, celui-là dans un autre » (Josèphe, Guerre juive, 7, 7, 160 – trad. P. Savinel). Cette phrase de Flavius Josèphe s’applique par analogie aussi aux autres portiques : les richesses du monde sont réunies à Rome.
Les thermes impériaux
20Parlons maintenant des thermes publics que les empereurs firent construire19. Comme on a pu le constater pour les fora, l’extension et le volume des thermes augmentent aussi de projet en projet de manière éclatante. Si les premiers thermes d’Agrippa, de Néron et de Titus étaient des constructions encore relativement modestes, Trajan, lui, créa avec son « paysage thermal », aménagé sur une partie du terrain de la Domus Aurea démolie, une dimension toute nouvelle et ce pas seulement par rapport à la surface bâtie (fig. 12). Les bains proprement dits, au centre d’un vaste espace, ne sont pas autre chose qu’une partie d’un ensemble plus grand. Tout autour il y avait un parc avec des jardins et des installations de sport, et le tout était fermé vers le quartier de Subure densément peuplé. Ce nouveau type de construction a connu un succès énorme. Caracalla et Dioclétien l’ont repris et chacun a surpassé son prédécesseur respectif, en volume et luxe de la décoration. Les thermes de Dioclétien couvraient à la fin une surface de 136 000 m2 et on dit qu’ils avaient une capacité de 3200 visiteurs simultanés20. Ces thermes étaient donc plus grands qu’une ville provinciale de taille moyenne comme, par exemple, la colonie de vétérans de Timgad en Afrique du Nord, dont la surface ne dépassait pas les 112 000 m2. Les thermes figurant sur le plan (II, p. 134) ne servaient d’ailleurs pas principalement à l’hygiène du corps. On se lavait plutôt dans les petits balnea dispersés partout en ville ou dans les bains privés. Un catalogue régionnaire de l’Empire tardif précise qu’il y avait 956 de ces balnea à Rome. Contrairement à ces établissements le plus souvent petits, les thermes impériaux étaient des centres de loisir où l’on pouvait rester des heures durant21.
21Le plan montre que les empereurs distribuèrent ces grandes constructions sur tout l’habitat de la ville (plan II). S’agissant des thermes de Trajan et de Dioclétien, nous savons qu’ils se trouvaient à côté ou même au milieu de quartiers résidentiels à forte densité démographique. S’y rencontraient des citoyens qui au sens large étaient voisins, mais provenaient de couches très différentes de la plebs. Les adeptes des bains s’y retrouvaient en communauté dans une forme très élémentaire, car ils étaient tous plus ou moins nus et s’occupaient de leur corps. Cela ne veut pas dire cependant que leur statut social n’était plus reconnaissable. Comme ailleurs en public, on se présentait aux bains avec ses serviteurs et ses clients – si on en avait. Aussi les magistrats et même l’empereur fréquentaient-ils occasionnellement et ostensiblement les bains pour montrer ainsi leur civilitas ! On a du mal à imaginer Hadrien dans le bruit et les vapeurs, en face de ce vétéran dénudé, qui se grattait le dos contre le mur de marbre et se plaignit à l’empereur de ce que sa retraite était si maigre qu’il ne pouvait se payer un esclave et était donc obligé de se gratter le dos lui-même (SHA Hadr., 17, 6)22.
22Les empereurs firent de la visite aux thermes une expérience communautaire et créèrent ainsi une nouvelle forme de vie publique. Dans les caldaria et dans les grandes salles, il y avait de multiples occasions de rencontrer les autres. D’une part la fréquentation était très bien organisée au plan de la logistique, surtout dans les « vestiaires » et dans les caldaria. Dans ces derniers, le visiteur n’avait d’autre choix que de suivre la disposition des pièces. Les grandes salles en revanche ainsi que les piscines, les cours et les jardins offraient d’amples espaces pour un mouvement libre et favorisaient ainsi le hasard incontrôlable des rencontres. Ce mélange de liberté de mouvement et de contrôle strict est un reflet exemplaire du principe même de l’organisation sociale à l’époque impériale.
23Les couloirs, cryptoportiques et salles de conférences, les déambulatoires et salles de repos, les exèdres de la taille de théâtres et les bibliothèques, qui se trouvaient dans les grands bâtiments autour des thermes, étaient sans rapport direct avec les bains à proprement parler. Ces espaces étaient réservés principalement à l’activité intellectuelle – pour autant qu’on puisse en juger en l’absence de sources littéraires. Avec ces espaces supplémentaires et à travers la décoration figurée, les empereurs placèrent consciemment la vie thermale dans la tradition du gymnase grec et présentèrent les thermes comme une institution de la paideia classique. Nous retrouvons donc ici une forme de sublimation culturelle comparable à celle des portiques du Champ de Mars et des fora impériaux, sauf que les immenses salles des bains et les parois au fond des piscines (natationes) qui s’offraient au regard du visiteur surpassaient tout ce qu’on avait pu voir auparavant en matière de décoration somptueuse. La splendeur des voûtes et le luxe des marbres éclipsaient même l’Aula Iovis de la Domus Flavia érigée par Domitien sur le Palatin.
24Les lignes directrices de la sublimation culturelle sont de nouveau les ordres de l’architecture grecque et les statues, qui sont placées en grand nombre dans les niches et les entrecolonnements des salles. Le plus souvent, il s’agit de copies et de variations de chefs-d’œuvre des époques classique et hellénistique. Ainsi le colossal Hercule Farnèse flanquait avec son pendant le frigidarium des thermes de Caracalla et dans une des palestres se trouvait la masse de marbre du Taureau Farnèse. Ces statues, redécouvertes au xvie siècle dans les thermes de Caracalla, emplissent encore aujourd’hui la plus grande des salles du Musée national de Naples, et elles ne représentent pourtant qu’une petite partie des décorations originales23. L’évocation des images et des valeurs de la culture classique dans ses différents aspects était, dans ces exemples aussi, une motivation principale des donateurs.
25Et pourtant les visiteurs des thermes voyaient la nudité des images classiques des dieux, des héros et des athlètes dans une perspective différente de celle des promeneurs dans les portiques. Dans ce contexte, on peut déduire des champs d’association très différents. D’un côté, les corps classiques dans leur perfection pouvaient servir de modèles de bonne santé et d’entraînement pour ceux qui étaient justement en train de s’occuper de leur propre corps nu. D’un autre côté, on a trouvé dans les thermes un nombre frappant de représentations de la déesse de l’Amour nue ou des Grâces et des Néréides, avec leurs compagnons concupiscents. Sans doute l’évocation d’associations érotiques représentait-elle une fonction essentielle des images dans les salles des thermes24. Malgré tout il ne s’agit pas ici non plus d’espaces totalement « sécularisés ». Les hommes de l’époque impériale étaient, comme nous aujourd’hui, très préoccupés par leur corps. Le fait qu’on trouve parmi les images à l’intérieur des thermes un grand nombre de statues des dieux médicaux, Esculape et Hygie, en charge de la santé, ainsi que des Nymphes, nous montre que les gens se sentaient proches de ces divinités. Même ici les statues des dieux conservaient leur caractère religieux.
