Conclusion
p. 261-268
Texte intégral
1Les « carrières migratoires » des demandeurs d’asile kurdes constituent le point de départ de cette enquête. Leurs parcours de vie ont mis en lumière des croisements lors de trajectoires individuelles et collectives entre des temps (définis par les États d’accueil, par les Kurdes), des espaces (auditions au CGRA, préfectures, lieux de contestation, entretiens dans des lieux divers avec la chercheuse) et des identifications (immigré turc, demandeur d’asile, débouté, réfugié, naturalisé, Kurde). Leurs face-à-face avec les administrations ont révélé des pratiques et des normes institutionnelles qui catégorisent juridiquement une réalité migratoire pourtant mouvante. Ce qui a rendu possible le repérage des croisements, des relations, des connexions et également des démarcations et des divisions diachroniques et synchroniques des migrations kurdes en France et en Belgique. Une approche croisée et le corpus de sources utilisé ont permis ces perspectives d’analyse prenant en compte les migrations des Kurdes de Turquie en tant qu’objet d’étude à part entière et non plus seulement comme étant une composante rattachée aux migrations turques en Europe. Car la spécificité de l’immigration kurde réside dans sa double appartenance entre « un espace kurde élargi » et une immigration provenant d’un pays donné, ici, la Turquie. De sorte que, « chaque immigré kurde fait en réalité partie de deux immigrations1 ». Mais cette « spécificité kurde » n’est pas reconnue par les États d’accueil. Ainsi, rendre visible les Kurdes a été une tâche ardue car il n’existe pas de nationalité kurde et les schémas d’identification et d’appartenance révèlent un rapport conflictuel avec le pays d’origine.
2Pour reprendre Alain Tarrius, l’espace-temps des migrations kurdes a dévoilé une rupture temporelle entre les travailleurs et les demandeurs d’asile, en lien avec les contextes politique et socio-économique en Turquie et les politiques migratoires en France et en Belgique. Les parcours des travailleurs kurdes n’ont pas été le point de départ de notre étude à cause d’une non prise en compte de leur origine ethnique par les administrations. Les Kurdes sont arrivés en France et en Belgique dès la décennie 1960 grâce aux accords de main-d’œuvre signés avec la Turquie. Ils sont entrés en même temps que les Turcs et en tant qu’étrangers de nationalité turque. Conformément à cette identification, ils ont été embauchés comme « travailleurs turcs » dans les mines, les charbonneries, les métallurgies, les scieries, etc. Cette invisibilité résulte du contexte de production des sources et de la catégorisation opérée par les administrations. L’ethnie n’est pas perçue comme une catégorie signifiante et révèle la « pensée d’État » ou l’« esprit d’État » lors des migrations de travail. Ainsi, l’entrée des travailleurs kurdes suit trois dimensions celle du temps (délimité par les accords de main-d’œuvre), de l’espace (défini par le contrat de travail avec l’entreprise) et de l’identification (la nationalité est la seule « identité » retenue pour entrer en France ou en Belgique). Or, leur installation s’avère – pour certains – non provisoire à l’instar des travailleurs turcs, portugais, italiens, algériens, marocains, et offre une autre échelle d’analyse, à savoir celle de l’« espace-temps des déménagements caractéristiques d’un cycle de vie individuel et familial, conquête groupale des territoires de référence2 ». De sorte que les dimensions qui caractérisaient leur émigration-immigration s’étirent avec un nouveau statut (citoyens français ou belge), par la construction d’espaces de rencontres, l’établissement de lieux d’ancrage grâce aux regroupements familiaux et aux liens de solidarité développés avec les demandeurs d’asile kurdes.
3Ainsi, nous avons réussi à « capter » une infime partie des Kurdes de Turquie exilés et nés en Belgique et en France. Pour l’Ouest, notre connaissance s’est appuyée sur les dossiers d’hommes (241) et de femmes (101) qui s’échelonnent entre 1 et 33 ans. Sur les 342 Kurdes recensés, 101 ont été naturalisés (67 hommes et 34 femmes) et sont devenus des Français·e·s et parmi lesquels il y a 21 réfugiés (17 hommes et 4 femmes). Quant à la Belgique, nous avons rencontré des Kurdes (16 hommes et 7 femmes) à plusieurs reprises suivant des temps plus ou moins longs et des lieux variés. Rencontré en tant que demandeur d’asile, Azad a obtenu le statut de réfugié au début de cet été 2020 et compte faire venir sa famille. Eylül attend la décision du CGRA et Dilo a formulé un recours au CCE. Ainsi, dans nos sources, nous trouvons des demandes d’asile de Kurdes à partir de 1977 et elles se poursuivent aujourd’hui.
