Chapitre VI. La Libération et la consolidation de l’alliance (juin 1944-mai 1945)
p. 331-382
Texte intégral
« Les communistes, voyez-vous, ne sont pas dangereux. Tout au plus des roseaux peints en fer. On ne fait pas de révolution sans révolutionnaires. Et il n’y a qu’un révolutionnaire en France : c’est moi. »
Charles de Gaulle, 30 octobre 19441.
1La réussite du débarquement fait à nouveau de la France un champ de bataille majeur du second conflit mondial. Si pour les alliés l’enjeu stratégique est d’entamer au plus tôt à partir de la Normandie une percée décisive en direction de l’Allemagne, pour les Français, c’est le processus de la Libération qui pour l’heure domine les préoccupations. Trois dimensions s’entremêlent, d’abord militaire, ensuite politique, mais également sociale, dominée par le problème alimentaire qui ne peut qu’être aggravé par les combats, mais aussi par les grèves qui sont l’une des composantes de l’insurrection nationale. Sur ces trois terrains les communistes jouent un rôle important, mais sans qu’ils apparaissent toutefois comme la grande force qui polarise la situation française, tant au cours de l’été que dans les mois qui précèdent la fin de la guerre. Excepté une minorité anticommuniste radicale, c’est bien cette perception du communisme qui domine jusqu’au printemps 1945 chez les alliés et les dirigeants français civils et militaires, ainsi que dans l’opinion publique, mais également dans la direction du PCF et au Kremlin. Si les communistes ont acquis une influence considérable, voire une position hégémonique dans quelques régions, ils doivent compter avec les autres forces résistantes, mais surtout ils apparaissent sur la scène française comme un acteur certes majeur, mais cependant en retrait comparé aux acteurs de premiers plans que sont les armées anglo-saxonnes, les institutions de l’État français, certes affaiblies mais toujours debout, à commencer par l’armée. En outre, la poussée communiste, si elle est perçue comme un problème pour le présent et plus encore pour l’avenir, est considérée comme bien secondaire comparée à l’enjeu central de la guerre qui se poursuit, à l’impératif de la reconstruction à accomplir et à la gestion des pénuries désastreuses qui frappent la majorité de la population. En conséquence, l’alliance entre gaullisme et communisme qui se poursuit, non sans tensions ou heurts, est l’une des principales caractéristiques de l’équilibre politique qui est en train de s’instaurer dans les derniers mois de la guerre. Cette tendance de fond se vérifie particulièrement à propos de l’armée et de l’intégration des FFI.
2Sur le plan international, la Libération et l’affirmation assez rapide de l’autorité du gouvernement provisoire sur le territoire national donnent à de Gaulle l’opportunité de se rapprocher davantage de l’URSS et d’aboutir à la signature d’un traité en décembre. Mais pour le Kremlin, il ne s’agit que d’une péripétie contingente dans un contexte de fin de guerre qui voit se profiler l’émergence d’un monde bipolaire dont la réalité a déjà été actée par la direction soviétique, réduisant la France à une position mineure. En conséquence, l’évolution diplomatique n’a pas d’impact sur les relations militaires franco-soviétiques qui restent marqué par le statu quo et la précarité de la présence des forces armées françaises en Russie.
L’alliance avec les communistes à l’épreuve du feu
3L’hétérogénéité des forces résistantes, les grandes difficultés de centralisation du commandement, l’extrême diversité des conditions de la bataille contre les Allemands et du rôle attribué aux FFI dans les différentes régions font des réalités locales et de l’influence des personnalités des facteurs de compréhension incontournables de la période de la Libération au cours de l’été 19442. Dans les mois qui suivent, le poids de ces facteurs particuliers s’atténue, car les lignes de forces d’échelle nationale s’affirment au fur et à mesure que l’autorité de l’État se renforce, que la vie politique renaît et que l’armée tend à recouvrer le plein monopole du champ militaire. Le communisme français subit ce contexte d’éclatement plus qu’il n’en profite compte tenu de la rupture presque complète de liaisons déjà précaires et de grandes difficultés à centraliser la décision sur les plans politique et militaire.
Les combats de la Libération et l’insurrection nationale
4Dans la continuité des mois précédents, la logique de l’insurrection nationale reste au centre des divergences stratégiques de la Libération. Si les consignes données par le haut commandement allié à la veille du débarquement contribuent à relancer les polémiques, d’autres facteurs jouent également dans ce sens. D’abord, l’ampleur de l’action de la Résistance à partir du 6 juin s’accompagne d’un afflux massif de volontaires vers les maquis. Le 13 juin, le BCRAL admet « le passage presque partout à la guérilla et souvent à la guerre ouverte3 » et trois jours plus tard Pascal Copeau, dirigeant de Libération-Sud, écrit à Emmanuel d’Astier que « l’insurrection nationale n’est pas un vain mot […] Un peu partout, elle s’est effectivement produite, elle se produit ». Les Anglo-Saxons sont surpris par l’impact militaire de ces actions souvent improvisées et ils vont en conséquence intensifier dans les semaines suivantes leur aide aux FFI et renforcer sensiblement l’encadrement et les liaisons avec les maquis. À l’EM FFI, Koenig est à la fois enthousiasmé par ce mouvement de fond patriotique et inquiet de la vigueur d’une dynamique qui risque de devenir incontrôlable et conduire à des désastres dans les régions où les Allemands restent en position de force. Dès le 10 juin, l’EM FFI donne l’ordre d’un coup d’arrêt :
« Freiner au maximum activités de guérilla. Impossible actuellement vous ravitailler en armes et munitions en quantités suffisantes. Rompez partout contact dans mesure du possible pour permettre phase réorganisation. Évitez gros rassemblements. Constituez petits groupes isolés. »
5Non seulement cet ordre est inapplicable, mais il est mal interprété et le COMAC le perçoit alors comme une résurgence de « l’attentisme ». La tension qui en découle, et qui s’accroît au cours du mois de juillet, renforce le sentiment de légitimité du CNR et du COMAC comme direction de la lutte de libération nationale en métropole, accroissant par là même leur volonté d’autonomie.
6Toutefois, les réalités de la situation militaire à la suite du débarquement tendent à accentuer la réduction des divergences au sujet de l’insurrection nationale qui s’étaient déjà amorcée avant le 6 juin. En effet, si du côté de l’état-major interallié et de l’EM FFI les capacités militaires de la Résistance sont sensiblement réévaluées dès les débuts de la bataille de Normandie, du côté communiste, les perspectives apparaissent rapidement moins favorables que prévues. Si dès le 9 juin, la direction du PCF estime que le débarquement n’est pas une opération de diversion, que le deuxième front vient d’être ouvert et que le processus d’insurrection nationale est enclenché4, trois jours plus tard elle admet, à l’encontre de la stratégie qu’elle avait prévue, un mouvement général de repli des FFI, FTP compris, depuis les villes vers les maquis5 et elle constate, malgré le manque d’informations sur la situation dans le pays, que le débarquement n’a pas créé le même « choc psychologique » dans la population que celui de novembre 1942, ce qui revient à admettre que la mobilisation populaire reste limitée6. Dans les semaines qui suivent, la seule documentation disponible provient de la direction de la zone sud : non seulement, elle constate que « la réaction des masses n’a pas été aussi forte que prévu », mais que le PCF a été « quelque peu dérouté par la tournure des événements7 ». Ainsi, dans la région de Montpellier, « le flottement dans le Parti » a atteint un tel degré que des responsables ont coupé les liaisons, d’autres se sont cachés, tandis que certains fuyaient à la « campagne8 ». Réaliste, la direction communiste estime à la fin juin que l’insurrection nationale ne doit pas être considérée comme un mouvement d’envergure nationale, mais qu’elle doit être décidée localement selon les conditions réelles et le rapport des forces9. Mi-juillet, le constat est à nouveau fait que le PCF reste insuffisamment mobilisé pour développer l’action des masses10. Ainsi, le volontarisme communiste se plie alors aux impératifs de la situation militaire et des capacités d’action de la Résistance.
7Avec l’effondrement du front allemand de Normandie et le débarquement de Provence, l’EM FFI multiplie dans les trois premières semaines d’août les consignes de « soulèvement national », échelonnées de région en région, retransmises par les radios de Londres et d’Alger et relayées par de Gaulle qui, le 7 août, proclame : « Français, debout et au combat ! » Jean-Louis Crémieux-Brilhac a ainsi résumé cette mobilisation du mois d’août :
« En dépit de la confusion, des initiatives contradictoires, des divergences de vues, des rivalités et des drames de la période, la mémoire nationale, polarisée sur les succès de la Résistance, mais indifférente aux polémiques d’un autre siècle, garde, semble-t-il, de l’été de 1944 l’image d’une insurrection nationale à la fois voulue et réussie11. »
8Si « le soulèvement national » a suivi un cours pour une part chaotique et si l’effort d’unité patriotique s’est combiné aux rivalités de commandement et de contrôle politique, la réussite relative de l’action des FFI a résulté, entre autres facteurs, des relations étroites entre militaires et forces résistantes. Ces relations n’ont d’ailleurs pas eu des implications sur le seul terrain opérationnel, mais aussi, secondairement, sur le plan politique, principalement parce que la multiplication des missions interalliées envoyées pour appuyer les maquis « ont inscrit les maquisards dans une logique de mobilisation militaire » qui visait à « transformer les maquisards en soldats », contribuant ainsi à leur démobilisation politique au bénéfice de de Gaulle12. Reliées par radios aux centres de commandement de Londres et Alger, ils ont favorisé l’acceptation des directives de l’EM FFI par les maquis. À l’inverse, le rôle des officiers d’active ayant intégré les FFI est moins facile à cerner et joue différemment. S’ils agissent également dans le sens d’une mobilisation militaire des FFI, leur attitude vis-à-vis du commandement est loin d’être homogène entre ceux qui appartiennent à l’ORA et les autres, qui, soit, veulent relever exclusivement de l’EM FFI, soit s’en méfient par antigaullisme ou bien voient dans le COMAC l’organe de commandement légitime des FFI. Il semble probable que l’influence de ces officiers sur les maquis s’est accrue au cours des batailles de la Libération en raison de compétences qui leur confèrent prestige et ascendant sur des hommes le plus souvent très jeunes et sans aucune expérience militaire. Ce rôle est également accru par le nombre croissant d’officiers qui rejoignent les maquis. L’étude du cas de la Bourgogne fournit une indication précise de ce mouvement tardif mais significatif : avant le débarquement, les officiers ou sous-officiers représentent 2 % de l’effectif des maquis ; entre juillet et septembre, cette proportion atteint les 8 %, gendarmes compris13. Leur intégration est d’ailleurs assez problématique, car ces officiers à l’engagement tardif « se méfient des maquisards qu’ils jugent non disciplinés et ils attendent d’agir avec l’armée régulière. »
9L’effort de centralisation, d’unification et de militarisation des FFI s’effectue, en principe, sous l’autorité de l’EM FFI auquel le SHAEF a transféré le 17 juin le commandement de l’ensemble des services spéciaux alliés opérant en France. Mais en réalité, l’autorité de Koenig est limitée puisque, pour l’essentiel, il doit faire appliquer des plans établis depuis longtemps14 et que la section F du SOE continue de mener des opérations à l’insu des services français. Ainsi, le général Cochet, délégué militaire pour les opérations sud (DMOS), est court-circuité par les missions interalliées. Le renforcement des prérogatives de l’EM FFI s’explique probablement davantage par le crédit que le SHAEF accorde à la capacité d’action de la Résistance qu’aux compétences reconnues à l’EM FFI. Le témoignage de Michael Foot tend en effet à montrer que les Anglo-Saxons le tiennent en piètre estime15. Il est vrai que l’EM FFI affronte des difficultés insurmontables, la plus grave étant l’attitude de nombreux chefs de maquis qui se comportent en « féodaux » peu enclins à appliquer les ordres donnés par un centre de commandement lointain16. Cette tendance à jouer son propre jeu dans la bataille décisive se vérifie également au-delà du seul cadre local. Ainsi, le 23 juin, l’EM FFI rappelle à l’ordre le général Revers qui prétend que « l’ORA est la seule organisation chargée des opérations militaire et que les FFI seraient chargées de l’action politique17 ». En particulier, l’EM FFI rappelle à Revers, qui vient de nommer cinq chefs régionaux de l’ORA pour commander les Alpes, le Jura, les Pyrénées, le Morvan et le Massif Central, que le commandement régional ne peut être désigné que par Koenig sur proposition du délégué national et, le 5 juillet, le BCRA transmet à l’ORA la directive impérative de s’intégrer aux FFI.
10De leur côté, les communistes jouent le jeu de la fusion, mais sur un mode complexe et ambivalent. D’une part, des chefs FTP se montrent réticents à fusionner et, le 26 juin, la direction du PCF rapporte qu’en zone nord des mesures ont dû être prises pour que les FTP soient représentés dans tous les EM régionaux et qu’en zone sud, ils restent encore sans liaison avec les FFI18. D’autre part, si la direction communiste insiste sur l’impératif d’éviter l’isolement, elle rappelle que les FTP doivent conserver leurs structures propres19 et qu’il n’est pas question de les fusionner localement avec l’AS ou les corps-francs20. Dans les semaines qui suivent, la direction communiste, évoluant entre ces deux écueils, encourage la formation des états-majors FFI dans les régions et les départements en conseillant de faire preuve de souplesse et en rappelant que les FTP ne doivent pas recruter par « débauchage » dans l’AS et les corps francs21. Cette politique de construction des FFI suscite d’ailleurs des remous et des tensions au sein du PCF et des FTP. Les documents disponibles n’en fournissent pas le détail, mais ils montrent qu’ils résultent de heurts entre des chefs locaux ou régionaux des FTP et des communistes en position de commandement dans les MUR, l’AS ou les corps francs22.
11Dans l’ensemble, fin juillet-début août, l’unité d’action a été réalisée à travers le pays et le fonctionnement de la chaîne de commandement a été amélioré. Le cas de Toulouse montre, d’une part, l’importance du facteur humain dans la réussite de la fusion, et, d’autre part, la forte aspiration à l’unité, y compris au sein de l’ORA, même si son commandement n’abandonne pas le projet de fournir le gros des cadres et des états-majors FFI23. Serge Ravanel, commandant régional des FFI, rapporte que le 4 juin 1944, le colonel Pfister et le général Revers sont présents à une réunion au cours de laquelle Pommiès déclare que son corps-franc opérera dans des zones délimitées sans coordination avec les autres organisations. Après la réunion et en tête-à-tête, Pfister tient à Serge Ravanel des propos conciliants : « Pommiès est un homme de fort tempérament et à l’esprit autonome. Nous espérons que vous parviendrez à l’intégrer dans les FFI. Nous vous aiderons24. » Les discussions vont se poursuivre entre le commandement régional FFI et les responsables de l’ORA et un accord est finalement signé entre Pfister et Ravanel. Cet accord prévoit une coopération étroite entre les unités de l’ORA et les autres organisations, les forces de Pommiès obtenant le statut particulier de « corps-franc des FFI ». Malgré cette concession, Pommiès dénonce l’accord et démissionne de ses responsabilités au sein de l’ORA. Mais sa coopération avec les FFI est inévitable et il s’établit assez vite une « réciprocité » entre lui et Ravanel25.
12Les cadres militaires, français ou anglo-saxons, engagés aux côtés des FFI ont dans l’ensemble joué un rôle essentiel dans ce mouvement vers l’unification. On ne peut cependant généraliser. Ainsi en Provence, le capitaine d’aviation Robert Rossi, communiste, chef de l’AS puis commandant régional FFI, entre en conflit avec le colonel Lécuyer, chef régional de l’ORA et chef d’état-major régional FFI26. Cette crise compliquée qui oppose l’ORA aux forces issues des MUR résulte surtout de divergences sur la stratégie à adopter contre les Allemands. Elle ne peut donc être assimilée à un conflit PCF/ORA, puisqu’elle se situe principalement sur le terrain militaire, même si l’arrière-fond politique n’est pas absent. Ainsi, outre l’appui du DMR Louis Burdet, Rossi reçoit celui du capitaine Henri Chanay, chef de la mission interalliée en Provence, dont le rôle est significatif de l’importante prise par les missions interalliées depuis juin 1944.
Officiers, FFI et FTP dans les combats de la Libération
13Les plans du SHAEF prévoyaient l’envoi de nombreuses missions militaire en France aux lendemains du débarquement. Une centaine d’équipes des Jedburgh Teams, le plus souvent de trois hommes dont un Français, ont pour mission d’encadrer et de renforcer les maquis, tout en leur assurant des liaisons radios avec Londres ou Alger. Les Operational Groups de l’OSS et les Special Air Service britanniques sont envoyés pour mener des opérations de guérilla ou de sabotage, généralement en liaison étroite avec les maquis. La mise en place de ces forces spéciales s’effectue avec prudence puisque, avant août, seules 25 équipes Jedburgh opèrent en France. La stabilisation du front de Normandie, mais également les pertes essuyées, expliquent cette retenue27. En août, la quasi-totalité des équipes Jedburgh et OG jusque-là gardées en réserve sont envoyées en France pour intensifier les attaques contre les troupes allemandes en retraite, mais aussi pour exploiter au mieux la guérilla en appui aux opérations de grande envergure des alliés28. Cette revalorisation stratégique du rôle des FFI est la conséquence du bilan très positif que tire le SHAEF de leur action sur les arrières des Allemands lors de la libération de la Bretagne par l’armée américaine. Or, la majorité des forces FFI de l’Ouest sont constituées de FTP, ce qui ne signifie pas que l’appréciation portée sur eux par les Anglo-Saxons soit toujours positive.
14Le 6 juin, les parachutistes SAS du commandant Pierre Bourgoin largués en Bretagne sont surpris de trouver dans leur zone d’action des maquisards FTP aussi nombreux que combatifs29. Il en est de même en Haute-Vienne où le major Staunton du SOE souhaite que leur chef, Georges Guingouin, prenne la direction des FFI du département30. Le capitaine Bob Maloubier, agent français du SOE parachuté dans le Limousin, a laissé un témoignage d’estime sur Guingouin31 qui confirme le point de vue de l’officier britannique. Si la méfiance vis-à-vis des FTP perce souvent dans les rapports des missions interalliées, elle est loin d’être systématique et ne s’explique pas par la peur du communisme. Il leur reproche surtout de se préoccuper davantage de politique que de faire la guerre, mais ce reproche vise aussi d’autres organisations armées. En revanche, certains rapports soulignent la bravoure d’unités FTP32. Au total, les jugements portés sur les FTP par les missions interalliées ne sont nullement hostiles par principe et leur variété reflète autant la diversité des situations locales et des caractéristiques des maquis, que les différences de perception des officiers des forces spéciales. Chez les officiers supérieurs qui commandent les FFI, les appréciations portées sur les FTP sont beaucoup plus contrastées.
15Parlant des combats de l’été, le général Bloch-Dassault déclarait en septembre 1944 que « les FTP se trouvaient, et de loin, au premier rang des combattants33. » À l’inverse, Jean Vallette d’Osia ne leur reconnaît aucune qualité combattante34. Entre ces extrêmes, le colonel Redon a laissé a posteriori un témoignage détaillé de ses relations avec les FTP de l’Aveyron au cours du mois de juillet. Officier de l’artillerie coloniale, membre de Franc-Tireur et de l’Armée secrète et commandant les maquis FFI du Tarn, il se trouve à la mi-juillet non loin de Carmaux, où les troupes FFI, majoritairement recrutées dans la mouvance socialiste, font preuve « du sens de la manœuvre et d’une parfaite discipline dans les combats35 ». Leurs chefs s’inquiètent de l’action des FTP, venus de l’Aveyron, qui harcèlent l’ennemi à proximité de Carmaux, car ils craignent une réaction violente des Allemands. Ils demandent alors à Redon d’intervenir auprès du commandement des FTP pour qu’ils cessent « de poursuivre cette guérilla sur un territoire qui n’est pas le leur ». Mais Redon estime que les FTP se préparent à attaquer Carmaux parce qu’ils comptent rallier les Mongols qui constituent le gros de la garnison. Le colonel parvient à convaincre les Carmausiens qu’ils doivent s’associer à l’action des FTP, « sans quoi ils perdraient tout prestige aux yeux des masses ». Puis Redon va rencontrer les chefs FTP. Il écrit :
« Nous nous trouvons en face d’hommes jeunes, celui qui paraît être le responsable des opérations […] a l’air sûr de lui […] Je lui dis que nous aurions préféré que ce soient eux qui prennent la liaison avec nous, puisqu’ils sont étrangers au département. “Alors quelles sont vos intentions ?” Il répond qu’ils vont attaquer dans la nuit. “Parfait, nous serons à vos côtés…” Ce qui provoque l’étonnement, voire la colère, de mes interlocuteurs. Quelques propos aigres-doux s’échangent […] [puis] la conversation reprend un tour sérieux […] et nous nous quittons en bons termes, en nous donnant rendez-vous dans Carmaux au petit jour. »
16Mais l’investissement de Carmaux échoue faute de ralliement des Mongols et Redon, en accord avec les FTP, ordonne le repli et la dispersion des différents maquis. Dans les jours qui suivent, le triangle inter-région des FTP vient rencontrer Redon et accepte sans difficulté de passer sous le commandement du colonel. Cet épisode est significatif de l’impact décisif de l’action armée dans la fusion des forces combattantes de la Résistance au sein des FFI.
17Ainsi, dans la fièvre des combats de l’été 1944, on ne trouve pas d’exemples de heurts entre officiers supérieurs et FTP et, au niveau du commandement, les relations s’établissent normalement entre chefs militaires communistes et états-majors36. Ainsi, le colonel FFI Georges Beaufils, alias Drumont, qui a été nommé par le COMAC Inspecteur général de la région M (Ouest) pour assurer la coordination FFI-troupes alliées arrive à Londres le 11 août où il a un long entretien avec Koenig puis avec des représentants du SHAEF. Revenu en France, il regagne Paris le 25 au matin avec des éléments de la 2e DB. Par la suite, il est en relation avec le général de Larminat, avec lequel, selon Pierre Durand, il conserve « d’excellentes relations37 ». En l’état de la documentation, on constate qu’au contact des militaires l’attitude des maquis FTP ne se différencie pas de celle de la masse des maquis FFI. Si le réflexe antimilitariste peut jouer dans un premier temps, il disparaît ensuite parce que s’imposent vite les impératifs de l’efficacité opérationnelle.
18À l’inverse, nombre d’officiers d’active reconnaissent dans la période de la Libération la légitimité du COMAC comme centre de commandement des FFI et ils adhèrent à ses conceptions insurrectionnelles et à ses choix stratégiques. Outre le général Dassault, déjà lié au COMAC avant le débarquement, le général Allard38, membre de l’état-major FFI de la région M (Ouest), et le colonel Schneider39, constituent deux bons exemples d’officiers supérieurs qui sont convaincus du rôle essentiel que les FFI doivent jouer dans la libération du pays et, plus tard, dans sa reconstruction et sa régénération. Si la position du colonel Redon est moins tranchée, elle apparaît assez voisine et elle est probablement assez courante chez les officiers qui encadrent les FFI dans les zones de combats. Cette attitude a probablement favorisé la mise en place et le renforcement des structures de commandement unifiées FFI qui restaient précaires ou inexistantes au moment du débarquement dans la majorité des régions. Ces processus jouent un rôle clé dans la fusion effective des forces résistantes au sein des FFI, les FTP puis l’ORA acceptant de se soumettre à l’autorité du commandement local ou régional dans lequel les officiers de carrière sont nombreux.
19Le cas du Gard est symptomatique de la volonté des communistes d’intégrer des officiers d’active dans les états-majors locaux ou régionaux, y compris comme chef d’état-major. Le colonel Dominique Magnant, ingénieur polytechnicien et officier de réserve d’artillerie, a une longue expérience combattante qui l’assimile à un militaire d’active. Très hostile aux communistes, et tout particulièrement aux FTP, partial puisqu’il qualifie Gilbert de Chambrun et Jacques Bounin de communistes, son témoignage n’en est que plus instructif40. Michel Bruguier, communiste et chef des FFI du Gard, fait appel à Magnant pour être son chef d’état-major. Ce dernier écrit : « Michel Bruguier […] avait d’immenses qualités […] : intelligence, culture, aptitude de communication et de séduction, lucidité, courage et fidélité à l’amitié […] Il ignorait tout des armes et du combat. » C’est pour cette raison qu’il fait appel à Magnant et ce binôme va ensuite bien fonctionner : Bruguier assure la direction politique des FFI, laissant une complète liberté à Magnant sur le plan militaire.