Les constructions pour les jeux
26Nous en arrivons pour finir aux constructions pour les jeux et nous posons la même question : comment les empereurs ont-ils défini et organisé la distraction des masses grâce aux bâtiments (plan III, p. 138)25 ? Il faut noter tout d’abord que leur activité de bâtisseurs s’est limitée aux lieux de présentation des spectacles les plus populaires, c’est-à-dire au Circus Maximus où se déroulaient les courses de char, et au Colisée, lieu des combats de gladiateurs, des chasses aux bêtes sauvages ou des supplices des condamnés ad bestias. À cela s’ajoutent encore les Naumachies d’Auguste – dans l’actuel Trastevere –, le cirque de Caligula et de Néron dans la région du Vatican actuel ainsi que le grand stade avec odéon (Piazza Navona) que Domitien avait fait construire pour les concours d’athlétisme et pour les disciplines musicales, selon le modèle grec (mais qui ne furent jamais très populaires à Rome). Par ailleurs les trois grands théâtres « classiques » dont la Ville disposait déjà à l’époque d’Auguste (les théâtres de Pompée, de Marcellus et de Balbus) s’avérèrent suffisants pendant toute l’époque impériale. Apparemment l’intérêt du public pour les spectacles qu’on y représentait n’augmentait pas.
27À travers leur politique de construction dans ce domaine de la culture de masse, les empereurs poursuivaient donc avec insistance leur but qui était de donner une architecture appropriée et somptueuse aux lieux, où, justement, se déroulaient les jeux les plus populaires. Dans ce contexte, il faut rappeler que le Circus Maximus n’était à l’époque républicaine rien d’autre que des levées de terre et un champ de courses ; autrement dit il avait probablement un aspect assez similaire à son état actuel. À cette époque, les jeux de gladiateurs étaient organisés au Forum ou sur une autre place aménagée temporairement pour l’occasion. Ce n’est que plus tard que le Circus Maximus devait se transformer en une des constructions les plus magnifiques de la ville, et cela grâce aux agrandissements et enrichissements entrepris par différents empereurs (fig. 13)26. Un sesterce frappé après 103 apr. J.-C. – donc après l’extension en hauteur des gradins, sous Domitien et Trajan, nous donne une impression de ce bâtiment d’une longueur de 620 m (fig. 14)27.
28Il est intéressant de noter les détails soulignés dans l’image simplifiée. On voit d’abord la façade nord, avec ses hautes arcades et avec les fenêtres de l’attique à deux étages. On a choisi volontairement de prendre la vue du bâtiment tel que le voyait l’empereur depuis son palais du Palatin, pour bien mettre en évidence les nouveaux soubassements, très hauts, avec leurs entrées d’apparat donnant accès aux tribunes. En second lieu, l’attention est surtout attirée sur les monuments érigés par les empereurs. L’arc de Titus, sur le petit côté gauche, est représenté à la même échelle que les deux « tours », à côté des carceres (les barrières de départ de la piste), qui sont elles aussi couronnées par des quadriges comme les arcs de triomphe, ou l’obélisque érigé par Auguste sur la spina, qui est limitée par les deux colonnes sur la ligne d’arrivée. À l’arrière-plan, on a fait ressortir le temple du Soleil. Ainsi l’attention était-elle essentiellement portée sur trois éléments : la donation des bâtiments, la vénération des empereurs et le culte des dieux en relation avec les jeux.
29Le Colisée des Flaviens représente probablement la donation de bâtiment la plus coûteuse de toutes (fig. 15)28. Avec l’étude de ce bâtiment, je voudrais illustrer de manière exemplaire les deux buts principaux poursuivis par les donateurs impériaux d’édifices théâtraux, à savoir l’organisation des masses et leur participation symbolique à la politique. La logistique du système des escaliers et de la distribution des espaces qui permettaient à plus de 50 000 spectateurs d’entrer et de sortir de manière rapide et contrôlée, servait essentiellement à assigner les places en fonction du statut et du rang social29. On peut même dire que ce système raffiné et sans égal jusqu’à nos jours fut inventé expressément à cette fin. C’est surtout dans les amphithéâtres d’époque augustéenne, dans les villes de l’Italie du Nord, qu’on peut observer le perfectionnement de l’ordonnancement du public. Chaque spectateur avait sa place individuelle et permanente, fixée en fonction de son statut social, de sa profession et de son âge. Il savait donc parfaitement par quelle arcade numérotée il devait passer pour y parvenir. Il y avait à la rigueur un peu de désordre dans les gradins du haut, destinés aux femmes, aux esclaves et aux étrangers sans statut, pour lesquels relativement peu de places étaient réservées et qu’on pouvait reconnaître à leurs vêtements peu solennels (par exemple des manteaux sombres) (fig. 16). En revanche, les citoyens à qui était destiné le gros des places au-dessus des rangées des sénateurs et des chevaliers se détachaient encore plus des sordidi par leur tenue solennelle obligatoire, c’est-à-dire la toge blanche. L’amphithéâtre n’était pas un stade de football.
30Le peuple prenait conscience de son ordre corporatif et de son état constitué grâce à cette organisation stricte de l’attribution des places et à ces règles vestimentaires. L’empereur avait sa place privilégiée : tout le monde pouvait le voir dans sa loge, soulignée par l’architecture dans les trois lieux des jeux. La vision des foules, dans un Colisée comble, avec l’empereur au centre, était certainement grandiose. Les monnaies frappées à l’occasion de l’inauguration en 80 apr. J.-C. (fig. 17) donnent une idée de la sublimation esthétique des masses30. « Car à vrai dire un amphithéâtre pareil est bien fait pour que le spectacle que le peuple se donne à lui même lui en impose », dit Goethe à propos de l’arène de Vérone31. Un témoin oculaire, le berger Corydon dans la septième Églogue de Calpurnius, nous a décrit l’impression écrasante que donnait une arène bondée32.
31Les empereurs utilisaient les théâtres, l’amphithéâtre et le cirque à des fins politiques ; ils en ont fait le lieu de la politique. La présence du prince donnait l’occasion au peuple de manifester collectivement, en un chœur parlé, son enthousiasme mais aussi sa grogne. Plus encore : le peuple, par sa présence, prenait part à l’écrasement des ennemis publics (ou à l’humiliation des délateurs). Comme toujours en cas de supplice public, le but visé était la dissuasion. De manière certes trop concise, on pourrait dire que les empereurs ont voulu créer, à travers cette organisation des arènes, une « école morale33 ». Les munera privés sont devenus des actes officiels. Des contemporains dignes de foi, comme Pline le Jeune, observent de manière tout à fait naturelle que les combats de gladiateurs et les chasses ont un effet éducatif sur la jeunesse et l’incitent à la vaillance et au mépris de la mort, même si ce sont des esclaves et des criminels, qui se battent (Pline, Panégyrique, 33, 1).
32Encore une fois, ces « palais des jeux » mettent en évidence les lignes directrices de la sublimation culturelle. Les trois ordres architecturaux sont superposés de manière presque didactique sur la façade du Colisée. D’après le témoignage des monnaies, des statues des dieux et des héros étaient placées dans les arcades (fig. 17). Si l’on accepte la véracité de ces représentations, il faut imaginer que chaque arcade accueillait une statue. Les voûtes étaient décorées avec des centaines de scènes, mythologiques pour la plupart, et composées de petites figurines en stuc, dont on n’a de vestiges que grâce à des dessins de la Renaissance (fig. 18). Les mêmes observations s’appliquent aux théâtres : ici, les statues étaient distribuées sur plusieurs étages du front de scène. Même au cirque on n’oubliait jamais l’« emballage culturel » et la sublimation mythologique. Une mosaïque de la célèbre villa de Piazza Armerina atteste que des statues en bronze de dieux et d’athlètes couronnaient le sommet des murs, à la ligne de départ, et que des Hermès classiques avaient été érigés entre les carceres34.