4Les Kurdes peuvent être considérés comme de véritables « circulants » en raison de leurs mobilités en Turquie, qu’elles soient le fruit de circulations militantes et/ou de déplacements forcés. Dans ces deux aspects, les Kurdes ont dû quitter leur foyer, leur village de naissance à cause de sa destruction, ils ont fui le système des korucu, le service militaire obligatoire et ont trouvé refuge – dans leur grande majorité – dans les villes de l’Ouest. Les Kurdes sont ainsi partis massivement des villes d’Istanbul et d’Izmir mobilisant des transports variés (camions TIR, voitures, bateaux, trains, avions) et des routes diverses (aériennes, terrestres et maritimes) qui constituent le « champ migratoire turc ». Ils ont emprunté de nouvelles routes (Espagne, Ukraine, Pologne) en raison des évolutions géopolitiques – conflits dans les Balkans, construction de l’espace Schengen – entre les pays de départ et d’installation. Malgré ces réorientations, les circulations migratoires kurdes mobilisent des réseaux familiaux, politiques et ethniques construits à partir d’Izmir et de la ville d’Istanbul que nous considérons – à l’instar de Jean-François Pérouse et Mustafa Aslan – comme le comptoir, le hub, le sas et l’impasse pour les Kurdes. La chaîne migratoire kurde est en contact avec la mafya turque et les réseaux de passeurs kurdes, albanais et italiens. Elle s’étend sur des villes d’appui telles que Rome, Milan et Paris et delà les Kurdes peuvent rejoindre la Belgique et l’Ouest de la France.
5Les demandeurs d’asile kurdes se sont regroupés à proximité de leurs familles ou des centres culturels kurdes et ont été accueillis par des Kurdes originaires du même village ou de la même province de naissance, recomposant ainsi un tissu villageois. Ces filières régionales peuvent être à la fois qualifiée d’ethnique et également confessionnelles. Elles se multiplient grâce aux réseaux amicaux, politiques et se renforcent également par les regroupements familiaux initiaux (les venues des épouses et des enfants) et secondaires (mariages de la seconde génération). Ces filières se renforcent progressivement avec les demandeurs d’asile puisque les Kurdes s’inscrivent dans plusieurs temporalités migratoires.
6Ces regroupements ont permis de visibiliser des quartiers investis par les Kurdes et les Turcs, de retracer les parcours et d’aborder le processus décisionnel de ces circulations (par exemple, les Mardinlı à Liège et les Tuncelı à Cholet). Grâce aux sources et aux terrains, nous avons montré aux échelles locale et régionale les investissements économiques des Kurdes. Ils ont su mobiliser des ressources et des réseaux sociaux, parmi les Turcs et les Kurdes, dans des secteurs d’activités comme la restauration-rapide et la distribution alimentaire à Liège ou les scieries et entreprises de maçonnerie dans l’Ouest de la France.
7Mais, sur un temps long, les échelles nationale et transnationale distinguent des mouvements, des connexions ou des divisions. Nous pensons que la consultation de sources écrites dans les archives départementales des autres régions françaises enrichirait et visibiliserait les circulations kurdes en France et vers les pays frontaliers. Parallèlement, la Belgique est un carrefour entre la France, les Pays-Bas, l’Allemagne et le Luxembourg. Le territoire belge est socialement, économiquement, politiquement et linguistiquement divisé entre le Nord, le Centre et le Sud. Ces différentes barrières peuvent influencer les circulations des Kurdes en Belgique (pour l’asile, pour trouver un emploi) et les liens de cohabitation entre les Kurdes et les populations habitant les mêmes quartiers.
8En outre, notre enquête sociologique a suivi les Kurdes installés en Belgique. Ils utilisent de nouveaux espaces d’installation et des réseaux pour faire venir leurs familles. Les circulations migratoires dans les Balkans – et notamment en Serbie – sont considérées de plus en plus dangereuses et des Kurdes envisagent, pour leur famille en Turquie, un parcours via l’Afrique du Nord pour rejoindre l’Espagne et ensuite la Belgique. Il serait intéressant de saisir dans quelles mesures ces nouvelles routes modifient l’espace et les circulations migratoires des Kurdes entre les pays d’origine et d’arrivée.