20Il est probable que les officiers qui encadrent des maquis FTP favorisent efficacement l’unification des organes de commandement FFI. Le cas d’Henri Hutinet est certainement représentatif de cette capacité d’influence. Au cours des combats de juin et juillet, Hutinet se rend à plusieurs reprises aux états-majors régionaux des FTP et de l’ORA. À ce dernier, il retrouve d’anciens condisciples ou supérieurs de Saint-Cyr, tel le colonel Lécuyer. Après d’âpres discussions, il parvient à obtenir des chefs de l’ORA des livraisons d’armes pour les FTP. Parallèlement, il entretient aussi de très bonnes relations avec des officiers de l’AS, en particulier le capitaine Gérard Pierre-Rose, issu de Saint-Maixent qu’il connaît personnellement. Hutinet écrit :
« Lundi 12 juin : Les officiers AS sont tous des camarades de ma promotion de Saint-Cyr ou des instructeurs de l’École. Nos rapports ont donc été des plus cordiaux et ils ne m’ont rien refusé. D’autre part, notre façon de combattre les a fortement impressionnés et ils sont tout disposés à nous donner le matériel nécessaire. Si je le pouvais, j’irais au GQG de Barcelonnette commandé par un capitaine que je connais très bien et qui me donnerait certainement le matériel dont nous avons besoin41. »
21Si les combats contre l’ennemi favorisent l’unification des forces résistantes, les tensions restent vives en raison des divergences sur la stratégie à suivre.
L’insurrection, acte fondateur de la France nouvelle
22Lorsque le 12 juin, Koenig donne l’ordre de freiner la guérilla, le COMAC demande de l’intensifier. C’est probablement dans la zone Sud que cette directive est la mieux relayée, grâce à l’action du délégué général FFI Degliame qui, selon Augustin de Dainville, a l’appui du délégué militaire Bourges-Maunoury42. À partir de la mi-août, à l’issue de la victoire des alliés en Normandie, c’est Paris qui cristallise l’antagonisme entre les deux centres de commandement, une rivalité d’autant plus forte que le COMAC, à la différence de la province, a une autorité effective sur les FFI de la région parisienne, dont l’état-major est depuis le 1er juin commandé par le communiste Rol-Tanguy43. Cet état-major, qui se met en place courant juin, est surtout composé d’officiers de réserve, mais on y trouve également deux officiers d’active, le lieutenant-colonel d’infanterie Villate et le lieutenant-colonel d’artillerie Avia. Dans le département de la Seine, le colonel Teissier de Marguerittes occupe une position clé puisqu’il commande les FFI et que Jean de Voguë fait partie de son état-major en tant que représentant du COMAC. Les FTP conservent toutefois une certaine autonomie et leur rôle est accru par le contrôle qu’ils exercent sur les milices patriotiques bien implantées dans les usines de la région. Il faut attendre le 8 août pour que Charles Tillon place l’ensemble des FTP de la région parisienne sous l’autorité de l’état-major régional, une centralisation du commandement encore accrue par la dissolution du comité central des milices patriotiques le 11 août.
23Pour régler définitivement la question de l’unification du commandement dans la capitale, des négociations sont menées entre le DMN Jacques Chaban-Delmas et le COMAC qui aboutissent à un compromis entériné par le CNR le 17 août 1944 : le COMAC accepte d’agir « par délégation du général Koenig » et de donner « la priorité » à l’exécution des ordres de l’EM FFI ; les DMR deviennent des officiers de liaison au service des FFI ; le CNR arbitrera les éventuels différents entre le COMAC et le DMN. Dès les jours suivants, alors que le processus de libération de Paris est enclenché, le CNR est appelé à trancher entre l’EM FFI et le COMAC qui continuent de s’opposer à propos de l’insurrection.
24Début août, le DMN Chaban avait demandé une intervention rapide des armées alliées en direction de Paris, car il redoutait qu’un soulèvement prématuré initié par les FFI n’entraîne un bain de sang. Le SHAEF avait refusé et Koenig avait confirmé sa directive : « Pas d’insurrection sans mon ordre44. » Dans les deux semaines qui suivent, le DMN s’efforce, avec l’appui d’Alexandre Parodi, délégué général du CFLN, de retarder le déclenchement de l’insurrection parisienne. Le 18 août, le colonel Rol-Tanguy décrète la mobilisation générale et le début des opérations en exécution des consignes du CNR et des décisions du CPL qui ont appelé les Parisiens à l’insurrection et à l’engagement dans les FFI. Le 20 août, Chaban et Parodi parviennent à négocier une trêve avec les Allemands, mais elle est aussitôt condamnée par le COMAC. Le 22, le CNR décide la rupture de la trêve, imposant ainsi la poursuite du processus insurrectionnel jusqu’à son terme. Le 25 août, l’implication directe du COMAC dans les opérations permet à Rol-Tanguy de cosigner avec Leclerc l’acte de reddition du général Von Choltitz. Cet épilogue de la libération de Paris sanctionne le succès politique et militaire du COMAC, mais il serait réducteur de considérer que la logique insurrectionnelle du COMAC, c’est-à-dire de la Résistance, s’est imposée face à celle des militaires qui comptaient sur les opérations des armées alliées pour faire tomber Paris. On constate en effet que la position de l’EM FFI est loin de faire l’unanimité chez les militaires. Ainsi, de Gaulle semble être désappointé quand il apprend la signature de la trêve. Quant au colonel Teissier, il la condamne et s’efforce de la mettre en échec. Aucune source ne révèle d’indices d’une adhésion au principe de la trêve de la part des officiers appartenant aux différents états-majors FFI de la région parisienne. La dynamique insurrectionnelle entraîne alors l’ensemble de la nébuleuse FFI et la tentative de Chaban-Delmas et de Parodi est balayée par cette vague de fond. La victoire de l’insurrection, sanctionnée par la capitulation allemande du 25 août, va être immédiatement perçue comme l’acte fondateur de la France nouvelle et une opération audacieuse qui restera dans l’Histoire. Si cette construction légendaire est partiellement discutable, elle s’impose alors et pour longtemps. L’analyse par l’état-major de la Défense nationale des événements parisiens est symptomatique de cette vague d’enthousiasme patriotique suscitée par les circonstances de la libération de Paris.
25Le 20 août, le général Juin estimait encore qu’au plan stratégique, « l’objectif de la libération du centre de la France est plus urgent que d’envisager l’action à mener suite à l’évacuation de Paris par les Allemands ». Pour l’EMDN, l’insurrection parisienne n’est donc pas à l’ordre du jour, cette position étant identique à celle du SHAEF et de l’EM FFI45. Deux jours plus tard, Juin estime qu’à Paris, le principal problème de l’heure est le ravitaillement et que la peur de la famine est la première cause du « climat insurrectionnel » qui règne dans la capitale46. Juin est d’ailleurs convaincu qu’à Paris, la famine serait la conséquence la plus immédiate d’une insurrection. Mais, le 23 août, le succès des FFI est admis sans réserve : « La situation dans Paris, jusqu’ici confuse, s’est éclaircie tout d’un coup […] Après de durs combats, Paris est contrôlé par les patriotes […] La police a joué le rôle décisif dans cette libération47. » Juin estime vraisemblable que les Allemands ont déjà évacué la capitale, leurs défenses ayant été submergées par « une action des FFI remarquablement menée en rapidité et en stratégie. » Cette analyse élogieuse de la libération de Paris devient dithyrambique le lendemain : pour le chef de l’EMDN, cette insurrection combinée à l’intervention extérieure de la 2e DB constitue « l’une des plus grandes victoires de l’histoire de France […] [dont] la spontanéité dans l’exécution […] restera un sujet d’étonnement pour les historiens militaires48 ». Le 26 août, il juge légitime et symboliquement opportune la présence de Rol-Tanguy lors de la capitulation allemande intervenue la veille. Évoquant l’acte de capitulation signé par le général von Choltitz, Juin écrit :
« Bien que ce document ait été établi par le général Leclerc, il constitue l’aboutissement des négociations d’armistice entreprises le 22 août auprès des FFI. Il figure comme un acte important dans la reconnaissance par l’ennemi du statut régulier des FFI49. »
26Cette reconnaissance est d’autant plus significative de l’impact sur les esprits de la libération de Paris que les synthèses journalières de l’EMDN, qui rendent aussi compte durant cette période des combats de Provence, mentionnent brièvement les FFI, y compris à Marseille où la libération s’effectue pourtant selon le même schéma qu’à Paris par la combinaison de la grève générale, de l’insurrection et de l’intervention décisive de l’armée française50.
27Dans un tel contexte, il est certain que la peur du communisme, en dépit des positions de commandement tenues par des communistes parisiens dans les FFI, est d’une faible intensité. Si la crainte d’une prise du pouvoir par le PCF à l’occasion de l’insurrection a existé, elle n’a pas dominé. C’est d’ailleurs dans les semaines précédentes, au cours du mois de juillet, qu’elle semble avoir été la plus forte à Paris, particulièrement dans la direction de l’ORA. Mais on ne trouve aucune trace de panique face à un péril révolutionnaire fantasmé dans cette période de la Libération. Si la fièvre de la bataille contre les Allemands atténue sensiblement les antagonismes politiques et corrélativement la peur du communisme, l’attitude rassurante du PCF joue dans le même sens et favorise cette dynamique, tout particulièrement en région parisienne où l’appareil communiste peut exercer avec plus d’efficacité qu’en province son contrôle sur ses cadres et militants. Fin juillet, la ligne fixée par la direction reste centrée sur l’enjeu militaire51 : d’abord, « accentuer la lutte dans tous ses aspects », ensuite renforcer l’union des résistants et des Français, en particulier « faire preuve de la plus grande compréhension envers ceux qui ont été et sont même encore influencés par Pétain52 » ; enfin, renforcer le travail dans les troupes occupation, surtout parmi les étrangers (mongols, russes…)53. Le seul impératif politique mis en avant est de renforcer le parti et ses organisations, surtout en recrutant parmi les FFI.
28Si le communisme n’est pas considéré comme une menace, la question du maintien de l’ordre est une préoccupation importante, surtout pour éviter les pillages, la prolifération du banditisme et d’éventuelles actions terroristes d’ultras de la collaboration. C’est en partie pour cette raison que le décret du 9 juin crée les régions militaires qui ont d’abord vocation à assurer le contrôle du territoire, maintien de l’ordre compris. La portée politique de cette mission attribuée à l’institution militaire est d’autant plus nette que les commandants des régions militaires ne sont pas toujours des officiers de carrière et qu’ils relèvent de l’autorité des commissaires régionaux. Il est en particulier prévu de constituer dans chaque département un ou deux bataillons de protection et un groupement mobile de réserve régional pour « la réduction des foyers de trouble54 ».
29Les gaullistes semblent partagés sur l’hypothèse du putsch communiste, en particulier ceux en contact étroit avec les FFI. Les uns n’y croient pas, tels Chaban-Delmas55 et le général de Larminat, qui commande le 2e corps d’armée en Provence. Ce dernier écrira plus tard :
« Les Marseillais, comme les autres Français, n’avaient d’autre idée que d’être débarrassés des Allemands. Quant à une révolution, ce n’est pas une chose que l’on entreprend au milieu de forces armées puissamment équipées et loyales56 ».
30À l’inverse, Leclerc prête l’oreille à ceux qui sont convaincus de la réalité d’un complot communiste et, le 27 août, il l’évoque de manière sibylline dans une lettre à de Gaulle : « J’ai eu des contacts intéressants aujourd’hui avec des officiers FFI combattant effectivement. Ils m’ont affirmé que le Front national avait tout essayé pour utiliser au profit du parti l’enthousiasme des Français57. » Quant à de Gaulle, a-t-il changé d’avis sur les intentions du PCF à l’occasion de la Libération ? Le 21 septembre, il affirme au pasteur Boegner que les communistes voulaient bien s’emparer du pouvoir à Paris le 24 août, mais qu’ils ont dû y renoncer, car ils n’étaient pas suivis par la masse de la population et qu’ils ne pouvaient rompre l’union nationale, sans laquelle « ils ne seraient que peu de chose dans la nation ». Puis, il conclut : « Staline les encouragea-t-il à y rester ? Il est difficile de préciser sa politique. En tout cas, ils ne sont pas en ce moment un danger menaçant58. » Dans ses Mémoires, de Gaulle réaffirme cette analyse en ajoutant toutefois que l’échec des communistes a surtout résulté de sa détermination à leur barrer la route. Pourtant Jean-Louis Crémieux-Brilhac doute de la sincérité de Gaulle, suggérant que ses propos pourraient être dictés par « la tactique59 », tant il est vrai que le chef du gouvernement n’a pas manifesté sa crainte du communisme au cours de l’été 1944.
31Quand les inquiétudes existent, elles peuvent s’effacer assez vite au vu de l’évolution des événements. Larminat rapporte qu’au moment de l’avancée de de Lattre en direction de Marseille, celui-ci lui déclare : « Je n’entrerai à Marseille que quand je serai sûr d’être assez fort pour y maîtriser la révolution. » Et Larminat remarque : « C’était une idée qui était en l’air et préoccupait beaucoup de Lattre60. » Mais les témoignages ultérieurs concernant de Lattre ne rapportent pas la persistance d’une telle crainte. Quant à l’EMDN, dans ses synthèses de la fin août ne transparaît aucune allusion à une menace révolutionnaire et, concernant Paris, le général Juin s’inquiète surtout du ravitaillement qu’il considère comme le principal problème à résoudre61. Du côté des missions alliées, l’hypothèse révolutionnaire n’est pas prise au sérieux. Ainsi, le major Davies, officier du SOE, écrit à propos de la situation dans le Sud-Ouest qui apparaît pourtant au moment de la Libération et dans les mois qui suivent comme la région la plus troublée :
« Il y a en France un immense désir de remettre les choses en marche, de laisser les gens gagner leur vie et d’éviter de nouvelles explosions de violence. Je veux insister sur ce point : les histoires que l’on raconte à Paris et à Londres sur des désordres dans le Sud-Ouest sont très exagérées. Un incident survenu à Toulouse transmis par 20 sources différentes devient 20 incidents différents une fois parvenus à Paris […] Je considère que l’existence de de Gaulle, pour lequel quasi tous les français ont une admiration considérable, évitera tout sérieux danger d’insurrection62. »
32En définitive, parmi les militaires, c’est surtout au sein de l’ORA que la peur du communisme a suscité les plus forts remous, mais surtout en juillet et sans s’accompagner, semble-t-il, de mesures sérieuses pour le mettre en échec. Un épisode qui se déroule à Paris plus d’un mois avant sa libération est significatif de cet état d’esprit et montre que la crainte d’une révolution communiste a aussi gagné des cercles dirigeants de la résistance parisienne qui jugent alors que l’ORA est la principale force pouvant s’opposer aux communistes.
33Le 7 juillet, Revers reçoit une lettre qui lui est adressée par « un personnage important », qui est « l’un de ses meilleurs amis », pour qu’il vienne immédiatement dans la capitale afin de contrecarrer la mainmise du PCF sur la résistance parisienne63. Ce document présente un double intérêt : d’abord, il révèle que la menace communiste a été prise au sérieux au cours du mois juillet dans les milieux dirigeants de la Résistance, puisqu’il fait référence à la formation d’une « Garde » décidée par la délégation de Londres afin de limiter l’influence communiste dans la capitale ; ensuite, cette lettre montre la résurgence au sein d’une frange de la résistance parisienne de la psychose contre-révolutionnaire des années 193064. L’auteur est en effet convaincu de l’existence d’un plan communiste de prise du pouvoir à brève échéance, avant même, semble-t-il, l’évacuation de l’agglomération parisienne par les Allemands. Il écrit :
« J’ai appris que […] les mesures préparatoires s’intensifiaient […] Il s’agit donc bien de la préparation d’un coup de main […] L’attitude des ouvriers dans les usines est très significative. Ils se passionnent seulement pour les événements de l’Est, mais ont montré une certaine indifférence le 6 juin. »
34De même, les arrestations du 3 juin seraient le résultat d’une machination visant à décapiter la direction des FFI pour assurer la promotion des chefs communistes à la tête des forces armées de la résistance.
35Face à ce complot, l’auteur prône un changement de stratégie qui donnerait la priorité à la lutte contre le communisme et qui ferait de Paris l’enjeu central de la Libération :
« Ce n’est pas de province que le salut pourra venir […] Dans les périodes révolutionnaires, la rapidité d’action est le seul gage possible de succès. Il ne faudrait pas recommencer 1871 et réclamer le soutien de l’étranger. C’est donc sur place, c’est-à-dire à Paris, que doit se préparer une résistance qui ne sera réellement efficace que si elle est préventive et non curative […] Aucune illusion ne peut être conservée en ce qui concerne les intentions des communistes. Ils sont toujours prêts à saisir toutes les places disponibles et s’en emparent en général grâce à la division et au manque de volonté des autres membres de la Résistance. Toutes ces manœuvres relèvent d’un plan dont l’application a été méthodiquement assurée à Moscou il y a plusieurs années : compromettre et déconsidérer les éléments modérés, les noyauter et les déborder en occupant successivement les postes de commande et en se hâtant de prendre des décisions démagogiques, […] faire passer les intérêts du Parti avant les intérêts nationaux, […] faire massacrer les éléments d’ordre, notamment l’armée, dans des luttes inégales. Si l’on veut éviter à la France tous ces malheurs, c’est à Paris qu’il faut agir. »
36Pour l’auteur de la lettre, l’ORA doit prendre la direction de l’action anticommuniste et assurer le commandement de la Garde :
« Sans doute, l’OMA n’a-t-elle pas à prendre seule l’initiative et la responsabilité de la résistance au Parti communiste, mais elle représente ce qu’il y a de plus solide et de mieux préparé à la lutte, et elle est seule capable d’encadrer et de diriger l’ensemble des FFI. »
37Pour cette raison, l’auteur demande à Revers de désigner le chef militaire chargé de combattre le communisme :
« Il vous appartient évidemment, et à vous seul, de prendre parti, mais si vous décidez en fonction des arguments exposés précédemment de ne plus considérer Paris comme un secteur secondaire et de conjuguer l’action dans la capitale avec celle préparée en province, il serait indispensable que vous désigniez et accréditiez expressément un représentant de premier plan, énergique et capable de s’imposer »
auprès de la délégation, d’intégrer le CNR et le COMAC et d’être accepté comme chef par les sections parisiennes de l’ORA. L’auteur, qui connaît très bien l’organisation parisienne de l’ORA et son commandement, suggère Duché, mais il incite surtout Revers à revenir d’urgence à Paris pour assurer lui-même ce rôle de direction. Pour appuyer son argumentation, il précise que tous ses « amis » sont d’accord avec son analyse et il ajoute que trois dirigeants de CDLR, Jacques Lecompte-Boinet, représentant de l’organisation au CNR, Jean de Voguë, membre du COMAC et Roger Cocteau, chef d’état-major de Rol-Tanguy, souhaitent eux aussi que Revers revienne rapidement à Paris. Toutefois, il ajoute que ces trois dirigeants de CDLR ne croient pas que les communistes veuillent prendre le pouvoir à l’occasion de la Libération ou dans la période qui suivra, sans que le motif de leur demande du retour de Revers soit précisé65. Il est probable qu’ils souhaitent à la fois rééquilibrer l’influence communiste dans les instances de commandement de la région parisienne, tout en les faisant bénéficier des compétences du général.
38La réaction de Revers à la réception de ce courrier est immédiate : au vu de la gravité de la situation, il décide de repartir rapidement à Paris. Ce retour n’est donc pas motivé par des impératifs militaires, mais par la conviction que la libération de Paris est d’abord un problème politique. Le général qui prône pourtant l’apolitisme de la Résistance estime en effet que « contrairement à tous les ordres de de Gaulle et de Koenig, la libération du territoire est uniquement une affaire de prise de pouvoir au profit d’un clan à tendance extrémiste de gauche66 ». Si pour s’opposer aux communistes, Revers veut revenir à Paris afin de reprendre contact avec la Délégation, avec le général Ély et secondairement avec le COMAC, il propose également au colonel Pfister de venir lui aussi dans la capitale pour être
« à la fois le chef de Paris en mesure de prendre en main les forces de toute nature qui s’unirait pour le maintien de l’ordre (police, gendarmerie…) et en même temps être notre délégué auprès des organes de direction (Délégation, COMAC, CNR) ».
39Cette proposition n’aboutit pas puisque Pfister reste affecté dans le Sud-Ouest, très probablement parce qu’il a décliné l’offre de Revers.
40L’absence de consensus dans la résistance non communiste parisienne sur un danger révolutionnaire imminent représenté par le PCF au début de l’été 1944 montre le caractère marginal de la mobilisation anticommuniste qui anime des éléments résistants. Il semble d’ailleurs que les chefs de l’ORA à Paris ne fassent pas bloc sur ce point, puisque des symptômes de crise dans la direction régionale de l’organisation sont repérables durant cette période67. Puis, la grande vague patriotique du mois d’août submerge, au moins pour quelques semaines, cette dynamique marginale de mobilisation contre le danger communiste68. La question communiste resurgit ensuite, tout particulièrement lorsque la création d’une nouvelle armée française devient un enjeu central au cours de l’automne.
Refaire l’armée, enjeu central de l’après-Libération : pouvoir militaire, maintien de l’ordre et communisme
41À la fin de l’été 1944, la libération de la majeure partie du territoire rend nécessaire l’intensification de l’effort militaire afin d’accroître le poids de la France au sein de la Grande Alliance en s’engageant plus avant dans les combats pour libérer les régions encore occupées, puis participer à l’invasion de l’Allemagne. Cet objectif exige d’abord de stabiliser la situation intérieure, c’est-à-dire de rétablir l’ordre et le fonctionnement régulier des institutions, d’une part parce que la crédibilité de la France comme acteur militaire exige une normalisation rapide et complète du pays afin de sécuriser les arrières des armées alliées, d’autre part, parce que le renforcement de l’armée dans un contexte particulièrement difficile suppose une mobilisation nationale difficilement compatible avec une situation politique et sociale chaotique.
42Dans l’effort de stabilisation qui s’impose aux lendemains de la Libération, les forces armées jouent un rôle clé, à la fois les troupes régulières mais surtout les FFI dont une partie des formations deviennent au cours de l’automne des unités militaires pouvant servir au rétablissement de la légalité et au maintien de l’ordre. Le général Redon rapporte que, dès le 24 août après le départ des Allemands, il organise une prise d’armes sur la place du Vigan à Albi :
« Tous, FTPF, AS, Corps Francs, ORA, rivalisèrent d’ardeur pour se présenter dans une tenue à peu près uniforme. Devant cet appareil qui forçait le respect les éléments susceptibles de fomenter des troubles disparurent, soit qu’ils aient pris le chemin d’autres aventures, soit qu’ils aient préféré se rallier au plus fort. La mise en place d’un tribunal militaire évita une répression aveugle et injuste. Le pouvoir légal put dès lors s’exercer sans contrainte69. »
43Les FTP venus de l’Aveyron, qui au début des opérations militaires avaient affiché leur particularisme et leur volonté d’offensive à outrance, jouent le jeu de la stabilisation sous le commandement local des forces unifiées de la Résistance. Cette attitude se vérifie également dans la majeure partie du Bas-Languedoc70. À l’échelle du territoire, le problème de l’autorité civile et militaire est loin de dépendre de la seule attitude adoptée par les communistes, car de multiples forces centrifuges s’exercent à travers le pays. Ainsi, nombre de chefs FFI se sont taillés de véritables fiefs, tels Léon Dussarat, dans le département des Landes71. Dans le nord du Bordelais, la situation est semblable. La formation de ces entités FFI autonomes ne concerne pas particulièrement les FTP et ne relève nullement d’une stratégie d’affirmation de la résistance intérieure puisque leur lien avec le COMAC est inexistant.