33La valeur religieuse des statues des dieux et des images de mythologie restait probablement très forte sur les lieux des jeux, car les jeux n’ont jamais perdu à Rome leur lien avec les fêtes religieuses. Par exemple, à l’occasion des rituels d’ouverture, on promenait les images des dieux en procession. Au Cirque, on les déposait même dans le pulvinar, petit sanctuaire au milieu des rangées des tribunes. De là les dieux pouvaient donc assister aux courses de char. En face, le dieu du Soleil, protecteur des auriges, avait son propre temple aux dimensions considérables, dont nous avons signalé la représentation sur la monnaie de Trajan. Ce temple s’élevait également au milieu des tribunes. D’ailleurs on trouvait souvent dans les théâtres de petits sanctuaires intégrés au bâtiment35. La personne de l’empereur, qui était présent, et les images qui honoraient sa gloire se fondaient avec les images traditionnelles des dieux et des mythes pour former un ensemble.
34Je souligne ce contexte religieux parce que je suis convaincu qu’il faut – dans certaines limites – prendre au sérieux les topoi panégyriques des poètes d’époque néronienne et flavienne, et qu’on ne peut les dédaigner en les considérant comme adulation pure. Stace et Martial ont abondamment décrit les fêtes des empereurs au Colisée ou les charades mythologiques (dans lesquelles des délinquants devaient jouer le rôle de personnages mythiques, pour être en fin de compte exécutés). Ils déclarent avec le plus grand enthousiasme que, grâce à l’empereur, les mythes devenaient « réalité », et que pour eux, se trouver au théâtre en présence de l’empereur équivalait à une expérience de l’Olympe. On peut donc se dire que leurs contemporains avaient en tête des idées semblables36.
35Il est évident que l’argumentation s’écarte ici largement du sujet initial. Il faut donc se limiter à quelques observations. À l’occasion des grands jeux, le mécène impérial devient l’organisateur d’un univers théâtral quasi religieux, d’une sorte de cérémonie qui efface momentanément la frontière entre les fêtes de l’empereur et le monde mythique, comme il en sera plus tard pour le baroque et ses formes correspondantes de fêtes de cour. Les jeux sont intégrés dans un rituel politico-religieux dont la force de suggestion est telle qu’elle gagne parfois aussi bien le donateur que les donataires.
36Je voudrais m’interrompre ici pour dresser un bilan provisoire : les empereurs ont créé, avec leurs constructions, un système cohérent d’espaces et de rituels pour le peuple, pour donner à certaines sphères de ce que nous appelons « loisirs et distractions » d’une très grande partie de la population, une sublimation solennelle. Grâce à l’architecture et l’art, ils placent les espaces dans la tradition de la culture classique (grecque) et leur donnent ainsi une noblesse particulière. Contrairement à notre expérience d’aujourd’hui, loisirs et distractions sont définis dans ce système comme étant des éléments centraux de la vie publique et sont liés directement aux manifestations de la vie politique et de la religion. À cet égard – et il faut retenir ceci comme un résultat important – nos termes modernes de « loisirs » et « distractions » se révèlent douteux, ou même fallacieux, car nous les attribuons presque exclusivement à la sphère privée. Cela dit, il est néanmoins utile d’examiner la question de notre point de vue moderne, parce que c’est précisément une démarche de cet ordre qui peut nous donner une idée de la diversité de l’organisation de la « culture » à l’époque impériale37. Par « loisirs », on entend aujourd’hui le temps libre, c’est-à-dire le temps où l’on n’est pas obligé de travailler. Tout le système moderne de valeurs est structuré autour du travail. Dans l’Antiquité, le travail était certainement une obligation nécessaire et quotidienne pour beaucoup de gens, mais il ne représentait pas une valeur. Je reviendrai sur ce problème.
L’organisation des espaces publics. Les bases idéologiques du mécénat des empereurs
37Si nous prenons en compte la totalité de ces « constructions pour le peuple » financées par les empereurs, qui s’accumulent à l’époque de Constantin le Grand, nous comprenons à quel point elles étaient déterminantes pour l’image de la Ville (plan IV, p. 145). Leur importance structurelle n’apparaît cependant que si on les compare avec ce que les empereurs ont construit pour eux-mêmes ou encore avec ce que le Sénat et le peuple ont construit en leur honneur. L’examen du plan général permet deux considérations. D’une part, il montre les dimensions plutôt modestes – ou du moins peu excessives – de la domus impériale sur le Palatin, par rapport aux « constructions pour le peuple » (il est significatif qu’il n’existe pas, du moins dans la langue officielle, de terme équivalent à « résidence princière »)38. D’autre part, le plan fait ressortir la présence massive de constructions en l’honneur des empereurs à côté justement, ou même au milieu, des lieux destinés aux distractions du peuple sur le Champ de Mars. Les dimensions de ces bâtiments sont aussi variables que leurs destinations : il s’agit de vastes mausolées, de temples pour les empereurs divinisés et leur parenté, ou encore de colonnes, arcs et autels honorifiques.
38L’empereur romain jouait comme on le sait deux rôles : celui de magistrat, dans la tradition républicaine, et celui de maître du monde et futur dieu officiel de l’empire. Contrairement aux « Rois par la grâce de Dieu », il devait légitimer son autorité par ses exploits. Il appartenait au Sénat et au peuple de reconnaître ces exploits par des honneurs correspondants et, pour finir, par l’apothéose et les rituels qui y étaient liés39. Une telle conception du règne ne permettait pas à l’empereur de se présenter et de résider comme un roi. La structure des espaces publics reflète cette conception de manière frappante. Le Princeps se montre plutôt discret sur le plan de sa résidence et c’est dans les constructions pour le peuple qu’il exprime toute sa puissance.
39La structure urbaine particulière de la ville de Rome à l’époque impériale ne devient évidente que par comparaison avec des capitales princières d’autres époques et d’autres cultures. Qu’il s’agisse d’une ville de temples ou d’une résidence royale, au Proche-Orient ancien ou en Chine, ou d’une capitale baroque en Europe, comme Turin, Mannheim ou Karlsruhe, la résidence du prince domine toujours la ville et les citoyens, et peu importe qu’elle s’ouvre vers la ville (Karlsruhe) ou se ferme (Pékin)40. Si un urbaniste sans connaissances historiques devait interpréter le plan de Rome à l’époque impériale, il placerait les centres du pouvoir et du culte probablement aux thermes impériaux ou au Colisée plutôt qu’au Palatin.
40Pourquoi les empereurs dépensaient-ils ces sommes gigantesques pour le peuple ? À nouveau ce sont les origines républicaines de la monarchie qui sont ici déterminantes. La maintenance des bâtiments publics et l’organisation des jeux à l’occasion des fêtes en l’honneur des dieux incombaient, sous la République, aux magistrats annuels. Des généraux victorieux se devaient de transférer au trésor public une part du butin ou de la distribuer au peuple, sous forme de donations ou de fêtes. D’une certaine manière le peuple avait depuis longtemps droit à ces donations. À l’entrée du Colisée et du forum de Trajan, une inscription en lettres capitales indiquait que l’empereur avait payé ces constructions « avec une part du butin », ex manubiis : dans le premier cas, il s’agissait du trésor du Temple de Jérusalem41, dans l’autre de l’or légendaire des Daces. Les triomphes sur les ennemis riches étaient régulièrement suivis par un redoublement de l’activité de construction.