9Les appropriations des territoires ont également été évoquées à travers l’utilisation de l’espace public par les Kurdes. Ces derniers ont investi des lieux privés (églises) pour mener leurs grèves de la faim, ils ont organisé et participé à des manifestations politiques et des fêtes annuelles (Newroz, Cem). Les grèves de la faim ont montré l’action de Kurdes déboutés en quête de visibilité pour obtenir collectivement le statut de réfugié. En prenant en compte le paradigme « espace-temps-identification », le temps des grèves a été défini par l’État d’accueil (pouvoir décisionnaire) et le lieu a été choisi par les Kurdes en contournant les espaces dominés et contrôlés par l’État. Ils ont été identifiés par leurs parcours administratifs et leur demande collective a été traitée individuellement (titres de séjour, déboutements définitifs). Quant aux autres événements que nous avons vécus en même temps que les acteurs, ils s’avèrent être des rassemblements fragmentés où la pratique de l’alévisme s’hybride en situation d’exil et où les conflits intrakurdes et turco-kurdes sont alimentés par les organisations politiques. Les mobilisations des Kurdes se concentrent sur la question kurde (détention du leader du PKK, prisonniers politiques, Afrîn) et ont interpellé positivement et négativement l’opinion publique. Les réactions des citoyens mobilisés et non mobilisés pour la cause kurde (parallèlement à la médiatisation de l’engagement et du militantisme féminins des combattantes kurdes) sont un autre pan d’analyse sociologique.
10Les différentes utilisations des espaces d’installation exposent un espace immigré kurde qui est « un espace conflictuel dans le sens juridique et politique du terme3 ». Sur ce point, plusieurs études se sont intéressées au « nationalisme de longue-distance » des Kurdes en Europe (réseaux, soutiens, membres). À notre échelle, nous avons noté que pour les sympathisants du PKK, l’appartenance à la kurdicité est fortement reliée à la sphère politique et à la pratique de l’individu dans la défense du peuple kurde. L’engagement pour la cause kurde est un critère de validation externe à la kurdicité. Ce constat du terrain trouve ses racines dans les persécutions de nature collective (école, service militaire, profession, korucu, tortures, arrestations) que subissent les Kurdes et qui ne sont pas éloignées de leur identité personnelle. Ces événements singuliers ont produit une mémoire collective qui est un vecteur de mobilisations et une ressource identitaire. Cette mémoire collective propre au groupe ethnique doit être transmise en tant qu’héritage et ce, même en situation d’exil.
11Mais, au regard des distensions politiques, religieuses, géographiques, linguistiques inhérentes au peuple kurde et des politiques d’intégration et/ou d’assimilation de leurs pays d’installation, la transmission de cet héritage dépend de la proportion de Kurdes (ayant la même origine géographique) dans certaines régions. Cette dimension spatiale influe sur une possible mise en visibilité d’un passé commun et également sur la création d’associations et de centres culturels kurdes. Grâce aux « entrepreneurs de mémoire », qui certes peuvent choisir ce qu’ils souhaitent rendre visible, l’histoire des migrations kurdes est partagée et véhiculée via des supports audiovisuels comme le documentaire sur le village de Kantarma et des supports écrits avec le livre sur les villageois de Karapınar.
12Dans le cadre de la procédure d’asile, les Kurdes ont tenté de répondre à une attente des institutions. Ils ont été identifiés par leurs prénom, nom, date et lieu de naissance. Ils existent socialement et à partir d’un espace donné. Pourtant, ces premières données de l’identité ne correspondent pas à leur conscience et à leur appartenance à la kurdicité. Ils ont ainsi dû prouver, par tous les moyens, que leur vécu relève de l’article 1er A2 de la Convention de Genève et du Protocole de New York. Tant par leurs témoignages que dans leurs écrits, les Kurdes ont dû se souvenir et cela ne s’est pas fait sans difficulté. Ces hommes et ces femmes – aux profils sociologiques multiples (sympathisants du PKK, députés, fils ou filles d’agriculteurs, journalistes) – ont dû convoquer leur mémoire afin de se doter d’une histoire faisant preuve quitte à faire taire certains épisodes ou à recomposer et à fabriquer une histoire (dialectique entre « qui suis-je ? » et « que dois-je être ? »). Les informations sélectionnées et les récurrences écrites et verbales montrent des repères (arrestations lors du Newroz et du 1er mai, protecteurs de village, éducation à la turque, littérature marxiste, ascension socioprofessionnelle empêchée), des lacunes (arrestations arbitraires difficilement datées, tortures non détaillées) et des choix (falsification de documents, création d’une histoire) posant la question de la dimension circulatoire des pratiques de l’écrit. En effet, dans les lettres de demandeurs d’asile, certains termes utilisés (fascisme, occupation, résistance, maquis) rappellent à la société d’accueil son passé. Un amalgame est produit et permet une rhétorique sur la liberté et la résistance des Kurdes afin de tenir à distance les qualificatifs de « terroristes » et « séparatistes » et les présentant en tant que « victimes ».