44En marge des FFI, se renforce le rôle des milices patriotiques que la direction du PCF cherche à instrumentaliser sur le terrain politique en proclamant qu’elles ont désormais pour mission de « rétablir les libertés démocratiques et d’en assurer la sauvegarde ». Deux mois plus tard, Jacques Duclos précise qu’elles représentent « la nation organisée militairement pour la défense de l’ordre républicain » contre « l’ennemi fasciste », ce qui revient à en faire une police supplétive pour mener l’épuration et participer au maintien de l’ordre. Sous l’appellation de « gardes civiques » ou « patriotiques », elles accroissent leurs effectifs, en particulier parce qu’elles recrutent d’ex-FFI qui ne veulent pas intégrer l’armée. Majoritairement composée d’ouvriers, leur répartition est très inégale, mais atteint parfois des effectifs non négligeables : 20 000 à Marseille et en Haute-Garonne ; 50 000 revendiqués en région parisienne. Ces formations, liées aux communistes, posent souvent un problème de contrôle aux autorités locales qui s’efforcent alors de s’imposer.
45Or, dans les semaines qui suivent la Libération, c’est le commandement militaire qui dans les régions incarne le plus souvent l’autorité de l’État et agit pour garantir le maintien de l’ordre. Cette responsabilité avait été anticipée par le gouvernement provisoire puisqu’un décret du 9 juin avait instauré des régions militaires dont les limites correspondaient à celles des commissariats régionaux de la Républiques établies dès 1943. Dès le 27 août, Koenig occupe les fonctions de commandant de la région parisienne et de gouverneur militaire de Paris, avec Revers comme adjoint. Mais en provinces, les régions militaires se mettent difficilement en place et, jusqu’à fin septembre, l’affectation des commandants de région connaît une grande instabilité72.
46Cette situation est particulièrement problématique dans la moitié sud du pays où l’autorité du DMOS, le général Cochet, est affaiblie par la défiance d’une bonne partie des FFI et le manque de soutien du Commissariat à la Guerre. Cochet résume ainsi la situation à la veille de son remplacement le 16 septembre : soit les commandants de région sont des chefs FFI « incompétents », soit ce sont des officiers de carrière sans passé résistant dont les FFI refusent de reconnaître l’autorité ; seuls s’imposent les officiers d’active issus des FFI, mais il n’a pu en désigner que deux73. Dans la plupart des régions, le gouvernement doit composer avec les états-majors FFI : en Bretagne, après quelques péripéties, il finit par nommer le général Allard, issu de l’AS et candidat proposé par le colonel FFI Michelin avec l’appui du COMAC ; dans la 16e région, le colonel FFI de Chambrun accepte la nomination du colonel Henri Zeller, membre de l’ORA et adjoint de Cochet, à condition qu’elle soit entérinée par le COMAC. Le 1er novembre 1944, les vingt commandants des régions militaires sont en place : onze d’entre eux sont issus de la Résistance, dont neuf qui ont exercé des fonctions de commandement ; les autres sont des officiers supérieurs venus d’Afrique du Nord, du Levant ou de Grande-Bretagne, avec parmi eux deux gaullistes de la première heure, le général Paul Legentilhomme, affecté en Normandie, et le général Koenig en région parisienne.
47Les dispositions impliquant l’armée dans le maintien de l’ordre sont loin de se limiter à l’instauration des régions militaire74. Dès septembre, les unités destinées au maintien de l’ordre sont sensiblement renforcées : quatre régiments coloniaux doivent être transférés en région parisienne ; l’emploi de divisions complètes est envisagé dans le Sud-Ouest, puis à Paris, en prévision du désarmement des milices patriotiques. En novembre et décembre, des régiments, principalement coloniaux, sont employés dans diverses régions pour des « missions de souveraineté » afin d’afficher la puissance de l’État. Dans la même période, une brigade de spahis est envoyée à Marseille pour appuyer le maintien de l’ordre. En outre, une quarantaine de régiments territoriaux de sécurité, issus des FFI, sont créés pour assurer l’ordre public et la sécurité sur les arrières des armées alliées.
48Ces différentes mesures ne sont pas explicitement prises pour contrer un éventuel coup de force communiste. D’autres raisons, qui n’ont rien de factices, sont officiellement invoquées : débordements de l’épuration sauvage, attentats ou actions armées de collaborateurs75, crainte de troubles dans les troupes coloniales. Il est certain que la volonté de sécuriser les arrières des armées alliées joue un rôle essentiel dans ce renforcement des dispositions de maintien de l’ordre qui sont d’ailleurs approuvées par le haut commandement anglo-saxon. Dans le contexte de l’automne 1944, le communisme est une question parmi d’autre et l’objectif central de l’heure reste la destruction de la puissance allemande, un objectif qui fait alors consensus, communistes compris. Même si la victoire militaire semble désormais probable à l’horizon proche, la 2e section de l’EMGDN va jusqu’à affirmer qu’elle ne permettra pas de résoudre entièrement le problème allemand car « les ressorts fondamentaux sont ceux de l’Allemand barbare, ceux du Teuton de la forêt germanique ». Et elle conclut : « Rien ne doit nous détourner du but essentiel de cette guerre : détruire l’Allemagne et les Allemands76. »
49Plus politique, de Gaulle confie à Bogomolov lors d’une conversation début octobre qu’il est « effrayé » par la situation du pays, mentionnant l’influence croissante des communistes, mais il insiste surtout sur l’affaiblissement de la France dans le concert des nations, qu’il résume crûment à l’ambassadeur en quelques phrases :
« Il vous est difficile de remettre votre pays sur pied, car il a subi beaucoup plus de dommages que la France, mais vous n’avez pas à vos côtés d’armées alliées ; vous n’avez pas non plus été vaincus pendant cette guerre et vous ne vous êtes pas rendus à l’ennemi ; et puis, votre peuple est abreuvé de victoires et de la certitude qu’il vaincra lui-même son ennemi […] Notre situation à nous est plus difficile car nous n’avons pas de gouvernement – nous devons encore le constituer et nous avons sur notre territoire un nombre inquiétant de troupes de puissances étrangères alliées77. »
50À cette époque, c’est le Sud-Ouest, où la situation est très confuse, qui concentre l’attention et les inquiétudes, car s’y mêlent impératifs militaires, compte tenu des opérations à mener contre les poches allemandes du littoral, et instabilités politiques et sociales dans une région contrôlée par la Résistance et où les communistes ont une forte influence. Fin août, Maurice Chevance, sur décision du gouvernement, a pris le commandement des FFI du Sud-Ouest et du Massif Central avec le grade de général, mais la centralisation de l’autorité militaire s’effectue très lentement et avec beaucoup de difficultés compte tenu de la multiplicité des états-majors et des entités FFI78, sans que les communistes aient cherché à contrer ce processus, contrairement à des affirmations hâtives79. Dans un tel contexte et compte tenu de la difficulté des liaisons, le haut commandement reçoit des informations très contradictoires sur la situation à Bordeaux : le 9 septembre, le lieutenant-colonel Rollot, missi dominici du général Koenig, envoie un rapport qui décrit un « climat pré-révolutionnaire », des FFI « débordées » par les communistes et il estime que la situation est probablement semblable à Limoges et à Toulouse ; trois jours après, le colonel FFI Joseph Druilhe, nommé commandant de la 18e région par Chaban, rapporte une situation tendue mais maîtrisée et qui s’améliore de jour en jour. Il écrit :
« Mon plus grand souci […] réside dans la question des FTP. Après les succès obtenus dans certaines villes [Toulouse, Limoges] […], ils considèrent que la question de Bordeaux est encore à résoudre et […] ils essaient de conquérir cette position-clé du SO que nous avons entre nos mains. Les chefs militaires FTP paraissent “pavés de bonnes intentions”. Mais les conseillers politiques préparent sournoisement la mise en œuvre d’un dispositif qui ressemble singulièrement aux manœuvres préliminaires à une occupation. Mais je pense pouvoir, avec les moyens dont je dispose, tenir ferme sur ma position, sans recourir aux solutions extrêmes80. »
51Dans ces Mémoires, le général de Larminat, commandant en chef des forces armées du littoral breton et du Sud-Ouest au cours de l’automne 1944, corrobore cette analyse puisqu’il considère que les communistes, « en peau de lapin […] avaient de mauvaises intentions, mais étaient incapables de les réaliser81 ».
52Du centre du pays, des renseignements inquiétants, sans être cependant ouvertement alarmistes, remontent vers le haut commandement : dans le Massif Central, les FTP ont le monopole de la représentation militaire et « dispose pratiquement du pouvoir civil82 » ; à Vichy, les communistes ne critiquent pas de Gaulle, mais « les dessous de l’activité du parti montrent bien que son intention est de prendre en mains tous les leviers de commande83 » ; dans la région de Clermont-Ferrand, « après avoir combattu avec courage, [les FTP] […], se sont transformés en force politique84 ». Ce dernier rapport précise toutefois que la population se montre peu réceptive à la propagande communiste, car « elle ne veut pas entendre parler de politique, veut de l’ordre, la reprise du travail » et se préoccupe avant tout du ravitaillement.
53Mais au sein de l’institution militaire, une autre perception de la situation intérieure est repérable. Ainsi, la Mission militaire de liaison administrative (MMLA), commandée par le lieutenant-colonel Hettier de Boislambert, fournit une interprétation très différente et d’un grand intérêt puisqu’elle dispose de nombreuses antennes à travers le pays qui lui donnent une vision d’ensemble85. Début octobre, elle produit un rapport dans lequel elle insiste sur la nécessité de conserver la confiance des Américains, acquise grâce à l’action et à la cohésion de la Résistance au cours de la bataille de la Libération et à l’autorité du gouvernement provisoire à travers le pays. Or, les Américains ont suivi avec attention et parfois inquiétude le développement des FFI, surtout des FTP, après la Libération et la MMLA craint que le déclenchement de troubles provoque une ingérence des armées alliées dans nos affaires intérieures. Pour cette raison, le rapport recommande aux autorités d’adopter une attitude souple, d’éviter toute mesure coercitive, pouvant provoquer des heurts. La MMLA, qui ne mentionne pas de manœuvre communiste pour s’emparer du pouvoir, prône une politique modérée afin de préserver l’indépendance nationale. Même si le radicalisme des FTP est relevé, ils sont considérés comme partie intégrante des FFI qui regroupent les forces vives de la nation, car, « en général, les officiers de la MMLA, constamment en contact avec les problèmes politiques, paraissent tous impressionnés par l’ardeur et la foi de cette jeunesse qui a, en fait, sauvé la France86. »
54De son côté, la Délégation militaire nationale fait une analyse prudente et nuancée du problème communiste qui semble refléter le point de vue dominant dans la hiérarchie militaire et au gouvernement. Début septembre, elle estime en effet que les communistes entretiennent une « ambiance d’opposition et même de révolution » :
« Le problème apparaît extrêmement grave et même avant tout parce qu’il présente un caractère politique. Quelle que soit la loyauté des éléments FTP, quel que soit leur attachement au général de Gaulle, il est incontestable qu’ils sont résolus à faire aboutir à tout prix, et peut être en dehors de la légalité, les réformes politiques et sociales qui leur paraissent essentielles. Il n’est pas certain qu’ils aient des intentions bien précises de s’emparer par la force du pouvoir, mais ils agissent dans une certaine mesure comme si tels étaient leurs projets87. »
55Comme la MMLA, la DMN recommande la modération face à l’agitation, une attitude qui va prévaloir de la part du gouvernement et du haut commandement.
Le PCF, parti d’ordre et de gouvernement
56L’accumulation de difficultés de toutes natures qui suit la Libération fait du communisme un facteur dilué dans une situation mouvante qui est appréciée différemment selon les sensibilités et, peut-être surtout, en fonction des conditions locales. Manifestement, la psychose de la révolution communiste n’affecte pas les milieux dirigeants et la hiérarchie militaire. Il est vrai qu’il existe alors plusieurs raisons de considérer que les heurts et frictions avec le PCF relèvent davantage du jeu politique que d’une confrontation pour le contrôle du pouvoir. D’abord, les Soviétiques souhaitent la stabilisation de la situation intérieure française autour du gouvernement provisoire88. Ainsi que l’écrit Mikhaïl Narinski, « après la Libération, Moscou cherche à éviter une rupture du PCF avec de Gaulle et une crise politique en France » et va donc peser, difficilement d’ailleurs, pour réorienter le PCF d’une ligne offensive à une ligne défensive, c’est-à-dire la recherche d’alliés pour former un bloc des gauches et agir dans le cadre de la légalité89. Dans le fond, la direction soviétique raisonne surtout « dans la perspective d’un retour d’une France bourgeoise, même si le PCF jouerait un rôle plus important90 ». Moscou est donc loin d’encourager le PCF à la rupture et les déclarations des dirigeants communistes français vont dans ce sens, car même s’ils n’excluent pas d’engager une épreuve de force avec de Gaulle, ils l’envisagent selon certaines conditions.
57Le 17 août 1944, devant la délégation du comité central d’Alger, François Billoux présente un rapport très critique sur l’attitude de de Gaulle et assez pessimiste pour l’avenir de l’alliance nouée autour du gouvernement provisoire :
« En France, il faudra probablement continuer à participer, mais en ne se faisant aucune illusion sur la coexistence paisible, durable, des deux systèmes, ni entre États capitalistes et États socialistes, ni entre les partis politiques à l’intérieur de la France […]. Ou bien de Gaulle sera à la tête d’un mouvement réactionnaire et nous nous y opposerons, ou bien de Gaulle tiendra compte de la volonté du Peuple de France et nous collaborerons avec lui, mais la situation en France permet d’être optimiste, quoi qu’il arrive91. »
58Toutefois, ce pronostic reflète pour une part les tensions propres à la situation politique d’Alger et le radicalisme du binôme Marty/Billoux92, car tout au long de l’été, la direction du PCF en France s’est abstenue de critiquer de Gaulle et a donné des directives pour exprimer le soutien des communistes à sa politique face aux Anglo-Saxons93.
59À l’encontre de la thèse d’un objectif de prise du pouvoir alors poursuivi par le PCF, les dirigeants communistes veulent profiter des circonstances pour accroître l’influence du parti dans le pays, tout particulièrement au sein des institutions civiles et militaires et des organes crées par la Résistance, l’enjeu central étant pour eux, fin août-début septembre, d’obtenir une forte représentation au sein du gouvernement provisoire. Ils veulent en conséquence apparaître comme un parti d’ordre et une force de reconstruction pour crédibiliser leur prétention à devenir un parti de gouvernement. Or, le PCF est loin de contrôler l’ensemble de l’agitation et des mouvements les plus divers qui se multiplient, y compris dans leurs principales zones d’implantation. Ils s’emploient souvent à les canaliser et à les diriger, parfois sans grand succès94.
60Le PCF est donc confronté à une situation difficile, d’autant plus qu’il échoue à peser d’un poids décisif au sein du gouvernement provisoire. En effet, l’attribution au PCF de deux ministères de second ordre dans le gouvernement remanié et élargi le 9 septembre est un échec au vu de son influence et de ses ambitions. Billoux devient ministre de la Santé, Tillon ministre de l’Air : les communistes n’occupent aucun ministère de premier plan et, en proportion, leur poids est en baisse au sein de l’exécutif. La question du sort réservé à Thorez reste un deuxième motif de tension entre de Gaulle et le PCF. Si le refus de de Gaulle à autoriser le retour du dirigeant communiste à Alger était compréhensible, sa motivation après la Libération est difficile à cerner, car dans le contexte de tensions et d’instabilité de l’après-Libération, Thorez fait figure d’élément modérateur, moins intransigeant que Billoux et Marty, plus politique que Duclos. Comme dans les mois passés, Garreau continue d’appuyer la demande renouvelée de Thorez à revenir en France en invoquant « son profond désir de contribuer de son mieux à l’union nationale et à la restauration rapide d’une France ordonnée et puissante95 ». En septembre, Cot écrit encore que Thorez « dispose d’un grand crédit » auprès des dirigeants communistes et soviétiques, ainsi qu’auprès des personnalités étrangères et qu’il a « mis cette influence au service de la France et du GPRF ». Puis, il ajoute :
« Je l’ai entendu défendre avec chaleur la politique du général de Gaulle […] dans un groupe où l’aspect nationaliste et revendicateur de cette politique était critiqué. Si nous utilisions son crédit, […] nos affaires s’en trouveraient mieux96. »
61Ce n’est que tardivement, le 6 novembre, que Thorez bénéficie de la grâce du général de Gaulle et rentre en France le 27 novembre. Le maréchal Juin a donné son sentiment en des termes aussi inattendus que perspicaces sur la personnalité du secrétaire général du PCF et sur la portée de son retour, semblant regretter qu’il n’ait pu revenir plus tôt en France :
« Thorez était un homme avec lequel il était possible d’avoir des contacts humains, une discussion sur des points où pouvait intervenir la raison. Instruit en Russie même par les indicibles souffrances endurées par tout un peuple tendu à l’extrême vers la seule défense de sa patrie, il avait conscience, et d’accord en cela avec Staline, que ce n’était pas le moment de déclencher en France, au moment de sa libération et en présence de nos Alliés, un mouvement révolutionnaire semblable à celui qui devait éclater en Grèce et qui fut d’ailleurs voué à l’échec. Aussi, ayant repris en France les rênes du parti communiste, fit-il porter de préférence les efforts de ce parti sur son accession au pouvoir exécutif, sans effrayer personne avec l’épouvantail des milices patriotiques, bientôt appelées à perdre leur cohésion, sinon à disparaître97. »
62Quoi qu’il en soit, les impératifs économiques, les rapports de force politiques et la normalisation de la situation intérieure du pays ne permettaient plus de différer encore le retour du secrétaire général du PCF qui présentait désormais pour de Gaulle « plus d’avantages que d’inconvénients98 ». Le départ pour Moscou de de Gaulle constituait alors une bonne opportunité pour donner à la grâce de Thorez l’apparence d’une initiative permettant de favoriser le rapprochement franco-soviétique.
63À la veille de son départ pour la France, Thorez rencontre Staline qui insiste sur la nécessité pour les communistes français d’éviter l’isolement en trouvant des alliés, en priorité chez les socialistes, et en jouant pleinement le jeu de la participation gouvernementale sans perdre de vue que de Gaulle, « vrai politicien doublé d’un roué », est un adversaire dangereux99. Dans la conversation, le dirigeant soviétique s’attarde sur le problème militaire français. Il souligne que la France doit reconstituer sa puissance militaire et qu’en conséquence « les communistes français ne devraient pas craindre la création d’une grande armée, [qu’] ils devraient y avoir leur gens100 ». À l’inverse, il estime que le PCF commet une erreur en voulant conserver « la milice ». Il conseille toutefois de cacher les armes, car il n’exclut pas pour l’avenir le recours à la force armée si les circonstances l’exigeaient, sans qu’il en précise d’ailleurs la nature. Revenu en France, Thorez fera effectivement appliquer l’orientation voulue par Staline. Mais agira-t-il seulement par discipline ? Au vu de ses déclarations passées, c’est la ligne que, pour l’essentiel, il aurait souhaité voir suivie par le PCF depuis déjà plusieurs mois, tout particulièrement sur le terrain militaire qui devient un enjeu politique majeur, tant au plan intérieur qu’extérieur, jusqu’au printemps 1945.
La restauration de l’institution militaire et la dualité de commandement
64Dans l’après-Libération, la nécessité de reconstituer un outil militaire capable de jouer un rôle notable aux côtés des armées alliées fait consensus entre les forces politiques gouvernementales. Pour le général de Gaulle et la plupart des chefs militaires, la reconstruction de la puissance militaire française passe par le développement de l’armée régulière qui combat sur le territoire national depuis qu’elle a débarqué en Normandie et en Provence. Il s’agit pour eux de la seule solution réaliste sur le plan militaire et d’un impératif politique pour restaurer la pleine autorité de l’État sur la part du territoire national déjà libéré. Cette orientation se heurte à l’opposition farouche de la majorité des forces résistantes, parce qu’elles veulent que la nouvelle institution militaire émane des FFI, intégrant en complément les divisions issues des FFL et de l’armée de Vichy en Afrique du Nord. Ainsi, le COMAC, qui cherche à organiser et diriger la mobilisation des FFI pour la création d’une nouvelle armée française, reçoit des soutiens bien au-delà des seuls communistes et nombre d’officiers de carrière ayant intégrés la Résistance appuient son programme ou tout au moins se montrent en accord avec le principe de régénérer l’institution militaire par l’intégration massive d’unités FFI.
65La politique militaire du gouvernement provisoire est centralisatrice et implique donc l’instauration rapide d’un système de commandement fort. C’est André Diethelm, ministre de la Guerre et homme de confiance du général de Gaulle, qui est chargé de cette mise en œuvre. À cette fin, il dispose d’un appareil administratif central, l’État-major général de la guerre (EMGG) dont les compétences ont été définies en mars et qui dispose dans la capitale d’un échelon précurseur installé dès le 30 août. Placé sous le commandement du général Roger Leyer, l’EMGG est chargé de la gestion des forces armées, ce qui inclut les FFI. C’est toutefois, l’EMDN, qui devient en octobre l’EMGDN, qui reste le principal organe du haut commandement de l’armée, avec à sa tête Béthouart puis Juin à partir du 11 août, et qui relève directement de Gaulle.
66Concernant l’avenir des FFI, de Gaulle exclut d’emblée l’instauration « d’une armée dans l’armée » et, en conséquence, le gouvernement adopte une solution rapide et radicale pour régler cette question sur les plans politique et militaire : dès le 26 août, les règles d’incorporation des FFI dans l’armée sont fixées et, deux jours plus tard, un décret décide la dissolution des états-majors FFI dans les territoires libérés et l’intégration individuelle des combattants par engagement volontaire dans l’armée. Ces directives expéditives, qui excluent toute reconnaissance d’un particularisme FFI au sein de l’armée et considèrent les grades de ses officiers comme fictifs, révèlent une méconnaissance des réalités résistantes101. Cette décision administrative brutale et improvisée suscite l’opposition virulente du CNR et du COMAC, ainsi qu’une véritable révolte au sein des FFI. Si le PCF est en pointe dans cette réaction, elle englobe la majeure partie des forces résistantes et suscite de vives critiques au sein même de l’institution militaire et du corps des officiers.
67La DMN estime que la décision du 28 août « a provoqué l’effet le plus désastreux », car il aurait fallu appliquer des mesures progressives102. Elle estime qu’une solution de compromis est nécessaire, car si les décisions prises sont maintenues, l’alternative sera la suivante : soit le gouvernement parvient à imposer ses décisions et la plus grande partie de la Résistance sera « rejetée dans une opposition irréductible » ; soit il ne le peut pas et la crise risque fort d’évoluer en guerre civile. Entre autres mesures, la DMN propose que le COMAC participe aux travaux d’organisation de l’armée et que l’EMGG envisage de prendre en compte l’expérience de l’EMN FFI pour la mise en œuvre des réformes militaires. La DMN considère donc que la crise au sujet des FFI ne résulte pas de la contestation communiste, mais oppose pour l’essentiel la Résistance au gouvernement. C’est également l’analyse faite par la MMLA qui prône la modération et souligne la valeur du vivier FFI comme source de recrutement pour l’armée : « En général, les officiers de la [mission] semblent persuadés de la nécessité de prendre la direction de ces forces de la Résistance au lieu de la combattre, de les diriger au lieu de les retenir103. » La MMLA estime qu’il faut s’abstenir de mener une politique de coercition, car les Américains ont déjà remarqué l’incapacité du gouvernement à faire appliquer le décret sur la dissolution et il pourrait intervenir dans les affaires françaises si des troubles se produisaient entre les autorités et les FFI. Face à la contestation et aux critiques, le gouvernement infléchit sa position. Si l’objectif de la disparition des « groupements armés […] en dehors de l’armée et de la police » est affirmé, les décrets des 19 et 20 septembre créent un engagement dans l’armée spécifique aux FFI, qui est limité à la « durée de la guerre », et une « Direction FFI », au caractère implicitement transitoire, mais qui marque la reconnaissance de l’identité FFI.
68Malgré ce recul gouvernemental, l’évolution des structures de commandement montre que la dissolution rampante des FFI commence dès l’été 1944. Lorsqu’à la fin août, Koenig prend ses fonctions de gouverneur militaire de Paris et de la région parisienne, il conserve la direction de l’EM FFI installé à Paris, mais sous un format réduit, son chef d’état-major étant le général Chouteau. Le 20 septembre, les DMR disparaissent et trois jours plus tard, l’échelon liquidateur de l’EM FFI maintenu à Londres est dissous. Cantonné au commandement des unités engagées contre les poches de l’Atlantique ou dans les territoires occupés du Nord-Est, l’activité de l’EM FFI se réduit progressivement et il sera officiellement dissous le 1er décembre. Quant au DMOS, tenu en lisière depuis ses origines, il est dissous dès le 2 octobre, le général Cochet étant mis devant le fait accompli.