41Dès le règne d’Auguste, on assiste à une évolution des formes de la politique à partir des traditions républicaines42. Les empereurs étaient obligés de se comporter comme des magistrats élus et des généraux de la République, ce qui explique la modestie surprenante de leur présence dans l’espace public. Mais ils devaient tout de même démontrer leur puissance et leur importance en tant que monarque. Dans ces conditions, les « constructions pour le peuple » et les jeux deviennent, pour l’empereur, un moyen essentiel de montrer sa puissance. Ils représentent également l’étalon à l’aune duquel sera jugée la qualité de chaque empereur. Un empereur qui construit peu de bâtiments et lésine sur les jeux, comme Tibère, est très mal noté par Suétone et par les autres historiens. Après qu’Auguste s’était engagé dans cette voie, on voit s’établir un système spontané de donations et de remerciements, comme si les deux parties menaient une sorte de « dialogue » qui engageait les deux côtés dans une relation réciproque. L’empereur, conformément à son rôle, pratique la liberalitas qu’on attend de lui et fait des donations. Le Sénat et le peuple le remercient et lui attribuent des honneurs, l’apothéose et un culte. Comme ces remerciements prennent la forme d’arcs, de colonnes honorifiques, d’autels et de temples, ce « dialogue » est inscrit dans l’aspect même de la ville.
42Ce « donnant-donnant » représente un élément essentiel de la forme d’organisation politique du Principat. Lorsqu’Auguste instaura la monarchie, tout en conservant le système des magistratures de la cité républicaine, il lui fallut aussi conserver les privilèges traditionnels du peuple romain. En l’occurrence, l’empereur devint tout naturellement une sorte de patron de la plebs romaine. Comme tel, il se devait de prendre soin des Romains comme doit le faire un bon patronus envers sa familia. Le peuple, en revanche, devait se ranger derrière lui comme une vaste clientèle et faire siennes les causes de l’empereur. On peut affirmer non sans raison qu’il y a dans l’idéologie du Principat un fond d’éléments plébiscitaires. Dans ce contexte, il est important de noter que l’empereur, lorsqu’il fait ériger des constructions somptueuses ou organise des jeux, agit dans le cadre de ses « obligations » en tant que Princeps, comme dans le cas des donations en argent ou des distributions frumentaires. Un bon patronus se préoccupe toujours du bien-être et de la satisfaction de ses clients ; il préfère qu’ils soient heureux, il y va de son intérêt. Aujourd’hui on peut se demander pourquoi l’empereur n’a pas choisi de soutenir la plebs directement, par des programmes de création d’emplois ou de construction de logements sociaux (ce genre de mesures existaient déjà à l’époque, sous forme rudimentaire, mais n’ont jamais fait l’objet d’un véritable programme politique). Pour mieux comprendre ce comportement, il faut tenir compte d’un élément que nous avons déjà mentionné : ce n’est que dans la société industrielle de l’époque moderne que le « travail » est devenu une valeur morale. Dans la cité classique – dont les valeurs ont été universellement reconnues à Rome dès l’époque hellénistique –, le citoyen libre se distinguait des autres parce qu’il était maître de son temps et disposait du loisir (otium) qui lui permettait de jouir pleinement de la vie. En construisant pour son peuple des « espaces pour le loisir », l’empereur-patron fait enfin d’eux des citoyens à part entière. C’est probablement pour cette raison que les dépenses démesurées des empereurs pour les constructions et les jeux n’étaient jamais critiquées.
La concurrence entre les donateurs
43Dans son « dialogue » avec le peuple, l’empereur s’efforçait d’attirer l’attention des citoyens-flâneurs sur chaque nouvelle donation, dès le début des travaux. L’activité de construction devenait ainsi un sujet de conversation entre citoyens. De même, certaines constructions choisies étaient présentées sur les monnaies avant même leur achèvement (fig. 19). Le public discutait de l’acquisition et des prix des terrains où allaient s’élever les bâtiments et les difficultés techniques étaient explicitement évoquées, voire même particulièrement soulignées. Trajan, par exemple, avait fait niveler une partie du Quirinal pour obtenir un terrain où bâtir son forum. Le Sénat et le peuple « répondirent » à cet effort en faisant ériger une colonne honorifique (qui était évidemment prévue depuis bien longtemps par l’architecte), et l’inscription qu’ils firent graver précisait que la colonne indiquait la hauteur de la colline nivelée pour la construction du forum. Ce détail leur semblait plus important que la guerre contre les Daces : l’empereur peut tout, il peut même vaincre la nature43. Une fois les constructions achevées on fêtait les inaugurations solennelles qui, dans le cas du forum d’Auguste (Dion Cassius, 55, 10) ou du Colisée (Dion Cassius, 66, 25, 1-3) furent accompagnées de jeux qui durèrent plusieurs jours.
44En tant que bâtisseur, l’empereur se trouvait confronté à une compétition considérable. Un empereur n’était pas forcément obligé de construire des bâtiments, mais, quand il réalisait un projet, il était jugé en comparaison avec les réalisations de ses prédécesseurs44. Les fora, les portiques, les basiliques et les thermes, ainsi que les temples donnés par la maison impériale, devenaient ainsi de plus en plus grands et leur décoration et ornementation se faisaient toujours plus riches et somptueuses. Il est possible, à mon avis, de démontrer que ce « moteur » a considérablement influencé l’évolution du style artistique et du goût de l’époque impériale. L’importance du rôle de la concurrence dans l’esprit des promoteurs se révèle parfois dans les bâtiments eux-mêmes. Apollodore par exemple, l’architecte du forum de Trajan, reprend des éléments du forum d’Auguste, tant sur le plan architectural que sur celui de l’ornementation45. Son plan adopte le modèle des deux grandes exèdres qui s’ouvrent sur les portiques du forum au même endroit, mais l’architecte les dédouble en façonnant les petits côtés de la Basilica Ulpia également en exèdres (voir fig. 2). Ce plan représente une innovation audacieuse du point de vue de la typologie des bâtiments qui ne s’explique que par la volonté de surpasser les constructions précédentes. On peut même se demander si les formes souvent si stéréotypées de l’architecture d’époque impériale n’étaient pas le résultat de cette obsession de faire mieux que le prédécesseur. « La même chose, mais en plus grand, plus beau et plus somptueux » est apparemment le mot d’ordre. De toutes façons, on n’attendait pas des architectes et des artistes qu’ils introduisent des innovations dans le répertoire des formes. En raison de l’attachement aux ordres grecs (à cause de leur valeur symbolique), de telles innovations n’auraient pas été possibles, sinon en très petit nombre.