13Cette pratique de l’écrit et les nombreux récits de vie ont progressivement dévoilé une ambivalence entre les normes institutionnelles et la mise en place de ces normes. À savoir, une remise en cause (ou plutôt une non prise en compte) des récits de vie de Kurdes qui ne prouvent pas suffisamment qu’ils ont subi personnellement des persécutions. Or, les cinq motifs de persécution de l’article 1er A2 de la Convention de Genève présentent tous une dimension collective dans le cadre de violences institutionnelles et politiques. Dès lors, la définition juridique du statut de réfugié entretient un flou et les agents des États d’accueil interprètent et se représentent différemment les notions de persécution (avec la dimension de l’actualité) et de groupe social (la famille). Sur cet aspect, il serait éclairant d’analyser sociologiquement les fonctionnaires des préfectures, des communes et les agents de protection des institutions de l’asile en Belgique et en France. Cet axe de réflexion permettrait d’interroger, d’une part, les opinions, les croyances et les actions de ces hommes et de ces femmes décisionnaires du sort des demandeurs d’asile et, d’autre part, d’étudier le degré de connaissance (et les stéréotypes) de ces agents sur les Kurdes de Turquie.
14Dans le labyrinthe de l’asile, nous avons constaté – comme l’explique Smaïn Laacher – que les requérants ne sont pas convoqués et évoqués en tant que personnes situées socialement ; « la totalité de [leur] identité est contenue dans [leur] statut de demandeur d’asile4 ». Les demandes d’asile et du statut de réfugié sont considérées comme un acte d’hommes et les raisons des persécutions sont fortement reliées au politique. Ces statuts engendrent ainsi, comme l’affirme Isabelle Desrue, une « relation antinomique » avec les femmes. Ces dernières se heurtent à cette conception masculine du réfugié et leurs demandes d’asile sont – quand elles sont mariées – systématiquement traitées en fonction des demandes de leurs conjoints. Qu’elles soient négatives ou positives, les réponses ne sont pas prononcées à la suite de l’interprétation du récit de vie d’une Kurde ou d’une militante kurde mais de l’interprétation du récit de vie du conjoint de cette femme. Elles sont ainsi soumises à une double logique d’assujettissement ; d’une part, en tant que demandeuses d’asile elles sont imbriquées dans une « étatisation des relations de pouvoir5 » ; et, d’autre part, elles sont discriminées en raison de leur genre et des représentations autour du statut de réfugié.
15Les conséquences d’un tel discours se sont également manifestées lors des mariages mixtes. Les femmes françaises et belges doivent être protégées par l’État face aux déboutés et demandeurs d’asile kurdes. Elles sont potentiellement trompées par ces étrangers qui recherchent seulement, selon la « pensée d’État », à rester régulièrement sur le territoire (obtention d’une carte de séjour permanent ou d’une carte de résident). Là encore, les récits de rencontre et les sentiments des Kurdes sont soumis à l’interprétation des agents qui ont leur propre définition du « mariage » et de l’« amour ». Ils sont identifiés comme de potentiels menteurs car ce sont des étrangers non régularisés et non pas parce que ce sont des Kurdes. Dans cette procédure, ce sont des « non-nationaux » qui cherchent à devenir des « nationaux » par le mariage, les origines ethniques et nationalités ne sont pas des identifications probantes pour les États.