69À l’inverse, le COMAC et l’EMN FFI s’efforcent de développer leur rôle à l’échelle des territoires libérés. Avec la Libération et la fin de la clandestinité, ses liaisons avec les provinces deviennent plus faciles, favorisées par les relais dont dispose le COMAC au sein des EM régionaux FFI. Cette influence s’étend bien au-delà de la seule mouvance FTP, mais il est probable que, dans la majorité des cas, ces liaisons ne sont pas assez solides et régulières pour permettre au COMAC et à l’EM FFI d’exercer une véritable fonction de commandement. Ces limites se vérifient lors de la création au sein du 2e bureau FFI d’une Direction de la sécurité nationale qui chapeaute des bureaux de sécurité régionaux et départementaux issus des états-majors régionaux FFI et qui vise surtout à agir dans le domaine de l’épuration104. Mais le rôle de ces organismes reste limité, car la plupart des régions militaires refusent de les reconnaître.
70La reprise en main des FFI par le haut commandement et le gouvernement s’effectue progressivement tout au long de l’automne. Début octobre, une Direction FFI, rattachée au ministère de Guerre, est mise en place par absorption de la majeure partie des membres de l’EMN FFI, qui disparaît. Cette nouvelle Direction, commandée par le général Malleret-Joinville et organisée comme un état-major mais sans commandement opérationnel, reste jusqu’à sa disparition le 18 janvier 1945 le relais de la politique du COMAC au ministère de la Guerre. Cette liaison n’empêche pas la Direction FFI de fonctionner utilement, en particulier le 4e bureau FFI qui accomplit un travail important en relation avec le ministère de la Guerre.
71Le même mois, la création par le ministère de la Guerre d’un service d’inspection des FFI, indépendant de la Direction FFI, commandée par le général Chaban-Delmas et regroupant en majorité d’ex-DMR, permet d’exercer un contrôle sur les états-majors régionaux FFI. Les principaux points d’ancrage du COMAC sont progressivement intégrés aux structures hiérarchiques de l’appareil militaire. Cette évolution se vérifie dans nombre de bastion FFI : la région de Toulouse où sa reprise en main est facilitée par l’accident de la route qui met le colonel Ravanel hors-jeu ; la région de Limoges où l’autorité du colonel Rousselier est réduite à la suite du transfert d’une bonne partie de ses troupes vers les poches de l’Atlantique ou le front du Nord-Est ; le Poitou où le colonel Fourrier refuse sa mise à l’écart, mais la crise tourne court, car il décède dans un accident d’automobile ; l’Ouest où le colonel Michelin reçoit une affectation au front ; il en est de même en Languedoc avec le départ de Gilbert de Chambrun qui prend le commandement d’une unité combattante ; le Sud-Ouest et le Massif central où le général Chevance-Bertin est progressivement marginalisé, puis intègre l’Assemblée consultative. L’évolution est similaire en région parisienne où les relations sont d’abord houleuses entre l’EM régional FFI et le général Koenig, puis Rol-Tanguy accepte de travailler avec l’état-major de la région parisienne que ses services intègrent progressivement ; en janvier, Rol est envoyé en stage de formation, ce qui clôt le processus d’intégration.
72Sur le plan opérationnel, la marginalisation des chefs FFI se vérifie également : lorsqu’en octobre, le général de Larminat prend le commandement des Forces françaises de l’Ouest, pourtant constituées majoritairement de troupes FFI, il forme son état-major avec des officiers issus des FFL et de l’ORA. Sur le plan territorial, les commandants des régions militaire issus des FFI deviennent progressivement minoritaires et, à la fin de la guerre, seuls deux d’entre eux, Gilbert Grandval (20e région) et Marcel Descour (14e région) ont appartenu à des états-majors FFI, le premier étant issu de CDLR, le second de l’ORA.
73La dualité militaire s’estompe donc peu à peu. En complément, le 28 octobre paraît le décret de dissolution des organisations paramilitaires qui vise les milices patriotiques, parfois qualifiées de gardes civiques. Le CNR critique cette décision, mais le PCF est le seul parti à la condamner. Face aux protestations, les commissaires de la République s’abstiennent de faire appliquer le décret. Mais le 21 janvier 1945, la déclaration de Thorez en faveur d’une armée et d’une police uniques marque officiellement la fin du dualisme né de la Libération. Dans les faits, celui-ci s’était déjà éteint sur le terrain militaire, puisque fin décembre-début janvier, à l’occasion d’une réorganisation de l’EMGG, la Direction FFI avait été supprimée et que le COMAC disparaissait discrètement dans cette même période.
74Il faut cependant se garder de généralisations hâtives105 : le processus de normalisation ne peut être réduit à un antagonisme irréductible et généralisé entre autorités administratives et militaires, d’une part, et formations militaires ou paramilitaires issues de la Résistance, d’autre part, car préfets et secondairement commandants de région militaire ont recours aux formations FFI pour organiser la lutte contre le marché noir, assurer le maintien de l’ordre et la lutte contre le banditisme, voire pour réguler la circulation automobile, ce type d’activités étant encore repérable au mois de janvier 1945106, voire en Alsace jusqu’en avril107. De même, le développement des FFI au lendemain de la Libération et la situation de dualisme qui en résulte ne peuvent être assimilés à une opposition FFI/armée, corps des officiers/cadres FFI. On constate en effet que nombre d’officiers de carrière, en service au moins jusqu’à l’armistice, issus des FFI et exerçant d’importantes fonctions de commandement, ont tout au long de l’automne soutenu la politique du COMAC ou défendu des positions assez proches, en particulier les colonels ou généraux Fourrier, Rousselier, Chevance-Bertin, Schneider, Adeline, Redon, Allard et Dassault. Parmi eux, seul Rousselier est proche des communistes108. Cette attitude se vérifie lorsque l’amalgame est mis à l’ordre du jour pour accroître les effectifs de l’armée.
L’amalgame nécessaire
75Comme il y a consensus entre toutes les forces politiques sur la nécessité de renforcer l’armée, le gouvernement provisoire et le COMAC veulent la formation aussi rapidement que possible de grandes unités, c’est-à-dire de divisions organisées en corps d’armée. La poursuite de cet objectif aboutit à l’adoption du plan du 30 novembre qui prévoit la formation de 8 divisions en métropole109, ce qui implique une augmentation sensible des effectifs mobilisés. À la veille du débarquement en Normandie, l’armée régulière française relevant de l’autorité du GPRF atteignait un effectif de 550 000 hommes, comprenant, outre les garnisons maintenues dans l’Empire, huit divisions, dont trois blindées. Ces forces regroupaient les troupes de l’ex-armée de Vichy en Afrique du Nord et des FFL, des volontaires engagés dans les mois ayant suivi le débarquement de novembre 1942 et des troupes coloniales levées au cours de la même période à travers de l’Empire. La cohésion de cette armée composite s’était renforcée à l’occasion des combats d’Afrique du Nord puis d’Italie, mais elle avait rapidement connu un problème d’effectif, en raison des lourdes pertes subies et parce que les sources du recrutement dans l’Empire, tout particulièrement au Maghreb, étaient en voie d’épuisement. Ainsi, à l’été 1944, sur les 236 000 Français d’AFN mobilisables, 70 % ont déjà été incorporés. En outre, le manque de personnels qualifiés, surtout de cadres et de spécialistes dans les unités mécanisées, empêche la formation de nouvelles unités. Comme le CDN prévoit de porter les effectifs totaux des forces armées à 1 000 000 fin 1944, puis fin 1945 à 1 427 000110, un recrutement massif de soldats sur le territoire métropolitain doit rapidement intervenir, d’autant plus que les troupes coloniales d’Afrique noire devront être désengagées des zones de combats avant l’hiver.
76Avant le débarquement de juin 1944, le haut commandement avait prévu des mesures de mobilisations partielles en complément du recrutement par engagements volontaires. Mais la croissance exponentielle inattendue des effectifs FFI rend caduque le dispositif prévu : évalués à environ 100 000 début juin 1944, ils atteignent probablement 600 000 hommes à la fin août 1944111. Les FFI apparaissent donc comme un immense vivier de recrutement, qui va faire l’objet de conflits, de compromis et de pas mal d’improvisations tout au long d’une période transitoire qui s’achève au début de 1945. Ces divergences, qui mêlent considérations politiques et militaires, sont révélatrices des différentes conceptions qui s’opposent pour mener à bien la reconstruction d’une armée française puissante et moderne.
77Le gouvernement provisoire et le haut commandement estiment que l’efficacité prime et qu’elle exige l’intégration individuelle des FFI sur la base de l’engagement volontaire. Cette solution, qui revient à dissoudre purement et simplement les recrues FFI dans l’armée régulière, permet également de régler le problème politique que pose leur maintien à travers le territoire et d’accélérer sensiblement la normalisation en cours au nom de l’intérêt supérieur de la Défense nationale. À l’inverse, la majorité des FFI et des organisations résistantes restent partisanes de la fondation d’une armée nouvelle, républicaine, issue du creuset de l’expérience résistante. Si le COMAC apparaît comme le pôle fédérateur de cette aspiration, elle s’exprime par d’autres canaux, y compris au sein de l’armée.
78En septembre 1944, le COMAC élabore un contreprojet militaire qui prévoit la levée d’une armée nationale populaire dans la tradition révolutionnaire de la levée en masse et par l’amalgame des FFI et de l’armée régulière. Philippe Buton affirme que ce contreprojet vise à créer l’instrument de la prise du pouvoir par les communistes112. Mais est-il certain que le COMAC se limite à appliquer les directives que lui fixe le PCF ? Il est vrai que dès le lendemain de la Libération de Paris, le PCF fait de « l’amalgame » son nouveau mot d’ordre pour « mettre sur pied une grande armée française en y intégrant des unités des FFI », un mot d’ordre qui s’inscrit dans le prolongement de la politique militaire définie au cours du printemps. Ce programme communiste n’est d’ailleurs pas aussi novateur qu’il paraît, car il reprend pour une bonne part la politique militaire de front populaire qu’il appliqua, de 1936 à l’été 1939, en suivant deux principaux axes : « moderniser » l’armée française, en particulier par l’instauration du commandement unique ; la « républicaniser » selon une conception compatible avec « l’amalgame » exigé à l’automne 1944, mais distincte d’un appel à la levée en masse pour régénérer l’armée113. L’hypothèse d’un décalage entre le projet du COMAC et la position du PCF mérite d’être posée, car le positionnement communiste sur la question militaire à l’automne 1944 ne va pas de soi, et la prudence semble alors l’emporter. En effet, le PCF ne fait pas preuve de volontarisme pour appuyer les conceptions du COMAC. Deux indices retiennent l’attention : André Marty, qui pourtant suit de près la politique militaire du PCF depuis le début des années 1930, reste très discret sur la question de l’armée au cours de l’automne 1944 ; si L’Humanité appelle à l’amalgame, on ne trouve que trois articles consacrés à l’armée à la une des numéros de septembre, période pourtant la plus critique dans le bras de fer entre le COMAC et le gouvernement. En particulier, le 19 septembre, Marty signe dans L’Humanité un éditorial consacré à l’armée au ton particulièrement conciliant : l’amalgame proposé consiste à joindre aux unités FFI des formations de « l’armée d’Afrique ». Il ne s’agit donc plus de restructurer l’armée de fond en comble et à cette époque, dans le domaine militaire, le quotidien communiste consacre la plupart de ses articles aux opérations sur les différents fronts. En définitive, la politique militaire « républicaine » d’avant-guerre, adaptée au contexte du conflit mondial et de la Libération, apparaît davantage comme un facteur d’intégration du PCF au jeu politique qu’un élément de rupture.
79Allant dans le même sens, on constate que les communistes ne cherchent pas à constituer des unités issues des seuls FTP et qu’ils jouent le jeu de la formation de bataillons de diverses origines lorsque la hiérarchie militaire l’exige, comme dans le Sud-Ouest et la zone Atlantique114. La Colonne Fabien, composée en très grande majorité de FTP, fait exception, mais sa formation semble surtout relever de l’initiative localisée des FTP du sud de la région parisienne, qui court-circuitent Rol-Tanguy qui n’y est pas favorable, et à laquelle la direction du PCF donne son accord, mais sans la cautionner explicitement115.
80L’antagonisme entre les deux projets militaires est compliqué par l’attitude des Anglo-Saxons pour lesquels l’armée française n’est qu’un acteur très secondaire dans les combats contre les Allemands. En contribuant au développement de l’armée française, le SHAEF veut surtout assurer la stabilisation, l’amélioration logistique et la sécurisation des arrières alliés en aidant à la formation de bataillons de gardes et de pionniers au service des armées britanniques et américaines. Par le jeu de ses moyens matériels et financiers, il refrène les ambitions des dirigeants français, du haut commandement, du CNR et du COMAC qui, tous, visent à développer les capacités opérationnelles de l’armée française par la multiplication de grandes unités, dotées d’un armement abondant et moderne, et organisées en corps d’armée. Ainsi, compte tenu des décisions du SHAEF, au lieu des 8 divisions prévues par le plan du 30 novembre, seules trois nouvelles divisions seront créées d’ici la fin de la guerre116. Cette révision à la baisse des prévisions initiales ne remet pas en cause le principe du recrutement dans le vivier FFI.
81Par-delà, les enjeux politiques, c’est surtout le particularisme FFI, exacerbé par le décret du 28 août, qui doit être pris en compte pour organiser leur intégration dans l’armée. Maurice Vaïsse écrit à ce sujet :
« Ils ne voulaient pas se laisser dissoudre dans une armée venue de l’extérieur qu’ils assimilaient volontiers soit à l’armée défaite de 1940, soit aux “naphtalinards” de l’armée de Vichy, soit à une armée coloniale. De plus, les unités FFI avaient de forts particularismes, leurs membres étant liés par leurs attaches locales, politiques, personnelles, et leurs souvenirs communs. Elles fonctionnaient comme de grandes familles dont les membres n’accepteraient pas de rejoindre individuellement des unités régulières117. »
82Le colonel FFI Georges-Louis Rebattet, qui n’est pas communiste, cerne avec réalisme le délicat problème que pose l’emploi des troupes FFI dans un rapport qu’il adresse le 10 septembre à l’EMN FFI :
« Mal armés, mal vêtus, souvent traqués et rarement vainqueurs, ils pensent qu’ils ont eu la part la plus pénible de l’action, sinon la plus dangereuse […] Ils éprouvent le sentiment d’une infériorité imméritée qui crée une sensibilité à fleur de peau. Ayant vécu ensemble plus de privations que de combats, tous recrutés par leurs chefs, ils se sentent en accord profond avec ceux-ci et avec le pays […] Les meilleurs croient à la révolution nécessaire et s’estiment être les véritables citoyens-soldats118. »
83Cette cohésion des groupes FFI, qui transcende clivages politiques ou appartenance aux organisations résistantes, suscite la méfiance, voire l’hostilité, des cadres de l’armée régulière qui les perçoivent comme une troupe d’amateurs indisciplinés, politisés et, qui plus est, trop souvent antimilitaristes. L’hétérogénéité du phénomène FFI, très marquée par les facteurs locaux et la personnalité des chefs, frappe les officiers de l’armée régulière et joue généralement dans un sens défavorable. Dans une lettre à de Gaulle datée du 27 août, Leclerc estime que, parmi les FFI parisiens, 10 % sont de « très bons, braves et réellement combattants », 20 à 25 % sont acceptables, le reste n’étant que « racaille et fumisterie ». Dans un premier temps, tout comme de Gaulle, la hiérarchie militaire est hostile à l’intégration d’unités FFI dans la 1re armée119.
84Par la suite, face aux vives résistances à la dissolution des FFI, mais également grâce aux leçons de l’expérience, les positions sont moins tranchées : à l’EMGG, Koenig et Billotte jouent le jeu de la formation d’unités FFI et travaillent en confiance avec leurs cadres ; de Lattre et de Larminat admettent, à certaines conditions, la valeur militaire des formations FFI. Dans ces Mémoires, ce dernier tourne en dérision les FFI de « l’arrière » et fait l’éloge de ceux qui combattent sur le front de l’Atlantique. Il écrit en particulier à propos du lieutenant-colonel Paul Bousquet, alias Demorny, un communiste issu des FTP, instituteur et sergent de réserve en 1940 :
« C’était un garçon solide, sûr, parlant peu mais juste […] Avant tout, c’était un homme et un patriote. Nous avons toujours fait excellent ménage […] Son régiment personnel était à son image, sérieux et efficace […] Il était de la race qui, sous la Révolution et l’Empire, a donné de bon généraux […] Demorny est l’un des hommes les plus intéressants que j’ai connu sur l’Atlantique120. »
85Au contraire de Leclerc qui depuis la Normandie a combattu aux côtés des troupes anglo-saxonnes, de Lattre a bénéficié de l’appui efficace de la Résistance dans les semaines qui ont suivi le débarquement de Provence. Selon Maurice Vaïsse,
« le côté dynamique des maquis séduisait son esprit original […] Sans aucun doute, il était, de toute l’armée, l’homme le plus apte à réaliser l’amalgame des FFI et de l’armée régulière […] Il procéda [dès que la réglementation le permit] au rattachement à des unités régulières d’unités FFI rencontrées lors de son avance dans la vallée du Rhône et les Alpes […] De Lattre sut comprendre qu’à côté des bandes incontrôlées d’arrivistes et d’opportunistes, les FFI représentaient l’élan d’un peuple121 ».
86Aussi, le 9 septembre à Lyon, il fait une déclaration qui, en admettant la nécessité d’un amalgame, légitime le particularisme FFI au sein de l’armée :
« Jamais nous ne ferons une absorption pure et simple des FFI. Il est indispensable de conserver leur nom, leur mystique et la fierté de leurs groupements […]. À aucun prix, nous ne devons décevoir ces hommes et laisser s’éteindre cette flamme admirable qui s’est allumée. Par conséquent, tout de suite ces garçons des FFI peuvent former les unités supplétives venant au combat avec notre armée régulière ».
87De Lattre impose cette solution aux officiers sous ses ordres qui, unanimement, n’y sont pas favorables122.
88Quant à de Gaulle, il ne tarde pas à faire rapidement volte-face après la promulgation du décret du 28 août. Le 13 septembre, devant le Comité de Défense nationale, il annonce l’application du principe d’amalgame entre FFI et armée régulière :
« La situation des FFI en 1944 est similaire à celle des bataillons de 1791 et 1792 vis-à-vis de l’armée de ligne, et c’est le même problème de fusion qui s’est posé à l’époque. La solution adoptée par Carnot fut d’amalgamer un bataillon de ligne et deux bataillons de volontaires en une même unité. On pourrait s’inspirer de cette solution et constituer les FFI en bataillons. Le bataillon est en effet l’élément de base qui permet le plus facilement son assimilation par l’administration militaire, l’intendance, etc. ; une fois formés, ces bataillons pourraient être groupés, soit incorporés à des divisions existantes, soit constitués en divisions nouvelles123. »
89Si ce schéma est par la suite effectivement appliqué, il ne concerne cependant qu’une fraction des FFI intégrés à l’armée, car l’engagement des combattants de la Résistance dans les forces armées suit des voies diverses et prend des formes multiples en raison des circonstances locales ou régionales, des acteurs et des besoins. Si l’enjeu politique ou idéologique est indéniable, le pragmatisme et les considérations strictement militaires sont une des caractéristiques fondamentales du transfert des éléments FFI dans l’armée.
L’application de l’amalgame : clivages et expériences combattantes dans le corps des officiers
90Cette tendance est très nette aux lendemains de la bataille de Normandie, puisque dès le début du mois d’août, Leclerc, par pragmatisme, engage dans la 2e DB des volontaires justifiant d’une qualification technique ou militaire. Puis, le 22 août, une décision ministérielle autorise la formation d’unités FFI, regroupant des hommes et des cadres suffisamment instruits, qui pourraient être engagées aux côtés des forces régulières. Si le terme d’amalgame n’apparaît pas encore, le recrutement de FFI se pratique dans le cours de la Libération et son institutionnalisation se met en place courant septembre selon des modalités diverses. Ainsi Leclerc refuse de profiter de l’afflux de volontaires parisiens qui demandent à s’engager et, poursuivant un recrutement très sélectif, il n’incorpore jusque fin octobre que quatre petites unités exclusivement FFI. De Lattre, au contraire, instaure une organisation spécifique pour le recrutement des FFI : le général Molle est nommé général-adjoint pour les affaires FFI et il dispose d’un état-major dont le personnel provient par moitié des unités régulières et des FFI. Rétrospectivement, Molle estime que sa mission a été un succès. Selon son témoignage, les principales difficultés sont le manque d’équipement et l’extraordinaire hétérogénéité des unités FFI qui doivent être intégrées pour former des bataillons de 500 hommes :
« La simple énumération des titres de ces unités vous en donne une faible idée. Les plus grosses s’intitulaient “colonne”, nous avions ensuite “brigade”, “brigade légère”, “corps franc”, qui variaient de 5 000 à 200 hommes, “régiment”, “bataillon”, “commando”, variant de 500 à 15 combattants. Certains avaient un recrutement homogène, d’autres présentaient des échantillons de toutes origines, les préoccupations politiques n’étaient pas exemptes ici ou là, mais dans l’ensemble elles passaient au second plan. Enfin l’encadrement, à base d’officiers et sous-officiers d’active chez certains, était chez d’autres constitué de vrais chefs de bandes sans aucune formation militaire préalable mais qui n’étaient pas pour autant sans valeur124. »
91Pour ces derniers, une école de formation est ouverte aux Andelys. Mais l’amalgame pratiqué par de Lattre suscite des critiques, en particulier parce qu’il refuse la formation de divisions FFI et décide la création de divisions mixtes à base d’unités régulières et d’unités FFI. Or, cette conception s’oppose à celle du COMAC ou de nombreux commandements locaux FFI.
92En effet, de multiples initiatives sont prises localement ou à l’échelle des régions par les centres de commandement FFI pour créer des unités FFI destinées à intégrer l’armée régulière. Si le 12 septembre, le COMAC donne pour directive de créer une division par région, des décisions ont déjà été prises avant cette date. En outre, certaines créations postérieures sont le fait de commandants FFI qui ne reconnaissent pas l’autorité du COMAC. Stéphane Weiss a recensé 12 projets de divisions FFI avec un effectif prévu d’environ 100 000 hommes au total, soit un bon quart du nombre de FFI à cette époque125 ; trois autres ont, peut-être, été envisagées, dont une par la transformation de la colonne Fabien. Sur ces 15 cas repérés, leurs promoteurs sont majoritairement des officiers d’active, mais aucun général ne figure parmi eux : neuf officiers sont issus d’états-majors FFI et trois viennent d’Afrique du Nord. Un seul d’entre eux, Rousselier, est lié au PCF, sans qu’il soit d’ailleurs établi qu’il en fut membre. Au total, seuls quatre projets paraissent répondre à la directive du COMAC, excluant celui de Ravanel puisque la décision de former la Division légère de Toulouse est antérieure de deux semaines : il s’agit de la Lorraine, où le projet émane du Front national mais regroupe des forces d’origines diverses, de la Provence, de l’Auvergne et de Limoges.
93Des projets comparables émanent également de l’ORA à l’initiative des colonels Chomel, dans l’Indre et l’Indre-et-Loire, et Bertrand, dans le Cher, qui créent deux brigades avec l’objectif de les transformer ultérieurement en divisions. Il s’agit d’initiatives locales, l’ORA en tant qu’organisation nationale n’existant plus, et assez semblables dans leurs principes à celles liées au COMAC puisque ces brigades regroupent des éléments d’origines diverses, FTP compris. Les autres initiatives locales émanant d’organismes FFI non liés au COMAC ne sont guère différentes. Leurs initiateurs sont le colonel Adeline, officier de carrière issu de l’AS qui commande sur le front Royan-La Rochelle, les colonels Schneider, issu de la coloniale, et Chevance-Bertin, officier de carrière jusqu’en 1940 et passé par Combat, qui créent dès août le Groupement mobile des FFI du Sud-Ouest et du Centre (GMSO) destiné à être rapidement transformé en division126. Ces deux officiers, bien qu’ils se défient des communistes, conservent des liens avec le COMAC. Reste à mentionner le cas particulier de la Division alpine, entièrement constituée de FFI et commandée par le colonel Vallette d’Osia, dont la création a été décidée par de Lattre pour tenir le front des Alpes. S’il s’agit d’une décision d’opportunité destinée à décharger la 1re Armée d’opérations défensives pour tenir un front secondaire, elle participe toutefois du mouvement convergent de septembre et octobre en faveur de la formation de grandes unités FFI. Mais tandis que s’élaborent ces projets, les petites ou moyennes unités prolifèrent sous les formats et les appellations les plus diverses, surtout dans le centre et la moitié sud de la France. Leurs dénominations évoquent le plus souvent l’armée d’avant-guerre : bataillon, demi-brigade ou brigade et régiments. Cette typologie a le plus souvent une origine régionale et non organisationnelle (AS, FTP, CFL, etc.). Cette myriade d’organisations rend plus difficile la formation des divisions qui se heurte à de multiples obstacles. Ainsi, selon Stéphane Weiss, sur les 12 projets recensés, seulement cinq atteignent au moins un stade avancé de réalisation entériné par le ministère de la Guerre.