45En revanche, on investissait des sommes considérables dans les formes les plus somptueuses de décoration architecturale, par exemple pour les marbres importés de loin. La recherche effectuée au cours des vingt dernières années sur les carrières de marbre fournit un tableau impressionnant des efforts déployés par les empereurs pour se procurer les marbres colorés46. Sous Auguste et Tibère, les carrières produisant les marbres les plus précieux, situées en Afrique du Nord, en Égypte, en Asie Mineure et en Grèce furent décrétées possessions de l’empereur et furent placées sous les ordres d’une administration impériale centrale (il en alla de même pour les mines de métaux précieux utilisés pour la frappe des monnaies). Il est très probable que la création d’une ratio marmorum dirigée par des affranchis impériaux avait un rapport direct avec les grands projets de construction d’Auguste à Rome. Face à l’augmentation de la demande et la concurrence chaque jour plus forte, il fallut ouvrir de nouvelles carrières. Un cas exemplaire et impressionnant permet d’expliquer jusqu’à quel point l’exploitation des carrières était planifiée dans les moindres détails et quelle était l’importance du rôle de l’empereur et son influence47. Dans une carrière en Phrygie, on a trouvé la statue d’un Dace sculptée dans le marbre local à taches violettes dit pavonazetto. La statue a exactement la même taille que d’autres exemplaires trouvés à Rome lors des fouilles du forum de Trajan48. Cela signifie qu’on disposait, dans la Phrygie lointaine, d’un modèle envoyé de Rome, probablement un moulage. On peut faire la même constatation au moins pour les carrières de porphyre en Égypte ou les carrières de marbre dit Giallo-antico à Chemtou en Numidie. Ces dernières ont également fourni des statues de Daces pour le forum de Trajan, qu’on a retrouvées à Rome. Les Romains connaissaient très bien l’origine des différents types de marbre et ils étaient en mesure d’apprécier les difficultés de transport. Ils n’avaient besoin d’aucune explication pour comprendre que la profusion des couleurs était un signe de la toute-puissance de l’empereur.
Organiser les merveilles
46Le public pouvait donc voir de quelle manière les empereurs organisaient les merveilles, et cet effort d’organisation grandissait encore leur importance. Il en allait pareillement pour les jeux. À Rome, l’arène relevait de l’empereur, et quand un magistrat souhaitait en faire usage, il devait demander l’autorisation de l’empereur et était soumis à son contrôle. Dans ce domaine aussi, comme pour les constructions, l’empereur voulait toujours rivaliser avec ses prédécesseurs49. On raconte souvent, avec un effroi délicieux, qu’au fur et à mesure que les jours passaient, le nombre de gladiateurs ou de bêtes sauvages présentées et chassées dans l’arène ne cessait d’augmenter. Bien que les empereurs aient tenté à plusieurs reprises d’imposer des restrictions (en vérité ces restrictions s’appliquaient aux jeux réguliers organisés par les magistrats et non pas à leurs propres jeux extraordinaires !), on revenait toujours, en fin de compte, à une augmentation du nombre et des dépenses. Les bêtes sauvages donnent un exemple de cet automatisme du système qui nous semble si absurde aujourd’hui. Les efforts déployés pour fournir ces bêtes étaient aussi gigantesques que celui entreprit pour l’exploitation des carrières de marbre. On devait parfois même faire appel à l’armée pour capturer et transporter ces bêtes. Je résiste ici à la tentation de m’étendre sur cet aspect des activités mécénales des empereurs et je me bornerai à souligner que les inscriptions funéraires nous fournissent une foule de détails sur les esclaves et les affranchis impériaux employés aux différentes tâches, du garde-éléphants au responsable des coulisses, du médecin des gladiateurs au costumier en chef50.
47L’empereur vide sa corne d’abondance dans l’arène, et on attend de lui l’impossible ou le merveilleux ou le mythe présentifié. Contrairement aux architectes, les organisateurs des jeux et les directeurs des fêtes étaient donc tenus de faire preuve d’un maximum de créativité. Sous certains empereurs tout au moins, et lorsque les circonstances financières étaient favorables, leur imagination ne connaissait pas de bornes. Auguste fit creuser un lac artificiel au Trastevere pour y mettre en scène la bataille navale de Salamine, avec plusieurs milliers d’acteurs (Dion Cassius, 55, 10, 7). Néron envoya un corps expéditionnaire commandé par un chevalier romain dans la région de la Baltique, pour ramasser des quantités énormes d’ambre jaune qui furent utilisées par la suite pour décorer un amphithéâtre en bois, et cela pour un seul jour (Pline, N. H., 37, 45). Domitien traita somptueusement tout le public du Colisée pendant une fête célèbre à l’occasion des Saturnalia (Stace, Silv., 1, 6)51. Les idées les plus fantastiques se transformaient en réalité et le paradis était tout proche. Il fallait stimuler l’imagination des citoyens, leur permettre de s’échapper du quotidien, et cela en particulier lors des grandes fêtes impériales qui se tenaient par exemple à l’occasion des triomphes ou des inaugurations des grandes constructions. Comme les bâtiments eux-mêmes, ces fêtes étaient une démonstration de la grandeur des donateurs.
48Tout ce faste visait à rendre le peuple « heureux ». Un aureus daté de 202 apr. J.-C. et frappé en l’honneur du prince héritier Caracalla (fig. 20) montre le navire gigantesque qui avait été construit au Circus Maximus et de la coque duquel sautait chaque jour une centaine de bêtes sauvages : rien n’était impossible pour l’empereur. La légende de la monnaie donne la devise qui présidait à toutes ces merveilles si laborieuses et si coûteuses : laetitia temporum52. L’empereur fait le « bonheur » de son peuple. On peut se demander, à juste titre, quel était le rapport entre cette « félicité » et la vie quotidienne. Sur la base de nos critères et de nos habitudes actuels, cette vie quotidienne était certainement très dure et insatisfaisante à bien des égards, surtout pour les classes inférieures, comme on l’a souvent constaté. Mais nous ne sommes pas en mesure d’évaluer l’importance que les Romains attachaient à ces difficultés quotidiennes dans le cadre plus général de leur appréciation de la vie. Ce qui est certain, en revanche, c’est que les fêtes et les jeux ne représentaient pas pour eux quelque chose de rare et de marginal, ils étaient au contraire au centre de la vie des Romains (il en va de même pour les autres « espaces de loisir »). Fronton, le précepteur de Marc Aurèle, écrit à propos de l’empereur Trajan que celui-ci avait compris que le peuple romain restait uni grâce à deux institutions : les distributions frumentaires (annona) et les jeux (spectacula). La gloire d’un empereur dépendait autant des distractions que des affaires sérieuses. Négliger les affaires sérieuses était certes très dangereux, mais négliger les divertissements pour le peuple (ludicra) aurait suscité un mécontentement plus grand encore. Il ajoute une phrase – sans doute la plus remarquable dans notre contexte : les distributions frumentaires contentaient chaque bénéficiaire individuellement (singillatim… ac nominatim), mais les jeux réjouissaient le peuple tout entier (universum <populum>)53.