16L’influence du genre a également été démontrée dans le cadre des demandes de naturalisation des femmes kurdes et de leur capacité à apprendre la langue française. Là encore les dimensions « temps-espace-identification » montrent les représentations opérées par l’État d’accueil. Ces femmes sont perçues comme étant « confinées » dans l’espace du foyer et ne peuvent pas en sortir. En outre, l’acquisition des nationalités française et belge accorde une importance capitale à un parcours exemplaire et notamment à une assimilation linguistique. Mais à l’instar de l’asile, les critères d’éligibilité sont soumis aux représentations des agents et à une absence de définition claire de ce qu’est être Français·e ou Belge. Une ambiguïté existe entre « devenez comme nous » mais « vous ne serez jamais comme nous » tant d’un point de vue linguistique, professionnel et des rapports sociaux (comportements, hiérarchie sociale dans les familles, subversions vis-à-vis des normes). Et l’acquisition de cette nouvelle nationalité n’efface en rien un projet de retour au Kurdistan.
17En Turquie et dans les labyrinthes administratifs des États d’accueil, les Kurdes ont démontré leur puissance d’agir ou agentivité (agency) et cela ouvre un champ des possibles. Cette aventure dans le champ des possibles invite notamment à réfléchir à l’imputation causale et à la relativité de son poids dans la construction historique. Mais se tourner vers l’agentivité procède d’une autre tentation, celle de repérer les capacités d’action et donc d’analyser les rapports sociaux et leurs représentations afin d’enrichir une sociohistoire des migrations kurdes (en termes d’avancement, de contournement et de recul). Et donc, de rendre compte – grâce à l’espace-temps – de l’agency du militant kurde en Turquie devenu demandeur d’asile, du pouvoir d’agir des femmes kurdes qui échappent à une situation de violence par l’exil, des espaces d’action et de l’intentionnalité des acteurs.
18Car, les « carrières migratoires » des Kurdes sont le produit de résistances et de mobilisations tant en Turquie qu’en France et en Belgique. Ces États disposent de moyens matériels et symboliques (contrôles et régulations sociales) pour s’assurer de la conformité, de l’homogénéité et de l’assimilation de leurs citoyens. Et, donc, ces pays définissent également un champ des possibles (entre ouverture/opportunité et fermeture/exclusion) aux Kurdes en Turquie et aux demandeurs d’asile kurdes en France et en Belgique. En Turquie, les violences individuelle, familiale et collective subies par les Kurdes se mettent en place dès la naissance. Non reconnus dans leur pays, les Kurdes se sont exilés et ont été confrontés à une violence symbolique exercée par les États d’accueil. Ces derniers accordent ou non la parole puis la reprennent. Les temps d’expression sont normés entre assignation à la parole, à l’écriture et également au silence. Cette violence symbolique est individuelle, familiale et collective et elle favorise et, en même temps, empêche l’expression d’une kurdicité. Les référents identitaires utilisés par les Kurdes en prenant en compte les différentes dimensions (espace-temps-identification) sont hétérogènes. Être Kurde n’est pas une évidence et relève de la volonté de chaque individu – en fonction des contextes et des interlocuteurs – de se distinguer ou non et de la manière dont ils sont identifiés ou plutôt catégorisés. En somme, la kurdicité est effacée ou dite, écrite et vécue par les Kurdes et parallèlement, elle est évaluée, nuancée et (in)visibilisée par les administrations.
19L’invisibilité des Kurdes subie en Turquie se prolonge dans les États d’accueil entre invisibilité choisie et subie et visibilité revendiquée. Les parcours des Kurdes en Turquie, en France et en Belgique sont une quête de visibilité et de reconnaissance. La visibilité de leurs « carrières migratoires » dépend de l’accessibilité aux archives (facilitée le circuit des dérogations, description des fonds), d’un abandon des échantillonnages qui font perdre une part importante des dossiers d’étrangers toutes nationalités confondues et d’une non-anonymisation de ces dossiers par les administrations. Il appartient également aux chercheurs·es d’entrer en contact avec les associations, les Kurdes et donc de partager un temps présent au sein duquel la parole est donnée et non pas assignée.
Notes de bas de page
1 Bozarslan Hamit, « Le groupe kurde », art. cité, p. 26.
2 Tarrius Alain, Les nouveaux cosmopolitismes…, op. cit., p. 39-42.
3 Bozarslan Hamit, « Le groupe kurde », art. cité, p. 27.
4 Laacher Smaïn, Croire à l’incroyable…, op. cit., p. 43.
5 Noiriel Gérard, État, nation et immigration…, op. cit., p. 287.
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