94Dans l’ensemble, les organisations contrôlées par les communistes ne se distinguent pas par leur mode d’organisation et leurs dénominations, dépourvues de connotations révolutionnaires ou prolétariennes. Si dans de nombreuses unités FFI perdure le système FTP de troïka à chaque échelon, ce mode d’organisation d’origine soviétique s’applique bien au-delà des seules formations d’origine FTP127. Dans d’autres unités, le commandement est bicéphale avec un chef d’origine civile et un chef militaire, officier d’active. À l’inverse, on ne constate pas une attitude concertée de la part des états-majors ou des autorités militaires régionales visant à marginaliser ou étouffer les unités à dominante FTP. Dans l’ensemble, la hiérarchie militaire semble surtout chercher à favoriser la formation d’unités d’origines diverses. Ainsi, en novembre, de Larminat donne un avis défavorable à la création par le colonel Adeline d’une division FFI car elle est pour l’essentiel issue de l’AS. D’ailleurs, les officiers de carrière, commandant des unités FFI, semblent favorables au principe de l’amalgame de formations variées. Le colonel Redon, qui commande la division légère de Toulouse, d’à peu près 5 500 hommes dont le tiers environ provient de la demi-brigade Ajax issu des FTP, déclare à de Lattre :
« Ce sont de jeunes volontaires qui veulent poursuivre la lutte contre l’ennemi jusqu’en Allemagne et je demande qu’aucune distinction d’étiquette n’intervienne, car depuis des mois il n’y a plus ni FTP, ni AS, ni ORA, mais uniquement des FFI qui désirent tous participer à l’honneur de combattre […] “Puissiez-vous dire vrai, colonel” [lui répond le général]128. »
95Cet éloge du consensus patriotique des FFI par Redon, pourtant officier de carrière de tradition, est partagé par le colonel Dunoyer de Segonzac, officier de cavalerie et aristocrate, qui
« recense chez ses francs-tireurs du Tarn des catholiques de stricte observance, des protestants, des scouts israélites repliés, des mineurs d’extrême gauche, des socialistes fidèles de Jaurès, des démocrates-chrétiens, des officiers d’active lents à la détente, quelques gentilshommes campagnards défenseurs du trône129 ».
96Ces déclarations vont au-delà du seul constat de l’élan patriotique qui anime les FFI, car elle participe de la conviction qu’ils sont le creuset de la France de demain, le vecteur privilégié de la refondation de l’union nationale brisée par la défaite de 1940 puis par les années d’occupation et de collaboration. Cette apologie de l’esprit FFI qui reflète une grande proximité entre les officiers et leurs troupes se combine au rejet des « officiers naphtalinards » dont la réapparition au lendemain de la Libération est sévèrement critiquée130. Abrupt, le général de Larminat estime même que la majeure partie du corps des officiers a failli durant l’occupation, car la faiblesse de la résistance armée a surtout résulté d’un encadrement déficient causé par l’engagement trop limité des officiers d’active et de réserve131. Le MMLA exprime sans détour cette vive défiance en demandant que soient éliminés « rigoureusement […] les officiers âgés qui paraissent trop vieux pour accomplir leur tâche ou ceux trop jeunes, qui de toute évidence auraient dû participer aux opérations de résistance pendant l’occupation ennemie132. »
97L’attachement de nombre d’officiers de carrière à l’identité FFI explique leurs réactions critiques, voire hostiles, aux modalités de l’amalgame instaurées par le général de Lattre. Ainsi, le colonel Schneider, qui conserve l’objectif de transformer le GMSO en division FFI autonome, se heurte à de Lattre qui veut démanteler cette unité pour l’intégrer à la 1re Armée. Plus sévère, le colonel Redon voit dans le volontarisme de de Lattre une bonne part d’opportunisme au service de ses ambitions. Caustique, il rapporte le passage en revue en septembre des officiers FFI placée sous ses ordres par le chef de la 1re Armée. La première file était habillée en tenue d’avant-guerre :
« “Quels sont ces officiers ?” dit de Lattre ? “Mon général, ce sont les officiers de l’ORA.” “Passons !” laissa tomber le chef, et ce fut tout pour eux. Par contre, les files suivantes étaient vêtues de drap bleu récupéré des Compagnons de France. “Et ceux-là ?” Une inspiration subite me fit répondre : “Ce sont les officiers socialistes de Carmaux !” Alors nous fûmes en pleine euphorie : “Voici, Messieurs, dit le Grand Chef en se retournant vers sa suite, les cadres de l’armée de demain133” ! »
98Au vu des témoignages et de la documentation, pour les officiers de carrière encadrant les FFI, le communisme n’est pas au cours de l’automne 1944 un problème militaire ou politique. En particulier, les officiers de l’ex-ORA ne se distinguent pas par un zèle anticommuniste. Tel est le cas pour la Division légère de Toulouse où Redon a constitué son état-major avec d’anciens membres de l’ORA, alors que l’unité est constituée d’un tiers de FTP. Le colonel d’Osia, dont les opinions d’extrême droite sont notoires, intègrent d’importantes unités FTP à la Division alpine sans coup férir. Il est vrai que dans ses Mémoires, il les considère avec mépris, ne leur reconnaissant aucune valeur militaire134. Son souvenir le plus indulgent et le plus pittoresque concerne le régiment du Rhône issu majoritairement des FTP et intégré en septembre à la Division alpine :
« Le régiment du Rhône était commandé par le “colonel Brun135”, ouvrier peintre de son état, communiste notoire. Les unités subordonnées se présentaient bien, les cadres ayant apparemment de l’autorité et du commandement, mais semble-t-il, une culture militaire nulle […] Je fis remarquer au “colonel” que son régiment n’en était pas un, tout au plus un bataillon. “Exact, dit celui-ci, c’est donc le bataillon du Rhône”. Et séance tenante, il fit sauter son cinquième galon, n’en gardant que quatre […] Ponctuel dans les travaux qui lui étaient demandé, [ce bataillon] était discipliné, ses hommes bien tenus en main […] J’eus l’idée de le transformer en groupe de DCA, solution, qui, en l’état actuel, paraissait la moins grevée d’inconvénients. Elle fut acceptée d’emblée par Brun et son entourage ; la perspective technique enchantait les hommes, dont beaucoup étaient ouvriers d’usine […] J’avais obtenu que le lieutenant-colonel Levrat, un spécialiste, soit mis à ma disposition. “Et moi, interrogea Brun, qu’est-ce que je deviens dans tout cela ? Vous serez son adjoint pour toutes les questions autres que le commandement et l’instruction. – En somme, capitaine adjoint – Exactement. – Et je reste à m’occuper de mes hommes ? – Oui – Entendu.” Sans ajouter autre chose, devant moi, pour la deuxième fois, Brun faisait sauter un galon de sa manche pour n’en conserver que trois… qu’il garda […] Le colonel Levrat, bien souvent, s’arracha les cheveux, sans arriver jamais, en raison du faible niveau des cadres, à un résultat très satisfaisant. Mais jusqu’à la fin, les hommes, continuant par ailleurs à jouer les utilités, se montrèrent plein de bonne volonté136. »
99À l’inverse, le général de Segonzac, s’il désigne explicitement le communisme comme un danger majeur, reconnaît la valeur militaire des communistes, en particulier de Rol-Tanguy, « intelligent, équilibré, honnête », et de Fabien, « authentique homme de guerre137 ».
100On constate donc que l’amalgame a été une question clivante au sein du corps des officiers et que le clivage fondamental pour reconstruire l’armée n’a pas été l’opposition entre de Gaulle et le PCF, entre le COMAC et le haut commandement, mais l’antagonisme entre la dynamique FFI, avec ses références révolutionnaires et ses aspirations à l’armée nouvelles, et le poids de l’institution militaire avec ses principes d’organisation, son pragmatisme et ses traditions. Vu sous cet angle, les divergences entre officiers résultent avant tout d’une expérience personnelle qui transcende les facteurs politiques et idéologiques. Ceci est particulièrement net pour les officiers passés par la Résistance et ayant intégré les FFI. Il faut cependant se garder de systématiser. Si le projet de fondation d’une armée nationale populaire a été assez rapidement neutralisé par le gouvernement, sans que le PCF semble d’ailleurs s’y être farouchement opposé, l’hybridation entre les choix centralisateurs initiaux du gouvernement et les initiatives décentralisées prises en province caractérise le règlement de la question FFI et leur intégration, selon des voies variées, dans l’institution militaire. Cette réalité nuancée est ainsi résumée par Stéphane Weiss :
« La simplification consistant à opposer sur un mode binaire, les FFI à l’armée, comme si chaque pôle avait représenté un corps social homogène et unanime, n’aide pas à percevoir les multiples nuances d’une époque mouvante […] Il convient d’insister sur la diversité des acteurs qui ont porté des projets et des organisations militaires au sein de la métropole libérée. Aucun parti, aucune obédience politique, aucun échelon décisionnaire n’en a eu l’exclusivité. Au contraire, des passerelles ont été établies, des vues se sont hybridées, des énergies se sont conjuguées. Sans renier leurs propres orientations politiques, ces acteurs ont su passer des initiatives locales ou partisanes à une démarche globale, tantôt de bon gré, tantôt par défaut138. »
101Toutefois, par la suite, une fois le moment venu de tirer le bilan de l’amalgame, les jugements rétrospectifs révéleront la persistance des clivages.
102Au total, 57 000 FFI ont rejoint la 1re Armée en unités constituées, dont 20 000 pour le seul front des Alpes. 30 000 engagés volontaires individuels, mais issus des FFI, se sont également engagés, auxquels s’ajoutent 27 000 hommes envoyés par les centres d’instruction FFI des régions militaires. Mais l’amalgame conçu par de Lattre a un caractère transitoire, car si la plupart des cadres FFI voient leur grade homologué, la majorité d’entre eux sont ensuite versés dans la réserve. Seuls 3 000 à 4 000 pourront poursuivre après la guerre une carrière militaire. Pour les régiments FFI relevant des régions militaires, les pénuries, en particulier le sous-équipement, l’attribution de missions de second ordre ou le désœuvrement provoquent une baisse du moral qui vers la fin de la guerre évolue en amertume, un sentiment également perceptible dans les unités FFI du Front Atlantique. Ce sentiment de gâchis se traduit par une forte aspiration au retour à la vie civile et il est même accru chez les officiers quand, au cours du premier semestre 1945, la plupart des chefs d’unités FFI qui ne sont pas des officiers d’active perdent leur commandement. Leurs chefs, qui pour la plupart sont des officiers de carrière, peuvent déplorer cette marginalisation qui, selon eux, prive l’armée de cadres de valeur et suscite une rancœur qu’ils jugent politiquement dangereuse.
103Ainsi, le colonel Raymond, commandant le 6e régiment d’infanterie sur le front de La Rochelle, écrit au haut commandement :
« [La question de l’intégration des cadres FFI] est une de celles dont les conséquences peuvent être les plus graves pour la reconstitution de l’Armée […] [Elle] disposait […] de la possibilité immense d’intégrer dans son sein des chefs jeunes, ardents, dévoués, possédant l’idéal qui avait souvent, depuis l’armistice de 1918, déserté la conscience de trop de ses membres, dangereusement embourgeoisés par une tradition cristallisante. Elle n’en a rien fait, refusant toute générosité, marchandant même les galons acquis au prix de sacrifices totaux, n’accordant pas sa confiance aux chefs de corps, seuls aptes à porter un jugement sain sur leurs officiers, et donnant aux cadres l’impression qu’en dehors de certaines promotions exceptionnelles, les décisions d’intégration se sont basées sur le hasard, plus que sur le mérite […] Plusieurs de ces officiers, qui auraient accepté avec joie de continuer à servir, n’ont plus désormais qu’un but : se faire démobiliser, et il est à craindre qu’ils ne passent […] dans le clan opposé à une armée qui les a rejeté de son sein. »
104Le colonel Redon porte une critique encore plus radicale contre le haut commandement, mettant en cause les structures mentales du corps des officiers, chefs compris, marqué par un conservatisme, que la passivité des uns au temps de l’occupation a fortifié et que l’éloignement des autres dans l’Empire ou en Angleterre a maintenu en raison de leur méconnaissance des réalités de la métropole et des exigences de la clandestinité. L’analyse du futur général Redon, qui fera par la suite une belle carrière militaire, mérite d’être largement citée, car elle donne un bon aperçu de la distance qui s’est creusée entre une bonne partie des officiers de carrière engagés tôt dans la Résistance et passés par les FFI et ceux restés dans l’armée régulière ou l’ayant réintégrée au moment de la Libération :
« Il eut fallu […] que les grands chefs de cette armée qui venait de moissonner des lauriers […] aient plus de connaissance des problèmes de l’intérieur de la France. Deux ans de séparation totale, plus pour certains, ont été suffisants pour créer aux exilés un tempérament d’émigrés. Et, après avoir prôné l’insurrection nationale, fallait-il s’étonner de trouver un caractère de révoltés à ceux qui avaient secoué le joug d’une oppression tyrannique ? Fallait-il les considérer comme de dangereux anarchistes révolutionnaires ? Non, les FFI n’étaient pas des anarchistes, pas plus que leurs chefs : mais il fallait savoir les prendre. L’historique sommaire du groupement mobile des FFI du Sud-Ouest est un exemple marquant de l’incompréhension émanant des généraux et officiers de l’armée d’Afrique à l’égard du problème FFI en général […] Le temps aurait fait le reste, c’est-à-dire cet amalgame qui n’aurait pu donner qu’une armée, l’armée française rénovée ! Aussi peut-on regretter une fois de plus, qu’il ne se soit pas trouvé au temps de la clandestinité et du maquis, des colonels, des généraux encore jeunes qui aient su galvaniser les énergies autour d’eux. À défaut de ces chefs, d’autres plus jeunes s’étaient chargés des responsabilités, parfois lourdes : ils réussirent cependant dans leur tâche. On les pria ensuite de rentrer dans le rang et de céder la place aux anciens. L’ordre de l’annuaire n’était pas aboli : il fallait y songer139. »
105Par la suite, Redon restera fidèle à la mémoire FFI puisqu’il écrira dans ses Mémoires, en guise d’épilogue sur le récit de son commandement de la division légère de Toulouse depuis sa création jusqu’à sa dissolution :
« Toulouse aura montré, une fois de plus, que ses fils étaient parmi les meilleurs en dépit de la tradition d’hérésie révolutionnaire qu’on lui prête généreusement dans les tristes provinces où le soleil n’a pas l’éclat de celui du Sud-Ouest140. »
106Si ce type d’analyse reflète une sensibilité, voire une conviction, répandue chez les officiers de carrière ayant encadré les FFI, elle ne fait pas l’unanimité parmi eux. Le général Laffargue, devenu Inspecteur général de l’Infanterie, porte un jugement sévère et catégorique sur les troupes FFI. Dans un rapport daté du 19 mai 1945, il écrit :
« L’infanterie française actuelle est, à l’exception des corps venus d’Afrique, une infanterie de circonstance […] L’obligation de tirer parti des bandes hétérogènes mise sur pied […] a conduit à la formation d’un nombre important […] de semble-régiments encadrés par une majorité de semble-officiers […] L’enrégimentement de ces bandes a peut-être contribué à résoudre partiellement un problème d’ordre intérieur […], mais il a été néfaste à l’effort de guerre. Jamais faillite plus complète que celle du système FFI n’aura été enregistrée dans l’histoire militaire et guerrière de la France […] Ces régiments, qui n’ont pas d’histoire faute d’avoir été capables de paraître sur les lieux où s’écrit l’Histoire, sont hélas […] dans trop de cas des régiments avec “histoires”. La plupart traînent après eux une séquelle de combinaisons politiques, de calculs, d’appétits, et, pour tout dire d’indiscipline […] Trop de nos formations sont imprégnées de bacilles et de virus. En pareil cas, qu’il s’agisse de taudis ou d’unités, on doit rebâtir par triage, amalgame, fusion et décantation de ce qui existe et par apport d’éléments nouvellement appelés n’ayant pas subi la contamination des bandes et des pseudo-cadres de 1944141. »
107Cette hostilité et ce mépris à l’encontre des FFI, qui ne vise d’ailleurs pas particulièrement les communistes, s’inscrivent dans la continuité logique des critiques sans nuance qui visaient l’AS dans le rapport que Laffargue avait rédigé sur la résistance dans les Alpes, alors qu’il commandait l’ORA dans cette région.
108Il est certain que l’expérience combattante joue un rôle décisif dans l’appréciation portée sur la Résistance, sur les FFI et sur les communistes par les officiers à l’issue de la guerre et longtemps après. Au vu des cas considérés, deux mécanismes semblent avoir particulièrement joué : d’abord, plus l’expérience vécue a marqué une rupture avec l’expérience passée, plus la part émotionnelle a été forte, et plus l’empreinte de la période résistante a été profonde et durable ; ensuite, l’esprit de corps joue par-delà les appartenances aux différents mouvements résistants, communistes compris. Ainsi, lors des obsèques d’Henri Hutinet à Beauvezer, les officiers de l’ORA et de l’AS sont présents avec les FTP. Un témoin rapporte le sentiment de communion qui s’exprime au cours de la cérémonie :
« Il est difficile d’expliquer le courant extraordinaire qui passe entre les FTP et l’AS. Cette dernière a voulu faire une garde d’honneur autour des cercueils, et avec leurs camarades FTP, c’est un long et silencieux “garde à vous”142. »
109C’est le commandant Lécuyer, alias Sapin, chef de l’ORA, qui prononce l’éloge funèbre et, quarante ans plus tard, il confiait avec émotion : « Le cercueil était mal fermé ; tandis que je parlais, je le voyais encore. » Quelques jours plus tard, le capitaine Gérard Pierre-Rose, alias Manfred, issu de Saint-Maixent et cadre de l’AS-ORA, écrivait en souvenir d’Hutinet :
« Profondément convaincu du rôle social de l’officier, […] il était prêt à jouer son rôle dans la crise actuelle à l’extrême pointe des idées et de l’action […] Au-delà de la victoire, Jean-Louis caressait un idéal à lui d’une France nouvelle qui aurait brisé sa chrysalide de traditions désuètes pour prendre place avec son génie propre dans un monde que le progrès de la technique venait de précipiter dans une ère nouvelle […] [Henri] était l’image du chef à qui les jeunes de France, dans leur élan vers le renouveau, se livrent sans partage et avec foi. »
110L’expérience concentrationnaire laisse également son empreinte. Dans ses Mémoires, le commandant Hélie de Saint-Marc écrit :
« J’ai vraiment fait connaissance avec le communisme en camp de concentration, non pas d’une manière intellectuelle, idéologique, mais physiquement. Je l’ai éprouvé, comme une solidarité très forte. Certains des militants que j’ai côtoyés étaient intègres, portés par un idéal de fraternité et de justice sociale. Ils étaient estimables. Avec eux, j’ai appris à faire une différence entre les hommes et les idées143. »
111À propos du général Pfister, dont l’épouse, rescapée de Ravensbrück, avait gardé longtemps après la guerre des relations avec des déportées communistes, son petit-fils rapporte : « Je ne me souviens pas avoir entendu de propos anticommunistes sous le toit de mes grands-parents, ni pendant les réunions familiales, ni au cours des discussions entre eux et leurs amis de la Résistance144. » Le souvenir de la déportation peut influer différemment : Jean de Montangon, cadre parisien de l’ORA arrêté le 3 juin 1944, porte dans ses Mémoires un jugement très négatif sur l’organisation clandestine des communistes de Buchenwald et il rapporte que lorsqu’il rencontra les troupes américaines, il se déclara citoyen syrien, car il craignait que les communistes aient pris le pouvoir en France. Son témoignage comporte toutefois une part d’ambivalence, puisqu’il mentionne qu’en avril 1945, un communiste français lui a sauvé la vie lors de la « marche de la mort » des déportés de Buchenwald145. L’impact décisif de l’expérience personnelle marque également les militaires français en URSS, mais avec moins d’intensité que l’année précédente en raison de la lassitude et d’une moindre cohésion. Cette dégradation relative est aussi partiellement liée aux limites dans lesquelles évoluent les relations franco-soviétiques.
Les relations franco-soviétiques à l’épreuve de la victoire
112Dans les mois qui suivent le débarquement en Normandie, l’attitude de Moscou reste plutôt rassurante vis-à-vis des alliés, exprimant une volonté de stabilisation tous azimuts, tant sur la scène internationale que dans la situation intérieure des États occidentaux, et tout particulièrement en France. Georges-Henri Soutou relève qu’au cours de cette période, les relations franco-soviétiques se réchauffent146. Toutefois, cette amélioration reste très relative et ne marque pas un tournant. Les facteurs de continuité l’emportent donc, y compris lorsque le volontarisme de de Gaulle permet d’engager les négociations en vue d’un traité franco-soviétique et d’aboutir à sa conclusion. Le processus se déroule d’ailleurs dans une ambiance tendue révélatrice des motivations divergentes des deux partenaires et du caractère foncièrement dissymétrique de la relation franco-soviétique.
La France, un partenaire fragile
113La question des relations entre la France et l’URSS est à cette époque très liée à la perspective d’une grande conférence entre les trois Grands à laquelle de Gaulle ne semble pas devoir être invité. Ce dernier espère qu’un rapprochement avec les Soviétiques permettrait de faciliter son invitation à la conférence. Cette préoccupation, qui s’ajoute à quelques autres, montre que de Gaulle continue de percevoir le facteur soviétique comme un atout potentiel pour réintégrer la France dans le jeu des puissances et participer pleinement à la définition d’un nouvel ordre européen pour l’après-guerre. Mais les Français surestiment l’importance que Staline leur accorde. Roger Garreau alimente cette impression en multipliant les notes qui rapportent les signes de l’intérêt croissant du Kremlin : place éminente accordée à la libération de la France et à l’action de ses forces armées dans la presse soviétique147 ; grande cordialité des dirigeants soviétiques à son égard148. Au cours de l’été, Garreau estime que les dirigeants soviétiques sont bien disposés vis-à-vis du gouvernement français, mais qu’ils attendent une amélioration des relations entre Paris et les Anglo-Saxons et leur reconnaissance du GPRF pour sortir de leur réserve et jouer franchement le jeu du rapprochement avec la France149. À la fin de l’été et au début de l’automne, Garreau estime que la direction soviétique reste dans l’expectative en raison des incertitudes de la situation intérieure et extérieure française, mais que « des conditions nouvelles existent pour une amélioration des relations franco-soviétiques150 ».