Conclusion
49L’organisation des divertissements offerts par les empereurs prévoyait la participation de la majeure partie des citoyens. Il y avait tout de même des limites, au bas de l’échelle. Au Colisée, relativement peu de places était réservé aux femmes, aux étrangers et aux esclaves, mais ces catégories n’étaient pas non plus exclues. Pline l’Ancien (N. H., 36, 102) affirme qu’à certaines occasions le Circus Maximus aurait accueilli rien moins que 250 000 spectateurs. Ce chiffre est contesté par la plupart des archéologues, mais il n’est pas tout à fait invraisemblable. Des sources tardo-antiques donnent des chiffres encore plus élevés54. Le nombre de places au Circus Maximus correspondait peut-être au nombre de citoyens ayant droit aux distributions des congiaria impériaux (voir n. 54). Les jours de grandes fêtes, les quartiers résidentiels étaient en tout cas à tel point déserts qu’il fallait envoyer des patrouilles dans les rues (Suétone, Aug., 43). Les publics variaient beaucoup en fonction des différents types et lieux de spectacle. Le public du théâtre était nettement moins nombreux que le public du Colisée, voire du Circus Maximus, même si on considère l’ensemble des spectateurs de tous les théâtres jouant simultanément, car les divertissements proposés par les théâtres n’étaient pas assez spectaculaires pour les masses, malgré les allusions particulièrement osées des pantomimes. Les portiques et les places étaient également destinés à la distraction de tous les citoyens, et les grands thermes impériaux pouvaient accueillir au total entre 15 000 et 20 000 visiteurs par jour – en supposant qu’ils aient tous été ouverts au public simultanément. Il est essentiel de noter à ce propos que tous les ordres de citoyens, y compris les sénateurs et l’empereur, se réunissaient dans les « constructions pour le peuple ». La conception des fêtes et des spectacles organisés par les empereurs diffère à cet égard de la conception des fêtes au Moyen Âge et à l’époque baroque, pendant lesquelles – à l’exception des processions religieuses – l’aristocratie et le peuple se divertissaient séparément et le peuple n’était que spectateur des fêtes de l’aristocratie et vice versa. À Rome, en revanche, les fêtes de cour n’existaient pas.
50Il faudrait ici procéder à une comparaison plus approfondie des fêtes dans les différentes cultures. Je n’ai ni le temps ni les compétences nécessaires pour me livrer à un tel exercice. On peut néanmoins souligner une particularité très significative de la culture des fêtes et des divertissements organisées par les empereurs : elle réside justement dans les constructions pour le peuple. Dans la République finissante, des jeux populaires étaient organisés sur les places, comme on le fera plus tard au Moyen Âge et au début de l’époque moderne. Ces places étaient tout au plus aménagées avec des tribunes provisoires en bois (comme on le voit aujourd’hui encore lors du Palio à Sienne). Sous l’Empire, en revanche, les jeux se déroulaient dans des constructions permanentes et spécifiques, qui dominaient la ville et dont l’aspect massif à lui seul exprimait la stabilité et sa permanence de façon répétée. Les empereurs, toutefois, ne limitaient pas leur activité de mécènes-bâtisseurs aux constructions pour les jeux : ils créaient un cadre tout aussi solennel pour les rituels quotidiens du loisir individuel des citoyens. Une telle structure, loin de souligner la différence entre la vie quotidienne et les jours de fêtes, contribuait à la gommer, là encore contrairement à ce qui s’est passé plus récemment en Europe. Même quand les citoyens flânaient ou se rendaient aux bains, ils évoluaient toujours, grâce aux bâtiments, dans un cadre solennel. Dans ces « constructions pour le peuple » érigées par les empereurs, la vie quotidienne elle-même devenait une fête.
51La décoration luxueuse des espaces prouvait que les empereurs disposaient de ressources illimitées ; elle confirmait leur puissance et donnait au citoyen la fierté de participer à cette gloire et le sentiment de dominer un empire universel. Mais ce n’est là qu’un aspect. Grâce à leur décoration, ces constructions renvoient, comme nous l’avons déjà noté, au patrimoine commun de la culture classique de manière presque pédagogique. Cela correspond à un véritable culte de la civilisation, qui était le propre de larges couches sociales à l’époque impériale et qui influençait aussi considérablement la vie privée55. Il est difficile de déterminer dans quelle mesure de telles références étaient perçues par le public. Même si, en jugeant ces images sur la base de nos expériences post-modernes, on les considère comme de simples ornements neutres et nostalgiques et non comme des symboles lourds de signification, ils n’en démontrent pas moins les efforts des empereurs, leur volonté d’intégrer les divertissements populaires et les distractions des masses dans une certaine tradition et de faire en sorte que les espaces diffusent une aura de culture classique.
52Je ne résiste pas à la tentation d’évoquer à ce propos les centres de loisirs modernes (Holiday Villages, Center Parcs, etc.) qui semblent sortir de terre un peu partout dans le monde. Dans ce registre, les grands parcs de loisirs construits autour d’immenses piscines ressemblent à première vue aux thermes des empereurs. Dans les deux cas il s’agit d’un ensemble d’installations conçues pour les loisirs du peuple et dans les deux cas l’ampleur suggestive des espaces joue un rôle essentiel. Comme les amphithéâtres, les thermes et les portiques, les paradis du week-end offrent eux aussi au public ses activités de loisir préférées – se baigner, faire du sport, jouer, faire des achats ou manger à volonté –, mais dans une ambiance hermétiquement fermée au monde extérieur et dans une atmosphère qui évoque à la fois les souvenirs et les beaux rêves. Les décorateurs des parcs de loisirs contemporains ne se réfèrent plus au monde de la culture classique, ils proposent un soleil éternel, la vie romantique des mers du sud et tous les plaisirs du voyage. « Bienvenu dans les Center Parcs ! Découvrez un sentiment tout neuf de liberté et de loisirs : la vraie nature, le confort, le sport, le plaisir, la détente » (texte d’un dépliant de la filiale allemande de l’entreprise hollandaise Center Parcs).
53Les espaces dans lesquels elles jouissent de leur « loisir » reflètent les valeurs de ces deux types de société. Dans les deux cas, les espaces définissent un monde qui n’a rien à voir avec la vie quotidienne. Le visiteur qui achète un billet pour ces paradis des vacances veut « s’abandonner », comme le lui suggèrent les dépliants ; il ne veut plus penser à son travail et à ses problèmes domestiques. Nous ne savons pas si les Romains considéraient les constructions pour le peuple comme une sorte de compensation aux conditions de vie et de logement misérables dans lesquelles vivait la plupart d’entre eux. Cette notion de compensation me semble très fallacieuse parce qu’elle est inspirée par des conceptions modernes. J’imagine plutôt que les contemporains des empereurs considéraient les constructions pour le peuple comme des lieux où ils pouvaient se réaliser en tant que personnes et vivre une expérience extraordinaire – laetitia temporum. La réalité de ces lieux était si forte qu’elle effaçait et éclipsait la misère du quotidien et ses désagréments.
54Je ne propose absolument pas ici d’imiter les empereurs et de s’inspirer de la « culture des loisirs et des divertissements » d’antan. Mais il demeure évident que leur conception et leur organisation permettaient d’atteindre certains objectifs que notre société s’efforce aussi de promouvoir : une aventure et un sentiment communautaires ainsi que la participation et l’intégration politiques et sociales. Les parcs de loisirs sont au contraire situés au bord des autoroutes, à la campagne – là où le terrain n’est pas cher et où la question du parking ne se pose donc pas. Dans ces parcs les gens profitent certes de leurs loisirs, et regardent les autres en faire autant, mais chacun reste isolé dans son petit groupe ou même seul, à moins que l’animateur (qui est compris dans le prix) n’intervienne. Le monde virtuel des médias électroniques tend plutôt augmenter le désir de contact physique et de communauté procurés par les divertissements de masse. Quand ce désir est satisfait, comme dans un stade de football ou sous les tentes de la fête de la bière à Munich, le bonheur du public est évident, mais ce ne sont que des occasions ponctuelles, qui réunissent des masses passives, et on ne peut vraiment pas dire que ces espaces tentent de promouvoir des valeurs collectives.