114Le relatif optimisme de Garreau n’est pas vraiment partagé par René Massigli et Pierre Cot. Le premier, à la suite de ces rencontres avec Bogomolov, remarque les meilleures dispositions des Soviétiques envers la France, mais il estime surtout qu’à leurs yeux, elle n’est plus désormais qu’une puissance de seconde zone que les trois Grands ne doivent pas associer au règlement des problèmes essentiels de la fin de la guerre et de l’après-guerre151. Pierre Cot, de retour de Moscou, relève lui aussi l’ambivalence de l’attitude soviétique et ne considère pas que la libération de la France provoque un tournant progressif de la politique française de Moscou. Il estime au contraire que la position française reste fragile aux yeux des dirigeants soviétiques, car la France ne constitue pour eux qu’un enjeu limité qui se réduit principalement à éviter qu’elle ne s’aligne sur les Anglo-Saxons pour former un bloc antisoviétique152 ; en outre, selon lui, l’attitude du GPRF vis-à-vis du gouvernement soviétique manque de crédibilité. Pierre Cot critique en effet sévèrement « la diplomatie française [qui] traite le gouvernement soviétique avec désinvolture […], [avec] une sorte de légèreté dans les actes et surtout dans les discours gouvernementaux153. » Il y voit, non pas les effets de l’orientation suivie par Massigli, mais la conséquence d’une attitude générale qui affaiblit la position française auprès des alliés :
« Nous ne voyons pas l’Union soviétique telle qu’elle est et surtout telle qu’elle devient […] J’ai été frappé de trouver en URSS des jugements d’ensemble assez voisins de ceux qui sont portés aux États-Unis sur notre politique. Nous avons toujours passé aux yeux du monde pour un peuple intelligent mais léger, raisonneur mais superficiel, logique mais statique154. »
115Enfin, Cot donne un avertissement aux dirigeants français : « Nous nous tromperions lourdement si nous pensions que l’Union soviétique a besoin de nous pour équilibrer la force allemande », car elle est devenue assez puissante pour garantir seule sa sécurité en Europe155. Rétrospectivement, son analyse ne manque pas de pertinence, en particulier sur le déficit d’engagement des Français vis-à-vis de Moscou que les faiblesses persistantes de leur représentation en URSS mettent particulièrement en évidence.
116Comparée à la représentation diplomatique française à Londres et Washington, celle de Moscou reste modeste : Garreau conserve le titre de simple délégué disposant d’un personnel très réduit, alors qu’aux États-Unis le représentant français à le titre de commissaire d’État en mission et en Angleterre le titre d’ambassadeur, tous deux étant bien dotés en personnel. Quant à la MMF, si son chef a le rang de général, il ne dispose pour le seconder que d’une demi-douzaine d’officiers. Lorsque Pierre Cot est envoyé à Moscou, il part seul et ne disposera d’aucun secrétaire tout au long de sa mission. Ce manque de moyens est défavorablement perçu par les Soviétiques, même si dans l’ensemble la représentation française semble mieux fonctionner que dans la période précédente. À l’issue de sa mission, Cot rédige un compte rendu qui est le document de synthèse le plus complet sur la délégation et la MMF en URSS pendant la guerre.
117Il estime que les relations entre la délégation et la MMF se sont bien améliorées et que l’entente entre Français est bien meilleure à Moscou qu’à Londres ou à Washington. Il précise à ce sujet :
« De toutes les colonies françaises que j’ai pues connaître, en Europe, dans le Proche-Orient et dans les deux Amériques, celle de Moscou est la plus unie, la plus fidèle au gouvernement […] Tous se sont mis à la disposition des autorités françaises et travaillent de leur mieux pour faire connaître, aimer et estimer notre pays156. »
118Le témoignage d’Eugène Kurtz, qui rapporte la bonne ambiance qu’il a connue lors de son passage à la MMF début 1945, corrobore le jugement de Pierre Cot157.
119Cot considère que le personnel en poste est à la hauteur de sa tâche et il porte un jugement positif sur Garreau et plus encore sur Petit. Du premier, il estime que « s’il n’est pas sans défauts, il ne mérite pas les reproches qui lui sont généralement adressés ». « Intelligent » et « dévoué », parlant le russe, il est apprécié des Soviétiques, mais son acrimonie envers les Anglo-Saxons affaiblit sa position. Pour améliorer le travail de la délégation, Cot formule quelques recommandations :
« Il serait excellent que le ministre des Affaires étrangères témoigne à M. Garreau et à son personnel sa satisfaction. On n’apprécie pas comme il convient le dévouement de ces gens qui, pendant plusieurs années, on eut froid, on eut faim, et ont encore l’impression d’être isolés de leur pays et d’être traités sans considération par le Département. »
120Cot conseille de renforcer le personnel diplomatique, de donner à Garreau le titre d’ambassadeur, de lui fournir une note mensuelle sur la situation française et en retour de le consulter sur la politique soviétique, en attendant de le remplacer par un ambassadeur « ayant plus d’étoffe158 ». L’avis de Cot sur la MMF est plus élogieux :
« [Le général Petit est] un excellent homme qui a su gagner la confiance des autorités militaires soviétiques. Il tient parfaitement son emploi et son rang. Il a fort bien réussi dans tous les milieux. Sous des dehors un peu simples, c’est un homme très fin et de jugement. Il y aurait intérêt à suivre ses avis – ce qu’on fait rarement – quand il s’agit des relations militaires franco-soviétiques. »
121Il recommande de lui adjoindre deux officiers pour étudier les méthodes de l’Armée rouge159 et « de le féliciter pour sa réussite exceptionnelle et le remercier des services rendus. » Toutefois, de façon sibylline, Cot rajoute qu’il faut « lui rappeler que le pouvoir militaire est subordonné au gouvernement ». Au terme de sa mission, Pierre Cot souligne surtout les faiblesses de la représentation française, dues surtout à un appui insuffisant du gouvernement français, tant en termes de moyens que d’intérêt politique. Curieusement, l’ancien ministre de l’Air n’évoque à aucun moment les difficultés du régiment Normandie dont la situation demeure pourtant problématique, à la fois parce que les difficultés structurelles perdurent, mais également pour des raisons nouvelles plus difficiles à cerner.
Grandeur et usure du régiment Normandie-Niemen
122Le 21 juillet 1944, sur décision du haut commandement soviétique, l’unité aérienne prend le nom de Régiment de chasse Normandie-Niemen, mais cette gratification en reconnaissance des succès remportés lors de la bataille du Niemen n’atténue pas ses difficultés. Au cours de l’été, les polémiques sur l’envoi de renforts en URSS rebondissent à propos de la qualité des pilotes sélectionnés pour le front russe. Le 1er juin, Bouscat écrit à Fernand Grenier : « Certains bruits, dont l’origine est certainement en Russie, tendraient à laisser entendre que les pilotes affectés [en Russie] seraient de valeur militaire et technique médiocre. » Le général affirme qu’il s’agit de mensonges, car ces pilotes ont la même formation que les autres et qu’ils sont tous volontaires160. Grenier lui adresse une réponse empreinte de diplomatie puisqu’après avoir affirmé qu’il n’avait jamais été informé des « bruits » évoqués, il admet que les pilotes affectés en Russie sont correctement sélectionnés, mais il suggère de panacher les prochains envois en y incorporant de jeunes pilotes encadrés par des officiers et des sous-officiers chevronnés161. Or, Petit connaît par l’intermédiaire de Pouyade le contenu de la lettre que Bouscat a envoyé à Grenier et il décide d’envoyer un télégramme au chef de l’EMGA pour démentir ses affirmations, lui portant ainsi « un coup assez dur162 ». Petit se sent à ce moment-là conforté parce qu’il vient de recevoir une lettre de Béthouart qui « semble disposer à [l’] aider ». En conséquence, le 23 juin, il adresse un télégramme à l’EMDN pour l’avertir que la valeur moyenne des pilotes qui arriveront prochainement en Russie est médiocre et qu’il convient donc de renforcer sensiblement l’encadrement163. Deux jours plus tard, Béthouard apporte effectivement son appui à la demande de Petit, car il écrit au commissariat Air pour l’informer que le général de Gaulle veut que la nouvelle unité soit correctement encadrée et que satisfaction soit donnée aux demandes de Petit164. Cette mise au point est sans effet pratique immédiat, alors que le régiment entre dans une nouvelle période de difficultés.
123Après les combats du printemps, l’unité a été retirée du front et la longue inactivité qui suit favorise l’éclatement d’une grave crise. Le 13 septembre, le commandant Pouyade adresse un message alarmiste au haut commandement Air pour l’informer que le moral des pilotes est « très mauvais » et qu’il estime que la seule alternative est, soit le renvoi du régiment sur le front, soit son retour en France. Si aucune de ces deux solutions n’est acceptée, il demande à être relevé de son commandement165. En octobre, le régiment est renvoyé sur le front de Prusse orientale, mais l’état de santé médiocre d’une bonne partie du personnel exige l’organisation d’une relève, surtout pour ceux qui sont en URSS depuis près de deux ans166. Le problème du moral est également posé avec acrimonie : manque de courrier et de liaisons avec la France, d’où l’impression « qu’on nous laisse royalement tomber ». En conséquence, Pouyade écrit au haut commandement : « Il ne faut pas que puisse persister cette impression que nous avons tous, que, parce que nous sommes loin, nous ne sommes pas intéressants. » En novembre, la crise atteint un tel degré de gravité que, selon le témoignage de Roger Penverne, l’aspiration la plus forte des pilotes est d’être rapatriés en France : « Un seul cri retentit toujours : “La quille”. Le général Petit cristallise alors le mécontentement, car « ce général […] voudrait qu’on continue la guerre ici cet hiver » et ils lui écrivent « pour l’engueuler167 ». À la fin du mois, Pouyade part pour Paris, laissant le commandement de l’unité au commandant Delfino.
124Au cours de cette période, les relations entre le chef du régiment et Petit se dégradent sensiblement et il semble que la crise du moral affecte la cohésion de l’unité. Albert Lebras, arrivé en URSS en janvier 1944, retourne en France en décembre suite à sa demande, mais également pour raison disciplinaire selon un rapport rédigé par Delfino168. L’envoi de ce rapport à Paris est accompagné d’un avis du général Petit qui précise qu’il a refusé la sanction de Lebras, un excellent élément selon lui, et qui critique frontalement le commandement du régiment. Rappelant qu’en octobre, l’EMGA décidait, à la demande du commandement soviétique, le retour de Delfino à Alger, tout en le maintenant provisoirement en URSS, Petit écrit :
« Quant à l’attitude et aux critiques portant préjudice à la discipline, elles sont beaucoup plus le fait de quelques officiers (qu’a signalé le commandement soviétique) que le fait de subordonnés tels que Lebras […], [le relâchement de la discipline et l’affaissement du moral étant] dus en grande partie au laisser-aller général du chef de l’unité169. »
125À l’issue des combats de la fin de l’année 1944, Petit poursuit ses critiques : « Les brillants succès de Normandie en octobre ont été en partie sanctionnés par l’avancement accordé à son chef, bien que celui-ci se soit révélé inférieur à sa tâche. » À l’inverse, il réclame des récompenses pour les pilotes, en particulier pour Jacques André qu’il souhaite voir accéder au grade de sous-lieutenant170. La gravité de ces péripéties révélées par les archives doit être relativisée. D’abord, elles relèvent de problèmes antérieurs, puisque le haut commandement soviétique a exprimé déjà son mécontentement à l’encontre du lieutenant-colonel Pouyade, lui reprochant de ne pas maintenir la discipline et d’avoir mal assuré le commandement tactique du régiment en octobre 1944171. Ces accusations ne sont d’ailleurs pas étrangères au retour de Pouyade en France. Ensuite, les relations entre Petit et Delfino se normalisent puisqu’au printemps, le chef de la mission fait l’éloge de son subordonné et qu’aux lendemains de la guerre, les deux hommes resteront en bons termes, se rencontrant à plusieurs reprises une fois revenus à Paris172.
126La situation s’améliore au début de 1945, mais on ne peut toutefois conclure à une normalisation complète, car, si en février Delfino signale un état sanitaire et moral globalement satisfaisant, les nuances de son rapport relativisent sensiblement cette appréciation d’ensemble173 : l’absence de renforts malgré les multiples réclamations oblige à réduire le régiment à deux escadrilles au lieu de trois ; les pilotes affectés en Russie depuis plus de trois ans n’ont toujours pas été rapatriés malgré les promesses qui leur ont été faites ; alors que le régiment et ses pilotes ont reçu plusieurs distinctions soviétiques, aucune promotion ou récompense n’a été annoncée par l’EMGAA. Il est vrai qu’au moment où ce rapport est rédigé 13 pilotes quittent la France pour l’URSS et que l’annonce de promotions avec effet rétroactif parvient à Moscou. Il n’en demeure pas moins que ce document exprime une nouvelle fois le sentiment d’abandon des hommes du régiment, d’autant plus vif que la libération de la France n’avait pu que susciter l’attente de meilleures liaisons avec le haut commandement et une meilleure prise en compte des intérêts et des besoins de l’unité.
127La persistance de ces difficultés chroniques n’empêche pas le commandement soviétique, la MMF et l’EMGAA de relancer dans les premiers mois de 1945 le projet de formation d’une division aérienne française. En mars, les discussions portent sur l’attribution de son commandement à Pouyade, proposé par l’EMGAA avec l’accord du général Juin, son retour en URSS étant d’ores et déjà prévu. Le haut commandement de l’Armée rouge n’y est pas favorable et Petit, qui estime cette position justifiée, penche implicitement pour l’attribution du poste à Delfino174. Le 19 mars, le nouvel ambassadeur de France, le général Catroux, est reçu au Kremlin et aborde, sur instruction de Paris, la question de la nomination de Pouyade à la tête de la division. Staline répond qu’il n’est pas opposé à son retour et à sa prise de commandement. Après l’entretien, le général Slavine, de l’état-major général de l’Armée rouge, déclare à Catroux qu’il faudra tenir Pouyade « fortement en main175 ». Il est toutefois douteux que les différents protagonistes de cette nouvelle tentative de formation d’une division française aient cru à sa réussite. Le 20 mars, Delfino n’avait-il pas déclaré à Petit que la création de la division était devenue inutile, la fin de la guerre étant désormais très proche176 ?
128Lorsque la guerre s’achève en Europe, il est incontestable que la signature du traité franco-soviétique quelques mois auparavant est restée sans effet notable sur les relations militaires franco-soviétiques. Ce constat peut être élargi à l’ensemble des relations entre la France et l’URSS, alors que cet événement diplomatique semble en apparence couronner quatre années de rapprochements fluctuants et compliqués entre les gaullistes et les Soviétiques.
Le traité franco-soviétique en perspective
129Sur le plan international, les priorités fixées par de Gaulle au cours de l’automne 1944 sont d’assurer la sécurité de la France face à l’Allemagne dans l’Europe de l’après-guerre. À cette fin, il veut que la frontière soit fixée sur le Rhin et que la Ruhr relève d’un statut international stricto sensu. Mais ces perspectives sont vite brouillées, car en novembre Churchill rejette les projets de de Gaulle. Il est probable que ce refus rend encore plus urgent pour le dirigeant français un accord avec les Soviétiques. Kira Zoueva estime que
« dès avant ses pourparlers avec Staline, le général avait probablement résolu en lui-même d’orienter prioritairement la politique extérieure de la France vers l’URSS, si les dirigeants soviétiques donnaient leur assentiment aux plan français pour la Rhénanie et la Ruhr177 ».
130Mais, tout comme Londres, le Kremlin n’est pas favorable aux revendications françaises, non seulement parce que les Anglo-Saxons y sont opposés, mais parce qu’à plus long terme il ne veut pas se prêter au retour en force d’une France « impérialiste » sur le continent européen, une hypothèse envisagée compte tenu des incertitudes de la situation intérieure française et du rôle majeur de de Gaulle dont ils se méfient178. C’est donc la dissymétrie des intérêts et des objectifs qui caractérisent la phase préparatoire puis les négociations ultimes qui conduisent à la signature du pacte franco-soviétique.
131L’éventualité d’un tel traité tourné contre l’Allemagne est bien antérieure à l’automne 1944 et elle fait partie des hypothèses qui circulent dans les milieux diplomatiques dès le printemps précédent. Ainsi, la mission de Pierre Cot en URSS est interprétée par la presse étrangère comme l’ouverture de négociations pour un nouveau pacte. Il est vrai qu’en juillet, Massigli et Bogomolov évoquent de concert cette perspective, car l’amélioration des relations franco-américaines permet de resserrer les liens entre Moscou et le GPRF179. Mais le contexte général n’y est pas encore favorable compte tenu des tensions entre Soviétiques et Anglo-Saxons au cours de l’été 1944 : Moscou critique les efforts insuffisants des alliés en France et en Méditerranée, les soupçonnant de « machiavélisme180 » et Soviétiques et Anglo-Saxons se soupçonnent mutuellement à cette époque de négocier une paix séparée avec l’Allemagne181. Puis, à partir de la fin de l’été, à la suite des victoires alliées en France, les relations entre alliés s’améliorent et la perspective d’une conférence interalliée rend urgent pour de Gaulle un rapprochement franco-soviétique que Moscou semble alors envisager favorablement182. Cette perspective est immédiatement associée à une visite de de Gaulle en URSS, un projet envisagé dès 1942, puis réactivé début 1944 lors de conversation entre Garreau et Dekanozov, commissaire adjoint aux Affaires étrangères. La mission Cot, tout au moins dans sa première mouture, est probablement destinée à préparer le terrain à des négociations franco-soviétiques, dont le principe est discuté entre Massigli et Bogomolov dès le 9 juillet 1944183. Puis, à partir d’octobre, le processus s’accélère : le 13 octobre, Bogomolov rencontre de Gaulle et lui annonce que le gouvernement soviétique est prêt à le recevoir ; dix jours plus tard, les alliés reconnaissent le GPRF et, le 8 novembre, de Gaulle déclare à Bogomolov qu’il souhaite se rendre à Moscou pour discuter des relations entre les deux pays et très rapidement, à peine cinq jours plus tard, Molotov envoie l’invitation officielle.
132Si l’empressement des Français à négocier avec Moscou s’explique par la volonté d’affirmer son statut d’acteur diplomatique et l’espoir d’obtenir l’appui soviétique dans la conférence interalliée qui s’annonce, sur le long terme c’est toujours la question allemande qui reste le fil directeur de la politique soviétique de de Gaulle. Alors que Staline entend asseoir la sécurité de l’URSS de l’après-guerre par la négociation/confrontation avec les Anglo-Saxons pour définir un ordre international durable, de Gaulle a une conception de la sécurité en Europe qui suppose la combinaison de trois composantes interdépendantes et hiérarchisée : comme socle, le pacte franco-soviétique ; en complément, les traités anglo-soviétique et franco-britannique et enfin la sécurité collective, associant les États-Unis, comme facteur de consolidation et de légitimation supplémentaire, permettant en même temps de contrebalancer la puissance soviétique.
133Dans ce schéma général, la priorité donnée à l’accord avec Moscou explique que, dans les négociations préalables à la signature du pacte, la diplomatie française cherche à renouer avec la grande tradition des accords bilatéraux entre la France et la Russie, tout en s’adaptant à la nouvelle configuration internationale issue de la guerre. Mais la diplomatie soviétique a une approche différente, car elle envisage ses relations avec la France dans le cadre d’un futur monde bipolaire, ce qui exclut des liens strictement bilatéraux, d’autant que Moscou garde un souvenir cuisant de l’échec des pactes d’avant-guerre. Pour l’ensemble de ces raisons, les Soviétiques considèrent que leurs relations avec la France et le Royaume Uni doivent être interdépendantes, ce qui implique de s’orienter vers un système d’accord à trois pour définir un nouvel ordre européen, tout en tenant compte du point de vue américain. Ces deux visions divergentes s’accompagnent de priorités stratégiques différentes : vers la fin de la guerre, toute comme dans les années 1930, Staline est surtout préoccupé par le rôle futur de la Pologne qu’il souhaite dirigée par un gouvernement à la fois amical vis-à-vis de l’URSS et hostile à l’Allemagne ; pour de Gaulle, c’est l’Allemagne qui reste le problème central à partir duquel la France doit fixer sa politique en Europe orientale.
134Dans cette optique, l’attitude de la direction soviétique face à la question allemande est suivie de près tout au long de l’été 1944184. Garreau rapporte régulièrement les rumeurs concernant la formation en URSS d’une armée allemande qui serait encadrée par les officiers du Comité Allemagne libre et de la Ligue des officiers allemands et qui faciliterait l’instauration en Allemagne d’un gouvernement prosoviétique une fois la guerre terminée. Mais, comme dans les mois passés, Garreau ne croit pas à l’existence de tels projets et, fin août, il rapporte que ses « excellents intermédiaires » n’ont aucune information à ce sujet et qu’ils ont même été très surpris de ces bruits185. Dans l’ensemble, les Français ne paraissent donc pas redouter la mise en place pour l’après-guerre d’un axe germano-soviétique, mais à l’inverse de Gaulle cherche à exploiter l’hypothèse d’une alliance franco-allemande comme conséquence de l’affaiblissement et de l’isolement de la France aux lendemains de la guerre. Le 4 octobre, Bogomolov rapporte que de Gaulle lui a déclaré crûment
« que pour la France la question de l’Allemagne est décisive et que le GPRF veut obtenir une alliance solide contre l’Allemagne, mais que si les puissances européennes se détournaient de la France, celle-ci trouverait une alliance avec l’Allemagne [car] il n’y a pas pour elle d’autre solution186 ».
135Il est peu probable que cette argumentation ait été prise au sérieux par les Soviétiques qui même s’ils répondent favorablement aux sollicitations françaises restent réservés sur le fond. Cette réserve ne peut qu’être entretenue par l’insatisfaction des Soviétiques dans leurs relations avec la France.
136Si la diplomatie française se préoccupe davantage de ne pas irriter Moscou, ses maladresses et le déficit de suivi dans les relations avec l’URSS persistent : le 31 août, Massigli demande au ministre de l’Information que la censure empêche la publication de cartes de l’Europe orientale montrant des frontières limitrophes de la Russie aux tracés contestés par Moscou187 ; mais simultanément, tout au long de l’automne, la préparation du voyage de de Gaulle et les négociations à propos du pacte se déroulent dans l’improvisation188, ce qui ne peut passer inaperçu des Soviétiques. Ainsi, il faut attendre le 23 novembre, à la veille du départ vers l’URSS, pour que Maurice Dejean, devenu directeur politique au Quai d’Orsay, rédige une note sur le projet d’accord franco-soviétique.
137Ce document, qui se réfère principalement à la convention franco-russe de 1892 et secondairement aux traités de 1932 et 1935, est d’une tonalité assez radicale puisqu’il prévoit l’automaticité de l’action militaire si l’un des deux contractants est attaqué par l’Allemagne. Mais le projet définitif remis aux Soviétiques le 3 décembre marque une inflexion qui élargit sensiblement les perspectives : la mention d’un futur « système international » réduit le caractère strictement bilatéral du traité entre les deux pays et la possibilité de compléter le pacte par des accords militaires et économiques trace la voie d’une coopération élargie entre Paris et Moscou189. Or, les Soviétiques ne veulent pas d’un traité aussi ambitieux, non seulement parce qu’ils ne considèrent pas la France comme un partenaire essentiel et qu’ils restent prudents dans le contexte de la fin de guerre, mais également parce que leur politique internationale s’inscrit déjà dans une logique bipolaire. Pour eux, la France est d’ores et déjà membre de fait du « bloc occidental » et la stabilisation de l’Europe, en particulier face à l’Allemagne, sera garantie par un accord tripartite URSS-Royaume-Uni-France.
138À l’issue d’âpres discussions, le traité d’assistance mutuelle signé le 10 décembre, reprend pour l’essentiel les positions soviétiques. Si les Français ont réussi à écarter la proposition de traité tripartite, qui avait pourtant reçu l’aval de Churchill, ils ont dû faire d’importantes concessions190, en premier lieu la reconnaissance implicite du comité de Lublin qui était resté le point le plus litigieux au cours des négociations. Pourtant cet accord est un succès pour de Gaulle, car
« le résultat le plus important de ce voyage fut en fait le retour de la France sur la scène internationale. Certes le chemin était encore long et difficile, mais à Moscou de Gaulle avait marqué les particularités de sa politique extérieure et fait entendre les revendications françaises191. »
139Ce résultat confirme le maintien de la proximité de Gaulle-Dejean sur la question soviétique et la politique orientale, alors que Massigli, ambassadeur à Londres, et Chauvel, secrétaire général du quai d’Orsay, ont été tenus à l’écart des négociations. Massigli, qui tient le traité pour un échec, écrit quelques semaines après sa signature : « Dans une Europe où l’influence soviétique dominera jusqu’à l’Oder, jusqu’à Vienne et jusqu’à Fiume, l’alliance anglaise, s’ajoutant à l’alliance soviétique, est la condition d’une réelle autonomie de la politique française192. »
140Mais, sur le fond, la rencontre entre de Gaulle et Staline et secondairement la signature du pacte suscitent une bonne part de déception. François Lévêque estime que
« quand Staline posa franchement la question de la Pologne à de Gaulle, il posa d’abord directement une question de sécurité pour l’URSS […] De Gaulle en répondant niet condamnait la France aux yeux de Staline qui savait disposer maintenant de moyens pour se passer de quiconque (Paris ou Berlin) pour satisfaire ses ambitions en Europe orientale193 ».