55Les « espaces de loisirs » construits par les empereurs se situaient eux au cœur de la ville. Il ne s’agissait pas de structures supplémentaires, facultatives, dont on peut à la rigueur se passer quand les temps sont difficiles (c’est là notre vision des institutions culturelles). Ils représentaient des éléments essentiels pour la société, qui permettaient aux individus de se manifester et de se réaliser, comparables à ce que pour nous sont les voyages ou les achats. Il s’agissait d’espaces politiques, où le citoyen voyait son modèle idéal de vie devenir réalité, même si ce n’était que provisoirement. Évidemment la laetitia temporum était bien plus qu’un simple slogan. Un grand nombre d’images, dans les maisons et sur toutes sortes d’objets usuels de la vie privée, prouvent à quel point les jeux inspiraient l’imagination et dominaient les conversations à cette époque. Les sources littéraires conduisent à des observations similaires à propos de ceux qui utilisaient les thermes et flânaient dans les promenades de la ville56. De même que l’empereur à Rome construisait et organisait les jeux pour le peuple, les élites se voulaient les émules du prince dans toutes les grandes villes de l’empire. On trouve même, derrière le mur d’Hadrien, des amphithéâtres et des thermes importants. Ces installations étaient les signes caractéristiques de la civilisation urbaine et montraient de manière pratique et symbolique la qualité de la vie sous sous l’imperium Romanum, qualité qui suscitait l’admiration même chez les Barbares.
Notes de bas de page
1 Ce texte est la traduction d’une conférence prononcée lors des journées d’études organisées par la Gerda Henkel Stiftung à Düsseldorf en novembre 1995. Il a été publié en 1997 par la Gemeinsame Komission der Nordrhein-Westfälischen Akademie der Wissenschaften und der Gerda Henkel Stiftung. Le thème général du colloque rassemblait une série de conférences consacrées au « mécénat dans l’histoire ». Ce cadre explique certaines argumentations (et détails) du texte, traduit sans modifications essentielles, ainsi que sa disposition à la comparaison avec d’autres époques dans l’intérêt d’un public de non-spécialistes. Pour cette raison, la bibliographie indiquée dans les notes ne donne que quelques indications fragmentaires sur la question.
2 B. Eschenburg, Spätromantik und Realismus (Bayer. Staatsgemäldesamml. Neue Pinakothek München), Munich, 1984, p. 219-221. Sur la Glyptothèque voir K. Vierneisl & G. Lenz (éd.), Glyptothek, Munich, 1830-1980 (catalogue d’exposition, Munich, 1980).
3 P. Veyne, Le pain et le cirque. Sociologie historique d’un pluralisme politique, Paris, 1967.
4 H. Kloft, Liberalitas Principis. Herkunft und Bedeutung. Studien zur Prinzipatsideologie, Cologne-Vienne, 1970 ; id., « Freigebigkeit und Finanzen. Der soziale und finanzielle Aspekt der augusteischen Liberalitas », G. Binder (éd.), Saeculum Augustum, vol. I, Darmstadt, 1987, p. 361-388 ; C. E.Manning, « Liberalitas. The Decline and Rehabilitation of a Virtue », Greece and Rome, 32, 1, 1985, p. 73-83 ; D. E. Strong, « The Administration of Public Building in Rome during the Late Republic and Early Empire », Bulletin Institute of Classical Studies, 15, 1968, p. 97.
5 Pour un résumé de l’activité de construction des empereurs et les rares détails que nous connaissons sur son organisation, voir le tableau très utile donné par F. Kolb, Rom. Die Geschichte der Stadt in der Antike, Munich, 1995.
6 D. Kienast, Augustus, Darmstadt, 1982, p. 336 sqq. ; M. Horster, Bauinschriften römischer Kaiser : Untersuchungen zur Bautätigkeit in den Städten des westlichen Imperium Romanum während des Prinzipats, Diss. Cologne, 1965. J’ai pu consulter ce recueil important de sources grâce aux bons offices de Werner Eck.
7 On trouve les références à la littérature sur chaque monument chez M. Steinby (éd.), Lexicon Topo - graphicum Urbis Romae, vol. I sqq., Rome, 1993 sqq. ; L. Richardson, A New Topographical Dictionary of Ancient Rome, Baltimore, 1992 ; E. Nash, Bildlexikon zur Topographie des Antiken Rom, vol. I-II, Tübingen, 1961-1962.
8 P. Gros, Architecture et Société à Rome, Bruxelles, 1978 ; F. Coarelli, « Public Building in Rome between the Second Punic War and Sulla », Papers of the British School at Rome, 45, 1977, p. 1-23.
9 Un résumé sur les fora impériaux avec bibliographie dans E. La Rocca, I Fori Imperiali, Rome, 1995.
10 Voir le Palatin sur la mosaïque de Sant’Apollinare Nuovo : F.W. Deichmann, Frühchristliche Bauten und Mosaiken von Ravenna, Wiesbaden, 1958, fig. 107.
11 Sur les constructions du Champ de Mars, voir F. Coarelli, Il Campo Marzio, Rome, 1997
12 Martial, Epigrammes, t. I, éd. H. J. Izaac, Paris3, 1969, p. 60.
13 Pompei. Pitture e Mosaici, vol. III, Rome, 1993, p. 248 sqq. Avec des photographies qui montrent l’état actuel des fresques, encadrées individuellement au Musée national de Naples. Pour l’interprétation voir O. Jahn, Abh. Sächs. Akad., V, 1870, p. 268-318 ; S. C. Nappo, « Fregio dipinto dal “praedium” di Giulia Felice con rappresentazione del foro di Pompei », Rivista di Studi Pompeiani, 3, 1989, p. 79-110. À consulter aussi les gravures dans Le pitture antiche di Ercolano e contorni, vol. III, Naples, 1762, pl. 41-44.
14 Sur les galeries marchandes du xixe siècle, I. F. Geist, Passagen. Ein Bautypus des 19. Jahrhunderts, Munich, 1969.
15 Roma Antiqua. Envois des architectes français (1788-1924). Forum, Colisée, Palatin (exposition Rome-Paris, 1985-1986) ; Roma Antiqua. « Envois » degli architetti francesi (1786-1901). Grandi edifici pubblici (exposition Rome, 1992).
16 G. Carettoni et al., La Pianta marmorea di Roma antica, Rome, 1955, texte p. 98.
17 Sur la décoration des portiques, voir M. Pape, Griechische Kunstwerke aus Kriegsbeute und ihre öffentliche Aufstellung in Rom, Diss. Hamburg, 1975.
18 R. A. Stucky, « Rückgriffe in der Kunst der mittleren Kaiserzeit », Hefte des Archäologischen Seminars der Universität Bern, 11, 1986, p. 27-41.
19 Sur les thermes voir I. Nielsen, Thermae et balnea. The Architecture and Cultural History of Roman Public Bath, 2 vol., Aarhus, 1990 ; F. Yegül, Bath and Bathing in Classical Antiquity, New York, 1992, p. 128 sqq. ; H. Meusel, Die Verwaltung und Finanzierung der öffentlichen Bäder zur römischen Kaiserzeit, Bonn, 1960.