141Quant à de Gaulle, certaines de ses réactions montrent que sa découverte de l’URSS l’a défavorablement impressionné. À la fin de son séjour, il déclare à ses proches :
« Ce qui est certain, c’est que ce n’est pas la domination d’un parti, ou d’une classe, mais celle d’un seul homme. Ce n’est pas un régime populaire. Il est contre la nature de l’Homme […] Nous les avons pour cent ans sur les bras, c’est gens-là194. »
142Cette réaction à chaud résume la conception gaullienne achevée du système soviétique qu’il exprimera sous une forme plus élaborée, mais semblable sur le fond, dans les Mémoires de guerre :
« En sa personne et sur tous les sujets, j’eus l’impression d’avoir devant moi le champion rusé et implacable d’une Russie recrue de souffrance et de tyrannie, mais brûlant d’ambition nationale […] Sa chance fut qu’il ait trouvé un peuple à ce point vivant et patient que la pire servitude ne le paralysait pas, une terre pleine de telles ressources que les plus affreux gaspillages ne pouvaient pas les tarir […] Communiste habillé en maréchal, dictateur tapi dans sa ruse, conquérant à l’air bonhomme, il s’appliquait à donner le change. Mais, si âpre était sa passion qu’elle transparaissait souvent, non sans une sorte de charme ténébreux195. »
143Les Français constatent vite la portée limitée du pacte, car les Soviétiques n’infléchissent pas leur position quant à la place contingente qu’ils veulent réserver à la France sur la scène européenne et secondairement mondiale. Dans les premiers mois de 1945, de Gaulle joue pourtant le jeu du rapprochement avec Moscou en faisant nommer comme ambassadeur de France en URSS le général Catroux, personnage prestigieux, général d’Armée qui a déjà eu l’occasion de démontrer ses capacités de diplomates. Mais peu après son arrivée le 21 février 1945, Catroux prend conscience de l’intérêt très secondaire que la direction soviétique accorde à la France, sa rencontre avec Staline le 20 mars le confortant dans cette impression196. En mai, le Quai d’Orsay dresse d’ailleurs la liste des tracasseries provoquées par les Soviétiques sur le plan diplomatique : refus d’un visa pour l’attaché de l’Air ; entraves à l’envoi de représentants français en Europe orientale ; difficultés pour rapatrier les prisonniers et déportés français. Mais c’est surtout sur le plan politique à l’occasion de la conférence de Yalta, puis lors des négociations préparatoires aux conférences de San Francisco et de Potsdam, que Moscou montre son désintérêt pour le partenariat avec la France, tout particulièrement à propos de l’Allemagne au sujet de laquelle les Soviétiques ne soutiennent pas les propositions françaises.
144Selon Catroux, c’est en août que de Gaulle décide d’abandonner la voie de l’alliance avec l’URSS197. En effet, il faut alors se rendre à l’évidence que, face à l’Allemagne mais aussi aux Occidentaux, Staline a choisi d’édifier un glacis protecteur en Europe orientale qui implique une emprise politique, économique et militaire de l’URSS sur les États de la région. Ce choix impose également la partition de l’Allemagne, ce qui règle la question de la sécurité du continent face à la menace germanique. Le rapprochement de la France avec les États-Unis, déjà amorcé lors des préparatifs de la conférence de San Francisco avec l’accord de de Gaulle, est confirmé afin de les associer « à la sécurité du continent européen et établir, grâce à leur présence, les conditions d’un équilibre nécessaire des forces en Europe198. » À ce stade, il est évident qu’avec la fin des combats en Allemagne, l’URSS commence à être perçue comme une menace. Dès le 1er juin, le général Juin demande à la MMF des renseignements sur l’ordre de bataille de l’Armée rouge en Europe orientale199. À ce moment, se pose surtout la question de la démobilisation de l’armée soviétique. Le général Billotte, devenu gouverneur de Rhénanie et Hesse-Nassau, est convaincu que les Soviétiques ne démobilisent pas et, dans une note du 15 septembre, il prône un accord militaire secret avec les Britanniques et les Américains tourné contre l’URSS.
145De Gaulle s’interroge lui aussi à ce sujet, puisque le 4 août il questionne le général Petit, rentré quelques jours auparavant de Moscou, sur la réalité de la situation militaire soviétique200. Petit confirme que la démobilisation se poursuit, mais les semaines qui suivent montrent que de Gaulle s’est engagé dans la voie d’une nouvelle politique internationale : le 10 septembre, dans une interview au Sunday times, il relance le projet de Bloc occidental ; le 20 octobre, il nomme Billotte chef d’état-major adjoint de la Défense nationale et approuve son projet d’accord avec les Anglo-Saxons. Au moment où se précise la mise en place d’un système de défense de l’Europe occidentale intégrant des forces américaines, de Gaulle dit à son aide de camp, le capitaine Guy, à propos de l’attitude des Soviétiques : « Moralement nous ne leur devons plus rien […] L’hypothèque russe est donc définitivement levée. Ceci veut dire que je suis prêt, maintenant, à me lier aux Occidentaux201. » Cette déclaration ne relève pas seulement de préoccupations politiques puisque de Gaulle pense que dans un avenir assez lointain une guerre avec l’URSS est inévitable202. Ainsi, non seulement le chef de la France libre tourne la page de l’orientation qu’il avait initiée en décembre 1940, mais il rompt avec sa conception de la sécurité en Europe qui reposait depuis les années 1930 sur le pilier de l’alliance franco-russe afin de neutraliser la menace allemande.
146La nouvelle période qui commence suscite d’emblée dans l’armée française de nouvelle réflexion doctrinale afin de l’adapter au contexte stratégique de l’après-guerre qui fait de l’Armée rouge le nouvel adversaire. La redéfinition de l’ennemi qu’elle implique marque aussi un retour aux conceptualisations de l’avant-guerre sur l’ennemi intérieur mais selon de nouvelles tendances. Marie-Catherine Villatoux écrit à ce sujet :
« Dès l’automne 1944, la nomination de Charles Tillon par le général de Gaulle […] à la tête du ministère de l’Air jusqu’en novembre 1945, est vécue par un certain nombre d’officiers supérieurs, parmi lesquels le général Valin, comme une première étape vers une possible prise de pouvoir du PCF en France. Dans une note datée du 29 octobre 1945, Valin précise ainsi que Charles Tillon, dans son ministère, “a réussi à noyauter le personnel militaire et le personnel civil. Il a également réussi à recruter nombre de partisans dans le milieu ouvrier des usines d’aviation […] Des anciens FTP contrôlent des bases, stockent de l’essence et des armes et préparent les plates-formes nécessaires à l’atterrissage des avions”203. »
147Cette analyse, exprimée si ouvertement dans une note destinée au haut commandement, relève des prémices de la dynamique anticommuniste qui animera en profondeur l’institution militaire dans les décennies suivantes204.
Notes de bas de page
1 Cité par Mauriac Claude, Aimer de Gaulle, Paris, Grasset, 1978, p. 84.
2 « À propos des comportements dans l’Europe occupée. Table ronde », dans Laborie Pierre et Marcot François, Les Comportements collectifs en France et dans l’Europe allemande. Historiographie, normes, prismes, 1940-1945, PUR, 2015, p. 105.
3 AN, Bulletin de renseignement no 1007/D/BCRAL du 13 juin. À noter que de leur côté, les Allemands prennent alors conscience du « danger extraordinaire », selon l’expression utilisée plus tard par von Rundstedt, que représente l’action armée de la Résistance (Umbreit Hans, « Les Allemands face à la lutte armée », dans Marcot François, Ponty Janine, Vigreux Marcel et Wolikow Serge (dir.), La Résistance et les Français : lutte armée et maquis, op. cit., p. 204-205).
4 MHV, arch. Jacques Duclos, D1/2, lettre du secrétariat du CC du PCF à la direction de la ZS, 9 juin 1944.
5 MHV, arch. Jacques Duclos, D1/3, direction de la ZS au secrétariat du CC du PCF, situation en ZS au 11 juin, 12 juin 1944.
6 MHV, arch. Jacques Duclos, D1/3, direction de la ZS au secrétariat du CC du PCF, informations de ZS, 12-13 juin 1944.
7 MHV, arch. Jacques Duclos, D1/3, direction de la ZS au secrétariat du CC du PCF, lettre manuscrite, 29 juin 1944.
8 MHV, arch. Jacques Duclos, D1/3, direction de la ZS au secrétariat du CC du PCF, rapport de l’instructeur, interrégion D (Languedoc, centrée sur Montpellier), 26 juin 1944.
9 MHV, arch. Jacques Duclos, D1/3, direction de la ZS au secrétariat du CC du PCF, lettre manuscrite, 29 juin 1944.
10 MHV, arch. Jacques Duclos, D1/2, lettre du secrétariat du CC du PCF à la direction de la ZS, 15 juillet 1944.
11 Crémieux-Brilhac Jean-Louis, Une stratégie militaire pour la Résistance, op. cit.
12 Frank Robert, « Les missions interalliées et les enjeux de la lutte armée », dans Marcot François, Ponty Janine, Vigreux Marcel et Wolikow Serge (dir.), La Résistance et les Français : lutte armée et maquis, op. cit.
13 Vigreux Marcel, « Sociologie des maquis de Bourgogne », dans Marcot François, Ponty Janine, Vigreux Marcel et Wolikow Serge (dir.), La Résistance et les Français : lutte armée et maquis, op. cit.
14 Frank Robert, « Les missions interalliées et les enjeux de la lutte armée », dans Marcot François, Ponty Janine, Vigreux Marcel et Wolikow Serge (dir.), La Résistance et les Français : lutte armée et maquis, op. cit., p. 376.
15 Foot Michael, « Le SOE et le maquis », dans Marcot François, Ponty Janine, Vigreux Marcel et Wolikow Serge (dir.), La Résistance et les Français : lutte armée et maquis, op. cit. Il écrit que l’EM FFI était « de loin le moins compétent » des états-majors qu’il avait connus en six ans de guerre, car il était constitué d’officiers « qui ne connaissaient rien aux opérations clandestines ou semi-clandestines » (p. 231).
16 Viaud Marie-Thérèse, « Problèmes stratégiques et tactiques des maquis de Dordogne », op. cit., p. 266.
17 SHD-DAT, GR28 P3 194, cable à Arc, Polygone, Lemniscate, Quartus, Revers, du général Koenig, 23 juin 1944 Début juin, la direction communiste de la ZS rapporte prudemment, compte tenu de la difficulté des liaisons, que, dans le Cantal, les FTP auraient quitté les FFI, car les officiers de l’ORA auraient imposé leur commandement et instauré les normes de l’armée régulière (MHV, arch. Jacques Duclos, D1/3, direction de la ZS au secrétariat du CC du PCF, situation en ZS au 11 juin, 11 juin 1944).
18 MHV, arch. Jacques Duclos, D1/2, lettres du secrétariat du CC du PCF à la direction de la ZS, 26 juin 1944. Début août, la direction rappelle à nouveau la nécessité de « rectifier le frein à l’union patriotique » qui existe dans le parti et elle signale que le CMN est favorable à un brassard FFI unique, sans signe distinctif d’appartenance (MHV, arch. Jacques Duclos, D1/3, direction de la ZS au secrétariat du CC du PCF, 6 août 1944, signé B). À noter que le CMZ semble avoir adopté la position inverse. Concernant le retard d’intégration des FTP dans les FFI de zone sud, il résulte pour une part du démantèlement courant mai du CMZ par la gestapo qui provoque une désorganisation durable.
19 MHV, arch. Jacques Duclos, D1/2, lettres du secrétariat du CC du PCF à la direction de la ZS, 15 juillet 1944.
20 Ibid., 30 juillet 1944.
21 MHV, arch. Jacques Duclos, D1/3, direction de la ZS au secrétariat du CC du PCF, rapport de la ZS, 14 juillet 1944.
22 Ibid. ; MHV, arch. Jacques Duclos, D1/2, lettres du secrétariat du CC du PCF à la direction de la ZS, 26 juin 1944.
23 Début juillet, Revers conserve cet objectif et affirme qu’il est partagé par les DMR, Trapèze et Isotherme, avec lesquels il est en contact (SHD-DAT, 1K 298 [fonds Pfister], lettre du 7 juillet 1944 de Revers à Pfister).
24 La Résistance en Haute-Garonne, AERI, 2009, cd-rom.
25 [http://museedelaresistanceenligne.org, 2019].
26 DBMOF, notice Robert Rossi [http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr, 2017]. Cette notice présente en détail ce conflit.
27 En particulier, les SAS subissent de lourdes pertes : 50 % des effectifs en Bretagne ; environs les deux tiers dans le Morvan.
28 Funk Arthur, « L’état major interallié face à la lutte armée » dans Marcot François, Ponty Janine, Vigreux Marcel et Wolikow Serge (dir.), La Résistance et les Français : lutte armée et maquis, op. cit., p. 383.
29 Bougeard Christian, « Les maquis de Bretagne dans leur environnement social », dans Marcot François, Ponty Janine, Vigreux Marcel et Wolikow Serge (dir.), La Résistance et les Français : lutte armée et maquis, op. cit., p. 300-301.
30 Grenard Fabrice, Une légende du maquis, Georges Gingouin, du mythe à l’histoire, Éditions Vendémiaire, 2014, p. 264. Lors du siège de Limoges, le lieutenant-colonel Besson, chef des GMR, rencontre Guingouin et lui dit que la majorité de ses officiers ne veulent pas se rendre à un chef FFI communiste. Le colonel Paquette de l’ORA et le major Staunton insistent alors pour que ce soit Guingouin qui reçoive la reddition des GMR (p. 269).
31 Grenard Fabrice, Une légende du maquis, op. cit., p. 274.
32 Frank Robert, « Les missions interalliées et les enjeux de la lutte armée », op. cit., p. 359. Parachuté en Ariège, le lieutenant Marcel Bigeard témoignera de la valeur des guérilleros espagnols qu’il a mission d’encadrer. Majoritairement communistes, alors que Bigeard les croit anarchistes, ils ne relèvent pas des FTP, mais de la résistance espagnole en France.
33 Durand Pierre, Joseph et les hommes de Londres, Paris, Le Temps des Cerises, 1994, p. 223.
34 Vallette d’Osia Jean, Quarante-deux ans de vie militaire, op. cit., 1991.
35 SHD-DAT, 1K 286, Mémoires du général Redon, s. d.
36 Il en va différemment des relations avec les missions alliées et les DMR. Ainsi, les tensions sont fortes dans l’Ouest entre le colonel Michelin, communiste et chef d’état-major FFI qui est soutenu par Beaufils, et les DMR et missions alliées. À noter que ces tensions ont des causes militaires et non directement politiques.
37 Durand Pierre, Joseph et les hommes de Londres, op. cit., p. 221-222.
38 Ibid. ; Le Gall Erwan, Un héros très discret [http://enenvor.fr, 2019].
39 Officier de l’infanterie coloniale affecté en Afrique du Nord, le colonel Schneider n’est pourtant arrivé à Toulouse que le 25 août, c’est-à-dire très tardivement.
40 Magnant Dominique (colonel), La Bataille d’Alès et le Bataillon des Cévennes, [http://sabix.revues.org/661, 2019].
41 [http://resistance.azur.free.fr/dossier/verdon.htm (erreur en 2023),2019]. La crise de commandement provoquée par le conflit Rossi/Lécuyer est absente de la documentation concernant Hutinet.
42 SHD-DAT, GR28 P3 194, Dainville Augustin de (colonel), L’ORA en 1944, op. cit.
43 Le COMAC a une emprise directe sur les FFI de la région parisienne, puisque Villon siège à l’EMN FFI, Kriegel-Valrimont à l’EM régional FFI, et de Voguë à l’EM FFI de la Seine.
44 Crémieux-Brilhac Jean-Louis, Georges Boris, op. cit., p. 294.
45 MAE, P 2131, État-major de la Défense nationale, 2e et 3e sections, synthèse journalière des opérations, situation au 19 août, 20 août 1944.
46 Ibid., 22 août 1944.
47 Ibid., 23 août 1944.
48 Ibid., 24 août 1944.
49 Ibid., 26 août 1944.
50 Ibid., 29 août 1944.
51 MHV, arch. Jacques Duclos, D1/3, direction de la ZS au secrétariat du CC du PCF, rapport sur la ZS, 27 juillet 1944.
52 Cette formulation concerne en particulier la légion et les forces de répression. Le document argumente en faisant allusion à l’interdiction d’exécuter les gendarmes faits prisonniers lors d’opérations contre les maquis, ce qui a facilité ensuite les ralliements en masse à la Libération.
53 Depuis le débarquement, la direction du PCF compte sur la propagande dans l’armée allemande pour provoquer la désagrégation de certaines unités, voire leur ralliement à la Résistance (MHV, arch. Jacques Duclos, D1/3, direction de la ZS au secrétariat du CC du PCF, lettre du responsable de la MOI de ZS, 26 juin 1944).
54 Weiss Stéphane, « Le jour d’après » : Organisations et projets militaires dans la France libérée, op. cit., p. 80.
55 Crémieux-Brilhac Jean-Louis, Georges Boris, op. cit., p. 294. Ultérieurement, le témoignage de la majorité des acteurs de premiers plans converge dans ce sens (Michel Henri [dir.], La Libération de la France, Actes du colloque international tenu à Paris du 28 au 31 octobre 1974, Paris, Éditions du CNRS, 1976, 1054 p). Le témoignage de Michel Debré est particulièrement éclairant.
56 Larminat Edgard de, Chroniques irrévérencieuses, op. cit., p. 240.
57 Giraud Henri-Christian, De Gaulle et les communistes, op. cit., t. 2, p. 306.
58 Boegner Philippe, Carnets du pasteur Boegner, Paris, Fayard, 1992, p. 309.
59 Crémieux-Brilhac Jean-Louis, La France libre, op. cit., p. 909. Le général Petit rapporte qu’à deux reprises, à la fin de l’été 1945, de Gaulle lui a confié que « les communistes comptaient prendre le pouvoir à la Libération, mais qu’ils ont laissé passé l’occasion et qu’il n’y a désormais plus de risque » (Carnets Petit, 4 août et 21 septembre 1945). La thèse du complot défendue par de Gaulle semble donc rétrospective, ce qui n’exclut d’ailleurs pas qu’elle soit calculée.
60 Larminat Edgard de, Chroniques irrévérencieuses, op. cit., p. 240.
61 MAE, P 2131, État-major de la Défense nationale, 2e et 3e sections, synthèse journalière des opérations, situation au 22 août, 23 août 1944.
62 Rapport du Major Davies, cité dans War in Languedoc Rouge [https://maquisdevabre.wordpress.com/] (erreur en 2023), 2020.
63 Contrairement à ce qu’écrit le colonel de Dainville, ce ne sont donc pas « deux éléments modérés du CNR et du COMAC » qui ont rédigé la lettre. Il est toutefois probable que l’auteur est membre du CNR.
64 Vidal Georges, L’Armée française et l’ennemi intérieur, op. cit., p. 62-65. En particulier, l’attitude antipatriotique attribuée aux ouvriers parisiens est tout à fait caractéristique de cette perception fantasmatique du danger révolutionnaire. On retrouve dans cette lettre la trame de la Note du général Voiriot de 1932.
65 Les dirigeants de CDLR en région parisienne sont très divisés durant cette période qui précède la libération de la capitale. Selon Marie Granet, Jacques Lecompte-Boinet croit que les communistes veulent prendre le pouvoir (Jacques Lecompte-Boinet, Mémoires d’un chef de la Résistance, Paris, Le Félin, 2021), alors que Jean de Voguë, qui estime que l’enjeu de la Libération reste d’abord militaire, défend le rôle du COMAC comme centre de commandement des FFI en relation avec les communistes (Granet Marie, Ceux de la Résistance [1940-1944], Paris, Éditions de Minuit, 1964, 375 p.).
66 1K 298 (fds Pfister), lettre du 7 juillet 1944 de Revers à Pfister. À noter toutefois, que Revers reste plus mesuré que l’auteur de la lettre qu’il a reçue.
67 Les fortes tensions autour de la désignation du chef de l’ORA de région parisienne indiquent que cette organisation connaît alors des divisions dont le détail n’est pas connu. Il apparaît toutefois que le conflit se cristallise sur la nomination du colonel Duché ou du général Lenclud. L’auteur de la lettre à Revers dénigre violemment le général Gouraud, sans d’ailleurs en fournir la raison, qu’il considère comme un incapable et il a également peu d’estime pour le général Lenclud. À noter que Duché, très appuyé dans cette lettre, obtiendra le commandement de la subdivision de la Seine dès la Libération. À noter également que Gouraud, gouverneur militaire de Paris de 1923 à 1937, s’est opposé aux conceptions de contre-insurrection défendues par Pétain et ses proches autour de 1930 (Vidal Georges, L’Armée française et l’ennemi intérieur, op. cit., p. 203-211).
68 Le colonel de Jonchay, membre de l’ORA dans le Limousin, qui écrit à Koenig le 23 août pour l’avertir du noyautage des FFI par le PCF, constitue une exception. Cet officier, très préoccupé par le danger communiste, publiera en 1968 un ouvrage sur La Résistance et les communistes consacré pour l’essentiel à défendre la thèse du complot communiste pour la prise du pouvoir.
69 SHD-DAT, 1K 286, Mémoires du général Redon, s. d.
70 Bourderon Roger, Libération du Languedoc méditerranéen, Hachette Littérature, Paris, 1974, 283 p.
71 Weiss Stéphane, « Le jour d’après » : Organisations et projets militaires dans la France libérée, op. cit., p. 65-66.
72 Weiss Stéphane « Le rétablissement de l’autorité militaire dans les régions françaises en 1944-1945 » [https://www.histoire-politique.fr (erreur en 2023), 2020].
73 Weiss Stéphane, « Le jour d’après » : Organisations et projets militaires dans la France libérée, op. cit., p. 87.
74 Weiss Stéphane, « Le jour d’après », op. cit., p. 33-36.
75 Les rumeurs sur les complots et menées de l’extrême droite prolifèrent sous diverses formes. Fin 1944, un rapport informe le haut commandement que le corps franc Pommiès recrute d’ex-miliciens ou ex-membres du PPF et qu’il serait lié au comte de Paris pour rétablir la monarchie en relation avec l’Espagne franquiste (SHD-DAT GR28 P3 194, agissement des corps francs Pommiès ou Pyrénéens [CFP], dossier R4, 11 décembre 1944). En janvier, des rumeurs circulent à travers le pays sur la formation de « maquis bruns » regroupant des miliciens et des hommes de la LVF, encadrés par des parachutistes allemands et opérant en Normandie, dans l’Ariège et les secteurs de Roanne, Auxerre et Montlhéry (Weiss Stéphane, « Le jour d’après », op. cit., p. 74). Il ne s’agit pas de purs fantasmes puisque les Allemands ont laissé des réseaux dormants et parachutent des équipes de saboteurs. Toutes ces opérations sont d’ailleurs des échecs (Albertelli Sébastien, Histoire du sabotage, op. cit., p. 398-420).
76 MAE, P 2131, État-major général de la Défense nationale, 2e section, possibilités de guérilla en Allemagne après l’occupation, 1er septembre 1944.
77 Cité par Giraud Henri-Christian, De Gaulle et les communistes, op. cit., t. 2, p. 326-327.
78 Weiss Stéphane, « L’établissement d’une autorité militaire dans le Sud-Ouest en 1944-1945 », Guerres mondiales et conflits contemporains, 2011/3 (no 243), p. 59-72, www.cairn.info/revue-guerres-mondiales-et-conflits-contemporains.
79 Le colonel Le Goyet rapporte que « le général désigné pour prendre le commandement de la région de Limoges s’en voit interdire l’accès par Guingouin, chef FTP » (Le Goyet Pierre (colonel), « Quelques aspects du problème militaire français pendant la Libération du territoire », La libération de la France, Paris, Éditions du CNRS, 1976, p. 567). Or, aucun général n’a été proposé pour commander la 12e RM de Limoges et c’est le colonel Rousselier qui en reçoit le commandement le 27 septembre (Weiss Stéphane, « Le jour d’après », op. cit., p. 75).
80 Weiss Stéphane, « Le jour d’après », op. cit., p. 41-42. Le commissaire de la République dans la région, Pierre Bertaux, fournit un témoignage qui va dans ce sens (Mémoires interrompus, Paris, Publications de l’Institut d’Allemand, 2000, p. 140-158).
81 Larminat Edgard de, Chroniques irrévérencieuses, op. cit., p. 275-276. L’auteur éreinte d’ailleurs Robert Aron auquel il reproche de surévaluer jusqu’à la caricature le facteur communiste dans son Histoire de la Libération. Chaban-Delmas fournit a posteriori un témoignage sur la situation chaotique à Bordeaux début septembre, mais sans la lier à l’influence communiste.
82 SHD-DAT, 1K 233, synthèse sur situation dans le Massif Central, 10 septembre 1944.
83 SHD-DAT, 1K 233, renseignements sur l’activité des FTP et du PCF à Vichy, 9 octobre 1944.
84 SHD-DAT, 1K 233, Monsieur le chef du sous-réseau Yatagan à Monsieur le chef du réseau Goélette, situation dans la région centre, EM régional de Clermont-Ferrand, non daté (probablement début automne 44).
85 La MMLA est chargée d’assurer les relations entre les forces alliées et les autorités françaises, ainsi qu’avec la population civile.
86 SHD-DAT, 1K 233, mission militaire de liaison administrative, rapport, 5 octobre 1944.
87 SHD-DAT, 1K 233, délégation militaire nationale, 6 septembre 1944.
88 MAE, P 2033, télég. DiploFrace Moscou, 15 septembre 1944 ; Télég. DiploFrance Moscou, 16 septembre 1944.
89 Narinski Mikhaïl, « Moscou et le Parti communiste français pendant la Seconde Guerre Mondiale (1942-1944) » dans Soutou Georges-Henri et Robin Hivert Émilia (dir.), L’URSS et l’Europe de 1941 à 1957, op. cit., p. 244.
90 Lévéque François, « La place de la France dans la stratégie soviétique de la fin de la guerre en Europe (fin 1942-fin 1945) », Matériaux pour l’histoire de notre temps, no 36, 1994, p. 33.
91 DBMOF, notice François Billoux.
92 Ainsi, le 18 juillet, la direction d’Alger transmet en métropole une note très critique, voire vindicative, sur l’ambiance anticommuniste et l’influence des « éléments vichystes » à Alger (MHV, arch. Jacques Duclos, D1/3, direction de la ZS au secrétariat du CC du PCF, délégation du CC à Alger à Waldeck-Rochet à Londres, 18 juillet 1944, signé de Marty et Fajon). Même si ce texte ne contient aucune attaque contre de Gaulle, il est sensiblement décalé par sa tonalité polémique des documents qui émanent de la direction du PCF en France à la même époque.
93 MHV, arch. Jacques Duclos, D1/2, lettres du secrétariat du CC du PCF à la direction de la ZS, 13 juin 1944 ; D1/3, direction de la ZS au secrétariat du CC du PCF, rapport sur la ZS, 27 juillet 1944 ; D1/2, lettres du secrétariat du CC du PCF à la direction de la ZS, 12 août 1944.
94 Exemples significatifs : les réquisitions d’entreprises à Marseille au cours de l’automne 1944 ne sont pas approuvées par la direction du PCF (Mencherini Robert, « Un enjeu de pouvoir à la Libération : les entreprises réquisitionnées sous “gestion ouvrière” à Marseille (1944-1948) », Annales du Midi, no 199-200, 1992, p. 429-440) ; Rol-Tanguy ne parvient pas à régler l’affaire de l’Institut dentaire à Paris (Berlière Jean-Marc, Franck Liaigre, Ainsi finissent les salauds. Séquestrations et exécutions clandestines dans Paris libéré, Paris, Robert Laffont, 2012, 432 p).
95 MAE, P 2033, télég. DiploFrance Moscou, 31 août 1944.
96 MAE, P 2034, mission de Pierre Cot en URSS, rapport complémentaire, septembre 1944.
97 Juin Alphonse, « Rencontre avec Staline », Historia, no 170, janvier 1961.
98 Gaulle Charles de, Mémoires de Guerre, op. cit., t. 3, Pocket, 2004, p. 124.
99 Narinski Mikhaïl, « L’entretien Thorez-Staline du 19 novembre 1944 », Communisme, no 45-46, 1996, p. 31-54.
100 Narinski Mikhaïl, « L’URSS, le Komintern et la lutte armée », dans Marcot François, Ponty Janine et Vigreux Marcel et Wolikow Serge (dir.), La Résistance et les Français : lutte armée et maquis, op. cit., p. 371-372.
101 Weiss Stéphane, « Le jour d’après », op. cit., p. 31-32.
102 SHD-DAT, 1K 233, délégation militaire nationale, 6 septembre 1944.
103 SHD-DAT, 1K 233, mission militaire de liaison administrative, rapport, 5 octobre 1944.
104 Weiss Stéphane, « Le jour d’après » : Organisations et projets militaires dans la France libérée, op. cit., p. 70.
105 Philippe Buton écrit sur ce point : « Dans cette France de la Libération coexistent deux pyramides organisationnelles, deux pouvoirs virtuels : celui de l’État et celui de la Résistance. Dans le domaine des organes politiques, au gouvernement provisoire fait écho le CNR, aux préfets répondent les Comités départementaux de Libération, et aux maires, les comités locaux. Dans la sphère militaire, toute une dimension politique et culturelle oppose l’armée traditionnelle et l’armée nouvelle des FFI » (Buton Philippe, La Libération de la France, op. cit.). Cette systématisation du dualisme assimilée à une situation de double pouvoir mérite d’être sensiblement nuancée au vu des réalités, en particulier dans le domaine militaire. Voir à ce sujet l’exemple éclairant du Sud-Ouest, tumultueux et compliqué : Weiss Stéphane, « L’établissement d’une autorité militaire dans le Sud-Ouest en 1944-1945 », Guerres mondiales et conflits contemporains, no 3, 2011, p. 59-72, [https://www.cairn.info].
106 Chantin Robert, Des temps difficiles pour des résistants de Bourgogne. Échec politique et procès 1944-1953, Paris, L’Harmattan, 2002, p. 248-249.
107 Weiss Stéphane, « Le jour d’après » : Organisations et projets militaires dans la France libérée, op. cit., p. 298.
108 Rousselier ne semble pas être membre du PCF. Stéphane Weiss ne le précise pas et la notice du Maitron est floue sur ce point, ne mentionnant pas d’appartenance à ce parti. Les sensibilités politiques sont d’ailleurs loin de recouper les positionnements. Ainsi, le colonel Druilhe, classé à gauche, n’entretient pas de lien avec le COMAC et exerce son commandement de la 18e région en relation exclusive avec le ministère de la Guerre et le haut commandement.
109 Weiss Stéphane, « Le jour d’après » : Organisations et projets militaires dans la France libérée, op. cit., p. 141.
110 Vaïsse Maurice, « La naissance de la nouvelle armée française » [http://www.institut-strategie.fr].
111 Buton Philippe, La libération de la France, conférence au CHRD Lyon, 21 janvier 2014, [http://www.fondationresistance.org].
112 Buton Philippe, Les Lendemains qui déchantent, op. cit., p. 123-124 et 131-138.
113 Vidal Georges, La Grande Illusion, op. cit., p. 235-283. De 1936 à 1939, le PCF ne prône pas « la levée en masse » comme moyen d’assurer le renforcement de la défense nationale face à la menace allemande, car il privilégie la professionnalisation de l’armée de réserve (Ibid, p. 427-430).
114 Weiss Stéphane, « Le jour d’après » : Organisations et projets militaires dans la France libérée, op. cit., p. 318.
115 Pigenet Michel, La Résistance en Île-de-France, AERI, 2004 (DVD-ROM). Michel Pigenet, Les Fabiens des barricades au front (septembre 1944-mai 1945), Paris, L’Harmattan, 1995, 265 p. Bourderon Roger, Rol-Tanguy, Paris, Tallandier, 2004, 768 p. L’affirmation de Philippe Buton, qui voit seulement dans la colonne Fabien un leurre voulu par la direction communiste, est très réductrice et fort contestable (Les Lendemains qui déchantent, op. cit., p. 120-121).
116 Weiss Stéphane, « Le jour d’après » : Organisations et projets militaires dans la France libérée, op. cit., p. 141. En juillet, l’objectif des Français était la mise en place de 25 divisions, mais, suite au refus des alliés, le chiffre de huit divisions en métropole avait finalement été retenu, les Anglo-Saxons rejetant la proposition de lever en sus deux divisions en Extrême-Orient.
117 Vaïsse Maurice, « La naissance de la nouvelle armée française » [http://www.institut-strategie.fr].
118 Weiss Stéphane, « Le jour d’après » : Organisations et projets militaires dans la France libérée, op. cit., p. 50. Le colonel Rebattet gardera des liens avec le COMAC et deviendra adjoint du général de Lattre de Tassigny pour les affaires FFI.
119 Toutefois, Koenig n’y semble pas défavorable, selon le témoignage du général Dassault (Bourderon Roger, Rol-Tanguy, op. cit., p. 490).
120 Larminat Edgard de, Chroniques irrévérencieuses, op. cit., p. 270.
121 Vaïsse Maurice, « La naissance de la nouvelle armée française », art. cité. De Lattre aurait anticipé avant la Libération l’importance symbolique, politique et militaire de l’intégration en masse des FFI dans les rangs de l’armée, sans aller toutefois jusqu’à conceptualiser le principe de l’amalgame. En effet, selon le témoignage de Ludovic Tron, de Lattre, quelques jours avant le débarquement en Provence, aurait déclaré dans un discours à ses troupes : « Comprenez-moi bien. Dans ce monde en fusion, où les nations se font et se défont, la France sera ce que sera son armée. Puisqu’elle ne peut pas être très nombreuse, il faut qu’elle impose par sa qualité […] Mais il faut encore qu’elle soit représentative du pays tout entier, qu’elle groupe toutes les forces combattantes. En un mot, qu’elle soit nationale. Or, vous allez trouver en France des gens qui auront été longtemps séparés de nous ; demain, vous rencontrerez ceux qui ont lutté dans la clandestinité […] Ils sont vos frères, ils ont leurs mérites que vous reconnaîtrez, leur gloire que vous respecterez et vous n’aurez pas d’autre désir que de les voir prendre place dans vos rangs, quelle que soit l’origine, pour faire ensemble l’armée nationale. » Le témoignage du major Davies relativise cet enthousiasme attribué à de Lattre : « Le premier contact entre de Lattre et les chefs FFI ne fut pas particulièrement heureux. Celui-ci joua un peu au grand patron et les FFI se retirèrent un peu désappointés. Ils considèrent avec justesse que leur contribution à la libération du Sud-Ouest a été substantielle et acquise sans assistance d’armées régulières, tandis que les réguliers qui ont eu les oreilles rebattues d’histoires interminables et plutôt exagérées par tel ou tel maquisard, se mettent maintenant à sous-estimer le bon travail que les FFI ont réellement accompli » (War in Languedoc Rouge [https://maquisdevabre.wordpress.com/ (erreur en 2023), 2020]).
122 Exposé du général Molle sur l’amalgame des unités FFI dans la 1re Armée française à la fin de 1944, [http://museedelaresistanceenligne.org].
123 Vaïsse Maurice, « La naissance de la nouvelle armée française » [http://www.institut-strategie.fr].
124 Exposé du général Molle sur l’amalgame des unités FFI dans la 1re Armée française fin 1944, [http://museedelaresistanceenligne.org].
125 Weiss Stéphane, « Le jour d’après » : Organisations et projets militaires dans la France libérée, op. cit., p. 183-192.
126 Chevance-Bertin, soutenu par Schneider, veut créer un commandement interrégional des FFI du sud de la France pour faciliter la formation de grandes unités, dont le GMSO est conçu comme la première mouture avant sa transformation en division. Tous deux veulent un emploi autonome des FFI aux côtés de l’armée régulière, une conception différente de celle du COMAC qui veut faire des FFI le creuset de l’armée. Il y a cependant une proximité avec le projet du COMAC puisque ces deux conceptions reposent sur la préservation de la singularité des FFI.
127 Larminat Edgard de, Chroniques irrévérencieuses, op. cit.
128 SHD-DAT, 1K 286, Mémoires du général Redon, s. d.
129 Vaïsse Maurice, « La naissance de la nouvelle armée française » [http://www.institut-strategie.fr], op. cit.
130 Weiss Stéphane, « Le jour d’après » : Organisations et projets militaires dans la France libérée, p. 236.
131 Larminat Edgard de, Chroniques irrévérencieuses, op. cit., p. 275-276.
132 SHD-DAT, 1K 233, mission militaire de liaison administrative, rapport, 5 octobre 1944.
133 SHD-DAT, 1K 286, Mémoires du général Redon, s. d.
134 Vallette d’Osia Jean, Quarante-deux ans de vie militaire, op. cit., p. 229-240. Il est vrai que ses appréciations sur les gaullistes, même si elles ne relèvent pas du même registre, sont tout aussi dépréciatives.
135 DBMOF, notice Périnetti Raymond, [http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article125567].
136 Weiss Stéphane, « Le jour d’après » : Organisations et projets militaires dans la France libérée, op. cit., p. 654-655.
137 Dunoyer de Segonzac Pierre, Le Vieux Chef. Mémoires et pages choisies, Paris, Seuil 1971.
138 Weiss Stéphane, « Le jour d’après » : Organisations et projets militaires dans la France libérée, op. cit., p. 466.
139 SHD-DAT, 1K 286, général Redon, rapport sur la colonne de Toulouse, non daté.
140 SHD-DAT, 1K 286, Mémoires du général Redon, s. d.
141 Cité par Weiss Stéphane, « Le jour d’après » : Organisations et projets militaires dans la France libérée, op. cit., p. 347.
142 SHD-DAT, 1KT 1091, biographie d’Henri Hutinet (1920-1944), 13 p. Témoignage de Jacqueline Erbar. Ce témoin omet de mentionner la présence des officiers de l’ORA.
143 Saint Marc Hélie de, Kageneck August von, Notre Histoire 1922-1945, Paris, Éditions des Arènes, 2002, 285 p.
144 Raynal Patrick, Lettre à ma grand-mère, Paris, Flammarion, 2008, p. 49.
145 Montangon Jean de, Un Saint-Cyrien des années 40, op. cit., p. 194-195 et 213.
146 Soutou Georges-Henri, « La France libre et la place de l’URSS dans le système européen », dans Soutou Georges-Henri et Robin Hivert Émilia (dir.), L’URSS et l’Europe de 1941 à 1957, op. cit., p. 160.
147 MAE, P 2033, télég. DiploFrance Moscou, 25 juin 1944 ; 10 août 1944 ; 29 août 1944, 19 septembre 1944.
148 MAE, P 2207, télég. Garreau à DiploFrance, 10 juin 1944.
149 MAE, P 2207, télég. Garreau à DiploFrance, 10 juin 1944 (rencontre avec Molotov) ; 26 juin 1944 (rencontre avec Dekanozov, vice-Commissaire aux Affaires étrangères).
150 MAE, P 2033, télég. DiploFrance Moscou, 12 août 1944 et 16 septembre 1944.
151 MAE, P 2033, télég. Massigli à DiploFrance Moscou, 9 juillet 1944, 3 août 1944.
152 MAE, P 2034, Pierre Cot, compte rendu de mission en URSS (mars-juillet 1944).
153 MAE, P 2034, mission de Pierre Cot en URSS, rapport complémentaire, septembre 1944.
154 MAE, P 2034, Pierre Cot, compte rendu de mission en URSS (mars-juillet 1944).
155 MAE, P 2034, mission de Pierre Cot en URSS, rapport complémentaire, septembre 1944.
156 MAE, P 2034, mission de Pierre Cot en URSS, rapport complémentaire, septembre 1944. À propos des relations « pas très cordiales » entre Garreau et Petit, Cot écrit : « Ils se font une guerre de coups d’épingles. Il ne faut d’ailleurs pas exagérer l’importance de leur désaccord : quand ils sont à l’étranger, un diplomate et un général français, de rangs égaux, s’entendent généralement assez mal. Pour juger ces choses avec sérénité, il faut tenir compte de l’isolement dans lequel se trouvent les Français à Moscou : ceux qui sont embarqués sur le même bateau arrivent rarement à s’entendre. »
157 Eugène Kurtz, La Guerre malgré moi. De Schirmeck à Moscou, Strasbourg, 2003, p. 369-390.
158 MAE, P 2034, mission de Pierre Cot en URSS, rapport complémentaire, septembre 1944. En privé, Cot se montre plus sévère concernant Garreau (Jansen Sabine, Pierre Cot, op. cit., p. 432-433).
159 Curieusement, Cot évoque l’affectation à la MMF d’un officier du BCRA qu’il estime devoir irriter les Soviétiques qui « connaissent certainement cette présence ». Mais l’existence de cet agent du BCRA n’est mentionnée nulle part, y compris dans les Carnets du général Petit.
160 SHD-DAA, Z 25249, Le Général Bouscat au Commissaire de l’Air, 1er juin 1944.
161 SHD-DAA, Z 25249, Le Commissaire de l’Air, Fernand Grenier, au général Bouscat, 13 juin 1944.
162 Carnets Petit, 20 juin 1944.
163 SHD-DAA, G 8010, télég. général Petit à EMDN, 23 juin 1944.
164 SHD-DAA, G 8010, Le Général Bethouart, chef d’état-major de la Défense nationale, au Commissaire à l’Air, création du 2e régiment de chasse en URSS, 25 juin 1944.
165 SHD-DAA, Z 25249, télég. du général Petit aux FAFL, 13 septembre 1944. Le 3 septembre, Petit rapporte dans ses Carnets une longue conversation avec le capitaine de Pange qui « lui laisse entendre que l’harmonie est loin d’être parfaite » au sein de l’unité. « Grand contraste avec l’esprit qui régnait l’année dernière » conclut Petit.
166 SHD-DAA, Z 25249, compte rendu d’activité aérienne pendant le mois d’octobre 1944.
167 Gaudart Maryvonne et René, Pilotes du Normandie-Niemen, op. cit., p. 351-352.
168 SHD-DAA, G 8010, rapport du commandant Delfino au sujet de l’aspirant à titre fictif Le Bras, 18 décembre 1944. À noter qu’en 1998, dans un témoignage sur son expérience d’aviateur en URSS, Albert Le Bras rapporte simplement qu’il est parti en permission en France fin 1944 et n’évoque pas cet incident disciplinaire. Il rejoindra d’ailleurs le régiment au printemps en compagnie de Pouyade [http://normandie-niemen.forumpro.fr/t670-temoignage-d-albert-le-bras].
169 SHD-DAA, G 8010, avis du général Petit, 8 février 1945.
170 SHD-DAA, G 8010, le général Petit au général Juin, chef d’EM général de la DN, 8 février 1945.
171 Carnets Petit, 8 mars 1945.
172 Ibid., 8 mars 1945 ; tome juin-août 1945.
173 SHD-DAA, Z 25249, commandant Delfino, compte rendu d’activité aérienne pendant le mois de février 1945. Il est vrai que lorsqu’en mars le général Petit rend visite au régiment, il juge la situation favorable (Carnets Petit, 20 mars 1945).
174 Carnets Petit, 8 mars 1945.
175 Ibid., 24 mars 1945.
176 Ibid., 20 mars 1945.
177 Zoueva Kira, « Les pourparlers de de Gaulle en URSS en 1944 », dans Soutou Georges-Henri et Robin Hivert Émilia (dir.), L’URSS et l’Europe de 1941 à 1957, op. cit., p. 223.
178 Ce sont les conclusions d’une commission spéciale, comprenant Maïski, Souritz, qui a été constituée pour étudier le cas français.
179 MAE, P 2033, télég. Massigli à DiploFrance Moscou, 9 juillet 1944.
180 MAE, P 2033, télég. DiploFrance Moscou, 22 juillet 1944.
181 MAE, P 2033, télég. DiploFrance Moscou, 30 juillet 1944 ; Direction générale des services spéciaux, centre de documentation, renseignement, 24 août 1944. Cependant, les services spéciaux ne rapportent rien de précis et ne semblent pas accorder une grande importance à toutes ces rumeurs.
182 Les discussions entre Anglo-Saxons et Soviétiques ont en effet progressé pour préparer l’occupation de l’Allemagne. Le 11 novembre, lors d’un entretien avec Churchill, de Gaulle s’aperçoit que ces conversations interalliées sont bien plus avancées qu’il ne le croyait.
183 MAE, P 2033, télég. Massigli à DiploFrance Moscou, 9 juillet 1944.
184 MAE, P 2207, télég. DiploFrance à Ambassade France Moscou, 11 juillet 1944.
185 MAE, P 2033, télég. DiploFrance Moscou, 22 août 1944.
186 Les Relations franco-soviétiques pendant la Grande Guerre patriotique, Archives soviétiques, Moscou, 1983, t. 2 (cité par Giraud Henri-Christian, De Gaulle et les communistes, op. cit., t. 2, p. 326).
187 MAE, P 2033, Massigli au ministre de l’information, 31 août 1944.
188 Soutou Georges-Henri, « La France libre et la place de l’URSS dans le système européen », dans Soutou Georges-Henri et Robin Hivert Émilia (dir.), L’URSS et l’Europe de 1941 à 1957, op. cit., p. 162.
189 Orlenko Olesya, L’Alliance franco-soviétique du 10 décembre 1944, [http://aehree.com/publ/].
190 Soutou Georges-Henri, « La France libre et la place de l’URSS dans le système européen », dans Soutou Georges-Henri et Robin Hivert Émilia (dir.), L’URSS et l’Europe de 1941 à 1957, op. cit., p. 163-168.
191 Levêque François, « Le général de Gaulle à Moscou (Décembre 1944) », Espoir, no 99, 1994.
192 Massigli René, Une comédie des erreurs. 1943-1956 : souvenirs et réflexions sur une étape de la construction européenne, Paris, Plon, 1978, p. 71.
193 Leveque François, « Les relations franco-soviétiques pendant la Seconde Guerre mondiale, de la défaite à l’alliance (1939-1945) : essai historique d’après les Archives du Quai d’Orsay », Revue des études slaves, tome 69, fascicule 3, 1997, p. 446.
194 Laloy Jean, « Entre Staline et de Gaulle », Revue des études slaves, t. 54, 1982, p. 152. À propos de sa rencontre le 9 décembre avec des représentants du comité de Lublin, Jean Cathala rapporte les propos que de Gaulle lui a alors tenu : « Je ne vais pas me ridiculiser en m’acoquinant avec ces bonshommes […] Tous des communistes. Ça s’identifie du premier coup : ils parlent en regardant le bout de leurs souliers […] Les vrais Polonais, je les connais : ils sont fiers […] Là, il y avait un type – on m’avait prévenu avant le départ – il s’était réfugié en Russie parce qu’il avait volé la caisse. »
195 Gaulle Charles de, Mémoires de Guerre, op. cit., t. 3, p. 78-79.
196 Catroux Georges (général), J’ai vu tomber le rideau de fer, Paris, Hachette, 1952, p. 49.
197 Selon Georges-Henri Soutou, la décision de de Gaulle est influencée par ses préoccupations sur le sort de la Pologne à laquelle il serait resté attachée depuis sa participation à la mission Weygand (op. cit., p. 171-172). Mais cette expérience semble avoir plutôt eu l’effet inverse sur les plans politique et militaire, comme d’ailleurs pour beaucoup d’officiers ayant appartenu à cette mission (Vidal Georges, Une alliance improbable, op. cit., p. 192-193 et 218-221) ; Larminat Edgard de, Chroniques irrévérencieuses, op. cit., p. 37 ; Gaulle Charles de, Lettres, notes et Carnets (1919-1940), op. cit.
198 Gaulle Charles de, Lettres, notes et Carnets (1945-1951), Paris, Plon, 1984, p. 420.
199 Archives Petit.
200 Carnets Petit, 4 août 1945.
201 Soutou Georges-Henri, « La France libre et la place de l’URSS dans le système européen », op. cit., p. 179.
202 Carnets Petit, 4 août 1945.
203 Villatoux Marie-Catherine, L’Ennemi intérieur dans la pensée militaire française (1945-1960), Colloque 2017 du trinôme académique, [https://docplayer.fr].
204 Villatoux Marie-Catherine et Paul, La République et son armée face au « péril subversif ». Guerre et action psychologiques 1945-1960, Paris, La Découverte, 2005, 694 p.
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