20 Kolb, op. cit. (n. 5) p. 568-576 ; Meusel, op. cit.
21 Sur les balnea, Steinby, op. cit. (n. 7), vol. I, p. 157 sqq.
22 E.W. Merten, Bäder und Badegepflogenheiten in der Darstellung der Historia Augusta, Bonn, 1983.
23 H. Manderscheid, Die Skulpturenausstattung der kaiserzeitlichen Thermenanlagen, Berlin, 1981 ; M.Marvin, « Freestanding Sculptures from the Bath of Caracalla », American Journal of Archaeology, 87, 1983, p. 347 sqq. ; C. Gasparri, « Sculture provenienti dalle Terme di Caracalla e di Diocleziano », Rivista dell’Ist. Naz. d’Archeologia, 1983-1984, p. 133-150.
24 R. Neudecker, Gnomon, 57, 1985, p. 171 sqq.
25 Pour les aspects matériels, voir la présentation encore sans pareil de L. Friedländer, Darstellungen aus der Sittengeschichte Roms, 10e éd., Leipzig, 1922, vol. II, p. 1-162 ; J.-M. André, Griechische Feste, römische Spiele. Die Freizeitkultur der Antike, Stuttgart, 1994, p. 203 sqq. ; Kolb, op. cit. (n. 5), p. 587 sqq. Pour un résumé voir K.-W.Weeber, Panem et Circenses. Massenunterkaltung als Politik im antiken Rom, Mayence, 1994.
26 Steinby, op. cit. (n. 7), vol. I, p. 272 sqq. ; J. H. Humphrey, Roman Circuses, Oxford, 1986, p. 56 sqq.
27 J. P. C. Kent, B. Overbeck & A. U. Stylow, Die römische Münze, München, 1973, 110, n° 259R, pl. 68 ; RIC, 571. Pour l’activité de construction de Trajan au Circus Maximus voir Humphrey, op. cit. (n. 26), p. 102 sqq.
28 Steinby, op. cit. (n. 7), vol. I, p. 272 sqq. Sur les amphithéâtres comme type de bâtiments, J.-C. Golvin, L’Amphithéâtre romain, vol. I-II, Paris, 1988 ; sur les jeux organisés dans les amphithéâtres, Friedländer, op. cit. (n. 25), vol. II, p. 50-75 ; G. Ville, La Gladiature en Occident des origines à la mort de Domitien, Rome, 1981.
29 Kolb, op. cit. (n. 5), p. 593 (avec bibliographie
30 Kent et al., op. cit. (n. 27) p. 107, n° 239R, pl. 62.
31 J.W. von Goethe, Voyage en Italie, trad. M. Mutterer, Genève-Paris, 1990, p. 39.
32 R. Verdière (éd.), T. Calpurnii siculi De laude Pisonis et Bucolica, Paris, 1954.
33 Voir E. Flaig, « Entscheidung und Konsens », M. Jehne (éd.), Demokratie in Rom ? Die Rolle des Volkes in der Politik der römischen Republik, Stuttgart, 1995, p. 100-127 ; A. Cameron, Circus Factions, Oxford, 1976, p. 157 sqq.
34 Humphrey, op. cit. (n. 26), p. 145 sq.
35 J. A. Hanson, Roman Theatre Temples, Princeton, 1959.
36 K. Coleman, « Fatal Charades », Journal of Roman Studies, 80, 1990, p. 44 -73.
37 À cet égard les ouvrages spécialisés ne se montrent pas assez critiques. Voir par exemple le livre de J.-M. André cité n. 25.
38 H. P. Isler, « Die Residenz der römischen Kaiser auf dem Palatin », Antike Welt, 9, 2, 1978, p. 3-16.
39 Sur l’apothéose, voir S. Price, « From Noble Generals to Divine Cult : the Consecration of Roman Emperors », D. Cannadine (éd.), Rituals of royalty, Cambridge, 1987, p. 56-105.
40 Pour des exemples voir W. Braunfels, Abendländische Stadtbankunst. Herrschaftsform und Baugestalt, Cologne, 1977, ou L. Benevolo, Storia della città, Rome-Bari, 1975.
41 Comme l’a montré brillamment, par la reconstitution d’une inscription G. Alföldy, Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik, 109, 1995, p. 195-226.
42 Sur ces questions voir surtout P. Veyne, Le Pain et le cirque. Sociologie historique d’un pluralisme politique, Paris, 1976.
43 Pour l’interprétation de l’inscription de la colonne de Trajan, voir la bibliographie chez Steinby, op. cit. (n. 6), p. 356 sqq (S. Maffei) ; S. Settis, Colonna Traiana, Turin, 1988, p. 50 sqq.
44 Sur l’organisation et l’administration impériales, voir O. Hirschfeld, Die kaiserlichen Verwaltungs - beamten bis auf Diocletian, Berlin, 1905, p. 265 ; O. F. Robinson, Ancient Rome. City planning and administration, Londres, 1992.
45 Sur Apollodore, voir récemment D. Scagliarini Corlàita, Ocnus. Quaderni della Scuala di Specializzazione in Archeologia, I, 1993, p. 185-193 (avec bibliographie).
46 J. Clayton Fant, « The Roman Emperors in the Marble Business : Capitalists, Middle-Men or Philantropists ? », N. Herz & M.Waelkens (éd.), Classical Marble : Geochemistry, Technology, Trade, Dortrecht/Boston/Londres, 1988, p. 147-158.
47 Voir récemment P. Pensabene, Le vie del marmo. I blocchi di cava di Roma e di Ostia : Il fenomeno del marmo nella Roma Antica (Itinerari VII, Sopr. Arch. Ostia), Rome, 1994, p. 311-328.
48 M. Waelkens, American Journal of Archaeology, 89, 1985, p. 641-653 ; R. M. Schneider, Burte Bartaren, Worms, 1986.
49 Un résumé historique chez Friedländer, op. cit. (n. 25), II, p. 77-92 ; Kolb, op. cit. (n. 5), p. 587-606.
50 Epigrafia anfiteatrale dell’Occidente Romano, vol. I : Roma, P. Sabbatini Tumulesi (éd.), Rome, 1988 ; G. Jennison, Animals for Show and Pleasure in Ancient Rome, Manchester, 1937.
51 Voir H. Cancik, Untersuchungen zur lyrischen Kunst des P. P. Statius, Hildesheim, 1965, p. 100-198.
52 Kent, op. cit. (n. 27), p. 128, n° 390, pl. 94.
53 Fronton, Princ. Hist., 20 (A 259), éd. Van den Hout (Teubner). Loeb Classical Library : Fronto, vol. II, p. 216 sq. (éd. Haines).
54 La plupart des chercheurs doutent du chiffre de Pline. Humphrey (op. cit., n. 26) estime que les 150 000 places indiquées par Denys d’Halicarnasse pour l’époque d’Auguste s’accorderaient mieux avec les restes matériels. D’autre part le chiffre de Pline correspondrait approximativement au nombre des citoyens mâles ayant droit aux distributions frumentaires ou financières. Avec F. Coarelli je préfère cette dernière solution, d’autant plus que les catalogues régionnaires tardo-antiques donnent des chiffres encore plus élevés (385 000 et 485 000 loca). On ne peut pas trancher actuellement, parce que nous ne connaissons pas de détails sur les constructions en bois supplémentaires sur les pentes du Palatin et nous ne savons pas non plus à quel point les spectateurs étaient serrés sur les rangées.
55 Sur ce point voir mon livre Die Maske des Sokrates, Munich, 1995, p. 190 sqq.
56 Voir A. Scheidhauer, Das Echo der kaiserlichen Baupolitik, Mémoire d’habilitation, Heidelberg.
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